LES ENFERS AUTREMENT : PARODIE, LIEU DE MÉDITATION
par Pierre-Alain CALTOT
Plan de l'intervention et liste des textes lus et commentés
INTRODUCTION : REPRISE DES MODÈLES FONDATEURS, HOMÈRE ET VIRGILE
Ecriture littéraire à Rome toujours ancrée dans la référence intertextuelle, en l'occurrence pour le topos de la descente aux Enfers, à partir d'un double modèle :
– Le modèle homérique de la nékyia (Ulysse appelle les ombres des morts qu'il fait sortir des Enfers au chant XI de l'Odyssée)
– Le modèle virgilien de la catabase (Enée descend aux Enfers au chant VI de l'Énéide, guidé par la Sibylle de Cumes) où il rencontre les âmes des morts.
I. ENTRE LUMIÈRE ET TÉNÈBRES : CONSTRUCTION DES ENFERS DANS L'ÉPOPÉE ROMAINE
Ce double modèle informe les auteurs d'épopées ultérieures, aux époques néronienne et flavienne. Lucain renouvelle le motif dans la Pharsale lorsque Sextus Pompée, fils de Pompée le Grand, demande à la sorcière Erictho de ressusciter le cadavre d'un mort pour lui annoncer l'avenir. Lucain imagine alors une scène de nécromancie, où la sorcière fait parler un cadavre dans une animation sensible de l'horreur (l'univers de la sorcellerie est présent à la fin du passage avec les expressions "nouvel enchantement" (carmen, en latin) ; "bûcher magique"…).
Il s'agit donc de solliciter la mémoire des Enfers chez un cadavre dont l'âme est descendue dans le monde des morts mais dont le corps n'a pas reçu de sépulture : ce faisant, Lucain associe le motif de la nekyia (l'âme du cadavre « remonte » des Enfers) et celui de la catabase (le cadavre décrit ce qu'il a vu dans les Enfers).
En outre, l'innovation de Lucain réside dans la révélation d'un avenir funeste, par la voix du cadavre ramené à la vie : là où Enée recevait la révélation de la naissance de Rome et d'une gloire millénaire dans l'Enéide, Sextus Pompée est confronté à la prophétie de la mort de Rome à Pharsale, où combattront César et Pompée (48 av. J.-C.).
• LUCAIN, Pharsale, VI, 803-814 et 820-830
http://agoraclass.fltr.ucl.ac.be/concordances/lucain_pharsale_06/lecture/8.htm
O iuuenis, placido manes patremque domumque |
"Ô jeune homme ! Emporte avec toi la consolation de savoir que les mânes heureux attendent Pompée et ses amis, et que, dans le lieu le plus serein des Enfers, on garde une place à ton père. Qu'il n'envie point à son rival la gloire de lui survivre. Bientôt viendra l'heure où les deux partis seront confondus chez les morts. Hâtez-vous de mourir ! Et d'un humble bûcher descendez parmi nous avec de grandes âmes, foulant aux pieds la Fortune de ces dieux de Rome. Ce qu'on agite à présent entre les deux chefs, c'est de savoir lequel périra sur le Nil ; lequel périra sur le Tibre. Pompée et César ne se disputent que le lieu de leurs funérailles. Pour toi, Sextus, ne cherche pas à t'éclairer sur ton sort, les Parques l'accompliront sans que je te l'annonce. Pompée t'apprendra ce que tu dois savoir dans les champs siciliens : il est pour toi le plus sûr des oracles. […]." |
Sic postquam fata peregit, stat uoltu maestus tacito mortemque reposcit. Carminibus magicis opus est herbisque, cadauer ut cadat, et nequeunt animam sibi reddere fata consumpto iam iure semel. tunc robore multo extruit illa rogum; uenit defunctus ad ignes. Accensa iuuenem positum strue liquit Erictho tandem passa mori, Sextoque ad castra parentis it comes; et caelo lucis ducente colorem, dum ferrent tutos intra tentoria gressus, iussa tenere diem densas nox praestitit umbras. |
Après que ce corps ranimé eut fait ce qui lui était prescrit, il se tint muet, immobile ; et la tristesse sur le visage, le fantôme redemandait la mort ; mais pour la lui rendre, il fallut un nouvel enchantement, de nouvelles herbes, car les destins ayant exercé leurs droits ne pouvaient plus rien sur sa vie. Érichtho compose un bûcher magique où ce corps vivant va se placer lui-même. Elle y met le feu, se retire et l'y laisse mourir pour ne ressusciter jamais. Elle accompagne Sextus jusqu'au camp de son père ; et comme la lumière naissante commençait à éclairer le ciel, pour donner le temps au fils de Pompée et aux siens de regagner leurs tentes, elle ordonne à la nuit de repousser le jour et de les couvrir de ses ombres. |
• STACE, Thébaïde, IV, v. 520-549
http://agoraclass.fltr.ucl.ac.be/concordances/stace_thebaideIV/lecture/5.htm
Comme Lucain, Stace imagine dans sa Thébaïde, une scène hybride : d'Homère, il retient l'appel des ombres des morts hors des Enfers par l'action conjointe de Tirésias et de sa fille Mantô ; de Virgile, il retient une véritable « visite » du monde infernal avec son personnel consacré (Pluton ; les Euménides ; Hécate), sa topographie précise (présence de forêts, les fleuves infernaux), le catalogue des châtiments éternels (Sisyphe, Ixion, Titye ou Tityos). Enfin, de Lucain, Stace retient un cérémonial magique qui se révèle notamment à la fin de la consultation, dans une atmosphère très ritualisée.
Le principe d'inspiration épique, typique de ce genre littéraire qui se nourrit de ses précédents, est sensible chez Stace : comme dans l'Enéide où la prophétie infernale était prononcée par Anchise, figure paternelle, elle est prononcée dans la Thébaïde par Laios, le père d'Œdipe et, comme dans la Pharsale de Lucain, c'est une prophétie de mort et de ruine qui s'affirme dans ce passage, témoignant également de l'héritage des tragédies, genre littéraire propice dans la tradition à présenter les aventures d'Œdipe (Sophocle, Sénèque).
Stace, dans sa Thébaïde, témoigne donc d'une capacité à remodeler un héritage littéraire riche et fécond.
Panditur Elysium chaos, et telluris opertae |
« Le chaos des enfers s'ouvre ; l'ombre immense des lieux souterrains crève; les sombres forêts et les sombres fleuves se montrent au jour ; l'Achéron vomit son sable livide; le Phlégéthon roule avec ses ondes enflammées des flots d'une noire fumée; et le Styx, qui coule entre les mânes, s'oppose au passage de ceux qui ne doivent pas revoir la lumière. Voici Pluton lui-même, pâlissant sur son trône, entouré des Euménides, ces ministres de ses funestes volontés, voici le sévère appartement de la Junon infernale, voici sa triste couche. En sentinelle se tient l'affreuse Mort, faisant à ses maîtres le dénombrement du peuple silencieux des ombres; il en reste encore plus qu'elle n'en a compté. Le juge crétois ballotte leurs noms dans l'urne terrible, leur arrache la vérité par ses menaces, et les force à dérouler toute leur vie passée, à faire enfin des aveux qui aggravent leurs châtiments. Que te dirai je ? je vois tous les monstres de l'Érèbe, les Scylles, les Centaures animés d'une rage impuissante, les Géants enlacés de chaînes de diamant, et l'ombre rapetissée d'Égéon, ce Titan aux cent bras. » |
'Immo,' ait, 'o nostrae regimen uiresque senectae, ne uulgata mihi. quis enim remeabile saxum fallentesque lacus Tityonque alimenta uolucrum et caligantem longis Ixiona gyris nesciat? ipse etiam, melior cum sanguis, opertas inspexi sedes, Hecate ducente, priusquam obruit ora deus totamque in pectora lucem detulit. Argolicas magis huc appelle precando Thebanasque animas; alias auertere gressus lacte quater sparsas maestoque excedere luco, nata, iube; tum qui uultus habitusque, quis ardor sanguinis adfusi, gens utra superbior adsit, dic agedum nostramque mone per singula noctem". Iussa facit carmenque serit, quo dissipat umbras. |
« O toi , dit-il, le guide et l'appui de ma vieillesse, ne m'en dis pas davantage. Qui pourrait ne pas connaître Sisyphe et son rocher qui toujours retombe, Tantale et son lac trompeur, Titye, pâture d'un oiseau de proie; Ixion, qu'éblouit le mouvement rapide et sans fin de la roue qui l'emporte ? Moi-même, quand mon sang coulait avec plus de chaleur, j'ai visité ces mystérieuses demeures sous la conduite d'Hécate, avant qu'un dieu, retirant la lumière de mes yeux, l'eût fait descendre tout entière dans mon coeur. Appelle ici de préférence par tes conjurations les âmes des Argiens et des Thébains : quant aux autres, par des aspersions de lait quatre fois répétées, écarte-les de nous, fais-les sortir, ô ma fille , de cette triste forêt; puis, le visage de chaque ombre, son extérieur, son avidité à boire le sang répandu, celle des deux nations qui se présente avec le plus de fierté, décris-moi tout; allons, dissipe par degrés la nuit qui m'entoure. » Elle obéit, et compose un charme pour disperser une partie des ombres. |
II. MÉDITATION SUR L'AUTRE MONDE: LES ENFERS SUR LA SCÈNE TRAGIQUE DE SÉNÈQUE
Le genre tragique est caractérisé depuis l'Antiquité par la force de la transcendance qui s'exprime particulièrement bien dans les tragédies de Sénèque : le dramaturge aime à ouvrir la scène tragique, représentant le monde des mortels, vers le monde des dieux ou vers les Enfers. Cette double ouverture aux réalités de l'au-delà est particulièrement sensible dans les prologues des tragédies, qui présentent souvent aux spectateurs une force transcendante (le prologue d'Hercule furieux s'ouvre sur le monologue de Junon ; les prologues du Thyeste et d'Agamemnon, les deux tragédies des Atrides, s'ouvrent sur la parole de fantômes infernaux : Tantale dans la première pièce et Thyeste dans la seconde).
En outre, la parole des prophètes, très présents dans les tragédies de Sénèque, sont un second procédé employé par le dramaturge, afin de confronter les spectateurs à l'univers infernal, là encore très codifié par la tradition épique. C'est notamment le cas avec Cassandre qui envisage, dans Agamemnon, le finale ensanglanté de la pièce et avec Créon qui décrit la consultation infernale proposée par Tirésias dans Œdipe.
• SÉNÈQUE, Agamemnon, 759-779
http://agoraclass.fltr.ucl.ac.be/concordances/sen_agamemnon/lecture/3.htm
Iuuat per ipsos ingredi Stygios lacus, |
(Cassandre)Traversons les fleuves de l'enfer : voyons le redoutable chien du Tartare et le royaume de l'avare Pluton. Cette barque portera aujourd'hui sur le noir Phlégéthon deux âmes royales, l'une vaincue, l'autre victorieuse. Mânes, et toi fleuve qui garantis les serments des dieux, je vous en conjure, entr'ouvrez un moment la voûte des enfers pour que les ombres des Phrygiens contemplent Mycènes. |
Spectate, miseri: fata se uertunt retro. Instant sorores squalidae, sanguinea iactant uerbera, fert laeua semustas faces turgentque pallentes genae et uestis atri funeris exesa cingit ilia strepuntque nocturni metus et ossa uasti corporis corrupta longinquo situ palude limosa iacent. Et ecce, defessus senex ad ora ludentes aquas non captat oblitus sitis, maestus futuro funere. Exultat et ponit gradus pater decoros Dardanus. |
Regardez, malheureux : la Fortune change. Les effroyables soeurs accourent en agitant leurs fouets sanglants. Leur main gauche est armée de torches à demi brûlées. Leurs joues pâles sont gonflées de rage, et un vêtement lugubre ceint leurs flancs décharnés. J'entends les fantômes nocturnes. Des os gigantesques, minés par le temps, gisent dans la fange d'un marais.
Voyez-vous le vieux Tantale, épuisé de lassitude : il ne cherche plus à saisir les eaux qui viennent se jouer autour de ses lèvres. Le meurtre qui s'apprête lui fait oublier sa soif. Dardanus mon aïeul triomphe et marche radieux. |
(Chorus) Iam peruagatus ipse se fregit furor, caditque flexo qualis ante aras genu ceruice taurus uulnus incertum gerens. Releuemus artus entheos. tandem suos uictrice lauru cinctus Agamemnon adit. |
(Le Choeur) - Ce violent transport s'est calmé de lui-même. Elle tombe comme un taureau qui plie le genou devant l'autel, frappé d'un coup mal assuré. Relevons ce corps que l'enthousiasme a brisé. Le front ceint de lauriers, Agamemnon rentre enfin dans son palais. |
• SÉNÈQUE, Œdipe, 548-589 et 620-629
http://agoraclass.fltr.ucl.ac.be/concordances/sen_oedipe/lecture/3.htm
Huc ut sacerdos intulit senior gradum, |
CREON : A peine arrivé, le vieux devin (Tirésias), trouvant dans l'obscurité du lieu la nuit dont il a besoin, commence, à l'instant même, son sacrifice. Il creuse la terre et y jette des tisons retirés d'un bûcher. II endosse un vêtement lugubre et se frappe le front. Sa robe funèbre traine jusqu'à ses pieds. Il s'avance tristement dans cet appareil sinistre. L'if des tombeaux couronne ses cheveux blancs. On traîne par derrière des brebis et des vaches noires. La flamme dévore les victimes sacrées, et leurs membres palpitent au milieu du funeste brasier. Alors il invoque les Mânes, le roi du sombre empire et le gardien du fleuve des enfers. Il murmure des paroles magiques; puis, d'une voix menaçante et terrible, il récite les chants qui apaisent ou évoquent les ombres légères. Il arrose de sang les flammes sacrées, brûle des victimes entières et remplit l'antre de carnage. Il fait des libations de lait, répand de la main gauche la liqueur de Bacchus, recommence ses chants funèbres, et, les yeux attachés à la terre, appelle les Mânes d'une voix plus forte et plus émue. |
Latrauit Hecates turba; ter ualles cauae Subito dehiscit terra et immenso sinu |
L'enfer pousse un cri formidable; le vallon gémit trois fois; le sol tremble sous nos pas.
Tout à coup la terre s'entr'ouvre et nous présente un gouffre immense. Moi-même alors j'ai vu les pâles divinités au milieu des Ombres; j'ai vu le fleuve aux eaux dormantes et la véritable nuit. Je frissonne : mon sang se glace dans mes veines. Les cruelles Furies s'élancent. Tous les frères, nés des dents du dragon de Dircé, et le monstre insatiable qui dévorait les enfants de Cadmus, se rangent en bataille devant moi. […] |
Caput atque ab omni dissidet turba procul celatque semet (instat et Stygias preces geminat sacerdos, donec in apertum efferat uultus opertos) Laius, fari horreo: stetit per artus sanguine effuso horridus, paedore foedo squalidam obtentus comam, et ore rabido fatur: 'O Cadmi effera, cruore semper laeta cognato domus, uibrate thyrsos, enthea gnatos manu lacerate potius. Maximum Thebis scelus… |
Une Ombre sort, le front voilé de honte. Elle s'écarte de la foule et cherche à se cacher. Mais le devin insiste, redouble ses conjurations infernales, et la force de se découvrir : c'est Laïus. Je n'ose achever. Il se dresse devant moi, tout sanglant et les cheveux souillés d'une affreuse poussière. Il ouvre la bouche avec colère et dit : "O famille de Cadmus, toujours cruelle, et toujours altérée de ton sang! arme-toi du thyrse, et, dans ta fureur, déchire tes propres enfants. Le plus grand crime de Thèbes…" |
III. PARODIER LES ENFERS : COMMENT RIRE DES OMBRES ?
Il convient enfin de remarquer que, loin de cette tradition épique et tragique (les deux grands genres littéraires en vers, selon la Poétique d'Aristote), les Enfers peuvent devenir un lieu de parodie et de jeu littéraires avec les codes. Nous pourrons envisager pour ce faire deux exemples, tirés de deux autres genres littéraires – la comédie et le roman – fondés sur la volonté de subvertir les codes ou de moquer les traditions littéraires des genres, considérés comme nobles. La descente aux Enfers est ainsi un passage typique qui devient le lieu d'une parodie épico-tragique.
• Lecture des Grenouilles d'Aristophane
Dans cette comédie, Aristophane imagine que Dionysos, lassé des poètes contemporains, décide de ressusciter les poètes d'autrefois, et notamment Euripide, aux Enfers. Pour ce faire, il se déguise en Heraklès et descend dans le monde infernal. Au cours de la traversée du Styx, il est forcé par Charon à ramer et entend le chant des grenouilles qui forment le chœur et donnent son titre à la comédie. Aristophane en profite pour subvertir tous les codes dans cette pièce qui est aussi une lutte entre le genre de la comédie et celui de la tragédie : le héros tragique Héraklès est ridiculisé par le pleutre Dionysos qui s'est déguisé en lui ; les attentes mythologiques sont faussées (le nocher Charon laisse le passager ramer) ; le Styx, fleuve effrayant, est peuplé de grenouilles facétieuses… La catabase de Dionysos devient ainsi une parodie comique de la topique solennelle.
• Aristophane, Les Grenouilles, v. 200-250
http://mercure.fltr.ucl.ac.be/Hodoi/concordances/aristophane_grenouilles/lecture/1.htm
(Χάρων) οὔκουν καθεδεῖ δῆτ᾽ ἐνθαδὶ γάστρων; (Διόνυσος) ἰδού. (Χάρων) οὔκουν προβαλεῖ τὼ χεῖρε κἀκτενεῖς; (Διόνυσος) ἰδού. (Χάρων) οὐ μὴ φλυαρήσεις ἔχων ἀλλ᾽ ἀντιβὰς ἐλᾷς προθύμως; (Διόνυσος) κᾆτα πῶς δυνήσομαι ἄπειρος ἀθαλάττωτος ἀσαλαμίνιος ὢν εἶτ᾽ ἐλαύνειν; (Χάρων) ῥᾷστ᾽· ἀκούσει γὰρ μέλη κάλλιστ᾽, ἐπειδὰν ἐμβάλῃς ἅπαξ, (Διόνυσος) τίνων; (Χάρων) βατράχων κύκνων θαυμαστά. (Διόνυσος) κατακέλευε δή. (Χάρων) ὦ ὀπὸπ ὦ ὀπόπ. |
CHARON. Assieds-toi donc ici, gros ventru. |
(Βάτραχοι) βρεκεκεκὲξ κοὰξ κοάξ, βρεκεκεκὲξ κοὰξ κοάξ. λιμναῖα κρηνῶν τέκνα, ξύναυλον ὕμνων βοὰν φθεγξώμεθ᾽, εὔγηρυν ἐμὰν ἀοιδάν, κοὰξ κοάξ, ἣν ἀμφὶ Νυσήιον Διὸς Διόνυσον ἐν Λίμναισιν ἰαχήσαμεν, ἡνίχ᾽ ὁ κραιπαλόκωμος τοῖς ἱεροῖσι Χύτροισι χωρεῖ κατ᾽ ἐμὸν τέμενος λαῶν ὄχλος. βρεκεκεκὲξ κοὰξ κοάξ. |
LES GRENOUILLES. Brekekekex coax coax, brekekekex coax coax ! Filles marécageuses des eaux, unissons les accents de nos hymnes aux sons de la flûte, le chant harmonieux coax coax, que nous entonnons dans le marais, en l'honneur de Dionysos de Nysa, fils de Zeus, lorsque la foule enivrée, le jour de la fête des Marmites, se porte vers notre temple. Brekekekex coax coax ! |
(Διόνυσος) ἐγὼ δέ γ᾽ ἀλγεῖν ἄρχομαι τὸν ὄρρον ὦ κοὰξ κοάξ· ὑμῖν δ᾽ ἴσως οὐδὲν μέλει. (Βάτραχοι) βρεκεκεκὲξ κοὰξ κοάξ. (Διόνυσος) ἀλλ᾽ ἐξόλοισθ᾽ αὐτῷ κοάξ· οὐδὲν γάρ ἐστ᾽ ἀλλ᾽ ἢ κοάξ. |
DIONYSOS. Moi, je commence à avoir mal aux fesses. Oh ! coax coax! Mais vous n'en avez sans doute nul souci. LES GRENOUILLES. Brekekekex coax coax ! DIONYSOS. Foin de vous avec votre coax ! Vous n'avez pas autre chose que coax ? |
(Βάτραχοι) εἰκότως γ᾽ ὦ πολλὰ πράττων. ἐμὲ γὰρ ἔστερξαν εὔλυροί τε Μοῦσαι καὶ κεροβάτας Πὰν ὁ καλαμόφθογγα παίζων· προσεπιτέρπεται δ᾽ ὁ φορμικτὰς Ἀπόλλων, ἕνεκα δόνακος, ὃν ὑπολύριον ἔνυδρον ἐν λίμναις τρέφω. βρεκεκεκὲξ κοάξ κοάξ. (Διόνυσος) ἐγὼ δὲ φλυκταίνας γ᾽ ἔχω, χὠ πρωκτὸς ἰδίει πάλαι, κᾆτ᾽ αὐτίκ᾽ ἐκκύψας ἐρεῖ – (Βάτραχοι) βρεκεκεκὲξ κοὰξ κοάξ. (Διόνυσος) ἀλλ᾽ ὦ φιλῳδὸν γένος παύσασθε. |
LES GRENOUILLES. Et c'est tout naturel, faiseur d'embarras ! car je suis aimée des Muses à la lyre mélodieuse, de Pan aux pieds de corne, qui se plaît aux sons du chalumeau. Je suis chérie du dieu de la cithare, Apollon, à cause des roseaux que je nourris dans les marais, pour être les chevalets de la lyre. Brekekekex coax coax ! DIONYSOS. Et moi, j'ai des ampoules, et depuis longtemps le derrière en sueur, et bientôt, à force de remuer, il va dire "Brekekekex coax coax !" Aussi, race musicienne, cessez. |
(Βάτραχοι) μᾶλλον μὲν οὖν φθεγξόμεσθ᾽, εἰ δή ποτ᾽ εὐ ηλίοις ἐν ἁμέραισιν ἡλάμεσθα διὰ κυπείρου καὶ φλέω, χαίροντες ᾠδῆς πολυκολύμβοισι μέλεσιν, ἢ Διὸς φεύγοντες ὄμβρον ἔνυδρον ἐν βυθῷ χορείαν αἰόλαν ἐφθεγξάμεσθα πομφολυγοπαφλάσμασιν. βρεκεκεκὲξ κοὰξ κοάξ. |
LES GRENOUILLES. Nous allons donc crier plus fort. Si jamais, par des journées ensoleillées, nous avons sauté parmi le souchet et le phléos, joyeuses des airs nombreux qu'on chante en nageant ; ou si, fuyant la pluie de Zeus, retirées au fond des eaux, nous avons mêlé nos choeurs variés au bruissement des bulles, répétons : Brekekekex coax coax ! |
• PÉTRONE, Satiricon, 28-29 / 72-73
De même que la comédie d'Aristophane parodie les topiques tragiques, de même le roman reprend les topiques épiques pour les réécrire. Ainsi en est-il du Satiricon, dans lequel Pétrone reprend un certain nombre de clichés ou topiques épiques pour les tourner en dérision. L'arrivée des héros, Encolpe, Giton et Ascylte chez l'affranchi Trimalcion est transfigurée en véritable descente aux Enfers, comme cela apparaît à travers divers indices semés par Pétrone. Parmi eux, la mention répétée d'un chien de garde ne manque pas d'évoquer la présence de Cerbère, le gardien du seuil infernal. Le motif, préparé à l'arrivée des héros (§29), paraît d'abord risible mais il est encore repris à la sortie de la salle à manger (§72-73) et devient alors effrayant. Le portier de Trimalcion annonce aux héros qu'il ne leur est pas permis de sortir hors de chez leur hôte, comme il est interdit à quiconque de sortir des Enfers…
http://agoraclass.fltr.ucl.ac.be/concordances/Petrone_satiricon/lecture/6.htm
http://agoraclass.fltr.ucl.ac.be/concordances/Petrone_satiricon/lecture/15.htm
Ceterum ego dum omnia stupeo, paene resupinatus crura mea fregi. Ad sinistram enim intrantibus non longe ab ostiarii cella canis ingens, catena uinctus, in pariete erat pictus superque quadrata littera scriptum : Caue Canem. Et collegae quidem mei riserunt. |
XXIX,1 . LE PORTIQUE DE TRIMALCION : PEINTURES A LA GLOIRE DE TRIMALCION. Quant à moi, j'admirais bouche bée, quand, sursautant de peur, je faillis me rompre les jambes. A gauche de l'entrée, non loin de la loge du portier, un énorme chien tirait sur sa chaîne. Au-dessus de lui était écrit en lettres capitales : Gare, gare au chien. Vérification faite, ce n'était qu'une peinture sur la muraille. Mes compagnons se moquaient de ma frayeur. |
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Haec ut dixit Trimalchio, flere coepit ubertim. Flebat et Fortunata, flebat et Habinnas, tota denique familia, tanquam in funus rogata, lamentatione triclinium impleuit. Immo iam coeperam etiam ego plorare, cum Trimalchio: "Ergo, inquit, cum sciamus nos morituros esse, quare non uiuamus? Sic nos felices uideam, coniciamus nos in balneum, meo periculo, non paenitebit. Sic calet tanquam furnus. – Vero, uero, inquit Habinnas, de una die duas facere, nihil malo "; nudisque consurrexit pedibus et Trimalchionem gaudentem subsequi. |
LXXII, 1-10. OU LE CHIEN FAIT BONNE GARDE. Ayant dit, Trimalcion se mit à pleurer abondamment ; Fortunata pleurait aussi, Habinnas également, et pareillement toute la valetaille, qui, comme si elle se croyait à l'enterrement, remplissait la salle à manger de ses lamentations. Je commençais à pleurer comme les autres, quand Trimalcion reprit : « Et puisque nous savons que nous devons mourir, que ne jouissons-nous de la vie ? Pour que je vous voie parfaitement heureux, allons maintenant nous jeter dans le bain. J'en ai fait l'essai et vous n'aurez pas à vous en repentir, car il est chaud comme un four. - Bravo, dit Habinnas : d'un jour en faire deux ! Il n'y a rien que je préfère. » Et, se levant pieds nus, il suivit Trimalcion enchanté. Je me tournai vers Ascylte : « Qu'en penses-tu ? lui dis-je. Quant à moi, rien que de voir le bain, j'en mourrais du coup. - Disons comme eux, répondit-il, et, tandis qu'ils se rendent au bain, échappons-nous dans la foule. Ainsi d'accord, guidés par Giton, nous traversons le vestibule et gagnons la porte. Mais le chien enchaîné nous reçut avec un tel vacarme qu'Ascylte, du coup, tomba dans un vivier. Et moi qui, à jeun, avais eu peur d'un dogue en peinture, aussi ivre maintenant que mon compagnon, en voulant le secourir, je tombe dans le même gouffre. Heureusement, le concierge vint à notre secours : d'un mot, il apaisa la bête, puis nous tira tous les deux du vivier. Déjà Giton s'était délivré du chien par un procédé des plus subtils: il lui avait jeté tout ce que, pendant le repas, nous avions gardé pour lui. Occupé à manger, il avait oublié sa fureur. Cependant, gelés, nous demandons en vain au concierge de nous laisser sortir : « Vous vous trompez, nous dit-il, si vous pensez sortir par où vous êtes entrés. Jamais aucun convive n'est revenu à la même porte : on entre par un côté, on sort par l'autre. » |
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