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PAUL-LOUIS COURIER

À VÉRETZ


Dans les bois de Larçay, à quelques kilomètres au sud-est Tours, près d'un carrefour situé entre le "Chêne Pendu" et la "Fosse à Lalande", un monument porte une inscription: "À la mémoire de Paul-Louis Courier assassiné en cet endroit le 10 avril 1825. Sa dépouille mortelle repose à Vérets, mais ici sa dernière pensée a rejoint l'Eternité."


 

Paul Louis CourierNé à Paris le 4 janvier 1772, d'une liaison de son père, Jean-Paul Courier, avec une jeune fille, Louise-Elisabeth La Borde, et légitimé cinq ans plus tard par le mariage de ses parents, Paul-Louis Courier a vécu son enfance aux bords de la Loire, tantôt à la Véronique près de Cinq-Mars, tantôt à La Filonnière non loin de Luynes.

Les études et la vie militaire

Son père, excellent latiniste, lui donna le goût des belles-lettres. Puis il le conduisit à Paris où il prit des leçons de mathématiques dans le dessein de devenir officier du génie. On lui donna aussi, sur ses instances, comme professeur de grec, le savant helléniste Vauvilliers. La Révolution de 1789 n'interrompit point ces études, qu'il alla poursuivre l'année suivante à Châlons.

Nommé second lieutenant le 1er juin 1793, il fut envoyé à Thionville au 7e régiment d'artillerie. Cette carrière militaire, qui devait se poursuivre jusqu'en 1809, le mena à Mayence — où il manqua être porté déserteur pour avoir, sans autorisation, regagné la France afin de voir sa mère malade — à l'arsenal d'Albi, puis à Toulouse et à Rennes, en Italie enfin, où il séjourna à deux reprises plusieurs années, en particulier à Rome et en Calabre, plus occupé de visiter les ruines, de déchiffrer les inscriptions antiques et de traduire Xénophon, que des obligations de son métier de soldat.

Nous avons de lui, entre 1803 à 1812, une suite de lettres qui ont enchanté Sainte-Beuve. On y trouve des épigrammes sur la politique du jour, sur Bonaparte, ses généraux, ses courtisans, qui annoncent déjà le futur polémiste.

Ayant passé dix-sept ans dans l'armée, n'étant parvenu qu'au grade de chef d'escadron, mis aux arrêts pour "désertion", il abandonna l'armée et, après un séjour de quelques mois en Suisse, il alla à Florence, en 1808.

L’affaire de la tache d’encre

Paul-Louis Courier fut reçu par Francisco del Furia, préfet de la bibliothèque de San Lorenzo (la Laurentienne). Ce Del Furia, helléniste amateur, préparait alors une édition des Fables d'Esope, d'après un manuscrit in-octavo, qui contenait maintes autres matières. Courier, en l'examinant de près, découvrit, transcrits d'une écriture peu lisible, les quatre livres de Daphnis et Chloé de Longus. Les parcourant, il constata que le premier livre renfermait un très important passage absent des autres manuscrits connus jusqu'alors. Mais, en le transcrivant, il eut la maladresse de faire une large tache d'encre sur un endroit inédit du manuscrit. On l'accusa de l'avoir fait volontairement, pour se garantir le privilège de sa découverte. Del Furia refusa d’admettre que ce n’était qu’un accident et une polémique enflamma toute l'Italie savante.

En outre, Courier entra en conflit avec l'éditeur Renouard, auquel il avait promis l'ouvrage, qui fut publié ailleurs. A cette occasion, il écrivit un pamphlet débordant d'esprit, une Lettre à Renouard, libraire, sur une tache faite à un manuscrit de Florence, qui, roulant dans le ridicule Del Furia, ses amis italiens et l'éditeur français, fit rire à leurs dépens et mit l'opinion de son côté.

Un mariage malencontreux

En juillet 1812, Courier est à à Paris, où vit chez des cousins intéressés et mesquins, les Marchand. Il travaille dans sa spécialité, le grec ancien. En octobre, alors qu’il est parti pour la Touraine, sans passeport ni papiers d'identité, il se fait arrêter par les gendarmes et, pris pour un complice du général Malet, est consigné quatre jours dans une méchante chambre d'auberge. D'où une grande irritation contre le pouvoir impérial.

Il s'ennuie toutefois dans sa solitude de la Filonière, à Luynes, et préfère Paris, où il travaille avec son maître en philologie Etienne Clavier, professeur au Collège de France et membre de l'Institut. Les deux jeunes filles de son maître, Minette et Zaza, ne lui déplaisent pas, surtout Minette, officiellement Herminie. Il a 42 ans, elle n’en a que 18, mais il est las des amours de garnison et de rencontre et il songe au mariage. Celui-ci sera célébré le 12 mai 1814.

Paul-Louis Courier n’avait alors rien de séduisant : un teint bilieux, des sourcils épais, un visage marqué de petite vérole, une bouche "bâillant comme un coffre", le cou serré dans une éternelle cravate noire. Et puis c’était un atrabilaire bourru qui, très vite, délaissa sa jeune épouse, répondant ainsi à ses reproches : "Si Dieu m'a créé bourru, bourru je dois vivre et mourir et tous les efforts que je ferai pour paraître aimable ne seraient que des contorsions qui me rendraient plus maussade. D'ailleurs veux-tu que je te le dise? Je suis vieux maintenant et ne puis changer…"

Très indépendant, Courier quittait souvent Paris pour la Touraine, où l’appelaient la gestion de ses propriétés et de nombreux procès.

Comme les persécutions contre les bonapartistes et les anciens révolutionnaires sévissaient à Luynes comme ailleurs (c’est ce que les historiens appellent la « Terreur blanche »), il publia en 1816 son premier pamphlet politique, Pétition aux deux chambres, dont le succès s'affirma tout de suite considérable. Du coup, il se posa clairement en opposant au gouvernement de la Restauration.

En dépit des conseils que lui donna Violet-le-Duc (voir son Dictionnaire de la conversation), il préféra miser sur le genre du pamphlet et sur sa correspondance pour acquérir la gloire littéraire, sacrifiant le reste de son oeuvre, essentiellement des traductions d'Isocrate, de Xénophon, de Plutarque, de Longus ou de Lucien.

À la Chavonnière

Le 16 décembre 1815, il acquit aux enchères à Tours les 258 hectares de la forêt de Larçay au prix de 115000 francs plus 2592 francs de frais. Courier était persuadé que cet achat était une bonne opération, puisqu'il était en droit de penser que son investissement serait remboursé au bout de dix ans. En réalité, l'infortuné propriétaire avait mis le doigt dans un engrenage qui n'allait pas tarder à le broyer. Confisquée à l'archevêque de Tours en 1790, la forêt de Larçay était tombée dans le domaine national. Depuis cette date et même avant, le petit peuple des campagnes environnantes en tirait des subsides en vertu des droits d'usage... Courier souffrit de ces habitudes qui lui portèrent un grave préjudice. Afin de contrôler les usages et d'éviter les excès — qui étaient encouragés en sous-main par son ennemi politique M. Archambault-Debeaune, maire de Véretz — il dut engager un garde-chasse.

En avril 1818, laissant la Filonnière à des métayers, il acheta, à 3 ou 4 kilomètres de sa forêt, sur la commune de Véretz, une grosse ferme, la Chavonnière. Au-delà du portail d'entrée, s'étendaient à droite et à gauche d'une cour boueuse, de très importants bâtiments d'exploitation: une porcherie, une bergerie, un hangar à bois encombré de charrettes, de tombereaux, de charrues, une grange, un poulailler, deux écuries, une étable, un cellier avec pressoir et cuve. A l'extrémité de la cour, la maison de maître dressait à gauche son rez-de-chaussée surmonté de mansardes. A l'intérieur, une pièce servait à la fois de salon de réception et de salle à manger, avec deux hautes fenêtres ouvrant sur le jardin. Son cabinet de travail se trouvait à droite de la porte d'entrée et sa bibliothèque était installée dans un entresol au-dessus du cellier. Il avait fait sa chambre dans une mansarde au-dessus de la cuisine, tandis que sa femme avait la sienne au rez-de-chaussée.

Herminie Courier, bien malgré elle, dut quitter Paris et venir s’installer à La Chavonnière. Pour l'occuper, son mari lui confia l'administration de la maison et du domaine. Durant des années c’est elle qui surveilla les coupes, traita avec les hommes de loi, dirigea les domestiques, les gardes, les fagotteurs. En 1820 elle eut un fils, Paul Courier.

Alors que Paul-Louis Courier avait été très vite détesté de ses paysans et vignerons, Herminie, au contraire, fut aimée de tous.

Le pamphlétaire

Courier, quant à lui, ne songeait plus qu'à la politique et à la gloire. En 1819-1820, il rédigea des Lettres au rédacteur du "Censeur", un journal dont il était devenu le collaborateur, dans lesquelles il attaque violemment la police et la justice impériales, dont les errements sont suivis par la Restauration. Il s'en prend aussi au clergé, contre lequel sa hargne ne cessera de croître.

De l'anti-bonapartisme il glissa naturellement à l'opposition aux Bourbons, qu'il traduisit par sa brochure Simple discours, à l'occasion d'une souscription pour l’acquisition de Chambord (1821), afin de l'offrir au duc de Bordeaux. On trouve dans cet écrit tous les griefs des libéraux contre le pouvoir et la haine de Courier pour la noblesse, ses biens, ses châteaux, qu'il voudrait voir anéantis au profit des paysans dont il se fait le porte-parole. Cette publication tourna au triomphe. Mais un jury de cours d’assise le déclara coupable. Il publia alors la même année 1821 un Procès de Paul-Louis Courier, qui écrasait sous le ridicule l’avocat général de Broë et qui l’amena à passer deux mois en prison, à Sainte-Pélagie.

Pour un temps assagi, il publia une nouvelle édition de Daphnis et Chloé. Mais, battu aux élections législatives de 1822 à Chinon, à cause d’une pression officielle sans mesure, il reprit les armes et donna le plus célèbre de ses libelles: Pétition pour des villageois que l'on empêche de danser (1822). Traîné par le parquet de la Seine en police correctionnelle, il sortit de l'aventure acquitté.

Il publia alors à Bruxelles une suite de pamphlets clandestins, qu'il renia officiellement, où il bafouait à la fois le pouvoir et le clergé. Il y attaquait notamment le célibat ecclésiastique, rêvant même d'un vaste ouvrage où il démontrerait la nécessité du mariage des prêtres. Il donna enfin en 1824 un Pamphlet des pamphlets, plaidant avec esprit pour ce genre littéraire dans lequel il excellait.

La femme adultère

Pendant cinq ans, le jeune Herminie s'ennuya à la Chavonnière, où elle était le plus souvent seule. Mais, en 1819, un homme entra comme jardinier à la ferme, avant d’y excercer les fonctions d’intendant et d’être promu garde-chasse en 1824 ; il s'appelait Louis Frémont.

Au printemps 1823, un domestique, Pierre Dubois, y entra à son tour comme laboureur et charretier. C’était un beau garçon de l'âge d'Herminie : elle en fit son amant, se montrant avec lui en public dans les assemblées de village et lui faisant mille agaceries devant les autres domestiques. Un jour même, comme ils avaient été surpris par la pluie à Saint-Avertin, ils couchèrent dans une auberge et ne rentrèrent qu'au matin. L’année suivante, Pierre, devenu premier valet de la Chavonnière, fit prendre comme garçon de ferme son frère Symphorien. Et Herminie, de plus en plus inconsciente, partagea ses faveurs entre les deux frères…

Paul-Louis Courier, qui avait des soupçons, retira à sa femme la gestion de ses affaires et reprit tout en main avec son esprit tracassier qui unissait la ladrerie à l'intransigeance. Lorsqu’il apprit que sa femme avait offert un fusil à Pierre Dubois, il le chassa. Puis il chargea Louis Frémont de surveiller Herminie, ce qui permit au garde de faire chanter sa patronne, en accord avec les frères Dubois, qu'il retrouvait au cabaret de Véretz ou au "Chêne Pendu".

Les disputes entre Paul-Louis et sa femme se firent quotidiennes. La mère d’Herminie vint de Paris pour tenter d’obtenir que sa fille, enceinte, aille accoucher chez elle. Paul-Louis refusa et l’enfant, Esther-Louis, fut placé en nourrice.

Comme Herminie continuait à voir Pierre Dubois, Paul-Louis Courier se déchaîna contre elle, au point qu’elle dut fuir à Paris avec son fils aîné. Puis il essaya de récupérer les lettres que sa femme avait écrites à son amant, afin d’obtenir une séparation de corps et de biens.

Le meurtre de Paul-Louis Courier

À la Chavonnière, on regrettait le départ de la maîtresse. On savait de plus que Courier songeait à la vente des bois et à l'affermage des terres et de la ferme. Toute la domesticité du domaine, qui ne pouvait souffrir Courier et l'avait surnommé "le rogneur de portions", comprit qu’une disparition du maître gênant arrangerait bien leurs affaires…

On sait que, le lundi 14 mars, Pierre Dubois rencontra Louis Frémont à l'auberge du "Chêne Pendu", sur la route de Tours à Loches, à une lieue de la Chavonnière. Peut-être y parla-t-on déjà d’assassinat. Mais le garde hésitait encore.

Un fait nouveau devait le décider. Courier, afin de remplacer son garde, envoya au Journal d'lndre-et-Loire une note où il demandait, pour la campagne, un domestique sachant lire et écrire. Frémont, informé, se décida alors à agir, avec la complicité des deux frères Dubois et de deux fagotteurs, Martin Boudet et François Arrault.

Tôt le matin, les cinq hommes, dans un coin de la forêt, tendent un piège à Courier, qui, bougon comme à son ordinaire, rudoie Symphorien en présence de Frémont. Celui-ci n'hésite pas à abattre son maître d’un coup de fusil. Accourent alors Pierre Dubois, avec Boudet, Arrault, tous deux armés d'un sabre, et un quatrième individu (peut-être le père des Dubois) portant un bâton. 

La dépouille de l'écrivain fut retrouvée le lendemain matin, face contre terre, et fut transportée à la ferme du Gaissier.

En octobre, la veuve de l'écrivain commanda une pierre tombale pour le cimetière et un monument plus important, qui fut érigé sur les lieux du drame.

Durant la dernière guerre, des maquis de résistants firent reproduire et circuler des pamphlets de Paul-Louis Courier. Les nazis s'en vengèrent en mitraillant la plaque du monument de la forêt. Elle a été remplacée depuis.

Les deux procès

Après la découverte du corps, un procès eut lieu. Mme Courier, alors à Paris, fut mise hors de cause.  Louis Frémont fut inculpé. En effet, on avait trouvé dans sa chambre, à la Chavonnière, une collection d'un journal, le Feuilleton Littéraire; y figuraient les exemplaires des 12, 14 et 15 août, mais non celui du 13. Or, il fut établi que cinq débris de bourre retirés de la blessure de Paul-Louis provenaient précisément de ce numéro. Quelques autres indices joints à ceux-là le firent déférer à la Cour d'Assises. Mais le jury, mal convaincu de sa culpabilité, l'acquitta.

Quatre ans plus tard, l'affaire rebondit à la suite du témoignage d’une servante Sylvine Grivault. Mais Frémont était couvert par l'autorité de la chose jugée et Symphorien Dubois était mort en 1827. On arrêta donc Pierre Dubois, que le jury acquitta au bénéfice du doute.

La légende

D'aucuns ont affirmé — notamment M. Ernest Fornairon dans un récit volontairement romancé (Le mystère de la Chavonnière, 1941) — que des haines religieuses n'étaient pas étrangères à cet assassinat.

Fornairon fait état d'un véritable complot qui se serait noué au Chêne-Pendu le 14 mars, sous la direction d'un inconnu "grand, mince, aux mains grasses et soignées", vêtu de noir, qui s'exprimait en chef et parlait au nom de la royauté attaquée et de la religion bafouée. Le jour de l'assassinat, ce même personnage, dissimulé dans une cape, chapeau baissé sur les yeux, serait sorti de l'ombre avec ses complices, leur faisant signe ensuite de disparaître, puis, se penchant sur le cadavre, aurait ébauché un signe de croix et se serait éclipsé. On est en plein Eugène Sue…


Balzac s'est souvenu de Paul-Louis Courier en composant l'intrigue de ses Paysans (il cite d'ailleurs Courier au début de l'ouvrage). Venu en Touraine en 1824 et 1825, il avait pu suivre les péripéties de l'affaire. Il savait que les Courier avait possédé le château de Méré, près de Saché, avant ses vieux amis les Landriève-Desbordes. Il connaissait l'un des avocats du procès, Me Faucheux. Il s'était informé sur les causes possibles de l'assassinat et la sourde haine qui couvait dans le pays de Larçay contre un propriétaire trop dur envers les paysans.


Chavonnière 1
Chavonnière 2
La Chavonnière
La Chavonnière
Chavonnière 3
Chêne Pendu
La Chavonnière
Le Chêne-Pendu

L'entrée de la Chavonnière aujourd'hui

Monument de la forêt de Larçay Monument de Véretz

Voir sur Internet : http://www.paullouiscourier.fr/


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