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LAMARTINE EN MÂCONNAIS
(Saône-et-Loire)



La famille de Lamartine
La vie privée et publique de Lamartine
Les maisons de Lamartine à Mâcon
La maison de Milly
Le château de Monceau
Pierreclos
Le presbytère de Bussières
Le château de Cormatin
Le château de Saint-Point
Montculot
Autres sites "lamartiniens" en Bourgogne

 

"De Mâcon à Saint-Point, le pèlerinage lamartinien
implique aujourd'hui un dialogue continuel, d'ailleurs excellent et tonique,
entre l'effusion de la biographie romancée et l'exigence de la biographie critique."

(Albert Thibaudet, NRF, 1927) 


Lamartine ne fut ni un "langoureux", ni un "pleurard à nacelle" (Musset), ni un "femmelin" (Proudhon), ni "un esprit eunuque responsable de tous les embêtements bleuâtres du lyrisme poitinaire" (Flaubert).

Il fut "un mâle, amateur de femmes, de chasse et de chiens", "un seigneur qui se divertissait à écrire" (Émile Magnien). Il a dit de lui-même: "Je suis un grand administrateur de terres et de vignobles. Je ne suis pas un poète; je suis un grand vigneron".

Caricature

LA FAMILLE DE LAMARTINE


LA VIE PRIVEE ET PUBLIQUE DE LAMARTINE (1790-1869)

Dans un poème qu’il écrivit à 19 ans, Lamartine avait déjà imaginé quelles seraient les principales étapes de sa vie  : une jeunesse libertine jusqu'à 30 ans, la recherche de la gloire jusqu'à 60 ans, puis la vieillesse au coin du feu. Il ne se trompait guère :  il eut la jeunesse d’une libertin oisif, il se maria en 1820 et connut la célébrité littéraire et politique jusqu'en 1851, puis il passa les 18 dernières années de sa vie à écrire pour payer ses dettes.

J’avais pris de VINGT ans le teint frais, le cœur tendre,
J’aimais le jeu, la table et de plus doux plaisirs :
Richesse, amour, beauté s’offraient à mes désirs.
Hélas! d’un peu d’erreur pouvais-je me défendre !
Dans mes goûts inconstants je cherchai le bonheur,
Je fus dissipateur, amoureux et volage.

Puis je me repentis, puis je pris de l’humeur,
Et je dis : A TRENTE ans je fais vœu d’être sage.
L’âge vient : au plaisir je fais de longs adieux,
Je cesse de jouer et d’aimer et de rire ;
Il n’est plus de grandeurs où mon orgueil n’aspire,
Rien ne doit arrêter mon vol ambitieux ;
La fortune pour moi saura fixer sa roue,
J’aurai de mes voisins les terres, les châteaux,
Sur le pavé tremblant mes deux coursiers égaux
Rempliront les passants de frayeur et de boue.
Quel plaisir! et qu’ainsi j’aimais à raisonner !
Que je me complaisais dans un si beau mensonge !

Hélas! mes SOIXANTE ans que j’entendis sonner
Renversèrent ma gloire en effaçant mon songe.
Je me frottai les yeux : j’avais rêvé longtemps ;
Je voyais à grands pas s’avancer la vieillesse :
Bon! disais-je, voici l’âge de la sagesse,
Et je vais, grâce aux dieux, profiter des moments !
Qu’arrive-t-il ? Je suis enfant en cheveux blancs :
Tandis qu’au coin du feu je regrette sans cesse
Les trompeuses erreurs de ma verte jeunesse,
Je m’érige en censeur des usages du temps ;
Modéré par besoin, vertueux par faiblesse,
De tous nos jeunes gens je fronde les travers,
Je gronde mes neveux, et, pour comble d’ivresse,
D’une tremblante main, je crayonne ces vers. […]


Première période – "Je fus dissipateur, amoureux et volage"

Sous Napoléon Ier (1804-1815)

Lamartine passe son enfance et son adolescence entre la maison familiale de Milly et le collège de Belley. Bien que très surveillé par son mère et son oncle François-Louis, il recherche les aventures féminines :
– Aux vacances de 1805 (il a 15 ans), il fait un enfant à une jeune paysanne de Milly, Jeannette (elle confia son enfant à l'Assistance publique de Mâcon, puis, mariée, elle le prit avec elle dans une ferme du hameau de Château-Tiers).
– À  16 ans, il est amoureux de la fille du châtelain de Bionne, Elzéarine de Villeneuve d'Ansouis ; dans ses Confidences, il l’appellera Lucy et il fera un récit romanesque de leurs rencontres, la nuit, dans le jardin de Bionne.
– En 1809, il a un flirt avec Caroline Pascal, la fille du médecin de Saint-Sorlin (La Roche-Vineuse).
– En décembre 1810, il est amoureux, à Mâcon, d’Henriette Pommier, fille unique d'un juge de paix ; elle a 20 ans et une promesse de 50.000 écus ; mais sa famille, qui vise plus haut pour l'héritier du nom, s'oppose à un éventuel mariage.

Ayant interrompu ses études à 18 ans, Lamartine, en accord avec sa famille, refuse tout engagement au service de "Buonaparte l’usurpateur"; pour lui éviter la conscription, son père obtiendra même du préfet sa nomination comme maire de Milly en 1812. En fait, Lamartine vit alors dans l’oisiveté, fait des dettes, voyage et continue sa quête des femmes :
– Envoyé par sa famille à Naples, chez un cousin de sa mère, Dareste de La Chavanne, qui dirige la manufacture des tabacs, il a une liaison très sensuelle avec la jeune Mariantonia Iacomino, dite Antoniella,  qui travaille à la manufacture comme chef du personnel féminin ; quand il romancera cet épisode, Antoniella deviendra "Graziella".
– Dès son retour d'Italie, il va voir son ami Guillaume de Pierreclau et son épouse Nina. Il devient l'hôte assidu du château de Cormatin et l'amant de la jeune femme. Dans l'été 1812, il va passer chez elle deux ou trois jours par semaine, dans une intimité telle qu'il lui fait un enfant, né en mars 1813, qui portera le nom de Léon de Pierreclau. Lamartine s'en occupera jusqu'à sa mort en 1841, assurant ses études et lui donnant en mariage une de ses nièces, Alix de Cessiat.
– En 1813, il est "presque amoureux d’une jolie petite actrice" ; pour aller passer la nuit avec elle, il a acheté un cheval de selle; il sent que sa passion augmente de visite en visite,  "la jouissance la plus assidue n’y [faisant] rien".
– En octobre 1813, à Milly, il souffre cruellement d'une maladie vénérienne contractée à Paris ; il en fait un poème "à sa Muse". Dans un autre poème discrètement érotique, Le Réveil, il donne de lui l’image d’un libertin.

Sous Louis XVIII (1815-1824)

Sous la pression de sa famille, il fait un bref séjour dans l'armée, comme garde du corps du roi à Beauvais. Mais bientôt il démissionne, au grand désespoir de sa mère, et reprend sa vie de libertin oisif :
– Pendant les Cent Jours, il va s'installer sur la rive savoyarde du Léman et, à Nernier, il loue une chambre chez un batelier dont la fille, qui a 25 ans, Geneviève Favre, le laisse profiter de ses charmes.
– En octobre 1816, il va faire une cure en Savoie, à Aix-les-Bains. A la pension Perrier, il devient l’amant d’une femme de 32 ans, Julie Charles, l’épouse du vieux physicien Jacques Charles, natif de Beaugency. A son retour, il rompt avec Nina de Pierreclau et va passer quatre mois à Paris pour rencontrer chaque jour la jeune femme, qui, gravement atteinte de tuberculose, ne pourra le rejoindre à Aix, où ils se sont donné rendez-vous. Réfugié à Milly, Lamartine apprend bientôt la mort de Julie, à la Noël 1817. Le mari, qui était au courant depuis longtemps, lui fait rendre ses lettres et son portrait ; le curé qui avait assisté Julie dans son agonie lui fait parvenir le crucifix sur lequel, mourante, elle avait posé ses lèvres.
– En 1819, les parents de Lamartine reçoivent un officier en garnison à Mâcon, Amant Elisé Hondagné de Larche, et son épouse Maddalena, dite Lena, une Florentine de 31 ans, d'une grande beauté et très sensuelle. Celle-ci remarque aussitôt le fils de la maison. De février à juin 1819, à Paris, elle en fera son amant. Comme à son habitude, Lamartine tient son ami Virieu au courant de cette liaison qui épuise ses forces. L’ardente italienne le suit même jusqu’à Montculot, où il s’est réfugié chez son oncle, et s’installe tout près à l’auberge de Pont-de-Pany. Pour lui échapper, il va en Dauphiné chez son ami de Virieu. En 1820, Lamartine a trente ans. Un petit recueil poétique qu’il a publié sous le titre de Méditations poétiques a eu un extraordinaire succès. Il décide de se ranger et épouse une jeune Anglaise, Mary-Ann Birch. Après Antoniella, après Julie, elle sera sa troisième « Elvire » ; à celle-ci, il restera fidèle.


Deuxième période – "Il n’est plus de grandeur où mon orgueil n’aspire"

Sous Charles X (1824-1830)

Après son mariage, Lamartine se lance dans la carrière diplomatique. Il obtient un poste d'attaché d'ambassade à Naples, de secrétaire de légation à Florence, de chargé d'Affaires en Toscane. Mais il prend de longs congés en France (à l’occasion du décès de ses deux oncles) et, finalement, abandonne la carrière. Il a déjà connu deux deuils : son premier enfant est mort après quelques mois et sa mère Alix a été ébouillantée aux bains de la Charité à Mâcon en 1829.
En 1830, il publie un recueil d’Harmonies poétiques et religieuses, dont le succès dépasse encore celui des Méditations.

Lamartine en 1831

Sous Louis-Philippe (1830-1848)

Politiquement, Lamartine a évolué vers le libéralisme, et la Révolution de 1830 ne le surprend pas. Au recours d’un voyage en Orient, écourté par la mort de sa fille Julia à Beyrouth, il est député de Bergues (grâce à sa sœur Eugénie) et de Mâcon. Ses prises de position et ses préoccupations sociales inquiètent la classe dirigeante qui se venge en organisant l’échec de son nouveau recueil poétique, les Recueillements (Sainte-Beuve : "Il semble que le trépied n’ait été qu’un marchepied").
En 1843, Lamartine prononce à la Chambre un discours de rupture avec le régime, car il pressent que la république et le suffrage universel pourront seuls éviter l'anarchie qui menace. En 1847, son Histoire des Girondins lui vaut une popularité politique. Au cours d'un banquet à Mâcon, en juillet 1847, il prophétise que le régime de Louis-Philippe, incapable d’engager les réformes nécessaires, sera bientôt balayé par "la révolution du mépris".

Sous la Seconde République (1848-1851)

Lamartine tente alors une carrière politique, rendue difficile par son appartenance à une famille connue pour ses opinions conservatrices. En 1848, après la fuite du roi, il est de ceux qui font acclamer la République et proclamer un gouvernement provisoire dont il est ministre des Affaires étrangères et chef effectif. Mais il tient tête aux extrémistes qui réclament le drapeau rouge et fait acclamer le drapeau tricolore à l'Hôtel de Ville. Il est élu à l’Assemblée Constituante dans dix départements avec 1.600.000 voix (avril 1848). Le Gouvernement provisoire est alors remplacé par une Commission exécutive dont il fait partie et où, à la fureur des modérés, il développe des idées "de gauche" (suffrage universel, liberté de la presse, enseignement primaire gratuit, séparation de l’Eglise et de l’Etat, abolition du remplacement militaire, surveillance des trusts, nationalisation des chemins de fer…).
Pour en finir avec la révolution, Falloux pousse le peuple à la révolte (en supprimant l’indemnité attribuée à ceux qui participaient aux «ateliers nationaux») afin que le ministre de la Guerre, Cavaignac, puisse engager une répression sanglante. Aux élections à la Présidence de la République de décembre 1848, Lamartine n'obtient que 17.914 voix contre Louis-Napoléon, Cavaignac, Ledru-Rollin et Raspail. Puis il est battu aux élections législatives à Mâcon (mai 1849), mais élu député du Loiret (juillet 1849). En octobre 1850, il écrit des Stances au comte d'Orsay (un sculpteur amateur qui avait modelé son buste), qui sont "un sublime va-te-faire-fiche lancé au peuple". Le coup d'Etat de 1851 met fin à sa carrière politique.


Troisième période – "Modéré par besoin, vertueux par faiblesse"

Sous Napoléon III (1852-1869)

Victime de ses prises de position en 1848, Lamartine vit retiré, accablé de dettes, dues à sa prodigalité, sa générosité et son goût pour la terre. En 1858, ses amis tentent de l'aider financièrement en lançant une souscription nationale en sa faveur. Napoléon III s’inscrit pour 10.000 francs, ce qui blesse Lamartine, bien décidé à repousser toutes les ouvertures que lui fait l’empereur. Mais la bourgoisie, qui, dix ans après, en veut encore au révolutionnaire de 1848, fait échouer ce projet (c'est «la souscription de l'injure»). En 1859, la Ville de Paris lui offre, à titre viager, un chalet à Passy. En 1860, Milly doit être vendu. En 1863, le mort de sa femme Mary-Ann le laisse très affecté.

Lamartine 1865

Lamartine vers 1865 (wiki)

En 1867, sur proposition de Napoléon III, le Corps législatif et le Sénat lui votent à l'unanimité une "récompense nationale". En fait, il vit moins des ressources de ses vastes propriétés que de sa plume et se condamne à de véritables "travaux forcés littéraires", jusqu’à ce que, en 1867, une attaque cérébrale le laisse très diminué.
A la fin de sa vie, Lamartine eut une véritable affection pour sa nièce Valentine (la fille de sa sœur Marie-Cécile de Cessiat) qui, pour lui, avait renoncé à se marier. Quatre ans après la mort de sa femme Marianne, en septembre 1867, il l'épousa secrètement à Saint-Point, avec dispense du pape Pie IX (il avait 77 ans, elle en avait 46).
Il mourut à Passy en février 1869 et il fut enterré à Saint-Point près de sa mère, de sa fille et de sa femme. Le Paris du Second Empire l’avait oublié, mais les gens du Mâconnais surent rendre hommage à celui qu’ils connaissaient plus comme grand propriétaire et comme homme politique que comme poète.


ŒUVRES & SOURCES — Méditations (1820), Nouvelles Méditations (1823) — La Mort de Socrate (1823), Dernier chant du pèlerinage d’Harold (1825), Harmonies poétiques et religieuses (1830) — Voyage en Orient (1835), Jocelyn (1836), La Chute d’un ange (1838), Recueillements poétiques (1839), La Marseillaise de la paix (1841), Histoire des Girondins (1847) — Le Tailleur de pierres de Saint-Point (1851), Cours familier de littérature (1856-1869) — Confidences, Graziella, Raphaël (1849),  Nouvelles Confidences (1851) — Les confidences de Mme de Lamartine à ses filles, lettres d’Alix des Roys à ses filles (1813-1820) — Le Manuscrit de ma mère,  journal intime d’Alix des Roys transposé et accompagné de commentaires par son fils, Paris, 1871. — Commentaires aux Méditations, Nouvelles Méditations et Harmonies (édition dite “des Souscripteurs”). — Correspondance, en particulier avec Aymon de Virieu et avec son beau-frère Montherot. — Mémoires inédits, 1790-1815 (posth. 1870).


LES MAISONS  DES LAMARTINE A MACON

Lamartine est né en 1790 dans une maison de la rue des Ursulines, dépendance de l'hôtel patrimonial de la rue Solon [en face de l'actuel Musée Lamartine].

Cette maison natale de Lamartine a été détruite en 1970 dans le cadre des travaux de modernisation du quartier. Elle se trouvait en face du couvent des Ursulines (aujourd'hui musée Lamartine). Le père du poète avait été incarcéré provisoirement sous la Révolution dans le couvent devenu prison. Une légende dit que Mme de Lamartine, du grenier de la maison, pouvait présenter l'enfant à son père, autorisé à se rendre dans les combles du couvent.

photo DR

Entre 1794 et 1805, il a passé son enfance dans la maison de Milly.

Puis, son père ayant acquis l'hôtel d'Ozenay, rue de l'Eglise-Neuve, en 1804, il n'a plus habité Milly qu'à la belle saison et au moment des vendanges.

Adresse actuelle : 15 rue Lamartine

Après son mariage, en 1820, il s'est installé définitivement au château de Saint-Point.

Alors il fut conseiller municipal, conseiller général, député. Il lutta pour obtenir, en 1842, la transformation du collège municipal de Mâcon en collège royal ; il lutta pour obtenir la desserte de Mâcon par le chemin de fer ; il obtint le maintien de la préfecture à Mâcon, au détriment de Chalon.  Il participa à des banquets, fit des discours, créa une publication bi-hebdomadaire, Le Bien public, qui lui coûta 15000 francs par an et qui lui servit de tribune politique.

Ses compatriotes étaient fiers de lui et de son action. Mais ses prises de position en 1848 lui suscitèrent des adversaires parmi les bourgeois conservateurs et les catholiques intégristes. En 1849, abandonné par les Mâconnais, il opta pour le département du Loiret, qui l'avait élu à la députation.


TEXTES DE LAMARTINE SUR SES DEMEURES DE MÂCON

L’HÔTEL PATRIMONIAL DE LA RUE SOLON — "Il y avait, dans un quartier élevé de la ville, l’hôtel de notre nom, la maison héréditaire de la famille, la demeure de mon grand-père autrefois, et maintenant la demeure du frère aîné de mon père et de ses deux sœurs, plus âgées que mon père aussi et non mariées ; maison haute, vaste, noble de site et d’aspect, et conservant ce reste de splendeur un peu morne que la Révolution avait laissé sur les édifices dont elle avait frappé le seuil, immolé ou proscrit les habitants. Une porte massive, un long et large vestibule donnaient naissance aux rampes d’un escalier d’honneur ; au rez-de-chaussée, une enfilade de salles d’attente, de salles à manger et de salons magnifiquement pavés de marbre et lambrissés de boiseries sculptées, à dessus de portes peints et à glaces encadrées d’arabesques. Toutes ces pièces ouvraient sur un jardin encaissé, comme à Naples ou à Séville, dans de hautes murailles sur lesquelles des peintres italiens avaient colorié des perspectives. C’était une demeure de gentilhomme espagnol dans quelque petite ville de Castille, moins la solennité artistique et monacale des cathédrales et des antiques mosquées de son pays. Nous n’y entrions jamais qu’avec un certain respect."

L’HÔTEL D’OSENAY — "La maison avait sa façade principale sur une large rue à pente un peu roide qui débouchait sur quelques tilleuls, dépendance de la grande place de l’Hôpital, et promenade ordinaire des enfants, des nourrices et des vieillards de ce haut quartier. Un linteau de marbre noir, merveilleusement sculpté, au-dessus de la porte, annonçait un sentiment d’art et de luxe architectural dans celui qui l’avait bâtie. Cette porte ouvrait sur un vestibule large, profond, surbaissé, humide et sombre. Au fond de ce vestibule on apercevait les premières marches d’un escalier éclairé par un jour indirect et ruisselant d’en haut, comme dans les tableaux d’intérieur de couvent par Granet, le peintre du recueillement. L’escalier en pierres jaunes ressemblait à ces escaliers insensibles du Vatican et du Quirinal à Rome qui semblent proportionner leurs degrés de marbre aux pas affaiblis d’une aristocratie de vieillards. Après avoir monté une demi-rampe de ces degrés, on se trouvait en face d’une large fenêtre et d’une porte vitrée plus large encore ouvrant sur un jardin intérieur. Ce jardin, étroit et profond, était encaissé dans de hautes murailles grises, par dessus lesquelles on n’apercevait que les toits de tuiles rouges et les dernières mansardes grillés de fer de quelques hautes maisons d’artisans et d’un couvent de vieilles religieuses. Aspect monastique qui donnait au jardin, quoique très lumineux, le caractère, le silence et le recueillement d’un cloître espagnol. Mais, bien que je sentisse en rentrant sous le vestibule paisible et sombre de la maison de mon père ce que l’on sent quand on entre dans un sanctuaire dont la porte qui nous sépare de la foule se referme sur vous, cependant, tout brisé que j’étais par ma tristesse, j’étais trop jeune et trop tumultueux encore pour ne pas me lasser bientôt de cet asile trop étroit pour mes ailes, et trop monotone pour ma mobilité."

LA MAISON DE LA RUE DES URSULINES  — "A l’un des angles de la place qui était avant la révolution un rempart, et qui en conserve le nom, on voit une grande et haute maison percée de fenêtres rares et dont les murs élevés, massifs et noircis par la pluie et éraillés par le soleil, sont reliés depuis plus d’un siècle par de grosses clefs de fer. Une porte haute et large, précédée d’un perron de deux marches, donne entrée dans un long vestibule, au fond duquel un lourd escalier en pierre brille au soleil par une fenêtre colossale et monte d’étage en étage pour desservir de nombreux et profonds appartements. C’est là la maison où je suis né."


En 1878, Mâcon lui éleva, devant l’Hôtel de Ville, une statue (œuvre d’Alexandre Falguière) dont le piédestal porte trois bas-reliefs représentant l’Histoire, l’Eloquence et la Poésie.

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En 1978, une grande mosaïque fut posée là où, en juillet 1847, le maire de Mâcon, Charles Rolland, organisa le grand banquet de 6000 couverts au cours duquel Lamartine annonça la "révolution du mépris" (on y reconnaît des membres du gouvernement provisoire de 1848, Arago, Crémieux, Blanc, Dupont de l’Eure…). Au cours de ce "banquet des Girondins" du 18 juillet 1847 Lamartine présenta son Histoire des Girondins et parla de la Révolution française. [à l'entrée de la rue Gambetta, côté Saône].

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LA MAISON DE MILLY

La maison de Milly, simple maison destinée à n’être habitée qu’au moment des vendanges, avait été construite en 1705 par Jean-Baptiste de Lamartine (1642-1707).

En 1794, Pierre de Lamartine, qui venait d’être libéré après une incarcération pour ses idées royalistes, décida de s’y installer avec sa femme Alix des Roys et leurs deux jeunes enfants, Alphonse et Cécile. Toutefois, à partir de 1805 — des bénéfices sur ses vins et la vente d'un petit héritage en Franche-Comté lui ayant permis d’acheter l'Hôtel d’Osenay à Mâcon — il n’habita plus Milly qu'à la belle saison, jusqu'à la fin des vendanges.

En 1821, dans les Nouvelles Méditations, Lamartine publia Les Préludes, poème dans lequel il dit son attachement au cadre dans lequel il a vécu son enfance :

Ô vallons paternels ! doux champs! humble chaumière,
Aux bords penchants des bois suspendus aux coteaux,
Dont l’humble toit, caché sous des touffes de lierre
Ressemble au nid sous les rameaux !

En 1827, à la mort de François-Louis, Milly devint propriété de Pierre, qui fit le projet de la vendre. Alors Alphonse, qui se trouvait “exilé” à Florence, plaida la cause de son cher Milly dans un poème, Milly ou la Terre natale:

Pourquoi le prononcer ce nom de la patrie ?
Dans son brillant exil mon cœur en a frémi ;
Il résonne de loin dans mon âme attendrie,
Comme les pas connus ou la voix d’un ami.
Montagnes que voilait le brouillard de l’automne,
Vallons que tapissait le givre du matin,
Saules dont l’émondeur effeuillait la couronne,
Vieilles tours que le soir dorait dans le lointain,
Chaumière où du foyer étincelait la flamme,
Toit que le pèlerin aimait à voir fumer,
Objets inanimés, avez-vous donc une âme
Qui s’attache à notre âme et la force d’aimer ? […]
Bientôt peut-être…! écarte, ô mon Dieu, ce présage !
Bientôt un étranger, inconnu du village,
Viendra, l’or à la main, s’emparer de ces lieux
Qu’habite encor pour nous l’ombre de nos aïeux,
Et d’où nos souvenirs des berceaux et des tombes
S’enfuiront à sa voix, comme un nid de colombes
Dont la hache a fauché l’arbre dans les forêts
Et qui ne savent plus où se poser après !

Après la mort accidentelle de sa femme, en 1829, Pierre fit un partage anticipé de ses biens immobiliers. Alphonse reçut Milly en toute propriété, à condition de verser une rente viagère annuelle de 1000 francs à son père et 133.000 francs à ses sœurs Marie-Cécile, Marie-Eugénie, Marie-Sophie et à ses deux beaux-frères, veufs de Marie-Césarine et de Marie-Suzanne. Cela l’obligea à contracter un emprunt, puis, pour le rembourser, à publier ses Confidences dans le journal d'Emile de Girardin.

Après ses déboires politiques de 1848, les créanciers de Lamartine firent pression sur lui pour qu'il vende au moins Milly. Après une première mise en vente infructueuse en septembre 1849, il se donna un répit de dix ans grâce à un véritable “travail forcé littéraire”.

Mais, en 1856, la perspective de devoir abandonner Milly le hantait. A l'automne, il vint, comme chaque année, surveiller les vendanges; c'est alors qu'il écrivit la Vigne et la maison, poème dans lequel il fait revivre le passé, “quand la maison vivait comme un grand cœur de pierre / de tous ces cœurs joyeux qui battaient sous ses toits”.

Viens, reconnais la place où ta vie était neuve,
N’as-tu point de douceur, dis-moi, pauvre âme veuve,
A remuer ici la cendre des jours morts ? […]
Contemple la maison de pierre
Dont nos pas usèrent le seuil.
Vois-la se vêtir de son lierre
Comme d’un vêtement de deuil. […]
On eût dit que ces murs respiraient comme un être
Des pampres réjouis la jeune exhalaison ;
La vie apparaissait rose, à chaque fenêtre,
Sous les beaux traits d’enfants nichés dans la maison. […]
Puis la maison glissa sur la pente rapide
Où le temps entasse les jours ;
Puis la porte à jamais se ferma sur le vide,
Et l’ortie envahit la cour.

La maison de Milly dut cependant être sacrifiée, par un Lamartine financièrement aux abois. La vente eut lieu le 18 décembre 1860, au prix de 500.000 francs, à M. Mazoyer, propriétaire à Cluny. A Miss Blake, une amie de son ménage, Lamartine écrit : "J'ai été obligé de signer la vente de la moelle de mes os, ma terre et ma maison natale de Milly, à un prix de détresse qui ne représente ni la valeur morale ni la valeur matérielle. J'ai emporté avec larmes, en quittant le seuil, les vestiges de ma mère et les reliques de ma jeunesse ; et j'ai écrit sur la porte que je ne repasserai plus : Bénédiction sur cette maison, malédiction sur la France ! Pardonnez cette vengeance d'une âme ulcérée..."

L'acquéreur de Milly ne garda pas la maison. Elle fut échangée par lui dès 1861 avec Me Daux, notaire à Saint-Sorlin (devenu "La Roche-Vineuse"). Avant d'en prendre possession, Me Daux tint à demander à Lamartine lui-même s'il ne souhaitait pas en retrouver la pleine propriété, lui offrant ainsi la possibilité de la racheter. Le vieux poète lui répondit : "Achetez sans crainte de m'affliger. Une fois la coquille de l'œuf brisée, le passereau n'y rentre plus!"

Dans le Cours familier de littérature, il écrira :  "Quand, en allant à Saint-Point, je ne puis m’empêcher de passer sur la route où la colline aride surmonte avec son clocher et ses maisons le paysage, et où les sept sycomores font trembler leurs branches sur l'angle presque invisible du toit, je suis obligé de détourner la tête pour cacher mes larmes. Et je passe. Mais je suis triste tant que je me souviens de ce village entrevu."


Julien GRACQ, "Demeures de poètes", dans En lisant en écrivant (Pléiade, 2, 743):

"Milly-Lamartine est un hameau moribond d'une vingtaine de feux, étagé en espalier sur la pente des monts du Mâconnais, et desservi, plutôt que par des rues, par un lacis d'étroites sentes asphaltées. La moitié des maisons sont abandonnées ou à demi ruinées, comme dans un «bout du monde» des Corbières, mais les moellons de la belle pierre calcaire, chaude et dorée, qu'aucun crépi ne dissimule, les ennoblissent encore; la chaleur sèche, la végétation crépue et frisée du Midi se glisse au long de cet étroit balcon de pierres rôties, où seule une route abrupte et minuscule donne accès, comme aux niches habitées qu'on voit à l'adret des alpages. C'est un rucher qui prend le soleil, qui lézarde et s'éveille encore à la seule vibration de la chaleur sur les pierres, longtemps après que l'essaim est parti. Encastrée au milieu du hameau, et de sa sécheresse caillouteuse, derrière sa grille, au fond d'un jardin ombragé vert et frais, la demeure du cygne de Saint-Point n'est qu'une maison de famille carrée, solidement et confortablement bâtie en belle pierre du Mâconnais: une de ces propriétés de bonne bourgeoisie, en retrait sous leurs ombrages abaissés comme des cils, et qui n'aiment pas se laisser dévisager de la rue: le panonceau discret d'une opulence notariale peu soucieuse d'alerter le fisc ne surprendrait pas à la grille de cette demeure où rien ne parle du gentilhomme. C'est une maison de maître toute balzacienne, une enclave bien rentée, née après le cens et la dîme, au temps du trois pour cent, et qui se moque du pigeonnier, du chenil et de la tourelle. C'est le village qui est noble, non la maison; ce n'est pas le poète qui a pris l'essor dans cette maison de campagne cossue qui congédie sèchement le romantisme: tout y fait rêver — si rêve ici il y a — au député de la Monarchie tempérée."

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LE CHÂTEAU DE MONCEAU

Du côté de l’arrivée, on pénètre dans la cour par un porche au-dessus duquel se voit l’écu des Dronier, les grands parents maternels du poète (“un cyprès arraché, de sinople, au chef d’azur chargé de deux étoiles”) et, à gauche, les armes de Lamartine (“deux fasces accompagnées en cœur d’un trèfle à quatre feuilles”). A la façade du château donnant sur la cour, Lamartine a ajouté une galerie de desserte décorée de pilastres et de couronnements de fenêtres avec têtes d’enfants et guirlandes. Du côté est, sur le jardin, un corps central coiffé à quatre pans est encadré de deux pavillons carrés à toiture pyramidale et lucarnes du XVIIe siècle, prolongés eux-mêmes par des ailes couvertes en terrasse.

Monceau

Monceau en hiver (wiki-Phildic)

L'intérieur a conservé la salle à manger, le grand salon (avec une cheminée Louis XV décorée d’Amours par Marianne de Lamartine), la cuisine dallée, la cage d'escalier, la chambre de Lamartine (avec une corniche néo-gothique).

LAMARTINE HERITE DE MONCEAU EN 1826 — Le domaine Monceau était entré dans le patrimoine des Lamartine en 1662 par l'apport qu'en fit Françoise Albert (qui le tenait en héritage de ses parents) lors de son mariage avec Jean-Baptiste de Lamartine (1642-1707). Au début du XVIIIe siècle, il fut transmis à Philippe-Estienne de Lamartine, capitaine au régiment Orléans-Infanterie. Louis-François de Lamartine, capitaine au régiment de Monaco, qui épousa ensuite Jeanne-Eugénie Dronier, en hérita en 1735. En 1798, le partage de tous les biens de la succession de Louis-François attribua l'ensemble du domaine de Monceau — qui avait prospéré et comptait 47 hectares de terres en grande partie plantées en vignes — à l'aîné François-Louis (1750-1827) et à sa sœur Marie-Anne-Charlotte-Eugénie (1753-1833), dans l'indivision. A la mort de François-Louis, en 1827, sa sœur Marie-Anne-Charlotte resta la propriétaire unique du domaine. Mais le testament prévoyait qu'après la mort de celle-ci, Monceau passerait à son neveu Alphonse, aux conditions qu'elle voudrait bien fixer. Or la vieille demoiselle avait assorti son legs d'une certaine obligation financière envers Marie-Cécile, épouse de Cessiat, et le legs se grevait de lourds droits de succession (environ 200.000 francs) à régler avant la prise de possession. C'est pourquoi, Alphonse se décida à vendre Monculot (dont il avait hérité en 1826), ce qui, avec les droits d'auteur des Harmonies et des emprunts, lui permit, à la mort de sa tante Marie-Charlotte (1833), d'entrer en propriété de Monceau et de 40 hectares de vignes.

LAMARTINE SE FAIT EXPLOITANT VIGNERON — Ce sont les vignes qui faisaient la richesse du domaine et Lamartine se retrouva donc, comme il le dit, «grand administrateur de terres et de vignobles». Mais il n’avait ni le flair ni l'habileté de son oncle François-Louis, et il y perdra plus qu'il n'y gagnera dans l'ensemble. Ces difficultés n'empêchèrent pas Lamartine de poursuivre des acquisitions pour arrondir ses terres, dans son incoercible besoin de satisfaire ses goûts de grand propriétaire terrien, et de jouer au grand seigneur. Tout cela affole Marianne, qui écrit en 1858: «Nous sommes dans une crise bien cruelle. Je pourrais supporter la pauvreté réelle, mais je ne puis supporter les dettes. M. de Lamartine souffre plus qu'on ne peut le croire et il a des accès de désespoir qui me mettent hors de moi.»

LAMARTINE REÇOIT BEAUCOUP A MONCEAU — La situation de Monceau à proximité immédiate de la grand-route de Cluny et à 8 ou 9 kilomètres seulement de Mâcon désignait le château pour être le lieu d'accueil des amis de passage et des personnalités politiques de plus en plus nombreuses avec lesquelles Lamartine était en relation. Le château était un véritable caravansérail dont tous les frais étaient assumés par le poète-député et toute la charge domestique dévolue à son épouse. Il résumait ainsi à son ami Pelletan ce que l'on faisait à Monceau: "On y arrive, on en part, on y revient; on croit dîner seul, on est vingt à table; on fait de l'histoire, de la politique et du vin; on remue de la terre et des idées". C’est pour rendre le château plus commode que Lamartine fit construire une galerie le long de la façade intérieure, qui, réunissant entre eux les salons du corps principal du château, facilitait le mouvement de ses hôte et rendait le service plus aisé. Le 9 novembre 1847, Lamartine écrit à Delphine de Girardin: "Nous avons eu hier ici trente personnes à dîner et à coucher, d’Italie, d'Angleterre, de Paris, de partout ; les Marcellus, les Ronchaud, Ponsard, etc". A Monceau, on vit Rachel, Béranger, Girardin, Eugène Sue, Balzac, Dumas, Sandeau, George Sand, Franz Liszt, ainsi que les parlementaires de la région et les membres du Conseil général de Saône-et-Loire (qu'il présida longtemps). De temps à autre, c'étaient de grandes réceptions, très ouvertes, comme en septembre 1842 où, pour distraire les notables du Mâconnais (250 invités) on avait réuni deux musiques militaires sur la terrasse et une chorale dans la galerie, la fête se terminant par une illumination des abords du château.

LAMARTINE RECHERCHE LA SOLITUDE POUR ECRIRE — Tout cela — qui était indispensable à son rang, à son prestige, à sa carrière politique en ce temps de suffrage censitaire — n'allait pas sans parfois l'excéder. Pour y échapper, il fit construire vers 1840, à quelque 300 mètres du château, au milieu des vignes, un petit pavillon octogonal en bois couvert de chaume, le "pavillon des hirondelles", où il pouvait discrètement se retirer. Dans cette “solitude” furent écrites bien des pages importantes et notamment un certain nombre de chapitres de l'Histoire des Girondins au cours des étés de 1845 et de 1846. Ou bien, quand le château était à peu près calme, sans hôtes accaparants, le poète se retirait à proximité immédiate, dans le massif d'arbres qui le jouxtent au sud-ouest, et qu'il appelait “le salon de Dieu”. Il y retrouvait pour quelques heures l'atmosphère paisible de Saint-Point, qui, à Monceau, lui manquait, en dehors de quelques répits dont il jouissait en épicurien, comme au début de l'été de 1838 où il écrit à son ami le marquis de La Grange:  «Je ne pense, quant à moi, à rien du tout, qu’à boire l'eau de mes sources, plus pures que la Seine, à manger des fraises, et à rester au lit jusqu’à dix heures avec ma fenêtre ouverte au soleil et un livre à la main; puis à cheval, puis à table. Véritable vie de Salomon après sa chute, aux cinq cents femmes près!»

Détruit accidentellement en 1996, le pavillon a été reconstruit l'année suivante par l'Académie de Mâcon.

LAMARTINE A MONCEAU APRES SON ECHEC POLITIQUE — Après les journées parisiennes de 1848, c'est à Monceau que Lamartine trouvera un adoucissement à l'amertume causée par son échec. Des délégations de citoyens de Mâcon et de nombreuses communes du Mâconnais  — de Prissé, de Milly, de Solutré, de Davayé, de Bussières, de Vergisson, et même de Cenves — vinrent alors l'acclamer, portant des drapeaux. Lamartine, qui les voyait arriver par la longue avenue qui monte jusqu'au château, les remerciait du haut de l’escalier en fer à cheval, quand leur troupe s’était groupée sur la vaste terrasse. C’est là que, le 17 octobre, il eut ce mot: "A Liberté, Egalité, Fraternité, il faudrait ajouter Constance: c’est la devise de votre générosité pour moi et de mes sentiments pour vous." (ce qui n’empêcha pas les Mâconnais de voter massivement pour le futur Napoléon III). Après 1851, date où le coup d'Etat mit définitivement fin à son activité politique, Lamartine passera une partie des étés et les automnes, occupé à écrire les innombrables pages des compilations historiques, des récits, et surtout du périodique qu'il a créé le Cours Familier de littérature, auxquels il demandera une partie des sommes énormes qu'exigent alors le remboursement et le paiement des intérêts des dettes qu'il a accumulées et qu'il est contraint de renouveler indéfiniment. Pourtant Lamartine ne se décida jamais à vendre le domaine. Par testament, il le légua à sa nièce. Lors de la liquidation de la succession, Valentine de Cessiat vendit Monceau à M. Jean-Baptiste Virey. Le château est occupé aujourd’hui par une maison de vacances pour personnes âgées.


LE CHÂTEAU DE PIERRECLOS

Le château de Pierreclos semble dater du XIIe siècle. En 1434, le domaine passa à la famille de Rougemont qui le conserva jusqu'en 1664, lorsque des difficultés financières l'obligèrent à s'en défaire. Il fut acquis par la famille Michon. En 1747, il passa à Jean-Baptiste Michon comte de Pierreclau, qui possédait également un hôtel patrimonial à Mâcon, au 5 rue de la Barre.

Pierreclos généalogie

 

 


LE PRESBYTÈRE DE BUSSIÈRES

Lamartine fut très lié avec le curé de Bussières, François Dumont. Ils avaient en commun d’avoir donné au comte de Pierreclau deux petits-fils illégitimes. En effet l’abbé Dumont avait eu, en 1799, une liaison secrète avec une des filles du comte, Marguerite, et il lui avait fait un enfant. Lamartine, lui, avait été l’amant de la belle-fille du comte, Nina, et chacun s’accordait pour dire que l’enfant qu’elle mit au monde en 1813 ressemblait plus au poète qu’à son père officiel, Guillaume de Pierreclau.

L’abbé François Dumont

En 1765, Marie Charnay, la servante du curé de Bussières, l’abbé Antoine-François Destre, mit au monde un fils, Antoine-François, et, en 1767, un second fils, François (dont beaucoup, dont Lamartine lui-même, insinuèrent qu’il était le fils du curé Destre, le mari, Philippe Dumont, ayant endossé la paternité de l’enfant).

Le prêtre témoigna toujours de la bienveillance pour le jeune garçon et il le prépara à l'état ecclésiastique, avec l’aide de l’évêque de Mâcon, qui le fit entrer au séminaire. François Dumont reçut l’ordination sacerdotale en juillet 1790 et, en septembre, il fut nommé à Bussières comme vicaire du curé Destre.

La Révolution étant survenue, François Dumont prêta serment à la Constitution, puis, en 1793, il abandonna le sacerdoce, vivant de la pension versée par l’Etat aux prêtres abdicataires.

Il vécut alors en parfait sans-culotte, passant ses journées soit à la chasse, soit en compagnie de la jeunesse dorée de Mâcon, où les succès féminins, dit-on, ne lui manquèrent pas. Comme il était devenu familier de la famille de Pierreclos, il s’occupa des affaires du comte lorsque celui-ci se trouva incarcéré, comme royaliste et comme père d’émigré.

En 1798, il séduisit une des filles du comte, Marguerite-Jacqueline de Pierreclau (qu'on appelait dans la famille « Mademoiselle de Milly ») et il lui fit un enfant, qui put naître à l’insu de la famille. L’année suivante, Marguerite de Pierreclau épousa un homme de son milieu et devint Mme Mongez. Le fait qu'elle fut ensuite amie avec la mère de Lamartine prouve que, dans le pays, on ne sut jamais rien de sa liaison avec l'abbé.

A ce moment, François Dumont vivait toujours dans le presbytère de Bussières, mais sans dire la messe. Le curé Destre — qui avait « peu de goût pour la société d'enfants étourdis et bruyants » — le chargeait parfois de donner des leçons aux gamins du voisinage, parmi lesquels le petit Alphonse de Lamartine, qui descendait régulièrement de Milly à Bussières.

Après que Bonaparte eut rétabli l'ordre social bouleversé par la Révolution, Dumont se résigna à reprendre sa condition de prêtre et, en 1803, il se retrouva curé de Bussières. Le secret de ses amours ayant été bien gardé, il fut facilement accepté de tous les notables du lieu. Mais il resta ouvertement royaliste, antirépublicain fanatique, méprisant pour l'Empereur, plus souvent en costume de chasse qu'en soutane, plus fervent lecteur des philosophes que des textes sacrés.

Vers 1813, Lamartine connut le secret de l'abbé Dumont par les confidences que lui fit sa maîtresse Nina de Pierreclau, la belle-sœur de Marguerite-Jacqueline. Aussitôt il se lia d'amitié avec lui et il fut, jusqu'à la fin de la vie du prêtre, son inlassable bienfaiteur, payant à plusieurs reprises les dettes que lui faisait faire, chez les antiquaires et brocanteurs, son goût immodéré pour les objets d'art.

Quand, en octobre 1831, Lamartine retrouva son ami avec des joues amaigries, une démarche incertaine, des cheveux blanchis, il lui offrit un séjour en Provence. Mais l'abbé Dumont revint quelques semaines plus tard à Bussières pour y mourir, en janvier 1832 (à 65 ans), après avoir légué à Lamartine ce qu'il possédait de plus précieux : sa bibliothèque, sa montre en or, ses gravures.

L'abbé Dumont repose au chevet de l'église de Bussières. La pierre tombale relevée contre le mur de la sacristie est gravée d'une épitaphe composée par Lamartine lui-même : "À la mémoire de F. Dumont, curé de Bussières et de Milly pendant près de quarante ans, né et mort pauvre comme son divin maître, Alphonse de Lamartine, son ami, a consacré cette pierre près de l’église pour perpétuer parmi le troupeau le souvenir du bon pasteur. 1832"

Jocelyn

C’est à partir du personnage de l’abbé Dumont que Lamartine a imaginé l’intrigue de son Jocelyn.

Jocelyn, fils d’une famille pauvre, renonce à sa part d’héritage paternel et entre au séminaire afin de permettre à sa sœur d’épouser celui qu’elle aime. Il se destine au sacerdoce, lorsque les événements de la Terreur l’obligent à se réfugier dans une grotte des Alpes, la “grotte des Aigles”. Un jour arrive un émigré et son fils, poursuivis par des soldats. Le père est frappé par une balle et, mourant, il confie à Jocelyn “son fils”, Laurence. Les jeunes gens vivent, heureux, dans les bois, attirés l’un vers l’autre par un secret instinct. Bientôy Jocelyn découvre que Laurence est une femme et que son amitié est en fait de l’amour. C’est alors qu’il est appelé près de son évêque prisonnier et condamné à mort par les révolutionnaires. Ce vieillard, ayant rappelé au jeune homme ses promesses à Dieu, lui confère les ordres pour qu’il puisse lui donner les derniers sacrements. Les années passent. Jocelyn, prêtre, est devenu le desservant d’une misérable paroisse des Alpes, Valneige. Quant à Laurence, séparée de Jocelyn, elle s’est jetée par désespoir dans une existence de désordre. Un soir, mourante, elle arrive dans le village de Jocelyn, qui reçoit sa confession. Il accompagnera son cercueil aux lieux où ils se sont aimés et où lui-même, peu après, sera enterré.

Très vite, les gens de Bussières, qui savaient que Jocelyn était une transposition littéraire de l’abbé Dumont, ont assimilé "Mlle de Milly" à la Laurence du poème. Ils ont même appelé "grotte de Jocelyn" une minuscule cavité dans la paroi rocheuse de la colline du Monsard. Pourtant, selon le critique Henri Guillemin, "le poème se développa librement sans presque rien devoir au personnage réel qui l’avait inconsciemment suscité ; son ombre même en est absente ; quant à Laurence, elle n’emprunte absolument rien à la fille du comte de Pierreclau".

Il reste, dans Jocelyn, la présence de la maison de Milly (qui est devenue la maison natale de Jocelyn), les évocations du paysage de Pierreclos, du presbytère de Bussières (…neuf marches d’escalier / sonore, chancelant, conduisant au palier / qu’un avant-toit défend du vent et de la neige). Il reste la présence de Lamartine lui-même, son amour de la nature et de son chien Fido, sa douleur à la mort de sa mère et, peut-être aussi, le souvenir de Julie Charles :

C’est ainsi que ce juste élevait dans son âme
Comme une hache au cœur un souvenir de femme.

Les Confidences

Lamartine attendit la mort de Mme Mongez (en 1848) pour livrer au public, dans ses Confidences, une version certes romancée mais plus transparente des amours de l’abbé Dumont:

«Dumont est un “jeune et beau secrétaire” qui vit avec le vieux curé de Bussières. Royaliste, il est un familier du château voisin où il a sa chambre “dans une tourelle haute du donjon”. Dans ce “repaire d’aristocrates”, il donne des leçons de lecture, d’écriture et de religion à la plus jeune des filles qui a à peine 16 ans et qui est amoureuse de lui. Un jour, le château est cerné par des gendarmes et des gardes nationaux qui viennent arrêter le comte à la demande du Comité révolutionnaire. Dumont réussit à s’échapper par des souterrains secrets avec la jeune fille habillée en homme. Il la conduit dans les Cévennes chez une vieille tante, qu’ils ne trouve pas, car elle a été arrêtée. Il vont alors chez la nourrice de la jeune fille, en Lozère. Là ils passent une année de solitude et de bonheur… A la fin de la Terreur, la nourrice ramène la jeune fille à Pierreclos et Dumont revient dans son presbytère. De temps en temps, il s’absente pendant plusieurs jour pour aller voir, dans les Cévennes, un enfant sans nom dont la nourrice dit qu’il a été trouvé au bord d’une source, sous des hêtres… Cinq ou six ans après, la fille du comte est mariée à un vieillard et Dumont, “sentant finir ses irrésolutions”, va passer quelque temps près de l’évêque de Mâcon, se fait ordonner prêtre et revient à Bussières comme vicaire.»

Une telle indiscrétion affligea beaucoup Cécile, la sœur aînée de Lamartine; elle obtint seulement que le texte ne dise pas que Dumont, au moment de sa liaison amoureuse, était déjà prêtre (“il ne sera prêtre qu’après et par désespoir”, écrit Lamartine à sa nièce Valentine en 1849).  En 1858, Louis Veuillot, mis au courant, reprocha à Lamartine d’avoir vendu par pur mercantilisme les secrets de son ami mort (ce qui n’empêcha pas Lamartine de revenir sur cette affaire dans ses Nouvelles Confidences, dans Geneviève, dans ses Mémoires politiques, dans le Cours familier de littérature…). En 1864, la belle-sœur de Marguerite parla d’"outrage sanglant" et d’"insulte atroce" à la famille de Pierreclau.


LE CHÂTEAU DE CORMATIN

Le château de Cormatin fut construit à partir de 1605, sur des plans de Jacques II Androuet du Cerceau, par Antoine du Blé et achevé par son petit-fils, le maréchal d'Huxelles (1652-1730), le négociateur de la paix d'Utrecht (1718).

Le mur est (où s’ouvrait le pont-levis) a été démoli dès la fin du XVIIe siècle. Le corps de bâtiment sud a été abattu en 1815, à l’exception de la chapelle.

Le réseau de douves, comblé au début du XIXe siècle, a été réaménagé.

Les appartements seigneuriaux sont ornés de lambris sculptés, dorés et peints de la première moitié du XVIIe siècle.

wiki-P. Giraud

Nina Verne épouse Guillaume de Pierreclau

Sous l'Empire, le château appartenait à Sophie Verne, fille naturelle du duc de Beringhen, épouse du célèbre Félicité Dezoteux (1753-1812), ancien chef chouan dit "le baron de Cormatin", qui avait été emprisonné sept ans au fort de Ham. Leur fille, Anne-Joséphine, appelée familièrement Nina, épousa Guillaume de Pierreclau, ami d'enfance de Lamartine.

A Cormatin, on avait l’habitude de mener grande vie et Nina acheva de consommer la ruine de sa mère, en y donnant des fêtes, comme elle le raconte elle-même: "Le jour, c’étaient des promenades à cheval ou en voiture pour les dames qui ne voulaient pas monter à cheval; pour moi, j’étais toujours à la tête de la cavalerie. Au retour, c'était une partie de bateau sur la Grosne, qui enveloppait complètement le parc. Le soir, il y avait illumination dans tous les jardins, feu d'artifice, invisible concert dans le charmant labyrinthe dont presque tout le monde ignorait les détours. Mon maître de harpe, le maître de violon de mon frère, quelques amis et moi donnions un concert en plein air qui, la nuit, était d'un effet enchanteur. C’était une île enchantée, c’était une féérie, c’était la voix des anges.... Aussi quand je reparaissais au milieu des spectateurs encore sous l'impression de leurs émotions, je n’étais plus une femme : j’étais une syrène."

Lamartine fait de Nina sa maîtresse

Dès 1812, Lamartine fut l'amant de Nina, sans doute avec le consentement de son ami Guillaume, lui aussi mari peu fidèle. Il lui fit même un enfant, Léon, dont Guillaume endossa tout simplement la paternité.

Lorsque le vieux comte de Pierreclau mourut (en 1817), Guillaume introduisit une demande en séparation de biens pour que sa part d'héritage lui restât en toute indépendance, hors des intérêts de sa femme. Alors Nina essaya de reconquérir l'amour de Lamartine. Mais celui-ci, qui venait de rencontrer Julie Charles, préféra rompre nettement avec elle. Le 2 janvier 1818, il lui écrivit: "Je crains que nous ne puissions malheureusement rien l’un pour l’autre. Ne vous plaignez pas, Madame, de ne plus voir un homme dont la pensée et les idées actuelles ne pourraient que vous causer de la tristesse et de l'ennui. Il conservera toujours un vif intérêt à ce qui pourra vous rendre heureuse et, s’il est le premier à reconnaître qu’il a eu des torts dans ses relations avec vous, il ne cessera de s'en repentir et de vous renouveler ses excuses."

Puis, la mésentente s'aggravant entre les deux époux, la séparation fut transformée en divorce en 1823, à la demande de Nina.

Nina de Pierreclau à Paris et Buenos Aires

Sa mère ayant aliéné Cormatin et s'étant retirée dans la modeste ferme de Répin, sur la commune de Massilly, Nina l'y suivit, mais prit bien vite en horreur cette résidence sans attrait. Alors, avec son fils Léon, elle se rendit à Paris, où, pour vivre, elle donna des leçons de harpe et de piano.

Ayant rencontré un Argentin sans grands scrupules, elle se mit en tête d'aller diriger à Buenos-Aires une maison d'éducation pour jeunes filles de l’ancienne aristocratie coloniale espagnole. Mais l'institution annoncée n'était qu'un orphelinat de filles pauvres. Après quelques essais malheureux, Nina décida de revenir en France en mars 1830.

Son mari, Guillaume de Pierreclau, était mort quelques semaines avant. En qualité de tutrice de ses enfants, elle se hâta de recueillir son héritage, essentiellement le vieux château de Pierreclos, qui, une fois vendu, permit de désintéresser les créanciers de son mari et laissa à Léon et à sa demi-sœur Léonie une somme de 13.400 francs.

Lamartine s'occupe de l'avenir de son fils Léon

C'est à ce moment que Lamartine prit en main l'avenir de son fils Léon. Il commença par l'écarter autant que possible de l'influence de sa mère, trop fantasque, pour laquelle il obtint la direction d'un petit bureau de poste de la Dordogne. Puis il paya régulièrement ses frais d'étude, en dépit de ses propres difficultés financières (c'est l'époque où il achète Milly à sa famille).

En 1838, Léon épousa Alix de Cessiat, une des six filles de la sœur aînée de Lamartine (donc en fait sa cousine). En 1839, il eut une fille, Marie-Thérèse-Léontine Michon de Pierreclau. Lamartine obtint pour lui le poste de sous-préfet d'Apt, mais, avant d'avoir rejoint son poste, Léon de Pierreclos mourut à Mâcon de tuberculose en 1841.

Lamartine à Cormatin chez Henri de Lacretelle après 1843

Sophie Verne, la mère de Nina, avait dû vendre Cormatin en 1809. Elle s'y était toutefois réservé un appartement, ce qui permit à Nina d'y vivre en châtelaine pendant quelques années encore. Puis, sa ruine consommée, Sophie Verne dut quitter Cormatin, qui, après de curieuses vicissitudes, échut à une Marguerite Verne (1829-1860), enfant naturelle, mais reconnue, d'une nièce de Sophie.

Marguerite Verne (alors fillette de 14 ans) épousa à Cormatin, en 1843, Pierre-Henri de Lacretelle (1815-1899), fils aîné de l'historien Jean-Charles-Dominique de Lacretelle (1766-1855) et familier de Lamartine depuis 1835. Dès lors, Lamartine eut sa chambre personnelle au château.

En novembre 1848, invité par Henri de Lacretelle, Lamartine s'adressa aux habitants de cette région de Saint-Gengoux à qui l'on avait ouvert les grilles du château. Il exaltait la dignité de la République qu'il avait fondée en février, quand il fut interrompu par des cris hostiles poussés par des agents bonapartistes qui s'étaient joints à la foule: "A bas les quarante-cinq centimes! A bas la République! A bas Lamartine! Vive l'Empereur! Vive Napoléon!". On chassa les perturbateurs, mais Lamartine interpréta avec lucidité l'événement. Il dit à Lacretelle: "Vous avez entendu ? Cavaignac ne sera pas nommé, ni moi non plus. La légende de sang refleurira… Vous serez tous représentants du peuple… mais sous la Troisième République! Je serai sous les arbres alors. Mettez de la pitié dans la vôtre si vous voulez qu'elle dure... L'Empire commence, et il a commencé dans mon pays!"


LE CHÂTEAU DE SAINT-POINT

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C’est en 1801 que Pierre, le père de Lamartine, acheta le domaine de Saint-Point, près de 70 hectares de terres, prés et bois, avec un ancien château qui avait été dévasté par une bande de paysans en juillet 1789. C’est ainsi que Alphonse enfant et adolescent vint souvent depuis Milly faire des promenades jusqu’au vieux manoir délabré.

Lors de son mariage, en 1820, il reçut le domaine, mais à charge pour lui de payer une rente à ses deux sœurs mariées, Marie-Eugénie et Marie-Césarine. Alors, après avoir hésité, il décida de faire de Saint-Point sa résidence principale.

Pour cela, il entreprit des aménagements. Un voyage en Angleterre, dans la famille de sa femme, lui ayant donné le goût du gothique oxfordien, il décida de faire inclure dans le vieux château quelques éléments architecturaux de ce style, notamment une galerie extérieure orientale et un porche occidental. Il installa son cabinet de travail dans une des tours et, pour s'isoler des bruits, il le fit couvrir d'une sorte de voûte capitonnée.

Le 1er mai 1823, il peut enfin s'y installer avec femme et enfant et y travailler aux Nouvelles Méditations, promises à son éditeur et payées d'avance. Il se réjouit de cette solitude au fond des bois : "Vous me trouverez au fond des montagnes du Charolais, dans un vieux château-fort romantique, mais où je ne mène pas la vie du Moyen Age. C'est plutôt l'âge pastoral : je laboure, j’élève des poulains et je chante de temps en temps. Nous sommes au milieu des bois, sans aucun voisinage, sans aucune ressource que nous-mêmes et nos souvenirs."

En fait, tous ces travaux coûtaient cher et les dépenses dépassaient les rentrées d'argent. Aussi Lamartine dut-il reprendre du service pour retrouver des appointements fixes (qui avaient été payés pendant un certain temps au diplomate en congé, mais qui avaient fini par être supprimés). Le 3 juillet 1823, il reçut la proposition d'aller occuper le poste de second secrétaire d'ambassade à Florence. Bien que déçu de ce second rôle qu'on lui donnait, il accepta aussitôt. Coupées par des congés plus ou moins longs, les fonctions de Lamartine à Florence dureront jusqu'à août 1828.

En 1852-1854, il fit d'autres travaux qui modifièrent beaucoup l'apparence du château. Les communs furent dissimulés derrière une enceinte vaguement mauresque. Un donjon carré, coiffé de faux mâchicoulis et d’un toit en pavillon, avec fenêtres à meneaux, poussa contre la façade occidentale, devant la porte de laquelle fut édifié un étonnant porche néo-gothique, alliance d’accolades, de créneaux et de fleurons en fleurs de lys. Plus loin, à droite, se dressa une mince tourelle coiffée d’une poivrière effilée et percée de meurtrières tréflées. A la suite fut construite une nouvelle aile percée de fenêtres en accolade pourvues de balcons de pierre à quadrilobes ou de fer. Enfin, à l’est et au sud, l’édifice fut entouré d’une terrasse portée sur des arcs en anse de panier et bordée d’une balustrade gothique.

Aidé par son épouse, Lamartine se fit le bienfaiteur du village. Il fonda en 1826 une école pour indigents, un orphelinat. Il donna à la commune le terrain nécessaire à la construction d’un presbytère. L'église, agrandie d'une travée en 1840, bénéficia d'un don du poète pour que l'on y ajoutât un portail néo-gothique dans le style des adjonctions qu'il avait apportées au château. Marianne l’orna de deux tableaux de sa main (une Sainte-Geneviève et une Sainte-Elisabeth de Hongrie).

Saint-Point est souvent présent dans les poèmes de Lamartine :

En 1825, dans une Epître familière, Lamartine avait invité Hugo et son épouse à venir à Saint-Point :

Au sommet d’un léger coteau,
Qui seul interrompt ces vallées,
S’élèvent deux tours accouplées
Par la teinte des ans voilées,
Seul vestige d’un vieux château
Dont les ruines mutilées
Jettent de loin sur le hameau
Quelques ombres démantelées…

Adèle Hugo, dans son Victor Hugo raconté par Adèle Hugo, a dit comment se déroula leur visite, au mois d’août, et comment Lamartine dut expliquer pourquoi il avait remplacé les “cime crénélées” par des toits plats, pourquoi il avait arraché le “lierre touffu” et recouvert la “teinte voilée par les ans” d’un badigeon jaune: "Gardons, aurait-il dit, les anciens monuments pour les descriptions de notre poésie et vivons comme nos contemporains!"

On retrouve l’évocation de Saint-Point dans Bénédiction de Dieu dans la solitude (Harmonies):

D’où me vient, ô mon Dieu ! cette paix qui m’inonde ?
D’où me vient cette foi dont mon cœur surabonde ? […]
C’est que j’ai retrouvé dans mon vallon champêtre
Les soupirs de ma source et l’ombre de mon hêtre.

En réponse à V. Hugo qui, dans les Odes et Ballades, avait lancé un appel: "Amis, loin de la ville… trouvez-moi… quelque asile sauvage… un manoir dans les bois", Lamartine répondit dans les Harmonies, par son poème La Retraite où il évoque le cadre de Saint-Point.

De nombreux textes en prose présentent la vallée de Saint-Point, le château et la vie qu’y menait le poète, entre autres la lettre-préface des Recueillements en 1839 et le début du Tailleur de pierres de Saint-Point (ce “tailleur de pierres” s’appelait Jean-Baptiste Duport et habitait au hameau de La Chanale; il mourut en 1877 à l’âge de 71 ans; sa tombe est dans l’ancien cimetière de Saint-Point).

Dans le 57e entretien du Cours familier de littérature, Lamartine évoque la visite de Franz Liszt en 1845: "Ses notes se fixaient à l’état d’impressions dans nos âmes, quand l’artiste improvisait pendant des heures sur le piano du salon, aux clartés éteintes, et que les bouffées des haleines nocturnes des prés emportaient ces mélodies aériennes aux échos étonnés des bois et des eaux. Dans les cabanes émerveillées de la plus haute montagne, les jeunes garçons et les jeunes filles ouvraient les volets de leur chambre, se penchaient en dehors, oubliaient de dormir, et croyaient que toute la vallée s’était transformée en un orgue d’église où les anges jouaient un air de paradis pendant le sommeil des vivants."

Dans Le Manuscrit de ma mère est rapporté un curieux événement. Une jeune marquise de Saint-Point, qui avait perdu conscience, fut considérée comme morte et enfermée dans le caveau familial. Le soir de l’enterrement, elle fut sauvée par le sonneur de cloches qui entendit ses gémissements. Elle devait vivre encore de longues années avant d’être à nouveau ensevelie dans le même sépulcre.


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Dans le petit cimetière de Saint-Point, le tombeau des Lamartine est dominé par une inscription : Speravit anima mea.

Lamartine vit d’abord le cimetière accueillir la tombe de sa mère Alix († 1829):

Tombeau, cher entretien d’une douleur amère,
Où le gazon sacré qui recouvre ma mère
Grandit sous les pleurs du hameau !

Puis vint le tour de sa belle-mère, Mme Birch (†1831), et de sa fille Julia, morte à Beyrouth en 1832:

Maintenant tout est mort dans ma maison aride,
Deux yeux toujours pleurant sont toujours devant moi;
Je vais sans savoir où, j’attends sans savoir quoi;
Mes bras s’ouvrent à rien et se ferment à vide.

Des poèmes comme La Cloche (1835) ou La Cloche du village (1838) disent sa douleur chaque fois que sonnait le clocher de la petite église :

C’est le jour où ta voix dans la vallée en larmes
Sonnait le désespoir après le glas d’alarmes,
Où deux cercueils passant sous les coteaux en deuil
Et bercés sur des cœurs par des sanglots de femmes
Dans un double sépulcre enfermèrent trois âmes
Et m’oublièrent sur le seuil !

Trente ans plus tard, en 1863, Marianne mourut. Sur son tombeau, il fit placer une statue gisante pour rappeler la piété de son épouse.

Lamartine lui-même la rejoignit en 1869, ayant refusé des funérailles nationales pour être enterré “sous le chêne natal de [son] obscur vallon”.

Sa nièce et seconde épouse, Valentine de Cessiat, demanda à être inhumée près de lui.

Un jeune poète tué devant Verdun en 1915, Marc Larréguy de Civrieux, fut enterré, selon son vœu, près du tombeau de Lamartine.

 


Dans l’intérieur du château, on montre le cabinet de toilette (avec le lit de Lamartine), la chambre (avec une cheminée décorée de plaques de porcelaine décorées par Marianne des portraits de Shakespeare, Homère, Dante, Pétrarque, Vittoria Colonna, Corneille, l’Arioste, Sapho et Racine), le cabinet de travail voûté en berceau aux murs capitonnés, le salon orné de portraits de famille et d’une tapisserie à thème antique (Pyrrhus).

On a rassemblé divers objets : le lit dans lequel Lamartine est mort à Passy, deux portraits de Julia peints par Marianne, le drapeau tricolore de l’Hôtel de Ville de Paris, son écharpe de député, un fichu ayant appartenu à Graziella, le crucifix avec lequel est morte Julie Charles :

Ô dernier confident de l’âme qui s’envole,
Viens, reste sur mon cœur, parle encore, et dis-moi
Ce qu’elle te disait quand sa faible parole
N’arrivait plus qu’à toi…
 


  LE CHENE “DE JOCELYN”

"À un millier de pas du château, on va ordinairement, après le repas du matin, chercher l'ombre d’un grand bois. […] C'est un bouquet de chênes de haute futaie, épargnés jusqu’à ce jour par la hache des anciens propriétaires du domaine.  […] J’espérais les respecter toujours et les réserver à d’autres générations pour la grâce du paysage. Hélas! la nécessité cruelle en a abattu sous la cognée le plus grand nombre. En 1848, j’en avais conservé soixante des plus beaux, comme une réserve de paix et d’obscurité pour les jours d’été. Cette année, j’ai été contraint de sacrifier le reste à la nécessité, plus exigeante encore. Je n’en ai conservé que treize, en mémoire des treize poiriers de Laerte. Parmi ces treize chênes se trouve celui qu’on appelle dans le pays l’arbre de Jocelyn, parce que c’est sous ses feuilles et assis sur ses racines que j’ai écrit ce poème, au murmure du vent d’automne dans ses rameaux."


MONTCULOT

LE CHÂTEAU DE MONTCULOT, près de Dijon, fut acquis en 1756 par le grand-père de Lamartine, Louis-François. C'était un bon placement, en raison de l'étendue des bois et des terres et des privilègcs féodaux qui y étaient rattachés. En 1798, l'oncle "abbé", Jean-Baptiste François, hérita du domaine et y vécut une vie tranquille de "philosophe" et de propriétaire terrien, en compagnie d'une servante-maîtresse et de nombreux serviteurs. Lamartine enfant et adolescent y fit de fréquents séjours, partageant son temps entre la chasse, la vie dans les champs, la lecture et les longues conversations avec son oncle. C'est là qu'il écrivit le Souvenir, "un soir d'été de 1819 sur le banc de pierre d'une fontaine glacée qu'on appelle la fontaine du Hêtre", et les Etoiles, "sur un étang des bois, pendant ces belles nuits d'été où l'ombre immobile des peupliers frissonne de temps en temps au bord de l'eau transparente comme au passage d'une ombre". C'est là aussi qu'en 1823 il rédigea le plan d'une immense épopée philosophique, les Visions.

En 1826, Lamartine hérita de Montculot et put y jouer au "seigneur de village". Mais il trouva vite le lieu un peu rude et austère :

Ah ! l'ennuyeux pays ! Je le dis, j'en accouche !
Ce mot depuis longtemps était là sur ma bouche !
Pourquoi s'en faire faute ? Eh bien ! je vous le dis ;
A mon gré, la Bourgogne est un fichu pays!...

C'est dans la solitude de Montculot qu'est né le poème Novissima Verba ou Mon âme est triste jusqu'à la mort. C'est là aussi qu'il écrivit l'Harmonie plus sereine qu'est La Source dans les Bois (il s'agit de la fontaine du Fayard). Très vite, Lamartine se décida à se séparer du Montculot, qu'il vendit en 1831: "Ce lieu, que j'ai été obligé de vendre, m'est resté sacré. J'y ai tant lu, tant rêvé, tant soupiré, tant aimé depuis l'âge de onze ans jusqu'à l'âge d'homme! J'ai vendu le château, mais pas les mémoires; les bois, mais pas l'ombre; les eaux, mais pas les murmures. Tout cela est dans mon cœur et ne mourra qu'avec moi". Il parle longuement de Montculot et de son oncle dans les Nouvelles Confidences

Montculot

Montculot (wiki-F. Collard)


AUTRES SITES "LAMARTINIENS" EN BOURGOGNE

Carte sites

 

AUDOUR, "un château de Marie Stuart dans un paysage écossais", fut "la résidence d'automne, le Tusculum studieux de M. de Marcellus", un ancien diplomate qui, en poste à Constantinople vers 1820, avait acquis la "Vénus de Milo". Il fut un grand ami de Lamartine qui parle de lui et de son château dans le Cours familier, 78e entretien. Audour a appartenu à Louise de Vilmorin.

SAINT-LAURENT appartenait à Edouard Dubois — un agriculteur avisé, profondément religieux, amateur de musique et de poésie — qui, dès 1831, se mit en campagne pour servir la cause électorale de Lamartine dans la circonscription de Cluny. Plus tard, il fut l'un des organisateurs de la souscription nationale. Après la mort de Lamartine, il aida Valentine de Cessiat à régler la succession. Pour sa tombe à Cluny, il composa cette épitaphe: "Gravez ces mots sur mon tombeau, après la parole divine: Il fut ami de Lamartine".

CHÂTEAU-TIERS, hameau où vivait Jeannette avec son fils Claude, dont Lamartine était sans doute le père.

BIONNE (château de la Tour-de-Byonne, édifié vers 1770) appartenait aux Villeneuve d'Ansouis. Lamartine adolescent fut amoureux de leur fille unique, Elzéarine, qui avait seize ans : "Nous nous jurâmes de nous aimer par tous les astres de la nuit, par toutes les ondes du torrent et par tous les arbres de la vallée; l'hiver fondit ces serments avec ses neiges." Dans quelques pages des Confidences, Lamartine a romancé cet épisode, donnant à la jeune fille le nom de "Lucy".


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