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JEAN BRINON ET MAETERLINCK AU CHÂTEAU DE MÉDAN


Aux IXe - XIe siècles s'élevait à cet emplacement un manoir appartenant à l'abbaye de Saint-Germain-des-Prés. Au XIIIe siècle apparaissent les premiers seigneurs de Médan. A la fin du XVe siècle, Guillaume Perdrier, changeur et bourgeois de Paris, y fait construire un pavillon de chasse (deux fils de Guillaume Perdier ont été amis du poète François Villon qui leur consacra deux huitains dans son "Testament", et qui les cite dans sa "Ballade des langues envieuses").

En 1494, leur frère Henri Perdrier fit construire un manoir, agrandi après 1750 par une aile qui sera reconstruite en 1873 puis démolie en 1980.

Sa fille Pernelle apporte en mariage la terre de Médan à Jean Brinon, fils du seigneur de Villennes. Ce Jean Brinon (1520-1555), qui a hérité dès l'âge de huit ans, de la grande fortune de son père, a fait des études de droit à Orléans, puis a été officier en la Chambre des comptes et conseiller du Roi au Parlement de Paris.

C'était un fastueux et joyeux viveur. À Paris, il était l'ami et le mécène de nombreux poètes et humanistes, qu'il invitait souvent à Médan. Baïf le fait remarquer : "Quel écrivain florissait par la France / De qui Brinon n'ait gagné l'accointance" et, au livre I de ses Mimes, enseignements et proverbes, il le cite, sous l'anagramme de Norbin, comme ayant, par trop de prodigalité, mangé en quelques années la fortune de son père:

Or dépeschon Norbin asteure,
Que la débauche ne demeure
Sans en avoir ce qu'il lui faut.
Car la raison dit qu'il s'égare
Aussi bien du droit que l'avare
Celui qui trop prodigue faut.

Norbin de prodigue nature
Fut fils d'un père qui eut cure
D'en amasser tant qu'il vesquit.
Ce bon fils de façon galante,
Mais d'âme un petit nonchalante,
A desamasser le vainquit.

Le grand naturaliste Pierre Belon (1517-1564) raconte comment, en 1551, plusieurs poètes, parmi lesquels Dorat et Nicolas Denisot (dit "le comte d'Alsinois"), ont été invités par Brinon à Médan pour une excursion au cours de laquelle ils observèrent les plantes et les oiseaux, avant de passer se reposer dans l'île au milieu de la Seine.

« En l'an 1551, au temps d'été, une troupe des plus doctes et excellents poètes de ce temps s'étant alliés ensemble en faveur de monsieur Jean Brinon, conseiller du Roi, près de Poissy sur la rivière de Seine, l'accompagnèrent voir ses Muses à Medan et Villaines. Icelui, s'étant mis en devoir de les recevoir humainement, les festoya comme il appartenait. Donc, étant parvenus là, eurent bonne issue en toutes choses, car, errant plusieurs jours par les confins, trouvèrent maints appareils recréatifs de diverses manières de passetemps, comme à faire la chasse à plusieurs espèces d'animaux, non encore mis en peinture, qui apparaîtront quelquefois. Ores, cheminant par les taillis, tendant aux oisillons, en prenaient de moult rares; tantôt se trouvant par les forêts, avaient plaisir de voir beaucoup d'espèces d'arbres avec les fruits; autrefois cueillaient diverses herbes sur les montagnes et entre les vallées. Et là, trouvant infinis arguments nouveaux, y firent sonnets, odes et épigrammes grecs, latins et français en la louange de celui qui les y avait conduits, rapportèrent toutes les reliques de leur enquêtes. […] Puis, ayant fait voile pour passer outre, arrêtèrent peu qu'ils ne se trouvassent au rivage des îles et là se reposèrent sous l'ombre des ramées. »
(L'Histoire de la nature des oiseaux […] par Pierre Belon du Mans, Paris, 1555, p. 222)

Ronsard, à qui Brinon avait offert un verre de Venise, une statue de Bacchus, des armes et un magnifique chien, lui dédia en retour son recueil de 1555 Les Mélanges, et particulièrement les poèmes Le Houx, Élégie à Brinon, Elégie du verre, L'Hymne de Bacus, L'ode l'Arondelle, Les Armes, La Chasse, Odelette. Mais Brinon mourut pendant l'impression du recueil et ses amis les poètes rassemblèrent une douzaine de poèmes constituant un "tombeau littéraire". Et Ronsard composa un poème "Sur le tombeau de Jan Brinon". Dans le poème La Rose (imprimée dans la Continuation des Amours) on lit :

Ne vois-tu pas hier Brinon
Parlant et faisant bonne chère
Lequel aujourd'hui n'est sinon
Qu'un peu de poudre en une bière
Qui de lui n'a rien que le nom ?

On peut citer un extrait de Ronsard qui évoque un houx qu'il a vu à Médan (Le Houx, éd. Laumonier, VI, p. 135 sq.)

[…] Mais moi, sans plus, je veux dire
En ces vers, d'un style doux
Le nouveau blason d'un Houx.
Non de ces Houx solitaires
Battus des vents ordinaires […]
Mais bien d'un Houx domestique
Qui pare en toute saison
Le jardin et la maison
De Brinon
, qui dès l'enfance
Mena les Muses en France,
Et les osant devancer
Premier les mena dancer. […]
Quel Poète dirait bien
L'heur, le profit et le bien
Que ce houx fait à son maître?
En juin, il le garde d'être
Dedans sa chambre hâlé
Lorsque le chien étoilé
De sa dangereuse flamme
Hommes et bêtes enflamme.
L'hiver, le garde du vent
Et, qui plus est, le défend
Qu'une voisine bavarde
Dans sa chambre ne regarde
Qui, peut-être conterait
D'avoir vu ce qu'elle n'aurait,
Et lui ferait, la jaleuse,
Une farce scandaleuse. […]
Jamais le temps rigoureux
Ne te livre à la vieillesse,
Mais Houx, puisses-tu sans cesse
Vivre en autant de renom
Que ton possesseur Brinon
.

Par succession le château de Médan devint ensuite la propriété de Jacques de Morogues, chambellan ordinaire d'Henri IV et c'est à cette époque qu'il faut y situer un séjour au retour d'une chasse d'Henri IV et sa favorite Gabrielle d'Estrées.


AU XXe SIÈCLE

A partir de 1924, le château est la propriété de Maurice Maeterlinck, jusqu'à ce que la guerre, en 1939, le contraigne à s'exiler aux Etats-Unis.

Né à Gand en 1862, Maeterlinck s'était installé à Paris en 1886. Là il s'était fait connaître comme écrivain symboliste: poète (Serres chaudes), auteur de théâtre (Pelléas et Mélisande, L'Oiseau bleu), auteur d'essais mystiques (Le Trésor des humbles) et aussi pour son intérêt pour la biologie (La Vie des abeilles, l'Intelligence des fleurs).

En France, il habita successivement le presbytère de Gruchet-Saint-Siméon, loué en 1897, et l'abbaye de Saint-Wandrille, où il s'installa en 1907 avec sa maîtresse, l'actrice Georgette Leblanc. En 1911, il obtint le prix Nobel de littérature.

En 1919, sans rompre avec Georgette Leblanc, il épousa la comédienne Renée Dahon (née en 1893)

En 1924, il acheta le château de Médan. À propos de la maison de Zola toute proche, il dira souvent : "La revanche du symbolisme sur le naturalisme..."

Le 27 avril, Maeterlinck écrivait à son ami Cyriel Buysse : "Je viens d'acheter le château de Médan (rien de commun avec la villa de Zola) que nous sommes en train d'installer. C'est à 25 km de Paris, 15 hectares de parcs et de bois. Henri IV y a couché avec Gabrielle d'Estrées et Ronsard y a séjourné." Les Maeterlinck s'y installent en juillet (d'importantes réparations devront être faires, encore en octobre 1931).

L'achat de Médan ne les empêchera pas de voyager, à Royat, mais aussi en Algérie et en Sicile (en 1926). Quelques ennuis de santé les obligeront à plus de sédentarité : fausse couche de Renée (qu'il appelle "Sélysette"), en 1925, sciatique de Maurice en 1927 (il en profita pour écrire La Vie de l'espace), appendicite de Renée en 1928. Ils passeront à Médan presque toute l'année 1929.

Un phrase de Georgette Leblanc dans l'introduction aux Morceaux choisis de Maeterlinck permet d'imaginer la vie qu'il menait à Médan : "Il passe l'été en Normandie et l'hiver dans le midi; il se lève tôt, visite ses fleurs, ses fruits, ses abeilles, sa rivière, ses grands arbres, se met au travail, puis revient au jardin ; après le repas, il se livre aux sports qu'il affectionne : le canotage, l'automobile, la bicyclette ou la marche ; chaque soir, le rayonnement de la lampe éclaire ses lectures, il se couche de bonne heure." Il aimait la compagnie d'un lévrier blanc de Renée, comme ceux que possédait Georgette Leblanc à ses débuts.

Maeterlick avait installé son bureau-bibliothèque au premier étage de l'ancien manoir. Renée avait aménagé un salon-théâtre au rez-de-chaussée de la grande salle.

À Médan il poursuivit des recherches d'entomologie, plagiant d'abord un ouvrage d'Eugène Marais dans La Vie des Termites (1927), puis publiant La Vie des Fourmis (1930). Pour préparer L'Araignée de verre (1932), il se fit envoyer sept argyronètes depuis Malines, son projet étant de mettre en lumière une forme d'intelligence de ces insectes. Sur les sept, une mourut d'inanition, une fut dévorée par ses compagnes, une s'évada. Et il raconte : "L'hiver venu, pour ne pas prolonger une étude cruellement inutile, j'ai hospitalisé les survivantes dans un vivier marécageux que je possède à Médan. Elles y retrouveront des eaux analogues à celles de leur milieu natal et, je l'espère, multiplieront au printemps prochain." (L'Araignée de verre, p. 43).

On trouve une allusion aux arbres de Médan dans un texte de L'Autre monde :

Je pense aux arbres que j'ai connus. J'en ai connu beaucoup, ayant le plus souvent vécu à la campagne. Je les revois comme si j'étais encore sous leur ombrage. Je me rappelle leurs noms, leurs visages et leurs caractères. Le souvenir d'un vieil arbre, amical et fidèle (ils le sont tous), peut avoir sur notre vie et notre destinée autant d'influence que le souvenir d'une femme ou d'un homme.
Je les ai toujours aimés et j'ai toujours eu pitié d'eux. Ils sont les grands sacrifiés, les plus innocentes victimes des injustices de la nature. Éternels prisonniers, enchaînés par leurs racines, impuissants résignés, ils ne peuvent fuir la tempête et n'attendent que des malheurs. L'hiver, nus et décharnés, attaqués par la neige et la glace, ils grelottent dans les ténèbres. Seuls les oiseaux les fréquentent, les habitent, les réveillent, leur parlent du ciel et leur apprennent à sourire…
Ils sont tous condamnés au supplice de la mort immobile, de la mort qui s'avance et qu'on ne peut éviter. Il est vrai que les petites plantes meurent aussi de cette mort : mais du moins leurs souffrances ne se prolongent-elles pas durant des années. Elles cessent de vivre dès qu'elles ont fleuri, au lieu que leurs grands frères attendent pendant des siècles l'heure de la délivrance.
Je fus l'ami d'un vieux chêne qui vivait paisiblement dans un petit bois que je possédais à Médan, aux environs de Paris, et que les Allemands ont brûlé.
Cet arbre majestueux, qui me rappelait le chêne de La Fontaine, avait beaucoup souffert. Il se dressait sur une sorte de falaise qui dominait la route de Poissy à Rouen. L'humus n'y était pas profond et les racines avaient fait des miracles pour trouver quelques nourritures dans le roc.
Elles semblaient à bout de force et de courage. Un soir d'orage, la foudre l'avait frappé au cœur. Il mourait lentement mais dignement de faim. M'intéressant à sa santé, j'allais le voir deux ou trois fois par semaine. Il ne me disait rien, mais je sentais que je lui faisais plaisir. Chaque printemps, à grand effort, il reverdissait quelques rameaux, qu'il n'avait pas de quoi nourrir jusqu'à l'automne ; et dès la fin août, il rentrait dans le profond sommeil de l'hiver.
J'eus pitié de son agonie qui se prolongeait sans espoir, le creusait, le pourrissait et le faisait visiblement souffrir. Je donnai l'ordre de l'abattre. Je n'eus pas le cœur d'assister au sacrifice. En tombant, une de ses lourdes branches tua un bûcheron. On me dit que l'arbre ne l'avait pas fait exprès. Le bûcheron était ivre.
On tronçonna l'énorme tronc. Les anneaux concentriques marquèrent trois cent cinquante ans. À la largeur des cercles on distinguait assez facilement les années de sécheresse, de souffrance et de misère, des années de pluie et de prospérité. Comme dans les vies humaines, les années de souffrance et de misère étaient plus nombreuses que les autres.
Que fit-on de ses restes ? Je n'ai pas voulu l'apprendre. Où vont les arbres morts ? Savons-nous où nous allons?

MAETERLINK, L'autre Monde ou le Cadran stellaire, 1942, p. 169-171.

En 1930, Maeterlinck acheta à Nice une grande villa en construction, dont il acheva les travaux et qu'il appela la villa "Orlamonde". Il en fit une riche demeure dans laquelle il organisa de grandes fêtes. En 1932, le roi Albert Ier de Belgique l'anoblit et il devient comte de Maeterlinck. En 1939, il dut se réfugier aux Etats-Unis, abandonnant Médan et la villa de Nice: la villa fut squattée et pillée ; le château de Médan fut occupé par les Allemands.

Après la mort de Maeterlinck (1949), Renée Dahon, ne parvenant pas à vendre le château de Médan en très mauvais état, le donna au juif tunisien Henri Smadja. Celui-ci, entre 1966 et son suicide en 1974,  va y installer l'imprimerie de son journal "Combat", ce qui va accélérer le délabrement de la demeure, laquelle, ensuite, sera ouverte à tous vents et pillée. Le domaine de 14 hectares sera divisé en lots sur lesquel des pavillons ont été construits.

En 1977 la ruine est achetée par Marion et Jean-Pierre Aubin de Malicorne qui entreprennent de restaurer la demeure : réfection des deux tours de la poterne, démolition de l'aile ajoutée au XVIIIe siècle, réparation des toitures… Il faudra dix ans de travaux pour que le château prenne la belle apparence qu'il a aujourd'hui, un logis flanqué de quatre tours.

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