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JEAN COCTEAU

À MILLY-LA-FORÊT (Essonne)


 

RAPPEL BIOGRAPHIQUE

Le Prince Frivole
— Jean Cocteau est né en 1889 dans une famille bourgeoise cultivée, qui lui fait découvrir la musique, la peinture, le cirque, les débuts du cinéma. Son enfance est brisée par le suicide de son père Georges, en 1898.
— Entre 1900 et 1907, il fait de mauvaises études secondaires et échoue au baccalauréat. Il préfère dessiner des caricatures ou aller écouter Mistinguett à l’Eldorado
— Entre 1908 et 1912, ses poèmes ouvrent l’accès des salons parisiens au jeune "Prince frivole" et lui font connaître Lucien Daudet, Edmond Rostand, Anna de Noailles.

L'évangéliste de l'avant-garde (1913-1917)
— Sa découverte de Diaghilev, directeur des "Ballets russes" depuis 1907 et surtout le scandale soulevé, en mai 1913, par le Sacre du printemps, tableaux de la Russie païenne, chorégraphié par Nijinski, le poussent à rompre avec le conformisme et à s’orienter vers la poésie d’avant-garde. Il est décidé à suivre le conseil de Diaghilev, qui lui a dit, une nuit, place de la Concorde, "Etonne-moi !".
— Cocteau fréquente alors les artistes de Montmartre (Modigliani, Max Jacob, Apollinaire, Cendrars). Il publie Le Mot, un hebdomadaire illustré par les œuvres cubistes d’un artiste très contesté, Albert Gleizes.
— Il s’occupe surtout, avec Satie, Picasso et Diaghilev, de la création du ballet Parade, dont la première par les Ballets russes, le 18 mai 1917, fait elle aussi scandale ; cet univers poétique opposé à la brutalité du monde moderne, ce parti pris de légèreté heurtent le public alors que des mauvaises nouvelles arrivent du front (défaite du Chemin des Dames).
— Toutefois, encouragé par Marcel Proust — qui pressent que le futur de l’art est déjà contenu dans cette œuvre — Cocteau persévère, huées et quolibets lui servant d’encouragements : "Ce que le public te reproche, cultive-le : c’est toi".
— Il anime le Groupe des Six (Milhaud, Honnegger, Auric, Poulenc, Durey et Tailleferre), dont la musique est proche de l’esthétique de Satie. Il publie Le Potomak, dessins et textes.
— Marcel Proust s’inspire de lui pour le personnage d’Octave dans La Fugitive : "un jeune homme sportif", qui avait été un cancre et s’était fait renvoyer du lysée, qui avait fait "représenter de petits sketches, dans des décors et avec des costumes de lui, qui ont amené dans l’art contemporain une révolution au moins égale à celle accomplie par les Ballets russes" ; un homme "pour qui les choses de l’art devaient être quelque chose d’intime, de vivant dans les plus secrets replis de lui-même…".

Raymond Radiguet et le retour à plus de classicisme (1918-1923)
— Il rencontre un jeune garçon, Raymond Radiguet, qui lui fait comprendre qu'il faut se méfier de l'avant-garde, qui est entrain de devenir un nouveau conformisme. "À partir de 1917, Raymond Radiguet, âgé de quatorze ans, m’apprit à me méfier du neuf s’il a l’air neuf, à prendre le contre-pied des modes de l’avant-garde. Il inventa et nous enseigna cette attitude, d’une nouveauté étonnante, qui consistait à ne pas avoir l’air original ; il nous conseilla d’écrire comme tout le monde. Il m’enseigna la grande méthode, celle d’oublier qu’on est poète et d’en laisser le phénomène s’accomplir à notre insu." (La Difficulté d’être). Le Cocteau provocateur de Parade cède le pas à un Cocteau qui n’hésite plus à écrire maintenant : "L’élégance consiste à ne pas étonner" (Le Mystère laïc).
— Entre 1919 et 1923, c’est une période de travail intense dans des genres très variés : Le Coq et l’Arlequin (poésie critique, 1918), Le Bœuf sur le Toit (farce, 1920). Les Mariés de la tour Eiffel (poésie de théâtre,1921), Le Secret professionnel (poésie critique, 1922), Vocabulaire (poésie, 1922), Le Grand Ecart (poésie de roman, 1923), Thomas l’Imposteur (poésie de roman, 1923), Plain-Chant (poésie, 1923), Poésie 1916-1923 (poésie, 1925).
— Cette suractivité suscite la jalousie de Tristan Tzara et des jeunes gens du groupe Littérature (Breton, Aragon, Soupault) qui ont le sentiment d’être dépossédés par cet aîné trop brillant, trop en vue : Breton voit en Cocteau "l’être le plus haïssable de ce temps" ; les surréalistes, indisposés par son homosexualité, lui appliqueront les épithètes de "charogne" et de "bête puante".

Cocteau en 1923 (coll. BNF)

Jean Desbordes et l'opium (1925-1936)
Accablé par la mort brutale de Radiguet (1923), Cocteau se met volontairement sous l’emprise de l’opium. Il se disperse, il voyage. Son visage amaigri, travaillé par la drogue, concourt à l’entourer d’un parfum de scandale.
Jean Desbordes devient alors pour lui le substitut de Radiguet : ils font ensemble plusieurs voyages et plusieurs séjours, jusqu’à leur rupture en 1933.
Sa production reste abondante et variée : Roméo et Juliette (poésie de théâtre, 1924), Orphée (tragédie, 1926), Opera 1925-1927 (poésie, 1927), Opium, journal d’une désintoxication (poésie critique, 1930), Les Enfants terribles (poésie de roman, 1929), La Voix humaine (poésie de théâtre avec Berthe Bovy, 1930). En 1930, son film Le Sang d’un poète ne fera qu’exacerber l’aversion des surréalistes.

La parenthèse de la guerre (1939-1945)
Cocteau avait participé volontairement à la première guerre, entre septembre 1914 et septembre 1916, essentiellement comme ambulancier. Bien que revenant souvent à Paris pendant cette période, il avait connu de près les horreurs qu’il décrit dans Thomas l’imposteur. Mais son dandysme l’obligeait alors à trouver la guerre "amusante", voire "jolie", comme le dira Apollinaire.
En 1939, il est un autre homme. Connu comme homosexuel et opiomane, il est devenu une figure du Tout-Paris, ayant su habilement osciller entre le snobisme de l’avant-garde et le goût du grand public, entre des emprunts à l’air du temps et une mythologie personnelle. Ses œuvres, sous un vernis chatoyant, laissent percevoir un homme qui souffre de la "difficulté d’être". Sans véritable conscience politique, il ne veut être que poète. C’est pourquoi, la guerre étant venue, avec une certaine inconscience, il publie la fin du Potomak, il fait jouer Les Monstres sacrés, La Machine à écrire, Renaud et Armide. Il donne des articles à des revues collaborationnistes : dans Comoedia, il publie un hommage à Arno Breker, le sculpteur officiel du parti nazi. En 1944, il publie même des poèmes en allemand. Il rencontre Ersnt Jünger. Certes il prétend, dans son Journal, être un esprit libre qui ne comprend rien à la politique ; mais il lui faudra l’appui de Sartre, d’Eluard et d’Aragon pour que, à la Libération, le comité d’épuration le laisse tranquille.

Jean Marais et le cinéma (1937-1948)
Cocteau s'est épris d’un apprenti comédien de vingt-quatre ans, Jean Marais, pour lequel il écrit Les Parents terribles (1938). Jean Marais va alors essayer de le tirer de l’enfer de la drogue. Encouragé par les succès que remporte son ami, Cocteau, sans pour autant cesser de dessiner et d’écrire, se tourne de plus en plus vers le cinéma. Le couple Cocteau-Marais connaît un triomphe en 1946 avec La Belle et la Bête (avec Josette Day dans le rôle de Belle), suivi en 1947 de L’Aigle à deux têtes (avec Edwige Feuillère dans la rôle de la Reine). Suivra, en 1948, une adaptation cinématographique de ses Parents terribles (avec Jean Marais et Yvonne de Bray). Mais le succès ne sera plus au rendez-vous pour un film plus difficile comme Orphée (en 1950).

Édouard Dermit et le triomphe du poète (1947-1963)
— Désireux de se mettre hors de l’agitation parisienne, Cocteau achète une propriété à Milly-la-Forêt en 1947.
— Il prend comme jardinier et régisseur un garçon de vingt-deux ans, originaire de Slovénie, Edouard Dermit (dit "Doudou"), qui un tenu un petit rôle dans L’Aigle à deux têtes et qu’il fera jouer ensuite dans quelques-uns de ses films.
— Cocteau est alors un personnage public, accaparé par les médias. Dans les années 1955-1957, il est couvert d’honneurs à Bruxelles, à Oxford, à New York. Il est élu à l’Académie française (par 17 voix contre 11 à Jérôme Carcopino) ; reçu le 20 octobre 1955 par André Maurois, il décrivit la Coupole comme "quelque grotte sous-marine, une lumière quasi surnaturelle d’aquarium et sur des gradins en demi-cercle, quarante sirènes à queues vertes et à voix mélodieuses".
— Les dernières années de sa vie, Cocteau ne produit pas moins abondamment, mais son œuvre graphique est alors plus brillante que novatrice ou profonde et son dessin se fige dans un modèle qui se répète. Cherchant d’autres moyens d’expression en dehors de l’écriture, du théâtre, du cinéma, de la musique, il s’initie à la céramique ; il peint aussi de vastes fresques décoratives à la Villa de son amie Francine Weisweiller à Saint-Jean-Cap-Ferrat (1950), à la chapelle de Villefanche-sur-Mer (1956), à la chapelle de Milly-la-Forêt (1959).
— Mais le poète va encore une fois surprendre et triompher là où on ne l’attendait pas. Le septuagénaire, en phase cette fois avec la Nouvelle Vague, tourne en 1960 Le Testament d’Orphée qui le remet, à la veille de sa mort, au centre de la vie artistique dans ce qu’elle a de plus novateur. Le vieux poète confie, aussitôt passé le générique : "Mon film n'est pas autre chose qu'une séance de strip-tease, consistant à ôter peu à peu mon corps et à montrer mon âme toute nue. Car il existe un considérable public de l'ombre, affamé de ce plus vrai que le vrai qui sera un jour le signe de notre époque. Voici le legs d'un poète aux jeunesses successives qui l'ont toujours soutenu."
— Edouard Dermit, qui a vécu avec Cocteau à Milly jusqu’à sa mort, a hérité de la maison et d’une riche collection d’œuvres. Il s’est marié en 1966 et a eu deux enfants, Jean et Stéphane. En 2001, la maison a été acquise par une association présidée par Pierre Bergé, héritier actuel du droit moral sur les œuvres de Cocteau.
— Sur les 3000 oeuvres et objets que le poète avait légués à Edouard Dermit, Stéphane Dermit en a laissé environ 500 en dépôt dans la maison de Milly.

 

ŒUVRES DE COCTEAU PUBLIÉES

— Dans la collection de la Pléiade, on trouve les Oeuvres poétiques complètes (1999), le Théâtre complet (2003) et les Oeuvres romanesques complètes (2006).
— Le Journal de Cocteau a été publié par Gallimard sous le titre Le Passé Défini (années 1942-1945, 1951-1957).
— A été publiée aussi une partie de sa Correspondance avec sa mère, avec Apollinaire, Jacques-Emile Blanche, Lucien Clergue, André Gide, Jean-Marie Magnan, Jean Marais, Darius Milhaud, Milorad, Anna de Noailles.
— Les films Orphée, Le Testament d'Orphée, Le Sang d'un poète, La Belle et la Bête, Les Parents terribles, L'Aigle à deux têtes, L'Eternel retour sont édités en DVD.



LA MAISON DE MILLY-LA-FORÊT

 
L'entrée de la maison   La maison vue du jardin

 

C'est pour pouvoir travailler au calme en-dehors de Paris que Jean Cocteau souhaita pouvoir s'installer à Milly-la-Forêt, un gros village de marchands, de foires, et capitale des plantes aromatiques, bien situé à la croisée des anciens chemins de diligences Paris-Lyon et Fontainebleau-Orléans.

La petite ville, dévastée pendant la guerre de Cent Ans, avait été transformée par Mallet de Graville, grand Amiral de France, qui lui redonna une église (1475), des halles (1479), et un château (1495).

En indivision avec l'acteur Jean Marais Jean Cocteau y acheta, à la fin de 1947, la "Maison du Bailli" ou "Maison du Gouverneur", rue du Lau, une demeure de style Louis XIII, avec double porte cochère, porte piétonne et deux tourelles à demi-engagées. Elle lui a plu par "son style, son porche, ses tours modestes, son allure de presbytère, ses douves, son jardin de curé, le bois et la forêt de Fontainebleau à deux pas" (Jean Marais).

En 1952, Cocteau a racheté les parts de Jean Marais pour six millions de francs, afin de s'installer dans la maison de Milly avec son aide-jardinier Édouard Dermit. Il n'y vint d'abord que le dimanche et pour de brefs séjours. Dans les dernières années, alors qu'il se partageait entre Paris, Santo Sospir (à Saint-Jean-Cap-Ferrat) et l'Espagne, il resta plus longtemps à Milly et y passa les trois derniers mois de sa vie, pour y mourir le 10 octobre 1963.

Avec sa basse-cour, son jardin potager, ses arbres fruitiers, sa cave et son grenier, la maison était un peu pour lui le paradis de l'enfance retrouvé. Il pouvait aussi y travailler plus à l'aise que dans l'entresol de sa maison du Palais-Royal. C'est sur la table d'architecte de l'antichambre qu'il réalisa d'innombrables dessins.

A Milly, il a accueilli Marcel et Elise Jouhandeau, Aragon et Elsa, Jean Genet, André Gide (en février 1949).

C'est à Milly que Roger Stéphane est venu en avril 1963 pour enregistrer un entretien qui sera diffusé sous le titre de "Portrait-Souvenir".

Cocteau a préfacé et commenté les images d'un petit livre consacré à cette maison, La Maison du poète (Das Haus des Dichters), publié à Zurich en 1962 : "Une maison habille notre âme comme un autre corps. Les objets viennent la remplir, apportés par les vagues du hasard et de la chance". Parmi ces objets, Cocteau a retenu la statue "d'un des Turcs de Versailles sous Louis XIV", "une bonne vache de manège de cirque", "un nègre automate offert par Jean Marais", "une terre cuite de Raymond Radiguet par Lipchitz", la sirène qui orne le vestibule et des peintures, dessins ou photographies évoquant Satie, Picasso, Stravinsky, Bérard, Man Ray, Colette…

• Jean Marais, Histoire de ma vie, 1975 : "Jean ne pouvait plus travailler rue Montpensier. Trop de coups de téléphone, de sonnette, trop de visiteurs pour moi et pour lui. Il rêve d'une maison. Paul en déniche une à Milly-le-Forêt. Nous avons tous les trois le coup de foudre. Son style, son porche, ses tours modestes, son allure de presbytère, ses douves, son jardin de curé, le bois et la forêt de Fontainebleau à deux pas. […] On installe chacun dans son coin : Jean au premier étage, moi au second; pour le rez-de-chaussée, nous collaborons. Jean peut écrire, dessiner; moi peindre, étudier; Moulouk se promener."

• Jean Cocteau, La Difficulté d'être : "Dans le calme de cette campagne, de cette maison qui m’aime, que j’habite seul, en ce mars 1947, après une longue, longue attente. […] C’est la maison qui m’attendait. J’en habite le refuge, loin des sonnettes du Palais-Royal. Elle me donne l’exemple de l’absurde entêtement magnifique des végétaux. J’y retrouve les souvenirs de campagnes anciennes où je rêvais de Paris comme je rêvais plus tard, à Paris, de prendre la fuite. L’eau des douves et le soleil peignent sur les parois de ma chambre leurs faux marbres mobiles. Le printemps jubile partout."

• Jean Cocteau : "Dès que le travail me le permet, je vais à la campagne où ma maison m'aime, où je retrouve mon chien Martin, fils de Moulouk, et mes chats, celui de Perse, celui de Siam, cerlui croisié de gouttière et de Persan. Ce rythme est si simple que n'importe qui dira ce bonheur trop simple. Mais le bonheur est simple. Il n'y a que les enragés de désastre qui s'opposent à ce calme et recherchent le drame. Je le déteste."

• Pierre Bergé : "Cocteau y a vécu les dix-sept dernières années de sa vie. Le succès acquis, Milly était devenu une sorte de refuge, loin des mondanités. Les iris et les pivoines, les arbres fruitiers du verger, les chats et les chiens étaient toujours au rendez-vous. Le poète venait s’y reposer, s’y retrouver, avec son compagnon, Edouard Dermit, y accueillir ses amis, franchir les passerelles sur les douves du château pour aller flâner dans le parc, travailler tard dans son bureau ou dans son atelier sous les toits. C’est Edouard Dermit, disparu en 1995, qui, à la mort de Cocteau en 1963, a maintenu intacts le salon, le bureau et la chambre du poète."

La transformation de cette maison en "maison d'écrivain" a été achevée en 2010.
— Au rez-de-chaussée, on a reconstitué le salon de Cocteau et aménagé les autres pièces pour y présenter des documents (Cocteau à Milly, autoportraits, etc)
— A l'étage, on a reconstitué la chambre et le bureau; des cloisons ont été abattues pour aménager une grande galerie destinée à des expositions temporaires; la pièce de la partie droite réunit des portraits de Cocteau par Picasso, Warhol, Blanche, Modigliani, Man Ray…

 
Le salon   Le bureau de Cocteau


— Les deux hectares du jardin, avec vue sur les douves du vieux château, ont été entièrement repris par Loïc Pinadetti, architecte paysagiste; on y voit des sculptures qui avaient été utilisées dans le film La Belle et la Bête (deux têtes de sphynges et un buste de Turc).


ARTICLES DE PRESSE

Il y a deux manières de comprendre le lien particulier qui liait Cocteau à la maison de Milly-la-Forêt, dans l'Essonne, près de Paris. La première, réservée aux happy few, consiste à se coucher sur le lit de l'écrivain, curieusement orienté en diagonale dans la chambre. Par la fenêtre, on aperçoit les créneaux du château, tandis qu'à gauche se déploie sur une fresque naïve le même château, dressé dans un décor verdoyant et peint, croit-on, par Jean Marais.
L'autre manière, plus orthodoxe, est de se projeter en 1947, année où Cocteau achète Milly, et à régler la mise au point sur l'entrée qu'emprunta le poète. Au bout de la rue, au pied des deux tourelles qui ornent la façade, s'ouvre à gauche une petite porte bleue. Poussez-la : la vue s'ouvre sur la douve du château, surmontée de ruines sur lesquelles la végétation de l'Essonne se donne des allures de jungle. Quand Cocteau la découvre, il vient d'achever le tournage de
La Belle et la Bête au château du Raray près de Senlis. Le même rêve de paysage enchanté s'étale devant lui.
"Vous êtes accusé de vouloir sans cesse pénétrer en fraude dans un monde qui n'est pas le vôtre", écrit-il dans Orphée pour définir le poète. Milly, justement, se révèle comme un havre à mi-chemin du songe et de la réalité. Il n'en peut plus du Palais-Royal, de la sonnette qui le dérange mille fois par jour pour un conseil, une préface, un dessin. Lui qui ne sait pas dire non a besoin de vrais kilomètres pour mettre la distance et soigner son eczéma. Jean Marais est copropriétaire. Il n'y viendra jamais. La Belle et la Bête, L'Éternel retour, Orphée ont fait de lui le grand acteur français d'après-guerre. Cocteau jette son dévolu sur Édouard Dermit, surnommé "Doudou", aide-jardinier au physique d'ange Heurtebise qu'il jette occasionnellement sur l'écran. C'est lui qui veillera sur la maison de Milly-la-Forêt. Après la mort de Cocteau, en 1963, et sur son conseil, il se marie. Il a deux fils dont il s'occupe peu, mais reste à Milly jusqu'à sa mort en 1995, veillant sur les collections et les pièces de Cocteau, qu'il a pris soin de fermer à clé. La maison sort de son sommeil en 2002 quand Pierre Bergé la rachète avec l'aide du département et de la région pour en faire la maison-musée Jean Cocteau.
Le Mystère de Jean l'Oiseleur trône en lieu et place de la cuisine ; les Potomack et autres dessins surgis dans la rapidité d'une page d'écriture occupent l'entrée ; plusieurs murs intérieurs ont été abattus pour former des salles d'exposition. Seules trois pièces ont été conservées : le salon au rez-de-chaussée et, au premier, la chambre et le bureau, tapissé de tissus léopard des murs au plafond. Là, dans un amoncellement d'objets juxtaposés à la manière d'un collage dada, on se surprend dans l'intimité du poète. Hétéroclite, théâtral, ce bric-à-brac se décode et parle de l'artiste au prix d'une analyse de détails. Cheval de manège et trophées dans le salon, antiques, pietà, estampes érotiques, machine à écrire, pipe à opium, feutres, pastels, godemiché en os, ardoise, avec épinglés ici une photo de corrida, là le pape portant la tête sinistre de Jean-Paul Sartre. Humour, progrès, rapidité, enfance, exotisme, paradis artificiels, érotisme, dandysme, tous les objets évoquent la métamorphose que, dans sa création, leur fait subir l'artiste : "Je me lève, écrit-il. Je me mets au travail. C'est le seul moyen qui me rende possible d'oublier mes laideurs et d'être beau sur ma table. Ce visage de l'écriture est somme toute mon vrai visage, l'autre une ombre qui s'efface." Dans les pièces à côté sont exposées quelques-unes des cinq cents œuvres laissées à Milly par Cocteau, dans un cheminement conçu par Dominique Païni, conservateur de la maison, qui avait signé naguère l'exposition Cocteau à Beaubourg. Ici les amis Proust et Picasso, là Coco Chanel et Schiaparelli, plus loin l'itinéraire artistique, et encore les portraits faits de Cocteau par des grands : Warhol, Man Ray ou Irving Penn. En somme, diverses rencontres de génies, dont Cocteau était l'organisateur.

Ariane Bavelier (Le Figaro, 19 juin 2010)


A peine franchie la petite porte bleue, au pied des deux tourelles qui ornent la demeure, on entre dans un havre paisible, "loin des sonnettes du Palais-Royal", qui avaient poussé Cocteau à fuir Paris pour trouver un univers plus propice à la création. C'est d'ailleurs entre ces murs que sont nés Le Testament d'Orphée, Requiem, et tant de dessins. Grâce à un impressionnant travail de restauration, la beauté du cadre qui a favorisé l'inspiration du poète est intacte.
Dès les premières pièces, la scénographie souligne les correspondances étroites entre la vie et l'œuvre de l'artiste : résonnant avec la série d'autoportraits du
Mystère de Jean l'Oiseleur, des miroirs entêtants viennent rappeler l'obsession de Cocteau pour son image. Dans la pièce suivante, des dessins du Potomak tapissent les murs : l'œuvre vient se fondre dans le lieu. Ensuite, le salon reconstitué laisse au public le soin de détailler le bazar jubilatoire de l'artiste, le décor de ses élans créatifs (cheval de manège, biches en bronze, paravents, trophées…).
A l'étage, la restitution du bureau et de la chambre dévoile un amoncellement d'objets hétéroclites et intimes, assemblés à la manière d'un collage dada. On se plaît à détailler ce bric-à-brac de livres, bustes, photographies épinglées sur un tableau d'ardoise, pipes à opium, autant d'objets personnels qui semblent encore exhaler quelque chose d'une présence vivante de Cocteau.
Les œuvres exposées semblent être faites de la matière de ces objets qui recèlent le goût du progrès et de la vitesse, l'attrait pour l'exotisme et les paradis artificiels, l'humour et le dandysme du poète. Dans la chambre, une singularité de l'aménagement résume bien la porosité des frontières entre la fiction et la réalité, entre l'œuvre et le lieu, dans la vie et la maison de Cocteau : depuis son lit, l'artiste pouvait contempler deux châteaux, l'un réel, celui de la Bonde, l'autre fictif, peint sur une fresque attribuée à Jean Marais. Cocteau créait dans cet entre-deux, entre l'imaginaire et le réel.
La visite continue par une exposition temporaire mêlant photos et dessins. Quelques très beaux portraits réalisés par Cocteau stupéfient le regard, comme celui de Colette, fait au charbon de bois et à la farine. L'exposition permanente rassemble des portraits de Cocteau signés par ses illustres amis : elle offre une vision kaléidoscopique de l'artiste aux mille visages et aux multiples talents.
Restent les jardins qui avaient tant séduit l'homme en 1947. L'artiste y retrouvait des paysages enchantés proches de ceux de
La Belle et la Bête, dont il venait de finir le tournage. Cocteau a alors intégré deux têtes de sphynges en pierre et un buste de Turc présents dans le film pour nouer une familiarité entre le lieu et son œuvre.
Dédiée à la mémoire de Cocteau, cette maison est aussi le lieu de la (re)découverte de son œuvre, elle, si vivante.

Sophie Walon (Le Monde, 27 juillet 2010)

 


LA CHAPELLE SAINT-BLAISE-DES-SIMPLES

 

 

Il y avait à Milly une chapelle édifiée en 1136 comme dépendance d'une ancienne léproserie. Elle était dédiée à Saint-Blaise, martyr du IVe siècle. On tentait alors de guérir les lépreux en utilisant des plantes médicinales, les "simples".

En 1959-1960, Jean Cocteau — qui venait de décorer de fresques la mairie de Menton et la chapelle Saint-Pierre à Villefranche-sur-Mer — a décoré cette chapelle Saint-Blaise-des-Simples à la demande du maire de la commune. Il a choisi le thème des plantes médicinales et condimentaires qui faisaient le renom de Milly : arnica, renoncule, colchique, menthe, jusquiame, belladone, digitale, valériane, guimauve.

Mort à Milly le 11 octobre 1963, à soixante quatorze ans (quelques heures après Édith Piaf), Cocteau a été inhumé dans cette chapelle. Sa dernière parole aurait été : "Je reste avec vous".

Le cercueil d'Edouard Dermit, mort en mai 1995, a été placé au-dessus de celui de Jean Cocteau.

Le tombeau de Jean Cocteau



Jean COCTEAU, Guide à l'usage des visiteurs de la chapelle Saint-Blaise-des-Simples

Je ne suis pas peintre de chapelles ni spécialiste d'art religieux. Des circonstances, indépendantes de ma volonté (vieilles promesses, souvenirs d'une époque heureuse), m'ayant amené à peindre les voûtes de la chapelle Saint-Pierre de Villefranche, M. Darbonne, maire de Milly-la-Forêt, où j'habite, et M. Chauvel, notre ambassadeur en Grande-Bretagne, eurent, coup sur coup, l'idée de me confier, l'un une petite chapelle de lépreux qui dormait depuis le onzième siècle en pleine campagne, l'autre, le reposoir de la Vierge, dans Notre-Dame-de-France, l'église française située aux portes de ce Soho, quartier de Londres moins célèbre pour son recueillement que pour la licence de ses mœurs. Au reste l'église repose sur une crypte où la jeunesse du dimanche danse comme à Saint-Germain-des-Prés.
La chapelle de Milly, à l'écart du village, était jadis la chapelle des lépreux dont la léproserie est remplacée par les cultures de plantes médicinales, où la menthe domine et embaume. Du dehors, on dirait une vieille pauvresse accroupie au bord de la route. A l'intérieur, on s'étonne de la trouver si jeune, si haute et si noble de lignes, sous les mêmes poutres que celles du grenier de ma maison et des Halles.
Or il suffit de me tendre une perche difficile à prendre pour que je m'y cramponne à mes périls et risques. Assisté par les adjoints de la Mairie, il me fallut franchir plusieurs obstacles : lèpre des parois humides, fragilité d'échelles et de planches, une vertigineuse besogne de gymnaste.
Une tête de Christ en croix surmonte l'autel presque barbare entre deux profils d'anges. Au-dessus de ces trois grandes figures je raconte une fois de plus la scène classique de la Résurrection. Les gardes dorment. Les Milliacois eurent vite fait de les surnommer. Il y a le Dormeur assis, le Bâilleur, le Dormeur debout, et tandis que l'ange, à l'extrême droite, soulève les linges du linceul, le Christ quitte le sépulcre et désigne le ciel de sa main droite, trouée et auréolée.
Une nacre marine de coquillage irise les graves méandres d'un trait de sépia que rafraîchissent la pourpre, le bleu pâle, le vert mousse, le jaune safran et le mauve des colchiques d'Apollinaire, qui se trouveront peintes entre les diverses fleurs avec lesquelles saint Blaise soignait les malades. Pareilles à des lances médiévales, les hautes tiges des Simples présentent les armes entre la porte encadrée de feuilles de menthe et l'abside.
L'Allemagne a exécuté, d'après mes maquettes, et offert à la France, les trois vitraux qui ornent les ouvertures étroites et distribuent le soleil du soir en taches multicolores. Sous le bénitier, un chat naïf, de style roman, observe l'ange. Il semble guetter un oiseau.
La Mairie a décoré d'herbes rares et d'une croix ancienne le terrain qui entoure la chapelle. César, de fer en forme de bouquets, a hérissé les niches, et un jeune céramiste de quatorze ans, Yann Madeline, exécuté le crucifix réglementaire sur la Sainte Table.

Cette note est écrite après l'inauguration de la petite chapelle des Simples, mot d'un double sens admirable, puisqu'il désigne la vertu des herbes qui guérissent et celle des malades qui croient. Mille et mille touristes viennent le dimanche visiter mon hommage à saint Blaise, patron des guérisseurs. Si j'étais prince et si j'habitais le Château, j'aurais la chance de me faire enterrer sous les dalles de ma chapelle. Mais prince ne suis et je n'habite que l'annexe du manoir seigneurial. Hélas, j'y reposerais trop seul et trop loin de ceux que j'aime. Sinon, peut-être aurais-je intercédé auprès de l'archevêque et du maire, afin d'y dormir ce sommeil dont l'autre n'est qu'un préambule.
Au sujet de cette entreprise, on m'a prêté des paroles inexactes, bien des boutades stupides. C'est la rançon d'une époque de commérages où les poètes, qui donnent leur sang chaque minute, passent pour des acrobates et pour des tricheurs. Hélas, sauf à certaines fêtes, une chapelle peinte par un artiste cesse d'être un sanctuaire pour devenir un simple objet de curiosité. Je le regrette et je me console en sachant que l'art est un sacerdoce, en constatant qu'il impose aux esprits inattentifs une sorte de méditation silencieuse, une halte indispensable au centre des tumultes contemporains.
J'exprime une reconnaissance sans bornes aux gardiens de ces édifices, au respect avec lequel ils les entretiennent et à l'intelligence patiente qu'ils mettent à éclairer les visiteurs.

Jean Cocteau, citoyen d’honneur de Milly-la-Forêt, 1er mai 1960


Discours du Grand Sommeil - Visite

J'ai une grande nouvelle triste à t'annoncer : je suis mort. Je peux te parler ce matin, parce que tu somnoles, que tu es malade, que tu as la fièvre. Chez nous, la vitesse est beaucoup plus importante que chez vous. Je ne parle pas de la vitesse qui se déplace d'un point à un autre, mais de la vitesse qui ne bouge pas, de la vitesse elle- même. Une hélice est encore visible, elle miroite ; si on y met la main, elle coupe. Nous, on ne nous voit pas, on peut nous traverser sans se faire de mal. Notre vitesse est si forte qu'elle nous situe à un point de silence et de monotonie. Je te rencontre parce que je n'ai pas toute ma vitesse et que la fièvre donne une vitesse immobile rare chez les vivants. Je te parle, je te touche. C'est bon le relief ! Je garde encore un souvenir de mon relief. J'étais une eau qui avait la forme d'une bouteille et qui jugeait tout d'après cette forme. Chacun de nous est une bouteille qui imprime une forme différente à la même eau. Maintenant, retourné au lac, je collabore à sa transparence. Je suis Nous. Vous êtes Je. Les vivants et les morts sont près et loin les uns des autres comme le côté pile et le côté face d'un sou, les quatre image d'un jeu de cubes. Un même ruban de clichés déroule nos actes. Mais vous, un mur coupe le rayon et vous délivre. On vous voit bouger dans vos paysages. Notre rayon à nous traverse les murs. Rien ne l'arrête. Nous vivons épanouis dans le vide.
Je me promenais dans les lignes. C'était le petit jour. Ils ont dû m'apercevoir par une malchance, un intervalle, une mauvaise plantation du décor. J'ai dû me trouver à découvert, stupide comme le rouge-gorge qui continue à faire sa toilette sur une branche pendant qu'un gamin épaule sa carabine. J'arrangeais ma cravate. Je me disais qu'il allait falloir répondre à des lettres. Tout à coup, je me suis senti seul au monde, avec une nausée que j'avais déjà eue dans un manège de la foire du Trône. L'axe des courbes vous y décapite, vous laisse le corps sans âme, la tête à l'envers et loin, loin, un petit groupe resté sur la terre au fond d'atroces miroirs déformants.
Je n'étais ni debout, ni couché, ni assis, plutôt répandu, mais capable de distinguer, ailleurs, contre les sacs, mon corps comme un costume ôté la veille. Surtout que j'avais souvent remarqué à Paris, dans ma chambre, au petit jour, cet air fusillé d'une chemise.
J'avais cet air là de vieux costume, de chemise par terre, de lapin mort, sans l'avoir, puisque ce n'était pas moi, comme la chambre à laquelle on pense et la même chambre dans laquelle on se trouve. Alors, j'eus conscience d'être la fausse chambre et d'avoir franchi par mégarde une limite autour de laquelle les vivants, sans lâcher prise, arrangent leurs jeux dangereux.
Avais-je lâché prise ? Je me sentais sorti de la ronde, débarqué en somme, et seul survivant du naufrage. Où étaient les autres ? Je te parle de tout cela, mais sur le moment, je ne pouvais les situer, ni toi, ni moi, ni personne.
Une des premières surprises de l'aventure consiste à se sentir déplié. La vie ne vous montre qu'une petite surface d'une feuille pliée un grand nombre de fois sur elle-même. Les actes les plus factices, les plus capricieux, les plus fous des vivants s'inscrivent sur cette surface infime. Intérieurement, mathématiquement, la symétrie s'organise. La mort seule déplie la feuille et son décor nous procure une beauté, un ennui mortels.
Constater cela me suppose sorti du système. Il est donc anormal que je constate. Je ne constaterai plus dans quelques temps. Ce temps représentera-t-il chez vous une seconde ou plusieurs siècles ? Bientôt, je ne comprendrai plus ce que je suis, je ne me souviendrai plus de ce que j'étais, je ne viendrai plus parmi vous. Ah, solitude ! Nageur noyé, déjà je fonds ! déjà je suis écume ! Tu sais, j'ai peine à trouver des mots qui répondent aux choses que j'éprouve. Aucune puissance ne m'a défendu cet essai d'éclaircir les mystères, mais je me sens un drôle de coupable, car je suis déjà l'organisation que je dénonce. Et je ris moi-même, comme les affiliés se voyant trahis par un novice mal au courant de leurs secrets, tellement j'ai de peine à expliquer ma pénombre.
Mais du reste, ce que je te raconte n'est-il pas un simple reflet de ce que tu penses ? Je ne dis pas cela pour construire autour de toi un piège en glaces. Je m'exprime encore trop humainement pour ne pas me méfier de moi.
Ce qui t'étonne, c'est que je parle comme tes livres, que je sache si bien ce qu'ils contiennent. J'étais de ceux qui doutent. Tu ne me grondais pas. Tu ne m'expliquais pas. Tu me traitais comme un enfant, comme une femme. J'étais naïvement ton ennemi.
Je te demande pardon. C'est pour te demander pardon que j'ai fait l'étrange effort d'apparaître. La poésie ressemble à la mort. Je connais son oeil bleu. Il donne la nausée. Cette nausée d'architecte toujours taquinant le vide, voilà le propre du poète. Le vrai poète est, comme nous, invisible aux vivants. Seul, ce privilège le distingue des autres. Il ne rêvasse pas : il compte. Mais il avance sur un sable mouvant et, quelquefois, sa jambe s'enfonce jusqu'à nous.
Maintenant je dénombre tes mécanismes. Je comprends ta pudeur que je confondais avec ma nuit.
Avec le public, j'ai souvent pris pour des ébauches tes pages discrètes comme les blocs de quartz où l'eau solide pense une forme dont un angle seul apparaît.
Et tes givres, tes décalcomanies, ce mot de l'énigme écrit à l'encre sur une feuille pliée vite en deux que tu ouvres ne contenant plus qu'un catafalque. Et, dis moi, lorsque les naufragés du Ville de Saint-Nazaire racontent qu'ils virent tous, la nuit en pleine mer, un Casino avec des marches, des lampions, des massifs de lauriers roses ; la mer, la brume et la faim, ne firent-ils pas oeuvre de poète ? Voilà qui ne relève pas de cette hallucination individuelle que te reprochent tant d'aveugles. Mais ces gens de la felouque étaient accordés par la souffrance. Je ne souffrais pas avant de mourir. Maintenant, ma souffrance est celle d'un homme qui rêve qu'il souffre. Ce rêve est généralement provoqué par quelque douleur.
Tout cela, tout cela s'apparente au tour dont je viens d'être victime. On dirait que c'est un vieux mort qui te parle. Il est si tôt que la relève ne m'a même pas encore trouvé. Je suis aussi auprès de ma mère. Je te vois dans ton lit et je me vois dans la pose d'un homme myope qui cherche son lorgnon sous un meuble. Je commence à me dissoudre. Pour que tu comprennes, il faudrait multiplier à l'infini le mensonge que fait une boulette qu'on roule avec le bout de ses doigts croisés l'un sur l'autre.
Je voudrais qu'on me dise depuis combien de temps je suis mort.


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