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MÉDÉE ET JASON


Jason est le fils d'Aeson, roi d'Iolcos en Thessalie, qui a été dépossédé du trône par son demi-frère Pélias. Devenu adulte, Jason vint réclamer le trône d'Iolcos, qui lui appartenait légitimememt. Pélias promit de le lui rendre, à condition qu'il rapporte de Colchide la Toison d'or, gardée par un dragon. Après avoir pris la tête de l'expédition des Argonautes, Jason parvint auprès du roi Aeétès, gardien de la Toison d'or.

MÉDÉE A CHOISI DE ROMPRE AVEC SON PÈRE ET SA FAMILLE ET DE SUIVRE JASON DANS SA QUÊTE DE LA TOISON D'OR

MBAO- 2008.0.304

Médée remettant entre les mains de Jason ses dieux pénates,
symbole de sa rupture avec sa famille, burin par Georg Pencz (1500-1550)


La fille du roi de Colchide Aeétes était magicienne, comme sa tante Circé. Elle désapprouvait son père qui avait l'habitude de tuer tous les étrangers qui abordaient dans son pays. Or, un jour, elle vit les Argonautes qui, avec Jason, débarquaient sur le rivage de Colchos, en quête de la Toison.
Liant son sort à eux, Médée promit de les aider, à condition que Jason l'épouse après la conquête de la toison. Ce faisant, elle trahissait son père et sa famille (allant même jusqu'à tuer et démembrer son frère Apsyrtos pour permettre au navire Argo de fuir).

Cette rupture avec sa famille est symbolisée par la remise des dieux pénates, les divinités du foyer.

Ensuite, lors de leurs pérégrinations, Médée et Jason se trouvèrent à Corcyre [Corfou] sur le territoire du roi Alcinoos où des envoyés d'Aeétès voulurent s'emparer de Médée pour la ramener en Cochide. Alcinoos décida qu'il la livrerait seulement si elle était encore vierge. Informé de cela, Jason se hâta de s'unir à elle dans la grotte de Macris.


OVIDE, dans les Héroïdes (XII) a imaginé une lettre que Médée aurait pu écrire à Jason, dans laquelle elle insiste sur cette rupture avec sa famille.

Proditus est genitor, regnum patriamque reliqui,
munus in exilio quod licet esse tuli,
uirginitas facta est peregrini praeda latronis,
optima cum cara matre relicta soror.
J'ai trahi mon père ; j'ai quitté mon royaume et ma patrie : l'exil, où que ce fût, je l'ai accepté comme une faveur. Ma virginité est devenue la proie d'un ravisseur étranger ; avec une mère chérie, j'ai abandonné la meilleure des sœurs.

À son retour Jason demande à Médée d'user de ses enchantements pour rajeunir son vieux père Aeason

À LA DEMANDE DE JASON, MÉDÉE ENTREPREND DE RAJEUNIR LE VIEIL AESON

MBAO, 2008.0.1490

Médée et Jason, estampe de Charles-François SILVESTRE, gravée par Louis DESPLACES (1682-1739)

Quo longiores Aesonis forent dies / Utitur Jason arte Medeae improba. / Tam rara pietas perfidos redarguit / Dies parentum qui volent brevissimos ("Pour que la vie de son père Aeson soit plus longue, Jason se sert de l'art diabolique de Médée. Une piété filiale si rare s'oppose aux individus sans foi qui souhaitent que la vie de leur père soit la plus courte possible")

OVIDE raconte longuement comment Médée a fait pour rajeunir le vieillard (Métamorphoses, VII, 159-293)

A la demande de Jason, Médée accepte de rajeunir Aeson ["arte mea soceri longum temptabimus aeuum" = Par mon art je vais m'attaquer à la vieillesse de mon beau-père]. Pour cela, une nuit de pleine lune, à minuit, après avoir tourné trois fois sur elle-même et s'être arrosée de l'eau d'un fleuve, elle commence une série d'invocations. Alors un char descend du ciel, conduit pas des dragons ailés : elle y monte et, pendant neuf jours et neuf nuits, elle parcourt le monde pour rassembler les plantes nécessaires. A son retour, elle sacrifie une brebis à la laine noire, fait des libations de vin et de lait et demande aux divinités de la terre de retarder la mort du vieillard Aeson. Alors, es chevaux épars à la manière des bacchantes, elle fait le tour des autels où brûle la flamme; elle trempe dans les fosses noire de sang des toches de bois fendu en menu morceaux; elle les allume ensuite sur deux autels et purifie le vieillard trois fois avec le feu, trois fois avec l'au, trois fois avec du soufre. Pendant ce temps, dans un bassin de bronze posé sur des charbons, un philtre puissant bouillonne : elley fait cuire des racines, des graines, des fleurs et des sucs noirâtres; elle y mêle des pierres, du sable, de la rosée, des ailes de chouette,des entrailles de loup, une peau de serpent, le fois d'un cerf, la tête d'une vieille corneille. Quand sa potion magique sera prête, elle égorgera Aeson et remplacera son sang par les sucs ainsi préparés. Le résultat attendu est parfait : Aeson a rajeuni de quarante ans !

… Quos postquam conbibit Aeson
aut ore acceptos aut uulnere, barba comaeque
canitie posita nigrum rapuere colorem;
pulsa fugit macies, abeunt pallorque situsque
adiectosque cauae supplentur corpore rugae
membraque luxuriant; Aeson miratur et olim
anter quatuor denos hunc se remiscitur annos

À peine Éson les a-t-il absorbés par la bouche ou par sa blessure que sa barbe et ses cheveux de blancs deviennent noirs; sa maigreur disparaît; la pâleur et le flétrissure de son visage s'évanouissent; une substance nouvelle comble le creux de ses rides et ses membres reprennent toute leur vigueur; Éson s'étonne: il se retrouve tel qu'il était quarante ans auparavant.
(vers 287-293)


Ensuite Médée met au point une machination qui pousse les filles de Pélias à tuer leur propre père en le faisant bouillir dans une marmite. Exilé à Corinthe de par la volonté du fils de Pélias, le couple y vit heureux et a deux enfants, Merméros et Phérès.

Cependant, Jason finit par délaisser sa femme et lui préféra Glaucè, appelée aussi Creüse, la fille de Créon, roi de Corinthe. Folle de jalousie Médée tua Creüse : pour cela elle lui offrit comme cadeau de mariage une robe et divers ornements trempés dans un poison qui embrasèrent la mariée d'un feu mystérieux. Puis elle s'empara de ses propres enfants et les tua dans un temple d'Héra, avant de s'envoler vers Athènes sur un char attelé de chevaux ailés.

RENDUE FURIEUSE PAR LE MARIAGE DE JASON ET DE CREÜSE, MÉDÉE TUE SES ENFANTS

Médée, la chevelure hérissée comme celle d'une Bacchante et portant le cadavre d'un enfant, monte sur son char, sur lequel elle a jeté l'autre cadavre. Jason est à droite, Créon devant lui, effrayé par ce qu'i voit, se tient la tête. Créüse, la tête couronnée de flammes, est torturée par le poison.
Au premier plan, une nourrice, qui sent ce qui va se passer, essaie de protéger les deux enfants qui jouent.
Jason est à droite. Médée (?), par l'intermédiaire des deux enfants, offre ses cadeaux empoisonnés à Créüse qui est assise, la tête couverte du voile de la mariée.
Derrière elle, une vieille nourrice et un personnage du cortège nuptial tenant un bouquet de pavots.
<––––––––––––––––-------- sens de la lecture ––––––––––––––––––––––––––––

MBAO, 2008.0.114

Estampe de Marco Dente da Ravenna (c. 1490-1527),
gravée par le "Maître au Dé" identifié comme Bernardo Daddi ou Dado (c. 1512-1570),
sous le tire "Mariage de Jason et Créuse".

On retrouve cette estampe, gravée par Antonio Salamanca (1478-1562),
dans "Estampes du Maître au Dé conservées à la BnF", vue n° 34,
sur Gallica https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b7200155p/

Androgenae poenas exolvere caedis Cecropidae ivssi


L'estampe (qui doit se lire de droite à gauche) s'inspire des sarcophages de l'époque impériale représentant le mariage de Jason avec Créüse, suivi du supplice de Créüse rongée par le poison, suivi par la fuite de Médée, portant le corps d'un de ses enfants, sur le char du Soleil.

Voir : Vassiliki Gaggadis-Robin, "Jason et Médée sur les sarcophages d'époque impériale", École Française de Rome, 1994. pp. 3-218. (Publications de l'École française de Rome, 191);
sur Internet : https://www.persee.fr/doc/efr_0000-0000_1994_mon_191_1

Rome Musée National Inv 222

Berlin, Staatliche Museen

Ancône, Musée National des Marches

Mantoue, Palazzo Ducale

Bâle

Louvre, MA 283

Rome, MN Inv 75248

Vatican Inv 1242


La tragédie d'EURIPIDE, Médée (-431) développe cette donnée : "Médée est délaissée par son époux Jason pour qui elle a trahi son père et tué son frère. Jason l'abandonne pour la fille du roi Créon qui, ayant appris les menaces de Médée à l'encontre de sa famille, la condamne, elle et les deux fils qu'elle a eus de Jason, à l'exil. Médée supplie alors Créon de lui accorder un jour de délai pour préparer son départ, en fait pour préparer sa funeste vengeance : elle va convaincre Jason de laisser leurs enfants apporter un diadème et un voile (dont il ignore qu'ils sont empoisonnés) à la princesse qui va ainsi mourir dans d'atroces souffrances, ainsi que Créon son père. Ensuite elle tue ses propres enfants. Au moment où Jason apparaît pour se venger d'elle, elle disparaît sur un char ailé emporté par des dragons, le cadavre de ses fils à ses pieds, en direction du royaume d'Egée où elle a obtenu asile."

ἤδη δὲ πάντα τἀμά σοι βουλεύματα 
λέξω· δέχου δὲ μὴ πρὸς ἡδονὴν λόγους. 
πέμψασ΄ ἐμῶν τιν΄ οἰκετῶν Ἰάσονα 
ἐς ὄψιν ἐλθεῖν τὴν ἐμὴν αἰτήσομαι· 
μολόντι δ΄ αὐτῷ μαλθακοὺς λέξω λόγους͵ 
ὡς καὶ δοκεῖ μοι ταὐτά͵ καὶ καλῶς ἔχειν 
γάμους τυράννων οὓς προδοὺς ἡμᾶς ἔχει· 
καὶ ξύμφορ΄ εἶναι καὶ καλῶς ἐγνωσμένα. 
παῖδας δὲ μεῖναι τοὺς ἐμοὺς αἰτήσομαι͵
οὐχ ὡς λιποῦσ΄ ἂν πολεμίας ἐπὶ χθονὸς 
ἐχθροῖσι παῖδας τοὺς ἐμοὺς καθυβρίσαι͵ 
ἀλλ΄ ὡς δόλοισι παῖδα βασιλέως κτάνω. 
πέμψω γὰρ αὐτοὺς δῶρ΄ ἔχοντας ἐν χεροῖν͵ 
νύμφῃ φέροντας͵ τήνδε μὴ φυγεῖν χθόνα͵ 
λεπτόν τε πέπλον καὶ πλόκον χρυσήλατον· 
κἄνπερ λαβοῦσα κόσμον ἀμφιθῇ χροΐ͵ 
κακῶς ὀλεῖται πᾶς θ΄ ὃς ἂν θίγῃ κόρης· 
τοιοῖσδε χρίσω φαρμάκοις δωρήματα. 

ἐνταῦθα μέντοι τόνδ΄ ἀπαλλάσσω λόγον·
ᾤμωξα δ΄ οἷον ἔργον ἔστ΄ ἐργαστέον 
τοὐντεῦθεν ἡμῖν· τέκνα γὰρ κατακτενῶ 
τἄμ΄· οὔτις ἔστιν ὅστις ἐξαιρήσεται· 
δόμον τε πάντα συγχέασ΄ Ἰάσονος 
ἔξειμι γαίας͵ φιλτάτων παίδων φόνον 
φεύγουσα καὶ τλᾶσ΄ ἔργον ἀνοσιώτατον. 
οὐ γὰρ γελᾶσθαι τλητὸν ἐξ ἐχθρῶν͵ φίλαι. 
ἴτω· τί μοι ζῆν κέρδος; οὔτε μοι πατρὶς 
οὔτ΄ οἶκος ἔστιν οὔτ΄ ἀποστροφὴ κακῶν. 
ἡμάρτανον τόθ΄ ἡνίκ΄ ἐξελίμπανον
δόμους πατρῴους͵ ἀνδρὸς Ἕλληνος λόγοις 
πεισθεῖσ΄͵ ὃς ἡμῖν σὺν θεῷ τείσει δίκην. 
οὔτ΄ ἐξ ἐμοῦ γὰρ παῖδας ὄψεταί ποτε 
ζῶντας τὸ λοιπὸν οὔτε τῆς νεοζύγου 
νύμφης τεκνώσει παῖδ΄͵ ἐπεὶ κακῶς κακὴν 
θανεῖν σφ΄ ἀνάγκη τοῖς ἐμοῖσι φαρμάκοις. 

Mais déjà je vais te dire tous mes projets. Écoute des paroles qui ne sont pas pour te plaire. J'enverrai un de mes serviteurs auprès de Jason pour le prier de paraître à ma vue. Quand il sera venu, je lui dirai de douces paroles, que nous sommes d'accord, qu'il fait bien de nous abandonner pour contracter alliance avec la princesse, que ses décisions sont utiles et heureuses. Je lui demanderai que mes fils restent ici, non que je veuille les laisser sur une terre hostile exposés aux outrages de mes ennemis, mais pour tuer par mes ruses la fille du roi. Car je les enverrai les mains chargées de cadeaux les porter à la jeune épousée pour qu'on ne les bannisse pas de ce pays : un voile fin et un diadème d'or ciselé. Si elle prend la parure et la met sur sa peau, elle périra dans d'horribles souffrances et avec elle quiconque la touchera, tellement seront violents les poisons dont j'imprégnerai ces présents.

 

— Mais ici je m'arrête et je pleure sur l'action qu'il me faut accomplir ensuite. Car je tuerai mes propres enfants; il n'y a personne qui puisse les arracher à la mort. Et quand j'aurai bouleversé toute la maison de Jason, je sortirai du pays, m'exilant pour le meurtre de mes fils bien-aimés (150), après avoir osé le plus sacrilège des crimes. Non, je ne puis supporter, mes amies, d'être la risée de mes ennemis. Poursuivons! Que leur sert de vivre  ? Je n'ai ni patrie, ni demeure, ni refuge contre les malheurs. La faute, je l'ai faite quand j'ai abandonné la demeure de mon père, séduite par les paroles d'un Grec qui, avec l'aide des dieux, nous paiera sa dette à la justice. Non, les fils qui sont nés de moi, il ne les verra plus vivants désormais! Non, de la jeune femme qu'il vient d'épouser il n'aura pas de fils puisqu'il faut que misérablement la misérable périsse victime de mes poisons!

(vers 772-806)


OVIDE a imaginé les paroles de Médée à Jason l'infidèle (Héroïde, XII)

Laese pater, gaude! Colchi gaudete relicti!
inferias umbrae fratris habete mei!
deseror amissis regno patriaque domoque
coniuge, qui nobis omnia solus erat.
serpentes igitur potui taurosque furentes,
unum non potui perdomuisse uirum.
quaeque feros pepuli doctis medicatibus ignes,
non ualeo flammas effugere ipsa meas.
ipsi me cantus herbaeque artesque relinquunt;
nil dea, nil Hecates sacra potentis agunt.


Non mihi grata dies, noctes uigilantur amarae
et tener a misero pectore somnus abit.
quae me non possum, potui sopire draconem.
utilior cuiuis quam mihi cura mea est.

Quos ego seruaui, paelex amplectitur artus
et nostri fructus illa laboris habet.
Forsitan et, stultae dum te iactare maritae
quaeris et iniustis auribus apta loqui,
in faciem moresque meos noua crimina fingas.
rideat et uitiis laeta sit illa meis.
rideat et Tyrio iaceat sublimis in ostro.
flebit et ardores uincet adusta meos.
dum ferrum flammaeque aderunt sucusque ueneni,
hostis Medeae nullus inultus erit.

Quod si forte preces praecordia ferrea tangunt,
nunc animis audi uerba minora meis.
tam tibi sum supplex, quam tu mihi saepe fuisti,
nec moror ante tuos procubuisse pedes.
si tibi sum uilis, communis respice natos:
saeuiet in partus dira nouerca meos.
et nimium similes tibi sunt, et imagine tangor
et quotiens uideo, lumina nostra madent.

Per superos oro, per auitae lumina flammae,
per meritum et natos, pignora nostra, duos,
redde torum, pro quo tot res insana reliqui!
adde fidem dictis auxiliumque refer!
non ego te imploro contra taurosque uirosque,
utque tua serpens uicta quiescat ope;
te peto, quem merui, quem nobis ipse dedisti,
cum quo sum pariter facta parente parens.

Dos ubi sit, quaeris? campo numerauimus illo,
qui tibi laturo uellus arandus erat.
aureus ille aries uillo spectabilis alto,
dos mea: "quam" dicam si tibi "redde," neges.
dos mea tu sospes, dos est mea Graia iuuentus.
i nunc, Sisyphias, inprobe, confer opes.
quod uiuis, quod habes nuptam socerumque potentes,
hoc ipsum, ingratus quod potes esse, meum est.
quos equidem actutum… sed quid praedicere poenam attinet?
ingentis parturit ira minas.
quo feret ira sequar. facti fortasse pigebit;
et piget infido consuluisse uiro.
uiderit ista deus, qui nunc mea pectora uersat.
nescio quid certe mens mea maius agit.

O mon père ! que j'ai outragé, réjouis-toi ; réjouissez-vous, Colchos que j'ai abandonnée ; ombre de mon frère, recevez-moi comme victime expiatoire. On m'abandonne, et j'ai perdu mon royaume, ma patrie, mon palais, un époux, qui seul était tout pour moi. Un dragon et des taureaux furieux, je les ai domptés, et je ne puis rien contre un seul homme ! Moi qui, par de savants breuvages, ai repoussé des feux terribles, je ne saurais échapper à ma propre flamme ! Mes enchantements, mes simples, mon art, me laissent sans pouvoir ; et je n'ai rien à espérer de la déesse, rien des mystères sacrés de la puissante Hécate !

Le jour n'a plus d'attraits pour moi ; mes nuits, mes veilles sont amères. Mon âme infortunée ne goûte plus les douceurs du repos. Je ne puis me donner à moi-même le sommeil dont j'ai pu endormir un dragon ; mon art me sert mieux pour les autres que pour moi.

Celui dont j'ai protégé la vie, une rivale l'embrasse : c'est elle qui recueille le fruit de mes peines. Peut-être même, tandis que tu cherches à te faire valoir auprès de la compagne superbe, et que tu parles à ses coupables oreilles un langage digne d'elles, peut-être inventes-tu de nouvelles accusations contre ma figure et mes moeurs. Qu'elle rie, et qu'elle soit joyeuse de mes vices. Qu'elle rie, et que, fière, elle s'étale sur la pourpre de Tyr : elle pleurera, et elle brûlera de feux qui surpasseront les miens. Tant qu'il y aura du fer, de la flamme et des sucs vénéneux, aucun ennemi de Médée n'échappera à sa vengeance.

Si les prières ne peuvent toucher ton coeur de fer, écoute maintenant des paroles bien humiliantes pour une âme fière. Je suis avec toi suppliante, autant que tu le fus souvent avec moi, et je n'hésite pas à tomber à tes pieds. Si je te semble méprisable, songe à nos enfants communs ;une marâtre cruelle poursuivra de ses rigueurs ce que mes flancs ont porté. Ils ne te ressemblent que trop ; cette ressemblance me touche ; et chaque lois que je les regarde, mes yeux se mouillent de larmes.

Au nom des dieux ; par la flamme et la lumière que répand ton aïeul ; par mes bienfaits ; par mes deux enfants, ces gages de notre amour, rends-moi, je t'en conjure, cette couche pour laquelle, insensée ! j'ai abandonné tant de choses ; que je croie à la vérité de tes paroles, et reçoive à mon tour des secours de toi. Ce n'est pas contre des taureaux ni des guerriers que je t'implore, ni pour qu'un dragon sommeille, vaincu par ton art. Je te réclame, toi que j'ai mérité, toi qui t'es donné à moi ; c'est par toi que je suis devenue mère, en même temps que je te rendais père.

Tu demandes où est ma dot ? Je l'ai comptée dans ce champ qu'il te fallait labourer, pour enlever la toison. Ce bélier d'or, tout brillant de cette riche toison, voilà ma dot. Si je te dis : "Rends-la moi," tu me la refuseras. Ma dot, c'est la vie que je t'ai conservée ; ma dot, c'est la jeunesse grecque . Va maintenant, perfide, compare à ces dons l'opulence du fils de Sisyphe. Si tu vis, si tu as une épouse, un beau-père puissant, si même tu peux être ingrat, c'est à moi que tu le dois. Je veux bientôt…. Mais que sert d'annoncer d'avance les châtiments ? La colère enfante d'effroyables menaces ; j'irai où me conduira la colère. Peut-être me repentirai-je de ce que j'aurai fait ; mais je me repens aussi d'avoir veillé sur les jours d'un époux infidèle. Je laisse à faire au dieu qui maintenant agite mon coeur ; je ne sais quel projet affreux médite mon âme.


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