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PENTHÉE DÉMEMBRÉ PAR LES MÉNADES


MBAO, 2008.0.1658

Estampe gravée par Philip Van Gunst


On connaît la légende grâce à la tragédie d'EURIPIDE, les Bacchantes.

Cadmos, le roi de Thèbes en Béotie, a eu quatre filles, Autonoé, Ino, Agavé et Sémélé. Agavé a eu un fils, Penthée, qui a remplacé le vieux Cadmos comme roi de Thèbes.

Sémélé a plu à Zeus, qui lui a fait un enfant, nommé Dionysos, ce  Dionysos qui, divinisé, devait développer, d'abord en Asie, une religion orgiaque et extatique.

Hèra, l'épouse de Zeus, jalouse, a fait mourir Sémélé (Zeus lui avait imprudemment promis qu'il lui accorderait tout ce qu'elle demanderait ; Héra lui suggéra de demander à Zeus de lui apparaître dans toute sa gloire ; ce qu'elle fit ; mais elle ne put supporter le rayonnement qui émanait du dieu et elle mourut brûlée).

Les trois sœurs de Séméné, Agavé, Autonoé et Ino, ont fait courir le bruit que Sémélé avait eu son fils Dionysos  non pas de Zeus mais d'un amant vulgaire. Dionysos décida donc de revenir à Thèbes, furieux contre les femmes, en particulier Agavé, qui avaient calomnié sa mère Sémélé. Il était accompagné de femmes venant de Lydie, les Bacchantes ou Ménades. (le mot féminin "ménade", μαινάς, et le verbe grec correspondant, μαίνομαι, se trouvent déjà chez Homère pour désigner une femme folle et un état de fureur ou de délire). D'abord, Dionysos frappa les femmes de Thèbes de délire : poussées par le dieu, elles allèrent dans la montagne en costume de Bacchantes pour célébrer le culte orgiaque du nouveau dieu.

Penthée, le jeune roi, ne parvient pas à s'opposer à la propagation de ce culte effréné et licencieux initié par son cousin Dionysos, qui n'est pour lui qu'un charlatant et un imposteur. Mais on lui rapporte que le dieu accomplit des prodiges et Penthée se laisse convaincre d'aller sur la montagne de Thèbes, le mont Cithéron, pour espionner les femmes qui se livrent aux pires excès. Penthée, déguisé en Bacchante, va donc les observer, caché dans les branches d'un pin. Mais les femmes le repèrent, plient le pin jusqu'à terre et se jettent sur lui pour le mettre en pièces. Agavé, la plus excitée, lui coupe la tête.

C'est ce moment du drame que représente l'estampe. Au fond, sur le mont Cithéron, qui domine les monuments de Thèbes, on voit un satyre doté de pattes de bouc qui frappe des cymbales de bronze au milieu de femmes déchaînées. Au premier plan de l'estampe, Penthée est agressé par deux femmes; une troisième lui arrache le bras droit et sa propre mère lui coupe la tête.

Agavé fichera la tête coupée au sommet d'un bâton (ou thyrse) et descendra triomphalement vers Thèbes, prétendant qu'il s'agit de la tête d'un lionceau de la montagne. Le vieux Cadmos l'accueillera et lui fera prendre conscience que c'est son propre fils qu'elle a tué. Alors, cruellement punie par Dionysos, Agavé s'enfuira jusqu'en Illyrie.

Extrait (vers 1106-1147)

ἔλεξ᾽ Ἀγαύη· Φέρε, περιστᾶσαι κύκλῳ
πτόρθου λάβεσθε, μαινάδες, τὸν ἀμβάτην
θῆρ᾽ ὡς ἕλωμεν, μηδ᾽ ἀπαγγείλῃ θεοῦ
χοροὺς κρυφαίους. αἳ δὲ μυρίαν χέρα
προσέθεσαν ἐλάτῃ κἀξανέσπασαν χθονός·
ὑψοῦ δὲ θάσσων ὑψόθεν χαμαιριφὴς
πίπτει πρὸς οὖδας μυρίοις οἰμώγμασιν
Πενθεύς· κακοῦ γὰρ ἐγγὺς ὢν ἐμάνθανεν.
πρώτη δὲ μήτηρ ἦρξεν ἱερέα φόνου
καὶ προσπίτνει νιν· ὃ δὲ μίτραν κόμης ἄπο
ἔρριψεν, ὥς νιν γνωρίσασα μὴ κτάνοι
τλήμων Ἀγαύη, καὶ λέγει, παρηίδος
ψαύων· Ἐγώ τοι, μῆτερ, εἰμί, παῖς σέθεν
Πενθεύς, ὃν ἔτεκες ἐν δόμοις Ἐχίονος·
οἴκτιρε δ᾽ ὦ μῆτέρ με, μηδὲ ταῖς ἐμαῖς
ἁμαρτίαισι παῖδα σὸν κατακτάνῃς.
Alors Agavé leur dit : "Allons ! tenez-vous en cercle autour du tronc, saisissez-le, Ménades, prenons ce cavalier sauvage, pour qu'il ne révèle pas les mystères divins de nos chœurs." Elles attachent mille mains au sapin et l'arrachent du sol. De la hauteur où il est posté, Penthée est précipité à terre, il tombe sur le sol avec des cris plaintifs. Il se rend compte que son malheur est proche. La première, sa mère commence le sacrifice sanglant et se jette sur lui. Lui, il arrache de sa chevelure sa mitre pour qu'en le reconnaissant la malheureuse Agavé ne le tue pas, et il lui dit en lui touchant la joue : "C'est moi, mère, je suis ton fils, Penthée, que tu as mis au monde dans la maison d'Échion. Aie pitié de moi, mère ; oui, c'est moi qui suis coupable, mais ne tue pas ton fils."
ἣ δ᾽ ἀφρὸν ἐξιεῖσα καὶ διαστρόφους
κόρας ἑλίσσουσ᾽, οὐ φρονοῦσ᾽ ἃ χρὴ φρονεῖν,
ἐκ Βακχίου κατείχετ᾽, οὐδ᾽ ἔπειθέ νιν.
λαβοῦσα δ᾽ ὠλένης ἀριστερὰν χέρα,
πλευραῖσιν ἀντιβᾶσα τοῦ δυσδαίμονος
ἀπεσπάραξεν ὦμον, οὐχ ὑπὸ σθένους,
ἀλλ᾽ ὁ θεὸς εὐμάρειαν ἐπεδίδου χεροῖν·
Ἰνὼ δὲ τἀπὶ θάτερ᾽ ἐξειργάζετο,
ῥηγνῦσα σάρκας, Αὐτονόη τ᾽ ὄχλος τε πᾶς
ἐπεῖχε βακχῶν· ἦν δὲ πᾶσ᾽ ὁμοῦ βοή,
ὃ μὲν στενάζων ὅσον ἐτύγχαν᾽ ἐμπνέων,
αἳ δ᾽ ἠλάλαζον. ἔφερε δ᾽ ἣ μὲν ὠλένην,
ἣ δ᾽ ἴχνος αὐταῖς ἀρβύλαις· γυμνοῦντο δὲ
πλευραὶ σπαραγμοῖς· πᾶσα δ᾽ ᾑματωμένη
χεῖρας διεσφαίριζε σάρκα Πενθέως.
Elle, l'écume à la bouche et roulant des yeux hagards, n'a pas les sentiments qu'elle doit : elle est possédée du dieu, elle n'écoute pas son enfant. Elle prend son bras gauche dans ses mains et, un pied sur le flanc de l'infortuné, elle le lui arrache de l'épaule, non par sa propre force, mais le dieu lui donnait l'aide de sa toute-puissance. Inô, de l'autre côté, fait de même, lui déchire les chairs. Autonoé et toute la foule des Bacchantes s'acharnent sur lui. C'était à la fois toutes sortes de cris : lui gémissait avec ce qui lui restait de souffle ; les autres poussaient des hurlements. L'une emportait un bras, une autre un pied avec la chaussure. Elles mettent à nu ses flancs qu'elles déchirent. Toutes ont les mains couvertes de sang et se lancent comme des balles les chairs de Penthée.
κεῖται δὲ χωρὶς σῶμα, τὸ μὲν ὑπὸ στύφλοις
πέτραις, τὸ δ᾽ ὕλης ἐν βαθυξύλῳ φόβῃ,
οὐ ῥᾴδιον ζήτημα· κρᾶτα δ᾽ ἄθλιον,
ὅπερ λαβοῦσα τυγχάνει μήτηρ χεροῖν,
πήξασ᾽ ἐπ᾽ ἄκρον θύρσον ὡς ὀρεστέρου
φέρει λέοντος διὰ Κιθαιρῶνος μέσου,
λιποῦσ᾽ ἀδελφὰς ἐν χοροῖσι μαινάδων.
χωρεῖ δὲ θήρᾳ δυσπότμῳ γαυρουμένη
τειχέων ἔσω τῶνδ᾽, ἀνακαλοῦσα Βάκχιον
τὸν ξυγκύναγον, τὸν ξυνεργάτην ἄγρας,
τὸν καλλίνικον, ᾧ δάκρυα νικηφορεῖ.
Ses membres gisent épars, les uns sur les rochers escarpés, d'autres sur les aiguilles épaisses des pins de la forêt : il ne serait pas facile de les retrouver. Sa malheureuse tête, sa mère l'a prise dans ses mains : elle la fiche à la pointe de son thyrse et la porte, comme celle d'un lion de la montagne, à travers le Cithéron. Elle laisse ses sœurs dans les chœurs des Ménades. Elle revient dans ces murs, fière de sa proie au funeste destin, invoquant Bacchos, son compagnon de curée, son auxiliaire à la chasse, le victorieux, en l'honneur de qui elle emporte un trophée de larmes.

OVIDE a raconté cette légende dans le livre III de ses Métamorphoses. Nous citons la fin du récit (v.701-733) :

Perstat Echionides, nec iam iubet ire, sed ipse
uadit, ubi electus facienda ad sacra Cithaeron
cantibus et clara bacchantum uoce sonabat.
Vt fremit acer equus, cum bellicus aere canoro    
signa dedit tubicen pugnaeque adsumit amorem,
Penthea sic ictus longis ululatibus aether
mouit, et audito clamore recanduit ira.

Monte fere medio est, cingentibus ultima siluis,
purus ab arboribus, spectabilis undique, campus.
Hic oculis illum cernentem sacra profanis
prima uidet, prima est insano concita cursu,
prima suum misso uiolauit Penthea thyrso
mater et : « O geminae, clamauit, adeste sorores !
Ille aper, in nostris errat qui maximus agris,
ille mihi feriendus aper. » Ruit omnis in unum
turba furens ; cunctae coeunt trepidumque sequuntur,
iam trepidum, iam uerba minus uiolenta loquentem,
iam se damnantem, iam se peccasse fatentem.

Saucius ille tamen : « Fer opem, matertera, dixit,
Autonoe ! Moueant animos Actaeonis umbrae ! »
Illa, quis Actaeon, nescit dextramque precanti
abstulit, Inoo lacerata est altera raptu.
Non habet infelix quae matri bracchia tendat,
trunca sed ostendens dereptis uulnera membris :
« Adspice, mater ! » ait. Visis ululauit Agaue
collaque iactauit mouitque per aera crinem
auulsumque caput digitis conplexa cruentis
clamat : « Io comites, opus hoc uictoria nostra est ! »
Non citius frondes autumni frigore tactas
iamque male haerentes alta rapit arbore uentus,
quam sunt membra uiri manibus direpta nefandis.

Talibus exemplis monitae noua sacra frequentant
turaque dant sanctasque colunt Ismenides aras.

Le fils d'Échion s'obstine ; désormais il ne donne plus l'ordre d'y aller, il se rend lui-même sur le Cithéron, l'endroit choisi pour les rites sacrés, qui résonait des chants et des voix claires des Bacchantes. Comme un ardent coursier frémit, gagné par l'amour du combat, quand le trompette donne le signal du combat, de son bronze sonore, ainsi les longs hurlements frappant l'éther ont ému Penthée et les cris qu'il a entendus ont ravivé sa colère.

À peu près à mi-hauteur de la montagne au sommet ceint de forêts, s'étend une plaine sans arbres, visible de partout. Là, tandis que de ses yeux profanes il découvre les mystères sacrés, la première à le voir, la première à s'élancer dans une course insensée, la première à violenter son cher Penthée en lançant son thyrse fut sa mère, qui cria aussi : « Vous deux, mes soeurs, venez m'aider ! Cet énorme sanglier, qui erre sur nos terres, ce sanglier je dois l'abattre ». La foule entière en délire se précipite sur Penthée, qui est seul ; toutes ensemble, elles poursuivent cet homme qui tremble, désormais il tremble, désormais ses propos sont moins virulents, désormais il se condamne, maintenant il reconnaît sa faute.

Blessé, il dit pourtant : « Autonoé, ma tante, soeur de ma mère, aide-moi, puisse l'ombre d'Actéon t'émouvoir ! » Mais elle ignore qui est Actéon et tranche la droite du suppliant, l'autre main a été déchirée quand Ino l'a arrachée. Le malheureux n'a plus de bras à tendre à sa mère, mais, montrant les blessures béantes de ses membres amputés : « Regarde, mère ! », dit-il. À cette vue, Agavè poussa un hurlement, agita son cou en tous sens, dans l'air secoua ses cheveux, puis lui arracha la tête qu'elle serra de ses doigts ensanglantés en criant : « Io, mes compagnes, cette oeuvre est notre victoire ! ». Les feuilles que touche le froid d'automne et qui désormais sont mal fixées en haut d'un arbre, le vent les détache plus vite que leurs mains criminelles n'arrachent les membres de cet homme.

Fortes de tels exemples, les filles de l'Isménus célèbrent assidûment le nouveau culte, offrant de l'encens au dieu et honorant ses autels sacrés.


Pour comparaison :

Couvercle d'une boîte à cosmétiques (lékanis) attique (vers 450-425 av.J.-C.), musée du Louvre.


Fresque de la maison des Vettii à Pompéi (+Ier siècle)


Fresque de Daniele Ricciarelli da Volterra (1509-1566)
Chambre du Cardinal Ranuccio (1547-1550) Palais Farnese à Rome

 


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