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POLYXÈNE EST SACRIFIÉE POUR QUE LA FLOTTE GRECQUE PUISSE QUITTER TROIE


Lors de l'ambassade de Priam venu racheter le corps d'Hector, Achille avait remarqué et désiré sa fille cadette, Polyxène. Il l'avait même demandée en mariage à Priam, en promettant de cesser de combattre pour les Achéens et de les trahir s'il pouvait l'obtenir. Priam avait accepté que leur accord soit signé dans un temple d'Apollon situé entre Troie et la camp des Grecs. Mais Pâris, le frère de Polyxène, dissimulé derrière la statue du dieu, tua Achille d'une flèche au talon (Achille s'était déchaussé pour entrer dans le temple). Polyxène, qui aimait Achille, fut au désespoir et se réfugia chez les Grecs, qui élevèrent pour le corps du héros un tombeau au bord de la mer.
Troie une fois prise et détruite, alors que les Grecs attendaient des vents favorables pour partir, une voix sortit de ce tombeau : Achille demandait que Polyxène, dont il avait été amoureux, fût sacrifiée.

Des Grecs vinrent l'arracher des bras de sa mère Hécube.

Esquisse attribuée à Léon COGNIET (1794-1880) sous le titre de Scène antique, en fait Polyxène arrachée des bras de sa mère.

MBAO - Dépôt du musée de Chartres

Les adieux de Polyxène à Hécube
par François-Guillaume Ménageot (1744-1816)

 

Ovide, Métamorphoses, XIII, 446-450

Litore Threicio classem religarat Atrides,
dum mare pacatum, dum ventus amicior esset.
Hic subito, quantus cum viveret esse solebat,
exit humo late rupta similisque minanti
temporis illius vultum referebat Achilles,
quo ferus injusto petiit Agamemnona ferro :
"Immemores" que "mei disceditis," inquit, "Achivi,
obrutaque est mecum virtutis gratia nostrae?
Ne facite ; utque meum non sit sine honore sepulcrum,
placet Achilleos mactata Polyxena manes.
Dixit et inmiti sociis parentibus umbrae
rapta sinu matris, quam jam prope sola fovebat.

Le fils d'Atrée, Agamemnon, avait amarré ses vaisseaux sur le rivage de la Thrace, en attendant que la mer fût plus calme et le vent plus favorable. Tout à coup, de la terre largement ouverte, surgit Achille, aussi grand que de son vivant et lançant des regards pleins de menace; son visage avait la même expression que le jour où, poussé par une injuste fureur, il attaqua Agamemnon le fer à la main: "Ainsi, dit-il, vous partez sans songer à moi, Achéens? Le souvenir de ce que vous devez à ma vaillance a donc été enseveli avec moi? Arrêtez; ne laissez pas mon tombeau sans hommage, apaisez les mânes d'Achille en leur immolant Polyxène!" Il dit et, pour obéir à cette ombre cruelle, les alliés arrachent du sein de sa mère celle qui, presque seule maintenant, l'entourait encore de tendresse.

C'est Néoptomème, le fils d'Achille, qui se chargea d'immoler la jeune fille sur le tombeau de son père. Polyxène découvrit elle-même l'endroit où il devait la frapper.

Nicolas PRÉVOST (1604-1670), Le Sacrifice de Polyxène sur le tombeau d'Achille, huile sur toile

OVIDE, Métamorphoses, XIII, 451-475

Fortis et infelix et plus quam femina virgo
ducitur ad tumulum diroque fit hostia busto.
Quae memor ipsa sui, postquam crudelibus aris
admota est sensitque sibi fera sacra parari
utque Neoptolemum stantem ferrumque tenentem
utque suo vidit figentem lumina vultu :
"Utere jamdudurn generoso sanguine;" dixit
"nulla mora est; aut tu iugulo vel pectore telum
conde meo." Jugulumque simul pectusque retexit.
"Scilicet haud ulli servire Polyxena vellem ;
haud per tale sacrum numen placabitis ullum.
Mors tantum vellem matrem mea fallere posset ;
mater obest minuitque necis mihi gaudia, quamvis
non mea mors illi, verum sua vita gemenda est.
Vos modo, ne Stygios adeam non libera manes,
este procul, si justa peto, tactuque uiriles
virgineo removete manus ; acceptior illi,
quisquis is est, quem caede mea placare paratis,
liber erit sanguis ; siquos tamen ultima nostri
verba movent oris (Priami vos filia regis,
nunc captiva rogat) genetrici corpus inemptum
reddite ; neve auro redimat jus triste sepulcri,
sed lacrimis. Tune, cum poterat, redimebat et auro."
Dixerat ; at populus lacrimas, quas illa tenabat,
non tenet.

Cette princesse, que son courage élève au-dessus de son sexe et de son malheur, est conduite en victime sur la tombe d'Achille. Digne fille des rois, elle arrive à cet autel barbare, et voyant les funestes apprêts du sacrifice, Néoptolème debout, qui tient le couteau sacré, et attache sur elle ses regards : « Répands, dit-elle, ce sang illustre et pur : que rien ne t'arrête; plonge le fer dans ma gorge ou dans mon sein (et en même temps elle présente l'une et l'autre). Polyxène craint moins la mort que l'esclavage. Mais aucune divinité ne peut être apaisée par ce sacrifice inhumain. Je voudrais seulement que ma mère trompée put ignorer ma mort. Ma mère trouble seule la joie que m'offre le trépas; et cependant, ce n'est pas ma mort qui doit l'affliger, c'est sa vie. Vous, ô Grecs, éloignez-vous : laissez-moi descendre libre chez les morts. Si ma prière est juste, ne portez point sur moi vos mains, et respectez mon sexe. Quels que soient les mânes que vous cherchiez à apaiser, mon sacrifice leur sera plus agréable, devenu volontaire. Si mes derniers voeux peuvent vous toucher, écoutez la fille de Priam et non votre captive. Rendez à ma mère mon corps sans rançon. Que l'or ne rachète point le triste droit du tombeau, accordez-le à ses pleurs. Autrefois elle avait des trésors, et s'en servait pour racheter ses enfants. » Polyxène se tait : le peuple ne peut retenir ses pleurs, elle retient les siens.



Pierre-Jacques CAZES (1676-1734), Le Sacrifice de Polyxène

EURIPIDE, Hécube, 521-580 : Talthybius raconte à Hécube la mort de sa fille

Παρῆν μὲν ὄχλος πᾶς Ἀχαιικοῦ στρατοῦ
πλήρης πρὸ τύμβου σῆς κόρης ἐπὶ σφαγάς·
λαβὼν δ' Ἀχιλλέως παῖς Πολυξένην χερὸς
ἔστησ' ἐπ' ἄκρου χώματος, πέλας δ' ἐγώ·
λεκτοί τ' Ἀχαιῶν ἔκκριτοι νεανίαι,
σκίρτημα μόσχου σῆς καθέξοντες χεροῖν,
ἕσποντο.

L'armée grecque tout entière se pressait en foule devant le tombeau, pour être témoin du sacrifice de ta fille. Le fils d'Achille saisit Polyxène par la main, et la place sur le tombeau même. J'étais auprès de lui ; de jeunes guerriers, l'élite de la Grèce, se montraient prêts à contenir les mouvements de la tendre victime.

Πλῆρες δ' ἐν χεροῖν λαβὼν δέπας
πάγχρυσον αἴρει χειρὶ παῖς Ἀχιλλέως
χοὰς θανόντι πατρί· σημαίνει δέ μοι
σιγὴν Ἀχαιῶν παντὶ κηρῦξαι στρατῷ.
Κἀγὼ καταστὰς εἶπον ἐν μέσοις τάδε·
Σιγᾶτ', Ἀχαιοί, σῖγα πᾶς ἔστω λεώς,
σίγα σιώπα· νήνεμον δ' ἔστησ' ὄχλον.
Ὃ δ' εἶπεν· Ὦ παῖ Πηλέως, πατὴρ δ' ἐμός,
δέξαι χοάς μοι τάσδε κηλητηρίους,
νεκρῶν ἀγωγούς· ἐλθὲ δ', ὡς πίῃς μέλαν
κόρης ἀκραιφνὲς αἷμ', ὅ σοι δωρούμεθα
στρατός τε κἀγώ· πρευμενὴς δ' ἡμῖν γενοῦ
λῦσαί τε πρύμνας καὶ χαλινωτήρια
νεῶν δὸς ἡμῖν πρευμενοῦς τ' ἀπ' Ἰλίου
νόστου τυχόντας πάντας ἐς πάτραν μολεῖν.
Τοσαῦτ' ἔλεξε, πᾶς δ' ἐπηύξατο στρατός.
Le fils d'Achille, prenant dans ses mains une coupe d'or, fait des libations à son père ; en même temps il me fait signe de commander le silence à l'armée. Aussitôt je me lève, et je m'écrie : "Silence, ô Grecs ! que toute l'armée fasse silence : gardez un profond silence." Tout le monde reste immobile. Alors il prend la parole : "Fils de Pélée ! ô mon père! reçois ces libations propitiatoires, par lesquelles on évoque les ombres. Viens te rassasier du sang pur de cette jeune fille, que l'armée t'offre avec moi. Sois-nous propice; que nos vaisseaux puissent quitter le rivage et mettre à la voile, et permets-nous de partir d'Ilion, d'obtenir tous un heureux retour dans notre patrie." Ainsi parla le fils d'Achille ; et toute l'armée se joignit à sa prière.
Εἶτ' ἀμφίχρυσον φάσγανον κώπης λαβὼν
ἐξεῖλκε κολεοῦ, λογάσι δ' Ἀργείων στρατοῦ
νεανίαις ἔνευσε παρθένον λαβεῖν.
Ἣ δ', ὡς ἐφράσθη, τόνδ' ἐσήμηνεν λόγον·
Ὦ τὴν ἐμὴν πέρσαντες Ἀργεῖοι πόλιν,
ἑκοῦσα θνῄσκω· μή τις ἅψηται χροὸς
τοὐμοῦ· παρέξω γὰρ δέρην εὐκαρδίως.
Ἐλευθέραν δέ μ', ὡς ἐλευθέρα θάνω,
πρὸς θεῶν, μεθέντες κτείνατ'· ἐν νεκροῖσι γὰρ
δούλη κεκλῆσθαι βασιλὶς οὖσ' αἰσχύνομαι.
Λαοὶ δ' ἐπερρόθησαν, Ἀγαμέμνων τ' ἄναξ
εἶπεν μεθεῖναι παρθένον νεανίαις.
Οἳ δ', ὡς τάχιστ' ἤκουσαν ὑστάτην ὄπα,
μεθῆκαν, οὗπερ καὶ μέγιστον ἦν κράτος.
Ensuite il saisit son épée enrichie d'or, et, la sortant du fourreau, il fait signe aux jeunes Grecs de saisir la victime. Mais elle, lorsqu'elle vit leur dessein, s'écria : "Ô Grecs, destructeurs de ma patrie, je meurs volontairement : que personne ne porte les mains sur moi. J'offrirai ma tête avec courage. Au nom des dieux, en m'immolant, souffrez que je meure libre. Être appelée esclave chez les morts serait une bonté pour moi, qui suis reine." Alors s'éleva un murmure d'approbation. Le roi Agamemnon commande aux jeunes gens de lâcher Polyxène. Ceux-ci, dès qu'ils entendent cette voix puissante, se retirent.
Κἀπεὶ τόδ' εἰσήκουσε δεσποτῶν ἔπος,
λαβοῦσα πέπλους ἐξ ἄκρας ἐπωμίδος
ἔρρηξε λαγόνας ἐς μέσας παρ' ὀμφαλόν,
μαστούς τ' ἔδειξε στέρνα θ' ὡς ἀγάλματος
κάλλιστα, καὶ καθεῖσα πρὸς γαῖαν γόνυ
ἔλεξε πάντων τλημονέστατον λόγον·
Ἰδού, τόδ', εἰ μὲν στέρνον, ὦ νεανία,
παίειν προθυμῇ, παῖσον, εἰ δ' ὑπ' αὐχένα
χρῄζεις, πάρεστι λαιμὸς εὐτρεπὴς ὅδε.
Ὃ δ' οὐ θέλων τε καὶ θέλων οἴκτῳ κόρης,
τέμνει σιδήρῳ πνεύματος διαρροάς·
κρουνοὶ δ' ἐχώρουν. Ἣ δὲ καὶ θνῄσκουσ' ὅμως
πολλὴν πρόνοιαν εἶχεν εὐσχήμων πεσεῖν,
κρύπτουσ' ἃ κρύπτειν ὄμματ' ἀρσένων χρεών.
Polyxène, lorsqu'elle eut entendu ces paroles souveraines, déchira sa robe jusqu'à la ceinture, et offrit à nos regards sa poitrine et sa gorge, semblable à celle d'une belle statue; et, posant un genou en terre, elle prononça les paroles les plus touchantes : "Jeune guerrier, dit-elle, veux-tu frapper mon sein? le voici, frappe; veux-tu frapper à la gorge? la voici qui s'offre au coup mortel." Saisi de compassion pour la jeune fille, il hésite; enfin de son glaive il tranche le fil de ses jours, et fait couler des flots de sang. Celle-ci, même en mourant, observe de tomber avec décence, et de cacher ce qu'il convient de dérober aux regards des hommes.
Ἐπεὶ δ' ἀφῆκε πνεῦμα θανασίμῳ σφαγῇ,
οὐδεὶς τὸν αὐτὸν εἶχεν Ἀργείων πόνον·
ἀλλ' οἳ μὲν αὐτῶν τὴν θανοῦσαν ἐκ χερῶν
φύλλοις ἔβαλλον, οἳ δὲ πληροῦσιν πυρὰν
κορμοὺς φέροντες πευκίνους, ὁ δ' οὐ φέρων
πρὸς τοῦ φέροντος τοιάδ' ἤκουεν κακά·
Ἕστηκας, ὦ κάκιστε, τῇ νεάνιδι
οὐ πέπλον οὐδὲ κόσμον ἐν χεροῖν ἔχων;
Οὐκ εἶ τι δώσων τῇ περίσσ' εὐκαρδίῳ
ψυχήν τ' ἀρίστῃ.
Lorsqu'elle eut rendu le dernier soupir, chacun s'occupe de soins divers : les uns couvrent son corps de feuillages; les autres, pour dresser un bûcher, apportent des branches de pins. Celui qui restait oisif entendait bientôt ce reproche : "Que fais-tu, lâche? tu n'apportes rien pour parer la sépulture de la jeune fille? Ne feras-tu aucune offrande à cette vierge généreuse et magnanime?"

 

OVIDE, Métamorphoses, XIII, 475-481
Ipse etiam flens invitusque sacerdos
praebita conjecto rupit praecordia ferro.
Illa, super terram defecto poplite labens,
pertulit interpidos ad fata novissima vultus.
Tunc quoque cura fuit partes velare tegendas,
cum caderet, castique decus servare pudoris.
Troades excipiunt.
Le sacrificateur lui- même est attendri, et plonge à regret le couteau dans le sein qui s'offre à ses coups. La victime chancelle et tombe; et son front conserve encore une noble fierté. En tombant, elle songeait à ranger ses vêtements, et ce dernier soin est le triomphe de la pudeur. Les captives Troyennes reçoivent son corps.

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