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JOSÉ-MARIA DE HEREDIA

AU CHÂTEAU DE BOURDONNÉ


 

HerediaHérédia, le poète des Trophées  (1893), était administrateur de la bibliothèque de l’Arsenal. Quand la maladie l’obligea à prendre des congés, il aima se réfugier dans des demeures paisibles pour se reposer au contact de la nature. On le vit, près de Nantes, dans un ancien couvent bénédictin qui appartenait à l’un de ses amis.

En 1900, il loua à Montfort-l’Amaury, rue de la Moutière, une maison qu’il avait choisie pour son jardin pittoresque. ? Il y recevait ses filles qui toutes trois avaient épousé des écrivains, Pierre Louys, Maurice Maindron et Henri de Régnier.

Heredia aimait se promener dans la forêt de Rambouillet, et Henri de Régnier évoque dans ses Souvenirs la mémoire de son beau-père à Montfort : « Le poète a vieilli, ses cheveux et sa barbe sont presque blancs. La maladie l'a touché, il est souvent silencieux et absorbé, il se chauffe et fume, parfois il prend sur la table un petit livre, Les Trophées, en lit quelques pages, se repose, et songe. Après avoir parlé de sa jeunesse, il se retire et va dormir, car demain il sera levé le premier. La forêt de Rambouillet est à deux pas des dernières maisons de Montfort et c'est elle qui attire le poète matinal. Il s'enfonce sous ses ombrages d'automne. Il sait où sont les plus beaux feuillages jaunissants et où croissent les plus beaux arbres, il connaît toutes les routes, tous les détours, le chemin des étangs, les sentes qui se perdent sous bois. Il connaît aussi la plaine et les villages et revient de ses courses comme égayé et rajeuni. »

Pas un seul bruit d'insecte ou d'abeille en maraude,
Tout dort sous les grands bois accablés de soleil
Où le feuillage épais tamise un jour pareil
Au velours sombre et doux des mousses d'émeraude.

Criblant le dôme obscur, Midi splendide y rôde
Et, sur mes cils mi-clos alanguis de sommeil,
De mille éclairs furtifs forme un réseau vermeil
Qui s'allonge et se croise à travers l'ombre chaude.

Vers la gaze de feu que trament les rayons,
Vole le frêle essaim des riches papillons
Qu'enivrent la lumière et le parfum des sèves;

Alors mes doigts tremblants saisissent chaque fil,
Et dans les mailles d'or de ce filet subtil,
Chasseur harmonieux, j'emprisonne mes rêves.

Les Trophées


Enfin, Hérédia s’installa chez ses amis Itasse au château de Bourdonné, où il devait passer les dernières semaines de sa vie. Son biographe Miodrag Ibrovac évoque les derniers moments du poète :

Heredia passa les derniers mois de sa vie au château de Bourdonné, à Condé-sur-Vesgres, où il était l’hôte de M. et Mme Georges Itasse, qui l’entouraient d’une amitié intelligente et profonde. Aujourd’hui encore, son âme revit dans la seigneuriale demeure Louis XIII qui mire ses murailles roses dans l’onde calme des étangs. Son souvenir est attaché à chaque coin de ce parc si attrayant dans sa diversité, avec ses arbres séculaires et la tendre verdure du sous-bois, le frais ruisseau qui promène ses reflets verts sous de petits ponts, le murmure des sources cachées sous l’enchevêtrement du chèvrefeuille. Mais c’est l’ancienne chapelle du château qui est le véritable sanctuaire du culte avec lequel est entretenue la mémoire du poète à Bourdonné. Sa toiture d’ardoise, d’une ligne si pure, émerge à peine du lierre qui la recouvre et l’isole au bord de l’eau. Une basse table d’Orient auprès d’un long divan, et la grande table de travail, c’est tout le mobilier de cette vaste pièce dont l’austérité monacale est égayée par des fleurs disposées un peu partout et la chaude lumière qui illumine les hautes parois blanches et tisse sur le parquet un tapis fantastique. Par la fenêtre, au-dessus de la verdure, le regard se perd dans le ciel. Le cadre étroit s’évanouit pour se confondre avec le paysage qui l’environne. C’est dans ce lieu fait pour la rêverie poétique que José-Maria de Hérédia termina son édition des Bucoliques  d’André Chénier. Hérédia était heureux de rendre un tel hommage à celui qui fut son guide et maître. […] Le poète, qui souffrait depuis quelque temps déjà d’une maladie d’estomac, s’accommodait mal de ne pouvoir faire des mouvements à son aise. « Si je dois être longtemps malade, disait-il, j’aime mieux mourir ». La mort ne l’effrayait pas : « J’envisage la mort avec une sérénité parfaite. Mourir n’est rien. Mais vivre... Ah! la vie, c’est admirable! »

wikipedia


La fille aînée de Hérédia avait épousé en 1895 le poète Henri de Régnier, dont Hérédia disait: «Mon gendre a plus de génie que moi, mais j’ai plus de talent que lui». Henri de Régnier a évoqué son beau-père dans un chapitre de ses Portraits et Souvenirs :

A relire les célèbres sonnets des Trophées, on est frappé tout d’abord par ce qu’ils ont d’éclat, de couleur et de sonorité, mais, quand leur rumeur héroïque s’est apaisée, il me semble y entendre peu à peu une voix mélancolique et tendre. Leurs colorations vives et riches se nuancent de touches fines et sobres. A côté des concisions épiques se montrent des douceurs charmantes. Ce n’est pas seulement le palmier tropical qui ombrage au cimier le blason littéraire du fils des Conquistadors, une rose de France y fleurit aussi, odorante et délicate, dont les racines n’ont rien perdu de leur vertu à se nourrir à un terrain plus chaud et plus ardent.
José-Maria de Hérédia n’aimait pas seulement notre pays pour ses traditions, sa culture et ses arts. Il l’aimait pour son sol même, ses aspects et ses paysages. J’ai connu peu d’hommes qui fussent plus épris de nature et qui jouissent plus complètement des choses. Un ciel, une eau, un arbre, une fleur l’enchantaient, et, de celles-là, non les plus rares, mais les plus simples et les plus communes. Il savait le nom de toutes celles de nos jardins, de nos prés et de nos bois, où il connaissait toutes les espèces et toutes les essences. Dans le jardinet de l’Arsenal, un rameau de lilas ou quelques plants d’hortensia poussés là, malgré les poussières parisiennes, au bruit des voitures et des tramways, le ravissaient pendant des heures, autant que l’eussent pu faire les arbustes les plus singuliers et les plus précieuses orchidées de l’île natale.
Il avait rapporté, néanmoins, de son séjour aux Antilles, d’éclatantes visions de lumière et de couleur, et il en décrivait merveilleusement les forêts inextricables, les rivières argentées et la mer étincelante ; mais cette nature luxuriante et excessive ne l’avait pas ébloui à jamais et ne l’avait pas rendu insensible à des beautés plus modérées et plus délicates, comme celles qu’offre le spectacle de nos paysages de France, pour lesquels José-Maria de Hérédia ressentait une prédilection spéciale.
Je revois José-Maria de Hérédia au coin d’un de ces premiers feux d’automne qui égaient les soirées déjà longues et déjà refroidies. Nous sommes dans le salon d’une vieille maison qu’il a louée aux environs de Paris, à Montfort-l’Amaury, singulière petite ville dont les rues grimpent autour d’une église gothique et que domine la ruine de son château. Le poète a vieilli. Ses cheveux et sa barbe sont presque blancs. La maladie l’a touché. Il est souvent silencieux et absorbé. Il se chauffe et fume. Parfois, il prend sur la table un petit livre
- les Trophées  - en lit quelques pages, le repose et songe. Souvent il parle de sa jeunesse et nous conte sa lointaine arrivée de petit créole dans la bonne cité de Senlis, où il devait apprendre le latin, l’histoire, les mathématiques - et la France, puis il se retire et va dormir, car, demain, il sera levé le premier.
La forêt de Rambouillet est à deux pas des dernières maisons de Montfort, et c’est elle qui attire le poète matinal. Il s’enfonce sous ses ombrages d’automne. Il sait où sont les plus beaux feuillages jaunissants et où croissent les plus beaux arbres. Il connaît toutes les routes, tous les détours, le chemin des étangs, les sentes qui se perdent sous bois. Il connaît aussi la plaine, les villages, et il revient de ces courses comme égayé et rajeuni, ayant ajouté à ses souvenirs quelques aspects nouveaux de ces paysages français qu’il goûte tant et dont il sent si bien la grâce sobre et le charme mesuré.

Ce fut ainsi que nous allâmes un jour avec lui à ce château de Bourdonné, où il devait passer la dernière saison de sa vie. Il en aimait le beau parc aux allées ombreuses, les eaux vives qui réflétaient les murs de pierre et de brique, et la haute toiture d’ardoises de la vieille demeure. Il se sentait à l’aise dans ce décor d’ancienne France, comme il se plaisait dans l’antique logis de l’Arsenal. Il devait à ses aïeux normands cette compréhension de notre passé, cet amour de notre sol, et ce fut sans regret d’exilé que se fermèrent à notre lumière de France ses yeux qui s’étaient ouverts aux clartés éclatantes du ciel des Tropiques.


C’est à Bourdonné que Hérédia est mort, le 2 octobre 1905. Un peu plus d’un mois avant sa mort, le 14 août, il écrivait cette lettre émouvante à sa fille :

«A la fin du mois, mon congé sera expiré et il me faudra redevenir administrateur, ce que j’ai cessé absolument d’être depuis un mois. Je n’ai pas écrit une ligne, pas répondu à une lettre. J’ai humé l’air embaumé par les clématites, les tabacs blancs et les héliotropes et par la bonne odeur des pins au soleil ; j’ai mangé peu, bu beaucoup de lait, dormi comme un enfant et je me suis senti vivre, tel un simple tilleul. C’est exquis. Ce Bourdonné que tu trouves trop romantique est un parc enchanté; c’est un endroit délicieux, au milieu de l’eau, sans un moustique, sans brouillard, sans humidité, plein d’oiseaux dont hélas! je n’entends pas le ramage, et de fleurs que je vois, que je respire, car il me semble que mon nez et mes yeux se sont affinés à mesure que se fermaient mes oreilles; il y a un martin-pêcheur qui file tous les soirs à sept heures et quart le long de la terrasse pour rejoindre son nid et qui parfois, le matin, vient me voir à la source, dans le bois, où je passe des heures à regarder les jeux du soleil sur les troncs, dans les feuilles que remue le vent, et dans l’eau immobile.
Le Dimanche, nous allons à la messe et je me divertis à regarder les grimaces des enfants de choeur calottés et vêtus de rouge, et je me souviens qu’il y a plus d’un demi-siècle, j’ai, moi aussi, porté la soutane écarlate et l’aube blanche et que j’encensais mon vieux professeur qui me paraissait alors si vieux. Que c’est loin, et que la vie est malheureusement courte pour un poète lyrique qui aime la beauté des choses!»


Dix ans après la mort de son père, Mme Henri de Régnier fera paraître, dans la Revue des deux Mondes (1er décembre 1917), un poème dans lequel elle évoque son père et qu’elle a intitulé Anniversaire :

Oui. Je sais bien que c’est par une aube d’automne
Que la mort vous a pris. Mais tout mon coeur s’étonne
Au sombre souvenir de ce matin de deuil.
Pourtant je vous ai vu, et dans votre cercueil
Mêlé pieusement près de votre visage
A vos cheveux d’argent l’or pourpré des feuillages:
Ceux-là dont vous aimiez les arbres entre tous...
Et nous avons longtemps pleuré tout près de vous.
Et cependant, jamais vous n’êtes mort, mon Père!
Vous n’avez pas cessé depuis cette heure amère
De chérir votre enfant, de la suivre en tout lieu,
Et sa bouche jamais ne vous a dit adieu.
Toujours auprès de moi votre chère présence
M’ordonne en souriant la tendre obéissance
A ce que vous aimiez : des poètes aux fleurs.
Vous êtes là, les jours  de joie ou de douleur,
Ne ménageant jamais cette large lumière
Dont vous embellissiez les choses coutumières;
Vous êtes là, lorsque lisant un livre ami
Je sens se réveiller mon esprit endormi;
Vous êtes là le long des promenades douces,
Fumant la pipe longue ou rêvant sur la mousse,
Ou cueillant le bouquet dont on parle au retour.
Vous êtes là gaieté, charme, génie, amour!
Tout ce qui composait votre âme étincelante
A gardé sa splendeur joyeusement brûlante,
Et j’y réchauffe encore mes tristesses d’enfant.
Vous êtes là , rêveur, mais toujours triomphant.  
Je vous revois souvent sous cette clématite
Qui coiffait le perron lorsque j’étais petite...
Ou caressant un livre... ou récitant des vers...
Ou bien, aux bords des bois matinalement verts,
Pour surprendre au logis Celle qui vous accueille,
Enroulant votre front d’un rieur chèvrefeuille.
Aussi, lorsqu’on me croit seule sur un chemin,
Je suis toute avec vous. Si je tiens à la main
Une tige nouvelle à la corolle nue,
Vers vous qui saviez tout des choses inconnues
Je murmure tout bas: « Dis-moi quel est son nom ? »
O mon Père si beau, si charmant et si bon
Dont le coeur était fait d’une clarté si pure,
O vous, lié si fort à toute la nature,
Vous êtes là, vivant, tel que vous étiez né,
Car je vous rends le jour que vous m’avez donné.


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