<== Retour


LES BERGERS D'ARCADIE


 

LAURENT DE LA HYRE (1606-1656), LES BERGERS D'ARCADIE (1650)

MBAO-

Devant un tombeau sur lequel est gravé "ET IN ARCADIA EGO", deux bergers déchiffrent l'inscription qu'une bergère désigne à une femme portant une corbeille de fruits.

L'Arcadie est une contrée mythique où bergers et bergères connaissent un bonheur parfait, menant une vie de plaisirs. La formule "Et in Arcadia ego" serait une parole de la Mort : à ceux qui, vivant une vie parfaitement heureuse, auraient tendance à l'oublier, elle rappelle qu'elle est partout présente et que nul, même en Arcadie, ne peut lui échapper : "Et(iam) in Arcadia ego sum" (même en Arcadie, moi la Mort, j'existe). On peut aussi considérer que la formule doit être attribuée à celui qui est dans le tombeau et qui s'adresse aux passants : "J'ai vécu comme vous en Arcadie et pourtant je suis mort".

CURIOSITÉ :

"Et in Arcadia ego" est l'anagramme de "I tego arcana Dei" (Va ! je possède le secret de Dieu).

"Et in Arcadia ego [sum]" a pour anagramme "Iesu arcam Dei tango » (Je touche le tombeau de Jésus [fils de] Dieu).


La formule "Et in Arcadia ego" figure sur un tableau de Giovani Francesco Barbieri dit LE GUERCHIN, Et in Arcadia ego, 1618 (Rome, palais Barberini)


Deux bergers découvrent, au fond d'une tombe, un sarcophage sur lequel est posé un crâne. Sur ce crâne est posée une abeille et sur le couvercle on voit une chenille et une souris (avec un sens sans doute symbolique*). Sur le bord du couvercle du sarcophage est gravé « Et in Arcadia ego ».

* Une huile sur cuivre de Brueghel l'Ancien (vers 1610, Pinacoteva Ambrosiana de Milan) regroupe une souris, une chenille et une abeille, accompagnées de deux roses en bouton, d'un papillon et d'une fourmi.

Il faut noter que les deux bergers se retrouvent à l'identique sur un autre tableau du Guerchin, Apollon écorchant Marsyas, 1618.


Le thème a été repris dix ans plus tard, par Nicolas POUSSIN, Et in Arcadia ego I, 1628-1630 (Chatsworth House)


Nous sommes en Arcadie, comme le montre, au premier plan, l'allégorie du fleuve Alphée (selon Pausanias V,7,2, Alphée était un chasseur d'Arcadie qui fut métamorphosé en fleuve).

Deux bergers, accompagnés d'une jeune femme légèrement vêtue, découvrent un tombeau surmonté d'une tête de mort sur lequel ils déchiffrent l'inscription "Et in Arcadia ego".


Il existe une seconde version de Nicolas POUSSIN : Et in Arcadia ego II, 1638-1640 (Musée du Louvre)

 

Le berger debout à gauche est simple spectateur.
Le berger accroupi, s'aidant de son index droit, déchiffre l'inscription Et in Arcadia ego.
Un autre berger, avec son index, montre le contour de l'ombre du premier berger et tourne le regard vers une femme (trop bien vêtue pour être une bergère comme la femme du tableau précédent); celle-ci pose sa main sur son épaule comme pour le rassurer.

L'idée viendrait d'une phrase de Pline l'Ancien (Histoire Naturelle, XXXV, 5) : l'origine de l'art pictural est dans umbra hominis lineis circumducta (l'ombre d'un homme circonscrite par des lignes).

L'ombre du berger projetée sur l'inscription du tombeau rappelle qu'il est voué à la mort, tout Arcadien qu'il soit. Mais l'autre berger, en suivant du doigt le contour de cette ombre, vient de comprendre que l'art du peintre permet de lutter contre la finitude de l'individu, ce que confirme la femme, considérée comme une allégorie de l'Art.

La femme, par sa beauté et sa sérénité, atteste que le peintre, par son art, a le pouvoir de vaincre la mort.

 

UNE CURIOSITÉ :

Le paysage avec les trois montagnes a été rapproché de sites bien connus des environs de Rennes-les-Bains, dans l'Aude : le Pech Cardou, le Pique Grosse et le Bézu, qui se situent aux angles d'un triangle rectangle. D'où de multiples spéculations…

Montagne à gauche Pech Cardou

 

Montagne au centre Pique Grosse

 

Montagne à droite Bézu


Tableau anonyme de la fin XVIIIe siècle, Paysage aux bergers d'Arcadie (en dépôt au musée Labenche de Brive-la-Gaillarde).


CURIOSITÉ:

On peut savoir que le berger des tableaux s'appelle "Daphnis". En effet le berger Daphnis, fils d'Hermès et d'une nymphe, est souvent cité par les poètes. Dans Virgile (Bucolique V, 42), des bergers (pastores) font un tombeau (tumulus) portant une inscription (carmen) : « Daphnis ego in siluis hinc usque ad sidera notus / formosi pecoris custos, formosior ipse » (Je suis Daphnis, connu dans les bois d'ici jusqu'aux étoiles, gardien d'un beau troupeau, plus beau encore moi-même.)


<== Retour