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LE COMBAT DE BOXE ENTRE ENTELLUS ET DARES DANS L'ÉNÉIDE


MBAO, 2008.0.113

D'après un dessin de Rafaello Sanzio dit Raphaël (1483-1520),
gravé par Marco Dente (1486 - 1527), c. 1522

 

Quittant Didon pour aller fonder la nouvelle Ilion en Hespérie, Énée décide de revenir d'abord à Drépane, en Sicile, où il a perdu son père l'année précédente, avant son départ pour Carthage. Là, il est accueilli par le roi Aceste, Troyen par sa mère, qui l'autorise à organiser neuf jours de jeux funèbres en mémoire d'Anchise.
Pour l'épreuve de boxe (ou pugilat), Énée annonce comme prix un taurillon au vainqueur, et un glaive et un casque comme consolation au vaincu. Il cherche des concurrents. S'avance l'impressionnant Darès, qui a été vainqueur à Troie du colosse Boutès. Personne n'ose s'opposer à lui, mais le roi Aceste incite le vieil Entelle à le faire. Celui-ci accepte et l'on attache aux mains des deux hommes des cestes semblables. Alors le combat commence…

Constitit in digitos extemplo arrectus uterque
bracchiaque ad superas interritus extulit auras.
Abduxere retro longe capita ardua ab ictu
immiscentque manus manibus pugnamque lacessunt,
ille pedum melior motu fretusque iuuenta,
hic membris et mole ualens ; sed tarda trementi
genua labant, uastos quatit aeger anhelitus artus.
Aussitôt chacun se met en garde, dressé sur la pointe des pieds et tend les bras très haut levé, sans peur. Ils tendent et reculent la tête loin en arrière pour éviter les coups, les bras se mêlent aux bras ; ils s'excitent au combat, l'un meilleur au mouvement de jambes et fort de sa jeunesse, l'autre puissant par la masse de son corps, mais ses genoux plus lents vacillent, il tremble, son grand corps est secoué d'un souffle pénible.
Multa uiri nequiquam inter se uulnera iactant,
multa cauo lateri ingeminant et pectore uastos
dant sonitus, erratque auris et tempora circum
crebra manus, duro crepitant sub uulnere malae.
Stat grauis Entellus nisuque immotus eodem
corpore tela modo atque oculis uigilantibus exit.
Ille, uelut celsam oppugnat qui molibus urbem
aut montana sedet circum castella sub armis,
nunc hos, nunc illos aditus, omnemque pererrat
arte locum et uariis adsultibus inritus urget.
Ostendit dextram insurgens Entellus et alte
extulit, ille ictum uenientem a uertice uelox
praeuidit celerique elapsus corpore cessit ;
Entellus uiris in uentum effudit et ultro
ipse grauis grauiterque ad terram pondere uasto
concidit, ut quondam caua concidit aut Erymantho
aut Ida in magna radicibus eruta pinus.
Nombreux sont les coups qu'ils se lancent en vain, nombreux ceux qu'ils redoublent au creux des flancs, leur poitrine résonne profondément ; autour des oreilles et des tempes les mains sans cesse se cherchent, et sous les coups violents craquent les mâchoires. Bien droit, le pesant Entelle, immobile à la même place, évite les attaques, l'œil vigilant, d'un simple mouvement. L'autre est comme s'il assiégeait une haute cité ou avec une armée un fortin encerclé dans la montagne, tantôt par un accès, tantôt par un autre, il met tout son art à cerner la place et la presse vainement d'assauts variés. Entelle en se dressant lève sa droite, porte le coup à fond l'autre, rapide, a prévu l'attaque qui venait d'en haut et en s'effaçant vivement l'a évitée. Entelle a dépensé ses forces contre le vent et même de son grand poids, pesant, est pesamment tombé à terre comme tombe parfois sur l'Erymanthe ou sur le grand Ida un pin creux arraché jusqu'aux racines.
Consurgunt studiis Teucri et Trinacria pubes ;
it clamor caelo primusque accurrit Acestes
aequaeuumque ab humo miserans attollit amicum.
At non tardatus casu neque territus heros
acrior ad pugnam redit ac uim suscitat ira ;
tum pudor incendit uiris et conscia uirtus,
praecipitemque Daren ardens agit aequore toto
nunc dextra ingeminans ictus, nunc ille sinistra.
Nec mora nec requies : quam multa grandine nimbi
culminibus crepitant, sic densis ictibus heros
acrior ad pugnam redit ac uim suscitat ira ;
tum pudor incendit uiris et conscia uirtus,
praecipitemque Daren ardens agit aequore toto
nunc dextra ingeminans ictus, nunc ille sinistra.
Nec mora nec requies : quam multa grandine nimbi
culminibus crepitant, sic densis ictibus heros
creber utraque manu pulsat uersatque Dareta.
Avec passion se lèvent les Troyens et la jeunesse de Trinacrie, leurs cris vont jusqu'au ciel et, le premier, accourt Aceste pour relever de terre en le plaignant l'ami qui a son âge. Mais le héros n'est pas arrêté par sa chute, ni apeuré; il revient plus ardent au combat et la colère excite sa vigueur, l'honneur aussi enflamme ses forces et la conscience de son courage ; il presse Darès ardemment qui va tête la première sur tout le terrain, redoublant les coups tantôt de la main droite, tantôt de la gauche, sans pause ni repos ; comme quand il grêle en abondance l'orage fait crépiter les toits, ainsi de ses coups répétés le héros acharné des deux mains frappe et renverse Darès.  (V, 426-460)

Enée alors met fin au combat et l'on emmène Darès, qui crache du sang et des dents mêlés (mixtos in sanguine dentes). Entelle, tout fier, assomme d'un coup de poing le taureau qu'il a gagné, l'offrant comme victime à Éryx, et annonce que ce combat sera son dernier.


POUR COMPARAISON :

Mosaïque romaine trouvée à Villelaure, datée d'environ 175 ap. J.-C., conservée à la villa Getty.

Darès, blessé à la tête et vaincu, tourne le dos. Entellus vient s'assommer le taureau qui "tombe terre en tremblant".

Dixit, et aduersi contra stetit ora iuuenci
qui donum astabat pugnae, furosque reducta
librauit dextra media inter cornua caestus
arduus, effractoque inlisit in ossa cerebro :
sternitur exanimique tremens procumbit humi bos.
Il dit et, se plaçant face à la tête de l'animal qui se tenait à côté, il se dressa, replia son bras droit et abaissa entre les deux cornes ses cestes durs, lui écrasa les os et rompit la cervelle. Le boeuf s'affale, tombe à terre en tremblant et meurt.

BNF Manuscrit latin 7939A, fol. 114 v°.

Tum pater Aeneas procedere longius iras
et saeuire animis Entellum haud passus acerbis
sed finem imposuit pugnae fessumque Daera
eripuit… (v. 460-463)

Alors le grand Énée ne souffrit pas qu'Entelle prolongeât plus avant sa colère et sévît impitoyablement; il mit fin au combat, arracha Darès épuisé…

British Library, Manuscrit Rome c. 1484, King's 24, fol. 88


Dessin de Luca Penni (1504-1556), c. 1544, Moscou, Puskin Museum


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