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VIRGILE MAGICIEN SE VENGE DE LA FEMME QUI L'A RIDICULISÉ EN LE SUSPENDANT DANS UN PANIER


 

MBAO- 2008.0.214

Lucas de Leyde (c. 1494-1533),
Le poète Virgile suspendu dans un panier est exposé aux quolibets des habitants de Rome, 1525


MBAO- 2008.0.266

Pietro Bonaccorsi (1500-1547) inv., Enea Vico (1523-1567) grav.
Virgile, suspendu dans son panier, se venge en obligeant les habitants de Rome à venir prendre le feu au sexe de la femme qui l'a humilié.
Au verso, au crayon : "Punition de la MaItresse du Magicien Virgile. Pièce curieuse./ Les peuples de Rome privé de feu allument leurs flambeaux/ au foyer de l'Impudique".


Au Moyen Age, Virgile fut présenté comme un magicien. Un légende le montra capable de se venger d'une femme qui avait voulu le ridiculiser : la femme l'exposa à la risée de tous en l'exposant accroupi dans un panier accroché à la façade du palais royal; mais Virgile se vengea en obligeant le peuple de Rome à venir prendre le feu "au cul" dénudé de la dame.
Cette légende apparaît dans de nombreux textes.


TEXTES

Antonio Pucci dans son Contrasto delle donne ("Débat des Dames")  (XIVe siècle) :

Diss' una che Virgilio avia 'n balìa :
– Vieni stasera, ed entra nella cesta   
E collerotti a la camera mia. –
Ed ei v' entrò, ed ella molto presta
Il tirò su ; quando fu a mezza via
Il canape attaccò, e quivi resta ; 
E la mattina quando apparve il giorno
Il pose in terra con suo grande scorno. 
Virgilio avea costei tanto costretta 
Per molti modi con sua vanitade
Ch'ella pensò di farli una beffetta
A ciò che correggiesse sua retade ;
E fe' quel che tu dì non per vendetta
Ma per difender la sua castitade ;
Ver' è che poi, con sua grande scïenza,
Fece andar sopra lei aspra sentenza.
Une dame que Virgile aimait lui dit :
– Viens ce soir, et entre dans la corbeille
Et je te hisserai dans ma chambre. –
Il entra dans la corbeille, et elle, très vite,
Le tira vers le haut ; mais quand il fut à mi-course
Elle attacha la corbeille, et il resta là ;
Et le matin quand parut le jour
Il fut descendu  à sa grande honte
Virgile avait tant importuné cette femme
De multiples façons, avec sa suffisance
Qu'elle pensa lui jouer ce tour
Pour corriger son arrogance.
Ce que tu as dit, elle ne le fit pas par vengeance
Mais pour défendre sa chasteté ;
Il est vrai que après, avec sa grande science,
Virgile fit tomber sur elle une dure sentence.

La vengeance de Virgile est ainsi résumée :

Fece a una città manchare il fuocho per modo che niuna persona ne potea avere sennone andasse ad acciendere alla natura d'una donna chellavea inghannato e schernito, e non ne potea dare l'uno all' altro. Il fit disparaître le feu dans une ville d'une manière telle que personne ne pouvait s'en procurer sinon en allant en prendre au sexe d'une femme qui l'avait trompé et ridiculisé ; et il n'était pas possible de s'en donner les uns aux autres.

Source : Comparetti-Pasquali, Virgilio, t. II, 1941, p. 118 (pour le premier texte), p. 225-226 (pour le second)
 


Jean d'Outremeuse, Myreur des Histors (milieu du XIVe s.)

Dans cette version, Virgile, plus malin que la fille, ne se laisse pas ridiculiser.

Le renom du gran clers et du prophète est si grand à Rome qu'il est parvenu jusqu'à la cour, où la fille de l'empereur a entendu vanter sa prestance, sa noblesse, sa bonté ; et voilà que, sans même l'avoir vu, la princesse tombe amoureuse du beau Virgile… (la filhe l'emperere Julin, qui par son nom fut appelée Phebilhe, mult fut de Virgile soprise [= éprise]) ; elle vient le saluer, il s'incline mult gentinement, ils causent et elle lui fait franche proposition : Sire Virgile, dites-moy se vos aveis amie ; car se vos me voleis avoir, je suy vostre por prendre a femme ou estre vostre amie, s'il vos plaiste. À quoi Virgile répond qu'ilh n'avoit nulle entente [= intention] de femme prendre, mains, se chu astoit son plaisier, ilh l'aimeroit volentiers […] la chouse alat tant que Virgile fist de la damoisel tout son plaisier.
Les amants vont être très heureux pendant quelque temps, puis Phebilhe insiste à nouveau pour que Virgile l'épouse, ce qu'il refuse, car sa seule passion est d'étudier sans cesse. Furieuse, la princesse tente un chantage au mariage, qui échoue, et décide alors de se venger. Elle invite Virgile à la rejoindre, en petite compagnie et à l'insu de l'empereur son père, dans une tour d'où elle fera descendre une corbilhe.
Mais lui, méfiant, prend une double précaution : d'une part, il se fait accompagner de sénateurs que ses sortilèges ont rendus invisibles et qu'il emmène avec lui dans sa résidence de campagne ; d'autre part, il confectionne et habille à sa ressemblance une figure placée dans la corbeille que Phebilhe et ses amies vont hisser à mi-hauteur de la tour, mais là… elles l'arrêtent. C'est donc le mannequin Virgile qui adjure sans succès la donzelle de le faire monter ou descendre. La nuit passe, le jour vient, les filles commencent à crier et à faire grant noise, l'empereur et ses barons accourent à cheval ; accusant le galant d'avoir malmené son honneur, la princesse laisse choir le panier et le père frappe de son épée la tête du séducteur… avant que l'on s'avise que la figure […] n'astoit mie Virgile. Néanmoins tous l'assaillent, et le mannequin remonte alors, pour redescendre et remonter cent fois, tel un ludion. Tandis que la cour s'épuise en vain à saisir le vertigineux promeneur, le "véritable" Virgile festoie en sa maison avec ses amis sénateurs, qui assurent son alibi ! Finalement, les Romains ne mettront la main que sur une figure d'étoupes dont l'esprit s'est évanoui ; l'empereur est déconcerté et perplexe, mais la reine crie vengeance et veut la tête de Virgile. Celui-ci saisit alors sur un feu un charbon ardent, l'éteint de son souffle, le réduit en poussière… et tous les feux de Rome s'éteignent. L'empereur se résout à dépêcher les sénateurs auprès de Virgile pour négocier la paix; mais le héros, triomphant et madré, par un autre tour de magie, organise au temple où sont venues prier les Romaines une confession générale au cours de laquelle Phebilhe révèle publiquement sa liaison. Nouvelle fureur de la reine, et Virgile, narquois, emporte à nouveau le feu de Rome en imposant ses conditions pour le rendre : Phebilhe sera exposée dans la fameuse tour, nue à sa fenêtre et c'est… dans l'intimité de sa personne, et là seulement, que tous cascons venrat […] prendre le feu. Tout se termine par une liesse populaire et la déconfiture de Phebilhe, morte de honte, tandis que les femmes doivent devant l'emperere crieir merchi, et apres à Virgile […] : enssi fut la paix confirmée.


Jean Mansel, La Fleur des histoires (milieu XVe s.), d'après Mss. B. N. Fr. 302, f° 602 V° b et 603 R° a

Et encore dist-on de Virgile que une dame de Romme le trompa et que elle le laissa pendant à une corbeille une nuit, et tout le jour ensieuvant. Elle lui eut promis qu'il coucheroit celle nuit aveucq elle. Or doncques, le sage fol vint à la journee assignee pour monter en la chambre de la dame, et elle lui devala [= descendit] une corbeille à une corde. Virgile entra dedens la corbeille et la dame le tira pres jusques de la fenestre en hault et la le lessa, pendant en tel lieu que tous ceulx de la cite le peurent veir [...] tout le lendemain, dont Virgile eut si grant deul que il cuida yssir du sens [= si grand deuil qu'il pensa sortir de raison].
Mais il pugnist trop bien la dame car, comme dist l'istore, il fist par son art estaindre tout le feu d'entour Romme à sept mil pres de la cite et fist que nul ne povoit
[...] recouvrer le feu, se il n'en prenoit au cul de la dame. Elle eut à nom Liegart [= joyeuse garce], qui fu à la dame une honteuse pugnition car moult estoit mignote. O ! comme maint sage et maint fol hommes ont esté par femmes deceuz [= trompés], et seront encore sans doubte s'ils ne les fuyent. Moult est femme decepvant quant elle s'y applicque.


Giovanni Sercambi, Il Novelliere (début XVe s.)

            La pièce 48 du Novelliere, intitulée De recto amore et giusta vendecta, porte comme sous-titre Di Vergilio, quando romase apiccato a messo lo muro per amore di una figliuola dello 'mperadore la quale avea nome Isifile. [Quand Virgile resta bloqué au milieu du mur à cause de l'amour d'une fille de l'empereur qui s'appelait Isifile]. La nouvelle situe les événements dans la Rome d'Hadrien, fait de l'héroïne féminine la fille de l'empereur, et lui donne le nom d'Isifile, l'Hypsipyle (Ὑψιπύλη) de la mythologie grecque (référence à Dante, Inferno, XVIII, 91-93) où Jason est censé avoir trompé et abandonné, seule et enceinte, cette jeune Isifile « qui avait déjà trompé toutes ses sœurs ».

Avant que le Christ ne s'incarne en la Vierge Marie, régnait à Rome un empereur appelé Hadrien. Il avait une fille, déjà grande, du nom d'Isifile. Il la tenait enfermée dans une très belle tour, la nuit et parfois aussi la journée, quand elle ne sortait pas de chez elle pour se promener dans la ville, ce qui ne lui arrivait pas souvent.
Il se fit qu'à cette époque le poète Virgile fut chassé de Mantoue. Poète et grand maître dans les arts magiques, il était à Rome depuis longtemps déjà lorsqu'il aperçut un jour Isifile. Elle lui plut. On était en mai, et il tomba amoureux d'elle au point de ne pas attendre longtemps avant de lui laisser entendre tout le bien qu'il lui voulait. Après beaucoup d'échanges entre eux, Isifile, pour le tromper, lui fit savoir qu'elle était contente d'accéder à ses désirs, mais qu'elle ne voyait pour lui qu'un seul et unique moyen de la rejoindre. Ce moyen était un peu pénible, mais elle le croyait faisable. C'était le suivant. Une fois que son père lui aurait accordé la permission de faire monter dans sa tour un panier de roses, Virgile s'y installerait ; elle tirerait à elle le panier et ils prendraient leur plaisir. Après cela Virgile repartirait par le même chemin. Telle est la réponse qu'elle lui fit parvenir.
Virgile, aveuglé par l'amour qu'il avait pour elle, tout content, dit qu'il était prêt à entrer dans la corbeille, et à se faire hisser par elle. L'affaire ainsi réglée, Virgile prit place dans le panier. La perfide Isifile tira Virgile jusqu'à mi-hauteur de la tour et l'y laissa suspendu toute la nuit jusqu'au lendemain midi.
Virgile, se voyant trompé et incapable pendant longtemps de monter et de descendre, avait voulu à plusieurs reprises, par désespoir, sortir du panier et se laisser tomber à terre ; mais se fortifiant l'esprit à l'idée de se venger en temps opportun du sale tour que lui avait joué Isifile, il s'était gardé de sortir du panier.
La méchante Isifile, après avoir fait souffrir Virgile plus de seize heures, estima le temps venu de jeter la honte sur lui. Elle envoya chercher l'empereur son père, et à son arrivée lui dit : « Père bien-aimé, vengez-moi du déshonneur qu'a voulu m'infliger ce méchant homme ! ».
L'empereur dit : « Qui a eu l'audace de vouloir déshonorer la fille de l'empereur ? ». Isifile répondit : « Père bien-aimé, après que vous m'ayez donné la permission de tirer un panier de roses dans la tour, un certain Virgile de Mantoue, trompant l'homme qui amenait les roses, entra dans le panier. Je l'ai hissé, couvert comme il l'était avec les roses. Mais en voyant que le panier pesait beaucoup plus que des roses, je suis allée à la fenêtre de la tour quand le panier était à mi-hauteur, et j'ai vu Virgile. Alors, j'ai  bloqué la corde pour que vous puissiez le voir et le punir comme il le mérite. »
Allant à la fenêtre, l'empereur vit Virgile, qu'il fit immédiatement descendre et jeter en prison. Après de longues délibérations, on décida de le mettre à mort.
Vint le jour où Virgile devait mourir, et on lui fit connaître la sentence. Virgile avait été conduit sur le lieu de son exécution, quand soudain, par un tour de magie, il se fit apporter par un de ses domestiques un bassin plein d'eau. Il y plongea la tête en disant : « Celui qui veut trouver Virgile, qu'il aille le chercher à Naples ». Et immédiatement il fut pris par les esprits malins et conduit à Naples.
Lorsque l'empereur fut informé de l'évasion de Virgile, il s'en émerveilla.
Quant à Virgile, il ne mit pas longtemps à chercher à se venger de la tromperie d'Isifile. En utilisant la magie, il fit en sorte que, d'un seul coup, on ne put plus trouver de feu à Rome : il n'était possible ni d'en amener d'aucune manière, ni d'en faire allumer.
L'empereur fut vivement interpellé par le peuple. Les gens disaient : « Nous périssons, et nous sommes forcés de quitter Rome si nous ne voulons pas mourir ». L'empereur, ignorant l'origine de cette situation, ne répondit pas.
Alors Virgile, qui sait tout, lui fit savoir qu'on ne trouvera plus jamais de feu à Rome, si ce n'est celui qu'on irait prendre au cul de sa fille, Isifile (dal culo di Isifile sua figliuola si prendesse). Il fit aussi savoir que si quelqu'un donnait de ce feu-là à quelqu'un d'autre, les deux verraient s'éteindre leur feu.
L'empereur, réalisant la situation critique du peuple romain, mit au second plan la honte de sa fille et ordonna qu'elle se tienne sur la place publique, cul nu et relevé. Et celui qui voulait du feu s'amenait avec du coton, du chiffon, de l'étoupe, le plaçait au cul de Isifile, et aussitôt le feu y prenait.
 Et il se fit de cette façon que tous les Romains, hommes et femmes, virent le cul de Isifile, parce que celle-ci n'avait pas voulu que Virgile le voie. C'est ainsi que l'empereur et sa fille furent couverts de honte, comme personne ne l'avait jamais été.

Source : Giovanni Sercambi, Il Novelliere, a cura di Luciano Rossi, Rome, 3 vol., 1974. La nouvelle 48 se trouve en I, p. 279-282.


À la fin du XVe siècle, à Rome, certains guides signalaient encore aux passants curieux la fenêtre du "Virgile pendu". Jean de Tournai, marchand établi à Valenciennes, se trouvant à Rome en 1488, note : "Assez près [du Colisée] on void la fenestre où on dict que Virgille fut pendu par une femme en une mande. Puis ung peu plus oultre de ladicte place est le lieu où ceulx dudict Rome et aussy de VII lieues là entour venoient bouter la chandeille au derière de ladicte femme quy avoit pendu Virgile en une mande. Et sy ne pooit on allumer milles chandeilles l'ung à l'aultre et estoit forcé que chacune personne pour avoir du feu vint audict Romme et bouta la chandeille au derière de ladicte femme."


ICONOGRAPHIE

La scène de Virgile dans son panier et celle des habitants venant pendre le feu "au cul" de la jeune fille a été souvent représentée, en sculpture, en dessin et en gravure.

Source : Un autre Virgile. Le regard médiéval (2) par Marie-Paule Loicq-Berger, chef de travaux honoraire de l'Université de Liège. [http://bcs.fltr.ucl.ac.be/FE/21/VirMed/Vir2.htm]

 


Chapiteau du XIVe s. de l'église Saint-Pierre de Caen (le visage de la femme est abîmé)



Colonne du XVe s. du cloître de Cadouin
(il reste, à g., le buste de la femme et l'amorce de la corde qui tenait le panier, lui-même disparu)



Fragment du monument funéraire de Philippe de Commines (mort en 1511) dans la cour de l'École des Beaux-Arts



Un dessin à la plume exécuté dans l'école de Jörg Breu l'Ancien (fin XVe - début XVIe siècle) (Louvre, Inv. gén. 69 [22.688])



Lambert Lombard, lavis,  c. 1560


Albrecht Gelmers, Virgile au panier, miséricorde de l'église Sainte-Catherine de Hoogstraten (XVIe s.)

L'amante de Virgile invite un Romain à venir se moquer du poète dans son panier. Mais elle ne sait pas ce qui l'attend… qui ne peut être représenté dans une église !


Gravure de l'Allemand Georg Pencz (c. 1500-1550)

On vient allumer lampes et torches au sexe de la femme, honteuse de ce qui lui arrive.


Cul-de-lampe d'une maison du XVIe s. à Audenarde (Belgique)


Frontispice d'une édition de l'Énéide, Paris, 1529

Une édition de l'Énéide de 1529 illustre les deux parties de la légende : Virgile honteux dans son panier et la femme humiliée devant les Romains qui viennent prendre le feu à son sexe.


Camée sur coquille, travail français du XVe siècle, conservé au Cabinet des médailles de la Bibliothèque nationale

Un vieux Roman enseigne à un jeune garçon où il peut allumer sa chandelle.

On lit : "LE FEV AV CU DE LA DAME DE VIRGILE"


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