PYGMALION TOMBE AMOUREUX DE LA STATUE QU'IL VIENT DE SCULPTER
Pygmalion, qui se méfiait des femmes, à cause des vices que la nature leur a départis, était resté célibataire. Mais il sculpta dans l'ivoire un corps de femme nue et il en tomba amoureux. À sa prière Vénus donna la vie à cette statue, qui devint une vraie femme. Et Galatée, neuf mois plus tard, lui donna un enfant.
Jean RESTOUT II, Pygmalion amoureux de sa statue, pierre noire et craie, 1745
Etienne Pierre Adrien GOIS, Pygmalion et Galatée, plume et lavis, 1781
Un petit Amour prévient Pygmalion que l'ivoire est bien devenu chair,
un autre vérifie que la transformation en femme est complète.
OVIDE, Métamorphoses, X, 243 sq | |
Quas quia Pygmalion aevum per crimen agentis |
Pygmalion, pour les avoir vues mener une existence vouée au crime, plein d'horreur pour les vices que la nature a prodigalement départis à la femme, vivait sans épouse, célibataire, et se passa longtemps d'une compagne partageant sa couche. Cependant, avec un art et un succès merveilleux, il sculpta dans l'ivoire à la blancheur de neige un corps auquel il donna une beauté qu'aucune femme ne peut tenir de la nature; et il conçut de l'amour pour son oeuvre. Elle avait toute l'apparence d'une véritable vierge, que l'on eût crue vivante et, si la pudeur ne l'en empêchait, désireuse de se mouvoir : tant l'art se dissimule grâce à son art même. Pygmalion s'émerveille, et son coeur s'enflamme pour ce simulacre de corps. Souvent il palpe des mains son oeuvre pour se rendre compte si c'est de la chair ou de l'ivoire, et il ne s'avoue pas encore que c'est de l'ivoire. Il lui donne des baisers et s'imagine qu'ils lui sont rendus ; il lui parle, il la serre contre lui et croit sentir céder sous ses doigts la chair des membres qu'ils touchent ; la crainte le prit même que ces membres, sous la pression, ne gardassent une marque livide. […] Le jour de la fête de Vénus, que tout Cypre célébrait en foule, était venu ; les génisses au cou de neige, l'arc de leurs cornes tout revêtu d'or, étaient tombées sous le couteau, et l'encens fumait à cette occasion ; Pygmalion, les rites accomplis, se tint debout devant les autels et, d'un ton craintif : « S'il est vrai, ô dieux, que vous pouvez tout accorder, je forme le voeu que mon épouse soit - et comme il n'ose dire : la vierge d'ivoire - semblable à la vierge d'ivoire » dit-il. Vénus, qui assistait en personne, resplendissante d'or, aux fêtes données en son honneur, comprit ce que voulait dire ce souhait et, présage de l'amitié de la déesse, la flamme trois fois se raviva et une langue de feu en jaillit dans l'air. Rentré chez lui, Pygmalion se rend auprès de sa statue de jeune fille et, se penchant sur le lit, il lui donna des baisers. Il lui sembla que sa chair devenait tiède. Il approche de nouveau sa bouche ; de ses mains il tâte aussi la poitrine : au toucher, l'ivoire s'amollit, et, perdant sa dureté, il s'enfonce sous les doigts et cède, comme la cire de l'Hymette redevint molle au soleil et prend docilement sous le pouce qui la travaille toutes les formes, d'autant plus propre à l'usage qu'on use davantage d'elle. Frappé de stupeur, plein d'une joie mêlée d'appréhension et craignant de se tromper, l'amant palpe de nouveau de la main et repalpe encore l'objet de ses voeux. C'était un corps vivant : les veines battent au contact du pouce. Alors le héros de Paphos, en paroles débordantes de reconnaissance, rend grâce à Vénus et presse enfin de sa bouche une bouche qui n'est pas trompeuse. La vierge sentit les baisers qu'il lui donnait et rougit; et, levant un regard timide vers la lumière, en même temps que le ciel, elle vit celui qui l'aimait. A leur union, qui est son ouvrage, Vénus est présente. Et quand, pour la neuvième fois, le croissant de la lune se referma sur son disque plein, la jeune femme mit au monde Paphos, de laquelle l'île tient son nom. |
MBAO-1861
Henri Triqueti (1803-1874),
Pygmalion vient de sculpter un jeune éphèbe