Pelletier-Volméranges
LE MARIAGE DU CAPUCIN
comédie en trois actes, en prose.
représentée avec succès sur le Théâtre de Louvois, à Paris, le 11 prairial an 6 (30 mai 1798)
éditée à Paris l'an VII (1799)
PERSONNAGES :
Mme DESBOIS, aubergiste.
AUGUSTIN, fils de Mme Desbois, 14 ans
CHARLOTTE, fille de Mme Desbois, 13 ans
DORSAINVILLE aîné, amant de Mme Desbois
DORSAINVILLE cadet, lieutenant de cavalerie.
ROCHEMONT, fils d'un procureur, déguisé en officier.
MARGUERITE, femme de charge de l'auberge, vieille coquette et grondeuse.
BRILLANT, perruquier gascon, amoureux de Marguerite.
L'EXEMPT de la Maréchaussée.
PIERRE, domestique
MARCEL, domestique
JUSTINE, jeune servante
MARIANNE, jeune servante
CAVALIERS de la Maréchaussée.
COSTUMES :
Mme DESBOIS : fourreau mordoré, tablier de taffetas noir et un grand bonnet de gaze.
AUGUSTIN : une petite redingote puce
CHARLOTTE : fourreau blanc et tablier de taffetas vert.
DORSAINVILLE aîné : une robe de capucin, une longue barbe, des cheveux longs et tombant sur le front, des bas couleur de chair, des sandales de cuir et un grand bâton à la main. – Au 3ème acte, un habit d'officier de dragon, chapeau, bottes, épée et du rouge.
DORSAINVILLE cadet : un frac bleu, gilet blanc, culotte jaune, chapeau d'uniforme, épée avec une
dragonne et des bottes.
ROCHEMONT : habit écarlate, revers jaunes, veste et culotte blanche, une épée et des bottines.
MARGUERITE : une robe à l'ancienne mode et un petit bonnet monté.
BRILLANT : habit de poudre un peu court, deux grosses boucles très hautes et un catogan au milieu du derrière de la tête, le tout poudré à blanc, un petit chapeau retapé à la militaire.
La scène se passe en Provence, sur la frontière du Piémont, dans une auberge qui se trouve seule au milieu d'un bois.
ACTE I
Le Théâtre représente une salle d'auberge. A la seconde coulisse, à la gauche de l'acteur, est une cheminée où il y a du feu et une chocolatière auprès ; du même côté, un peu en avant, une petite table sur laquelle sont un miroir, une boîte à poudre et un petit carton rempli de rubans (c'est la toilette de Marguerite) ; à la droite, une grande table couverte d'un tapis, une écritoire, le livre où l'on écrit les noms des voyageurs, deux tasses de café et une corbeille avec des petits pains.
I,1 – MARGUERITE, seule.
MARGUERITE, ayant l'air de parler à quelqu'un qui s'en va et faisant l'agréable.
Votre servante, Messieurs, portez-vous bien. (Avec humeur.) À la fin, les voilà partis !… Je crois que je ne finirai pas ma toilette d'aujourd'hui. (Elle s'assied et se regarde dans le miroir.) Que ce bonnet me va mal !… Là, j'ai pourtant paru comme ça devant les étrangers… Un peu de poudre… Hé !… je ne suis pas encore à dédaigner… Il y a vingt ans, j'étais mieux… mais le temps… le temps ! quel ravage il fait sur la beauté !… Si mon amoureux m'avait vue alors… Ajustons un ruban. (Elle cherche dans le carton et se met un ruban.) Allons, allons, je puis encore faire des conquêtes. Serrons tout cela. (Elle va porter dans la coulisse le miroir, la boîte à poudre et le carton : cela doit se faire d'un temps ; ensuite elle va à la cheminée remuer le chocolat.) Voilà le chocolat prêt, et Brillant ne vient point ! (Elle va chercher les tasses et la corbeille, et les met sur la table où elle a fait sa toilette.) Cependant je lui avais dit que nous déjeunerions ensemble. — Quand ma maîtresse sera réveillée, je lui donnerai son argent. Elle repose, tant mieux, je veillerai pour elle. — Oh ! elle est bien à plaindre ! Depuis dix ans que je suis à son service il n'est pas un seul jour que je ne l'aie surprise à pleurer… Et pourquoi ?… Voilà ce que j'ignore. Elle pleure en embrassant ses deux petits enfant qu'elle élève avec un soin particulier ; leuréducation est des plus distinguées ; à l'âge de treize et quatorze ans ils sont déjà fort instruits, et même ils sont aimables ; il faut être juste, et Madame ne néglige rien pour eux ; elle le peut. Elle gagne beaucoup ; cet hôtel est bien achalandé et malgré ses aumônes journalières (car les pauvres sont ici logés gratis) elle s'enrichit… Elle le mérite… elle le mérite. — Mais d'où vient son chagrin ?… Est-elle mariée ?… Est-elle veuve ?… Qui est le père du garçon ou de la fille ?… Je ne sais. Elle a un portrait qu'elle regarde souvent… Mais ce n'est pas ce portrait qui est la cause… Hem ! hem ! que sait-on ?… Je voudrais pourtant bien savoir son secret ! (Se parlant à elle-même d'un ton sévère.) Taisez-vous, ma demoiselle Marguerite, et réprimez vos désirs curieux : votre maîtresse est libérale, elle vous paie, vous laisse l'autorité dans sa maison, et vous devez vous taire, entendez-vous. (Tout bas.) Oui, oui, je me tairai. (Elle tire une grosse montre d'argent.) L'heure s'avance ; voyez si ce damné Gascon viendra !… Ah ! l'amour !… l'amour donne furieusement d'inquiétude !… Aimer à mon âge, quelle folie !… Mar guerite, tu t'en repentiras, ma bonne amie, tu t'en repen tiras !… Peut-être, peut-être ? Ce Perruquier est vif, enjoué, et d'un bon caractère : je le gronde tant que je veux, et j'ai toujours raison ; il n'en faut pas davantage pour me décider. Un mari qui ne contrarie point sa femme est une chose bien rare à trouver ! et nous ferons un ménage excellent. — Je l'entends… il chante, il n'a point de mélancolie, ce gaillard-là.
I,2 – MARGUERITE, BRILLANT, qui entre en chantant.
BRILLANT.
Eh ! von jour, délices de mon âme ! jé vous trouve céleste cé matin, et l'aurore qui sé lève est moins vermeille qué vous.
MARGUERITE, brusquement.
Allons, allons, trêve de compliments.
BRILLANT.
Avez-vous l'humeur luguvre ?
MARGUERITE, en colère.
Il vous convient bien de vous faire attendre par une fille comme moi ? Mort de ma vie ! je ne sais qui me tient que je ne jette le chocolat dans les cendres. (Elle va à la cheminée.)
BRILLANT, la retenant.
II né faut pas faire céla, ma poule ; cé qu'on perd né sé rétrouve point à l'avenir, et fait grand tort pour lé présent.
MARGUERITE.
Est-ce que vous ne pouviez pas venir plus matin ?
BRILLANT.
Un doux sommeil appesantissait mes paupières, et des songes flatturs voltigeaient dans mon imagination.
MARGUERITE.
Dès que ce bijoux dormait, je devais l'attendre toute éveillée. Il est si mignon !
BRILLANT.
Beaucoup.
MARGUERITE.
Faquin !
BRILLANT.
Né vous fâchez pas ; j'étais loin dé vous, ma fauvette, mais j'étais auprès dé vous.
MARGUERITE.
Vous étiez auprès de moi ? et comment ?
BRILLANT.
Écoutez, la vérité va sortir dé ma vouche.
MARGUERITE.
La vérité dans la bouche d'un gascon ? oh ! nous ne sommes plus dans le siècle des prodiges.
BRILLANT.
Vous né mé sortez point dé l'idée ; lé jour, la nuit, jé né pense qu'à mon amour.
MARGUERITE.
Vous, amoureux ? voilà une bonne gasconnade ! je crois que vous ne l'avez jamais été.
BRILLANT.
Dé vous sule, ma Vénus !
MARGUERITE, lui donnant un soufflet.
Impertinent !
BRILLANT.
Eh donc !
MARGUERITE.
Maudit raseur, si tu me donnes encore ce nom-là, je t'arrache les yeux.
BRILLANT, lui retenant les mains.
Cadédis, arrêtez. — Au surplus, puisse la fin dé mon songe dévénir une réalité.
MARGUERITE, ironiquement.
Que signifiait-elle ?
BRILLANT.
Qu'aujourd'hui vous mé donnériez la main.
MARUERITE.
Moi ?
BRILLANT.
Vous-même, succulente créature. Jé rêvais qué vous aviez consenti à dévénir mon épouse. Alors, en grande pompe, jé vous conduis au temple dé l'hymen ; il nous unit. Les jeux, les ris et les plaisirs nous portaient dans les bras dé la volupté, et j'allais être hureux, quand l'appétit m'a réveillé.
MARGUERITE.
Oh ! l'admirable songe ! Le plus vrai de cela, c'est l'appétit. Déjeunons.
(Ils s'asseyent.)
BRILLANT.
Jé lé veux bien ; car après lé plaisir dé parler, celui dé manger est lé plus doux.
MARGUERITE, après avoir versé le chocolat.
Vous êtes servi.
BRILLANT, voulant lui baiser la main.
Il faut qué jé vaise cette velle et généruse main.
MARGUERITE.
Point de familiarité, ou jour de dieu !… (Elle lève la main.)
BRILLANT.
Né vous formalisez pas, c'est la reconnaissance qui…
MARGUERITE.
C'est ce qu'il vous plaira, mais point de gestes.
BRILLANT.
J'aime lé sexe ! vous êtes si agréable !
MARGUERITE.
C'est bien, c'est bien.
BRILLANT, mangeant.
Cé chocolat est un nétar !
MARGUERITE.
Il est délicieux ! j'en avais besoin.
BRILLANT.
Vous avez beaucoup dé mal dans cette maison ?
MARGUERITE.
Beaucoup, mais je ne m'en plains pas ; ma maîtresse est humaine, et récompense toujours au-delà des peines que l'on se donne.
BRILLANT.
C'est un modèle dé bienfaisance et dé vonté.
MARGUERITE.
Avec tout cela, elle n'est point heureuse.
BRILLANT.
Elle souffre, et l'on né sait pourquoi. (Bas à Marguerite.) C'est son mari, peut-être…
MARGUERITE, l'interrompant d'un air mystérieux ; elle doit traîner beaucoup le mot silence.
Silence !
BRILLANT, gaiement.
Parlons dé notre mariage ; cé sera quand vous voudrez.
MARGUERITE.
Nous verrons ça.
BRILLANT, avec force.
Vitément, jé vous prie ; car jé vous aime, et jé vrûle.
MARGUERITE.
Votre feu est donc bien vif ?
BRILLANT, avec explosion.
C'est un vûcher ardent qué jé porte en mon cur !
MARGUERITE, en riant.
Quel original ! il me fait rire avec son bûcher.
BRILLANT, avec la plus grande chaleur.
Rien n'est comparable à mon ardur ! (Prenant un ton patelin.) Mademoiselle Marguérite, j'aurais un petit service à vous demander.
MARGUERITE, d'un ton sec.
Quel est-il ?
BRILLANT, continuant le ton patelin.
Jé crains d'être importun, mais dans le vésoin on né put s'adresser qu'à ses amis.
MARGUERITE, brusquement.
Au fait.
BRILLANT, lentement et affectueusement.
J'aurais affaire dé soixante francs… Né pourriez-vous pas ?
MARGUERITE, vivement.
Non, je ne le peux pas, non. Vous êtes un mauvais sujet, vous jouez, vous allez au cabaret, et mon argent ne servira point à cela.
BRILLANT, avec un air de dignité.
Vous mé taxez injustément.
MARGUERITE.
Oh ! sans doute, il n'y a qu'à vous croire. — Mais que voulez-vous faire de cette somme, voyons ?
BRILLANT.
Ancien militaire, ma plus velle parure est l'havit d'uniforme. Le servitur dé cet officier qui passa la semaine dernière m'a vendu l'équipément en entier, je lui ai donné un à-compte, il mé l'a laissé ; il doit répasser démain, jé lui ai promis dé lui rémettre lé reste à son retour, et jé né voudrais pas manquer à ma parole.
MARGUERITE, d'un air important.
Pour cet objet, je n'hésite plus, j'aime qu'on s'acquitte. Tenez, il y a dans celle bourse ce que vous m'avez demandé. (Ils se lèvent.) Allez, et songez à me rapporter cela le plus promptement que vous pourrez.
BRILLANT, avec joie.
Comptez sur ma reconnaissance ! et s'il lé faut, je me passerai dé boire et dé manger pour vous rendre exactement.
MARGUERITE.
J'y compte bien ; mais au revoir, décampez, décampez.
BRILLANT.
Adieu, maîtresse dé mon âme, jé vais faire mes pratiques.
MARGUERITE.
Bonjour, bonjour.
BRILLANT, revenant.
Il n'y a personne à raser dans la maison ?
MARGUERITE.
Non, tout le monde est parti.
BRILLANT.
Je pars aussi. {Il revient.) Vous né voulez pas un petit coup dé peigne ?
MARGUERITE.
Non, non.
BRILLANT, s'approchant.
Un pétit vaiser ?
MARGUERITE, reculant.
Point, point.
BRILLANT, la pressant.
Jé vous en conjure. (Il veut l'embrasser de force.)
MARGUERITE, en se débattant.
Finissez donc… finissez donc… aye ! aye l (Il l'embrasse.) N'y revenez pas au moins.
BRILLANT.
Pardonnez à mon ardur. jé vais à mon travail, et jé reviendrai passer les doux instans dé mon loisir aux pieds dé l'adorable Marguerite. (Il sort en chantant.)
I,3 – MARGUERITE seule.
MARGUERITE.
Le charmant cavalier que ce Brillant ! il m'aime à l'adoration !… et moi aussi d'abord, et moi aussi. Près de lui, je n'ai que quinze ans… On a bien raison de dire qu'on est toujours jeune tant qu'on est amoureux. — Il fait un temps du diable !… et pas un domestique de levé !… Là, voyez si l'on peut en faire quelque chose. Quel tapage je vais faire ! debout à la pointe du jour, j'ai tout le tracas de l'hôtellerie ; il faut que je fasse tout, que j'ordonne tout, que j'aie les yeux partout. O mon dieu ! mon dieu ! quel désordre ici ! rien n'est encore arrangé… Ah ! comme je vais gronder ! (Elle appelle.) Marianne !
I,4 – MARGUERITE, MARIANNE, ensuite JUSTINE, PIERRE et MARCEL.
MARIANNE, entre en se frottant les yeux.
Me voilà.
MARGUERITE, appelant.
Justine !
JUSTINE.
Que voulez-vous ?
MARGUERITE, appelant.
Pierre ! Marcel !
PIERRE.
Que ne prenez-vous un porte-voix, on vous entendrait mieux.
MARCEL.
Quand elle est éveillée, il n'y a plus moyen de dormir.
MARGUERITE, aux servantes.
Elles sont encore endormies. (Aux domestiques.) Et vous, grands fainéans, n'êtes-vous pas honteux ?
PIERRE.
Fainéans ? Vous vous y connaissez. Et tout ce que nous faisons dans la maison, ce n'est rien, peut-être ?
MARIANNE.
Et nous ?…
MARGUERITE, frappe du pied, et tous les domestiques s'éloignent de frayeur.
Finissons !… et ne m'étourdissez pas davantage. (Elle donne de l'argent à Pierre.) Tenez, voilà vos profits, allez partager.
PIERRE.
Avez-vous pris votre part ?
MARGUERITE, en grognant.
Oui, oui ; allez, et faites mieux qu'hier.
JUSTINE, à part.
Elle est aussi méchante que notre maîtresse est bonne.
MARGUERITE, prenant Justine par le bras, et la ramenant sur l'avant-scène.
Que dis-tu-là, péronelle ? Est-ce que tu crois que je ne vois pas…
JUSTINE.
Que voyez-vous ?
MARGUERITE, élevant la voix.
Je vois… je vois… que vous ne valez rien.
I, 5 – MARGUERITE, MARIANNE, JUSTINE, PIERRE, MARCEL, Mme DESBOIS
Mme DESBOIS.
Qu'est-ce donc, Marguerite, je vous entends disputer ?
PIERRE.
Madame, nous avons trop d'ouvrage, et Mademoiselle veut que nous fassions plus que nous ne pouvons.
Mme DESBOIS, avec bonté.
Eh bien, mes amis, je prendrai des domestiques de plus, et j'augmenterai vos gages. Serez-vous contents ?
JUSTINE.
L'adorable maîtresse !
MARGUERITE, avec humeur.
Oui, vous n'avez qu'à les écouter, ils vous persuaderont qu'ils travaillent trop, et que vous ne leur donnez pas assez… Hum…
Mme DESBOIS, avec aménité.
Pourquoi les gronder ? Ils font ce qu'ils peuvent. Allez, bonnes gens, continuez votre ouvrage, et ne soyez pas fâchés.
LES DOMESTIQUES, en sortant.
Oh ! la bonne maîtresse !
I, 6 – Mme DESBOIS, MARGUERITE.
MARGUERITE.
Fort bien !… demandez-leur excuse… J'enrage !
Mme DESBOIS.
Leurs plaintes sont justes, je dois les écouter. D'ailleurs, ils me sont utiles ; ils pourraient se passer de moi, et je ne puis me passer d'eux ; avilir ceux qui nous servent, c'est se déclarer indigne des services qu'ils nous rendent.
MARGUERITE.
Vous avez trop d'égard pour ces gens-là.
Mme DESBOIS, en soupirant.
Quand on a connu le malheur, on a pitié des malheureux.
MARGUERITE.
Mais pourquoi doubler leurs gages ? N'avez-vous pas des enfants ?
Mme DESBOIS.
Chacun doit recevoir le prix de son travail ; je n'enrichirai point mes enfants aux dépens du salaire de l'ouvrier et des sueurs du mercenaire.
MARGUERITE, outrée.
Vous prenez leur parti ? Eh bien, je les laisserai faire à leur tête, et tout ira de travers. Pour vos intérêts, je querelle, je chicane, je me fais haïr, et vous venez tout gâter.
Mme DESBOIS.
Je te suis redevable de ton zèle… Mais il faut avoir de l'indulgence pour les autres… Nous en avons si souvent besoin pour nous-mêmes !
MARGUERITE, se radoucissant.
C'est juste. — Mais pourquoi vous être levée si matin ?
Mme DESBOIS.
Pour t'aider, ma chère Marguerite,
MARGUERITE, vivement.
Pour m'aider, pour m'aider ? Moi seule je puis tout faire. Il fallait vous reposer.
Mme DESBOIS, tristement.
Oh ! ce n'est pas un grand sacrifice ; depuis longtemps le sommeil ne m'est guère connu.
MARGUERITE.
Cependant vous pouvez vous fier à moi. Votre Marguerite a l'œil à tout.
Mme DESBOIS.
J'en suis persuadée. Crois que je te récompenserai.
MARGUERITE, avec amitié.
Avec vous on ne manque de rien. Qu'ai-je à desirer pour une fille de mon état ?… Je suis plus heureuse que vous.
Mme DESBOIS, douloureusement.
On l'est toujours quand on n'a rien à se reprocher.
MARGUERITE.
Oui, et vous ne l'êtes pas.
Mme DESBOIS, un peu troublée.
Mais…
MARGUERITE, vivement.
Croyez-vous me tromper ? Vous êtes gaie devant le monde, mais en particulier vous êtes malheureuse. C'est le chien de portrait qui en est la cause, et…
Mme DESBOIS, fièrement.
Paix !
MARGUERITE, changeant de conversation.
J'ai l'argent des étrangers qui ont logé ici cette nuit.
Mme DESBOIS.
Ont-ils paru satisfaits ?
MARGUERITE.
On ne peut davantage.
Mme DESBOIS.
Nous compterons dans un autre moment. (Avec intérêt.) Les pauvres voyageurs sont-ils partis ?
MARGUERITE.
À la pointe du jour.
Mme DESBOIS.
Leur avez-vous donné du pain pour leur journée ?
MARGUERITE.
Plus qu'il ne leur en faut.
Mme DESBOIS, avec sentiment.
Je suis contente,ils ne sentiront pas la faim d'aujourd'hui.
MARGUERITE
Ils sont partis en vous bénissant.
Mme DESBOIS, avec âme.
Je suis trop payée ! La bénédiction des malheureux est un trésor pour moi.
MARGUERITE.
Vous avez raison, ô ma chère maîtresse ! vous êtes un modèle de vertu ; et je mourrais contente si je vous voyais heureuse.
(Elle sort.)
I, 7 – Mme DESBOIS, seule
Mme DESBOIS.
Heureuse !… moi ?… Oh ! jamais. L'amour m'a fait commettre une faute que je pleurerai éternellement. Si j'étais la seule plaindre, je souffrirais sans murmurer… Mais, hélas ! mes enfants !… Je ne puis me nommer leur mère sans rougir !… C'en est fait, ils ne connaîtront jamais leur barbare père… et moi… je vivrai dans les regrets et la douleur. — Cruel Dorsainville, à quoi m'as-tu réduite ? Funteste égarement ! tu m'as ravi le repos de mes jours, voilà ma punition. — O ciel ! tu vois mon repentir, pardonne-moi ma faiblesse, et fais sortir le remords de mon cœur.
I- 8 – Mme DESBOIS, DOSSAINVILLE cadet, ROCHEMONT.
ROCHEMONT, d'un ton léger.
Bonjour. Est-ce vous qu'on appelle madame Desbois ?
Mme DESBOIS.
Oui, Monsieur, c'est moi-même. Que souhaitez-vous ?
ROCHEMONT.
Il fait un temps affreux, nous ne pouvons continuer note route, et nous voudrions loger ici.
Mme DESBOIS.
Vous le pouvez.
ROCHEMONT, lui passant la main sous le menton.
Vous êtes charmante !
Mme DESBOIS, se reculant, et le regardant avec un air à lui en imposer.
Vous a-t-on fait voir vos chambres ?
ROCHEMONT.
Oui, et nous venons vous témoigner notre mécontentement.
Mme DESBOIS.
Quelqu'un de céans vous aurait-il offensé ? De qui vous plaignez-vous ?
ROCHEMONT.
D'une vieille impertinente, à qui j'ai fait mille politesses, et qui m'a rembarré de la belle manière. Morbleu ! cela me pique ; elle est la première qui m'aie traité de la sorte.
Mme DESBOIS.
Monsieur, je connais mes gens ; ils sont incapables de manquer à qui que ce soit.
ROCHEMONT.
En ce cas, la vieille a commencé par moi. Mais je m'en console en vous voyant : je suis sûr que vous connaissez le mérite et que j'aurai tout lieu de me louer de vos procédés. (Il veut l'embrasser.) Vous êtes adorable !
Mme DESBOIS, le repoussant.
Doucement, Monsieur. — Si vous récidiviez, vous pourriez peut-être aussi vous plaindre de moi. Soyez honnête, ou continuez votre route ; cet hôtel ne pourrait vous convenir.
ROCHEMONT.
Où diable aller ? Au milieu de ce bois, cette maison est seule, et il n'y a pas de quoi choisir. Vous êtes fière.
DORSAINVILLE cadet.
Madame, ne l'écoutez pas.Nous resterons ici, si vous le trouvez bon, et je vous jure que vous n'aurez point à vous en repentir.
Mme DESBOIS.
Ce n'est qu'à cette condition que…
ROCHEMONT.
Enfin nous logerez-vous ?
Mme DESBOIS.
Du mieux qu'il me sera possible, et je vais donner des ordres pour que vous soyez contents. (Elle salue et dit en sortant.) O mon dieu ! qu'un fat est ridicule !
(Elle sort.)
I, 9 – DORSAINVILLE cadet, ROCHEMONT.
DORSAINVILLE cadet.
Ele est aimable cette femme
ROCHEMONT.
Un peu farouche, mais nous l'apprivoiserons. Comment me trouves-tu sous mon nouveau costume ? Il me va bien, n'est-ce pas ? Morbleu ? il n'est point de plus bel habit que celui d'un officier.
DORSAINVILLE cadet.
C'est du moins le plus honorable. Il ne te manque qu'une chose.
ROCHEMONT.
Laquelle ?
DORSAINVILLE cadet.
C'est le droit de le porter. Clerc de procureur, tu t'es fait officier de ton autorité privée, et j'ai bien peur que ce déguisement ne tourne point à ton avantage.
ROCHEMONT.
Mon ami, point de morale, nous ne sommes plus au collège.
DORSAINVILLE cadet.
Tu sais que tu es obligé de sortir de France pour une cause assez grave, et ton père ne sera pas content de ton absence.
ROCHEMONT.
Oui, le papa sera fort en colère ! je lui ai fait un tour délicieux ! Cependant je suis poursuivi par les parents de cette demoiselle que j'ai enlevée, et cela va faire un bruit du diable.
DORSAINVILLE cadet.
Tu plaisantes ; et tu as tout à craindre.
ROCHEMONT.
Non, rien du tout. Ce déguisement me rend méconnaissable : fils d'un procureur de Provence, on me prendrait pour le dieu Mars. Nous sommes ici sur la frontière du Piémont, et s'il le faut, dans un instant je serai en sûreté. Mais laissons cela, et parlons de tes affaires. Il fait un temps affreux, passons la journée dans cette auberge, l'hôtesse me plaît, je lui ferai ma cour. Demain, nous nous rendrons à ton château qui n'est qu'à trois lieues d'ici, et je t'aiderai à le bien vendre.
DORSAINVILLE cadet.
Cela ne sera pas facile, il appartient à mon frère.
ROCHEMONT.
Oh ! parbleu, oui, ton frère ! tu nous la donnes belle ! Il est mort, mon ami, bien mort. Depuis quinze ans on n'a point reçu de ses nouvelles, et toi-même, ne le connais pas seulement.
DORSAINVILLE cadet.
Il est vrai. Je n'avais que dix ans lorsqu'il partit pour son régiment ; et depuis l'affaire qu'il eut, étant capitaine de dragons, on ne sait ce qu'il est devenu.
ROCHEMONT.
Il s'est battu, il a tué son adversaire, il ne peut plus revenir.
DORSAINVILLE cadet.
Je ne sais comment faire.
ROCHEMONT.
Il faut pourtant te décider. Tu ne peux retourner à ton corps ; tu me dois, tu dois à tout le monde ; tu as joué, tu as perdu, les dettes du jeu sont des dettes sacrées ; ou payer, ou déshonoré, il faut choisir.
DORSAINVILLE cadet.
Quelle extrémité ! faire une mauvaise action pour conserver l'honneur !
ROCHEMONT.
Allons, allons, du caractère : tu restes seul de ta famille, et personne ne te contrariera. Du courage, il faut faire sauter le château !
DORSAINVILLE cadet.
Et si mon frère revient, que lui dirai-je ? Ah ! je sens que je ne fais pas bien.
ROCHEMONT.
Ce château te pèse diablement sur le cœur. Morbleu ! je vendrais toutes les terres de l'univers sans pousser un soupir.
DORSAINVILLE cadet.
Quelqu'un vient, changeons de conversation.
I, 10 – DORSAINVILLE cadet, ROCHEMONT, BRILLANT.
BRILLANT, entre, saluant à plusieurs reprises.
Ces Messieurs ont-ils vésoin dé mon petit ministère ?
ROCHEMONT, le regardant d'un air dédaigneux.
Oh ! mon dieu, non.
BRILLANT.
Pas tant dé dédain. Jé sais faire tout. Peigner, raser, friser à la nouvelle mode ; les pétits crochets, la racine droite, rien né m'emvarrasse ; et lé coup dé peigne prépondérant, lé coup dé ciseau, lé coup dé houpe, tac, tac, tac, vont chez moi comme la parole.
ROCHEMONT, d'un ton ironique.
Oh ! je le crois, cela doit être beau ! un barbier de village !
BRILLANT, piqué.
Qu'appélez-vous un varvier dé village ? Apprénez qué toutes les grandes villes rétentjssent dé mon nom et dé mon savoir ! et pour vous lé prouver, prêtez-moi votre tête, et dans un quart-d'hure vous né vous connaitrez pas vous-même.
ROCHEMONT.
Vous êtes habile ?
BRILLANT.
Ma rénommée justifie mon talent. Essayez-en, et en un tour dé main jé vous rends lé plus gentil cadédis dé l'Europe.
ROCHEMONT, d'un ton goguenard.
Vous êtes Gascon ?
BRILLANT, ôtant son chapeau à la militaire.
Pour la vie et jé m'en fais gloire.
ROCHEMONT.
Il n'y a pas de quoi se vanter.
BRILLANT.
Né dites point dé mal des gens dé mon pays. L'esprit, la valur et les talens, voilà cé qui les distingue des autres peuples. (En se détournant.) Accroche.
ROCHEMONT, à Dorsainville.
Ce drôle a une plaisante figure ! qu'en dis-tu ?
BRILLANT.
Vous mé trouvez drôle !
ROCHEMONT, en riant.
Oui, vous êtes l'original le plus grotesque…
BRILLANT, toisant Rochemont.
Tout grotesque que jé suis, il est certaine créature que jé né prendrais pas pour mé servir dé modèle.
ROCHEMONT, en colère.
Tu me réponds, je crois ?
BRILLANT, sur le même ton.
Vous mé railliez, jé pense ?
ROCHEMONT.
Ces gredins-là sont d'une impertinence…
BRILLANT.
Les plus impertinents sont ceux qui outragent sans raison. — Jé vénais vous offrir mes services, et jé vois qué vous né les méritez pas.
ROCHEMONT, allant à Brillant.
Comment, insolent !
BRILLANT, mettant son chapeau et, allant à RocAemont, crie en lui parlant sous le nez.
Croyez-vous mé faire pur ? — Ancien maréchal-des-logis, j'ai vu l'ennémi dans quatre vatailles sans réculer d'un pas. Jé né crains ni les hommes… ni lé feu… ni lé fer. Souvénezvous-en, et contenez-vous, si vous aimez à vivre.
ROCHEMONT.
Ventrebleu ! je ne sais qui me tient, que…
DORSAINVILLE cadet, retenant Rochemont.
Tu as tort. Pourquoi l'insulter ? (À Brillant.) Allez, allez, nous n'avons besoin de rien.
BRILLANT, passant près de Rochemont en le toisant du haut en bas.
Adiu, Moussu… jé suis… votre servitur… et lé varvier dé billage est tout prpet à vous rétaper quand vous lé voudrez.
ROCHEMONT, lui donnant un coup de poing dans la poitrine.
Tiens, faquin ! voilà pour t'apprendre à parler.
BRILLANT, en recevant le coup, va se heurter contre la table et reste la main appuyée dessus.
Eh donc !
ROCHEMONT.
Sortons. (Ils sortent.)
BRILLANT, se relevant avec fureur.
Moussu !… Moussu !… jé vous démande raison.
I, 11 – BRILLANT, seul.
BRILLANT, revenant sur l'avant-scène.
Voilà un coup dé poing qui lui coûtéra la vie ! — Si j'avais été armé, jé lui aurais fait voir cé qué c'est qué dé frapper un vrave comme moi. — Source de la Garonne ! jé né souffrirai pas cet outrage sans en tirer vengeance. — C'est arrêté, il faut qué jé mé vatte. (D'une voix claire.) Il faut qué jé mé vatte. — (D'un ton décidé.) Allons, Vrillant, l'épée à la main, mon ami, l'épée à la main. — Jé vais lui prouver qué les Gascons ont du cur, et l'incolent va sentir la pésantur dé mon vras.
(Il sort avec précipitation et rencontre Marguerite.)
I, 12 – BRILLANT, MARGUERITE.
MARGUERITE.
Où courez-vous donc ?
BRILLANT, d'un air important.
J'ai une affaire d'honnur.
MARGUERITE.
Vous badinez ?
BRILLANT.
Jé né vadine pas. Je vais quérir mon arme.
MARGUERITE.
Avec qui donc avez-vous eu dispute ?
BRILLANT.
Avec l'un dé ces fréluquets qui sont arrivés cé matin. Sandis ! jé veux lé frotter d'importance.
MARGUERITE.
Que vous a-t-il fait ?
BRILLANT.
Il m'a insulté… frappé ! Cet affront est grave, il faut qué jé punisse.
MARGUERITE.
Laissez ça là, et ne vous faites point une mauvaise affaire.
BRILLANT, d'un ton tragique.
Jamais ! jé suis offensé, il mé faut une victime.
MARGUERITE.
Je vous ordonne de rester tranquille. Oubliez cela.
BRILLANT.
Jé né lé puis, il faut qué lé fat morde la poussière. L'honnur m'appelle, adieu. (Il fait une fausse sortie.)
MARGUERITE, voulant le retenir.
Arrêtez !
BRILLANT.
Point dé délai ; et dans une demi-hure, jé suis défunt, ou vengé.
(Il sort.)
I, 13 – MARGUERITE, seule.
MARGUERITE.
Quelle inquiétude ce garnement-là me donne ! Cependant il est brave, et cela me fait plaisir.
I, 14 – Mme DESBOIS, ROCHEMONT, DORSAINVILLE cadet, MARGUERITE.
Mme DESBOIS, à Rochemont.
Eh ! Monsieur, vous vous plaignez toujours. Je connais Brillant, c'est un honnête garçon, et sûrement il ne vous aurait pas manqué, si vous ne lui aviez rien fait.
ROCHEMONT.
Comment ! un insolent qui m'a provoqué ?
MARGUERITE, vivement.
Ne l'écoutez pas, Madame, c'est lui qui…
Mme DESBOIS, sèchement.
Allez à votre ouvrage, Marguerite : je sais ce que j'ai à faire. Je croyais trouver Brillant ici, il n'y est pas, je m'expliquerai avec lui.
MARGUERITE, sur le bord du théâtre.
Oh ! que je serais contente si Brillant pouvait l'étriller comme il faut !
ROCHEMONT, à Marguerite.
Que dit cette vieille ?
MARGUERITE, fait une petite révérence, et dit d'un ton ironique :
Votre servante, Monsieur.
(Elle sort.)
I, 15 – Mme DESBOIS, ROCHEMONT, DORSAINVILLE cadet.
Mme DESBOIS, s'approche de la table, ouvre le livre, et présente la plume à Rochemont.
Veuillez avoir la complaisance de mettre vos noms sur mon livre.
ROCHEMONT.
Volontiers. (Il signe.)
Mme DESBOIS, à Dorsainville.
À vous, Monsieur.
DORSAINVILLE cadet, prenant la plume que lui présente Mme Desbois.
Donnez. (Il écrit.)
Mme DESBOIS, lisant les signatures.
Me trompé-je ?… Dorsainville !… Nom cher et fatal !
DORSAINVILLE cadet.
Vous semblez surprise en lisant ma signature ?
Mme DESBOIS, troublée.
J'en conviens.
DORSAINVILLE cadet.
La raison ?
Mme DESBOIS.
Vous êtes un Dorsainville ?
DORSAINVILLE cadet.
Vous l'avez dit.
Mme DESBOIS.
Je vous ai connu bien jeune. — Vous avez une terre à quelques lieues d'ici ?
DORSAINVILLE cadet.
Oui, Madame.
Mme DESBOIS.
Vos parents vivent-ils encore ?
DORSAINVILLE cadet.
Ils sont tous morts.
Mme DESBOIS, à part.
Qu'entends-je I {Haut.) Vous aviez un frère beaucoup plus âgé que vous ?
DORSAINVILLE cadet.
L'avez-vous connu ?
Mme DEBOIS.
Nous fûmes élevés ensemble, et nous reçûmes la même éducation.
DORSAINVILLE cadet, la regardant fixement et cherchant à la reconnaître.
Ah ! ah !… oui, je me rappelle d'une jeune personne qui…
Mme DESBOIS, l'interrompant.
Qu'est-il devenu, monsieur votre frère ?
DORSAINVILLE cadet.
On ne sait.
Mme DESBOIS.
Est-il marié ?
DORSAINVILLE cadet.
Je ne le crois pas.
Mme DESBOIS, vivement et avec joie.
Il n'est pas marié !
DORSAINVILLE cadet, la regardant.
Qu'est-ce que cela vous fait ?
Mme DESBOIS, se remettant.
Rien… ô mon dieu ! rien.
DORSAINVILLE cadet.
Pourquoi me le demandiez-vous ?
Mme DESBOIS.
Par un simple mouvement de curiosité ; voilà tout. (Elle reste plongée dans la rêverie.)
DORSAINVILLE cadet.
Mon frère a fait beaucoup de folies dans sa jeunesse. Depuis son départ il n'a jamais écrit, et nous croyons qu'il n'existe plus. — Mais laissons cela. Je vous prie de nous faire servir à midi… sans retard. (Mme Desbois reste toujours dans sa rêverie. Dorsainville cadet voyant qu'elle ne l'écoute pas, lui touche le bras, et la fait retourner un peu.) Entendez-vous, Madame ?
Mme DESBOIS, un peu troublée.
J'entends, Monsieur ; vous serez obéi. (Elle reste encore à songer un moment.)
DOSSAINVILLE cadet, remonte le théâtre et dit à Rochemont.
Je crois que cette femme est celle qui fut aimée de mon frère. Viens, je te conterai cela.
(Ils sortent en se parlant tout bas et en se retournant à plusieurs reprises.)
I, 16 – Mme DESBOIS, seule.
Mme DESBOIS, elle sort de sa rêverie et dit avec force.
Je ne saurai donc jamais rien sur son sort ! — Dorsainville, amant perfide, tu m'as ravi le repos de mes jours, et tu ne mérites ni mes regrets, ni mes pleurs. — L'inhumain ! rien ne fut sacré pour lui ; en abandonnant son amante et ses enfants, il ne leur laissa que l'opprobre et la misère. — Depuis longtemps je cache ici ma honte sous un nom supposé ; seule dans l'univers, j'ai tout entrepris pour élever mon fils et ma fille… O malheureuses créatures ! votre père nous a trahis, délaissés ; mais je vous reste, et je ferai tout pour vous. Si vous avez à vous plaindre de votre naissance, vous me saurez gré de ma tendresse et de mes soins : je vous ai donné l'existence, je vous dois le bonheur ; il est assuré, voilà ma consolation. Eh ! puissé-je, en remplissant les devoirs de mère, faire oublier les torts de l'amour.
ACTE II
II, 1 – AUGUSTIN, CHARLOTTE
CHARLOTTE.
Augustin, as-tu vu maman ?
AUGUSTIN.
Mon dieu, non, pas encore.
CHARLOTTE.
Elle sera peut-être fâchée ?
AUGUSTIN.
L'as-tu vue, toi ?
CHARLOTTE.
Oui, j'ai eu le plaisir de lui souhaiter le bonjour et de l'embrasser.
AUGUSTIN.
Quand elle sera visible, j'irai lui sauter au cou, je lui dirai le motif qui m'a empêché de la voir plus tôt, et je suis sûr qu'elle me pardonnera.
CHARLOTTE.
Sais-tu la leçon qu'elle t'a dit d'apprendre ?
AUGUSTIN.
Assurément, pour lui plaire j'étudie toute la journée. Si elle est bonne mère, je veux être bon fils.
CHARLOTTE.
Jeveux étudier aussi et devenir savante, pour prouver à maman que je l'aime autant que toi. La voici : Augustin, va vite au-devant d'elle.
II, 2 – AUGUSTIN, CHARLOTTE, Mme DESBOIS.
AUGUSTIN, allant à sa mère et l'embrassant.
Maman, recevez mon bonjour et mes excuses. J'aurais dû vous prévenir, mais ce n'est pas ma faute.
Mme DESBOIS
Mes enfants je suis bien aise de vous voir. Augustin, avez-vous étudié ?
AUGUSTIN.
Oui, maman ; et je sais par cœur ce beau chapitre des devoirs de l'homme envers ses semblables.
Mme DESBOIS.
Voilà ce que je vous recommande de ne point oublier.
AUGUSTIN.
Eh ! comment l'oublier ? Tous les jours nous vous voyons faire ce que nous lisons dans ce livre admirable. Il m'a tellement persuadé que la bienfaisance est un plaisir que ce matin j'ai donné tout mon argent aux pauvres voyageurs à qui vous aviez accordé l'hospitalité.
Mme DESBOIS, avec sentiment.
Mon fils, vous avez bien fait ! L'argent le mieux employé est celui qui sert à soulager les infortunés. Et toi, Charlotte ?
CHARLOTTE.
J'étudie aussi ; mais je crois que tous les livres du monde ne valent pas mieux que le bon exemple que notre chère maman nous donne. — Nous tâcherons de vous ressembler.
Mme DESBOIS, douloureusement.
Non… faites mieux que moi ! — Vous savez que je ne suis pas très-fortunée ; acquérez des talents afin qu'un jour nous ne sentions pas le besoin.
AUGUSTIN, vivement et avec âme.
Quand je serai grand vous ne pourrez le sentir ! je travaillerai, et tout ce que je gagnerai sera pour vous. Je voudrais que tous les enfants fussent obligés à leur tour de nourrir leurs père et mère.
Mme DESBOIS.
Pourquoi les y contraindre ? mon fils, cette loi doit être écrite dans le cœur de tous les enfants bien nés.
CHARLOTTE, vivement.
Maman a raison. Ce qui serait une obligation, ne serait plus un plaisir. Il faut que tout parte…. de là. (Elle met la main sur son cœur.)
AUGUSTIN.
Maman, si nous pouvions voir notre papa, rien ne manquerait à notre félicité.
Mme DESBOIS, sombrement.
Perdez cette espérance.
AUGUSTIN.
Y a-t-il longtemps que vous ne l'avez vu ?
Mme DESBOIS, soupirant.
Oh !… très long temps !
CHARLOTTE.
Votre séparation sera-t-elle longue ?
Mme DESBOIS.
Éternelle !
AUGUSTIN, avec beaucoup d'intérêt.
Maman, contez-nous donc vos malheurs.
Mme DESBOIS.
Que vous dirai-je ? — Tenez, j'ai trouvé des couplets vous traceront l'image de ma situation passée. J'ai changé quelques mots, mais vous y verrez mes peines et mes sentiments pour vous. (Augustin va chercher un fauteuil et Mme Desbois s'assied.) Ecoutez.
ROMANCE.
Fallait-il devenir mère,
Pour vivre dans la douleur ?
Délaissés par votre père,
Il a fait notre malheur.
Gages de mon imprudence,
Malheureux fruits de l'amour !
Pour pleurer votre naissance,
Vos yeux ont reçu le jour.
Jamais le doux nom de mère
Ne pourra charmer mon cœur.
De l'honneur la loi sévère
Proscrit ce nom si flatteur.
Heureuse, dans ma misère !
Si pour prix de mon amour,
Vous ne méprisez la mère
Qui vous a donné le jour.
De l'ingrat qui m'a séduite
Mon fils m'offre tous les traits.
L'état où je dus réduite
Est le fruit de ses forfaits.
J'oublierai mon infidèle
Pour vous conserver le jour.
La tendresse maternelle
Est préférable à l'amour.
(Elle les presse contre son sein et les embrasse ; ensuite elle se lève. Charlotte retire le fauteuil.)
AUGUSTIN.
Cette romance a fait couler nos pleurs. (Avec le plus grand inérêt.) Vous êtes donc la mère malheureuse, et nous les enfants infortunés ?
Mme DESBOIS.
Je ne puis plus vous le cacher.
CHARLOTTE
Maman, nous connaît-il notre papa ?
Mme DESBOIS, avec sensibilité.
Dans votre berceau quelquefois il vous arrosa de ses larmes.
AUGUSTIN.
Pourquoi n'a-t-il pas fait comme vous ? Pourquoi ne nous a-t-il pas gardés ?
Mme DESBOIS.
Il vous a abandonnés.
CHARLOTTE.
Pourquoi a-t-il fui ses chers petits enfants, qui l'auraient adoré ?
Mme DESBOIS.
Je n'avais pas de fortune.
AUGUSTIN.
Et lui, en avait-il ?
Mme DESBOIS.
Il était dans l'opulence, et nous plongea dans la détresse.
AUGUSTIN, confus et attendri, et lentement.
Maman, reviendra-t-il notre papa ?
Mme DESBOIS, d'un ton concentré.
Non.
CHARLOTTE.
Nous ne le verrons donc pas ?
Mme DESBOIS.
Non.
CHARLOTTE.
Jamais ?
Mme DESBOIS, en pleurant.
Non… Jamais !
AUGUSTIN, prenant la main de sa mère.
Maman, vous pleurez ?
Mme DESBOIS.
Mes enfants… embrassez-moi !… je vous laisse… Souvenez-vous que votre mère vous aime… et je serai trop heureuse, si vous ne me haïssez pas.
(Les enfants la reconduisent en lui baisant les mains, jusqu'à la porte du fond. Elle s'arrête, les regarde, les embrasse, pose son mouchoir sur ses yeux et sort.)
II, 3 – AUGUSTIN, CHARLOTTE (ils descendent lentement.)
CHARLOTTE, en pleurant.
Maman pleure… et moi… ah ! (Elle tire son mouchoir pour essuyer ses larmes.)
AUGUSTIN.
C'est parce que nous lui avons parlé de papa.
CHARLOTTE, en sanglotant.
Il est bien dur de ne pouvoir parler de son père sans affliger sa maman.
AUGUSTIN.
Voilà Marguerite.
II, 4 – AUGUSTIN, CHARLOTTE, MARGUERITE.
CHARLOTTE, allant à Marguerite.
Marguerite, bonjour.
MARGUERITE.
Bonjour, mes petits enfants. Déjà réveillés ?
AUGUSTIN.
Sans doute, il est tard.
MARGUERITE.
Mais non, pas trop. Avez-vous vu votre mère ?
CHARLOTTE.
Elle nous quitte à l'instant.
MARGUERITE.
Je m'en doutais… et puis des larmes, c'est l'ordinaire. La singulière lemme ! (On frappe à la porte qui est à la gauche de l'acteur.) Qui diantre frappe ainsi ?… Encore ?… Allons ouvrir.
(Elle va ouvrir la porte.)
II, 5 – AUGUSTIN, CHARLOTTE, MARGUERITE, LE CAPUCIN.
MARGUERITE, surprise, recule un pas et reste en attitude.
Ah !
LES DEUX ENFANTS.
C'est un moine !
LE CAPUCIN.
Dieu vous ait en sa sainte garde.
MARGUERITE, brusquement.
Comment diable ! c'est vous qui vous annoncez de la sorte ? Mais c'est frapper en maître. Que voulez-vous ?
LE CAPUCIN.
Excédé de lassitude, ayant marché toute la nuit, surpris par le tonnerre le vent, la grêle et la pluie, je voudrais passer ici le reste de la journée.
MARGUERITE.
Vous ?… oh ! n'y comptez pas.
LE CAPUCIN.
Ayez la charité de me recevoir, vous ferez une bonne œuvre, et le ciel vous récompensera.
MARGUERITE.
Si je comptais là-dessus, je crois que je ne ferais pas fortune de longtemps.
LE CAPUCIN.
Peut-être ! un bienfait n'est jamais perdu : on donne aujour d'hui et l'on reçoit demain ; c'est ainsi que dans le monde on s'acquitte et s'oblige.
MARGUERITE.
Nous ne pouvons vous recevoir.
LE CAPUCIN.
Je vous en supplie.
MARGUERITE.
C'est impossible ; la diligence arrive ce soir et nos chambres seront remplies.
LE CAPUCIN.
Eh bien ! un grenier, un coin, un peu de paille et ce sera assez pour moi.
MARGUERITE.
Cela ne se peut… Qu'il a mauvaise mine ! et d'où sortez-vous donc ? de l'enfer ?
LE CAPUCIN.
Je reviens d'Italie ; mais après ce qu'on m'y a fait souffrir, je crois qu'il ne m'effraierait pas.
MARGUERITE, voulant le faire sortir.
Allons, allons, dénichez, dénichez, vous ne pouvez rester ici.
CHARLOTTE, à Augustin.
Qu'elle est dure !
LE CAPUCIN.
Voyez mon triste état et laissez-vous toucher.
MARGUERITE.
Rien, rien, en route.
LE CAPUCIN, indigné.
Vous êtes bien inhumaine ! Je fuis des barbares, mais je vois que vous l'êtes plus qu'eux.
AUGUSTIN, à part.
Il a raison. Attrappe.
CHARLOTTE.
Mon frère, il me fait de la peine, empêche-le de s'en aller.
AUGUSTIN, à Marguerite.
Marguerite, pourquoi renvoyer ce pauvre homme ? Vous savez que l'intention de maman est que l'on fasse politesse à tous les étrangers ; et si elle savait que vous maltraitez celui-ci, je suis persuadé qu'elle vous gronderait.
MA RGUERITE, d'un ton goguenard.
Vous croyez ?
AUGUSTIN.
C'est certain. (Allant au Capucin avec Charlotte.) Restez, homme malheureux, restez. Si elle n'a pas le temps de vous servir, nous vous servirons, et nous ferons de notre mieux pour que vous soyez content.
LE CAPUCIN.
Les adorables enfants !
MARGUERITE, en colère.
Mais voyez ce marmot !… est-ce à vous de me faire passer pour ridicule ?
AUGUSTIN, sèchement, en se retournant vers Marguerite.
Mais c'est que vous l'êtes ! — Oui, nous lui ferons du bien malgré vous. Maman nous a appris à respecter et chérir tous les malheureux.—Tant pis pour vous si vous ne pensez pas comme
elle.
LE CAPUCIN.
Il me charme !
MARGUERITE.
De quoi vous mêlez-vous, Monsieur le raisonneur ?
AUGUSTIN.
Je me mêle… de ce dont vous ne devriez pas vous mêler.
MARGUERITE.
Mais ce morveux, comme il me répond ! si votre maman savait cela ?
AUGUSTIN.
Allez lui dire, si vous l'osez. Oh ! nous ne vous craignons pas.
MARGUERITE, hors d'elle-même.
Je m'en vais… car la patience m'échappe… cela parle déjà en maître. (Au Capucin.) Vous restez donc, vous ?
LE CAPUCIN.
Oui.
MARGUERITE.
Oh ! nous verrons… nous verrons. (À Augustin en s'en allant.) Adieu, petit obstiné. (Elle sort.)
AUGUSTIN.
Adieu. (À part.) Vieille méchante.
II, 6 – AUGUSTIN, CHARLOTTE, LE CAPUCIN.
CHARLOTTE, au Capucin.
Excusez ce que cette femme vous a dit ; elle est vive, mais elle a le cœur bon. Restez et reposez-vous.
(Les enfants prennent le Capucin par la main, lui font traverser le théâtre, et le conduisent à un fauteuil qui est à la droite de l'avant-scène.)
LE CAPUCIN.
Volontiers.
AUGUSTIN.
Asseyez-vous. (Le Capucin s'assied.)
CHARLOTTE.
Donnez-moi votre bâton. (Elle prend le bâton et va le poser contre une coulisse.)
AUGUSTIN.
Voulez-vous prendre quelque chose ?
LE CAPUCIN.
Un verre de vin, s'il est possible.
AUGUSTIN.
Très possible, et je vais vous en chercher. (Il sort en courant.)
LE CAPUCIN. à Augustin.
Que vous êtes aimable !
CHARLOTTE.
Vous paraissez fatigué. Allez-vous loin ?
CAPUCIN.
Non. Je suis de quelques lieues d'ici, et je me rends à la maison paternelle… où je ne trouverai plus de parents.
AUGUSTIN, rentre en tenant dune main une assiette avec un verre dessus, et de l'autre une demi-bouteille de vin.
Tenez, rafraichissez-vous. (Il verse et le Capucin boit.) Voulez-vous recommencer ?
LE CAPUCIN, remettant le verre sur l'assiette.
C'est assez.
AUGUSTIN, gaiement.
Il ne tient qu'à vous.
LE CAPUCIN.
Je vous remercie.
(Augustin pose ce qu'il tient sur la table et revient.)
CHARLOTTE.
Il ne faut pas faire attention à ce que vous a dit Marguerite, elle n'est pas la maîtresse : quand vous aurez vu maman, vous serez bien dédommagé, car elle est aussi honnête que cette filleest brusque et impolie.
LE CAPUCIN.
Vous faites son éloge. En jugeant d'elle par vous, on doit la croire une femme parfaite.
AUGUSTIN, vivement.
Tout le monde le dit.
LE CAPUCIN.
Votre père est-il de même ? (Les enfants baissent la têtt d'un air affligé.) Vous ne répondez point ? (Silence des enfants.) Comment s'appelle votre père ?
AUGUSTIN, soupirant.
Hélas !
LE CAPUCIN.
Vous soupirez ?. .. Serait-il mort ?
AUGUSTIN, tristement.
Nous l'ignorons.
LE CAPUCIN, à Charlotte.
Il n'est donc pas ici ?
CHARLOTTE.
Non.
LE CAPUCIN.
Il reviendra sûrement ?
CHARLOTTE.
Nous ne l'espérons plus.
LE CAPUCIN.
Je ne vous comprends pas.
CHARLOTTE, en pleurant.
Nous sommes bien malheureux !
LE CAPUCIN.
Ne pleurez pas… répondez… votre père ; comment s'appelle-t-il ?
AUGUSTIN, vivement.
Maman se nomme Julie Desbois.
LE CAPUCIN
Julie ! — C'est le nom de votre père que je vous demande.
AUGUSTIN, d'un ton triste et lent.
Maman ne nous l'a point dit, et nous ne l'avons jamais connu.
AUGUSTIN, avec sensibilité mais sans crier.
Nous sommes des enfants abandonnés !
LE CAPUCIN, emporté malgré lui.
O ciel !… Ce mauvais père mériterait la mort. — Et vous ne le connaissez point ?
CHARLOTTE.
Mon frère se trompe. Maman tous les jours nous montre son portrait ; nous le baisons avec tendresse, elle pleure en le regardant, et nous mêlons nos larmes aux siennes. Elle ordonne de prier Dieu pour lui, quoiqu'elle dise qu'il lui a fait bien du mal.
LE CAPUCIN.
Et qu'était votre père ?
AUGUSTIN.
Un officier, beau comme le jour !
LE CAPUCIN, étonné.
Un officier ?
CHARLOTTE.
Oui, tenez, regardez mon frère, il lui ressemble, trait pour trait.
LE CAPUCIN, prenant Augustin par la main, et le considérant avec attention.
Qui… cet enfant ?… je crois voir…
CHARLOTTE.
Il est joli, mon frère ! — Et maman lui dit souvent… "Tu as la beauté de ton père ; veuille le ciel que tu n'en aies jamais le cœur !"
LE CAPUCIN.
Il était donc bien méchant ?
CHARLOTTE.
Oh !… bien méchant, puisqu'il a fait le malheur de maman qui est la meilleure des femmes.
AUGUSTIN.
Si vous vouliez voir son portrait, il est dans la chambre de maman, et j'irais vous le chercher.
LE CAPUCIN.
Vous me ferez plaisir.
AUGUSTIN.
J'y cours. (Il sort.)
CHARLOTTE.
Mon frère est indiscret, et maman le grondera, peut-être… Il ne faut pas lui dire.
LE CAPUCIN.
Ne craignez rien.
AUGUSTIN, revenant avec un médaillon.
Tenez, le voici. — Est-il vrai que cela me ressemble ?
LE CAPUCIN.
Donnez. (Il prend le portrait, se lève pour le regarder, s'avance deux pas en avant ; les enfants restent auprès du fauteuil. Aorès avoir regardé, il témoigne de la plus grande surprise et s'écrie.) Grand dieu !… que vois-je ? (plus bas.) c'est moi !… et voilà mes victimes ! (Il retombe dans le fauteuil.)
CHARLOTTE, effrayée.
O ciel ! il se trouve mal.
AUGUSTIN.
Il faut le secourir.
CHARLOTTE.
Il pleure !… Ah ! revenez à vous, ne vous affligez pas.
LE CAPUCIN, leur prend a main et dit en pleurant.
Mes enfants ! mes enfants !…
CHARLOTTE.
Il nous appelle ses enfants ! Ah ! que je l'aime !
LE CAPUCIN, sanglotant.
Venez dans mes bras ! (Les enfants se jettent dans ses bras.)
AUGUSTIN.
Que mon cœur est ému !
LE CAPUCIN.
Et le mien déchiré !
CHARLOTTE, avec tendresse.
Vous êtes donc malheureux ?
LE CAPUCIN.
Je le fus. (Il regarde les enfants.) Mais à présent je suis bien heureux ! (Il les presse contre son sein, et reste dans cette attitude un moment.)
AUGUSTIN
D'où vien votre chagrin en voyant notre papa ?
LE CAPUCIN, se levant avec fureur et marchant à grands pas.
Ce fut un monstre.
CHARLOTTE, le suivant avec Augustin.
Lui ?
LE CAPUCIN
Un barbare !
AUGUSTIN.
Quelle colère !…
LE CAPUCIN, hors de lui et se mettant au milieu des enfants.
L'inhumain ! Il n'avait donc pas d'entrailles ? Je ne puis concevoir comment il a pu vous délaisser ! Dans le fond des forêts, les animaux féroces et l'oiseau timide nourrissent leurs enfants, les soignent, ne les abandonnent point… et votre père dénaturé vous a donné l'existence et le malheur.
CHARLOTTE, avec effroi.
Vous me faites frémir !
LE CAPUCIN, revenant à lui.
Rassurez-vous, vous le rendrez à la vertu.
AUGUSTIN.
Si nous pouvions le voir, nos peines seraient finies.
LE CAPUCIN.
Je vous prédis que vous le verrez. S'il n'avait l'espoir de vous faire autant de bien qu'il vous a fait de mal, aujourd'hui même il descendrait au tombeau.
CHARLOTTE.
Que dites-vous, bon père ?
LE CAPUCIN, avec douleur.
Je ne mérite pas ce nom !
Mme DESBOIS, appelant dans la coulisse.
Augustin !
LE CAPUCIN.
Qu'entends-je ?
CHARLOTTE, vivement.
Voilà maman ! (Elle prend le médaillon des mains du Capucin et le donne à son frère.) Cache le portrait. (Au Capucin.) Et vous, ne dites rien.
II, 7 – AUGUSTIN, CHARLOTTE, LE CAPUCIN, Mme DESBOIS.
Mme DESBOIS, entrant vivement et appelant.
Augustin ! ah ! (Elle reste surprise en voyant le Capucin.)
LE CAPUCIN, la reconnaît, retombe sur le fauteuil et met son capuchon sur la tête.
Dieu ! c'est elle ! que vais-je devenir ?
Mme DESBOIS.
Un moine !… et d'où vient-il ?
AUGUSTIN, allant à sa mère qui est restée dans le fond du théâtre.
D'Italie ; et il est extrêmement fatigué.
Mme DESBOIS
Il faut lui donner des secours.
CHARLOTTE, auprès du Capucin et lui tenant la main.
Maman, venez donc, le bon homme se trouve mal.
Mme DESBOIS, au Capucin.
Reprenez vos sens, on va vous donner ce qui vous est nécessaire.
LE CAPUCIN, revient à lui, et pousse un profond soupir.
Ah !
Mme DESBOIS, avec intérêt.
Que peut-on vous offrir ? (Le Capucin fait signe qu'il ne veut rien.)
Mme DESBOIS.
Il ne veut rien. — Où donc est votre mal ? (Le Capucin porte la main sur le cœur.)
Mme DESBOIS.
Dans le cœur ?… Je vous plains.
LE CAPUCIN, avec une voix faible.
Vous me plaignez ?… Hélas !
Mme DESBOIS.
Comment vous trouvez-vous ?
LE CAPUCIN.
Le venin qui me dévore est là. (Il met la main sur sa poitrine.) Mais je connais le remède, je l'ai trouvé, et je serai bientôt délivré du fardeau qui m'oppresse.
Mme DESBOIS.
D'où vient donc cet évanouissement ?
LE CAPUCIN.
La cause en est grande, et vous la concevrez facilement… c'est !… la fatigue.
Mme DESBOIS.
Je le conçois, c'est le cœur qui vous a manqué.
LE CAPUCIN, avec énergie.
Non… Je n'en eut jamais tant qu'aujourd'hui. — Mais les persécutions… une longue route à pied… ne me refusez pas votre pitié… j'en ai grand besoin.
Mme DESBOIS, avec bonté.
Soyez sans inquiétude. Ici, vous serez servi avec zèle et sans intérêt. Je suis peu riche, mais j'aime à faire du bien, c'est ma seule dépense et mes vrais plaisirs.
LE CAPUCIN.
Quelle générosité !
Mme DESBOIS.
D'où venez-vous ?
LE CAPUCIN.
De Gênes, où j'ai souffert des tourments inouïs. — Ah ! si je pouvais vous conter mes peines !… mais je craindrais de vous affliger.
Mme DESBOIS.
N'importe, confiez-moi tout et si je puis vous être utile, comptez sur mes secours et ma discrétion. — Augustin, allez étudier avec votre sœur ; je vous reverrai tantôt.
AUGUSTIN.
Oui, maman. (Au Capucin.) Adieu mon père.
LE CAPUCIN, lui prenant la main.
Adieu mon fils.
CHARLOTTE, au Capucin.
Voulez-vous nous embrasser ?
LE CAPUCIN, avec transport.
Si je le veux ? (se retenant.) avec plaisir. (Il embrasse Augustin le premier.)
CHARLOTTE, avant de l'embrasser lui dit tout bas à l'oreille.
Ne parlez pas du portrait.
LE CAPUCIN, bas à Charlotte.
Soyez tranquille, votre secret est le mien. (Il l'embrasse.)
LES DEUX ENFANTS, au Capucin.
Adieu.
LE CAPUCIN, avec une tendre émotion.
Adieu… adieu, mes chers enfants. (Il tire son mouchoir et s'essuie les yeux.)
(Les enfants regardent tendrement leur mère et sortent.)
II, 8 – LE CAPUCIN, Mme DESBOIS.
Mme DESBOIS.
Vous les aimez ?
LE CAPUCIN, avec une profonde sensibilité.
Au-delà de toute expression !
Mme DESBOIS.
Vous êtes attendri ?
LE CAPUCIN.
Je ne le nie point. Leur amitié… leurs caresses… tout cela s'est fait sentir jusque dans mon cœur. — Ils sont bien intéressants !
Mme DESBOIS.
Ils sont toute ma consolation.
LE CAPUCIN.
Il faut espérer qu'ils seront aussi celle de leur père.
Mme DESBOIS.
De leur père !… hélas !… revenons à ce qui vous regarde. Que vous est-il donc arrivé ? Pourquoi avez-vous quitté votre couvent ?
LE CAPUCIN.
Pour me soustraire au supplice d'une longue captivité, et sortir d'un état pour lequel je n'avais aucune vocation.
Mme DESBOIS.
Pourquoi donc vous êtes-vous fait moine ?
LE CAPUCIN, sombrement.
Pour me cacher au monde.
Mme DESBOIS.
Qu'aviez-vous donc fait ?
LE CAPUCIN.
À dix-huit ans j'entrai au service, et dans une affaire d'honneur, où j'avais tort, j'eus Je malheur de tuer mon meilleur ami.
Mme DESBOIS.
Préjugé cruel !
LE CAPUCIN, rapidement.
Poursuivi par une famille puissante, je m'embarquai pour l'Italie et, pour me mettre à l'abri des recherches, j'entrai dans le monastère dont je porte l'habit. On m'envoya ma grâce au moment où j'allais prononcer mes vœux ; je refusai, on me dénonça au saint-office, et je fus plongé dans les gouffres de l'Inquisition.
Mme DESBOIS, vivement.
Mais comment sortîtes-vous de cette horrible prison ?
LE CAPUCIN, avec la plus grande chaleur.
Par un prodige ! — Un dominicain avec qui j'avais été lié par l'estime et l'amitié, fut élevé au grade d'inquisiteur. Il se ressouvint que depuis dix ans j'étais dans les fers, et ne tarda point à les briser. La nuit, j'entends ouvrir la porte de mon cachot… je croyais qu'on m'apportait la mort. Quelle fut ma surprise ! je reconnais mon ami. Il se jette dans mes bras, rompt mes chaînes, me donne une bourse pleine d'or, des armes, mes papiers, me conduit hors de l'enceinte infernale, m'embrasse, et s'enfuit. — Je pars ! — Craignant de retomber dans l'esclavage, je gagne le bord de la mer, je me réfugie dans les antres sauvages, je gravis les rochers, je brave la fatigue et la faim, bien résolu de m'engloutir dans les précipices plutôt que de rentrer dans ce repaire de douleurs, où des monstres inhumains, oubliant les vrais principes d'une religion pure et consolante, établirent un tribunal de sang pour persécuter l'innocence, au nom d'un Dieu juste et bienfaisant.
Mme DESBOIS.
Combien vous avez souffert ! Et où allez-vous maintenant ?
LE CAPUCIN.
Je vais au château de monsieur Dorsainville aîné : il fut autrefois mon ami de collège et mon compagnon d'armes… Il ne me refusera pas ses secours.
Mme DESBOIS, vivement.
Dorsainville, dites-vous ? Quoi ! vous l'avez connu.
LE CAPUCIN.
Beaucoup, Madame, il n'eut jamais de meilleur ami que moi.
Mme DESBOIS, avec véhémence.
Eh ! quels secours pouvez-vous attendre de lui ? C'est le plus cruel de tous les hommes ! Amant barbare, père sans tendresse… il n'est pas capable de faire des heureux.
LE CAPUCIN.
Pourquoi non ? Je ne le crois pas aussi méchant que vous me le dépeignez.
Mme DESBOIS, avec force.
Vous ne le croyez pas ? (En pleurant.) Ah ! si vous saviez…
LE CAPUCIN.
Vous versez des larmes ?
Mme DESBOIS.
Hélas i ! elles ne tariront jamais ! et l'ingrat est la cause de mon malheur.
LE CAPUCIN.
Quoi ! seriez-vous cette Julie…
Mme DESBOIS, avec un cri de surprise.
Qu'entends-je ! Il vous aura confié…
LE CAPUCIN.
Tous ses secrets m'étaient connus.
Mme DESBOIS, avec explosion.
Eh bien ! connaissez cette infortunée. Cette Julie qu'il a perdue, abandonnée… c'est moi. Ces enfants que vous venez de voir, sont les siens. À présent défendez-le si vous l'osez. Sans pitié, sans âme, sans honneur, il a sacrifié l'innocence et la vertu : mauvais père, il a délaissé sa famille, et vous avez vu les victimes de son ingratitude et de sa barbarie.
LE CAPUCIN.
Vous me faites frémir ! Pourquoi vous trouvez-vous dans cet état ?
Mme DESBOIS.
J'avais des enfants, il fallait les élever ; j'étais tout pour eux ! rejetée de tout le monde, il fallait faire quelque chose pour exister.
LE CAPUCIN.
Le père de Dorsainville aurait dû vous soutenir, vous protéger.
Mme DESBOIS.
Le fils me perdit, et le père me méprisa.
LE CAPUCIN.
N'aviez-vous pas des amis ?
Mme DESBOIS.
Trouve-ton des amis quand on est dans la misère ?
LE CAPUCIN.
Je suis indigné ! et le père de Dorsainville fut bien dur envers vous.
Mme DESBOIS.
Je perdis son estime, il me refusa ses bienfaits.
LE CAPUCIN.
Il vous les devait ; et comment put-il découvrir ?
Mme DESBOIS.
Lorsque son fils m'abandonna, il me laissa sans ressources. Depuis son départ, la pension des chers objets de notre amour n'était plus payée : la fermière qui les nourrissait se lassa ; elle vint chez mes protecteurs dévoiler le mystère, et je fus chassée par l'orgueilleux père de mon amant.
LE CAPUCIN.
O ciel !…
Mme DESBOIS.
Dans cette crise orageuse, je conservai ma raison. Le danger de ces innocents, qu'on menaçait déjà de mettre dans une maison de charité, me fit frémir ! Révoltée par cet odieux projet, j'offre de payer ce qui est dû. Je sors et, dans le même instant, linge, habits, bijoux furent vendus. Je vole au hameau, je donne ce que j'ai, j'emporte mes enfants et je marche avec courage, courbée sous ce précieux fardeau ! — Mais où aller !… sans asile, sans état, sans pain, pour moi ni pour les miens… Au milieu des champs que faire ? où loger ? — Agitée par le désespoir, une rivière allait devenir mon tombeau ! Décidée, je dépose mes enfants sur le rivage, je les recommande au ciel, je les embrasse ; et, après leur avoir dit un éternel adieu… je cours .. je m'élance… ils pleurent, je m'arrête. Leur cri frappe mon oreille ; je les regarde, ils me sourient, la nature parle, et je ne puis plus mourir.
LE CAPUCIN.
Vous me glacez d'elfroi ! Que devîntes-vous ? Que fîtes-vous ?
Mme DESBOIS.
Je fus trouver mon oncle qui tenait une auberge dans la forêt voisine (c'est celle que j'occupe maintenant) ; j'implorai son assistance, mais ce fut en vain. Il me reçut avec une dureté qui n'a pas d'exemple. Il me dit qu'il avait besoin d'une domestique et non pas d'une nièce ; que si je voulais cette place, il me la donnerait. Indignée !… mais ayant besoin… j'acceptai — Veilles, travaux, humiliations, j'ai tout supporté ; j'étais mère, et rien ne pouvait me faire rougir lorsque je travaillais pour nourrir mes enfants.
LE CAPUCIN.
Que vos parents étaient cruels !
Mme DESBOIS.
Moins que mon amant. J'étais coupable, je n'avais pas le droit de me plaindre.
LE CAPUCIN, cherchant à lire dans son cœur.
Dorsainville est bien criminel ! — Après les maux qu'il vous a causés, peut-être avez-vous fait un autre choix ?
Mme DESBOIS.
Non, personne n'aura d'empire sur mon cœur.
LE CAPUCIN.
Vous le croyez ?
Mme D E S B O I S.
J'en suis sûre.
LE CAPUCIN.
Ne jurez de rien.
Mme DESBOIS, d'un ton décidé.
J'en jure ; l'amour est comme la mort, il ne frappe qu'une fois.
LE CAPUCIN.
Bonne mère amante fidèle votre constance doit être récompensée ; et Dorsainville, un jour, réparera ses torts.
Mme DESBOIS.
Je ne le crois pas.
LE CAPUCIN, avec âme.
Croyez-le… la vertu malheureuse a bien des droits sur un cœur sensible.
II, 9 – LE CAPUCIN, Mme DESBOIS, MARGUERITE
MARGUERITE.
Madame, venez donc. Ce jeune officier fait un train abominable. Il vous demande partout. Il ne trouve rien de bon, rien n'est bien, il fait enrager tout le inonde. O mon dieu ! mon dieu ! quel étourdi !
Mme DESBOIS.
J'y vais — Allez.
MARGUERITE, bas à Mme Desbois.
Est-ce que vous gardez ce moine ?
Mme DESBOIS.
Oui, et vous ferez préparer le n° 2.
MARGUERITE.
À lui cet appartement ?
Mme DESBOIS, d'un ton d'autorité.
Faites ce que je vous dis. Je veux qu'on ait pour lui tous les égards possibles, et qu'il soit servi exactement.
MARGUERITE, en s'en allant.
Belle pratique pour en avoir tant de soin !
(Elle sort par la coulisse à droite du théâtre, et Rochemont entre par le fond.)
II, 10 – Mme DESBOIS, LE CAPUCIN, ROCHEMONT.
ROCHEMONT.
Ah ! palsembleu ! l'aventure est unique ! C'était donc pour venir causer avec ce moine que vous m'avez planté là ? C'est admirable !
Mme DESBOIS
Monsieur, je ne me suis point engagée à vous tenir compagnie.
ROCHEMONT.
Morbleu ! il ne sera pas dit que ce vieux sapajou l'emportera sur moi. Je suis dans une colère !…
Mme DESBOIS.
En vérité, Monsieur, on ne peut reconnaître un homme honnête à la manière dont vous vous conduisez.
ROCHEMONT.
C'est donc là mon rival ? Vous avez du goût.
Mme DESBOIS.
Vos discours me faisaient pitié, et vos procédés excitent mon mépris. (Elle veut sortir.)
ROCHEMONT, voulant retenir madame Desbois.
Oh ! vous ne vous en irez pas.
Mme DESBOIS, fièrement.
Quel droit avez-vous de m'en empêcher ?
ROCHEMONT.
Du droit de l'amour ! Allons, allons, méchante, embrassez-moi et faisons la paix.
LE CAPUCIN, à part.
Quelle impudence !
Mme DESBOIS, avec dignité.
Monsieur, n'approchez pas ! — Il est bien étonnant que vous osiez me manquer chez moi. Vous devriez rougir de vos inconséquences. Méritez l'avantage que vous avez d'appartenir à un corps respectable ; souvenez-vous que c'est par la bravoure, l'honneur et la politesse que nos braves militaires se distinguent, et se font respecter en tous lieux. Vous, qui marchez sur leurs traces, imitez leurs vertus, et ne dégradez pas le noble caractère d'un officier français. (Elle sort.)
(Le Capucin, ayant remonté au fond du théâtre pendant la dernière tirade de madame Desbois, se trouve placé naturellement pour empêcher Rochemont de la suivre.)
II, 11 – LE CAPUCIN, ROCHEMONT.
ROCHEMONT, suivant madame Desbois.
Vous prêchez comme un ange, et je vais vous suivre pour entendre le reste de la leçon. (Le Capucin lui barre le passage en se mettant vis-à-vis la porte du fond.) Que faites-vous là, bonhomme ?
LE CAPUCIN.
Vous me voyez tout prêt à m'opposer à l'insulte et à la violence.
ROCHEMONT.
Vous êtes plaisant ! quel intérêt prenez-vous à cette femme ?
LA CAPUCIN.
L'intérêt le plus puissant ! souvenez-vous-en, et gardez-vous de l'outrager devant moi.
II, 12 – LE CAPUCIN, ROCHEMONT, DORSAINVILLE cadet.
DORSAINVILLE cadet.
Que viens-je d'apprendre ? Comment ! tu as insulté l'hôtesse ? C'est fort mal, et je ne puis approuver…
ROCHEMONT.
Écoutes-tu cette précieuse ? Est-ce ma faute si elle prend des galanteries pour des offenses ? Mais tu es venu fort à propos pour être témoin de l'aventure la plus plaisante !… (Il lui montre le Capucin d'un air goguenard.) Reharde ce champion : voilà mon rival et son chevalier.
LE CAPUCIN.
Monsieur, point de propos : je suis un homme d'honneur,et je vous ai empêché de faire une mauvaise action.
ROCHEMONT.
Vous êtes bien hardi de me parler ainsi ! craignez de recevoir le prix de votre témérité.
LE CAPUCIN.
Je ne crains personne.
ROCHEMONT
Dorsainville, je crois que ce moine veut m'en imposer ?
LE CAPUCIN, à part.
Dorsainville ! serait-ce mon frère ?
DORSAINVILLE cadet.
Retirons-nous, et cesse d'offenser ce digne homme.
ROCHEMONT, en colère.
Je me laisserais manquer par ce Capucin ? Morbleu ! je veux le corriger de ses impertinences.
LE CAPUCIN, sans quitter sa place, dit avec beaucoup de sang-froid.
Doucement, jeune insensé ; c'est vous qui avez besoin d'une correction et je m'en charge.
ROCHEMONT.
Savez-vous que je suis officier ?
LE CAPUCIN, le toisant.
Je crois que vous n'en avez que l'habit.
DORSAINVILLE cadet, à part.
Il l'a deviné.
ROCHEMONT, hors de lui.
Maudit Capucin, tais-toi, ou je vais t'arracher la barbe !
LE CAPUCIN, d'un ton ironique et froid.
Je ne puis avoir le même avantage, car vous n'en avez pas encore, — et je vois que la raison chez vous est bien moins prématurée.
ROCHEMONT, à Dorsainville cadet en mettant la main sur son épée.
Je vais couper les oreilles à ce misérable.
LE CAPUCIN, d'un ton ferme.
Jeune homme, quel droit avez-vous de m'insulter ? (Il va à la porte du fond, ôte la clef, la met dans sa poche, ôte son manteau, le jette sur un fauteuil et revient en face de Rochemont.) Voyons maintenant qui coupera les oreilles à l'autre.
ROCHEMONT, tirant l'épée.
Ce sera moi. Allons, détestable moine, fais ta prière, je vais t'anéantir.
DORSAINVILLE cadet, le retenant.
Arrête !
ROCHEM0NT, s'échappant des mains de Dorsainville et allant au Capucin.
Laisse-moi !
LE CAPUCIN, sort un pistolet de sa poche et ajuste Rochemont.
Halte-là ! ou je vous brûle la cervelle.
ROCHEMONT, fait un cri de surprise et se retire.
Ah ! (Il temble et balbutie.) Arrêtez vous-même.
LE CAPUCIN.
Il n'est plus temps de reculer.
ROCHEMONT.
Les armes ne sont point égales.
LE CAPUCIN, jetant son pistolet.
Elles vont le devenir. (Il va à Dorsainville et lui arrache son épée.) Monsieur, prêtez-moi votre épée.
DORSAINVILLE cadet, voulant reprendre son épée.
Monsieur, je ne souffrirai pas…
LE CAPUCIN, d'un ton terrible.
Sur votre vie, laissez-moi faire ! (À Rochemont.) A présent, vous n'avez plus de prétexte ; songez à vous bien battre, ou vous périssez. En garde. (Ils se battent ; Rochemont recule et laisse tomber son épée.)
ROCHEMONT.
Je suis désarmé.
LE CAPUCIN.
Reprenez votre épée et recommençons.
ROCHEMONT.
Mais c'est un diable que ce Capucin-là !
LE CAPUCIN.
Non, je suis un homme, apprenez à les respecter. Terminons. (Il se remet en garde.)
ROCHEMONT.
Encore ? oh ! ma foi non, en voilà assez.
LE CAPUCIN.
En voilà assez ! à ce langage, je parierais que vous n'ètes pas officier.
DORSAINVILLE cadet, à part.
Il serait sûr de gagner.
LE CAPUCIN, avec une voix forte.
Finissons. (Il se remet encore en garde.)
DORSAINVILLE cadet, passant au milieu.
Je m'y oppose. —Eh ! Monsieur, n'allez pas plus avant ; je suis certain qu'il est fâché de vous avoir manqué.
ROCHEMONT, d'un air soumis.
Oui, je sens que j'ai eu tort… et c'est ce qui fait que…
LE CAPUCIN.
Oh ! dès que vous en convenez, tout est fini. (Avec la plus grande dignité.) Allez, Monsieur, remettez votre épée… et songez que le vrai brave n'en doit faire usage que pour soutenir les intérêts de son pays, et non pour verser injustement le sang de ses semblables. — Voilà la clef, vous pouvez sortir.
ROCHEMONT, prenant la clef.
C'est ce que je vais faire, Monsieur. (À part en s'en allant.) Infernal Capucin, tu me le paieras, et je sais les moyens de me venger. (Il tire son mouchoir et laisse tomber son portefeuille.)
LE CAPUCIN, en rendant l'épée à Dorsainville.
Vous, Monsieur, j'ai quelque chose à vous dire, et j'aurai l'honneur de vous revoir.
DORSAINVILLE cadet.
Avec plaisir.
(Pendant que le Capucin parle à Dorsainville, Rochemont va pour sortir, met la clef dans la serrure, ouvre la porte et Brillant paraît. Cela doit faire tableau.)
II, 13 – LE CAPUCIN, ROCHEMONT, DORSAINVILLE cadet, BRILLANT.
BRILLANT, avec un baudrier blanc et l'épée, avance un pas, ôte son chapeau en militaire et reste en attitude.
Votre servitur.
ROCHEMONT.
À l'autre à présent ! Bonjour, bonjour. (Il va pour sortir.)
BRILLANT, remettant son chapeau et l'arrêtant.
Un pétit moment, un pétit moment, j'ai à vous parler. (Ils descendent la scène.)
ROCHEMONT.
A moi ?
BRILLANT.
Justément, à vous-même, de très près et promptément.
LE CAPUCIN, à part.
Que veut cet original ?
ROCHEMONT.
Vous voulez me parler, et pourquoi ?
BRILLANT, d'une voix claire et le contre-faisant.
Pourquoi ? pourquoi ? Vous lé savez dé reste, pourquoi.
ROCHEMONT.
Moi ! non.
BRILLANT.
Vous né vous souvénez donc pas des offenses qué vous faites ?
ROCHEMONT.
Oh ! c'est pour cela ? Adieu adieu. (Il veut sortir.)
BRILLANT, se mettant devant lui.
Doucément, doucément.
ROCILEMONT.
J'ai affaire, et je ne puis…
BRILLANT.
Affaire ? — Quand on outrage, la première est dé sé vattre. Lé dé coup poing qué vous m'avez donné est là. (Il met la main sur son cœur.) Un ancien militaire né souffre point d'injure, et quand on mé frappe, il faut qué jé tue ou qué l'on m'enterre.
ROCHEMONT, voulant s'en aller.
Eh ! laissez-moi tranquille.
BRILLANT, élevant la voix.
Non, dé par tous les diables jé né vous laisserai pas tranquille. Jé méritérais d'eêtre régardé comme un lâche, si j'en démurais-là. Vous avez porté sur ma personne uné main téméraire, uné tache semvlavle né sé lave qu'avec du sang. Marchons.
ROCHEMONT.
Comment ! marchons ?
BRILLANT.
Eh ! oui, cadédis, marchons.
ROCHEMONT, élevant la voix.
Je trouve singulier que…
BRILLANT, s'approchant tout près de lui.
Chut, chut ; point dé vruit, point dé vruit. Au détour dé l'auverge, dans la pétite ruelle, l'épée à la main, et l'un ou l'autre, hic jacet.
ROCHEMONT.
Tantôt vous serez satisfait.
BRILLANT, vivement et bref.
Qui diffère a pur !
ROCHEMONT, se redressant.
Peur ! moi ?
DORSAINVILLE cadet, impatienté.
Voilà bien des paroles ; s'il vous a offensé, il vous en rendra raison.
BRILLANT, à Dorsainville cadet.
J'y compte, Moussu… j'y compte. (À Rochemont.) J'espère qué vous né ferez pas seller votre chéval sans m'en prévenir. J'attendrai votré visite ; si vous né vénez pas, j'aurai encore une fois l'honnur dé vous saluer, et qué jé sois un vélître si j'y manque.
DORSAINVILLE cadet.
C'est bon, c'est bon, cela suffit.
II, 14 – LE CAPUCIN, BRILLANT.
BRILLANT, en colère et descendant sur le bord du théâtre
Il né perdra rien pour attendre ! (Il se met en garde.) Capdébious ! jé crois lé ténir-là ! (Il tire plusieurs bottes.) Ah ! ah !
LE CAPUCIN, à part.
Ce perruquier est venu fort à propos, et je vais m'en servir.
BRILLANT, continuant.
Source dé la Garonne ! la velle votte qué jé lui aurais portée ! (Il tire des armes.) Ah ! eh !… ah !… eh !… à vas pour l'éternité ! c'est lé onzième.
LE CAPUCIN, quand Brillant est fendu, lui prend le bras gauche. Brillant reste en attitude, en retournant la tête.
Modérez-vous et parlons du présent.
BRILLANT.
Qué mé voulesse ?
LE CAPUCIN.
J'ai besoin de votre ministère.
BRILLANT, d'un air méprisant.
Oh ! quelle varvache ! Vous ?… Jé n'ai pas lé temps.
LE CAPUCIN.
Il faut le prendre.
BRILLANT.
J'ai bien autre chose à faire qué dé vous écouter. Jé déteste la gente monacale, et jé né suis pas fait pour être aux ordres d'un homme dé votre espèce.
LA CAPUCIN, le prenant par la main et le ramenant.
L'ami, soyez plus honnête, et ne faites pas le Rodomont avec moi ; vous n'y gagneriez rien, je vous en avertis.
BRILLANT, étonné et regardant sa main.
Sandis, révérend, vous avez la poigne forte ! (Honnêtement.) Parlons raison. Vous avez vésoin dé moi ?
LE CAPUCIN.
Oui.
BRILLANT.
Vous voudriez couper la varve ?
LE CAPUCIN.
Précisément.
BRILLANT, en plaisantant.
Mais vos confrères né vous réconnaîtront pas, si vous n'avez plus…
LE CAPUCIN, d'un ton décidé.
Point de mots. (Il lui donne deux écus de six francs.) Tenez, voilà pour les peines que vous prendrez. Dépêchez-vous.
BRILLANT, étonné.
Jé vais chercher mes ustensiles qui sont dans lé cavinet, et jé réviens. (À part, en s'en allant et faisant sonner les écus.) Sandis ! voilà un Capucin qui paye comme un Évêque.
II, 15 – LE CAPUCIN, seul.
LE CAPUCIN.
J'ai vu cette face en quelque endroit… je ne sais où… (Se rappelant.) Ah !… m'y voici. — C'est bon, je vais avoir ma revanche.
II, 16 – LE CAPUCIN, BRILLANT, avec un plat à barbe et une serviette dedans.
BRILLANT.
Mé voici ; vite en action.
LE CAPUCIN.
Je suis prêt.
BRILLANT.
Dépêchons, car il mé reste encore une pratique à faire. (Il tire une botte.) Ah !…
LE CAPUCIN.
Finirez-vous ?
BRILLANT.
Jé fais réflexion… jé né puis vous raser ici.
LE CAPUCIN.
Allons dans un autre endroit.
BRILLANT.
Céla me paraît plaisant ! moi qui les trois quarts dé ma vie n'ai rasé qué des officiers.
LE CAPUCIN, le fixant.
Effectivement, je crois vous reconnaître.
BRILLANT.
Pas possible.
LE CAPUCIN.
Vous avez été militaire ?
BRILLANT.
Dans l'âme !
LE CAPUCIN.
Vous avez été fourrier dans le régiment de Languedoc-dragons ?
BRILLANT, d'un ton avantageux.
Douze ans, avec honnur !
LE CAPUCIN.
Peut-être ?
BRILLANT.
Point dé doutes. La rénommée vole, et peut puvlier mes velles actions.
LE CAPUCIN.
Vous avez déserté.
BRILLANT, reste stupéfait de surprise.
(À part.) Oh ! c'est le diable ! (Haut.) C'est qué jé n'étais pas content.
LE CAPUCIN.
Vous deviez deux cents francs à votre capitaine, quand vous êtes parti ?
BRILLANT, à part.
Il est sorcier ! (Haut.) Jé l'avais ouvlié, mais jé né lé nie point. On né sait cé qu'il est dévénu, car sans quoi il y a longtemps qué jé sérais liquidé. Une vagatelle commé ça né vaut pas la peine… Avez-vous lé don dé déviner ?
CAPUCIN.
Non, mais celui de me ressouvenir. (Avec une voix forte.) Me reconnais-tu, Brillant ?
BRILLANT, l'examinant.
Jé mé donne au diable si je vous remets ! Votre nom ?
LE CAPUCIN.
Dorsainville.
BRILLANT.
Sandis ! vous êtes mon capitaine !
LE CAPUCIN.
C'est moi-même.
BRILLANT.
Mon capitaine, jé vous demande pardon.
LE CAPUCIN.
Et moi, je vous demande mon argent.
BRILLANT.
Jé né suis pas dans la possibilité pour lé moment ; ma parole, jé né lé puis pas.
LE CAPUCIN.
Il ne fallait donc pas faire l'insolent.
BRILLANT.
J'avais dé l'humur ; jé né savais à qui jé parlais ; cé costume m'a trompé,
LE CAPUCIN, le prenant par la main et l'amenant au bord du théâtre.
Le vrai moyen de ne se point tromper, c'est de ne manquer à personne.
BRILLANT.
Mon capitaine, jé suis pauvre, mais j'ai dé la probité ; et pour vous lé prouver, soixante francs font toute ma fortune ; si vous en avez vésoin, jé vous les olfre en à-compte dé ce que jé vous dois. (Il lui présente la bourse que Marguerite lui a donnée.)
LE CAPUCIN, avec effusion.
Bien, mon ami, bien ! tu es honnête homme, et cela me suftit. Ta bonne volonté me charme ! J'ai pitié de ta misère ; apprends à ton tour à compatir à celle des infortunés.
BPlILLANT, au comble de la joie, et remettant la bourse dans sa poche.
Ah ! mon cher capitaine, jé réconnais votre bon cur ! et ma réconnaissance séra sans vornes.
LE CAPUCIN.
Finissons. J'ai besoin de toi.
BRILLANT, avec enthousiasme et rapidement.
Vous avez vésoin dé moi ? parlez : dans lé feu dans l'eau, dans l'air, à pied, à cheval, jé suis tout à votre disposition.
CAPUCIN, lui donnant une bourse.
Voilà de l'argent. Je veux quitter ce froc ; ici, ou ailleurs, il faut m'avoir un habit.
BRILLANT, rêvant.
Où diantre trouver céla ?… Oh ! jé mé rappelle !… J'ai achété le vutin d'un officier, et jé vous lé céderai. (Le toisant des yeux.) Jé suis certain qué cet accoutrément vous ira.
LE CAPUCIN.
Fort bien. Va me le chercher.
BRILLANT.
Venez dans ma chamvre, au n° 14, et vous y trouvérez le vagage.
LE CAPUCIN.
Surtout, garde-moi le secret.
BRILLANT, d'un ton important.
Jé vous lé jure, foi dé Gascon ! — Ah ! Jé vais préparer votre toilette. (Il revientavec un air soumis et dit humblement.) Mon capitaine, vous mé pardonnez mes pétites frédaines ?
LE CAPUCIN.
Va, je connais la religion naturelle qui dit au cœur de l'homme d'étre tolérant. J'oublie tes offenses, et je te fais remise de ce dont tu m'es redevable.
BRILLANT.
Si tous ceux à qui jé dois savaient cette réligion comme vous, jé sérais moins tourmenté, et mes dettes vientôt payées. Mes créanciers dévraient l'apprendre ; quelques mois dé votre théologie né leur féraient pas grand tort, et mé feraient grand vien.
LE CAPUCIN.
Va donc, et ne perds point de temps.
BRILLANT.
Jé vole ! (Il sort en courant et s'arrête au fond du théâtre en voyant le portefeuile ; il le ramasse et l'apporte au Capucin.) Quel est cé porte-feuille ? Est-ce à vous, mon capitaine ?
LE CAPUCIN, prend le porte-feuille, le regarde et lit sur le dessus.
« J'appartiens à monsieur Rochemont,, clerc de procureur à Fréjus. » — La découverte est unique ! J'aurais juré que ce jeune homme n'était pas officier.
BRILLANT.
Et moi dé même ! — En France, quand il s'agit dé l'honnur, l'épée des militaires né tient pas dans lé fourreau ! — Donnez lé porte-feuille, jé lé lui remettrai. — Ah ! pétit cadédis, memvre dé la chicane, jé té férai payer les frais dé notre procédure.
II, 17 – LE CAPUCIN, seul.
LE CAPUCIN.
Enfin je vais quitter cet affreux vêtement !… Quel heureux coup du sort ! en un même jour, je revois mon épouse, mes enfants, et peut-être un frère que j'ai tendrement aimé ! — Julie… adorable Julie ! je fus l'auteur de tes maux, et je serai celui de ton bonheur ! — Le tableau de ses infortunes a pénétré mon âme. À quoi l'avais-je réduite, ô ciel ! Aveuglée par le désespoir… au bord du fleuve… si elle savait ?… À mon retour, son tombeau aurait été le mien. — Souvenirs cruels, cessez de me tourmenter : c'est peu de se repentir, il faut réparer. Remords, sortez de mon cœur ! L'honneur parle, la nature et la vertu vont triompher.
Acte III
III, 1 – BRILLANT, MARGUERITE.
MARGUERITE, entre en colère, suivie de Brillant.
Ah ! si je trouve ici ce damné Capucin, nous allons voir beau jeu !… Il n'y est pas, tant pis.
BRILLANT.
Jé vous conjure madémoiselle Marguerite…
MARGUERITE.
Comment ! se battre à l'épée dans une maison respectable ? Les cavaliers viennent d'arriver, ce jeune officier a porté plainte, et cela ira mal pour le Capucin.
BRILLANT.
Peut-être ? il n'a pas tort ; il m'a confié des choses étonnantes, et vous verrez des événements qui vous surprendront.
MARGUERITE.
Je ne vous écoute pas. Et quel est ce militaire avec qui vous causiez ?
BRILLANT.
Jé né puis vous lé dire.
MARGUERITE, d'un ton absolu.
Je veux le savoir.
BRILLANT.
Céla né sé peut.
MARGUERITE, en colère, et frappant du pied.
Je le veux, je le veux, vous dis-je.
BRILLANT, impatienté.
Sandis ! vous êtes la plus curieuse fémelle dé l'univers ! Non, vous né lé saurez pas.
MARGUERITE
Et qui vous engage à garder ce secret ?
BRILLANT, avec dignité.
J'ai donné ma parole d'honnur !
MARGUERITE, calmée.
Ah ! c'est différent. Je n'ai qu'entrevu ce capitaine, mais il a bonne mine, et il vous a donné une bourse ?
BRILLANT.
Assurément.
MARGUERITE.
Il est bien généreux !
BRILLANT, d'un ton avantageux.
C'est la récompense dé mon mérite !
MARGUERITE, brusquement.
C'est plus que vous ne valez.
BRILLANT, s'approchant d'elle.
Ah ! friponne, votre vouche trahit votre cur.
MARGUERITE.
Ce Gascon a une prévention insupportable ! (Durement en tendant la main.) Mes vingt écus.
BRILLANT, tirant la bourse.
Vous m'avez ovligé générusement, jé m'acquitte avec réconnaissance. (Il lui donne la bourse.) Gardez cette vourse, car j'espère qué votre pétit trésor sera vientôt uni au mien.
MARGUERITE, mettant la bourse dans sa poche.
Pas sitôt.
BRILLANT.
Jé mure si vous différez ! Faites vos réflexions.
MARGUERITE, d'un ton mignard.
Elles sont toutes faites, mauvais garnement ; vous savez bien que… Voilà cet officier, il est libéral, faisons-lui politesse.
III, 2 – BRILLANT, MARGUERITE, DORSAINVILLE aîné, DORSAINVILLE cadet.
DORSAINVILLE aîné.
Brillant, laisse-nous.
BRILLANT, ôtant son chapeau.
Jé mé rétire (Il sort en faisant signe à Marguerite de le suivre ; elle lui répond aussi par signe qu'elle veut parler à Dorsainville aîné.)
III, 3 – MARGUERITE, DORSAINVILLE aîné, DORSAINVILLE cadet.
MARGUERITE, faisant de petites révérences.
Monsieur veut-il loger ici ?
DORSAINVILLE aîné, faisant la grosse voix et prenant un ton brusque.
Oui.
MARGUERITE, faisant l'agréable et parlant très vite.
Monsieur, nous vous recevrons avec plaisir, et vous nous faites beaucoup d'honneur. Comptez, Monsieur, sur mes soins, mon zèle, mes attentions ; enfin sur tout ce qui dépendra de moi pour voyre service.
DORSAINVILLE aîné.
Je le crois, vous êtes si honnête !
MARGUERITE, toujours vivement.
Je ne fais que mon devoir ; tous les étrangers se louent de ma politesse, et j'espère que Monsieur à son tout me rendra justice.
DORSAINVILLE aîné.
Oh ! je vous l'ai déjà rendue.
MARGUERITTE, rapidement.
Très obligé, Monsieur, ne vous gênez pas, commandez hardiment, et vous serez servi avec ponctualité. (À part.) Il y a plaisir de servir un aimable cavalier comme ça, et non pas ce vilain Capucin. (Dorsainville aîné lui fait signe de s'en aller.) Votre très humble, Messieurs ! (en s'en allant.) Je ne sais, mais cette figure ne m'est point inconnue. (Elle sort.)
III, 4 – DORSAINVILLE aîné, DORSAINVILLE cadet.
DORSAINVILLE aîné
Nous serons plus tranquilles ici, achevons notre conversation.
DORSAINVILLE cadet.
Mon frère, je rougis de ma conduite passée. Croyant que vous n'existiez plus, et cédant aux mauvais conseils j'allais vendre votre terre, et…
DORSAINVILLE aîné.
N'en parlons plus, et songeons au plus pressé. Il faut t'acquitter envers tes créanciers.
DORSAINVILLE cadet.
Je n'en ai plus les moyens.
DORSAINVILLE aîné.
Ton patrimoine est dissipé ?
DORSAINVILLE cadet.
Tout à fait.
DORSAINVILLE aîné.
Le mien est-il entier ?
DORSAINVILLE cadet.
Oui, vous pouvez compter sur cinquante mille livres de rente.
DO RSAINVILLE aîné, avec joie.
Je. pourrai donc faire des heureux ! — Ami, tu ne sentiras pas la misère.
DORSAINVILLE cadet, le pressant dans ses bras.
Mon cher frère !
DORSAINVILLE aîné.
Laissons cela. Je suis charmé de t'avoir rencontré pour t'obliger et te prier de ma noce.
DORSAINVILLE cadet.
Après ce que vous m'avez dit, madame Desbois mérite bien le sort que vous lui destinez.
DORSAINVILLE aîné.
Fasse le ciel qu'elle veuille me pardonner ! (On entend un grand bruit derrière le théâtre.)
DORSAINVILLE cadet.
Que signifie ce bruit ?
III, 5 – DORSAINVILLE aîné, DORSAINVILLE cadet, ROCHEMONT, L'EXEMPT, BRILLANT, MARGUERITE, QUATRE CAVALIERS, le sabre à la main.
ROCHEMONT, entrant.
Venez Messieurs, venez ; je vais vous faire trouver cet insolent moine qui m'a fait battre en duel, après m'avoir outragé.
L'EXEMPT, à Marguerite.
Comment, votre maîtresse reçoit chez elle un Capucin qui tire l'épée contre les voyageurs ? C'est un brigand déguisé sans doute ?
DORSAINVILLE aîné, à part.
C'est à moi qu'on en veut.
L'EXEMPT, à Marguerite.
Allez chercher madame Desbois.
MARGUERITE.
J'y vais. (En s'en allant.) La voilà bien avancée avec sa charité.
(Elle sort.)
III, 6 – DORSAINVILLE aîné, DORSAINVILLE cadet, ROCHEMONT, L'EXEMPT, BRILLANT, QUATRE CAVALIERS.
L'EXEMPT, à Rochemont.
Où donc est l'homme que vous avez dénoncé ?
DORSAINVILLE aîné, se présentant.
Le voici. C'est moi qui suis ce Capucin que vous cherchez.
L'EXEMPT.
Encore un déguisement ? (Aux Cavaliers.) Qu'en l'arrête.(Les Cavaliers font un mouvement.)
DORSAINVILLE cadet, mettant l'épée à la main et se plaçant devant son frère.
C'est mon frère, n'avancez pas, ou craignez ma colère !
BRILLANT, tirant l'épée et se mettant devant Dorsainville aîné.
Il est mon bienfaiteur et jé lui fait une muraille dé mon corps.
DORSAINVILLE aîné, prenant le milieu de la scène.
Mes amis, point de rébellion ! Ce messieurs font le dû de leur place. Si je suis criminel, je dois être puni ; si je suis innocent, laissez-moi me justifier. (Dorsainville cadet et Brillant remettent leurs épées.)
L'EXEMPT, à Dorsainville cadet et à Brillant.
Messieurs, il vous sied mal de vous comporter ainsi ; et si la prudence ne me retenait… Mais revenons à l'objet principal. (À Dorsainville aîné.) En vous tout m'est suspect. Pourquoi avez-vous tiré l'épée contre Monsieur ?
DORSAINVILLE aîné.
Pour défendre mes jours, et mon accusateur est le seul coupable.
L'EXEMPT.
Mais pourquoi ce travestissement ? Vous étiez vêtu en moine. Qui êtes-vous ? Où allez-vous ?
DORSAINVILLE aîné, lui donnant son portefeuille.
Voilà ma réponse. Examinez ces papiers, vous verrez qui je je suis. J'attends tout de vos lumières et de votre équité. (L'Exempt prend le portefeuille et lit les papiers. Brillant, pendant le dialogue, est venu se placer derrière Rochemont.)
ROCHEMONT, à part.
Me serais-je trompé ?
BRILLANT, à Rochemont.
Considéravlément ! quand on juge l'homme par son havit, on s'expose à faire de grandes bévues.
DORSAINVILLE aîné, à Rochemont.
Jeune homme, après m'avoir outragé, vous avez eu l'inhumanité d'aller porter plainte contre moi : cela ne fait pas l'éloge de votre cœur.
ROCHEMONT, confus.
J'ignorais…
DORSAINVILLE cadet, à Rochemont.
Vous avez été l'accuser ? (Mettant la main sur la garde de son épée.) Vous mériteriez…
DORSAINVILLE aîné, à son frère.
Point de colère, un dénonciateur ne mérite que le mépris.
BRILLANT.
Mon capitaine, patience, lé cadédis vous a dénoncé, mais chacun aura son tour.
L'EXEMPT, en rendant le portefeuille à Dorsainville aîné.
Monsieur, reprenez votre portefeuille, je suis suffisamment instruit. Vous sortez de l'inquisition,vous avez bien dû souffrir ! (À Rochemont.) Vous, Monsieur, votre accusation est une calomnie, et je rougis de l'avoir écoutée. Quand on a l'audace d'offenser quelqu'un, on ne doit pas avoir la cruauté de le faire punir.
BRILLANT.
Lé portéfeuille dé mon capitaine est vérifié ; voyez mainténant si célui-ci est aussi en règle qué lé sien ? (Il donne le portefeuille à l'Exempt qui le visite à son tour.)
ROCHEMONT.
Mon portefeuille ! je suis perdu.
BRILLANT, montrant Rochemont.
Il change dé coulur !
ROCHEMONT, bas à Brillant.
Dis que tu t'es trompé, je te récompenserai.
BRILLANT.
Point, il est temps qué les malfaiturs et les intrigants soient punis.
L'EXEMPT, après avoir lu.
Monsieur Rochemont clerc de procureur ? Vous êtes l'homme que nous cherchons.
ROCHEMONT, voulant faire bonne contenance.
Monsieur, vous vous trompez, je suis olficier.
BRILLANT.
Oui, du régiment dé l'écritoire.
ROCHEMON T.
Et pourquoi me cherchez-vous ?
L'EXEMPT.
Vous le savez mieux que moi. Est-il possible que vous vous couvriez d'un uniforme respectable pour faire de telles bassesses ?
BRILLANT.
C'est l'aâne coubert dé la peau du lion.
ROCHEMONT.
Quelles sont mes fautes ?
L'EXEMPT.
Cent cinquante louis dérobés à Monsieur votre père, des dettes considérables à payer, et… permettez-moi de taire le reste.
ROCHEMONT.
Monsieur, cela n'est pas.
L'EXEMPT.
J'ai des ordres, je dois exécuter. (Aux Cavaliers.) Reconduisez-le chez son père, il en ordonnera. (À Rochemont.) Remettez-moi votre épée.
BRILLANT.
Elle n'est pas dangéreuse.
ROCHEMONT, donne son épée.
La voici. (À Dorsainville cadet.) L'ami Dorsainviile voudra bien se ressouvenir que nous avons un petit compte à régler.
DORSAINVILLE cadet.
Nous en avons deux. Je vous reverrai bientôt.
L'EXEMPT.
Partez.
ROCHEMONT, aux Cavaliers.
Allons, Messieurs, puisque cela vous amuse, nous ferons la route ensemble. (À Brillant.) Toi, faquin, tu me le paiera.
BRILLANT.
Bon voyage, pétit cadédis ; soubénez-vous du proverve qui dit : à qui mal veut, mal arrive.
(Rochemont sort, suivi des Cavaliers.)
III, 7 – DORSAINVILLE aîné, DORSAINVILLE cadet, L'EXEMPT, BRILLANT.
L'EXEMPT.
Monsieur Dorsainville et Brillant ont été un peu vifs danz cette affaire ; mais pour un frère, pour un bienfaiteur… je crois que j'en aurais fait autant. Le motif fournit l'excuse. (À Dorsainville aîné, en ôtant son chapeau.) Adieu, Monsieur, ne m'en veuillez pas, je vous prie. Je fus l'ami de votre famille, et j'espère que vous voudrez bien me conserver ce titre.
DORSAINVILLE aîné, lui prenant la main.
Je m'honorerai toujours d'être l'ami d'un brave homme tel que vous.
(L'Exempt le salue et sort.)
III, 8 – DORSAINVILLE aîné, DORSAINVILLE cadet, BRILLANT, AUGUSTIN, CHARLOTTE, entrant par la porte du fond.
AUGUSTIN, dans le fond du théâtre.
Ma sœur, viens donc ; on dit qu'on veut arrêter le Capucin.
(Ils descendent en courant, s'arrêtent tout à coup en voyant Dorsainville aîné, et font un cri de surprise. Dorsainville aîné doit être au milieu d'eux.)
LES DEUX ENFANTS, ensemble.
Ah ! (Ils restent immobiles.)
AUGUSTIN, considérant Dorsainville aîné avec la plus grande attention, et s'adressant à sa sœur.
Charlotte ?… Charlotte ?…
CHARLOTTE, émue.
Eh bien !
AUGUSTIN, lui montrant Dorsainville aîné.
Regarde donc.
CHARLOTTE.
Je crois voir…
AUGUSTIN.
Tu ne devines pas ?…
CHARLOTTE, hésitant.
Si… si… Mais je n'ose pas dire…
DORSAINVILLE aîné, à part.
Me reconnaîtraient-ils ?
AUGUSTIN, avec explosion.
Ma sœur, c'est notre bon papa !
DORSAINVILLE, troublé.
Moi ?
CHARLOTTE, avec force.
Plus d'incertitudes ; vous êtes semblable au portrait.
DORSAINVILLE
Mais êtes-vous bien sûrs…
AUGUSTIN.
Oui, bien sûrs ! Vos traits depuis longtemps ayant frappé nos yeux se sont gravés dans nos cœurs. (Dorsainville cache ses larmes avec son mouchoir.)
CHARLOTTE, à genoux.
Vous versez des pleurs ? Ah ! reconnaissez vos pauvres petits enfants.
AUGUSTIN, à genoux.
Tendez-nous les bras, et recevez-nous dans votre sein.
DORSAINVILLE aîné, les relevant, dit avec âme.
Pour toujours ! Enfants infortunés, je vous arrose de mes larmes ; je vous presse contre mon cœur !… Aimez bien votre père, et pardonnez-lui vos malheurs. (Il les embrasse à plusieurs reprises.)
III, 9 – DORSAINVILLE aîné, DORSAINVILLE cadet, BRILLANT, AUGUSTIN, CHARLOTTE, Mme DESBOIS, MARGUERITE.
MARGUERITE, dans le fond, avec Mme Desbois.
Oui, Madame ce Capucin…
Mme DESBOIS, voyant ses enfants dans les bras de leur père.
Que vois-je ? Qui donc embrasse mes enfants ?
LES DEUX ENFANTS, courant à leur mère, en criant de toutes leurs forces.
Maman, voilà notre papa !
Mme DESBOIS, étonnée et troublée.
Que dites-vous ? (Elle descend vivement, voit Dorsainviile aîné, s'arrête tout à coup etjette un grand cri.) Dorsainviile !… Je me meurs… (Elle tombe dans les bras de Marguerite ; Brillant avance un fauteuil vis-à-vis le trou du souffleur, et Marguerite y fait asseoir sa maîtresse, qui reste évanouie.)
LES DEUX ENFANTS, effrayés, allant auprès de leur mère.
Maman ! maman !
DORSAIVILLE aîné.
O mon amie ! reviens à toi ; ce n'est plus Dorsainville ingrat qui se présent à ta vue ; c'est un amant sincère qui vient te supplier de lui donner ta main : ne me la refuse pas. Si je fus égaré, c'est un malheur ; si je fus coupable, tu dois me plaindre ; si je suis vertueux, tu dois me pardonner.
Mme DESBOIS, faible, troublée, et revenant à elle par degré.
Dorsainville !… Vous ?… vous ?… (Elle détourne la tête.) O ciel !… ciel !… (Elle retombe.)
AUGUSTIN, à genoux, en pleurant.
Maman, pardonnez à mon papa.
CHARLOTTE, à genoux.
Ma bonne maman, laissez-vous fléchir ?
Mme DESBOIS, dans le délire, et d'une voix faible.
Je ne puis croire… Non… non. (Elle porte son mouchoir sur ses yeux.)
DORSAINVILLE aîné, avec la plus grande chaleur, et se mettant aux pieds de Mme Desbois.
Vois mon fils et ma fille à tes pieds, qui te demandent l'auteur de leur existence ! Tu n'as pas le droit de le leur reluser. Veux-tu qu'un jour, me reprochant leur naissance, je sois accablé de leur malédiction ? Cède au sentiment, à ma douleur, à mes remords, et que le cri du sang retentisse jusqu'au fond de ton cœur. Si tu n'es plus amante, sois mère ; donne un père à tes enfants ; oublie les erreurs de l'amour, et fais triompher la nature.
Mme DESBOIS, en regardant Dorsainville aîné, dit avec force.
Après tant de cruautés, devrais-je croire à ton repentir ? (Avec douceur, à ses enfants.) Mais vous demandez la grâce de votre père ?
AUGUSTIN.
Oh ! oui, maman, et de tout notre cœur !
Mme DESBOIS.
Il vous la doit. (Elle lui montre ses enfants.) Voilà ton crime… et ton excuse.
DORSAINVILLE aîné.
Tu me pardonnes ?
Mme DESBOIS, lui présentant ses enfants, et se levant.
Tiens, je te rends tes enfants.
DORSAINVILLE aîné, lui tendant les bras.
Et mon épouse ?
Mme DESBOIS, regarde les enfants, et tombe dans les bras de Dorsainville.
Nous sommes inséparables.
DORSAINVILLE aîné, se relevant.
O ma chère Julie ! c'est par le mariage que je dois compléter ma réparation. Quitte ton état, tu n'en as plus besoin. Viens jouir de la tranquillité que de si longs travaux doivent te faire désirer, et que la richesse soit la récompense du mérite et de la vertu.
Mme DESBOIS, lui présentant la main.
Ma main t'appartient. Séparés par l'orgueil, l'amour nous réunit. Je t'ai conservé tes enfants, sois leur tendre père ; mais si tu pouvais encore t'égarer, souviens-toi des adversités de ta pauvre Julie, et des malheurs de l'inconstance.
DORSAINVILLE aîné.
Oh ! toute la vie !… Voici mon frère que je te présente : il sera le tien. (Aux enfants.) Connaissez votre oncle : ayez pour lui du respect et de l'amitié.
BRILLANT, à madame Dubois.
Si Madame voulait, nous pourrions aussi madémoiselle Marguerite et moi…
Mme DESBOIS.
Je le veux bien.
MARGUERITE.
Je consens à vous épouser ; mais me serez-vous fidèle ?
BRILLANT.
Toujours ! jé suis comme lé lierre, jé mure où jé m'attache.
Mme DESBOIS.
Marguerite, voici le moment de m'acquitter. Je vous laisse mon auberge toute garnie pendant cinq ans, et sans aucun intérêt. Ne changez rien à la règle établie envers les pauvres, et s'ils trouvent en vous le même appui qu'ils eurent en moi, je me croirai payée de mon bienfait.
MARGUERITE, hors d'elle-même.
O ma bonne maîtresse ! je ne puis vous exprimer ma reconnaissance ! (À Dorsainville aîné, d'un air confus.) Vous, Monsieur, je vous ai traité si durement que je crains…
DORSAINVILLE aîné.
Vous voyez qu'il ne faut rebuter personne : que cela vous serve de leçon.
MARGUERITE.
Celle-ci est bonne, et je m'en souviendrai.
AUGUSTIN.
Mon papa, Vous resterez toujours avec nous ?
DORSAINVILLE aîné.
Je vous le jure ! (Il prend la main de Mme Desbois.) O ma Julie ! (Il prend ses enfants de l'autre bras.) O mes chers enfants ! Les erreurs de ma jeunesse ont causé vos malheurs ; ils sont finis : fixé à jamais dans le sein d'une famille chérie, je ne m'occuperai que de son bonheur. — Fidèle époux… tendre père… c'est aujourd'hui que je vais mériter ces titres sacrés. — Ah ! s'il est cruel de faire des fautes, il est bien doux de les réparer.
FIN