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DEUX ABBAYES DE LA BRENNE
À SAINT-MICHEL-EN-BRENNE ET À MÉOBECQ
A Saint-Michel-en-Brenne (44 kms à l'ouest de Châteauroux), au coeur de la Brenne, jadis marécage hostile, sont les restes de l'abbaye de Saint-Cyran, surnommée au XVIIe siècle le "Port-Royal de la Touraine". A une vingtaine de km, l'abbaye de Méobec.
SIGIRANNUS-CYRAN LEUR FONDATEUR
Au VIIe siècle, un seigneur nommé Flaocate introduisit Sigirannus, fils de Sigélaicus, à la cour du roi Clotaire II (584-629), où il fut échanson du roi.
Sigélaicus, qui fut évêque de Tours de 619 à 622, voulut alors marier son fils à la fille du riche seigneur Adoald ; mais Sigirannus résista, bien décidé à se faire homme d'église.
A la mort de son père, en 622, il alla à Tours sous l'évêque Léobald (622-625), puis sous l'évêque Modégisile (625-638).
Modégisile le fit entrer dans son clergé et lui donna la charge d'archidiacre.
Comme il dilapidait ses biens en faveur des pauvres, on l'accusa de folie et Etienne, le comte de Tours, le fit mettre en prison.
Après sa libération, il fit le pèlerinage de Rome avec l'évêque irlandais Falvius.
A son retour, il retrouva Flaocate (devenu maire du palais pour le royaume de Bourgogne)
Dagobert Ier, le roi des Francs (629-639), qui s'adonnait à la chasse dans la région de la Brenne, lui donna deux terres, l'une sur le territoire actuel de Saint-Michel-en-Brenne, l'autre sur le territoire de l'actuel Méobecq.
Sur ces terres, après la mort du roi, Sigirannus fonda deux monastères : Longoret vers 632 et Méobecq vers 642.
Sigirannus (Sigiran-Cyran) mourut vers 657.
Six siècles plus tard, en 1269, Jean de Sully, archevêque de Bourges) authentifia ses reliques sous le nom de saint Cyran, dans l'église Saint-Cyran du Blanc (aujourd'hui désaffectée). L'année suivante, le même Jean de Sully offrit quelques reliques aux moines du monastère.
SAINT-MICHEL-EN-BRENNE
En 987, l'abbaye de Saint-Cyran-en-Brenne a été attaquée par des seigneurs poitevins, qui furent chassés par Hugues Capet.
Au XIe siècle, une église abbatiale y a été construite.
L'abbaye acquit peu à peu de nombreux biens sur la paroisse de Saint-Michel et la paroisse de Lingé. Au XVIIe siècle, elle comptait seize métairies et dix borderies, plus des prés, des étangs, des vignes et des bois. Sept prieurés en dépendaient.
Au XVIIe siècle, un de ses abbés a été Jean Duvergier de Hauranne, appelé depuis "Saint-Cyran", qui introduisit en France le "jansénisme". En effet Duvergier de Hauranne pensait que Dieu l'avait choisi, avec son ami Jansenius, pour réformer l'Église. Il alla à Poitiers où l'évêque du lieu, Chasteigner de La Roche-Posay, lui donna un canonicat et le prieuré de Bonneville, puis plus tard, en 1620, résigna en sa faveur l'abbaye de Saint-Cyran-en-Brenne. Le nouveau prélat commendataire résida peu dans son abbaye. Entre-temps, en juin 1618, il avait été ordonné prêtre. En 1622, il revint définitivement à Paris, bien décidé à faire triompher les thèses du "jansénisme". Oracle des cercles dévots parisiens, il fut appelé, en 1634, à prêcher aux religieuses de Port-Royal, ce qui lui permit d'exercer une profonde influence sur le couvent, surtout par l'intermédiaire de la grande réformatrice de Port-Royal, mère Geneviève Le Tardif. En 1638, Richelieu, alors tout-puissant, réussit à le faire emprisonner à Vincennes, lors d'une grande opération qu'il mena contre les dévots hostiles à sa politique européenne (les religieuses de Port-Royal, les "Messieurs", l'Oratoire, leurs amis à la Cour…).
La même année, inquiet de ce qui se passait à l'abbaye de Saint-Cyran, l'archevêque de Bourges voulut y faire une inspection; mais les religieux refusèrent de lui ouvrir les portes. Le châtiment ne tarda pas: on chassa les moines par la force, on démolit l'église et une partie du couvent. Saint-Cyran, lui, fut maintenu à Vincennes, sans procès ni condamnation, pendant cinq ans. La mort de Richelieu lui redonna la liberté (1643), mais il mourut quelques mois après.
Duvergier de Hauranne
A la mort de Duvergier, en 1643, c'est son neveu Martin de Barcos qui lui succéda comme abbé du monastère, grâce à l'appui d'Anne d'Autriche. Il était pourtant janséniste comme son oncle et avait été précepteur des enfants d'Arnaud d'Andilly. Il fit reconstruire le monastère à ses frais et réorganisa l'abbaye selon la règle de saint Benoît. Il l'enrichit en en faisant une exploitation agricole modèle. Mais, ayant refus de signer le Formulaire de 1665 envoyé par le pape Alexandre VII, dom Martin de Barcos dut s'enfuir. Il ne put regagner son abbaye qu'en 1669 et il y mourut en 1678.
Parmi les moines de Saint-Cyran se trouvait à cette époque dom Lancelot, l'auteur du Jardin des racines grecques. Il avait été chargé des classes de Port-Royal après la mort de Saint-Cyran. En 1656, il s'était retiré sur les bords de la Claise, où il vécut saintement, n'ayant jamais voulu être plus que simple sous-diacre.
Après la mort de dom Martin, les moines de Saint-Cyran restèrent fidèles au jansénisme. Par précaution, ils avaient même fortifié leur abbaye avec quatre tours et un pont-levis et ils refusaient d'admettre des gens de l'extérieur aux offices. C'est que les derniers "Messieurs" de Port-Royal s'étaient réfugiés chez eux avec leurs meubles.
Quand, en 1678, on voulut leur imposer comme abbé un prêtre du diocèse de Rouen, Thomas de Mouchy, ils se barricadèrent, et il fallut que le lieutenant-général de Loches intervienne par la force. Mais les religieux s'arrangèrent alors pour isoler leur abbé dans les bâtiments: seuls le pressoir et les remises étaient parties communes. Et, pendant plusieurs années, les conflits se multiplièrent: l'abbé chassa ceux des religieux qui lui étaient de plus hostiles; les religieux, eux, firent disparaître les titres et les papiers de l'abbaye, ce qui suscita de longs procès qui ne cessèrent qu'en 1694.
Au début du XVIIIe siècle, les désordres continuèrent; l'archevêque de Bourges ne trouva comme solution, en 1712, que de supprimer purement et simplement la communauté de Saint-Cyran.
Dans les années qui suivirent, on récupéra ce qu'on put des livres et des objets. Les matériaux des bâtiments furent vendus à l'encan. Seule fut sauvée, au sud de l'abbaye, l'Hôtellerie ou "Chambre des Hôtes" (du XVe siècle) et quelques dépendances (granges, étables, moulins).
En 1790, tout ce qui restait, ainsi que des étangs et des métairies, fut vendu comme bien national.
En 1860, l'impératrice Eugénie offrit un reliquaire en bronze doré pour abriter les reliques possédées par l'abbaye, reliques de saint Cyran, saint Génitour, saint Sylvain et saint Fructueux.
Il ne reste plus de l'abbaye même que la "Chambre des hôtes".
L'ancienne hôtellerie aujourd'hui
Les Moulins de Paris achetèrent le domaine et en firent, plus tard, une maison de vacances pour leurs employés.
Dans les années 1930, l'abbaye fut convertie en un élevage de chiens de chasse.
En juin 1975, l'abbaye fut acquise par la sœur de Mgr Marcel Lefebvre qui la renomma alors "abbaye Saint-Michel". Celle-ci devint la maison mère des Sœurs de la Fraternité Saint-Pie-X. Le 8 septembre 1977, les premières postulantes rejoignirent le groupe initial.
Les sœurs protégèrent le milicien Paul Touvier, recherché par la justice pour crime contre l'humanité. Une perquisition menée le 21 mai 1989 dans l'abbaye permit à une quarantaine de gendarmes de saisir les bagages du milicien. À la suite des aveux de l'aumônier de l'abbaye, Touvier sera arrêté le 24 mai 1989 au prieuré Saint-Joseph à Nice.
En mars 2017, les sœurs ont obtenu le permis de construire nécessaire à l'érection d'une nouvelle abbatiale Saint-Cyran.
Plan de l'abbaye
MÉOBECQ
La légende, étayée par des documents apocryphes, veut que l'abbaye bénédictine de Méobecq ait été fondée vers 642 par le roi Dagobert, qui aurait accordé de nombreuses libéralités à la petite communauté fondée par Sigirannus.
L'église Saint-Pierre a été construite au XIe siècle. Le 3 septembre 1048, le document historique fondateur de l'abbaye est signé en présence des évêques de Tours et de Bourges. Cette charte affirme que l'abbaye avait reçu la protection du roi Dagobert ainsi que du pape Sixte-Quint qui aurait offert des reliques de saint Pierre. L'abbaye reçoit alors un privilège d'immunité qui la rend indépendante du pouvoir seigneurial.
L'église comporte une nef unique et charpentée et des bas côtés voûtés d'arête. Le transept est couvert d'un berceau. Le chevet a cinq chapelles échelonnées : l'abside est voûtée d'un berceau et d'un cul de four, les chapelles latérales d'une voûte d'arête.
Dans le chœur et ses chapelles, les chapiteaux du XIe siècle ont une parenté avec le style de Saint-Benoît-sur-Loire : même type de corbeille adapté de l'ordre antique corinthien, feuilles d'acanthe, palmettes, animaux affrontés. Le seul chapiteau historié, au nord du chœur, représente un évêque et un martyr romain (ou Daniel dans la fosse).
On voit encore dans l'église des fresques du XIe siècle :
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Le décor peint le mieux conservé se trouve entre les fenêtres et représente des personnages en pieds, identifiés par des inscriptions : SCS LEOBALDUS (saint Loyau), SCS SIGIRANNUS (saint Cyran, fondateur de l'abbaye), SCS MARTIALIS (saint Martial, évangélisateur de la région) et SCS PETRUS (saint Pierre, patron de l'église de Méobecq ).
– Au-dessus, était développée la vision de saint Jean avec la représentation des cavaliers de l'Apocalypse (aux écoinçons des fenêtres). Il subsiste un destrier blanc monté à cru par un archer couronné par la main divine. Un ange s'adresse à saint Jean, un homme nimbé aux cheveux blancs.
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Encore plus haut, sur fond vert, on distingue (aux extrémités de l'abside) une paire de pieds nus posés sur une roue.
– On repère également les vestiges de deux animaux, certainement ceux qui accompagnent les évangélistes.
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Au cul-de-four, le Christ en gloire a disparu.
Les bâtiments claustraux sont du 15e siècle. A l'est se trouvaient les logis des officiers claustraux formés d'une série de maisons séparées, pouvant dater du 15e siècle.
Au XVIe siècle, l'abbaye devint un bien commendataire. En 1569, l'abbaye et son église sont ravagées par les troupes protestantes du rince de Condé. La nef de l'église, brûlée, ne sera jamais reconstruite.
En 1664, François de Laval Montmorency, évêque de Pétrée en Arabie, en devient abbé commendataire. Nommé en 1671 évêque de Québec, il détourne les revenus de l'abbaye au profit de son évêché. En 1673, la réunion du monastère à l'évêché de Québec est décrétée et en 1706 le rattachement est confirmé par une bulle du pape Clément IX.
L'église devint alors paroissiale et les bâtiments monastiques, enfermés dans une double enceinte, étaient promis à la destruction.
Le prieuré a été restauré au début du XXIe siècle.
Sanctus Sigirannus (à gauche de la fenêtre de gauche) | Sanctus Sigirannus (à droite) |
Les logis abbatiaux aujourd'hui