Thémiseul de Saint-Hyacinthe
HISTOIRE DU PRINCE TITI
Résumé
I
Dans le royaume de Magnastrück, le jeune roi Ginguet avait épousé la princesse Tripalle et tous deux étaient très avares. Ils eurent un fils, le prince Titi, qui devint un garçon d'un bon naturel, toujours riant et satisfait, n'ayant aucun intérêt pour l'argent, contrairement à son frère cadet, Triptillon, aussi avare que ses parents, qui le préféraient de beaucoup à son aîné.
Dix-huit années passèrent. Un jour, au cours d'une chasse, Titi secourut une vieille femme qui avait été blessée et la reconduisit dans sa cabane. Pour le remercier, elle lui offrit des noisettes, des noix et des nèfles, toutes d'un goût exquis. Mais, comme ses parents de lui laissaient jamais un sou, Titi, pour payer les femmes et le médecin qui devaient s'occuper de la vieille qu'en dut emprunter quatre écus au père de son page l'Éveillé. En remerciement, la vieille lui fit cadeau d'un œuf tout frais pondu. Dans l'œuf, Titi trouva un merveilleux diamant et, dans chaque noisette, chaque noix, chaque nèfle, des diamants eux aussi admirables : la vieille femme était une fée !
Bien sûr le roi Ginguet et la reine Tripalle s'emparèrent des diamants. Puis, à l'insu de Titi, ils allèrent, avec toute la Cour et la princesse de Blanchebrune, une cousine de Titi, pour rencontrer la vieille dans sa cabane. La vieille leur offrit des nèfles, des noix et des noisettes très banales et, quand la reine lui dit qu'elle avait compris qu'elle était une fée, elle fit comme si elle ne comprenait pas.
L'Éveillé alla revoir la vieille. Elle lui fit d'abord promettre qu'il lui obéirait en toutes circonstances. Puis elle se métamorphosa en une femme d'une grande beauté couverte de diamants : la vieille était la fée Diamantine. Pour que le père de l'Éveillé soit remboursé de ses quatre écus, elle lui fit donner, par l'intermédiaire de son fils, une bourse qui, si on faisait un bon usage de l'or qu'elle contenait, ne s'épuisait jamais. Au page, elle accorda le don de se rendre invible chaque fois qu'il le voudrait. Puis la fée disparut.
C'est alors que le roi du pays voisin, Forteserre, annonça sa visite. Ginguet, malgré son avarice, fit de grandes dépenses pour améliorer l'image de sa Cour; en particulier, les vêtements de la reine, du roi et de Triptillon furent ornés des diamants trouvés dans l'œuf et dans les fruits. Mais, lors de la réception de l'ambassadeur de Forteserre, les diamants cousus sur les vêtements redevinrent nèfles ou œuf. L'ambassadeur, croyant qu'on avait voulu se moquer de lui, s'en retourna furieux dans son pays. Le roi Ginguet voulu se justifier dans une lettre à Forteserre, mais le porteur de la lettre fut sèchement renvoyé et, sur le chemin du retour, son nez se mit à s'allonger jusqu'à le rendre parfaitement ridicule. Titi, que ses parents avaient envoyé à la campagne pour le tenir à l'écart de tous ces événements, comprit qu'il fallait se préparer à la guerre contre le roi Forteserre.
II
L'Éveillé utilisait le pouvoir qu'il avait reçu de la fée de se rendre invisible pour espionner ce qui se disait dans l'entourage du Roi et pour en informer Titi. Celui-ci avait auprès de lui quatre fidèles seigneurs, les princes de Fullfoi, de Frycore, de Hopevaine et le duc de Vaervir. Il se rendit sur la frontière du royaume pour y bâtir une forterese, le Fort-Titi.
C'est alors que, dans la modeste maison d'un honnête paysan qui se trouvait sur l'emplacement de la future muraille, Titi rencontra une jeune roturière d'une éclatatante beauté : elle s'appelait Bibi. Il en tomba amoureux et essaya de lui déclarer son amour. Mais le père de Bibi, nommé Abor, mit sa fille en garde contre l'amour qu'elle ressentait pour un prince qu'elle ne pourrait jamais épouser. Par précaution, il voulut l'envoyer chez une vieille parente qui vivait avec ses trois filles. Bibi, partagée entre l'obéissance qu'elle devait à ses parents et l'amour qu'elle sentait pour le prince, se résigna à partir, emportant un oiseau, un linotte, que Titi lui avait offert. Titi, désespéré du départ de Bibi, jura à Abor qu'il n'avait que de bonnes intentions, qu'il épouserait sa fille quand il serait roi et que, jusque là, il la respecterait. Abor accepta de faire revenir sa fille; et les jeunes amants purent vivre, dans une honnête liberté, des journées délicieuses.
On apprit alors que le roi et la reine s'étaient fait chacun une grosse bosse à la tête. Ils furent soignés par des médecins qui ne firent qu'aggraver leur mal avec vulnéraires, saignées et lavements. Les courtisans, pressentant la mort du roi, s'empressèrent auprès de Titi et de l'Éveillé. Mais le roi guérit.
Pour aider le père de Bibi, Titi demanda à nouveau de l'argent au père de l'Éveillé; mais Abor ne voulut pas garder cet argent et il le distribua à des nécessiteux.
La fée Diamantine, satisfaite des vertus de Titi et de Bibi, leur offrit de satisfaire un vœu. Comme ils hésitaient, elle leur donna la possiblité de prendre, quand ils le souhaiteraient, la forme d'un animal quel qu'il soit (en précisant toutefois que, s'ils étaient blessés ou enchaînés ou s'ils révélaient ce pouvoir à quelqu'un d'autre qu'à l'Éveillé, ils ne pourraient plus reprendre leur premier état).
Titi, qui avait refusé d'être généralissime pour laisser la place à plus compétents que lui, alla rejoindre l'armée comme simple volontaire. Grâce à sa bravoure, l'armée de Forteserre fut vaincue dans un premier siège. Puis, comme prélude à une grande bataille, un cavalier de Forteserre demanda un combat singulier: Titi se proposa et l'emporta, tandis qu'un aigle volait au-dessus de lui : c'était Bibi métamorphosée. Puis, au cours de la bataille, Titi tua le cheval de Forteserre, mais il épargna le roi, qu'il fit prisonnier. Dans la suite de la bataille, alors qu'un soldat ennemi se trouva en position d'abattre Titi, l'aigle s'abattit sur lui et lui creva les yeux. La victoire acquise, Titi se retira dans sa tente où il vit un petit grillon qui se transforma en Bibi, une Bibi joyeuse et fière de son amant. Pour sortir du camp, elle se transforma en lézard, puis à nouveau en aigle afin de rejoindre son père.
Le roi et la reine félicitèrent Bibi, en lui reprochant toutefois l'argent qu'il avait distribué généreusement aux prisonniers et aux blessés. Les courtisans, eux, l'admirèrent, jugeant qu'il ferait un très grand roi. Titi allait souvent visiter le roi Forteserre qu'on gardait prisonnier, Ginguet exigeant de lui une rançon exorbitante. Ils se prirent d'amitié l'un pour l'autre et Forteserre songea même à lui donner sa fille unique, la belle Gracilie.
Bibi voulu s'amuser en profitant du don de la fée. Sous la forme d'une belle inconnue, elle présenta à deux reprises à Titi un poème faisant son éloge. Mais Titi, sans se laisser séduire, remerçia simplement la femme et lui donna une bourse. Quand elle eut repris sa forme, Bibli feignit d'être jalouse de la belle inconnue et défia son amant de dire à cette femme inconnue qu'il ne l'aimerait jamais.
Titi, toujours désireux de faire le bien autour de lui, finit par s'étonner que le père de l'Éveillé puisse lui donner tant d'argent (il ignorait qu'il avait reçu une bourse magique). Alors, non sans peine, il obtint du roi de pouvoir jouir des revenus des domaines qui lui appartenaient. En revanche il n'obtint pas la libération sans condition du roi Forteserre.
Lorsque Titi tomba malade, il fut veillé par Bibi qui, lorsque quelqu'un entrait dans la chambre, prenait la forme d'une mouche ou d'une souris. Un jour que Tripalle vint voir son fils, elle prit la forme d'un serin. Mais, la reine ayant ordonné qu'on chasse cet oiseau, elle se trouva à la portée des griffes du chat favori de la reine. Alors Bibi se transforma en un gros chien et tua le chat; puis elle s'échappa sous la forme d'une souris. La princesse de Blanchebrune tenta de calmer la reine en lui expliquant que son cousin Titi n'était pour rien dans la mort du chat.
L'Éveillé, s'étant fait invisible, apprit que le roi se disposait à faire enfermer Titi, qu'il accusait de vouloir renverser l'État, d'être favorable à Forteserre et de tenir ses pouvoirs de magiciens. Sachant que, dans ce cas, le don de métamorphose n'opérerait plus, l'EÉveillé conseilla à Titi de fuir pour aller rejoindre sa Bibi; ce qu'il fit sous la forme d'un moucheron puis d'un aigle, après avoir plaidé sa cause dans deux lettres au Roi et à la Reine.
III
L'Éveillé, toujours grâce à son invisibilité, apprit que la Reine poussait le roi à déclarer Titi incapable de succéder à la couronne, et à mettre à sa place son petit frère Triptillon. Afin de pouvoir révéler cette injustice au peuple, l'Éveillé conserva une copie des lettres du prince ainsi que 200 exemplaires imprimés du manifeste qui condamnait Titi à la prison.
Titi, réfugié chez Abor avec l'Éveillé, reçut la visite de la fée Diamantine, toujours soucieuse de protéger les gens de bien et de confondre les méchants. Elle annonça qu'un jour Bibi serait reine et que l'Éveillé épouserait une grande princesse. Mais elle leur dit qu'en attendant que le temps soit venu il allait falloir qu'ils partent au loin, en évitant tous les pièges. Une couronne de roses, laissée dans la maison d'Abor, permettra de mesurer la marche du temps, chaque rose se transformant successivement en un diamant. Titi sera informé de ce qui se passera par des lettres que l'Éveillé devra placer tous les premiers jours de la lune sous la couronne; Abor et son épouse, eux, pourront voir en songe ce qui arrivera à Titi et à Bibi aussi bien le jour que la nuit. Alors la fée et l'Eveillé disparurent et les deux amants sortirent de la maison, échappant ainsi aux soldats de Ginguet lancés à leur recherche.
Pendant deux années d'exil, Titi et Bibi vécurent en prenant, selon les besoins, la forme d'aigles, de moucherons, de lions, de lièvres, de lézards, d'abeilles… Les lettres de l'Éveillé, que, sous la forme d'un aigle, ils allaient prendre sous la couronne chez Abor, les tenaient au courant de tout. C'est ainsi qu'ils apprirent que les sujets de Ginguet s'étaient déclarés en faveur de Titi et qu'une révolution se préparait contre le roi, alors que les troupes s'étaient révoltées et avaient délivré le roi de Forteserre. Dans un échange de lettres, ce roi promit à Titi de se retirer dans ses états sans rien entreprendre contre Ginguet.
Au cours de leurs voyages dans divers pays, Titi et Bibi s'arrêtèrent dans un lieu charmant où ils vécurent sous la forme d'oiseaux. Comme c'était le commencement du printemps, ils durent faire effort pour ne pas céder au désir amoureux qu'ils ressentaient l'un pour l'autre. Puis ils s'établirent dans une île idéalement belle, peuplée seulement d'une multitude d'animaux.
Au cours d'une visite que, sous la forme d'une hirondelle, Titi fit dans la maison d'Abor, il vit que la moitié des roses de la couronne étaient devenues diamants. Ce jour-là il y trouva non seulement Abor et son épouse, mais aussi Bibi, Blanchebrune et l'Éveillé: en effet Diamantine avait décidé d'organiser pour eux un excellent repas de fête. Et, comme, désormais, Blanchebrune était initiée à leur mystères, elle reçut ce jour-là de la fée le don d'être à sa volonté de l'âge qu'il lui plairait.
Pendant que Titi et Bibi connaissaient le bonheur dans leur île paradisiaque, les sujet de Ginguet supportaient de plus en plus mal la manière tyrannique dont ce roi se comportait. L'Éveillé put informer à temps tous ceux que le roi voulait faire arrêter et qui purent fuir dans les états de Forteserre (ce qui, d'ailleurs, ne déplut pas à Ginguet, qui confisqua aussitôt tous leurs biens). Pour libérer la princesse de Blanchebrune, que la reine Tripalle avait fait enfermer dans un château, l'Éveillé utilisa l'argent que lui donna son père pour corrompre le gouverneur du château, d'où la princesse put sortir, grâce au don qu'elle avait reçu de la fée, en se donnant d'apparence d'une fillette de quatre ans. Ayant repris sa forme d'une jeune fille de dix-neuf ans, elle alla à la cour de Forteserre, où elle devint l'amie de sa fille Gracilie.
Après seize mois, toutes les roses de la couronne sauf une étaient devenues diamant, signe qu'un grand changement était proche. C'est alors qu'on apprit que Ginguet venaient de mourir d'une apoplexie et que Tripalle s'apprêtait à proclamer roi le jeune Triptillon. Diamantine alla trouver Titi et Bibi dans leur île, leur annonça la nouvelle et les transporta par magie dans la maison d'Abor. Là les quatre seigneurs fidèles, une grande partie de la noblesse et une foule de gens du peuple vinrent chercher leur nouveau roi pour le conduire dans sa capitale.
IV
S'apprêtant à régner, Titi expliqua à Bibi qu'ils devraient, pendant quelque temps, se résigner à vivre loin de l'autre, puisque, même sous la forme d'un aigle, il lui faudrait plus de trois heures pour qu'elle le rejoigne et que, lui, serait trop occupé par les affaires du royaume pour être avec elle. L'avènement de Titi donna lieu à une grande fête qui dura seize jours, dans une allégresse générale. En présence de l'ambassadeur de Forteserre, Titi assura que son unique projet était faire de le bonheur de son peuple, un peuple qui "n'est jamais content de ce qu'il a et n'aime que la nouveauté".
À la mort de Ginguet, la reine Tripalle s'était retirée, avec son jeune fils et tous les trésors du feu roi, dans une province maritime proche des états d'un prince qui était son ami. L'avaient suivie tous ceux qui reconnaissaient Triptillon comme roi. Titi essaya de la convaincre de revenir auprès de lui, donnant en même temps l'ordre au ministre et à tous ceux qui avaient pris le parti du prince de se remettre dans leur devoir. La reine répondit que Titi n'avait aucune chance, puisque c'est elle qui disposait de tout l'argent du royaume; que néanmoins Triptillon pourrait lui concéder la royauté, si Titi acceptait les conditions qu'on voulait lui imposer: ce serait le moyen d'éviter une guerre civile.
Le ministre qui avait suivi Tripalle assura Titi qu'il était près à trahir la reine-mère si on lui promettait une pension de 3000 ginguets. Indigné devant tant de bassesse, Titi refusa. En revanche, il accorda généreusement son pardon à des seigneurs qui avaient d'abord pris le parti de Triptillon. Dans une lettre à la reine, il prévint que les sédicieux avaient seize jours pour se remettre dans leur devoir, sinon ils seraient à jamais bannis du royaume. Mais il comprit que la reine-mère était résolue de se porter aux extrémités violentes.
Étonné de voir qu'un paysan comme Abor était désormais richement logé à la Cour, deux seigneurs essayèrent de savoir qui il était en se rendant dans sa maison, où était toujours sa femme. L'ayant appris, Titi les exila pour un an afin de les punir de ce qu'il considérait comme un manque de respect à son égard. Ce fut là une bonne leçon pour tous : leur bon roi savait au besoin être sévère.
Sûr de la fidélité d'Abor, Titi se montra plus réservé à l'égard du jeune l'Eveillé, dont le père lui fournissait de l'argent en abondance, sans qu'on en connaisse la provenance. Quant aux quatre seigneurs, il voulait les mieux connaître avant de leur confier de grandes reponsabilités. Enfin, avant d'opérer un quelconque changement dans l'administration, il demanda qu'on lui fasse un rapport sur l'état du royaume, toujours décidé à faire le bonheur de son peuple.
Avant de retourner dans sa province, Forteserre vint rendre hommage au nouveau roi. La princesse Blanchebrune l'avait prévenu que Titi n'accepterait jamais le mariage avec sa fille Gracilie; mais elle avait refusé de lui dire que l'épouse que Titi avait choisie était Bibi, la fille d'un paysan. Titi réserva à son ami Forteserre une réception luxueuse dans un édifice magnifique construit par les soins de la fée Diamantine. Bibi, qui se tenait volontairement à l'écart de la Cour, un peu jalouse à cause de la présence de la princesse Gracilie, vint observer la réception sous la forme d'un papillon. Mais lorsque Titi voulut se transformer en aigle pour aller la retrouver dans sa maison, il s'aperçut que, sa condition ayant changé, il avait perdu le pouvoir de se métamorphoser. Alors Bibi, voyant que tout le monde s'attendait à voir Titi épouser Gracilie, crut qu'elle devait se résigner à perdre son amant devenu roi. C'était bien mal le connaître…
Là où elle s'était réfugiée, la reine-mère contestait la légitimité de Titi et, avec l'aide de son ministre, tentait de rassembler les partisans de Triptillon. Titi vivait mal cette attitude de sa mère et essayait de prendre sur lui une part des responsabilités, en rappelant la transformation des diamants en nèfles, qui fut la cause de la guerre, et la mort du chat de la reine. Il espérait que sa manière de gouverner prouverait qu'il était bien le roi légitime. D'ailleurs il ne voulait forcer personne : ceux qui le désapprouvaient pourraient aller se réfugier dans d'autres état, de même que les provinces favorables à Triptillon pouvaient très bien faire sécession. Cette profession de foi suscita l'enthousiasme et Forteserre comprit que Titi était le modèle du roi parfait.
Comme il n'avait nulle intention de soumettre une province par la force, Titi se proposait même de licencier son armée et d'indemniser les soldats, toujours grâce à l'argent du père de l'Éveillé. Mais les soldats refusèrent et l'armée se mit d'elle-même en route vers la province de Triptillon rebelle, soutenue en cela par toute la population. Titi dut intervenir avec son allié Forteserre pour calmer leur ardeur.
Titi estima que le moment était venu pour lui de rejoindre sa Bibi. Un cortège se forma avec Forteserre, les quatre seigneurs, les deux princesses Gracilie et Blanchebrune, des domestiques, un maître d'hôtel et deux cuisiniers pour aller dans la petite maison d'Abor. Là Bibi, résignée, ne croyait plus que Titi devenu roi puisse vouloir épouser une fille indigne de son rang; elle avait même décidé généreusement de l'inciter à épouser la princesse Gracilie. Abor, prévenu de l'arrivée imminente de la Cour dans sa modeste demeure, ne dit rien à sa fille de la venue d'un Titi en réalité plus amoureux que jamais.
V
Le lendemain matin, Bibi eut la surprise de voir arriver dans la cour de sa maison des carrosses et des hommes à cheval. Étant sortie, elle se trouva devant Titi, son cher roi. Les seigneurs et les princesses ne purent qu'admirer la beauté et l'esprit de leur future reine. Gracilie l'aima tout de suite et devint son amie. Après un excellent dîner, on alla visiter le fort-Titi, chacun donnant son idée sur les embellissements à y apporter. Titi et Bibi s'expliquèrent sur leurs sentiments et tout le monde fut heureux.
Forteserre était ennemi de la tyrannie, mais, resté fidèle à d'anciennes valeurs, il était assez éloigné de l'image du roi parfait incarnée par Titi. Ancien militaire, il était jaloux de son autorité et on craignait son humeur parfois violente. Il faisait un peu trop confiance à ses ministres de la justice et des finances. Il avait tué volontairement la femme qu'il aimait parce qu'elle lui avait fait une infidélité et, désormais, il ne se servait des femmes que pour satisfaire aux besoins de son fort tempérament.
Lorsque tous furent réunis chez Abor, la fée Diamantine vint s'inviter sous la forme d'une vieille femme et Forteserre s'étonna de voir que tous accueillaient cette vieille avec respect. D'abord elle court-circuita le cérémonial instauré par Forteserre en décidant que tout convive qui prononcerait le mot de "majesté" devrait payer un demi-ginguet d'amende. Puis elle s'amusa à faire des tours de magie en créant à profusion des ginguets qu'on donna aux domestiques et des diamants pour Forteserre, dont il distribua une partie aux messieurs et aux dames. La fée ayant reprit sa forme d'une belle femme, il la vexa en soupçonnant que ces diamants, une fois cousus sur l'habit qu'il porterait à la noce de Titi, pourraient se transformer en nèfles. Dans la conversation qu'il eut avec la fée, le mauvais caractère de Forteserre se manifesta. Alors elle lui fit don d'un verre à boire magnifique qui devait l'aider à modérer ses passions. Puis elle distribua aux dames des pierres précieuses en forme de fleurs et sortit, non sans avoir entouré la maison d'une magnifique enveloppe de cristal pour remercier ses hôtes. Alors les rois, les princesses, l'Éveillé, les Dames allèrent se coucher; faute de place les seigneurs durent passer la nuit dans la grange.
Le lendemain matin, Gracilie se félicita que son père ait reçu, sous forme d'un verre magique, un moyen de tempérer son caractère trop rude. Alors Gracilie, Blanchebrune et Bibi échangèrent des idées sur l'amour, la fidélité, la jalousie, conversation à laquelle Titi vint se mêler. Puis on sortit pour admirer la petite maison qui avait désormais des murs de cristal et un toit d'aventurine verte. Enfin les princesses aidèrent Bibi à s'habiller.
Le soir du second jour, portée par deux Zéphirs, Diamantine revint sous l'apparence d'une belle reine : longs cheveux blonds, robe bleue, chaussures parsemées de diamants. Elle voulait éprouver le roi Titi : serait-il capable de prendre une décision en se fondant non sur sa puissance arbitraire mais sur la justice? Près de la province dont Triptillon était le maître se trouvait le beau duché de Félicie, dont le duc venait de mourir sans postérité. Titi pouvait donc disposer de cette souveraineté : il l'attribua à l'honnête Abor; mais celui-ci, s'en estimant indigne, refusa.
Ce défunt prince de Félicie avait été un homme bon, protecteur des sciences et des arts. Il avait instauré sur le mariage des lois originales : le mariage était conçu comme pacte de consentement mutuel et civil, à durée déterminée; on pouvait se permettre d'avoir plusieurs femmes ou plusieurs maris, les droits des hommes et des femmes étant les mêmes ; en cas de divorce on prévoyait de justes dédommagements pour l'un et l'autre. Une discussion s'engagea sur les avantages de cette liberté évitant qu'on soit malheureux dans un mariage dont on ne peut se libérer. Forteserre se dit prêt à adopter ces lois dans son royaume, tout en assurant à Blanchebrune que, s'il l'épousait, il serait pour elle un mari fidèle.
La fée intervint pour dire qu'elle disposait d'un moyen pour savoir si deux personnes seraient heureuses en mariage : on prend une paire de sabots, la femme met l'un à son pied droit, l'homme l'autre à son pied gauche; ils tiennent à la main un fil de soie et se mettent à courir: si le fil ne se rompt pas, ils sont faits l'un pour l'autre. D'autre part, si quelqu'un ment en ayant un pied dans un sabot, il reste boiteux toute sa vie. Blanchebrune ne voulut pas faire l'expérience avec Forteserre, en disant que ce serait moins l'aimer que d'avoir la certitude de ne jamais être malheureuse. Et ce fut encore une fois pour les dames l'occasion de disserter sur l'amour.
À propos du duché de Félicie qu'Abor avait refusé, tous ayant fait également preuve d'un grand désintéressement, Titi le donna finalement au père de l'Éveillé, auprès duquel il avait de fortes dettes, mais surtout en récompense de ses vertus et ses multiples qualités.Et toute l'assemblée se mit à disserter sur la vertu et sur les aléas de la fortune. Le matin, Titi fit les formalités nécessaire pour que le père de l'Éveillé devînt roi de Félicie. Un envoyé de la Cour s'étant interrogé sur le choix qu'avait fait Titi d'un roturier, il fallut lui expliquer qu'il n'y a d'autre inégalité entre les hommes que des inégalités de vertu et que seul un homme vertueux a le droit d'être roi.
Madame Abor, qui avait été bien dérangée dans son ménage par la venue des rois et des princesses, savait qu'elle allait bientôt être privée de sa fille. Titi et Bibli s'expliquèrent sur ce qui les avait fait résister au désir qu'ils avaient l'un de l'autre lorsqu'ils était dans l'île au milieu des oiseaux. Comme Forteserre était devenu amoureux de Blanchebrune, Gracilie, généreuse, pressa son amie d'accepter ce mariage, sachant bien que cela la privait de la couronne. Titi lui aussi voulut convaincre Blanchebrune d'épouser Forteterre, en lui rappelant qu'elle avait reçu le don d'avoir l'âge qu'elle souhaiterait ; elle répondit qu'elle demandait une année de réflexion.
Titi apprit que sa mère Tripalle réclamait la province de Félicie pour Triptillon : celui-ci, qui avait le soutien du prince de Hopevaine et du roi de Coursinaba, risquait d'être un danger pour cette province.
Titi, désireux d'améliorer la petite maison d'Abor, dans laquelle il comptait prendre un mois de vacances chaque année, décida de créer un parc et Bibi en traça le plan. Mais, pour réaliser ce projet, il lui fallait acheter des terres. Tous les propriétaires sollicités acceptèrent de bonne grâce; seul le propriétaire de treize arpents résista et demanda un prix exorbitant; en effet pressentait que la maison de cristal allait attirer des foules et il voulait y construire des hôtelleries pour les accueillir. Titi comprit qu'il avait raison et que les autres propriétaires auraient dû lui demander beaucoup plus. Il renonça donc à son prpjet, car un bon roi ne doit pas faire payer à son peuple ce qui ne servirait à ses plaisirs. Après de longues tractations et considérations sur le rapport entre justice, économie et politique, Titi ne voulut ni forcer le propriétaire récalcitrant, ni flouer les autres en payant plus cher une parcelle qu'une autre. Finalement, la fée arriva avec une besace pleine de ginguets qui furent distribués aux propriétaires, lesquels reçurent également le droit de porter un T à leur bonnet. Quant à celui qui refusait de vendre, Titi se refusa à confisquer sa terre puisqu'il ne s'agissait pas de l'intérêt de l'État. Mais il trouva une issue : il laissa la parcelle intacte et l'entoura d'une muraille : « ce sera le plus bel endroit du parc, puisque ce sera une marque de modération des rois et de leur attention à ne pas violer ce qu'on appelle la propriété de leurs sujets. »
L'Éveillé, devenu prince de Félicie, aimait en secret Gracilie, la fille de Forteserre. Il accueillit son père, un homme bossu mais vertueux. Mais la bourse magique d'où étaient sortis tant de ginguets n'opérait plus depuis qu'il avait changé de condition en devenant duc de Félicie. Alors Diamantine, à l'issue d'un dîner magnifique servi par des Zéphirs, offrit en dédommagement à l'Éveillé toute la riche vaisselle qui avait servi pour le repas.
C'est encore Diamantine qui se chargea de la construction du palais. D'abord des tourbillons de vents furieux rasèrent tout, autour de la petite maison de cristal. Puis un tremblement de terre creusa un canal dans le parc et forma une cascade. Des arbres furent plantés, et les oiseaux que Titi et Bibi avaient vus dans leur île vinrent les animer. La fée demanda alors à Bibi de jouer plusieurs airs sur sa basse de viole et, à mesure qu'elle jouait, un palais magnifique se construisit près de la maison de cristal.
VI
Les nobles vinrent alors faire leur cour au nouveau roi. Le duc de Vaervir et le baron de Frylingua amusèrent les princesses en commentant la personnalité de chacun de ces nobles de province, par exemple tel amateur des jeux proposés dans le Mercure galant, tel autre plus porté sur le vin que sur les livres, tel autre grand amateur de chasse. Parmi tous ces nobles, on remarqua le marquis de Rababou, dont la femme poursuivait le marquis d'Iridis, lequel était plutôt séduit par les dix-sept ans de Mlle de Rababou; la princesse de Blanchebrune fit de celle-ci sa fille d'honneur, sous le nom plus euphonique de Mlle de Granatis.
Titi invita dans son nouveau palais le chevalier de Tobisonde, qui avait été trésorier sous le toi Ginguet et qui n'avait pu mener à bien ses bons desseins à cause de la rapacité des gens d'affaires. Il invita aussi un ancien soldat blessé et défiguré à la guerre, le capitaine Poirau, qui devint le gouverneur du nouveau domaine, qu'on décida d'appeler Bititibi.
Une chasse fut organisée. Les trois dames prirent des vêtements d'hommes. Titi annonça qu'il comprenait bien qu'on tue des animaux pour préserver la terre et pour nourrir les hommes, mais il aurait voulu qu'on les tue sans les faire souffrir. Il quitta donc la chasse pour aller incognito dans un village pour voir dans quel état se trouvaient les campagnes éloignées de la capitale. Avec Abor et Tobisonde, il entra dans un cabaret, puis ils se promenèrent dans la ville où ils virent partout l'image de la misère, alors qu'autrefois, avant le règne de Ginguet, le pays avait été prospère. Titi comprit que ce ne sont pas les paysans qui jouissent du profit de leur travail. Il rencontra une paysanne qui bêchait un champ : son mari était malade et son fils avait été tué à la guerre. Alors que Titi se désolait d'avoir déjà distribué tout l'argent que lui et ses compagnons avaient dans leurs poches, la fée Diamantine apparut et donna deux ginguets d'or à la femme, en lui expliquant ce qu'elle devrait faire pour que cet argent se renouvelle, à la condition qu'elle en fasse bon usage. Cela fait, Titi rejoignit la chasse, puis tous retournèrent à Bititibi.
Tirant des leçons de cette visite incognito, Titi et Forteserre comprirent qu'un roi ne devait pas faire confiance aux rapports de ses ministres, que c'est aux paysans qu'un pays doit sa prospérité. Titi était persuadé que, dans une société idéale, aucun gouvernement ne serait nécessaire, mais que, dans le monde réel, il fallait des lois et des magistrats pour remédier aux extravagances et à la corruption des hommes. Forteserre était, dans son pays, confronté à une misère extrême des paysans, au point qu'un docteur avait suggéré qu'ils pourraient soit vendre leurs bébés avant leur naissance, soit même les égorger pour les manger. Épouvanté, Titi décida qu'il œuvrerait pour que ses paysans puissent jouir des richesses qu'ils créaient.
Des nouvelles inquiétantes parviennent au roi : ses soldats s'apprêtaient à envahir la province de Triptillon. Pour leur changer les idées, Bibi, utilisant son don de métamorphose, s'amusa à se rendre exactement semblable à Blanchebrune, de telle sorte que Forteserre ne pouvait savoir quelle était celle qu'il aimait. Mais le malin Titi fit semblant de se couper le doigt et une des deux Blanchebrunes ne put s'empêcher de tressaillir : c'était Bibi.
Toutefois la situation politique exigeait le départ des rois. Diamantine leur donna le moyen d'avoir assez d'argent pour en distribuer à ceux qui en avaient besoin. Puis elle distribua à chacun un cadeau : à Mme Abor elle donna une cassette pleine d'une vaisselle d'un très grand prix ; au duc de Félicie une bague qui changerait de couleur quand un courtisan lui mentirait ; à la princesse Gracilie un rubis qui lui permettra de choisir son futur mari ; à Bibi un miroir de poche qui lui permettra de toujours voir l'homme qu'elle aime ; à Blanchebrune une loupe qui pouvait servir au même usage ; à Mlle de Granatis une grenade changeant de couleur devant un séducteur mal intentionné ; aux dames d'honneur des éventails par lesquells elles pourront faire venir quelqu'un près d'elles ; aux deux seigneurs qui n'étaient pas mariés des tabatières qui leur permettront de surveiller leur maîtresse ; aux deux autres seigneurs des cannes qui pouvaient servir de boussole ; à Abor un télescope réglable utile de jour comme de nuit ; au prince de Félicie une boîte sur laquelle apparaîtra un diamant dès qu'il fera la conquête de quelque belle et qui lui indiquera ensuite quelle est celle qu'il aime le plus parfaitement. Puis tous allèrent faire une promenade dans le parc : Titi avec Bibi, Forteserre avec Blanchebrune, la jeune Granatis avec le prince de Frycore, enfin le prince de Félicie avec la princesse Gracilie, qui dissertèrent sur l'amour à propos de la tabatière de l'un et de la bague de l'autre.
Au lever du soleil, les deux rois et leurs compagnons partirent vers le camp militaire : il leur fallait marcher pendant neuf jours, car il n'y avait pas encore de chevaux de relais, Titi refusant d'obliger les paysans à prêter le leur. Seuls le prince de Félicie et le duc de Vaervir partirent à cheval en avant-garde. Sur le chemin, Titi distribua généreusement les ginguets dont, par la magie de la fée, il disposait à sa guise; il répara aussi quelques injustices dont se rendaient coupables trésoriers, juges et alguazils lorsqu'il s'agissait de lever les impôts dans les villages.
Arrivé au camp militaire, Titi, non sans mal, persuada les soldats de ne pas marcher contre Triptillon, puisque telle n'était pas sa volonté. Alors chaque soldat reçut un ginguet d'or et l'armée se dispersa. Titi, lui, regagna la capitale.
Bibi qui, grâce à son miroir, avait pu suivre Titi dans sa marche vers le camp, l'informa par lettre de ce qui s'était passé à Bititibi. La muraille autour des treize arpents était en construction, sous la responsabilité du capitaine Poirau. Le chevalier de Tobisonde était arrivé et s'était lié d'amitié avec le père de Bibi. La fée lui avait fait cadeau d'un petit bureau portatif avec des cartes donnant des statistiques détaillées et à jour sur chaque province et sur chaque village, etc.
VII
Sur la route du retour vers Bititibi, le roi de Forteserre fut victime d'un accident en passant à Alburgetstad et fut soigné par la femme du gouverneur de la ville, un homme particulièrement jaloux. La conversation ayant porté sur la fidélité des femmes, Forteserre révéla quel usage on pouvait faire d'un sabot magique. À la demande générale, il accepta qu'on aille chercher le fameux sabot. Le prince de Félicie se rendit donc à Bititibi, où il trouva tout le monde. On se réunit dans un bosquet et l'on parla à nouveau de l'amour et de la séduction, du respect envers les femmes. Puis le prince repartit, muni de son sabot de diamant.
A Alburgetstad, quand on expliqua que le sabot avait la vertu de faire boiter les femmes coupables de quelque infidélité les dames s'inquiétèrent; pour les rassurer on fit promettre aux maris qu'ils pardonneraient sincèrement. Au jour fixé pour l'expérience, toutes les femmes étaient rassemblées. La femme du gouverneur passa l'épreuve la première et se mit tout de suite à boiter, sous les yeux de son mari furieux. Il en fut de même pour l'épouse du président, celle du lieutenant-général, celle du président de l'élection, ces dernières pourtant bien laides.On vit boiter aussi une jeune mariée de dix-sept ans, puis toutes les autres femmes de la ville, sauf quatre. Après cette revue de boiteuses, le roi ordonna une grande ripaille à l'issue de laquelle il annonça que les maris pourraient être soumis à la même épreuve, afin de détecter ceux qui avaient manqué de probité. Devant leur réaction, le roi leur fit la morale, leur fit comprendre l'inégalité qu'il y avait entre les hommes et les femmes. Et l'on comprit que c'est le caractère indissoluble des liens du mariage qui oblige les femmes à être perfides et que le défunt duc de Félicie avait eu raison de rendre chez lui le divorce possible. Alors on organisa une grande cérémonie de réconciliation où les maris pardonnèrent publiquement à leur femme boiteuse. Et tout se termina par un grand bal. Puis les quatre femmes qui, parce qu'elle avaient toujours été sages, n'avaient pas boité furent invitées à dîner au palais avec leurs maris; là on voulut savoir comment ces couples exceptionnels avaient vécu leur amour, ce qui fut une leçon pour tous. Ensuite Forteserre, pratiquement guéri de sa blessure, regagna Bititibi.
Bientôt, à Bititibi, il fallut organiser le départ de tous pour aller rejoindre Titi à la Cour, où Bibi allait devenir reine. La fée calma les inquiétude de Madame Abor en lui expliquant comment il fallait se conduire à la Cour. Au cours du voyage, qui dura huit jours, le prince de Félicie et Gracilie, grâce à la tabatière de l'un et à la bague de l'autre, comprirent qu'ils étaient faits pour s'aimer. A l'arivée des carrosses, Diamantine répandit sur la ville une pluie de fleurs et le peuple regarda ce mirable comme un heureux présage.
VIII
[par Mayer, l'éditeur du Cabinet des fées]
Alors commencèrent les préparatifs du mariage de Bibi et de Titi. Celui-ci prit un décret imposant à tous de ne pas faire trop de dépenses pour ces fêtes et il annonça que sa première mesure serait de recevoir tous ses sujets qui se trouvaient dans la peine. La fée Diamantine lui apporta tout l'or dont il aurait besoin pour soulager les pauvres malheureux, sauf les avares et les ingrats; à Bibi elle fit le don d'êtte toujours non pas belle, mais gracieuse, tout en conservant le don qu'elle avait déjà reçu de prendre toutes les figures qu'il lui plairait; au roi Forteserre, qui devait épouser la princesse Blanchebrune, elle crut bon de lui faire la leçon pour calmer ses ardeurs.
Vint le jour tant attendu du mariage. À l'autel, Bibi, entourée de Blanchebrune, Gracilie et Granatis, reçut la bague nuptiale. Il y eut ensuite un grand festin, puis l'on passa dans les salles de jeu, puis dans la salle de bal. Et ce fut la nuit de noces…
Le lendemain matin, Bibi et Titi jouèrent d'abord à se métamorphoser en oiseaux. Mais Titi dut tenir sa promesse et recevoir, muni des "sacs inépuisables" de la fée, tous ses sujets qui étaient dans la peine. Mais seuls ceux qui le méritaient vraiment reçurent or ou argent, et, parmi eux, il y eur plus de gens du peuple que de notables. Titi fut appelé alors "le père du peuple" : c'est un poète qui eut cette idée et Titi lui en sut gré. Bibi, elle, avait passé sa journée en reine, contrainte de faire bonne figure au milieu des jacasseries des dames. Les courtisans furent choquée de voir Madame Abor, une bourgeoise, une femme qui n'avait pas de rang, venir en toute simplicité embrasser sa fille, contrairement aux usages; et Madame Abor regretta le temps où elle vivait dans sa ferme.
Reste à connaître le sort des autres personnages :
– On apprit que Triptillon était mort dans une chute de cheval et que sa mère demandait asile à la Cour: Titi, en fils généreux, demanda qu'on prépare son ancien logement.
– La princesse Blanchebrune se prépara à épouser Forteserre, qui certes n'était plus très jeune, mais qui lui offrait beaucoup d'amour. Les fêtes qui suivirent furent très bruyantes; au cours des jeux, Forteserre voulut affronter un des lutteurs qui, obéissant à Blanchebrune, ne céda rien au roi, lequel écumait de rage. Ce fut une première occasion pour la reine d'affirmer qu'elle entendait bien régner dans le ménage. Puis Forteserre et Blanchebrune repartirent dans leurs états.
– La fée se mêla alors de rapprocher Gracilie et le prince de Félicie, qui se marièrent bientôt; et la fée leur fit comprendre qu'ils seraient, eux, d'égale force comme mari et femme.
– Titi accepta de libérer Monsieur et Madame Abord, qui ne se plaisaient pas à la Cour; mais Titi s'assura qu'il pourrait toujours solliciter les avis de son ancien minisre. Ils offrirent le duché de Félicie à l'Éveillé.
– Granatis, ex mademoiselle Rababou, malgré les mises en garde de la fée, épousa un comte qui s'était entiché d'elle.
Comme conclusion pour toutes ces aventures, on organisa une fête puis une chasse, au cours de laquelle la fée fit en sorte que, selon le voeu de Titi, peu de bêtes fussent tuées.
Pendant son règne, le roi Titi souhaita toujours faire le bien. Certes, comme cela était inévitable, il se heurta à l'ingratitude des hommes; mais Bibi était toujours là pour le pousser à l'indulgence.