Atelier Budé 2022-2023 LITTÉRATURE ET VOYAGE Synthèse |
OBJECTIFS ET PERSPECTIVES
Partir d'un bon pied.
Nous laisserons de côté les véhicules à moteur et les voyages chamaniques et "sous emprise". Seule la foulée sur terre, et parfois à cheval, seront observés, même si le bateau devra nous transporter plus tard vers des terres vierges.
Il semble que ce soit le mouvement, le déplacement, l'appel de l'Ailleurs ("là où je ne suis pas", alibi en latin, tout un programme !) qui détermine au départ l'urgence, le besoin de bouger, dynamiser son corps.
Sylvain Tesson en est une actuelle incarnation. Sa popularité littéraire confirme cette aspiration, consciente ou non, du rêve de voyage.
On croise [les nomades] sur les chemins du monde. Ils vont seuls, avec lenteur, sans autre but que celui d'avancer. (…) Ils n'appartiennent qu'au chemin qu'ils foulent. Ils traversent les pays autant que les époques et selon les âges, ils ont reçu des noms différents : moines-mendiants, troubadours, voyageurs, hobos ou beatniks, ermites des taïgas, cavaliers au long cours, trappeurs ou coureurs des bois, vagabonds, wanderer. [Petit traité sur l'immensité du monde, en Pocket n° 13179, 2005.]
Et c'est une vieille histoire.
Déjà les dieux marchaient, Jésus, Bouddha, les héros grecs aussi (Jason, Thésée, Prométhée et Ulysse) et Œdipe rencontra son destin au carrefour de trois chemins, en se rendant à Thèbes. Alexandre le Grand traversa follement le monde jusqu'en Inde, les Dix-Mille mercenaires avec Xénophon crièrent « Thalassa » au bout d'une épuisante épopée, Hérodote arpenta l'Égypte… Seul le Grec le plus célèbre, Socrate, ne quitta jamais Athènes !
Un peu d'anatomie.
Pour comprendre, il n'y a qu'à "écouter" Jacques Lacarrière, aède moderne invoquant la muse pédestre, avant de traverser la France à pied en deux mois, de Saverne à Leucate [Chemin faisant, Fayard, 1977].
Avant tout, je chanterai les pieds. (…) Les pieds. Nos pieds. Qui nous portent et que nous portons. Façonnés par une évolution subtile et millénaire qui les rendit plus fins que ceux des Primates supérieurs, moins prenants que ceux des Primates inférieurs, plus aptes à la station debout que ceux des Plantigrades. Souvent, il m'arrivait le soir, au cours des premiers jours de cette longue marche, de contempler mes pieds avec étonnement : c'est avec ça, me disais-je, que nous marchons depuis l'aube des temps hominiens et que nous arpentons la terre. Ça, c'est-à-dire une cheville (avec un tendon dit d'Achille mais avait-il un nom avant Homère ?) un cou, une plante, des doigts. Le tout soutenu, charpenté par l'astragale, le calcaneum, le tarse, le métatarse, et les phalanges. À quoi il faut ajouter, pour la région antérieure du tarse, le cuboïde, le scaphoïde et les cunéiformes. Ainsi nos pieds portent-ils en eux un monde à découvrir. L'étymologie a beau en être fausse, j'aime à me dire que dans l'astragale il y a astre plutôt que gale, que phalanges évoquent la poussière des armées romaines marchant à travers la Gaule, cunéiformes les tablettes de cire exhumées des sables. (…)
Par curiosité, j'ai recherché l'étymologie [de "randonneur"] et ne fus nullement surpris de voir que "randonner » vient de randon, vieux mot français signifiant "fatigue, épuisement". "Courir à randon", c'est courir jusqu'à épuisement et randir, se déplacer avec ardeur et impétuosité. Il y a dans tous ces termes une urgence de marcher, une impatience d'être ailleurs qui est tout le contraire de la promenade ou de la flânerie.
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PLAN GÉNÉRAL DU PARCOURS
Axe I. Le voyage à pied (ou à cheval), Ou comment partir du bon pied.
– Préambule : une vieille histoire, une vieille étymologie
– Volet A : Variété des voyages à pied
– Volet B : Type littéraire associé : le genre picaresque
Axe II. Le voyage de formation, Comment acquérir un autre regard
– Volet A : Découvrir ou conquérir ?
– Volet B : Gagner un lieu ou dépasser ses propres limites ?
DÉTAIL DES SÉANCES
Aperçu de l'axe I, Volet A : Ou comment partir du bon pied
– Préambule
I- Le Voyage ? une vieille histoire, une vieille étymologie
1/ Les mythes immémoriaux
2/ L'histoire ancienne
3/ Les motivations
II- Autre retour aux sources : l'étymologie
1/ Origine latine
2/ Du côté grec
3/ Et pour préparer le voyage à pied…
III- Approche sociologique
1/ Un peu d'anatomie
2/ L'errant, cet Autre éternel
3/ Un mode du travail oublié
– Partir
I. La marche, libre conquête de soi
1/ "Je dispose en maître de la nature entière"
2/ Euphorie et lyrisme
II- La marche comme sauvegarde
1/ Une retraite salvatrice
2/ La marche qui répare
3/ Retour au bonheur perdu
III- Le pèlerinage à pied
1/ Pour l'amour de la musique
2/ Le pas du croyant
Aperçu de l'axe I, Volet B : Le genre littéraire du voyage à pied : les péripéties picaresques
– Préambule : Picaresque / Pittoresque : Essai de définition
I- Caractéristiques : Une distribution codifiée
1/ Une autobiographie ?
2/ Le déterminisme
3/ L'idéologie
4/ La satire
5/ Le naturalisme
6/ Loin des normes littéraires
II- Aux origines du genre
1/ Du côté des Anciens
2/ Lazarillo de Tormes (1554)
III- L'héritage français des Lumières
1/ Attraits du cosmopolitisme
2/ Les périples de Gil Blas
3/ Jacques le fataliste
– Conclusion : Une certaine postérité
Aperçu de l'axe II : Découvrir ou conquérir ?
– Préambule : "Arriver" et "gagner"
I- La curiosité, mécanisme universel
1/ "Explorer"
2/ Le voyage d'étude
3/ Fonder la géographie
4/ Sonder l'espace du ciel
II- Le voyage colonisateur
1/ Diderot et le vieux Tahitien
2/ Exploration et racisme
III- Un topos : le roman d'apprentissage
1/ Caractéristiques
2/ L'œuvre emblématique : le héros à la conquête de Paris
3/ Les émules, destins croisés
IV- Des conquérants modernes
1/ Les aventuriers de l'air
2/ Et les pionnières ?
– Le mot de la fin à Nicolas Bouvier
Textes lus au fil des trois séances :
– Chemin faisant, Jacques Lacarrière
– Les Confessions, livre IV, Jean-Jacques Rousseau
– Mémoires d'Outre-Tombe, livres IX et X
– Voyage avec un âne dans les Cévennes, Robert-Louis Stevenson
– Présentation de la Beauce à N.-D. de Chartres, Charles Péguy
– Laisse aller ton serviteur, Simon Berger
– Le Satiricon, Pétrone
– Lazarillo de Tormes, anonyme
– Gil Blas de Santillane, Lesage
– Jacques le Fataliste, Diderot
– Essais, III, 9, Montaigne
– Histoires vraies, « Le Voyage dans la lune », Lucien de Samosate
– Supplément au voyage de Bougainville, Diderot
– L'esprit des Lois, De l'esclavage des Nègres, Montesquieu
– Candide, Voltaire
– Le Père Goriot, H.de Balzac
– Bel-Ami, Guy de Maupassant
– L'Éducation sentimentale, Gustave Flaubert
– Terre des Hommes, Antoine de Saint-Exupéry
– L'Usage du monde, Nicolas Bouvier
– Lettre à Philippe Neel, 28 février 1924, Alexandra David-Neel
Et pour finir, quelques citations…
– "C'est le voyage qui vous fait, ou vous défait", Nicolas Bouvier.
– "Je ne suis qu'un piéton, rien de plus", Arthur Rimbaud, « L'homme aux semelles de vent ».
– "Vous nous voyez marcher, nous sommes la piétaille, / Nous n'avançons jamais que d'un pas à la fois", Charles Péguy