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LES REPRISES DE LA CATABASE D'ORPHÉE

DE L'ANTIQUITÉ À NOS JOURS

par Émilia NDIAYE, Nicole LAVAL-TURPIN, Catherine MALISSARD


 

On peut consulter les deux liens suivants, qui donnent des listes, ainsi que des videos, extraits musicaux et images de plusieurs reprises (sans êtres exhaustifs) :

https://modernisationmytheorphee.wordpress.com/modernisation-du-mythe-2/

https://pad.philharmoniedeparis.fr/contexte-le-mythe-d-orphee-dans-les-arts-et-en-musique.aspx#

Conformément au thème de l'atelier, nous avons privilégié les œuvres qui mettent l'accent sur la descente d'Orphée aux enfers, et sa remontée avec Eurydice, la mort d'Orphée, laissant de côté la dimension religieuse ou civilisatrice. Les choix des œuvres analysées ci-après sont subjectifs et l'ensemble ne se prétend nullement exhaustif : le web fournit de nombreux sites où tous les aspects du personnage sont explorés.

1- DE LA LYRE À L'OPÉRA

2- REPRÉSENTATIONS ICONOGRAPHIQUES

– Dans l'Antiquité

- La mort d'Orphée sur les vases
- Chant d'Orphée sur les mosaïques
- Bas-relief d'Orphée avec Eurydice

– Art classique et moderne

- La mise à mort d'Orphée par les Bacchantes
- La tête d'Orphée
- La mort d'Eurydice
- Orphée poète

3- REPRÉSENTATIONS CINÉMATOGRAPHIQUES

Orphée, de Jean Cocteau
Orfeu Negro, de Marcel Camus
Parking, de Jacques Demy

4- LES REPRISES LITTÉRAIRES

Eurydice, de Jean Anouih
Orphée Noir, de Jean-Paul Sartre
Orfi aux Enfers, de Dino Buzatti
Vous comprendrez donc, de Claudio Magris
Eurydice, de Sarah Ruhl

*

Orpheu e Eurydice,
par Sophia de Mello Breyner Andresen et Graça Morais

 

1- DE LA LYRE À L'OPÉRA

Euridice, de Jacopo Peri et Giulio Cacrini.
Dessin anonyme représentant J. Peri dans le rôle d'Orfeo
lors de la création en 1600. Biblioteca Nazionale, Florence.

 

La symbolique de la lyre liée à Orphée est très forte : l'instrument est symbole de la révélation d'Apollon, rôle pacificateur et civilisateur (harmonie), qui envoie les sons comme l'arc d'Apollon envoie des flèches (rayon solaires du savoir), par opposition à la flûte, instrument de Dionysos, qui provoque le délire et les transes bachiques.

La lyre est l'arme d'Orphée , pour ses trois visages (cf. document précédent, "La catabase d'Orphée").


1. 1. Orphée, le chanteur amoureux

il est le sujet des premiers drames lyriques, Eurydice (1600 - récits de solistes avec instruments), puis lié à l'invention de l'opéra par l'Orfeo de Monteverdi (1607). Voir ci-après le programme de ce spectacle, « le tragique dans Orfeo », « Orfeo révolution esthétique » :



1. 2. Le rapport texte/musique

Soit la musique l'emporte sur le texte (conception traditionnelle), soit le texte détermine la musique comme dans l'Orfeo. L'histoire s'impose, avec l'introduction d'une dimension dramatique par l'histoire d'amour qui se superpose au rôle de chanteur d'Orphée, c'est une favola in musica, soit un drame musical, où les duos et trios sont importants (stilo reppresentativo, mélodie chantée et stilo recitativo, déclamation avec soutien harmonique), avec exploitation de toute la palette sonore (nombreux instruments), pour souligner l'expressivité des sentiments.

Ccl : La légende d'Orphée est le sujet par excellence de l'opéra fondateur de Monteverdi, synthèse parfaite entre les deux visages d'Orphée, poète/chanteur et amoureux par la coïncidence de la forme artistique et du sujet : la musicalité, le pouvoir de la musique dans la légende et sur le spectateur, et les sentiments (force dramatique des deux morts d'Eurydice).
Avec Glück, l'action dramatique prend plus d'importance, le style est plus grandiose pour « exprimer de grandes passions et créer une musique énergique », jusqu'à la parodie d'Offenbach, Orphée aux Enfers, qui présente une Antiquité caricaturale pour viser la société du Second Empire.



En 1975, la chorégraphe Pina Bausch donne sa version chorégraphique de l'opéra de Glück.

En 2000, "Le retour d'Orphée" pour piano de Philip Glass: une musique instrumentale pour piano illustre ce retour d'Orphée sur terre autours de  mélodies évoluant dans une atmosphère surnaturelle, sereine quoique un peu inquiétante.

Deux extraits de ces œuvres sont disponibles sur le site

http://ausonemusique.eklablog.com/sequence-3-le-mythe-d-orphee-mis-en-musique-c28633596

 

2. REPRÉSENTATIONS ICONOGRAPHIQUES

Quel visage d'Orphée représenter ? L'enjeu est autre que pour la musique (qui s'impose pour Orphée chanteur), les trois visages peuvent être utilisés visuellement, selon les objectifs de l'artiste : Orphée comme sujet ou comme prétexte.


2. 1. DANS L'ANTIQUITÉ

La mort d'Orphée sur les vases : force tragique et intérêt plastique du mouvement (courbure du vase), et rapport avec le sujet, amphores ou coupes pour le vin (Dionysos et les Bacchantes).

 



Hermonax (attribué à), Mort d'Orphée, c. 400 av. J-C.
© RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / Hervé Lewandowski

 


Orphée jouant une cithare entouré d'animaux, mosaïque de Tarse, 100 av. J.-C.,
Musée archéologique d'Antioche, Hatay, Turquie

NB : L'utilisation de cette figure dans les catacombes par les chrétiens, avec le bonnet phrygien (la Phrygie, région située en face de la Thrace, étant pays de la musique) souligne la dimension religieuse de la légende (voir l'orphisme), communication avec la nature, les âmes, fascination sur les esprits, cf. parallèle avec le Christ.

 


Orphée charmant les bêtes sauvages, fresque, IVe s.
Rome, Catacombe de Domitille

 « Dans les catacombes, les animaux subjugués par le chant de l'aède thrace étaient donc en réalité des images des fidèles ravis en extase par la Vérité divine. Leur soumission à Orphée métaphorisait l'attitude du bon chrétien, remettant sa vie entre les mains de Dieu, adhérant sans réserve à sa promesse de résurrection. En outre, les artistes avaient très certainement en mémoire la parabole d'Isaïe (Isaïe, XI, 6-9), qui décrit le règne du Messie comme la cohabitation fraternelle des bêtes sauvages et des animaux domestiques  ». (Marie-Pierre Chabanne, « Promenade en compagnie du cortège d'Orphée, d'Apollonios à Apollinaire », dans Bestiaires, Mélanges en l'honneur d'Arlette Boulimié, 2014).

Voir cette analyse très riche sur le site : https://books.openedition.org/pur/27948


 


2. 2. ART CLASSIQUE ET MODERNE

On a dénombré environ 500 représentations picturales de la légende, du 15e au 20e siècles : 33% aux enfers, 25%  avec animaux, 20% lamentations à la première mort d'Eurydice, 18% la mort ou la tête d'Orphée, 6% la mort d'Eurydice.

Le sujets antiques sont prétexte à des composition plus ou moins amples, plus ou moins allégoriques, selon les préoccupations des artistes.



La légende d'Orphée, John Duncan, 1895

 

La mise à mort d'Orphée par les Bacchantes : illustration des Métamorphoses d'Ovide (horreur), Dürer (1494 - rigueur et pathétique, réalisme et imagination).

La tête d'Orphée : J.W. Waterhouse (1900), G. Moreau (1865), O. Redon (1903) : composition des tableaux souligne sérénité et immortalité.

La mort d'Eurydice : Poussin (1643- tableau de genre, paysage, 1ère mort), puis topos romantique (douleur, amour, mort) : Orphée souffrant, G. Moreau (1890-pleurs), Corot (1860).

Orphée ramenant Eurydice des enfers, Jean-Baptiste Camille Corot, 1861,
Musée des beaux-arts de Houston.

« Le tableau le plus émouvant de Corot est sans doute Orphée ramenant Eurydice des Enfers. Alors que les représentations picturales du mythe privilégient plutôt ses épisodes dramatiques, et notamment celui où Orphée, trop impatient de revoir la figure aimée, se retourne avant l'heure et perd définitivement Eurydice, Corot choisit de représenter ce bref laps de temps où, sur le chemin qui les amène au monde des vivants, Eurydice et Orphée se dirigent vers la sortie, l'un devançant l'autre. Cet intervalle où, pour quelques minutes, les amants sont réunis peut à juste titre être qualifié d'utopique, puisque c'est celui où Eurydice a été arrachée à la mort et où Orphée est certain d'avoir retrouvé le bien suprême de sa vie. C'est ce moment de bonheur inlocalisable que saisit Corot, ajoutant ici, tel un poète antique, sa touche personnelle au récit mythologique. Il choisit non pas de montrer Orphée précédant Eurydice à une distance plus ou moins grande, conformément à la tradition poétique, mais marchant devant elle en la tenant par la main, tandis que, de l'autre, il élève sa lyre à la hauteur de ses yeux, tant pour chasser les obstacles et les maléfices que pour signifier la victoire de la poésie sur les forces de la mort. Là, sur la toile, les amants ne sont pas séparés, le contact a eu lieu, il s'est produit par le toucher, par la douce pression de la paume et des doigts, et tout laisse imaginer que l'épreuve connaîtra une conclusion heureuse, […] et il reviendra triomphant et heureux des Enfers. Avec ce tableau, Corot a su renverser le sens du mythe le plus désespérant de l'Antiquité grecque, passant de la dystopie de la séparation inéluctable à la possibilité réelle du retour de l'être aimé et de la victoire sur la mort. » (Joël Gayraud, La Paupière auriculaire, éditions Corti, 2017).

Orphée poète : prétexte à des représentations allégoriques :

- allégorie de la civilisation : Delacroix sur plafond du palais Bourbon (1850- parchemin à la place de lyre, sous patronage d'Athéna et de Déméter), figure messianique et lumineuse, par opposition à Attila et les hordes barbares foulant aux pieds l'Italie et les arts.

- allégorie de la poésie ou de la musique : Orphée aux Enfers ou la Musique, Restout, 1763, Orphée charmant les animaux, François Boucher, 1740, Stella illustre l'ouvrage La Lyre par Orphée :

Jacques Stella, Orphée, frontispice pour La Lyre de Tristan, gravé par Pierre Daret, 1641.
Paris, Bibliothèque Nationale de France, Cabinet des Estampes

- dimension onirique ou philosophique : Orphée chimérique de G. Severini (1927), le Chant d'Orphée ou le jardin des lumières au pays du miroir des apparences de L. Archambault (1995 - retour aux origines de l'humanité, essence d' l'homme à travers miroir des apparences).
Orphée, avec sa lyre (immense !) parmi d'autres figures : l'Apothéose d'Homère, Ingres, plafond salle Clarac du Louvre, 1827, qui propose une synthèse des artistes de différentes époques.



Apothéose d'Homère, Ingres, 1827, plafond salle Clarac du Louvre.


CCl : « Choisir Orphée comme sujet relève soit de la confession, parfois aussi d'un défi peut-être inconscient, celui de l'artiste aux prises avec le mythe de la création artistique » (C. Camboulives, Les métamorphoses d'Orphée) : la transposition du musical ou du dramatique en vision statique est un double défi.
Rôle du regard : dans la légende il est révélation et provoque mort d'Eurydice puis d'Orphée (voir La catabase d'Orphée), pour le spectateur qui regarde le tableau il est aussi révélation, de l'immortalité de l'artiste, et de la légende.

 

3. REPRÉSENTATIONS CINÉMATOGRAPHIQUES

Le cinéma arrivant après une longue tradition picturale, dans un contexte artistique spécifique, et dans une époque où le rapport à la mort est autre, la conception des rapports entre hommes et femmes en évolution, les cinéastes qui se sont emparés du sujet sont condamnés à l'originalité.


3. 1. Orphée, Jean Cocteau (1950)

Identification du poète Cocteau avec Orphée, comme poète, dès 1926 avec une pièce, La Tête d'Orphée. Trois films reprennent le mythe, Le Sang d'un poète (1930), Orphée (1950) et Le Testament d'Orphée (1960). On s'intéressera au deuxième ici.

La dimension amoureuse ne l'intéresse pas autant que la fascination pour la Mort, incarnée par la Princesse (Maria Casarès). L'immortalité que seule la mort peut conférer est le sujet principal des films de Cocteau – mystère de l'artiste que la pauvre Eurydice ne peut percevoir ni comprendre, elle n'est même plus source d'inspiration pour le poète, personnage tout à fait secondaire…

Synthèse de toutes les obsessions de Cocteau, c'est la reprise la plus riche, la plus mystérieuse, sorte d'aboutissement.  Les techniques modernes du cinéma, les trucages sont mis au service des questions multiples que se pose Cocteau, dans la lignée des surréalistes et autres avant-garde artistiques et culturelles :

On notera que la dimension musicale est totalement absente ici, seule la poésie compte. 

http://mediation.centrepompidou.fr/education/ressources/ENS-cocteau/ENS-cocteau.html#orphee


Exposition Jean Cocteau, « Sur le fil du siècle », Centre Pompidou, 2004




L'autodérision n'est cependant pas absente de l'œuvre de Cocteau, comme en témoigne le dessin Orphée épinglé.

 

             


3. 2. Orfeu negro, Marcel Camus (version originale en portugais, 1959)

 

 

C'est  l'adaptation d'une pièce de théâtre de Vinícius de Moraes, Orfeu da Conceição (colline de Rio où s'installa une des premières favelas) présentée pour la première fois en 1956. Révélateur de l'état d'esprit du moment, le film mêle le point de vue artistique et la visée anthropologique – lointain écho des travaux de l'ethnologue Claude Lévi-Strauss dans ledit pays où il enseigne de 1935 à 1938 (Tristes Tropiques est publié en 1955) – en choisissant le carnaval de Rio comme cadre, référence aux Bacchanales antiques. Les chants traditionnels afro-brésiliens qui accompagnent la descente aux enfers d'Orfeu sont enregistrés in situ dans un lieu de culte de la macumba (cultes afro-brésiliens qui mêlent magie blanche et magie noire) : sur les onze heures de musique enregistrées Marcel Camus et Antônio Carlos Jobim opèrent une sélection et en font des arrangements.

Orphée et Eurydice sont deux habitants des favelas, où certaines scènes ont été tournées (Morro da Babilonia entre Copacabana et Urca), jeunes représentants idéalisés de ces classes populaires descendant des esclaves noirs ; la musique et le carnaval, qui parle de mort comme tous les carnavals, relient l'intrigue au mythe tout en le transformant. L'amour y a sa place, et la poésie y est éternelle, puisque, après la mort d'Eurydice et d'Orphée, la chanson d'Orphée est reprise, symbole évident de l'espoir et de la continuité de la parole poétique : « Les dernières images sont de toute beauté avec cet enfant, nouvel Orphée, qui joue de la, guitare pour faire lever le soleil, et cette petite Eurydice de sept ans qui s'approche » (Jean de Baroncelli,  Le Monde, 14 mai 1959).

 

Reprise : le 17 février 2016 


"Une célébration enchantée des corps et de la danse, à travers la réécriture d'un des plus beaux mythes.
L'argument : Orphée vit à Rio. Il est conducteur de tramway et fiancé à Mira. Pendant le carnaval, il tombe éperdument amoureux d'Eurydice, traquée par des tueurs. La jeune femme meurt électrocutée. Orphée ramène son corps à la favela avant d'être lui-même tué par Mira.
Notre avis : Récompensé en son temps, adoré par un large public, même si le Brésil y voyait un regard étranger et superficiel, Orfeu Negro est à la fois la seule réussite reconnue d'un cinéaste à la carrière erratique et un mélange étonnant de diverses influences avouées ou pas. On le sait, Camus refusait l'idée d'une transposition du mythe d'Orphée (son film s'appuie sur une pièce de théâtre écrite par Vinicius de Moraes) mais il en conserve nombre d'éléments : non seulement l'argument, mais aussi des indices épars (le chien s'appelle Cerbère, par exemple). Réactualiser des mythes, d'autres et de très glorieux s'y sont essayé, de Giraudoux à Cocteau, sans oublier la version très controversée de Jacques Demy, Parking. L'originalité de Camus est de transposer l'amour tragique au pays de la danse et du carnaval, dans une ambiance de fête continuelle, ce qui permit de faire découvrir le Brésil et sa musique, et en particulier la bossa nova."
(François Bonini, aVoir-aLire.com)

Carlos Diegues, cinéaste brésilien du Cinema Novo des années 60, remixe en 1999 Orfeu Negro, en repartant du texte d'origine.



3. 3. Parking, Jacques Demy, musique de Michel Legrand (1985)

Le film est conçu, dès 1970, par Demy comme hommage au filme de Cocteau, avec Jean Marais dans le rôle d'Hadès cette fois-ci, et un hommage à diverses stars de la musique, Jim Morrison ou John Lennon, le rôle principal ayant été proposé à Johnny Hallyday avant d'être donné à Francis Huster.

Le scénario dépeint l'Orphée contemporain comme bisexuel, et partagé entre Eurydice et son ingénieur du son Calaïs. Eurydice est interprétée par une actrice japonaise, Keiko Itô, Jacques Demy concevant son couple avec Orphée comme un hommage à John Lennon et Yoko Ono.

L'accent est mis sur la dimension amoureuse, complexe donc, la question de la création artistique devient secondaire, même si Orphée, aux enfers (un parking souterrain) à la suite d'un accident de scène, doit opter entre l'amour et le succès – choisissant ce dernier, avant de se jeter contre le mur du parking quand il apprend la mort par overdose d'Eurydice.


Affiche tchèque

 

 

Orphée entre Claude Perséphone et Hadès

 

« Jacques Demy assura avec professionnalisme le service après-vente de son film, notamment face à Henri Chapier dubitatif (leur entretien télévisé disponible sur le site de l'INA). Mais dès la fin de ses obligations contractuelles, il s'empressa de rejeter Parking, qu'il considérait comme « une catastrophe ». Production design cheap au possible, figurants et temps de tournage limités, acteur principal impossible à diriger - et plus proche de Francis Lalanne que de Jim Morrison…Le miracle créatif n'a pas eu lieu. Même avec toute la bonne volonté du monde, le projet partait avec beaucoup trop de plomb dans l'aile. »
(Drexl, Nanarland.com – avec plusieurs images et liens).

« Jacques Demy rend hommage à Cocteau en proposant une nouvelle adaptation moderne du mythe d'Orphée. C'est chansonnant, coloré (dont une vision de l'enfer intéressante et novatrice formellement), fantaisiste : c'est du Demy, il n'y a pas de doutes. Alors ça ne peut être sensiblement mauvais, même si ça n'égal pas l'inventivité de Cocteau. »
(Jim Ariz, senscritique.com, 2014).

 

4. REPRISES LITTÉRAIRES

 

La liste des principales œuvres qui parlent d'Orphée se trouve facilement (voir le lien tout au début). C'est la poésie qui, évidemment, réutilise la figure emblématique du poète, le recueil le plus célèbre étant les Sonnets à Orphée du poète allemand Rilke.

Nous retiendrons quelques textes moins connus et qui ne relèvent pas de la poésie. Nous les présentons par ordre chronologique.


4. 1. Eurydice, de Jean Anouilh (1941) : Orphée ou le mythe impossible

Avec la création de cette pièce en 4 actes (fin 1941), Anouilh ne garda presque rien de l'ancienne légende, qu'il modernisa. Le pouvoir d'Orphée sur les êtres et les choses y disparaissait, comme son lien à l'invisible et la force de son Art. L'œuvre d'ailleurs porte une épigraphe révélatrice, empruntée à l'Ange Heurtebise de Jean Cocteau :

Qu'il est laid le bonheur qu'on veut,
Qu'il est beau le malheur qu'on a.

Acte I. La rencontre 
Orphée, jeune violoniste qui joue aux terrasses des cafés avec son médiocre père, rencontre au buffet d'une gare une petite comédienne, Eurydice, engagée dans une troupe de second ordre. Ils se « reconnaissent » et redécouvrent, émerveillés, le monde. À l'écart, un personnage muet semble s'intéresser à eux.

Acte II. L'amour d'un jour
Dans une pauvre chambre d'hôtel, ils envisagent leur avenir, difficile mais illuminé par leur amour. Eurydice reçoit alors une lettre, et s'absente soudain sous un prétexte. Peu après on apprend qu'elle est morte au cours d'un accident dans le car de Toulon.

Acte III. La descente aux enfers
Dans l'obscurité de la nuit, le personnage muet du début, Monsieur Henri, aux étonnants pouvoirs, reconduit Eurydice vivante auprès d'Orphée. Mais elle ne lui sera rendue que s'il ne la regarde pas jusqu'au jour. Mais Orphée veut savoir qui est vraiment cette femme fugitive, il l'interroge sur ses secrets, perd patience et… la regarde. Elle avoue alors sa vie impure.

Acte IV. Les amants réunis
Orphée n'a plus aucun goût à la vie, à ses plaisirs matériels, quotidiens. Il demande alors à Monsieur Henri comment rejoindre Eurydice. Ainsi sera-t-il uni à elle dans la mort.

Le sens de la pièce :

Anouilh ne demanda au mythe que le prestige de la mort. Sinon, en démocratisant ses héros, semblables à n'importe qui, il affirme que vivre est laid. Même le destin, incarné par Monsieur Henri, porte un nom banal s'il en fut. Les dieux permettent à un couple privilégié un recommencement, un retour absolu au point de départ, pour bien montrer que les jeux sont faits : par la faute des hommes. Monsieur Henri résume ainsi à Orphée la marche du monde : « Mon cher, il y a deux races d'êtres… des gens pour tous les jours […] et les héros. »

Eurydice, Alain Cuny et Monelle Valentin
Photo Lipnitski, Collections A.R.T.

Les premiers sont laids, vulgaires et souvent vieux. Les autres sont jeunes et purs, et la rencontre d'un semblable les force à se « déclarer », se révolter pour être libres. Mais leur quête échoue la plupart du temps. L'histoire d'Antigone, mise en scène deux ans plus tard, délivrera la même philosophie amère. Dans les deux cas, les héros provoquent le destin pour échapper à une existence sans prix : Orphée regarde Eurydice, tout comme celle-ci a fui leur mirage de bonheur. De même Antigone bravera les ordres du roi pour mériter la mort.


 

Deux extraits de l'acte III 

Eurydice a été ramenée à Orphée…

–> Le refus d'Orphée (scène 2)

Eurydice – Je venais de t'écrire cette lettre où je te disais que je t'aimais, que j'avais mal mais qu'il fallait que je parte… Elle s'arrête, découragée. Ah ! ce n'est pas pareil quand on raconte. C'est difficile. Tu vois, tout est trop difficile…
Orphée – Qu'est-ce que tu allais faire dans le car de Toulon ?
Eurydice – Je me sauvais.
Orphée – Dis-moi la vérité maintenant, même si elle est terrible, même si elle doit me faire mal (…). Non, je ne veux plus de mots ! Assez. Nous sommes poissés de mots depuis hier. Maintenant, il faut que je te regarde.
Eurydice le tient embrassé ; la tête dans son dos, elle supplie – Oh ! s'il te plaît, mon chéri, ne te retourne pas, ne me regarde pas… À quoi bon ? Laisse-moi vivre… Tu es terrible, tu sais, terrible comme les anges. (…) Ne me regarde pas. Laisse-moi vivre… (…)
Orphée crie – Vivre, vivre ! Comme ta mère et son amant, peut-être, avec des attendrissements, des sourires, des indulgences et puis des bons repas, après lesquels on fait l'amour et tout s'arrange. Ah ! non. Je t'aime trop pour vivre !
Il s'est retourné, il la regarde.

–> La fuite d'Eurydice (scène 5)

(On a retrouvé une lettre sur la jeune femme morte. Elle y explique sa fuite vers Toulon. Un jeune adjoint au commissaire la lit à haute voix, devant Orphée)
Le secrétaire - « Je m'en vais, mon chéri. Depuis hier déjà j'avais peur et en dormant, tu l'as entendu, je disais déjà "c'est difficile". Tu me voyais si belle, mon chéri. Je veux dire belle moralement, car je sais bien que physiquement tu ne m'as jamais trouvée très, très belle. Tu me voyais si pure, si forte, tout à fait ta petite sœur… Je n'y serais jamais arrivée. (…) C'est pour cela que je m'en vais, mon chéri, toute seule (…) parce que j'ai peur que tu te mettes à ne plus m'aimer (…). Je m'en vais mon capitaine, et je vous quitte précisément parce que vous m'avez appris que j'étais un bon petit soldat.


4. 2. « Orphée noir », Jean-Paul Sartre (1948) 

 


Jean-Paul Sartre

Au début de son livre, En quête d'Afrique (Editions Présence Africaine, 2001), Manthia Diawara, professeur de littérature à l'Université de Columbia (New York), raconte les réactions d'un groupe de ses étudiants à l'introduction de l'Orphée noir de Sartre, dans un cours sur le panafricanisme – rapporté ici par Paul Yangé en 2003 : « Les idées de Du Bois [intellectuel afro-américain panafricaniste] sur l'unité raciale sont particulièrement intéressantes si elles sont étudiées avec d'autres théories raciales et remises en perspective temporelle et spatiale avec elles : ces autres théories sont le nationalisme, la négritude, le mouvement afrocentriste, la thèse sartrienne du racisme antiraciste comme point de départ pour combattre le colonialisme et le paternalisme. Diawara voulait savoir ce qu'il adviendrait de l'idée centrale de panafricanisme si elle était enseignée comme participant de l'histoire d'idées souvent contradictoires, et pas seulement comme une succession d'événements et de figures historiques.

Le texte de Sartre « Orphée Noir » avait été écrit comme préface à l'Anthologie de la nouvelle poésie nègre et malgache de la langue française, parue en 1948 sous la direction de Léopold Sédar Senghor. C'est l'essai le plus célèbre sur le mouvement de la négritude définissant notamment le concept pour le public occidental.

D'après Diawara « Orphée Noir » a servi de révélateur des tensions idéologiques traversant son groupe d'étudiants. Certains se sentaient galvanisés par rappel de Sartre à une lutte commune au nom de l'humanisme universel alors que d'autres pensaient que ce mouvement vers l'universel vidait de sa substance la lutte noire, c'est-à-dire que Sartre diluait la signification de la négritude.

Le dernier jour de son cours, Diawara repris le sujet de l'Orphée noir de Sartre et demanda aux étudiants s'ils pensaient que cette œuvre avait sa place dans un cours sur le panafricanisme. Le débat fut aussi animé qu'au premier jour, car la plupart des étudiants n'avaient pas changé de position, mais ils étaient devenus moins hostiles. Cependant, au milieu du débat, une étudiante avoua qu'elle avait choisi le cours en raison du nom de Diawara qui faisait africain. "Tous les autres cours sur les Noirs et l'Afrique étaient enseignés par des professeurs blancs", dit-elle. Elle ne leur faisait pas confiance et avait voulu étudier avec un véritable Africain pour voir. "Et alors", demanda Diawara avec une pointe d'agacement. L'étudiante répondit : "Oh maintenant je comprends que les Blancs ne sont pas tous identiques. Avec plus de professeurs noirs comme vous, je ne ressens plus de méfiance vis-à-vis des professeurs blancs et de leur connaissance de l'Afrique, je suis contente que vous nous ayez fait lire Sartre". »



Sartre, « Orphée noir », p. XII :

« […] déjà : pourquoi c'est nécessairement à travers une expérience poétique que le noir*, dans sa situation présente, doit d'abord prendre conscience de lui-même et, inversement, pourquoi la poésie noire de langue française est, de nos jours, la seule grande poésie révolutionnaire.
Il faudra bien, pourtant, briser les murailles de la culture-prison, il faudra bien, un jour, retourner en Afrique : ainsi sont indissolublement mêlés chez le vates** de la négritude le thème du retour au pays natal et celui de la descente aux Enfers éclatants de l'âme noire. Il s'agit d'une quête, d'un dépouillement systématique et d'une ascèse qu'accompagne un effort continu d'approfondissement. Et je nommerai « orphique » cette poésie parce que cette inlassable descente du nègre en soi-même me fait songer à Orphée allant réclamer Eurydice à Pluton. Ainsi, par un bonheur poétique exceptionnel, c'est en s'abandonnant aux transes, en se roulant par terre comme un possédé en proie à soi-même, en chantant ses colères, ses regrets ou ses détestations, en exhibant ses plaies, sa vie déchirée entre la « civilisation » et le vieux fond noir, bref en se montrant le plus lyrique, que le poète noir atteint le plus sûrement à la grande poésie collec­tive : en ne parlant que de soi il parle pour tous les nègres ; c'est quand il semble étouffé par les serpents de notre culture qu'il se montre le plus révolutionnaire, car il entreprend alors de ruiner systématiquement l'acquis européen et cette démolition en esprit symbolise la grande prise d'armes future par quoi les noirs détruiront leurs chaînes. »

* L'usage de la majuscule n'est pas encore de mise en 1948,
et le mot « nègre » est couramment employé, sans valeur péjorative (comme pour l'art nègre).
** Vates : mot latin pour « poète » et « prêtre ».

Pour une analyse éclairante de Sartre et la négritude, voir l'article de 2014, « Sartre et la Négritude : de l'existence à l'histoire » de Hubert Tardy Joubert, disponible en ligne :

https://www.cairn.info/revue-rue-descartes-2014-4-page-36.htm

 


4. 3. Orfi aux enfers, Poema a fumetti, Dino Buzzati, BD (1969)


Buzzati modernise à son tour le mythe, situé dans les années 60 à Milan, dans une bande dessinée. Ce qui l'intéresse est moins l'histoire d'amour que le contenu des chansons d'Orfi, chanteur populaire descendu aux enfers chercher Eura qu'il a aperçue y aller. Une fois arrivé il doit répondre à la demande des habitants des enfers qui s'ennuient et regrettent le temps de la vie.

« Tu te rappelles, quand tard dans la nuit, devant la porte de ta maison, alors que la lune disparaissait derrière les toits de Milan, l'ami te disait : Tout cela n'est-il pas épouvantable, la vie le travail l'argent le succès l'amour ? Tu répondais Oui oui. Et au bout du compte, la mort ? ça ne vaudrait pas mieux d'en finir une fois pour toutes? Tu répondais Oui, oui, Tu ne comprenais pas que justement cette angoisse était la beauté, la lumière, le sel de la vie.
Puis naturellement, tu laissais tomber. »

« Certes curieuse, cette entreprise rassemble pourtant les peurs qui habitent depuis toujours l'auteur du Désert des tartares. La complexité des rapports à la vie, à la mort, cette relation kafkaïenne à la modernité et à son absurdité, la dimension existentialiste sartrienne du héros… tous ces composants connus résonnent à l'unisson dans cette relecture d'Orphée. De même, le traitement symbolique, parfois fantastique, si cher à l'auteur, façonne cet illustré comme il façonnait déjà son écriture littéraire. Evidement, le mythe est transposé, enraciné même, dans l'Italie intellectuelle et esthétique des années 70. Orfi, perdu dans le dédale d'un monde qu'il ne comprend pas, se rebelle en chantant. Il fredonne l'éloge de la vie à ceux qui ne croient plus en rien, et dévale les enfers à la poursuite d'un amour évanoui. Une allégorie, du résistant ancrée dans son temps, de celui qui n'a à offrir au désenchantement de la modernité que l'alternative de la poésie, du chant et de l'amour. »

(Stéphane Beaujean, chronicart.com/bandes dessinées, 2007)

https://modernisationmytheorphee.wordpress.com/modernisation-du-mythe-2/le-mythe-selon-dino-buzzati/

 


4. 4. Vous comprendrez donc [Lei dunque capirà], Claudio Magris (traduit de l'italien par Jean et Marie-Noëlle Pastureau), (2006)

Ce texte écrit par l'écrivain journaliste sous forme de monologue narratif a été mis en scène à Trieste (Théâtre Il Rossertti) en 2012 et à Gênes en 2016.  Ce court texte reçoit le Prix Jean-Monnet de littérature européenne 2009.

Il fait suite à deux autres textes d'écrivains italiens qui mettent l'accent sur le moment de la remontée des enfers, et le choix délibéré des protagonistes de ne pas sortir ensemble.

http://journals.openedition.org/etudesromanes/4243)

Magris, lui, choisit le point de vue d'Eurydice : le texte est l'explication donnée par Eurydice au Tribunal des enfers qui lui demande pourquoi elle a refusé de sortir avec Orphée de la Maison du Repos. Ce qui explique le titre – clin d'œil sans doute au sous-titre du film de Cocteau, Le Testament d'Orphée, Ne me demandez pas pourquoi. Eurydice, par amour pour un Orphée plus fragile qu'elle, lui laisse ses illusions sur l'au-delà qui lui permettent de créer, et elle retourne dans les enfers, dans lesquels ne se trouve aucune révélation, sinon celle de leur vide, miroir – autre clin d'œil à Cocteau ? – de celui de la vie sur terre.


« Vous comprendrez donc, Monsieur le Président, pourquoi, alors que nous étions désormais tout près des portes, je l'ai appelé d'une voix forte et assurée, la voix que j'avais dans ma jeunesse, de l'autre côté, et lui -je savais qu'il ne résisterait pas – il s'est retourné, tandis que moi je me sentais aspirée en arrière, légère, de plus en plus légère, figurine en papier dans le vent, ombre qui s'allonge se retire et se confond avec les ombres du soir, et lui il me regardait, pétrifié mais solide et sûr, et moi je disparaissais à sa vue heureuse car je l'ai vu déjà revenir le cœur brisé mais fort à la vie, inconscient de tout, encore capable de sérénité, peut-être même de bonheur. »

« Mêlant le mythe à l'autobiographie, l'écrivain retrace l'histoire d'un couple. Il était poète, elle était sa muse. Il était vulnérable, elle était son refuge. Pourquoi refuse-t-elle de ressusciter ? Pour Magris, Eurydice se sacrifie par amour. Si elle renonce à retrouver le poète dans la vraie vie, c'est pour lui épargner ce constat : il n'y a rien derrière les Portes. "Nous sommes derrière le miroir, mais cet envers est lui-même un miroir, identique à l'autre".

On peut lire cette fable comme une parabole désespérante. On peut aussi la prendre au pied de la lettre. Au fond, tous ces défunts sont doués d'une fantastique énergie vitale puisqu'ils écrivent, raisonnent, décident et... veillent sur leurs anciennes amours. Au bout du compte, il est bien difficile de dire si la Mort est victorieuse ou perdante. D'ailleurs, chez Magris, même Orphée et Eurydice n'ont pas là-dessus le même point de vue ! » (Florence Noiville, Le Monde, 4 décembre 2008)


4. 5. Eurydice, Sarah Ruhl, pièce de théâtre (2001)

Retour au théâtre, mais dans un contexte et une perspective différente de celle d'Anouilh dans sa pièce Eurydice (voir plus haut, 4.1.), ne serait-ce que parce que l'auteur est une femme. Dans la veine féministe venue d'Amérique, la pièce de Sarah Ruhl met en avant le personnage d'Eurydice qui décide, là aussi, de rester dans les enfers et de ne pas suivre Orphée. Ce refus de retourner avec son époux, marque d'indépendance, s'explique par son désir de rester avec son père, nouvelle illustration du complexe d'Electre – reflet de la névrose personnelle de Sarah Ruhl. L'auteur, qui cherche à « retourner chez les Grecs plutôt que vers Freud et les Grecs », décrit la tension entre les deux rôles de la jeune femme, celui de la fille forcée à abandonner son père chéri qu'elle a retrouvé aux enfers, et celui de la jeune épousée tirée par un mari qu'elle considère immature et dont la venue aux enfers est ressentie comme un acte prédateur. La vulnérabilité des êtres et leur besoin d'amour est ce que la pièce rapporte de ce voyage aux enfers au spectateur. 

« Créée au Madison Repertory Theatre en septembre 2003, la pièce était bien plus qu'un simple acte de transfocalisation : à travers la révision du séjour d'Eurydice dans les enfers et sa rencontre avec son père, la délicate fusion du mythe et de l'élégie opérée par la dramaturge a été considérée comme l'une des explorations les plus émouvantes du deuil dans le théâtre américain contemporain. Je soutiendrai que, au-delà de l'intérêt du dramaturge pour « l'architecture mythique » en tant que structure englobante capable de contenir des histoires plus personnelles, c'est plutôt dans la catabase du mythe que Ruhl a trouvé des conditions de possibilité uniques pour brouiller les limites entre les mondes, des vivants et des morts, et ainsi ouvrir un espace pour confronter la mort, le chagrin produit par la perte et une méditation métathéâtrale sur le pouvoir transformateur du théâtre. » (Ana Fernandez-Caparros Turina, "Knocking at the door of the dead: mourning, elegy and the transformative poetics of Sarah Ruhl's Eurydice", colloque international Mythe et émotions, Madrid, 2012)

Sarah Kulh a également fait le livret pour l'opéra de Matthew Aucoin, créé en février 2020 à Los Angeles.

https://www.youtube.com/watch?v=RmEtSTRc3Sw

February 1-23, 2020, A world premiere starring Danielle de Niese
At the Dorothy Chandler Pavilion, LA Opera

 


Fermons la boucle par de la poésie, avec une oeuvre originale réalisée par deux artistes portugaises :

Une poètesse, Sophia de Mello Breyner Andresen (prix Camões en 1999), et une peintre, Graça Morais, se sont rencontrées lors d'un voyage en Grèce en 1988 : le résultat est un livre intitulé Orpheu e Eurydice, publié en 2001, avec 20 aquarelles de Graça Morais illustrant un cycle de poèmes composés par Sophia de Mello Breyner Andresen et dédiés à l'intrigue, aux figures et aux thèmes liés à cette histoire mythique. L'ouvrage est la combinaison de deux modes d'expression artistique différents, dans lequel le visuel et les composantes poétiques s'articulent intimement et s'éclairent mutuellement. De plus, le dialogue établi entre les deux domaines de l'art montre comment ce mythe affecte et nourrit la sensibilité de deux femmes contemporaines, de telle sorte que la composante émotionnelle du mythe se traduit harmonieusement par la musicalité non seulement du langage poétique, mais également dans les suggestions contenues dans les aquarelles, toutes d'abord effectuées sur du papier à musique.

Orpheu e Eurydice, aquarelle de Graça Morais

 

Elégie


Apprends
À ne pas t'attendre car tu ne te trouveras pas

À l'instant de dire oui au destin
Incertaine tu t'arrêtas soudain muette
Puis les océans lentement t'entourèrent

À cela, tu donnas le nom d'Eurydice et d'Orphée –
Incessante intense une lyre vibrait au côté
Du défilé réel de tes jours
On ne distingue jamais bien le vécu du non vécu
La rencontre de l'échec –
Qui se souvient du fin écoulement du sablier
Quand s'élève le chant
C'est pourquoi la mémoire assoiffée veut affleurer
En quête de la part que tu n'as pas donnée
Dans le rauque instant de la nuit la plus tue
Ou dans le jardin secret longeant le fleuve
En juin


(Traduit du portugais par Michel Chandeigne)


Pour prolonger, voir la très intéressante analyse toute récente (septembre 2019) d'Anny Pelouze, artiste-peintre, « Eurydice et Orphée, initiation et transgression », illustrée par ses toiles et qui fait en quelque sorte la synthèse de nos deux parties La catabase d'Orphée et Les reprises de la catabase d'Orphée :

https://www.recoursaupoeme.fr/eurydice-et-orphee-initiation-et-transgression/


© Association orléanaise Guillaume-Budé


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