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THÉMISEUL DE SAINT-HYACINTHE

1684-1746


 

Voir Elisabeth Carayol, Thémiseul de Saint-Hyacinthe, Oxford, SVEC, n°221, 1984.

Hyacinthe Cordonnier est né à Orléans en 1684, fils de Jean-Jacques Cordonnier, sieur de Bel-Air. A 17 ans, il perdit son père ; alors sa mère, Anne Mathée, l'emmena avec elle à Troyes afin qu'il achève ses études chez les Oratoriens. C'est elle qui lui suggéra d'abandonner le patronyme de Cordonnier, trop banal, pour le nom de Thémiseul de Saint-Hyacinthe.

Les aléas de la vie et ses aventures avec les femmes (la duchesse d'Ossone, puis la nièce d'une abbesse de Troyes, enfin Mlle de Marconnay, qu'il épousa) l'amenèrent à vivre surtout en Hollande et quelques années à Londres, où il rencontra Voltaire, qui devint, on ne sait trop pourquoi, son ennemi.

Après une première expérience dans l'armée, qui tourna court, il choisit de vivre surtout de sa plume et publia beaucoup, mais souvent anonymement.


Ce qui le rendit célèbre, c'est une sorte de canular, imaginé avec les membres du comité de rédaction du Journal littéraire et publié à La Haye en 1714, Le Chef-d'oeuvre d'un inconnu, poème heureusement découvert et mis au jour avec des remarques savantes et recherchées par M. le Docteur Chrisostome Matanasius.
En pleine Querelle des Anciens et des Modernes, il y pastiche les ouvrages tant appréciés des partisans des Anciens. Par cette mystification littéraire il a voulu démystifier, par le grossissement, les commentaires pédants et les gloses sous lesquels les chefs-d'oeuvre étaient trop souvent étouffés. L'auteur en serait un certain Docteur Chrysostome Mathanasius. Celui-ci écrase sous d'interminables commentaires et une accumulation de références fantaisistes  un poème très court et très banal, un « pont-neuf » comme on disait, relatant les amours de Colin et de Catos.
Le poème est étudié avec un tel luxe de remarques, commentaires, rapprochements, citations grecques, latines, françaises, anglaises, italiennes, etc., que le poème de 40 vers est entouré de plus de 200 pages de vaine érudition ! Le propos de Saint-Hyacinthe est de dénoncer l'érudition pédante, avec la prolifération des pièces liminaires, la pratique des épîtres dédicatoires élogieuses, des poésies laudatives en grec, en latin, en hébreu, précédant une masse de commentaires accumulant références et citations.
Comme il s'y glissait quelques allusions aux jésuites, aux jansénistes, à la liberté anglaise, au fanatisme et à la superstition, l'ouvrage fut condamné par la censure.
Curieusement le Chef-d'oeuvre d'un inconnnu a eu un immense succès (14e rang parmi les ouvrages à succès du XVIIIe siècle) et Saint-Hyacinthe en a procuré plusieurs rééditions augmentées de nouvelles pièces. D'autres éditions ont vu le jour jusqu'en 1807. Une édition commentée a été publiée en 1991 par H. Duranton (Université de Saint-Etienne).

En 1737, il publia, à Turin, un ouvrage sur le même principe : un poème (de 384 octosyllabes) accompagné d'un long péritexte. Cette fois la critique porte sur les Jésuites et leurs arrangements avec la morale. Chanson d'un inconnu nouvellement découverte et mise au jour avec des remarques critiques, historiques, philosophiques, théologiques instructives et amusantes par M. le Docteur Chrysostome Mathanasius. Avec cette citation : "Nihil est opertum quod non revelabitur et occultum quid non scietur" (Matthieu, 10.26) : Il n'y a rien de caché qui ne doive être découvert ni rien de secret qui ne doive être connu.


Autre oeuvre à succès, un roman-conte, l'Histoire du prince Titi (1736), avec plusieurs rééditions, puis une parution en 1786 dans le Cabinet des fées et plusieurs traductions anglaises. Edition critique par Aurélia Gaillard dans la Bibliothèque des Génies et des Fées, vol. 11, 2018  (éd. Champion)
Voir : Aurélia Gaillard, « Une leçon de magie économique : Féerie, économie et politique dans l'Histoire du Prince Titi de Saint-Hyacinthe (1736) », Féeries, 6 | 2009, http://journals.openedition.org/feeries/708
Aurelia Gaillard montre que ce roman-conte doit être lu comme une fable politique, particulièrement une satire de l'absolutisme de George II et de la reine Caroline et un éloge du despotisme éclairé du prince héritier Frédérick.
L'Histoire du Prince Titi raconte la conquête du trône par le prince aîné et héritier Titi, contre le mauvais gouvernement et les intrigues de sa famille. Il s'agit d'opposer à un mauvais art de régner plusieurs modèles de gouvernement :
– un modèle héroïque, aux valeurs anciennes, celui du roi Fortesserre,
– un modèle utopique, aux lois très libérales sur le mariage, celui du roi de Félicie,
– un modèle "moderne", une des premières formulations du despotisme éclairé, celui du prince Titi.
Certes, dans le conte, ce sont des ressources magiques qui permettent au héros d'accéder au trône et de s'y maintenir. Mais, hors de cette machine féérique, le conte pose le problème de la possibilité de l'exercice d'un pouvoir vertueux : comment fonder un pouvoir juste pour un peuple prospère ?


Sur Gallica ou sur Google Books on trouve, numérisées, la plupart des publications de Saint-Hyacinthe :

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– Lettre à Madame Dacier sur son livre Des causes de la corruption du goût
– Dissertation critique et analytique sur les chronogrammes (1751)
– La vie et les aventures surprenantes de Robinson Crusoë
– Recherches philosophiques : sur la nécessité de s'assurer par soi-même de la vérité, sur la certitude de nos connaissances et sur la nature des êtres (1743)
– Pensées secrètes et observations critiques attribuées à feu M. de Saint-Hyacinte (1769)
– Lettres critiques sur la Henriade de M. de Voltaire (1728)
– Recueil de divers écrits sur l'Amour et l'amitié (1736)
– Mémoires littéraires (1716)
– Lettres écrites de la campagne (1721)

Voir, en particulier :
Le Chef d'oeuvre d'un Inconnu
Chanson d'un inconnu
L'Histoire du prince Titi
La Conformité des destinées, nouvelle historique (1736)


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