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COLETTE EN PUISAYE

ET DANS LE LOIRET

"J'appartiens à un pays que j'ai quitté…
N’y va pas : tu le chercherais en vain.
Tu ne verrais qu’une campagne un peu triste."
[Les Vrilles de la vigne]

Colette nattes

 

GÉNÉALOGIE DE LA FAMILLE DE COLETTE

Sophie Chatenay épouse Henri Landoy ("le Gorille"); ils ont plusiers enfants dont
Adèle Eugénie Sidonie LANDOY
(1835-1912), née à Paris
et mise en nourrice dans la ferme de La Guillemette, près de Mézilles, puis accueillie par ses frères en Belgique

épouse en 1856
 
épouse en décembre 1865

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Jules ROBINEAU-DUCLOS,
un riche propriétaire
de 400 hectares et de treize fermes,
mort d'une apoplexie le 30 janvier 1865.

 

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Joseph-Jules COLETTE
né à Toulon en 1829,
dit "Le Capitaine",*
mort à Châtillon-Coligny en 1905

ils ont deux enfants
 
ils ont deux enfants

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Emélie Juliette ROBINEAU
("ma soeur aux longs cheveux")
née en 1860;
épouse le Dr Roché en 1884
se suicide en septembre 1908.

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Edme Jules Achille ROBINEAU,
né en 1863
("l'aîné sans rivaux")
médecin à Châtillon-Coligny ;
mort à Paris en 1913.

 

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Léopold COLETTE, dit "Léo"
né le 22 octobre 1866,
("le sylphe");
clerc de notaire;
mort à Bléneau le 7 mars 1940

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Sidonie Gabrielle COLETTE
née à Saint-Sauveur
le 28 janvier 1873;
morte à Paris
le 3 août 1954.

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a eu une fille,
Yvonne

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a eu deux filles,
Geneviève et Colette


sans enfants

|
a eu une fille
de Henri de Jouvenel
Colette ("Bel-Gazou")

1857-1880 : LES DEUX MARIAGES DE SIDO

Sophie Chatenay (née en 1792, la grand-mère de "Colette"), fille d'un horloger, a été mal mariée à un quarteron coureur de jupons, Henry Landoy (né lui aussi en 1792), qui exerçait le "commerce de commisions en marchandises": c'est l'inquiétant "Gorille" évoqué dans la Maison de Claudine. Sophie en eut plusieurs enfants et mourut peu après la naissance de Adèle-Sidonie, à Paris en 1835. Henry Landoy mit la petite Sidonie en nourrice en Puisaye, puis partit en Belgique avec ses deux fils, en laissant de nombreuses dettes.

Sidonie Landoy a été élevée par la femme du charron de Mézilles (au nord de Saint-Sauveur-en-Puisaye). A 8 ans, en 1843, elle partit en Belgique; À 18 ans, son père étant mort, elle a été recueillie par son frère Eugène, un journaliste et critique d'art assez connu. ("Elle vécut son adolescence parmi des peintres, des journalistes, des virtuoses de la musique", écrira "Colette").

• En 1857, ses frères la marièrent à un homme de plus de quarante ans, Jules Robineau-Duclos, né en 1814, qu'elle avait peut-être recontré à Mézilles où elle allait parfois revoir sa nourrice. Ce Jules Robineau était un riche propriétaire (il possédait en Puisaye des prés, des forêts, treize fermes dont La Forge, et une belle maison à Saint-Sauveur); mais il était laid (surnommé "la Bête"), libertin, alcoolique, presque dément (il semble qu'on l'ait poussé à fonder une famille pour éviter sa mise sous tutelle).

Guillemette
La Forge
La ferme de La Guillemette, à Mézilles
La ferme de La Forge, au bord de l'étang de Moutiers

• Aussitôt Sidonie et Jules s'installèrent à Saint-Sauveur dans la maison de la rue de l'Hospice (dont le perron porte les initales RB), une maison comportant trois pièces au rez-de-chaussée, dont un beau salon et une bibliothèque, quatre chambres à l'étage, un cave abondamment pourvue en vins et en eau-de-vie, un grenier, des dépendances, des jardins. Mais Sidonie s'y ennuya et dut supporter une cohabitation quotidienne avec un mari alcoolique et violent, ce qui l'obligeait parfois à se réfugier chez une voisine.

perron initiales

• En août 1860, ils eurent une fille, Juliette (qui sera la "sœur aux longs cheveux" de "Colette").

• Arriva à Saint-Sauveur un nouveau percepteur, le capitaine Jules Colette. C'était un homme d'une trentaine d'années, au fort accent toulonnais, raffiné et cultivé; ancien saint-cyrien, ancien zouave, il avait perdu sa jambe gauche en 1859 lors de la campagne d'Italie. Comme mutilé, il recevait une pension annuelle de 1600 francs et avait pu obtenir une place de percepteur. Sans trop se cacher, Sidonie, qui avait logé son époux dans une chambre à l'écart, a eu une liaison avec ce Capitaine unijambiste.

• En 1863, elle eut un fils, Achille Robineau-Duclos, très certainement enfant du Capitaine : "Colette" soupçonnera toujours que ce demi-frère était en réalité son "frère entier… par la ressemblance".

• En janvier 1865, Jules Robineau-Duclos mourut, victime de son alcoolisme (les ragots diront que sa femme l'avait empoisonné!). Son testament révéla l'existence d'Antonin, un enfant qu'il avait eu en 1843 d'une servante, Marie Miton, à laquelle il léguait, entre autres choses, la somme de 10.000 francs; Sidonie, elle, héritait des terres, des bois, des fermes et de la maison de Saint-Sauveur, mais aussi des dettes de son mari, s’élevant à plus de 75.000 francs.

jardin haut
communs
Le jardin d'En-Haut vers 1950, la maison étant alors occupée par le Dr Muesser
La cour des communs

 

escalier
glycine
L'escalier vers le jardin d'En-Bas
La glycine et la grille sur la rue des Vignes

• A la fin du délai de viduité de 300 jours, le 20 décembre 1865, Sidonie, veuve de 30 ans, apparemment riche, épousa son amant Jules Colette à Saint-Sauveur (mairie) puis à Bruxelles (Eglise). Celui qu'on appellait "le Capitaine" installa le bureau de perception dans l'ancien salon de la maison. Sidonie rassembla tous les livres dans une pièce-bibliothèque à l'étage (on y trouvait Saint-Simon, Musset, Voltaire, Littré, Larousse…). Le mobilier était de grande valeur : armoire en palissandre double de tuya satiné, commode Louis XV, meuble-bibliothèque en acajou, piano Aucher, orgue Alexandre, vases de Chine… Dans la chambre du bas, on perça une porte permettant d'accéder directement à la terrasse et au jardin. En fait, toute la maison fut réaménagée pour effacer le souvenir de l'ivrogne.

• En octobre 1866 naquit Léopold Colette.

• En 1870, les Allemands arrivèrent à Saint-Sauveur (Juliette avait douze ans, Achille sept ans, Léo trois). Plus de 70 ans après, Colette interrogea sa mère sur cette occupation prussienne.

"Ton père se porta hors du village sur ses béquilles malgré la neige, avec quelques autres hommes. Il était le seul à parler un peu d'allemand, et se fit comprendre. Grâce à lui, il n'y eut pas de pillage, ni trop d'épouvante. Ils l'ont trouvé brave. […] À la nuit tombante, il y a presque toujours du brouillard sur la route des Renards, parce que la source fume. J'ai donc vu au milieu de la route un soldat avec un casque à pointe. Il tenait son fusil en travers, comme un chasseur. J'ai pu distinguer qu'il portait une grosse barbe courte. Je crois que c'était un Bavarois. À cause de l'heure et du brouillard, on ne distinguait ni la couleur de l'uniforme ni celle de la barbe. […] Je suis rentrée à la maison et j'ai enterré le bon vin. Le vin datait de mon premier mari. Du Château-Larose, du Château-Lafite, du Chambertin, du Château-Yquem... Des vins qui avaient déjà dix, douze, quinze ans. Ce beau sable sec dans la cave les a rendus encore meilleurs." Elle clignait ses yeux gris, levait le menton d'un air de gourmande et de connaisseuse. Au vrai, quoique ayant le goût fin, elle ne buvait guère que de l'eau, par méfiance du vin qui, à raison d'un demi-verre, la faisait rire et lui chauffait les joues." [Journal à rebours]

• Le 28 janvier 1873 naquit Gabrielle Colette. On l'installa dans une petite chambre au-dessus du porche d'entrée, une pièce sombre "au froid carrelage rouge", près de la chambre de sa nourrice (la famille avait alors six domestiques, dont un garde pour les bois). La fillette y restera jusqu'à l'âge de 11 ans.

• On ne connaît l'enfance de Colette (que sa mère appellait "Gabri" ou "Minet-Chéri") dans la maison de la rue de l'Hospice que par ce qu'elle en dira bien plus tard dans Sido, La Naissance du jour et d'autres oeuvres.
– Elle évoque son jardin "où les enfants ne se battaient point, où bêtes et gens s'exprimaient avec douceur, un jardin, où, trente années durant, un mari et une femme vécurent sans élever la voix l'un contre l'autre"[Sido].
– Elle fait d'elle ce portrait à douze ans : "Solide, la voix rude, deux tresses trop serrées qui sifflaient autour de moi comme des mèches de fouet; les mains roussies, griffées, marquées de cicatrices, un front carré de garçon."[Les Vrilles de la vigne - Le miroir].
Sa mère fut sans doute pour elle une initiatrice parfaite aux choses de la nature; mais elle fut aussi une mère possessive, envahissante, sûre d'avoir toujours raison, assez despotique, souhaitant toujours garder sa fille auprès d'elle.

• Gabrielle, si on l'en croit, s'échappait souvent de la maison et du jardin en escaladant clandestinement la grille donnant sur la rue des Vignes pour aller battre "les taillis et les prés gorgés d'eau", cueillir "la mûre, la merise ou la fleur", goûter l'eau des sources et explorer "la libre forêt" et tout son "domaine incontrôlable", heureuse d'être enfin hors de portée de sa mère, toujours trop inquiète pour sa fille chérie.

• Gabrielle lisait beaucoup (Labiche, Daudet, Mérimée, Taine et surtout Balzac), grâce à la riche bibliothèque du Capitaine.

Ma famille – assez libre pour lâcher, en pleine jungle balzacienne, ses enfants, eux-mêmes libres de puiser, dans les bibliothèques d'acajou, un tout-venant de romans, de voyages et de poèmes – ne perdait pas son temps à des vagues et vaines interdictions, encore moins à une surveillance sans fruit. Je ne fus pas longue à choisir. À l'âge de la Bibliothèque Rose, je chus, comme on se noie, dans Balzac, et j'y restai. […] Le ventre à plat sur le banc, dans le jardin, et un tome de l'édition Houssiaux ouvert sous mon nez, un tome écarquillé, feuillets pendants mais non perdus. [Belles saisons]

Dans mon jeune âge, je fus lâchée à travers une bibliothèque où tout se fit pâture, et où l'on n'aurait rien trouvé qui convînt à mes six ans, à mes dix, à mes quatorze ans... Livres défendus, livres trop graves, livres trop légers aussi, livres assez ennuyeux, livres éblouissants qui au hasard s'illuminent et referment, sur l'enfant enchanté, leurs portes de temple... Le désordre de la lecture lui-même est noble. Chaque livre, mal annexé d'abord, est une conquête. Sa jungle d'idées et de mots s'ouvrira, quelque jour, sur un calme paysage ami. [Paris de ma fenêtre]

• A Saint-Sauveur, Sidonie Colette n'était pas très bien vue, car trop différente, et riche en apparence. Elle voyageait: Bruxelles en 1879, Paris assez souvent (1879, 1884, 1888, 1889…). Elle se rendait également chaque trimestre à Auxerre en victoria, avec ses enfants Gabrielle et Léopold, pour s'approvisionner en denrées introuvables à Saint-Sauveur (le départ était fixé à trois heures du matin et l'on arrivait vers onze heures devant la grande épicerie d'Auxerre). Et puis elle ne cachait guère sa "mécréance": certes elle se sentait obligée d'aller à la messe, mais elle amenait son chien dans l'église (il aboyait quand il entendait la clochette de l'élévation), elle lisait le théâtre de Corneille dissimulé sous une couverture de missel et elle protestait si le sermon était trop long.

chaire

La chaire de l'église de Saint-Sauveur et le banc où s'installait Sido
avec son chien (qui aboyait à l'Élévation) et le théâtre de Corneille sous une couverture de missel.

• Toutefois elle accepta que sa fille soit baptisée (seulement plus d'un an après sa naissance), qu'elle aille au catéchisme et qu'elle fasse sa première communion.

J'aimais les vêpres chantées, la robe blanche et le bonnichon ruché, […] les Saluts du mois de Marie, en mai, quand les jours sont si longs que, par la grande porte de l'église, ouverte face au maître-autel, on voit le soleil se coucher par-delà les cierges et que l'odeur des troupeaux remontant vers le village se mêle à celle des camomilles, des premiers lys et des roses blanches autour de la vierge de plâtre. [En pays connu - Noël ancien]

• Achille, Léo et Juliette avaient été mis en pension à Auxerre. Mais Jules Colette marqua sa préférence républicaine en plaçant Gabrielle à l'école communale du bourg, dès la rentrée de 1879. Elle y retrouva les enfants des paysans poyaudins (fermiers et ouvriers) et des petits commerçants de Saint-Sauveur. Tout ce petit monde venait de loin et s'était levé tôt le matin pour franchir les quelques kilomètres qui séparaient bien souvent leur domicile de l'école. Gabrielle était une privilégiée, qui avait à peine 300 mètres à parcourir, par la rue des Gros-Bonnets et la rue du Bourg-Gelé.

• En 1880, Jules Colette – après avoir perdu dans la neige sa sacoche contenant 15.000 francs, l'argent des contribuables – prit sa retraite de percepteur, résigné à ne toucher qu'une pension plus faible. C'est qu'il avait l'imprudence de tenter une carrière politique et faisait campagne pour se faire élire lors du renouvellement partiel du Conseil général de l'Yonne (sa fille l'accompagnait parfois dans ses tournées électorales). Mais il échoua derrière le docteur Merlou, futur maire de Saint-Sauveur en 1885, futur député en 1888, futur ministre des Finances, futur diplomate. Le Capitaine vécut très mal cet échec qui lui valut l'animosité des gens de Saint-Sauveur.

Maison annotée


1880-1891 : UNE PÉRIODE DIFFICILE POUR LA FAMILLE COLETTE


• La situation financière des Colette était peu brillante. En effet, il fallait subvenir en grande partie aux besoins d'Achille, qui suivait des études médicales à Paris. Et puis Jules Colette avait dû s'endetter fortement pour financer ses campagnes électorales. De plus, de gros frais avaient été engagés pour restaurer la maison de la rue de l'Hospice et pour faire de la Forge une véritable maison de maître, alors que les fermes étaient hypothéquées et que les fermages et redevances des métayers restaient souvent impayés. Et puis Sido aimait le luxe et voulait avoir trois ou quatre domestiques. Malgré cela, si on en croit "Colette", la famille, pour se faire bien voir, organisait le premier janvier une distribution de cent livres de pain pour les pauvres, qui recevaient chacun, "sans gratitude", un chanteau de pain et un décime..

• En 1884, le moment vint de partager les biens laissés par Jules Robineau-Duclos, restés indivis depuis sa mort. Achille était majeur depuis le 27 janvier et Juliette, majeure depuis trois ans, allait se marier avec un voisin, un jeune médecin, le docteur Charles-Gustave Roché. Celui-ci défendit les intérêts de sa nouvelle épouse que les Colette avaient essayé de léser (par exemple le Capitaine, sachant que les bois de la Guillemette feraient partie du lot attribué à Juliette, les fit couper dans les semaines qui précédèrent le mariage). Juliette mariée rompit alors avec ses parents, qu'elle avait mis dans une situation financière difficile. En conséquence, les fermes qui avaient été partagées entre Sidonie et Achille ont été progressivement vendues, la Forge en 1888, la Massue, les Choslins en 1889, les Lamberts plus tard, en 1892… Seule échappa la maison de la rue de l'Hospice qui revint à l'aîné, Achille Robineau-Duclos (la maison représentait environ un quart des 100.000 francs-or qui lui revenaient).

• C'est dans cette période difficile que Gabrielle poursuivait ses études à l'école de Saint-Sauveur avec, comme institutrice, Mlle Olympe Terrain (à partir de 1887). Les difficultés rencontrées par ses parents ne l'empêchèrent pas d'être heureuse, sous la protection maternelle : "J'ai été une enfant pauvre et heureuse comme beaucoup d'enfants qui, pour toucher une vive sorte de bonheur, n'ont besoin ni d'argent ni de confort." [préface à La Maison de Claudine]. Elle fut heureuse surtout quand le mariage de sa soeur Juliette lui permit, à onze ans, d'occuper sa grande chambre du premier étage tendue de papier gris à fleurs bleues avec son lit à rosaces de fonte argentée et ses "rideaux de guipure blanche, doublés de bleu impitoyable"[La Maison de Claudine - L'enlèvement].

• L'été 1889, à l'occasion d'une visite à Paris pour l'Exposition Universelle, Sidonie, incorrigible, fit encore des emplettes onéreuses. Pourtant les difficultés financières de la famille s'aggravaient ("Colette" mit cela sur le compte de l'excessive "générosité" de son père, alors que les deux époux étaient aussi responsables l'un que l'autre d'une mauvaise gestion de leurs biens). "Ma douzième année vit arriver la mauvaise fortune; réclamée par de quotidiens et secrets héroïsmes, ma mère appartint moins à son jardin, à sa dernière enfant" [Sido]. Les voisins montraient du doigt ces Colette qui "doivent partout et ne payent nulle part". La situation devenait intenable: il fallut quitter Saint-Sauveur, d'autant plus que Gabrielle, reçue au brevet élémentaire, pouvait interrompre ses études.

• En juin 1890, on mit en vente publique, rue de l'Hospice, divers meubles et objets. Les gens du village eurent le plaisir de pénétrer dans cette maison qui leur était habituellement fermée pour voir vendre une partie du mobilier à l'encan. Pour Gabrielle, ce fut une véritable humiliation. Grâce à cette vente, nous pouvons connaître ce qui avait été l'univers familier de la jeune fille : un orgue Alexandre, une bibliothèque en acajou à deux corps (avec les oeuvres complètes de Voltaire, Goethe, Musset…), une commode Louis XV, une commode Louis XVI, une armoire à glace en palissandre sculpté, des vases de Chine, etc. Et "Colette" écrira plus tard : "Mes vingt ans venaient de perdre, entre autres égides, la tutélaire armoire du logis natal, en palissandre doublé de thuya blanc, imprégée d'ordre provincial, de brins de lavande et de roses rouges effeuillées." [Trois… Six… Neuf…].

A Châtillon-Coligny

• Le fils aîné, Achille Robineau – ancien externe des hôpitaux de Paris, reçu docteur en médecine en février 1890 – venait de s'installer, en avril 1890, à 40 km de Saint-Sauveur, à Châtillon-sur-Loing, dans une maison très modeste près du cimetière, au 9 rue de l'Égalité; il y logeait avec son frère Léo et deux domestiques. Léo, lui, avait trouvé un emploi chez un notaire, Me Berthelot. La vie de médecin de campagne était alors très dure: il fallait courir les routes en cabriolet, souvent en pleine nuit, pour aller visiter les malades. Bien que médecin, Achille deviendra peu à peu asocial et ne cessera pas de fumer, comme son "père" le Capitaine.

• Alors les Colette quittèrent définitivement Saint-Sauveur – sous le regard ironique de leurs voisins – pour aller vivre à Châtillon dans la "Petite Maison" de la rue de l'Égalité. A Châtillon, les Colette ont, semble-t-il, été bien acceptés par les notables du pays, banquier, notaire, avocat; et le Capitaine se fit des relations, en particulier avec les combattants de 1870, mettant tout en œuvre pour que fût élevé un monument à la gloire des vétérans.

• Gabrielle, elle, se désespérait de se retrouver si à l'étroit: "Quand nous rejoignîmes mon frère aîné dans le Loiret, nous emportâmes la chatte préférée et le Long-chat. Tous deux parurent souffrir beaucoup moins que moi de troquer une belle maison contre un petit logis, le vaste enclos natal contre un jardin étroit."["Le Long-chat", dans Broderie ancienne]. Pessimiste, elle ne voyait alors pas d'autre issue que de rester vieille fille et devenir institutrice.

• Sa distraction, le matin ou l'après-midi, était d'accompagner son frère dans ses tournées de médecin, en cabriolet, puis en automobile : "En guise de récompense, mon frère annonçait à la cantonnade : – J'ai une tournée du tonnerre de Dieu... Adon, Montcresson, Saint-Maurice... Je ne me le faisais pas répéter. Et lorsqu'il jetait, au moment de partir, sa trousse de chirurgie sur le siège du cabriolet, il était sûr de me trouver installée avec mon livre, mon goûter, mon vieux manteau, prête au long trajet, aux côtes montées à pied pour soulager la jument, résignée à entendre les grands "Hôôô là... hôôô là..." des femmes en gésine, attentive à tondre des poignées d'avoine verte ou de foin fin pour faire plaisir à la jument." [Noces]. Dans les fermes elle l'aidait à panser ses malades; elle visitait, chez les nourrices, les bébés fraîchement arrivés de Paris : "Nous arrivions à l'improviste et trouvions le petit patient seul dans le bâtiment de ferme, ligoté dans son berceau, la sucette au bec et les yeux noirs de mouches. Ou bien il criait sans repos, confié à une gardienne de quatre ans." [Aventures quotidiennes].

• En 1897, Achille prit la succession du docteur Montignac et s'installa au 20 rue de l'Eglise, dans une maison bourgeoise que fermaient deux "grandes portes". En 1898, il se maria avec Jeanne de La Fare, qui lui donnera deux filles, Geneviève-Isabelle (en 1899) et Colette-Claudine (en 1901), cette dernière ainsi nommée en hommage au roman que venait d'écrire sa soeur. Ses distractions seront la mécanique automobile, les meetings aériens sur l'aérodrome de Gien, la photographie et la musique.

• Léo, lui, avait renoncé à toute ambition (la pharmacie, la musique) et il se contentait, chez son notaire, d'un très modeste emploi de scribe, en accord avec le caractère rêveur d'un garçon solitaire qui ne voulait pas grandir. Et cela désolait sa mère qui savait par ailleurs que sa Juliette, même mariée, n'allait pas bien, toujours, comme autrefois, étrangère parmi les siens, maladivement jalouse de son mari, perdue dans d'interminables travaux d'aiguille, ayant des idées de suicide.

petite maison

La "Petite-Maison" de la rue de l'Égalité et son petit jardin vers 1950.
Sido veuve habitera en face, au n°10 de la même rue

Sido à Châtillon

Sido à Châtillon devant la maison de son fils Achille, rue de l'Église

9 rue de l'egalité 20 eglise
La rue de l'Egalité aujourd'hui (à gauche, le n°9)
Le 20 rue de l'Eglise aujourd'hui

 

ww

Le Capitaine et Sido jouant aux dames à Châtillon

Colette Chatillon 1
Colette Chatillon 2
Le Capitaine, Sido, Gabri, Léo (à g.), Achille (à dr.) à Châtillon
Gabri à Châtillon

1891-1910 : EPOUSE DE WILLY, COLETTE CRÉE LA SÉRIE DES "CLAUDINE" EN UTILISANT SES SOUVENIRS DE SAINT-SAUVEUR

• En 1889, au cours de deux voyages à Paris, le Capitaine avait revu l'un de ses anciens camarades, Jean-Albert Gauthier-Villars, qui dirigeait une maison d'édition. Et son fils aîné, Henry Gauthier-Villars, surnommé "Willy", avait remarqué cette belle fille aux longues tresses blondes qui accompagnait son père. Ce Willy, déjà connu comme critique musical, était depuis 1886 l'amant de Germaine Servat, la femme séparée du dessinateur Émile Courtet, dit Emile Cohl. Comme il avait eu un enfant avec elle (Jacques, né en septembre 1889) et que la mère était morte (1891), il vint à Châtillon pour mettre en nourrice ce bébé de 28 mois "sous la protection d'Achille". A cette occasion, il revit la jeune Colette et fut tenté par ce jeune tendron qui jouait à l'ingénue libertine et qui, dans un fiacre, un peu éméchée, s'était jetée dans ses bras. D'ailleurs Sido avait vu aussitôt en lui un mari possible pour sa fille, bien qu'elle fût sans dot; et Gabrielle vit là l'occasion d'échapper à l'impression d'enfermement qu'elle ressentait à Châtillon. D'autant d'une partie de la famille Robineau, privée des biens qu'elle convoitait, continuait à harceler les Colette.

• En 1892, Gabrielle retrouva donc Willy à Paris et fut présentée à la famille Gauthier-Villars, qui aurait certes préféré marier leur fils avec une bonne héritière. Le Gil Blas du 4 mai 1893 publia un entrefilet anonyme : "On jase beaucoup, à Châtillon, du flirt intense dont un de nos plus spirituels clubmen parisiens poursuit une exquise blonde, célèbre dans toute la contrée par sa merveilleuse chevelure. On ne dit pas que le mot mariage ait été prononcé. Aussi nous engageons fort la jolie propriétaire de deux invraisemblables nattes dorées à n'accorder ses baisers, selon le conseil de Méphistophèlés, que la bague au doigt." Willy, pour cela, se battit en duel avec le directeur du Gil Blas et le blessa. Les bans ont été publiés les 23 et 30 avril (Willy avait 33 ans, Gabrielle 19).

• Le 15 mai 1893, ils se marièrent à Châtillon-sur-Loing , en toute discrétion, avec une simple bénédiction nuptiale à l'église.

Ma traîne blanche rejetée sur un bras, je descendis, seule, dans le jardin. La fatigue d'une journée commencée tôt, après une nuit sacrifiée à la songerie éveillée, descendait enfin sur moi? Ç'avait été un petit mariage bien modeste que le mien. […] Point de messe, une simple bénédiction l'après-midi à quatre heures. À cinq heures, Sido se reposait un moment, raidie dans sa robe de faille à pampilles de jais. Elle était rouge de teint, comme chaque fois qu'elle se sentait malheureuse et qu'elle essayait de le cacher. Mon père, dans son fauteuil, lisait la Revue Bleue. […] Vit-on noce plus paisible ? Pourtant l'étrange ne lui manquait pas. Premièrement tout photographe, fût-il amateur, s'en était vu bannir. La mariée échappait au satin duchesse, au diadème en fleurs de cire. Une mousseline tissée de petits bouquets, froncée en rond à l'encolure, froncée en rond autour de la taille, un large ruban noué sur le front – "à ma Vigée-Lebrun" disait ma mère – ma longue tresse perdue dans les plis de ma longue jupe, je ne vois rien de plus à dire de moi, sinon que j'étais bien gentille, et pâlotte. […]
Mal équilibée sur mes souliers de confection en satin blanc, je m'assis bientôt sur une marche. De la maison m'arrivaient les voix de mon mari et de mon frère aîné. Ils avaient déposé qui sa jaquette, qui sa redingote. Au mépris de ce jour sacré, ils travaillaient, en manches et corps de chemise, à regiger des fables-express. […]
J'enroulai ma traîne, qui m'excédait, autour de mes bras blancs, et j'attendis patiemment. Une enfance, une adolescence adaptées à la vie de mes deux aînés m'avaient accoutumée à tenir peu de place, mener peu de bruit, et rompue à des divertissements garçonniers, au nombre desquels je comprends les jeux de l'esprit tels que pastiches irrévérencieux, rébus, calembours et acrostiches satiriques .
Dans le village où mon frère aîné exerçait la médecine, je m'en tenais à la compagnie des miens, mais j'avais voué une tendre admiration au prestigieux journaliste très parisien que l'on sait, fils d'un camarade de promotion de mon père et mon aîné de quinze ans. L'ami admiré, devenu mon fiancé, était mon mari depuis une heure trente environ...
Je me levai, mordis une feuille de menthe, me rassis au bord d'un châssis vitré qui couvait des semis, en relevant ma robe sur mon jupon de dessous légèrement empesé, orné d'une petite dentelle. La chatte tricolore sortit de la bâche où elle s'étuvait, et !a vigoureuse senteur des plants de tomates, que sa sieste avait meurtrls, émergea en même temps qu'elle.
L'enivrement d'une fille amoureuse n'est ni si constant, ni si aveugle qu'elle cherche à le croire. Mais son orgueil la tient muette et courageuse, même dans les moments où elle pousserait le grand cri, opportun et sincère, le grand cri de réveil et de peur. Ce cri-là ne m'était pas monté aux lèvres, car deux longues années de fiançailles avaient fixé mon sort sans rien changer à ma vie. Devenu mon fiancé, l'ami de ma famille nous venait voir assez rarement, apportait des livres, des illustrés, des bonbons, et repartait... Le grand événement de nos fiançailles, pour moi, ç'avait été notre correspondance, les lettres que je recevais et écrivais librement.
Quand il nous quittait, je le conduisais à la gare, jusqu'au mauvais train omnibus. Après quoi je refaisais le kilomètre de route avec le chien Patasson. Je feignais de ne pas entendre les commentaires désobligeants de mes frères, – quels frères ne maudirent un peu, ne moquèrent le fiancé qui leur prend une sœur ? – Les miens, pour user ma patience, parlaient de lui sans le nommer autrement que "Il".
– Tu a remarqué ? disait Achille à Léo, comme il a grandi depuis la dernière fois ?
– Grandi ? Tu es sûr?
– Comment, si je suis sûr? Son crâne dépasse ses cheveux!
– Allez-vous vous taire? disait Sido. Vous tenez absolument à faire de la peine à la petite?
– C'est très bon pour elle, répliquait l'aîné. Elle en verra d'autres quand elle sera mariée. Ça la dresse.
Il disait vrai. Je me mordais le dedans de la joue et j'affectais le dédain. […]
Le lendemain, mille lieues, des abîmes, des découvertes, des métamorphoses sans remède me séparaient de la veille. […] Le lendemain, je partais pour Paris, dans un vieux wagon qui roulait avec un fracas de diligence en compagnie de trois hommes qui ne m'étaient guère connus, mais dont l'un venait de m'épouser. [Noces]

• Le couple s’installa à Paris, quai des Grands-Augustins, dans la garçonnière d'Henry, au-dessus de la maison d'édition familiale, puis mena une vie mondaine, la jeune femme étant vite adoptée par les amis de son mari, un peu surpris toutefois par son accent rocailleux de Bourguignonne. Mais Willy n'était pas riche, n'était pas fidèle et Gabrielle n'était pas heureuse.

D'après des détails précis qui percent un mauvais nuage de souvenirs, il m'apparaît que nous vivions très modestement, M. Willy et moi. C'est possible. C'est probable. Je me souviens que "Sido", ma mère, venue pour quelques jours à Paris – elle descendait à l'hôtel du Palais-Royal – surprit que je n'avais pas de manteau en plein hiver 1894, ou 1895. Elle ne dit mot, mais posa sur son gendre son grand regard sauvage, et m'emmena aux magasins du Louvre acheter un manteau noir, de cent vingt-cinq francs, bordé de mongolie, que je trouvai luxueux. Un certain genre de privations n'a point point d'action profonde sur les êtres jeunes. Le bizarre non plus ne les atteint guère. Brusquement je me rappelle, amoncelé sur le bureau peint en noir et drapé de grenat, un tas d'or... Rien que des louis, qu'y venait de verser en retournant ses poches, M. Willy...
– Prenez-en, me dit-il, autant que vos mains fermées peuvent en tenir... Vous compterez après.
Je comptai: huit cent vingt francs. L'or monnayé est un beau métal, qui tiédit facilement et sonne clair...
– Maintenant, dit M. Willy, je pense que vous ne me demanderez pas d'argent pour la maison avant deux mois?
Je trouvais naturel de vivre les poches vides, tout comme avant mon mariage. Je ne pensais pas non plus que j'eusse pu vivre mieux. Après le matinal chocolat lilas, je réintégrais mes noirs lambris, et je ne me rendais pas compte que j'y étiolais une vigoureuse fille élevée parmi l'abondance que la campagne consentait aux pauvres, le lait à vingt centimes le litre, les fruits et les légumes, le beurre à quatorze sous la livre, les œufs à vingt-six sous le quarteron, la noix et la châ taigne... A Paris, je n'avais pas faim. Je me terrais, surtout pour ne pas connaître Paris, et j'avais déjà, après dix mois de mariage, d'excellentes raisons pour le redouter. Un livre, cent livres, le plafond bas, la chambre close, des sucreries en place de viande, une lampe à pétrole au lieu de soleil – je n'oublie pas le vivace et stupide espoir qui me soutenait: ce grand mal, la vie citadine, ne pouvait durer, il serait guéri miraculeusement par ma mort et ma résurrection, par un choc qui me rendrait à la maison natale, au jardin, et abolirait tout ce que le mariage m'avait appris...
Comprendra-t-on que le fait d'échanger mon sort de villageoise contre la vie que je menai à dater de 1894 est une aventure telle qu'elle suffit à désespérer une enfant de vingt ans, si elle ne l'enivre pas? La jeunesse et l'ignorance aidant, j'avais bien commencépar la griserie, une coupable griserie, un affreux et impur élan d'adolescente. Elles sont nombreuses les filles à peine nubiles qui rêvent d'être le spectacle, le jouet, le chef-d'oeuvre libertin d'un homme mûr. C'est une laide envie qui va de pair avec les névroses de la puberté, l'habitude de grignoter la craie et le charbon, de boire l'eau dentifrice, de lire des livres sales et de s'enfoncer des épingles dans la paume des mains. […]
J'ai fait de mon mieux pour que ma mère me crût heureuse, pendant treize ans. Mon rôle était difficile, surtout au commencement. Quand je lui rendais visite, à Châtillon-Coligny, j'avais à redouter un rude moment. Mes premières heures de séjour provincial, en dépit de la maison si petite et si modeste – si différente de la large maison natale de Saint-Sauveur – me rendaient le goût de rire, de questionner, de suivre mon frère aîné, le médecin, dans la De Dion catarrheuse et de l'attendre aux portes des fermes." [Mes apprentissages].

• Bientôt Gabrielle tomba malade et sa mère vint à Paris pour la soigner :

Elle vint, portant un mince bagage de robes en satinette et de camisoles blanches pour la nuit; elle vint lorsque le docteur Jullien lui écrivit qu'il ne me sauverait probablement pas. Elle cacha tout, me soigna avec une passion gaie, coucha dans la noire salle à manger. Je la trouvais seulement un peu rouge, et haletante. Sans doute elle peinait à toute heure, me halait loin d'un seuil qu'elle ne voulait pas me voir franchir. Aussi guéris-je. Alors "Sido" se replia en hâte vers celui qui languissait, vers mon père, non dans que m'ait frappée la singulière distance qu'elle marqua constamment à celui qu'elle nommait toujours – ne fais-je pas bien en l'imitant? – Monsieur Willy. [Mes apprentissages]

• Dans l'été 1895, Willy voulut connaître l'école dont sa jeune épouse lui parlait souvent. Ils allèrent donc à Sauveur pour la distribution des prix. Comme Willy avait mis sur pied une équipe chargée d'écrire des romans "légers", il invita son épouse à rédiger de son séjour à l'école une version romancée et, autant que possible, quelque peu pimentée d'épisodes saphiques.

"Un an, dix-huit mois après notre mariage, M. Willy me dit :
– Vous devrier jeter sur le papier des souvenirs de l'école primaire. N'ayez pas peur des détails piquants, je pourrais peut-être en tirer quelque chose... Les fonds sont bas. […]
Ayant retrouvé chez un papetier et racheté des cahiers semblables à mes cahiers d'école, leurs feuillets vergés, rayés de gris, la barre marginale rouge, leur dos de toile noire, leur couverture à médaillon et titre orné "Le Calligraphe" me remirent aux doigts une sorte de prurit du pensum, la passivité d'accomplir un travail commandé. Un certain filigrane, au travers du papier vergé, me rajeunissair de six ans. Sur un bout de bureau, la fenêtre derrière moi, l'épaule de biais et les genoux tors, j'écrivis avec application et indifférence... Quand j'eus fini, je remis à mon mari un texte serré qui respectait les marges. Il le parcourut et dit:
– Je m'étais trompé, ça ne peut servir à rien. […]
Si je ne fais erreur, c'est au retour d'une villégiature franc-comtoise […] que M. Willy décida de ranger le contenu de son bureau. L'affreux comptoir peint en faux ébène, nappé de drap grenat, montra ses tiroirs de bois blanc, vomit des paperasses comprimées, et l'on revit, oubliés, les cahiers que j'avais noircis: Claudine à l'école...
– Tiens, dit M. Willy. Je croyais que je les avais mis au panier. Il ouvrit un cahier, le feuilleta :
– C'est gentil...
Il ouvrit un second cahier, ne dit plus rien – un troisième, un quatrième...
– Nom de Dieu! grommela-t-il, je ne suis qu'un con! Il rafla en désordre les cahiers, sauta sur son chapeau à bords plats, courut chez un éditeur... Et voilà comment je suis devenue écrivain.
Je ne connus, d'abord, que l'ennui de me remettre à la besogne sur des suggestions pressantes et précises:
– Vous ne pourriez pas, me dit M. Willy, échauffer un peu ce... ces enfantillages? Par exemple, entre Claudine et l'une de ses camarades, une amitié trop tendre... (il employa une autre manière, brève, de se faire comprendre). Et puis du patois, beaucoup de mots patois... De la gaminerie... Vous voyez ce que je veux dire ?" (Mes apprentissages)

Il publia, en 1900, sous son seul nom de Willy, Claudine à l'école (Gabrielle est devenue "Claudine" et Saint-Sauveur-en-Puisaye "Montigny-en-Fresnois"). Suivront Claudine à Paris (1901), qui fut un immense succès, Claudine en ménage (1902), Claudine s'en va (1903). "Colette" avait profité de ce roman pour régler ses comptes avec son institutrice, Mlle Olympe, et avec les gens de Saint-Sauveur, qui ne lui pardonneront pas.

• Ensuite, tout en menant une carrière théâtrale (en compagnie de "Missy", la fille du duc de Morny, avec laquelle elle avait une liaison amoureuse), "Colette" publia plusieurs ouvrages, Minne (1904), Les Egarements de Minne (1905), Dialogues de bêtes (1904-1905), La Retraite sentimentale (1907), Les Vrilles de la Vigne (1908), L'Ingénue libertine (refonte des deux Minne, 1909), La Vagabonde (1910). En 1910 elle divorcera d'avec Willy (dont elle était séparée depuis 1907).

• Quand Colette commença à gagner de l'argent (trois cents francs par mois!), elle remercia Sido en lui faisant des cadeaux:

C'était mon tour de faire à "Sido" des cadeaux qu'elle choisissait elle-même: du cacao pur, en barres, de chez Hédiard, une liseuse ouatinée... des bas de laine fine, des livres... Je lui faisais présent surtout d'un mensonge: l'imitation du bonheur. Je résistais à la terrible envie de retourner à elle, de revenir tout écorchée, obscure et sans argent, peser sur la fin de sa vie. Et quand je pense à la personne que je fus pendant ces longs jours d'obstination, de fourberie filiale, allons, je ne me trouve pas si mal que ça. [Mes apprentissages].

• Colette faisant du théâtre avec son amie Polaire, Willy lui demanda de couper ses deux longues nattes :

Un jour, obéissant aux suggestions de M. Willy, je coupai mes trop longs cheveux. […] Pour ne pas mentir, je ne demandais qu'à voir tomber ma grande corde incommode de cheveux, qui se nourrissaient de moi. Le coup de ciseaux donné, je goûtai un plaisir que seul gâta une lettre de Sido. Elle flétrit mon geste en terme étrangement graves: "Tes cheveux ne t'appartenaient pas, ils étaient mon oeuvre, l'oeuvre de vingt ans de soins. Tu as disposé d'un dépôt précieux que je t'avais confié... [Mes apprentissages].


1905-1920 : LA FIN DE LA FAMILLE COLETTE

• En 1905, le "Capitaine" mourut à Châtillon, emporté par l'emphysème pulmonaire des fumeurs; pour les obsèques Sido se contraignit à prendre des vêtements de deuil; et Gabrielle, qui détestait les enterrements, arriva très en retard à la cérémonie. Désormais veuve et privée de ressources, Sidonie Colette se rendit en vain à Paris pour solliciter l'octroi d'un bureau de tabac. Ses enfants décidèrent alors de lui verser chacun cent francs par mois.

• En 1908, Juliette "aux longs cheveux" mourut à 48 ans d'un surdosage volontaire de l'aconitine qu'elle prenait pour calmer ses palpitations (l'aconitine est le poison utilisé par Berthe Sauvresy pour tuer son mari dans Le Crime d'Orcival d'Emile Gaboriau, 1866). Gabrielle refusa de se déplacer pour cet "événement".

Sidonie restait seule à Châtillon, dans la Petite-Maison du 9 de la rue de l'Égalité, puis, après octobre 1908, au 10 de la même rue. Elle allait presque tous les jours déjeuner chez son fils et passer ses après-midi avec ses filles et son épouse Jeanne, ce que celle-ci n'appréciait guère. Souvent, elle accompagnait Achille dans ses visites en automobile. Dans ses lettres à sa fille, elle ne cessait que lui reprocher de ne venir la voir que très rarement. Dans la Maison de Claudine-Ma mère et la maladie, "Colette" dit qu'en 1906 elle lui écrit deux fois par semaine; dans La Maison de Claudine-Ma mère et le fruit défendu, elle signale qu'il lui arrive de venir de Paris pour passer l'après-midi ou quelques jours avec elle dans sa "Petite Maison". Mais "Colette" hésitera souvent à prendre le train jusqu'à Nogent-sur-Vernisson, puis à faire les dix derniers kilomètres dans un "tacot" jusqu'à Châtillon. Elle se contentait d'envoyer à sa mère ses cent francs chaque mois, et des fleurs, des fruits, du chocolat, des journaux illustrés; mais elle semblait surtout redouter les rencontres avec cette mère trop possessive.

• Depuis Châtillon, à travers la presse, Sidonie suivit jusqu'à la fin la carrière de sa fille, laquelle lui écrivait souvent et lui envoyait les ouvrages qu'elle publiait.
– En 1904, elle a reçu Dialogues de bêtes et elle lui a écrit pour la féliciter.
– En 1907, informée par le journal Le Temps de son divorce d'avec Willy, elle lui dit sa crainte que la maison de Saint-Sauveur où elle a passé son enfance ne "tombe en d'autres mains" et elle s'étonne de voir sa fille engagée avec son mari dans ce qu'on appellera une "lune de miel de la rupture": "Rien n'est banal dans ton existence", lui écrivit-elle.
– En 1907, elle accepta de recevoir et d'entreposer des caisses et des meubles provenant des Monts-Boucons, la propriété que Willy venait de vendre.
– Lorsqu'elle découvrit la liaison de sa fille avec Missy, ayant l'esprit large, elle ne porta aucun jugement, tout en avouant que ces "imbéciles" de châtillonnais sortiraient sur le pas de leur porte et souriraient si Missy avait l'imprudence de venir se montrer.
– Ayant reçu La Vagabonde (1910) elle comprit qu'il y avait là presque une autobiographie (qui, dit-elle, a dû mettre Willy en rage) et elle dit son admiration pour ce livre, admiration partagée par Achille.
– Elle désapprouva le retour de sa fille sur les théâtres, même pour "gagner sa vie" (toutefois elle fut émue en apprenant qu'elle reprenait Claudine à Paris, avec le "petit personnage" créé par elle.
– Elle désapprouva aussi, en 1911, l'entrée de Gabrielle dans l'équipe du journal Le Matin ("rien n'use les écrivains comme le journalisme; le journalisme est la mort du romancier", lui écrivit-elle).
– En fait, elle se souciait surtout de la voir perdre son temps dans sa cohabitation avec Missy et dans les activités nuisant à ce qui lui paraissait essentiel, la création littéraire: "Ménage ton talent, mon chéri : il en vaut la peine", lui écrit-elle lucidement en cette année 1911.

• Depuis longtemps, Sidonie souffrait d'une insuffisance cardiaque, contre laquelle Achille essayait de lutter (spartéine, arsenic, digitaline, sangsues…). Lui-même, devant la gravité du mal, insistait pour que "Gabri" vienne à Châtillon (1911). Et Sido, malade, lui écrivit: "Je ne te vois pas assez souvent pour ce qui me reste à vivre; monsieur de Jouvenel est mieux partagé que moi". Le 11 juillet 1912, elle lui écrivit encore : "Minet chéri, Voilà encore mon écriture tremblée, mais c'est de la faiblesse, car mon vieux coeur n'est pas trop agité. Tendresse, mon chéri trésor, et amitiés aux personnes que tu aimes." Gabrielle lui a fait une courte visite fin mars 1912, impressionnée de voir que sa mère perdait la mémoire. Puis, alors qu'elle était sur le point de se remarier avec Henri de Jouvenel, elle écrivit à Léon Hamel, le 26 août 1912: "Je pars pour Châtillon, où ma sainte mère est insupportable; non qu'elle soit gravement malade, mais elle a une crise de 'je veux voir ma fille'. Sidi [Henri de Jouvenel] m'accorde trois jours, au maximum." Ce fut sa dernière visite, très rapide, où elle se refusa à voir la vérité ("Maman n'est pas épatante, mais elle peut durer encore, et c'est tout ce qu'on lui demande").

• Sidonie Colette mourut le 25 septembre 1912, à l'âge de 77 ans. Colette, qui détestait aller aux enterrements, décida de ne pas aller aux obsèques et ne porta pas le deuil: "Je continue à vivre comme d'habitude, cela va sans dire", écrit-elle le 27 septembre à Léon Hamel. Elle ne viendra sans doute pas, ensuite, sur la tombe du cimetière de Châtillon : "Une tombe, ce n'est rien qu'un coffre vite", avait-elle écrit dans La Retraite sentimentale. Son frère lui en voudra de cette indifférence, jusqu'à brûler toutes les lettres qu'elle avait envoyées à sa mère, ne gardant que les cartes postales.

Achille, au printemps 1913, se découvrit un cancer du rein qui devait vite se généraliser. Il céda sa clientèle et vint mourir à Paris, le 31 décembre 1913. Il n'avait que 50 ans. Il était toujours propriétaire de la maison de Saint-Sauveur (depuis 1884): en héritèrent son épouse Marie Andrée Jeanne de La Fare, et ses deux filles, Geneviève (épouse de William Viot) et Colette (épouse d'André Wyler).

• Quant à Léo, que sa soeur appellait "le Sylphe", il restera toujours un peu "en marge", même lorsqu'il sera engagé à la librairie Gauthier-Villars ou lorsqu'il travaillera après 1901 chez un notaire à Levallois-Perret, vivant alors dans un garni de Levallois, mais toujours en très bons termes avec Willy, son ex-beau-frère, qui l'aidait à compéter sa collection de timbres. Willy parlait de Léo en ces termes à P. Varenne: "Il n'a plus rien, même pas de vêtement de rechange. Il s'en consolé et c'est en riant qu'il me dit, avec l'accent de famille: Ma sœur trouve que je ne suis pas assez chic quand je vais la voir. Alors je lui réponds: Paye-moi un beau costume et je serai le Brummel de Levallois!" Léo sera ensuite recueilli à Bléneau (dans l'Yonne) par sa nièce, fille d'Achille, Geneviève Robineau-Duclos, qui avait épousé William Viot, vétérinaire. C'est alors que Léo confia à sa sœur sa collection de timbres. Il mourra le 7 mars 1940 et sera enterré à Châtillon, après des obsèques civiles. Et "Colette" écrivit : "Je ne l'entendrai plus jouer du piano, de ses doigts gercés et qui semblaient tout gourds, et d'où sortaient des sons d'une qualité scintillante et ronde". Elle mit en vente publique sa collection de timbres, qui rapporta 39.000 francs.

• Dans cette période, "Colette" ne tenait pas vraiment à revoir ce Saint-Sauveur qui l'avait rejetée ainsi que ses parents. Pourtant elle continuait à y penser.
– En 1908, alors que, comme comédienne en tournée, elle allait en train de Nevers à Auxerre, elle passa non loin de Saint-Sauveur: “Le long du trajet, j’ai tendu mes yeux du côté de Saint-Sauveur, espérant, à chaque tournant de la voie, la tour cuirassée de lierre, le château lézardé, et, à flanc de coteau, le village étagé que chérissait Claudine. Mais je n'ai rien vu.” [Belles Saisons].
– En 1911, elle serait passée en automobile rue de l'Hospice, "une rue, écrit-elle, où je n'ai plus de raison de m'arrêter" (dans La Maison de Claudine-La petite Bouilloux).
– Toutefois, elle ne pouvait se libérer des souvenirs. Le 28 décembre 1911, Le Matin publia un texte signé "Colette Willy", intitulé Réveillons. Au cours d'une nuit de fête, dit-elle, soudain lui sont revenues des images d'un réveillon de son enfance.

Je ne bouge pas, de peur de dissoudre le mirage provincial qui monte de mon passé: un salon fané, où la pendule de marbre blanc marque minuit entre deux bouquets de houx. Sur la grande rable, on a simplement poussé un peu de côté les livres à tranche d'or, le jeu de jacquet et la boîte de dominos, pour faire place au gâteau arrosé de rhum et au vieux frontignan décoloré. Il y a, partout, le désordre d'une maison heureuse, livrée aux enfants et aux bêtes tendres…" Sa mère, ayant lu cet article, lui avait écrit: "Je vois, chère, que la maison et son jardin te hantent. Cela me plaît et aussi m'attriste. Je vois toujours ta gracieuse petite forme s'y promener, rêvant mille choses. Je te vois le plus souvent dans une toilette bleu pâle qui te faisait si jolie. Et tes beaux cheveux d'or qui tombaient jusqu'à terre. Que de souvenirs surgissent! [lettre du 30 décembre 1911].

 

Chatillon tombe

La tombe au cimetière de Châtillon-Coligny (Le Capitaine, Sido, Achille, Léo)

J. Colette (1829-1905), Jules-Joseph Colette, le père de Colette
S. Colette (1835-1912), Sidonie Landoy, la mère de Colette
Dr A. Robineau-Duclos (1863-1913), Achille Robineau-Duclos, fils de Sidonie Landoy et de son premier mari
L. Colette (1866-1940), Léopold Colette, frère de Colette
Colette Robineau-Duclos, épouse Wyler (1901-1986), fille d'Achille Robineau-Duclos
André Wyler (1897-1973), son mari


Dans le même cimetière, tombe du physicien Henri Becquerel (1852-1908) à qui sa découverte de la radioactivité valut de partager le prix Nobel de physique 1903 avec Pierre et Marie Curie (son nom a été donné à l’unité de mesure de la radioactivité). Au cœur de Châtillon-Coligny se dresse la statue de bronze de son grand-père, Antoine Becquerel.

Remarquer aussi la tombe d’André Fildier (1928-2001), peintre et historien de la carte postale. Sous son nom figure son surnom, L’Emmerdeur, et sa profession de foi "Seuls les emmerdeurs améliorent le monde. Je ne regrette rien". Au bout de la dalle, une plaque : "Ici reposent mes pieds".


1921-1954 - APRÈS 50 ANS, COLETTE SE SOUVIENT DE SA JEUNESSE

• En 1921, "Colette" a fait (avec son jeune amant Bertrand de Jouvenel) un bref passage à Saint-Sauveur.

Il y a seize ans, je n'ai salué mon village natal que d'une visite brève. C'est que je voulais constater la juste adaptation du souvenir aux sites qui l'ont formé. Un des jardins de son château désert garde de vieux rosiers en festons, une chaleur de pain chaud sur la façade qu'ils fleurissent: j'en sais assez, tout est en ordre. Ma maison natale aussi, qui vieillit, ma foi, moins vite que moi. Pour la petite ville elle-même, je passe condamnation sur quelques toits neufs et des cols de cygne électriques. Le reste se superpose fidèlement au calque dont je ne me sépare point. [Journal à rebours]

• Cette visite fut, semble-t-il, un élément déclencheur qui la décida à faire revivre ses souvenirs de Saint-Sauveur. Vingt ans après la mort de Sido, alors qu'elle avait elle-même près de 50 ans, elle a pu revenir sur son enfance, d'abord dans La Maison de Claudine (1922), puis dans La Naissance du jour (1928), Sido (1929), Le Capitaine (1930), Les Sauvages (1930). Sur la dédicace de l'exemplaire de La Maison de Claudine destiné à son frère Léo elle précisa que ces souvenirs d'enfance étaient "les uns tronqués, les autres truqués". De même, dans la Naissance du jour, elle nourrit son roman de lettres de sa mère, arrangées pour les besoins de l'autofiction.

• Dans ces publications, elle transformait sa mère Sidonie en une sorte de mythe qu'elle appelle "Sido". Ensuite, quand Sido réapparaîtra dans Mes apprentissages, Journal à Rebours, Noces, Le Sieur Binard, ce ne seront que des ajouts au mythe qu'elle avait mis en place. Ainsi avait-elle trouvé le moyen de se débarrasser d'une mère encombrante, en faisant d'elle un personnage de littérature.

• Et puis, dans ces œuvres, Colette ressuscite le village de son enfance, cette fois sans mépris, ni malveillance. Les habitants de Saint-Sauveur y animent le bourg autour de la famille: échanges de jardin à jardin, visites de voisinages, conversation à la sortie de la messe, noces de domestiques… Nous sommes loin de la population de bandits dont parlait Claudine. On retiendra les portraits du curé Millot qui eut maille à partir avec Sido la mécréante ; de Mme Bruneau et "son mari dérisoire"; de Nana Bouilloux, petite beauté provinciale condamnée au célibat ; et Mme Saint-Alban, le père Gruel, préparateur de peaux de lapins, les deux fils Mabilat, épiciers rue de la Roche, Bouilloux et Labbé, "curiosités gargantuesques", dépeints avec une verve toute rabelaisienne.

En janvier 1925, les filles d'Achille ont vendu la maison de Saint-Sauveur à un négociant en soiries, admirateur de l'écrivain, Francis Ducharne, qui avait l'intention de lui en donner l'usufruit. Colette le remercia en lui envoyant sa photo à quinze ans : "Voici l'image de celle qui était, à quinze ans, une jeune fille heureuse dans un jardin. Je vous la donne, en échange de ce jardin retrouvé."

En juin 1925, à l'instigation du ministre Anatole de Monzie, on eut le projet d'inaugurer une plaque de marbre rose sur sa maison. ("Ici Colette est née"). Olympe Terrain s'en offusqua, rappelant qu'on parlait de "pornographie" à propos de son ancienne élève qui, disait-on, se montrait "toute nue" sur les théâtres. Le maire, le docteur Bossu, refusa de s'y associer, sous prétexte que Colette avait donné de Saint-Sauveur l'image peu fatteuse d'un "pays pauvre". Colette vint le 8 juin avec quelques amis avant de continuer sur Paris. Mais elle descendit peu de temps de sa voiture, craignant de se faire insulter par les habitants. Elle eut toutefois le temps de passer derrière la maison, dans la rue des Vignes, puisqu'elle écrivit à Marguerite Moreno: "J'ai vu la glycine antique enlacée à la grille de ma maison de Saint-Sauveur" (lettre du 11 juin). En 1928, au début de La Naissance du jour, elle se vengea en désignant Saint-Sauveur-en-Puisaye comme "un petit pays honteux, avare et resserré".

Colette plaque

• En janvier 1926, Francis Ducharne fit généreusement donation de l'usufruit de la maison au profit de Colette. Il cassa la bail du notaire Auchère et prit un gardien qui s'occupera de la propriété jusqu'en 1936. Colette put y venir en mai 1927 et, cette fois, visiter l'intérieur et les jardins, ce qu'elle n'avait pu faire depuis son départ à Châtillon. Elle écrivit à Germaine Patat, le 4 mai : "Il faudra que je vous raconte ma visite là-bas. Trente-trois ans, songez donc, trente-trois ans que je n'avais revu ni l'intérieur de la maison, ni le jardin! une émotion si grande, une telle impression de temps aboli!" La maison sera ensuite louée à M. Fretté, ingénieur des Ponts et Chaussées, puis à son successeur, M. Levieux. Elle sera occupée par les Allemands, puis louée au docteur Fayein, enfin, en 1946, au docteur Muesser.

• Colette ne cachait pas combien elle tenait à cette maison : "Ma maison reste pour moi ce qu'elle fut toujours: une relique, un terrier, une citadelle, le musée de ma jeunesse". Lors d'un nouveau passage à Saint-Sauveur au printemps 1928, elle crut y revoir sa mère, "inspirée et le front levé" [Sido]. Parisienne, elle restait au courant des nouvelles du pays grâce à son frère Léo qui, après une carrière de clerc de notaire, était venu à Bléneau, à 20 km de Saint-Sauveur, et rendait parfois visite à sa sœur.

• En décembre 1950, clouée par l'arthrite dans son appartement du Palais-Royal, Colette accepta que Ducharne vende la maison au locataire, le docteur Pierre Muesser.

• Le 3 août 1954, Colette mourut à Paris, au bord du jardin du Palais-Royal.

• Colette de Jouvenel ("Bel-Gazou") mourut, elle, en 1981.


1956-2016 - SAINT-SAUVEUR SE SOUVIENT DE COLETTE

• 1956 : création, à Saint-Sauveur, d'une "Société des Amis de Colette"; après 1966, le docteur Muesser, propriétaire de la maison, en sera longtemps vice-président.

• 1967 : à Saint-Sauveur, la rue de l'Hospice devient rue Colette (cérémonie en présence de Colette de Jouvenel).

• 1977 : le 5 juin, l'Association orléanaise Guillaume-Budé visite la maison sous la conduite du docteur Muesser.

• 1989 : mort du docteur Muesser; la "Société des Amis" aurait voulu obtenir un droit de préemption si la maison natale devait être mise en vente; mais les héritiers du docteur la conserveront pendant plus de quinze ans.

• 1995 : ouverture d'un musée consacré à Colette dans l'ancien château de Saint-Sauveur. Ce musée a été réalisé, selon le vœu de Colette de Jouvenel, grâce à MM. Foulques de Jouvenel, Bertrand de Jouvenel et ses enfants Anne et Hugues de Jouvenel. La muséographie est de Hélène Mugot. Un hall d'entrée théâtral symbolise la nature; sur chaque contre-marche de l'escalier sont inscrits 52 titres en lettres d'or des œuvres de Colette. Une salle de biographie est illustrée de 250 photos de la vie de l'écrivain. La reconstitution du salon et de la chambre du Palais Royal présente des meubles et des objets qui se trouvaient dans son appartement à Paris, avec sa collection de boules de verre (commencée en 1910) et sa collection de papillons. On voit aussi une bibliothèque imaginaire, mosaïque colorée de 1500 faux livres. Une salle est consacrée à Colette de Jouvenel, "Bel-Gazou".

• Fin 2006, les descendants du docteur Muesser, qui détenaient la maison en indivision, la mirent en vente. Comme ils étaient en désaccord, on parla d'une vente aux enchères. Les Domaines l'estimèrent à 245.000 euros. Les pouvoirs publics se dirent intéressés, à condition que la maison puisse accueillir un Centre d'études consacré à Colette. Il fallut donc réunir l'argent. Grâce à une subvention de l'État de 100.000 auros, une association "La Maison de Colette" put acquérir en 2011 la propriété laissée à l'abandon depuis plus de dix ans. En 2014, une souscription nationale a permis d’atteindre les 1.300.000 euros nécessaires à la réhabilitation.

• D'importants travaux ont été entrepris. Le bassin-piscine établi par les héritiers du docteur Muesser dans le jardin du-Bas a été démoli. Les enduits des façades ont été retirés avant d'être refaits. On chercha à reconstituer autant que possible la maison telle qu'elle était à la fin du XIXe siècle et les jardins tels que Colette les a décrits. On retrouva les papiers peints anciens. Les pièces ont été meublées grâce aux indications que l'on trouve dans de nombreux textes de Colette : cuisine, salon, salle à manger, chambre du Capitaine, chambre de Juliette…


LA VISITE DE LA "MAISON DE CLAUDINE"

• En mars 1865, le notaire a rédigé un descriptif de la propriété. C'est une maison avec un rez-de-chaussée (sur cave voûtée) composé de trois pièces et d'une cuisine, un étage avec trois chambres et cabinet, un grenier. L'arrière donne sur une petite cour pavée qui borde la cuisine et le salon. Par une porte cochère, on entre dans une cour qui communique avec la première. Au fond de cette seconde cour, un bâtiment d'exploitation comprend écurie, grange, hangar et, en "basse-goutte", un bûcher et une remise à voiture. La Capitaine y ajoutera un escalier extérieur pour accéder au grenier au-dessus du porche. Le jardin est sur deux niveaux, le "jardin d'En-Haut" et le "jardin d'En-Bas"; de l'autre côté de la rue, un "jardin d'En-Face" qu'on a acheté pour ne pas avoir de vis-à-vis.

• Les différentes pièces :
– La chambre de Gabri avant l'âge de onze ans, au-dessus du porche (plafond bas à grosses poutres peintes en gris, papier de tenture gris à motifs géométriques, sol de tommettes rouges couvert d'une natte de roseaux, seul accès par la chambre de Sido).
– La chambre de Juliette puis de Gabri (papier gris à fleurs bleues, lit à rosaces de fonte argentée et "rideaux de guipure blanche, doublés de bleu impitoyable", placard-cabinet de toilette).
– La salle à manger (ancien bureau de la perception).
– Le salon (pendule de marbre blanc sur la cheminée, deux vieux canapés de reps vert, piano, "la suspension à coupole verte, la table qui date du second Empire, son tapis râpé aux quatre angles" [Colette journaliste - Les bonbons].
– La chambre des parents (grande armoire à glace à trois pans en palissandre doublé de thuya, deux lits jumeaux avec rideaux de perse fleurie, petit meuble à chaussures).
– Le bureau-bibliothèque du Capitaine avec ses 400 livres (Colette y découvrira Voltaire, Hugo, Goethe, Shakespeare, surtout Balzac… et même Zola, en cachette).

• Dans ses œuvres, Colette décrit peu l'intérieur de la maison et insiste surtout sur les jardins. C'est que, se souvenant de sa mère, elle préférait revoir "son glorieux visage de jardin beaucoup plus beau que son soucieux visage de maison" [Sido].
– Une petite terrasse dallée au seuil du salon, que ferme un portillon et qu'ombragent glycine et bignonias; c'est là que Sido avait son "musée d'essais" (rosiers nains, plantes rares) et qu'elle faisait éclore des chrysalides de papillon.
– Un "jardin-du-Haut" avec allées sablées, gazons négligés, caisses de lauriers-roses, géraniums, roses trémières, coqueret alkékenge, hortensias près de la pompe, frêne pleureur, vieux noyer, jasmin blanc, sapins jumeaux, lilas, rosiers, cerisier, faux bambou, if, yuccas, lauriers, araucarias…
– Un "jardin-du-Bas", auquel on accède par un escalier d'une dizaine de marches, "potager resserré et chaud, consacré à l'aubergine et au piment, où l'odeur de la tomate se mêle, en juillet, au parfum de l'abricot mûri sur espaliers" [La Maison de Claudine]; et, souvent citée par Colette, la glycine étreignant la grille donnant sur la rue des Vignes.


COLETTE À L'ÉCOLE

• Achille, Léo et Juliette ont été mis en pension à Auxerre. Mais Gabrielle entra à six ans, en octobre 1879, dans la vieille école du quartier de la Gerbaude, qui ne méritait peut-être pas la description qu'elle en donnera dans Claudine à l'école: "une pauvre vieille école délabrée, malsaine", avec deux salles de classe au rez-de-chaussée, "incroyables laideur et de saleté, avec des tables diminuées de moitié par l'usure". De fait c'était une ancienne maison bourgeoise qui avait été péniblement transformée en école, avec deux salles de classe et les logements des instituteurs. C'est là que Mlle Fanny Desleau apprenait à lire aux fillettes dans le Nouveau testament ("En – ce – temps – là– Jé – sus – dit – à – ses – dis – ci – ples…"). Cette vieille école n'existe plus (pour les visiteurs, une classe a été reconstituée dans la mairie actuelle). Elle a été remplacée par un nouveau groupe scolaire commencé en 1887 et achevé en 1890 (voir sur une pierre d'angle l'inscription: "Cette pierre a été frappée par M. Merlou, conseiller général, maire de Saint-Sauveur, le 14 juillet 1887").

Sauveur école

• Colette était certes une élève indépendante, espiègle et spirituelle, mais sans l'insolence qu'elle prêtera à Claudine. À cette époque, les Colette étaient pauvres: à quatorze ans, donc en 1887, Gabrielle se trouvait, dit-elle, affublée "d'un petit blouson taillé dans les parties non mitées d'un ancien franc de [son] père, en drap d'Elbeuf" [De ma fenêtre]. La jeune fille devait donc plutôt se faire discrète, alors que bien des ragots couraient sur ses parents. Son amie Yvonne Jollet (Claire dans le roman) disait qu'elle était une compagne très agréable. Son institutrice, Olympe Terrain, se souvenait d'une fille intelligente, douée en français et en musique, nulle en sciences.

"De l'imagination; mais on sent un parti pris de se singulariser". Elle m'est restée dans la mémoire, cette note écrite à l'encre rouge en marge d'une composition française. J'avais onze, douze ans. En trente lignes, je déclarais n'être point d'accord avec ceux qui nommaient l'automne un déclin, et je l'appelais, moi, un commencement. Sans doute je fis mal entendre ma pensée, qui n'a point changé, et je voulais dire que le vaste automne, insidieusement couvé, issu des longs jours de juin, je le percevais par des signes subtils, à l'aide surtout du plus sauvage de mes sens, l'olfactif. Mais une enfant de douze ans dispose rarement d'un vocabulaire qui soit digne de traduire ce qu'elle pense et ressent. Pour n'avoir pas choisi le printemps diapré et ses nids, je n'eus qu'une note médiocre. [Journal à rebours]

• En février 1885, Gabrielle obtint le deuxième prix à un concours de lecture.

Combien le feu tient douce compagnie / Au prisonnier, dans les longs soirs d'hiver! / Tout près de moi se chauffe un bon génie / Qui boit, ou fume, ou bien chante un vieil air…" De qui-est-ce ?* un peu plus je dirais: de moi, parce qu'un concours de lecture, dans mon canton, nous mit, nous autres de douze et treize ans, en demeure de lire à voix haute, avec expression, vers et prose. Un homme bien intentionné s'étant avisé, au chef-lieu, qu'aucun enfant de nos régions ne savait lire autrement qu'en ânonnant, s'indigna, signala le grand péril où l'ignorance du département de l'Yonne ne manquerait pas de précipiter la France entière, et fonda un prix de lecture. Un volume rouge et or, un diplôme confirmèrent qu'âgée de douze ans et demi, Gabrielle-Sidonie Colette savait lire, et me récompensèrent d'avoir, en lisant, bégayé, dit "qui boit z'ou fume" et corrigé par inadvertance la prose de madame de Sévigné. [Le fanal bleu]
* Il s'agit des premiers vers du Feu du prisonnier, de Béranger. Elle lut aussi une lettre de Voltaire.

• En juin 1885, elle a été reçue au certificat d'études primaires, avec un 3 sur 10 en rédaction (!), mais de très bonnes notes à l'oral. En octobre 1887, elle entra au cours complémentaire d'enseignement primaire supérieur qui venait d'être créé à Saint-Sauveur, avec une nouvelle directrice de 24 ans, Olympe Terrain, et une adjointe, Emma Duchemin. Les Colette virent d'abord cette Olympe d'un mauvais œil, car on disait qu'elle était une "protégée" du docteur Merlou, et Gabri, à 14 ans, fit un peu avec elle la mauvaise tête. Mais, dans l'année, leurs relations s'améliorèrent puisque, en août 1888, Gabri lut, au nom des élèves, un compliment en vers à Mlle Olympe, composé par le Capitaine.

• Fin juin 1889, Mlle Terrain prit le train pour Auxerre avec ses élèves qui allaient passer les épreuves du brevet élémentaire. Cette fois Gabri obtint un 17 sur 20 en composition française et d'excellentes notes par ailleurs (l'un des examinateurs étant le père de la poétesse auxerroise Marie Noël). Ensuite, elle ne prépara pas le brevet supérieur, car elle allait devoir quitter Saint-Sauveur et la Puisaye, "ses étangs, leur profonde odeur de joncs et de vernes, leurs brumes délimitées, les sources secrètes qui les abreuvent"[Paysages et portraits]. En prévision de ce départ, le 15 juin 1890, la maison de la rue de l'Hospice avait été vidée de la plupart de ses meubles et de sa bibliothèque. Toutefois, à la rentrée de 1890, le 28 septembre, Gabrielle participa à l'inauguration des nouveaux bâtiments de l'école par le ministre de l'Agriculture, le préfet et autres notables qui, lorsqu'elle récita un petit discours de remerciements, furent éblouis par cette jeune fille de 17 ans, dont la chevelure blonde descendait jusqu'au sol.

• En mai 1895, Gabrielle, mariée et parisienne, vint revoir Olympe Terrain, qui reçut avec cordialité celle qu'elle appelait en souriant son "ex-fléau" et qui l'invita à revenir le 1er août avec son mari pour la distribution des prix, laquelle amusa fort Willy. Mlle Terrain fit coucher Colette dans le dortoir avec les fillettes et Willy seul dans une chambre. Invités l'année suivante, ils déclineront l'invitation. La pauvre Mlle Terrain ne savait certes pas la déconvenue qui allait être la sienne quand paraîtrait, en 1900, sous la signature du seul Willy, Claudine à l'école.

• En effet, ce sont les souvenirs de Saint-Sauveur et de son école qui ont nourri le premier ouvrage de "Colette". Mais plusieurs éléments l'on incitée à transformer la réalité :
– l'influence de Willy, qui poussait sa jeune femme à jouer à la Parisienne et à railler la province, et qui voulut mettre dans le roman des éléments un peu "lestes";
– la rancœur de "Colette" contre les habitants de Saint-Sauveur qui n'avaient jamais accepté ses parents, trop différents, et qui leur avaient fait subir maintes humiliations, ce qui lui fit parler d'"une population de bandits qui, d'ordinaire, se fichent de tout, même de la politique".
– une hostilité cachée à l'égard de Mlle Terrain, protégée (et peut-être maîtresse) de ce docteur Pierre Merlou qui, en 1880, avait fait obstacle aux ambitions politiques du Capitaine.

• Quelle dut être la stupeur d'Olympe Terrain quand elle découvrit le portrait de son avatar, "Olympe Sergent" ("cette rousse bien faite, la taille et les hanches rondes, mais d'une laideur flagrante, la figure bouffie et toujours enflammée, le nez un peu camard, entre deux petits yeux noirs, enfonçés et soupçonneux") et puis des accusations calomnieuses : son acharnement à filer le parfait amour avec la jeune sous-maîtresse, "Aimée Lanthenay" (nom donné à Emma Duchemin), et sa liaison avec "Dutertre", le délégué cantonal débauché, avatar, lui, du docteur Merlou! (voir l'étude de Elisabeth Charleux-Leroux et Marguerite Boivin, "Avec Colette de Saint-Sauveur à Montigny"). En effet, à Saint-Sauveur, tout le monde pouvait mettre un nom sur les personnages :
– Olympe Sergent = Olympe Terrain
– Aimée Lanthenay = Emma Duchemin
– le docteur Dutertre = le docteur Merlou
– Louchard = Touchard
– la grande Anaïs = Odile Henrion
– Marie Belhomme = Marie Gentilhomme
– le père Caillavaut = Jean-Louis Robineau-Bourgneuf, cousin du mari de Sidonie
– Claire, la "soeur de communion" = Yvonne Jollet (épargnée dans le roman, elle restera toujours l'amie de la grande "Colette")
– Jeanne = Gabrielle Colette ("une petite futée aux yeux malins marchant sur deux tresses aussi longues qu'elle, blond foncé, pesantes comme de l'or sombre", qui apparaît lors lors de la préparation de la fête finale).

• L'engouement suscité par les Claudine fut énorme, si on en juge par les tirages et par les "produits dérivés" (cartes postales, col Claudine, cravate Claudine, parfum Claudine, cigarettes Claudine, poudre de riz Willy…). Sans parler des adaptations pour le théâtre. Et ce roman faillit compromettre la carrière de Mlle Terrain, qui resta pourtant à Saint-Sauveur jusqu'à sa retraite en 1918. On s'en servit dans les campagnes électorales contre le docteur Merlou et dans les attaques contre "l'école sans Dieu". Certes Olympe Terrain a eu un enfant naturel, certes Pierre Merlou a eu une vie sentimentale agitée, mais ils ne méritaient pas l'image qu'en a donnée le couple Colette-Willy, essentiellement pour assurer à leur publication un succès de scandale.

Colette Claudine
Claudine école
Colette déguisée en Claudine, avec Tobi-Chien.
"La couverture me fit bien rire: une fillette, déguisée en paysanne, écrit sur ses genoux croisés. A même ses bas, elle porte des sabots jaunes d'opérette; le panier du Petit Chaperon Rouge est auprès d'elle (?), et les boucles de sa chevelure roulent sur un caban rouge..."
(Mes Apprentissages)

• Olympe Terrain, retraitée, en voulut beaucoup à son "ex-fléau", qu'elle appelle une "tarée", une "hystérique qui se prend pour George Sand, Sarah Bernhardt ou Sacha Guitry". A la fin des années 1920, lors de la parution de Sido, Colette reconnut qu'elle avait été assez irresponsable en jouant ainsi avec ses souvenirs. Dans les années 1929-1930, elle renoua avec Olympe Terrain, flattée d'avoir reçu une lettre dans laquelle Colette mettait les impertinences de Claudine sur le compte de la "déplorable influence" que Willy, Polaire et Missy exerçaient sur elle. En 1929, quand elle lui écrit, Colette signe "votre élève déférente et affectueuse". En 1931, elle a le projet d'aller la voir avec Bel-Gazou. En 1935, elle l'informe de son mariage avec Maurice Goudeket. En 1936, dans Mes apprentissages, elle a écrit : "Je m'en veux que, par allusions, traits caricaturés, mais ressemblants, fables plausibles, ces Claudine révèlent l'insouciance de nuire".


LES ŒUVRES


CLAUDINE À L'ÉCOLE

• Résumé de Claudine à l'École. – Claudine, 15 ans, vit à Montigny-en-Fresnois avec son père, un homme distrait, plus préoccupé par les mollusques que par l’éducation de sa fille. Elle regrette de n'avoir pas de mère. Claudine fréquente la petite école du village. Son quotidien est rythmé par les promenades avec sa sœur de lait Claire, qui lui raconte sa vie amoureuse. Dans son école, Claudine connaît la séduction qu'elle dégage et est au centre de la révolte larvée qui anime, de temps en temps, les fillettes, des petites paysannes naïve ou rusées, sottes ou vicieuses. Elle tient tête à la directrice, Mlle Sergent, qui affiche son amitié très intime pour sa jeune adjointe, Mlle Aimée Lanthenay. Les "grandes" s'agitent dès que paraît l'un des deux instituteurs de l'école des garçons voisine, le vaniteux et naïf Antonin Rabastens et le romantique et falot Armand Duplessis, ou encore le médecin scolaire Dutertre, qui a de grandes ambitions politiques; présentement, il entretient Mlle Sergent et lorgne d’un peu trop près les grandes élèves. Alors que Claudine se lie d’amitié avec Mlle Aimée, Mlle Sergent fait comprendre à cette dernière qu’elle ne doit plus la voir, tout en lui accordant de nombreuses faveurs. Claudine, se sentant trahie, mène la vie dure aux deux femmes, dont elle trouve les manifestations d’affection repoussantes, en compagnie de la grande Anaïs et de Marie Belhomme. Arrive Luce, sœur d’Aimée, que Claudine commence par maltraiter avant de lui accorder son amitié. L’année s’écoule doucement avec, à l’horizon, le brevet élémentaire que les jeunes filles ont à cœur de réussir, avec, surtout, la fête de fin d’année et le bal qui sera donné en l’honneur d’un ministre qui vient visiter Montigny...

• Pour les besoins du roman, bien des changements ont été faits :
— Trois années de l'adolescence de Colette depuis l'arrivée de Mlle Terrain (1887-1890) ont été resserrées sur une seule année scolaire.
— Claudine est née en 1884 (Colette en 1873) et elle achève ses études en 1900.
— Claudine n'a pas de frères ou de sœur.
— Sido est remplacée par une nourrice paysanne.
— Le père a gardé du Capitaine la barbe et le manque de sens pratique; mais il est devenu malacologiste (un cousin de Sidonie avait étudié les mouches du canton de Saint-Sauveur…).
– Les petites filles sont malpropres, les garçons sont gauches et patauds, les paysans sont bornés ("on ravage les bois, on braconne jour et nuit, on se bat dans les cabarets").
– Le député est corrompu, la directrice, Mlle Sergent, est lesbienne…

• "Montigny", c'est à peu près Saint-Sauveur (certains noms de rues ont été conservés : rue du Cloître, Grande-Rue, rue des Fours-Banaux…). Mais certains détails n'ont pas été respectés : le château de Saint-Sauveur est de la fin XVIIe et non "rebâti sous Louis XV"; la tour n'est pas "sarrasine" et date du XIIe siècle; la Taize, "qui traverse les prés au-dessous du passage à niveau", est présentée comme un ru minuscule, alors que le Loing, au bas du village, est déjà un ruisseau important; la nouvelle école de Saint-Sauveur a été construite entre 1887 et 1890… Toutefois, on peut encore y situer les magasins où Sido faisait ses provisions d’épicerie, les rues qui menaient à l’école, les jardins "qui se disaient tout". Beaucoup de détails concernant les environs de Montigny sont empruntés à Saint-Sauveur, par exemple l'étang de la Folie et son île minuscule. 

Terrain Olympe


CLAUDINE EN MÉNAGE

Dans Claudine en ménage, Colette fait revenir Claudine à Montigny avec son mari. Elle s'attarde surout dans l'école, puis elle fait un bref "pélerinage" jusqu'au seuil de sa maison d'autrefois. Un "serrement de coeur" la tient immobile "devant le perron à double escalier et à rampe de fer noirci". Elle regarde l'anneau de cuivre usé où elle se pendait pour sonner, au retour de l'école; elle fait "virer du doigt l'arrêteau du volet de la fenêtre du rez-de-chaussée"; puis elle s'éloigne, très émue…
À la fin du roman, en pleine crise, elle se réfugie dans la maison de son enfance, "cette grande case de granit gris, persiennes dépeintes et ouvertes, nuit et jour, sur des fenêtres sans défiance". Elle retrouve sa chambre avec "ces bluets, sur le mur, passés du bleu au gris, ombres de fleurs sur un papier plus pâle", son lit-bateau et son petit bureau taché d'encre avec ses cahiers d'école. Elle retrouve le salon avec ses vieux fauteuils aux "jolis pieds Louis XVI que blanchit un reste de peinture". Alors elle va chercher "pas à pas, miette à miette", son enfance éparse aux coins de la vieille maison, jusqu'au grenier vaste et sombre, "qui fut tant de fois [son] refuge pendant les pluies tenaces"; elle y retrouve les draps de la lessive qui pendent aux rouleaux de bois du séchoir, un amas de livres demi-rongés occupant tout un coin, une antique chaise percée qui a perdu un pied, les débris d'un vieil herbier et une grande manne d'osier qui recèle des papiers à tentures datant de la Restauration.
Le plus émouvant pour elle est cette redécouverte du "jardin bienveillant", du "jardin enchanté" avec l'énorme noyer dont l'ombre froide tue les roses, les deux sapins frères contre le mur de la mère Adolphe, les barreaux de la grille qu'a tordue la glycine puissante, les aconits bleus, le grand rosier cuisse-de-nymphe, le potager où elle se régale d'abricots chauds, de pêches âpres, le poirier de Saint-Jean qui laisse tomber un à un ses fruits ronds, flogres aussitôt que mûrs, couverts de guêpes.
Elle se rappelle "les levers frissonnants de l'hiver quand [elle] partait pour l'École, gamine maigrelette, brave sous son capuchon rouge, glissant sur [ses] petits sabot pointus, à travers le froid et la neige non balayée."
Comme elle le faisait dans son enfance, elle se lève avant le soleil pour aller revoir "cette vallée, étroite comme un berceau", dans laquelle elle a "couché tous [ses] rêves d'enfant solitaire". Elle va "surprendre aux bois des Fredonnes le goût nocturne de la source froide et les lambeaux de la nuit qui, devant les premiers rais, recule aux sous-bois et s'y enfonce". Elle suit l'étroit "chemin des Vrimes, fossé plutôt que chemin, creusé et sableux comme un lit de rivière", d'où l'on voit, en se retournant, "la tour sarrasine ourlée de lierre et le château décrépit". Et, dit-elle, "je rentre à midi et demi, plus défaite que si trois braconniers m'avaient troussée aux bois".


LA MAISON DE CLAUDINE + SIDO

Entre 1922 et 1930, Colette se décida à livrer ses souvenirs au public, sous forme d'une trentaine de courts textes, livrés sans aucun ordre, mais qui permettent de bien connaître cette famille dans laquelle Colette a vécu.

Nous entrons peu à peu dans l’intimité de "Sido", depuis son adolescence avec un père surnommé "le Gorille", son mariage avec Robineau-Duclos et sa venue à Saint-Sauveur, jusqu’à son remariage avec le Capitaine. Nous savons tout  de son amour pour les plantes, pour les animaux, de sa méfiance à l’égard de la religion. Nous la voyons surtout dans son jardin, en bonnes relations avec ses voisins, avec son amie Adrienne. Mais Sido est surtout une mère perpétuellement inquiète pour ses enfants, souffrant de ne pouvoir aider sa fille Juliette au moment de son accouchement

Le "Capitaine" est un homme plus complexe, que sa fille s’efforce de comprendre : elle découvre alors que cet homme jovial, volontiers taquin, "grivois en anecdotes", est en réalité un homme malheureux qui souffre en secret de son amputation, de ses échecs en politique, de son incapacité à gérer la fortune de son épouse, de son impuissance à écrire. Mais elle découvre surtout, derrière des apparences un peu rudes, combien il était amoureux de sa "Sido".

Colette donne aussi une analyse très fine de sa soeur Juliette et des deux frères, Achille et Léo, qu'elle appelle les Sauvages. La première, "la soeur aux longs cheveux", vit dans un monde qu’elle s’est créé, isolée de sa famille, et elle fait une tentative de suicide. Les deux adolescents sont à la fois complices et très différents ; Léo surtout l’intrigue, avec sa passion pour la musique, sa fascination pour les cimetières et les épitaphes, ses caprices d’enfant qui réclame chaque soir des pruneaux et des noisettes pour le simple plaisir de demander.

Bien sûr, Colette livre un portrait de ce qu’elle fut dans son enfance alors que sa mère lui faisait porter de longues tresses : on voit "Minet-Chéri" avec ses petites amies le jeudi dans le jardin; on la voit dans une noce campagnarde, dans une "partie de campagne" avec ses parents et les deux garçons, et aussi au mariage de sa soeur Juliette…

Enfin nous accompagnons la famille Colette dans ses années de vieillesse : nous y voyons Sido en deuil revenant des obsèques du Capitaine, Sido veuve et malade à Châtillon, visitée quotidiennement par son fils devenu médecin et, de temps en temps par sa fille qui, à cette époque, fait des "excentricités" sur les théâtres parisiens. Et, pour terminer,  une dernière scène très émouvante : Léo est devenu non pas musicien de talent, comme Sido l’avait rêvé, mais simple clerc de notaire ; il rend visite à sa sœur au Palais-Royal et tous deux parlent du Saint-Sauveur de leur enfance disparue.


Où sont les enfants ? : La maison et son jardin – Sido en quête de ses quatre enfants, vers 1880.
Le Sauvage : La rencontre de Sido jeune fille et du "Sauvage", Robineau-Duclos – Leur mariage en 1856 – Sido découvre la maison de Saint-Sauveur – Sido, exilée, s'y ennuie.
Amour : Vers 1889, vie de famille à Saint-Sauveur – Le père est un peu jaloux en voyant sa femme avec les "godeluraux" du village.
La Petite : Minet-Chéri et ses compagnes de jeu dans le jardin le jeudi – La Petite reste seule – La nuit tombe sur le jardin.
L'enlèvement : Minet-Chéri, après le mariage de Juliette, a abandonné sa "tanière enfantine" au-dessus de l'entrée cochère pour s'installer dans sa chambre du premier étage. – Par une nuit de vent, sa mère la transporte endormie dans son ancienne soupente : elle a rêvé qu'on l'enlevait.
Le curé sur le mur : Vers 1880, Minet-Chéri découvre le mot "presbytère".
Ma mère et les livres : La riche bibliothèque de Saint-Sauveur – Les lectures de Sido (Saint-Simon) et de Minet-Chéri. – Elle s'évanouit à l'idée que les femmes portent un enfant dans leur ventre.
Propagande : Vers 1882, le Capitaine se lance dans la politique. – Sa fille l'accompagne dans ses tournées de village en village et revient souvent un peu ivre.
Papa et madame Bruneau : A la même époque, dans le jardin un soir d'été, Minet-Chéri avec ses parents. – Son père chante pour une voisine malheureuse en ménage, qu'il aime taquiner.
Ma mère et les bêtes : Vers 1889, au retour d'un court séjour à Paris, elle découvre chats et chiots qui viennent de naître. – Elle élève des hirondelles. – L'araignée dans la chambre de Sido et la chenille: Sido est incapable de tuer une bête.
Epitaphes : Vers 1880, son frère de 13 ans joue à créer des petits cimetières en miniature dans le grenier, puis dans le jardin. Sido s'en indigne et s'en inquiète.
La fille de mon père : Sido évoque son père, un quarteron fort laid surnommé "le Gorille", qui fabriquait des briques de chocolat. – Il eut de la même femme un grand nombre d'enfants, dont une petite fille qui a vécu ses premières années avec Sidonie.
La noce : Vers 1887, Adrienne Septmace, femme de chambre des Colette, se marie. Minet-Chéri, comme demoiselle d'honneur, assiste à cette noce campagnarde avec son amie Julie David.
Ma sœur aux longs cheveux : Vers 1885, Gabrielle a ses deux longues tresses qu'elle finit par détester. – Sa soeur "aux longs cheveux" passe son temps à lire, dans sa chambre au papier "gris de perle à bleuets" dont la fenêtre donne sur le jardin d'En-Face. – Un jour, elle a la fièvre, elle délire.
Maternité : Mariée, sa "soeur aux longs cheveux" rompt avec sa famille et vit dans une maison voisine, séparée du jardin d'En-Face par un mur mitoyen. – Tout le village jase sur la ruine des Colette. – Chagrin de Sido. – Quelques mois après, Juliette est enceinte. Pendant qu'elle accouche, Sido, la nuit, dans le jardin d'En-face, essaie de l'accompagner.
Mode de Paris : Les troupes de comédiens ambulants à Saint-Sauveur. – A Saint-Fargeau, le comédien Marcel d'Avricourt lance la mode de la broderie: tout le monde, même les hommes, se met à broder, s'attirant les moqueries du châtelain.
La petite Bouilloux : Nana, la fille d'un scieur de long était très jolie. À 13 ans, elle entra en apprentissage chez une couturière de Saint-Sauveur. Minet-Chéri enviait sa jupe longue, son chignon, son tablier court. Consciente de sa beauté, elle refusait tous les maris de la région, attendant le "parisien" qui l'enlèverait à sa province. – Colette, vers 1911, alors que sa voiture remontait la rue "où elle n'a plus de raison de s'arrêter", l'aperçut, sans doute toujours célibataire.
La Toutouque : Vers 1883, Toutouque est une chienne que son frère aîné avait sauvée de la mort alors qu'il était engagé volontaire à la caserne d'Auxerre (selon la loi Cissey de 1872 sur le recrutement de l’armée, instaurant le service militaire obligatoire, les bacheliers pouvaient contracter un engagement volontaire d’un an leur permettant d’échapper au tirage au sort qui pouvait les conduire à un service de cinq ans.). – Malgré ses apparences paisibles, Toutouque mit à mal la chienne Bianca, dont elle était jalouse.
Le manteau de spahi: Le manteau de spahi que le Capitaine avait rapporté d'Afrique et que Sido conservait soigneusement a été mangé par les mites. Le Capitaine en fit un essuie-plume!
L'ami : L'année de l'incendie de l'Opéra-Comique (mai 1887), un ami de son frère aîné vient passer ses vacances à Saint-Sauveur. La fillette de 13 ans en est amoureuse et lui fait remarquer que, puisqu'il doit se marier, ils ne se reverront plus.
Ybanez est mort : Vers 1886-1887, portrait de Voussard, expéditionnaire chez le notaire Defert, un homme à la triste figure, lecteur de feuilletons.
Ma mère et le curé : Vers 1884-85, Gabrielle va au catéchisme. – Sido est mécréante, hostile à la confession. Pourtant elle va chez le curé chercher des boutures de pélargonium, du chèvre-feuille d'Espagne. Pourtant elle va à la messe avec son chien Domino, qui gronde au moment de l'élévation, parce qu'on lui a appris à aboyer quand retentit la sonnette de la maison. Elle s'installe à son banc, sous la chaire, et, dans un livre à l'apparence de missel, elle lit le théâtre de Corneille. Quand le sermon est trop long, elle manifeste son impatience.
Ma mère et la morale : Vers 1886-87, son demi-frère aîné est étudiant en médecine. – Visites de la voisine, Mme Adrienne Saint-Alban, qui rapportait tous les potins du pays. Elle annonce le mariage d'une fille Bonnarjaud avec Gaillard du Gougier, le plus beau garçon de la région, qui l'a mise enceinte. Jamais Sido n'aurait accepté que sa fille se marie dans ces conditions.
Le rire : Les soucis de Sido : des enfants sans fortune, un mari handicapé, la maladie… – La mort du Capitaine à 74 ans; ses funérailles à Châtillon; le retour à la maison; l'impatience de porter des vêtements de deuil; le rire de Sido devant un petit chat.
Ma mère et la maladie : En 1906, Colette fait du théâtre où elle se permet "des excentricités". – Sido est vieillie, malade; elle regarde passer un enterrement. – Elle attend son fils, médecin, qui revient de sa tournée dans la campagne. Elle ne veut pas l'inquiéter.
Ma mère et le fruit défendu : Sido est à Châtillon dans sa "petite maison"; ses forces l'abandonnent; son fils médecin vient chaque jour. Pourtant elle veut continuer, même en se blessant, à s'occuper de la maison, à déplacer une armoire, à scier des bêches dans la cour.
Sido : Minet-Chéri est mariée à Paris. Le caractère de Sido se révèle dans les critiques qu'elle adresse aux Parisiens. – Les jardins et les voisins. – Les saisons dans le jardin. – Gabrielle et ses promenades matinales. – Sido et sa fille dans le jardin. – Sido et la religion. – Sido et son goût de la province. – Sido et les éléments (elle est enceinte de Léo). – Gabrielle va porter des fleurs à la voisine, Adrienne Saint-Aubin.
Le Capitaine 1: Le Capitaine et ses enfants. Ses colères. Sa frivolité de commande. Son habitude de chanter pour dissimuler ses ennuis d'argent et les soucis que lui causent ses fermes (les Lamberts, la Forge, les Mées, les Choslins). – Son passé de soldat et sa blessure dont il ne parle pas. – Son désir de faire de la politique.
Le Capitaine 2 : Les parties de campagne qu'il organise à la Guillemette. – Les loups de la Puisaye. – Sa tristesse de l'amputé. – Sa légion d'honneur. – Ses rapports avec Sido. – A Châtillon-Coligny (ainsi appelé depuis 1896), son amour pour Sido malade (cancer du sein).
Le Capitaine 3 : Chez Mme B* qui croit aux esprits. – Après la mort du Capitaine, on trouve dans sa bibliothèque une douzaine de livres reliés, avec seulement des pages blanches et une dédicace à Sido; ce sont les livres qu'il aurait voulu écrire; le papier servit à Achille pour ses ordonnances, à Sido pour son courrier…
Les Sauvages 1 : Les deux garçons, sobres et vertueux. Des caractères différents. "Le prurit de posséder les secrets d'un être à jamais dissous". Léo musicien. "La vieille glacière du château, souterrain tronqué qui datait de quatre siècles". Léo réclame "deux sous de pruneaux et deux sous de noisettes", pour le seul plaisir de demander. – Départ chaque trimestre pour Auxerre à deux heures du matin dans la victoria; Léo grimpé à une colonne de fonte. – Juliette isolée au sein de sa famille. – Les dons de Léo pour le piano. Le "sylphe". Clerc de notaire. Les épitaphes. Visite sa soeur au Palais-Royal; lui raconte son passage à Saint-Sauveur (le chemin des Roches, la Cour du Pâté, le château asile de vieillards; "ils ont huilé la grille!").
Les Sauvages 2 : Les lectures des deux frères vers 1881 (taxer le mot "mignonne"). – La rue des Vignes, venelle déserte qui menait aux jardins potagers éparpillés dans le vallon de Saint-Jean. – Allongés sur le faîte du mur. – Les filles. Leurs "jeux".
Les Sauvages 3 : Leurs rapports avec Mathieu M* dont ils s'amusent.
Les Sauvages 4 - Juliette se marie à 25 ans. Les deux garçons vont organiser une messe en musique. – Le mariage.

 


SAINT-SAUVEUR EN LITTÉRATURE

L'écrivain que "Colette" était devenue a fait de la Puisaye, de Saint-Sauveur, de ses parents une sorte de mythe, un mythe que la réalité, inévitablement, devait contredire. Quand, en 1939, son frère Léo lui rendit une dernière visite, elle en profita pour mettre à l’épreuve ses propres souvenirs : qu’est devenu le chemin de Thureau et ses châtaigniers ? le chemin des Vrimes et ses bois de hêtres ? Mais Colette se doutait bien que le temps avait fait son œuvre et que le chemin de Thureau et le chemin des Vrimes n’existaient plus qu’au fond de sa mémoire… Alors, quand son "pauvre vieux frère" Léo mourut à Bléneau, en mars 1940, elle sentit qu’elle était libre désormais de rêver Saint-Sauveur à sa guise, sans craindre d’être contredite par un frère… ou par la réalité, si elle avait eu l'imprudence d'y retourner.

Une lecture attentive des œuvres montre que l'image qu'elle y donne de Saint-Sauveur se caractérise à la fois par son exactitude et par de multiples petites corrections qui ne sont pas des défaillances de la mémoire, mais des choix volontaires ou inconscients. Par exemple :
— Elle n’a décrit ni la halle, ni le champ de foire; s’il fallait l’en croire, le village n’était peuplé que de vieilles dames, de paysans lourdauds et de jeunes écolières mal lavées.
— Elle n’évoque les alentours de Saint-Sauveur que vides des paysans, des bûcherons, des pêcheurs, des promeneurs; elle ne retient que “le silence dominical des bois d’où se sont retirés les bûcherons et la route forestière détrempée où roule mollement une vague de brouillard”.
— Elle ne veut pas voir les cochons boueux, les vaches crottées, la poussière des aires de battage; elle recherche les tendres animaux domestiques, “l’émouvante humidité des fleurs”, “des toisons et plumes tièdes”, une sorte de volupté délicate plutôt que les réalités de la terre.
— La vraie Puisaye, pour elle, c'est un pays de fontaines, d'étangs embrumés (mais sans la boue de la berge); elle déprécie injustement le Loing ("pas de quoi laver les pattes d'un moineau") parce qu'il contredit son idée d'un pays d'étangs et d'eaux stagnantes.
— Elle ira jusqu'à parler d'un Saint-Sauveur "sans chemin de fer ni électricité, loin des collèges et des grandes villes", alors que la gare y fut inaugurée en 1890; ou bien elle dira que les candidates au brevet mettaient trois heures par le train entre Montigny et Auxerre, alors qu'il n'y a que 40 kilomètres! Un peu comme si elle cherchait à créer le mythe d'un lieu inaccessible (sous l'influence du Grand Meaulnes ?), comme si le pays natal devait rester le lieu des prodiges ("Cet hiver-là, j’allais à l’école entre deux murs de neige plus hauts que moi…").

Dès 1908, dans Les Vrilles de la Vigne, Colette a prévenu que le "pays de merveilles" qu'elle a créé par l'écriture n'existe pas : "J’ai parlé en songe… Que t’ai-je dit ? Ne le crois pas ! Je t’ai parlé sans doute d’un pays de merveilles, où la saveur de l’air enivre ?… Ne le crois pas ! N’y va pas : tu le chercherais en vain. Tu ne verrais qu’une campagne un peu triste, qu’assombrissent les forêts, un village paisible et pauvre, une vallée humide, une montagne bleuâtre et nue, qui ne nourrit pas même les chèvres…"

C'est plus tard qu'elle accepta de montrer Saint-Sauveur tel qu'il fut. Par exemple :
"Mon pays d'origine s'est arrogé une misère étalée, à enfants nombreux qui, pour contenter les besoins de leur corps, dépassaient à peine le seuil, souillaient la rue et la ruelle. Ignorant tout de l'Orient en haillons, ils créaient pourtant le souk, revendiquaient le droit d'être nus, malades, grumeleux, faisaient du faubourg un piège et de la venelle un antre. Une sente servait de dépotoir à ces séquelles impudiques."
"Sido faisait de la liqueur de cassis. Quand les grains avait jeté tout leur suc, on jetait le marc à la basse-cour, encore tout imprégné d'alcool. Si vous aviez pu voir les poules! Raides soules, titubantes, piaillantes et chantant des chansons de corps de garde…" (lettre de 1947 à Pierre Blanchar).

 


BIBLIOGRAPHIE

Robert Coiplet, Colette dans les paysages de son enfance,
dans "Demeures inspirées et sites romanesques", t. III, 1958, p. 347-355

Robert Phelps, Autobiographie tirée des œuvres de Colette, 1966

Marguerite Boivin, Sur les pas de Colette à Saint-Sauveur, 1981

Claude Pichois, Album Colette, NRF, 1984

Jean-Pierre Brésillon, La Bourgogne de Colette, Edisud, 1983

Magazine littéraire de juin 1989 : Dossier Colette, p. 16 à 51.

Alain Fildier, Colette, sa famille, ses amis à Châtillon-Coligny, 73 p., éd. Fildier-Cartophilie, 1992

Elisabeth Charleux-Leroux et Marguerite Boivin, Avec Colette de Saint-Sauveur à Montigny, Cahiers Colette, 1995

Claude Pichois et Alain Brunet, Colette, De Fallois, 2004

Gérard Bonal et Michel Rémy-Bieth, Colette intime, 2004

Gérard Bonal, Colette, 2014

http://maisondecolette.fr/

http://www.amisdecolette.fr/

http://tempsreel.nouvelobs.com/culture/20160523.OBS1029/la-maison-de-colette-ressuscitee.html

http://www.parismatch.com/Culture/Livres/Colette-la-maison-du-bonheur-perdu-980437


TEXTES DE COLETTE, de Saint-Sauveur à Châtillon

COLETTE DANS LES PAYSAGES DE SON ENFANCE, par Robert Coiplet

L'ASSOCIATION ORLÉANISE GUILLAUME-BUDÉ AU PAYS DE COLETTE en juin 1977

LA MAISON DE COLETTE RESTAURÉE EN 2016

 


QUELQUES IMAGES DE SAINT-SAUVEUR-EN-PUISAYE

photos JN (1977)

SAINT-SAUVEUR AU MILIEU DES ÉTANGS DE PUISAYE

 

Etang   Saint-Sauveur

 

LA MAISON DE COLETTE À SAINT-SAUVEUR-EN-PUISAYE

 

Maison extérieur   Maison extérieur 2
     
Maison perron   Maison porche
     
Maison cour   Maison 2

 

LE JARDIN en 1977

 

Jardin 4   Jardin 3
     
Jardin 1   Jardin 2

 

L'ÉGLISE DE SAINT-SAUVEUR

 

Eglise 4   Eglise 2

 

LA TOUR "SARRASINE" DU XIIe SIÈCLE

 

Tour 3   Tour 2

 

L'ÉCOLE DE SAINT-SAUVEUR

 

Ecole 1   Ecole 5

 

LE CHÂTEAU-MUSÉE

 

Musée extérieur 1   Musée extérieur 2
     
Musée intérieur 1  
Musée intérieur 2
     
Musée chambre 2   Musée chambre 3
     

Saint sauveur plan

SAINT-SAUVEUR-EN-PUISAYE

Chatillon plan

CHATILLON-COLIGNY


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