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Thémiseul de SAINT-HYACINTHE

Les deux textes "d'un inconnu", le Chef-d'oeuvre et la Chanson, sans les péritextes.



LE CHEF-D'ŒUVRE D'UN INCONNU

L'autre jour Colin malade
Dedans son lit,
D'une grosse maladie
Pensant mourir,
De trop songer à ses amours
Ne peut dormir :
Il veut tenir celle qu'il aime
Toute la nuit.
*
Le Galant y fut habile,
Il se leva,
À la porte de sa Belle
Trois fois frappa :
« Catin, Catos, Belle Bergère,
dormez-vous ?
La promesse que m'avez faite,
La tiendrez-vous ? »
*
La fillette fut fragile,
Ell' se leva.
Toute nue en sa chemise,
La porte ouvra.
« Marchez tout doux, parlez tout bas,
Mon doux Ami,
Car si mon Papa vous entend
Morte je suis. »
*
Le Galant qui fut honnête
Droit se coucha.
Entre les bras de sa Belle
Se reposa.
« Ah! je n'ai pas perdu mes peines
Aussi mes pas,
Puisque je tiens celle que j'aime
Entre mes bras.
*
– J'entends l'Alouette qui chante
Au point du jour;
Amant, si vous êtes honnête
Retirez-vous.
Marchez tout doux, parlez tout bas,
Mon doux Ami,
Car si mon Papa vous entend
Morte je suis. »

 


CHANSON D'UN INCONNU,
Histoire véritable et remarquable
arrivée à l'endroit d'un R.P. de la Compagnie de Jésus.

1
Or écoutez, Petits et Grands,
Nobles, Bourgeois et Paysans,
Allemands, Polonais et Russes,
Et vous habitants des deux Prusses,
Espagnols, Turcs, Persans, Chinois,
Soyez attentifs à ma voix
2
C'est dans la ville d'Alençon,
Noble ville et de grand renom,
Qu'arrivée est piteuse affaire
À l'endroit d'un Révérend Père.
Chacun, jusqu'aux petits enfants,
La conte encore à tous venants.
3
 Ce bon Père-là confessait.
Très peu de pénitents avait,
Voire foison de pénitentes,
Jeunes, gentilles, bienséantes,
Qui lui contaient soirs et matins
Leurs petits péchés féminins.
4
Cettui donc fort s'ébanoyait
Aux confessions qu'il oyait
De toutes ces jeunes fillettes,
Qui lui parlaient rubans, cornettes,
Habits, modes, peine, souci,
Et sans doute autre chose aussi .
5
Une entr'autres fort lui plaisait :
De la voir point ne se lassait.
Pour cette frisque Jouvencelle
Tant le Papa brûlait de zèle
Que nuit et jour, s'il avait pu,
La confesser il eût voulu.
6
Aussi vraiment il y tâcha,
Et son cœur point ne lui cacha.
« Il vous faut, ma chère Poulette,
Venir, dit -il, dans ma chambrette ;
Là vous dirai tout à loisir
Choses qui vous feront plaisir.
7
Toujours au confessionnal
On se fait entendre fort mal.
Parmi toute cette cohue
Qui se mouche, crache et éternue,
À peine parfois entend-on
Moitié de la confession.
8
Quand c'est quelque bon vieux Dragon,
Ou du moins quelqu'homme ou garçon,
Qui vont rarement à confesse,
Pour déblayer, ôter la presse
Vite nous les expédions,
Puis de dix ans ne les voyons.
9
Mais une fille comme vous,
Jeune, simple et d'un esprit doux,
Il faut bien autrement l'instruire :
On ne peut jamais tout lui dire ;
Il reste toujours quelque si
Qui demande à être éclairci.
10
Il faut donc du particulier
Pour ouvrir son cœur tout entier.
Partant, ma mignonne, ma mie,
Venez me voir, je vous en prie
La plus en dirons une fois,
Qu'ici pendant cinq ou six mois .
11
– Mon Père, que dites-vous là ?
Que dirait Maman de cela ?
Vraiment je serais bien grondée :
Comme un enfant je suis gardée ;
Elle ne veut seulement pas,
Que je m'écarte de deux pas.
12
– Vraiment, ma Sœur, gardez-vous bien
Que votre mère en sache rien
Non plus que monsieur votre père :
Ce n'est point ici leur affaire.
À jamais vous vous damnerez
Si les dents vous en desserrez. »
13
La jeune fille après cela
Toute pensive s'en alla,
Sur son nez la coiffe baissée
Comme jadis une épousée
Que, quand minuit était venu,
On menait chez son prétendu.
14
« Irai-je donc… n'irai-je pas ?
Il faut aller… mais si j'y vas… !
Ah ! que je suis embarrassée !
Aussi quelle étrange pensée,
De vouloir qu'on aille chez soi…
Une fille… seule… et pourquoi ?
15
Se confesse à lui qui voudra,
Plus jamais rien ne me fera.
Avant lui j'en avais un autre
Qui confessoit comme un Apôtre.
Je l'ai quitté pour celui-ci,
Mais il n'est pas mort, Dieu merci.
16
C'en est fait, j'y retournerai,
Et celui-ci je quitterai,
Car mon esprit point ne digère
D'être enfermée avec un Père.
Parfois le Diable est bien subtil…
Car, après tout, que me veut-il ? »
17
Son frère la voyant, un soir,
Se lamenter et se douloir,
Voulut en apprendre la cause .
« C'est, mon frère, fort peu de chose.
– Mais ce peu de chose pourtant
Vous fait soupirer bien souvent !
18
Dites-moi donc, ma chère Sœur
Ce que vous avez sur le cœur.
– Ce n'est pas avec vous, mon frère,
Que je dois en faire mystère :
Le Père Couvrigny prétend
Que j'aille en sa chambre et m'attend.
19
À présent qu'au fait vous voilà,
Que vous semble-t-il de cela ?
Croyez-vous que je doive faire
Ce que demande le bon Père ?
Pour moi franchement je n'ai point
L'esprit de décider ce point.
20
Il me semble avoir entendu
Que méchef était advenu
À maintes filles peu rusées
Par leurs confesseurs abusées,
Qui se donnaient pour gens de bien
Comme pourrait faire le mien.
21
– Vous parlez très juste, ma Sœur.
Mais, pour prévenir ce malheur,
Qui franchement serait extrême,
Il faut jouer un stratagème.
Nous forcerons, sans rien risquer,
Le bon Père à se démasquer.
22
Nous nous ressemblons bien tous deux :
Même taille, mêmes cheveux,
Même teint et presque même âge.
Donnez-moi donc votre équipage,
Coiffe, cornettes, cotillons,
En un mot tout vos brimborions. »
23
Aussitôt dit, aussitôt fait.
Sa Sœur elle-même lui met
Toute sa petite défroque.
Chignon frisé, manche à Lacoque.
Mon drôle, plus prompt que le vent,
Ne fait qu'un saut jusqu'au couvent.
24
Couvent des Jésuites s'entend,
Hospice de notre Galant.
D'abord dévote révérence,
Puis une autre, puis il s'avance.
Le Pater, les sens tout saisis,
Dit : « C'est ma chère Duplessis ! »
25
Car c'est ainsi que se nommait
La pénitente qu'il aimait,
Fille d'un tisserand habile,
Un des plus huppés de la ville,
Bon tisserand et bon chrétien,
En un mot fort homme de bien.
26
« Que je suis aise de vous voir !
Venez près de moi vous asseoir.
Ma fille, que vous voilà belle !
Ah, la dangereuse prunelle !
Bon Dieu ! que cet œil est fripon !
Pourquoi ne suis-je pas garçon ?
27
– Je croyais venir en ce lieu
Pour entendre parler de Dieu.
Voilà bien une autre aventure :
On parle de fa créature !
Je venais voir mon confesseur
Et je trouve un doux cajoleur !
28
– Quand on est faite comme vous,
Notre bon Dieu n'est point jaloux
Que l'on admire son ouvrage.
Ah ! n'est-ce pas lui rendre hommage
Que d'adorer ce qu'il a fait,
Surtout quand il est si parfait ?
29
– Je pense bien différemment
De vous, mon Père, assurément.
Il a fait le ciel, la lumière,
Du monde la machine entière :
Pourtant très criminel serait
Quiconque les adorerait.
30
– Pas tant, ma petite, pas tant.
Allons ici tout bellement :
Nous pourrions choquer la doctrine
Par où nous brillons à la Chine.
Ah ! c'est là qu'il faut aller voir
Les fruits de notre haut savoir.
31
Dans tout le pays Indien
Vous ne sauriez croire combien
On nous révère, on nous estime.
Aussi notre grande maxime
A toujours été d'établir
Et de ne jamais abolir.
32
Avec art nous concilions
Chez eux les deux Religions
Savoir la leur avec la nôtre,
Ce que le plus habile Apôtre,
Instruit même par Jésus-Christ,
De faire n'eut jamais l'esprit.
33
La leur, par droit d'ancienneté,
A le pas et la primauté ;
Et la nôtre, qui n'eft pas fière,
Comme de raison va derrière,
Car avec nous l'on ne perd rien
Et chacun conserve le sien.
34
De l'esprit humain c'est l'effort
D'unir et de mettre d'accord
Ces incompatibles rivales !
Je le donne en cent aux cabales
Des Janséniens qu'on vante tant
En dix siècles d'en faire autant.
35
On voit, aux jours grands solemnels,
En même églife deux autels
Entourés de jeunes bergères.
Sur l'un on offre nos mystères
Sur l'autre, dressé vis-à-vis,
On célèbre ceux du pays.
36
Ingénieuse invention !
Si vous perdez l'attention
Vers l'un, vous faites volte-face :
L'esprit vers l'autre se délasse
Et par là la dévotion
Se soutient sans distraction.
37
Ma fille, vous voyez donc bien
Qu'on n'en est pas moins bon chrétien
Pour encenser la créature,
Quand elle est de votre figure,
Puisqu'on en adore là-bas
D'autres qui ne vous valent pas.
38
– Mon Père, est-ce un fait bien certain
Qu'on peut rendre un culte divin
À d'autres qu'au Dieu véritable ?
– Certain ? non ; mais il est probable.
Or qui dit probabilité,
Dit tout, puisqu'il dit sûreté.
39
– De tout ceci donc il s'ensuit
Qu'un bon confesseur, bien instruit
De votre doctrine éminente,
Peut adorer la pénitente,
En faire sa Divinité
Et laisser-là Dieu de côté ?
40
– Il peut, ma Petite, encor plus :
Il peut… Quoi ! j'éprouve un refus !
– Ah ! que prétendez-vous, mon Père ?
Ne craignez vous point la colère
Du bon Dieu que vous offensez ?
Fi donc, mon Père… finissez !
41
Je croyais qu'un Religieux
Devait toujours baisser les yeux
Devant celle de notre sexe.
Mais j'ai l'âme toute perplexe ;
Je suis, mon Père, hors de moi,
Voyant en vous ce que je vois.
42
– Vous ne voyez, ma belle Enfant,
En moi que le commun penchant :
Vraiment de chair et d'os nous sommes,
Tout ainsi que les autres hommes.
En prenant cette robe, hélas !
Devenus rocs ne sommes pas.
43
– Le bon Dieu défend dans sa loi
Ce que vous demandez de moi.
– Oui, mais, ma petite Mignonne,
S'il le défend, il le pardonne.
Que serviraient les Sacrements
Si nous étions tous innocents ?
44
Pour lui donner occasion
D'exercer l'inclination
Qu'il a de nos fautes remettre,
Il faut donc, ma fille en commettre.
L'aimez-vous mieux, en bonne foi,
Avec un autre qu'avec moi ?
45
– Tel passe-droit ne vous ferai :
Avec vous Dieu j'offenserai,
Lorsque j'y serai résolue.
Je suis déjà bien combattue ;
Mais accordez-moi tout au plus
Deux jours, pour rêver là-dessus. »
46
À ces mots, mon petit coquin
De son logis prend le chemin.
À sa sœur conte l'aventure
Sans respect aucun, ni mesure ;
Et l'un et l'autre, à belle dent,
Vont le bon Père déchirant.
47
Le deuxième jour expiré,
Bien bichonné, frisé, poudré,
Du couvent la rue il enfourne :
Effrontément il y retourne.
Qui jamais eût cru tel marmot
Capable d'un si noir complot ?
48
Arrivé chez le Révérend
Qui l'attendait tout bonnement,
Mon rusé contrefait la fille,
Mais si drôlette et si gentille
Que par le fubtil Belzébuth,
Tour onc joué si bien ne fut.
49
Pour comble de déloyauté,
Il affecte un air de bonté
À l'endroit du Révérend Père.
Plus de rigueur, plus de colère :
C'est un agneau, c'est un mouton
Qu'on dépouille de sa toison.
50
Dispensez-moi, mon cher Lecteur,
De vous rapporter la teneur
De cet endroit de l'aventure.
Glissons… Passons à la clôture,
Car il est de certains endroits
Qui ne brillent pas en françois.
51
De notre mieux disons pourtant
Que le benoît Père, croyant
Au nid aller trouver la pie,
Il lui prit comme une manie
Qui lui fit proférer des mots,
Qui plus que le bras étaient gros.
52
Ce sont mots, dit-on, solennels,
Qu'on trouve dans les Rituels
De la Prêtresse de Cythère,
Qu'on lit dans le Dictionnaire
Fait à l'usage des chartiers,
Des dragons et des grenadiers.
53
Or tandis qu'il les débitait
Et l'oreille il en régalait
De la soi-disant Pénitente,
Quel spectre à ses yeux se présente !
Il trouve, ô noire trahison,
Au lieu d'une fille, un garçon !
54
Aussitôt le méchant s'enfuit
Et par la ville fait grand bruit.
Contre le bon Père il déclame :
Il crie au vilain, à l'infâme !
Et les mères droit au couvent
Courent crucifigé criant.
55
Tout le Présidial s'émeut
Et lui faire son procès veut,
Tant le cas lui paraît énorme.
Du Roi le Procureur informe :
Le prétendu coupable en peu
Condamné devait être au feu.
56
Le menu peuple en mouvement,
Sans attendre le jugement,
S'emporte et, frémissant de rage
Contre notre saint personnage,
Veut en pièces le déchirer
Et la province en délivrer.
57
Les Pères de ce même lieu
Viennent lui dire : « Homme de Dieu,
Ah ! de cette horrible tempête
Sauvez nos murs et votre tête.
Fuyez ces citoyens ingrats,
Qui de vous dignes ne font pas. »
58
Le même jour sur le minuit
Le prudent Père donc fans bruit
Sort par la porte de derrière,
Non sans secouer la poussière
De ses pieds et, prompt comme un Daim,
Se sauve à Quimpercorentin.
59
« Adieu, dit-il, vilains ingrats !
Et-ce là le salaire, hélas !
Des facilités, des aisances,
Des douceurs et des complaisances
Que j'eus, si jamais on en eut,
Pour procurer votre salut ?
60
Vous surtout, Filles et Garçons,
Direz vous que j'eus les façons
D'un Censeur rustique et sévére ?
N'étais-je pas plutôt un père
Qui n'a d'autres contentements
Que les plaisirs de ses enfants ?
61
Lorsqu'au Tribunal vous veniez,
Qu'à mes genoux vous me contiez
Toutes vos petites fredaines,
Toutes vos amoureuses peines,
Vous êtes vous onc en allés
Que bien absous et consolés ?
62
Après tant de soins assidus
Pour des ingrats, des malotrus,
Je fuis une ville barbare
Qui dans ce moment me prépare,
Par la trahison d'un marmot,
La potence ou bien le fagot. »
63
Tels étaient les piteux accents
Que marmottait entre ses dents
Notre disgracié Jésuite.
Arrivé dès qu'il fut au gîte,
Il fit, dit-on, un grand hélas !
Et dit : Mon Dieu que je suis las!
64
Tandis qu'il va se délasser,
Allons aussi nous reposer,
Et finissons notre chronique.
Si quelque esprit mélancolique
En doute, le fait n'est pas vieux,
Qu'il s'en informe sur les lieux.


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