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MARIE TOUCHET, CHRONIQUE ORLÉANAISE
par J. Lesguillon
Paris, Vimont, 1833

 

I – LA RENTRÉE DU ROI

C'était par une belle matinée d'été. L'an 1569, tout Orléans prenait un air de fête ; il semblait renaître d'un long deuil : les boutiques, qui étaient restées longtemps fermées, se rouvraient, avec prudence pourtant, comme un homme attaqué par des voleurs qu'un bruit soudain a chassés, reprend peu à peu ses sens et ne se croit sauvé qu'à la vue du clocher de son village.
Il fallait qu'il se préparât un grand événement, car à je ne sais quelle rumeur sourde, avant-coureur des solennités, se joignait une allégresse universelle, un mouvement étrange et surtout un empressement général qui témoignait hautement de la sympathie de tous les Orléanais.
Le quartier Saint-Paul, entre autres, se distinguait par le tumulte joyeux de ses habitants, les échanges de poignées de main entre des gens qui, la veille, se seraient égorgés avec joie, et les grands apprêts des bourgeois ou commerçants du marché et de la rue des Carmes. Mais cette manifestation avait lieu surtout autour de la maison du chevalier de Touchet, rue du Tabourg ; les maisons se paraient de fleurs, on étendait sur le devant des boutiques des draps, des couvertures et des tapis de toute sorte, sujets pour la plupart tirés de la mythologie, Diane et Endymion, Jupiter et Léda, Vulcain, Mars et Vénus pris dans un filet, etc. C'est le jour de la fête du Saint-Sacrement : la procession doit passer dans cette rue. À droite de la maison de Touchet, dans une porte-cochère, se dresse un reposoir : de là vient celte grande rivalité entre toutes les demoiselles et les jeunes gens du quartier. Les mamans veillent, les orfèvres prêtent des flambeaux, des ornements d'or et d'argent ; les marchands de toile fournissent des tentures, les tapissiers des dômes de velours ; les marchandes de fleurs parcourent le quartier ; les paysans apportent des brassées de feuillages et de branches vertes. Au milieu de la rue, à gauche, Levé, marchand de draps en gros, à l'enseigne du Soleil levé, est sur le pas de sa porte : il sourit à ce spectacle, il s'approche de Touchet, qui, debout près de sa croisée, regarde avec une sorte de pitié le mouvement du peuple. Levé s'appuie sur la fenêtre et, d'un air moitié malin, moitié naïf :
– Bonjour, bonjour, monsieur de Touchet.. Vous ne tendez, donc pas ? Cependant le bon Dieu va passer.
– C'est pour cela que vous vous mettez aux fenêtres ! Je serais charmé de le voir, le bon Dieu ? Ah ! ah ! et il rit aux éclats.
Le père Levé fut scandalisé de ce blasphème.
– Il ne faut pas parler ainsi, monsieur de Touchet ; cela porte malheur ! vous ferez une mauvaise fin.
– Vous voilà bien tous, avec vos calculs ! Quand je vous dis que votre religion n'est que de l'intérêt.
– Je ne suis pas intéressé, monsieur de Touchet, repartit avec douceur le marchand de draps, qui pardonnait aisément ce qu'on pouvait dire de lui, mais qui ne pardonnait pas les outrages à la religion… Je ne suis pas intéressé Non ! je ne le suis pas : Qu'est ce que je veux ? que mon commerce aille bien, que je marie mes enfants, et me retirer avec une petite fortune dans mes vieux jours : voilà tout ! Mais, avec vos protestants, rien ne va… le commerce languit… Croyez-moi, monsieur de Touchet : il n'est rien de tel que la religion.
– Est-ce que vous croyez que je n'ai pas de religion ?
– Certainement, puisque vous êtes protestant.
– Si je vous expliquais la doctrine que je professe, vous verriez…
– Je ne veux pas vous entendre blasphèmer.. Quand je dis que vous n'avez pas de religion, je sais ce que je dis : ce n'est pas à vous à me contredire, à un protestant.
– Vous abusez bien de vos avantages… Parce que le roi a consenti…
– Comment pouvez-vous ne pas croire à une religion telle que la nôtre ? Avez-vous de grandes cérémonies comme la procession qui va avoir lieu ? Vous verrez tous ces prêtres avec leurs beaux surplis ; il y aura, par parenthèse, mon cousin, l'abbé Levé, curé de Saint-Pierre-en-Pont, qui fait mon piquet tous les dimanches… Et le dais ! quelle belle étoffe ! c'est moi qui ai vendu le velours… la fabrique se fournit dans mon magasin… Et puis les encensoirs, les jeunes filles qui jettent des fleurs… Et la musique de la ville… et les autorités… Allez, monsieur de Touchet, un homme qui ne croit pas à tout cela est bien coupable !
– Ce sont des pompes païennes !
– Païennes !….. qu'est ce que cela veut dire ? Expliquez-vous…. païennes ?…
– Catholiques, je veux dire. Et il souriait avec malice.
– Ah ! j'entends… Le roi y sera, il suivra le dais.
– On le mettra peut-être dessous.
– Pourquoi pas ?… puisqu'il est le fils aîné de l'Église ?…
– Cela ne me fait rien ; mais je sais bien que je ne veux pas contribuer à la fête… Je ne mettrai pas de tapisseries.
– Vous aurez tort… Il ne faut pas s'attirer de mauvaises affaires.
– Je m'en moque bien. Il viendrait toute la ville que je n'en démordrais pas…
– Ne parlez pas comme cela , vous me feriez du tort.
Touchet aurait sans doute longtemps fait le brave ; mais, au détour de la Vieille-Poterie, il vit paraître maître Gautier, et son esprit l'abandonna avec son courage.
Maître Gautier tenait à la main son bâton ferré ; et l'un et l'autre se retrouveront peut-être dans la suite de cette histoire.
– Ah çà ! dit-il d'une voix qui retentit plus haut que la cloche de Saint-Paul : Ah çà ! est-ce qu'on ne tend pas le devant des maisons, ici ?… Touchet, tu es en retard, chien de protestant !
– Si fait, si fait, monsieur Gautier, j'y vais : ne vous fâchez, pas, répondit Touchet avec autant de grâce qu'il lui fut possible. Et il rentra dans l'intérieur de sa maison en appelant Marie.
Levé, à l'apparition de Gautier, avait eu un moment de frayeur ; mais il se remit bientôt : il se rappela qu'il était catholique.
– Monsieur Gautier, lui dit-il, regardez donc ma maison…
– Bravo, répliqua l'homme au bâton ferré, voilà de la religion, père Levé. À propos, j'aurai besoin de drap pour mon hiver.
– Quand vous voudrez, monsieur Gautier ; vous n'avez qu'à nous rendre visite.
– Vous me verrez à la procession.
– Avec plaisir, monsieur Gautier.
Ils se serrèrent la main : Levé rentra chez lui et Gautier continua son chemin du côté de la rue de Bourgogne ; au même instant, à la porte de la maison, parurent Touchet et Marie, portant une tapisserie. Ils étaient aidés dans cette opération par leur valet Thibaut, qui s'en mêlait à contre coeur et marmottait entre ses dents :
– C'est bien la peine, pour ces gueux de catholiques.
Touchet regarda si on l'avait entendu.
– Pas si haut ; la fenêtre est ouverte, on pourrait entendre. Ne va pas faire piller la maison.
– J'aimerais mieux me voir assommer sur la place que de céder d'un quart de semelle, murmura Thibaut.
– Écoute donc, moi aussi ; mais je tiens à ce que j'ai ; cela ne m'empêche pas de me croire aussi bon protestant que toi.
Thibaut monta sur une échelle pour attacher la tapisserie. Au même instant, Gautier, de retour, passa devant la maison ; il plaisanta Touchet sur sa docilité.
– À la bonne heure ! c'est bien heureux ! Voilà votre maison tendue. Tu peux descendre, toi, l'ouvrage est fait.
Et sans affectation, il donne un coup de son bâton à l'échelle, qui chancelle et tombe à terre. Des éclats de rire partirent de tous les côtés de la rue. Thibaut se relève avec peine et en boitant ; il rentre en murmurant :
– Je savais bien que le bon Dieu nous punirait.
On entendit dans le lointain des cloches et le beffroi de la tour de ville qui sonnaient lentement.
– C'est le signal de la procession ; rentrons, cria Touchet, fermons les yeux à cette pompe de Satan. Marie, tu pousseras les volets du rez de-chaussée.
– Oui, mon père.
Et Marie, après avoir fermé les volets du rez-de-chaussée, courut bien vite se poster à la croisée du premier étage, pour voir la cérémonie.
Tout est fermé chez Touchet ; seulement, de temps en temps, on voit paraître à la croisée du premier la tête de Marie, qui se cache aussitôt. Cependant une rumeur sourde s'approche avec un bruit de tambours, qui s'interrompt pour laisser entendre la musique ; bientôt, du bout de la rue de Bourgogne, une bannière s'avance : c'est la procession. Elle marche majestueusement ; en tête est la milice bourgeoise, de chaque côté, sur une file, se suivent les soldats de la garnison et du fort de Charles IX. Gautier vient ensuite à la tête de ses cinquanteniers ; Michot est près de lui ; derrière eux marchent Sypierre, les lieutenants Tripaut et Duplaix, les échevins, les magistrats, messieurs de ville, les chefs des diverses corporations, et tout le clergé officiant, parmi lequel est Descomtes de la Clémendière ; enfin, le dais : les cordons en sont portés par le président de la cour royale, le commandant de la milice bourgeoise, le prévôt des marchands, le commandant de la place. Charles IX est sous le dais ; il est à côté de l'évêque d'Orléans, Masson de Morvilliers, qui soutient le soleil d'or ; derrière le dais est la maréchaussée à pied et à cheval, qui contient la foule du peuple. Les cris de la multitude, les chants des prêtres, les acclamations de Vive le roi se mêlent, se confondent. Les jeunes filles jettent des fleurs ; elles s'approchent du dais, et chacune tâche d'attirer sur elle les regards du roi. La procession a défilé par la rue du Tabourg et détourné par le marché. Le dais stationne vis-à-vis la maison de Touchet ; l'évêque prend le saint-sacrement, monte au reposoir et le place devant le tabernacle, pendant que l'on chante le répons. Le roi regarde nonchalamment autour de lui : soudain il lève les yeux, et voit Marie qui est toute entière à ce spectacle.
– Dieu ! quelle jolie personne ! dit-il à Tavannes, qui marche à côté de lui ; Tavannes, que dis-tu de celle-là ?
– Je n'ai jamais rien vu de si gracieux ; elle ressemble à la Vierge de Saint-Germain-l'Auxerrois.
– C'est donc pour cela que ses regards m'ont pénétré jusqu'au fond du coeur.
Et Charles appuyait la main sur sa poitrine ; il regardait Marie avec ivresse et Marie, baissant modestement les yeux, se disait tout bas :
– Mais il me semble que le roi me regarde.
Le répons fini, l'évêque donne la bénédiction au peuple : le roi s'agenouille comme tout le monde ; mais, en s'appuyant sur le dais, il regarde Marie qui, pendant la bénédiction, ne courbe pas la tête.
– Elle ne baisse pas la tête ! elle est donc protestante ? Tavannes, retiens bien la maison ; je veux y revenir… Par Dieu ! la belle, si vous êtes huguenote, je me chargerai de votre conversion.
L'évêque est venu reprendre sa place ; la procession se remet en marche. Charles IX, en s'éloignant, adresse à Marie un salut gracieux.
Marie le lui rend avec surprise et joie.
– C'est moi qu'il salue ; il est mieux que M. de Gyvès.
La procession disparaît et la foule s'efface peu à peu avec le bruit. Marie rentre dans la maison ; Thibaut détache la tapisserie et Touchet, qui était allé se cacher pour ne pas voir la cérémonie, revient trouver sa fille. Elle était à la même place, pensive ; elle ne le vit point : il l'écouta.
– Je ne sais, se disait-elle, cette, pompe, cet appareil religieux… Je sens-là je ne sais quoi.
Elle mit la main sur son coeur.
– Le roi a beaucoup regardé du côté de notre maison.
– Ah ! tu crois ? lui dit Touchet ; et elle tressaillit ; il aura peut-être été content…
– Content… de quoi ? de la tapisserie… (elle sourit),
– Dame ! que veux-tu ? Qu'est-ce que cela me fait après tout ?… pourtant cela me fait plaisir…
Et il riait sans trop se comprendre. Thibaut vint le prier de l'aider à replacer la tenture ; il sortit, et Marie resta seule. Un moment, elle s'assied, puis elle se lève, se promène ; elle se met à la fenêtre, regarde longtemps la place où Charles s'est arrêté ; elle prend un livre, en lit quelques pages, le remet sur la table, essaie de broder, va et vient de la fenêtre de la rue à sa chambre ; enfin, au milieu de cette inquiétude dont elle ne peut se rendre compte, arrive la nuit.
– Comme le temps passe vite ! dit-elle… C'était la première fois qu'elle faisait une telle remarque… Pourtant il me semble qu'il n'y a qu'un instant qu'il était là… C'est étonnant ; il n'a pas l'air faux et dissimulé comme on dit ; son sourire est doux, quoique mélancolique ; il a plutôt l'air triste que méchant…
Touchet revint ; elle ne le vit pas encore, il n'y conçut rien… Mais, en bon père, il crut devoir lui donner de sages avis.
– Toujours à rêvasser : je pense bien que ce n'est pas sur la religion… Est-ce que par hasard la procession du saint-sacrement t'aurait inspiré des idées ?… Ma fille, dit-il d'un air sérieux, j'espère que tu ne songes pas à trahir ta foi. Quand on a été bien élevée, on a de la religion ou l'on n'en a pas , c'est clair : c'est pour cela qu'il faut en avoir. Intérêt , menaces, craintes, rien ne doit nous détourner de notre croyance ; il vaut mieux souffrir le martyre que d'abjurer. Suis toujours mon exemple, et n'oublie jamais les leçons de ton vertueux père ! Et voilà qu'il s'attendrit lui-même à sa propre éloquence ; soudain, essuyant ses larmes :
– Dis donc, Marie, dépêche-toi vite d'arranger une table et des cartes : voilà le moment où M. de Gyvès doit venir avec son fils ; nous jouerons une petite partie de macao, et nous nous réjouirons un moment dans le Seigneur.
– J'y vais veiller, mon père.
Elle n'avait pas encore tout disposé, lorsque Gyvès père et son fils arrivèrent.
– Bonsoir, monsieur de Touchet, bonsoir Marie, leur dit avec tristesse ce digne et respectable échevin : je viens surtout pour nous consoler ensemble du spectacle impur qui a souillé cette rue. Les Philistins ont étalé leurs faux dieux, et Israël a promené le veau d'or.
– J'ai trouvé la procession fort belle, riposta Marie.
– Que vous êtes futile, Marie !
Ce reproche de Gyvès fils arriva assez maladroitement ; il excita l'humeur de Marie, qui prit un petit air piqué, et lui répliqua avec aigreur :
– Comment ! vous me sermonnez déjà, monsieur de Gyvès ? Attendez donc que nous soyons mariés.
– Cela ne tardera pas, mes enfants, prenez patience. Et Touchet regardait avec joie les deux jeunes gens ; Marie revint la première, et s'approchant de Gyvès :
– Vous nous boudez, c'est mal… Voyons, mon ami, pas de rancune ; soyez bon chétien !
– Au nom du ciel, Marie, s'écria Jacques avec effroi, ne plaisantez pas avec ces choses là !…
– Vous avez tort, ajouta Gyvès fils : de la légèreté on passe à la tiédeur, et de la tiédeur à la mort de l'âme, la plus affreuse de toutes les morts.
– C'est vrai.., pensa Touchet, qui en sentait au fond du cœur toute la vérité. Laissons cela. Et si vous désirez faire une petite partie, prenez place.
On s'assied. Quelque-temps après entrent madame de Coligny et le chancelier Groslot, bailli d'Orléans.
– Eh bien, chancelier ! quoi de nouveau ?
– J'ai eu l'honneur de causer un moment avec le roi ; il m'a témoigné beaucoup d'affection.
– M. l'Amiral m'a écrit, ajouta madame de Coligny, qu'il croyait les troubles finis, et qu'il bénissait le ciel qui arrêtait enfin l'effusion du sang français.
– C'est au roi que nous devons cette paix, observa Marie, qui, avant la procession, ne s'était jamais permis un mot de politique.
– C'est un piège qu'il nous dresse sans doute ; il est si dissimulé, dit Gyvès.
– Je ne lui trouve pourtant pas cet air-là.
– Il paraît, Marie, que vous l'avez bien examiné.
– Il ne lui manquait plus que d'être jaloux ! En vérité, je ne sais pas pourquoi il me déplaît tant aujourd'hui.
La soirée continua ainsi, moitié aigre, moitié triste : insignifiante, comme toutes les soirées où l'on joue. Au milieu d'un coup, le chancelier, pour annoncer son jeu, ayant dit : le Roi ! Marie se levant tout-à-coup : le Roi ! dit-elle, et soudain elle se rassit en murmurant : Quelle faute !
À partir de ce moment, le jeu languit avec la conversation. Madame de Coligny, qui souvent avait causé bas avec le chancelier, salua la société et sortit avec lui. Gyvès, quelque temps après, se disposa à l'imiter.
– Eh bien ! à quand le contrat, père Gyvès ? dit Touchet.
– Monsieur de Touchet, il faut attendre que tout soit pacifié, répondit Jacques ; il n'est pas d'un chrétien de se livrer à la joie quand la religion souffre. Ils sortirent.
– Voilà ce que tu gagnes avec tes réflexions, dit Touchet à sa fille, un quart d'heure après leur départ : je suis sûr que voilà un mariage manqué.
– Peu m'importe ! mon père.
– Bah !…
Cette interjection exprimait un grand étonnement : il eût peut-être réussi à s'en rendre compte si, dans ce moment, on n'eut assez vivement frappé à la porte de la rue.
Thibaut, qui venait d'ouvrir, accourut tout effaré, et annonça la visite de deux seigneurs habillés d'or et de soie. Ils entrèrent. Le plus richement vêtu ouvrit son manteau et salua très respectueusement.
Marie poussa un cri ; Touchet crut qu'elle s'évanouissait : il n'eut que le temps de lui donner un siège, et lui-même resta immobile d'étonnement et de bonheur.
Ainsi que sa fille, il avait de suite reconnu l'étranger.

II– LA VACHE À COLAS

Une ville antique s'élève au nord de la Loire, sur la rive gauche du fleuve : elle semble descendre avec calme du haut d'un coteau ; la pente en est douce et facile ; elle s'avance avec majesté vers le sud et offre un amphithéâtre d'où surgissent les clochers gothiques de Saint-Paul, de Notre-Dame-de-Recouvrance, la basilique de Saint-Aignan et les tours délicates et frêles de Sainte-Croix, la cathédrale.
À la tête du pont, du côté de la Sologne, voyez, comme deux géants, s'élancer, côte à côte et immobiles, ces deux tourelles ! Demandez-leur quels grands combats elles ont vus, demandez leur quelle gloire leur a donné cette imposante fierté… Ah ! nos échos n'ont gardé qu'un nom ; mais le retentissement de ce nom a chassé bien loin l'étranger ! Les Anglais disparaissaient devant lui comme devant l'ange exterminateur, et ce nom d'éternelle mémoire, nos enfants, bercés au bruit de nos victoires nationales, vous l'apprendront : c'est la pucelle !…
C'est là que notre jeune héroïne disait à Dunois :
– Avez-vous vos éperons ?
– Pourquoi, Jeanne ?
– Parce que les Anglais fuiront devant nous.
Le second coup de vêpres a sonné ; on attend le tintement de la petite cloche, après lequel il n'est plus permis de tarder une minute. Nous écouterons un fragment de conversation entre Gautier, avec qui nous avons déjà entamé connaissance, quelques voisins moins connus et Michot son cousin. L'entretien a lieu dans un cabaret de la rue de la Barillerie, qui aboutit au cloître Saint-Samson. Au coin est une boutique ; au-dessus est écrit : Michot, charcutier, et vis à vis, Gautier marchand boucher. La femme de Michot est à son comptoir.
GAUTIER. C'est en Allemagne que l'hérésie a commencé. C'est Luther qui a insulté le pape, et le pape l'a excommunié. C'est bien juste ! voilà qui lui apprendra à ne pas respecter notre saint père.
MICHOT. On dit qu'il a tué sa femme, deux enfants et un prêtre qui lui avait donné de quoi vivre pendant son séminaire.
GAUTIER. Ce qu'il y a de plus désolant, c'est que son caporal est un nommé Calvin, qui a étudié ici à l'université d'Orléans. Il y a aussi Théodore de Bèze.
ROBINET. Je leur conseille de se mêler de la religion : ils devraient bien plutôt me payer les chaussures qu'ils me doivent.
MICHOT. Voilà les gens qui veulent causer du tort à la sainte Église !
GAUTIER. Ils peuvent se vanter de lui en causer du tort, les scélérats ! La moitié d'Orléans au moins est de ce parti là. Pour mon compte, j'en connais, et pas de la canaille seulement, des bourgeois, des nobles, des échevins…
MICHOT. Quelle désolation !..
GAUTIER. C'est à nous de nous tenir ferme ! de mourir plutôt que d'abjurer !…
TOUS. — Certainement !…
La cloche de Sainte-Croix tinte.
GAUTIER. — Ah ! voilà vêpres qui va commencer : allons prier le bon Dieu.
Ils sortent et se quittent, avec douleur.
C'est qu'en effet, depuis l'arrivée du ministre protestant Toussaint, une conférence secrète, tenue chez M. d'Alibert, dans le marché à la Volaille, vis-à-vis l'église de Saint-Hilaire, a porté ses fruits : la religion nouvelle a pris un grand accroissement ; les échevins, les juges, les négociants, les hommes de loi ont en partie adopté cette religion, qui leur semble plus simple et plus pure : il n'y a pas la moitié de la ville, comme le dit Gautier, mais le nombre des protestants est très considérable ; il menace de s'accroître encore davantage. Les douze échevins même sont protestants ; et les catholiques, pour contrebalancer leur pouvoir, leur en adjoignent douze de leur communion. Une espèce de tolérance leur laisse toutes les facilités pour se communiquer. L'esprit de prosélitisme, naturel aux institutions qui commencent, est surtout le caractère distinctif des religionnaires ; ils ont tellement avancé leurs affaires, ils ont tant de crédit qu'en 1561 ils obtiennent le droit de célébrer le premier exercice de leur religion dans l'église des Carmes ; mais, cette espèce de profanation ayant excité le courroux du peuple, quelque temps après le monastère fut pillé.
Au milieu des querelles particulières, des rencontres et des combats entre bourgeois et peuple, soit en armes, soit désarmés, la religion protestante prend une altitude menaçante. Orléans, boulevart de la France contre les étrangers, fut une des villes qu'elle choisit pour asile et pour rempart. Déjà les scènes graves qui s'y étaient passées semblaient inviter la Réforme à venir y chercher retraite. Dans les commencements de la religion, ou avait fermé les yeux ; on ne les ouvrit que lors qu'il était inutile.
Quelques traits isolés et authentiques suffiront sans doute pour donner une juste idée de la position politique du pays.
On était au dimanche de Pâques ; à la ferveur religieuse se joignait celle d'une époque où l'âme se renouvelle ; les églises d'Orléans et des faubourgs, assez, nombreuses pourtant, étaient pleines ; les protestants seuls ne prenaient point part à l'allégresse générale. Tristes, silencieux, ils passaient la journée en prières dans leurs maisons : leur retraite les exposait, de la part des catholiques, à mille accusations, plus absurdes les unes que les au tres, de sorcellerie et de magie.
Colas Pannier, vigneron, demeurant faubourg Bourgogne, près de l'Orbette, qui avait, un des premiers, adopté la reforme, était, avec ses parents, renfermé dans sa maison, veillant à son intérieur. Tout à coup une vache blanche et noire, qu'il aimait comme un enfant, s'échappe ; dans un accès de gaîté, elle court à travers champs ; il la suit : elle court, il la poursuit ; elle redouble d'activité, traverse les venelles, arrive à l'église, entre dans le cimetière : Colas l'y atteint… Il en ferme la porte , s'approche d'elle et s'apprête à la saisir. Épouvantée, la belle fugitive se précipite sur la porte, la brise, avance, et la voilà d'un bond au milieu de l'église. Vous voyez d'ici l'effroi, les cris des femmes, des enfants, la colère des prêtres troublés dans le plus sérieux de leur cérémonie ! Bientôt la peur fait place au courroux ; la foule des hommes s'arme de bâtons, de chaises, de tout ce que l'église enfin peut fournir d'instrumens à la vengeance : on tombe sur la pauvre vache à Colas, qui peut à grand peine éviter le sort de sa bête chérie. On l'accuse d'avoir traîtreusement poussé sa vache dans l'église pour outrager la religion. Il se défend, on riposte ; ses amis le soutiennent : querelle immense que l'intervention des autorités peut à peine assoupir ! La colère s'apaisa enfin ; mais l'événement laissa un proverbe monumental : Tu es de la vache à Colas fut long-temps, à Orléans, un reproche adroit, l'expression fine d'un soupçon d'hérésie ; le proverbe s'étendit plus loin, il alla même à la Cour ; bientôt ce fut une phrase bannale qui conserva le même sens, sans en rappeler l'origine : elle devint proverbe.
Le trente juillet 1562, les protestants, excités par quelques-uns de leurs chefs, s'emparèrent de Rigaut, curé de Saint-Paterne, inquisiteur de la foi, et le pendirent sur la grande place du Martroy : son corps fut porté et inhumé, par le bourreau, dans la chapelle de Notre-Dame-des-Aides, faubourg Bannier, sur la route de Paris. Touchet, qui se prétendait dévoué à la vengeance du parlement, fut un des acteurs de cette tragédie. La cause de la mort de ce curé fut, dit-on, que le parlement avait dressé une liste des protestants les plus forcenés, et que le curé de Saint-Paterne devait présider l'exécution de cet arrêt. Le chirurgien Desnoeuds fit cette épigramme, qui fut affichée au-dessus de la tête du pendu :

Inquisiteur damné du diable,
Pour terminer tous nos débats,
Tu n'as qu'à t'enquérir là-bas
Laquelle est la foi véritable.

Cependant des armées étaient en campagne ; les protestants, devenus une puissance, enhardis par des succès, recrutaient les mécontents ou les fidèles, et faisaient trembler la royauté. Le prince de Condé leur avait prêté, en se joignant à eux, l'appui de son nom et de ses talents militaires. Le 2 novembre 1562, il s'empare d'Orléans, loge dans une grande maison de la place de l'Étape, non loin des Dominicains, là même où il avait été retenu prisonnier par François II, en 1560. Il établit dans Orléans son quartier général. Les Calvinistes, devenus insolents par leur position, rendent aux catholiques toutes les persécutions qu'ils en avaient reçues. Sachant qu'on ne les laisserait pas maîtres longtemps d'une place aussi forte, aussi bien située, ils commencent par abattre le toit de la Tour-Neuve, près du pont, sur le bord de la Loire, et scellent des canons sur la plate-forme ; ils pillent, dévastent et ravagent, à diverses époques, les églises Saint-Donatien, Saint-Éloy, Saint-Euverte, et mettent leurs chevaux dans le chœur : Saint-Jean-l'Évangéliste, Saint-Loup, monastère de religieuses bâti sur la colline de ce nom, vis-à-vis l'île qui est au milieu de la Loire, au-dessus du pont ; ils forcent les religieuses de boire avec eux dans les vases sacrés, et laissent les saintes femmes dans un état d'ivresse parfait ; ils ravagent Saint-Marc, Saint-Paterne, en déchirent les registres et les jettent au feu, au milieu des cris de joie : Saint-Paul, Saint-Pierre Ensentelée et Saint-Pierre-le-Puellier, où le Christ avait, dit-on, versé des larmes de sang sur les progrès de l'hérésie, fait attesté par un enfant de chœur et la domestique du curé. L'argenterie de la plupart des églises fut portée dans la Tour-Neuve, d'où le prince de Gondé la fit enlever après inventaire pour en battre monnaie.
Dans une de ces excursions sur le domaine des églises catholiques, les protestants emportèrent de la chapelle Saint-Jacques, au bas de la rue Sainte-Catherine, les statues de Louis XI et de Louis XII, les brisèrent et les traînèrent à la rivière. Une femme papiste, convaincue d'avoir maudit les protestants, fut condamnée à porter vingt écus au prince de Condé.
C'est à cette époque que se passa l'anecdote des « chats ferrés ». Un savetier protestant de la rue du Bourg-Cointel (coin du Bourg d'Avenum) avait un chat qu'il affectionnait singulièrement. Un catholique, savetier aussi, et jaloux des pratiques de l'autre, lui prend son chat, à qui il ferre les pates, et il le jette sur la glace de la Loire, où son maître manqua périr en cherchant à le sauver. De là coururent mille plaisanteries sur le chat ferré et son maître, qui rongeait sa colère en attendant le moment de se venger. Quand le prince de Condé, par sa présence à Orléans, donna courage et puissance aux réformés, le savetier outragé songea à venger son injure. Il saisit le chat de son voisin, lui attache entre les pattes de devant une baguette en forme de ligne à pêcher, et le lance dans l'eau, au bout du quai, près la Barre-Flambert. Nouvelles querelles entre les deux savetiers, qui devinrent sérieuses, car les amis de part et d'autre s'en mêlèrent. Enfin l'on se moqua des deux : chaque maison prit le nom d'un chat ; la plaisanterie se réalisa et une belle enseigne, indiquant aux chalants que l'anecdote attirait à chaque savetier, la maison du propriétaire, portait d'un côté : À la maison du chat qui pêche, et de l'autre : Au chat ferré.
Même année 1562, le duc de Guise vint assiéger Orléans. D'Andelot-Coligny, beau-frère de l'amiral, y commandait alors pour le prince de Condé. Dans une escarmouche où les troupes du duc de Guise eurent quelque avantage sur les avant-postes, les protestants, échelonnés sur les Augustins, Olivet et Cléry, eurent une telle frayeur qu'ils rabattirent vers la ville, dont ils encombrèrent le pont. D'Andelot-Coligny ne put lever le pont-levis et baisser la herse : Guise faillit entrer dans la ville, qu'il eût prise si cet encombrement même n'avait été un obstacle pour lui. Peu de temps après, Guise s'empara des Tourelles, d'où il fut bientôt débusqué. Un fourrier, Gascon, qui les lui avait livrées, fut pendu sur le Martroi. Les catholiques étaient alors forcés de se cacher pour pratiquer leur religion. Un prêtre, vicaire de Sainte-Catherine, fut surpris disant la messe dans un grenier ; on l'emmena, revêtu de ses ornements ; on lui mit un morion en tête et à la main une hallebarde. On le posta, comme en faction, à la tête du pont ; on le garda ainsi un jour entier, exposé à toutes les plaisanteries, sans repos et sans nourriture.
Au commencement de son règne, Charles IX vint à Orléans : pour ôter aux protestants la possibilité de s'y maintenir, il voulut détruire les fortifications et bâtir un fort à la porte Bannier. On obtint un sursis. Enfin, il y fit construire une citadelle. On ouvrit une porte, près de la Tour-le-Roi, qu'on appela porte de l'Évangile. On abattit encore des tours non terminées, la tour des Conins et de Saint-Laurent, à l'angle sud-est de la ville.
Mais, de part et d'autre, la bonne foi était la chose religieuse qu'on observait le moins ; les hostilités cessaient et reprenaient, suivant l'intérêt des partis.
En 1565, des soldats du prince de Condé attirent dans un lieu infâme une jeune personne de bonne maison : un soldat consomma sur elle un attentat horrible. Le prince de Condé fit arrêter les coupables : on les brûla vifs. Quelques protestants prétendirent que ce crime avait été commis par des catholiques.
En 1567, Caban y commande pour le roi. Tranquille et se reposant sur les gardes et les tours, il néglige de visiter les postes. Lanoue , capitaine de Condé, se glisse dans la ville avec une troupe de quinze cavaliers seulement, en ayant soin de les faire entrer par compagnies de deux ou trois, déguisés, comme lui, en paysans. Ils pénètrent jusqu'au Martroi, où ils se réunissent et tombent sur les Orléanais. Ceux-ci veulent se défendre ; mais les quinze chevaux les mettent en fuite. Caban, instruit trop tard, se réfugie dans la citadelle de la porte Bannier, où il livre un dernier combat, vers la rue qui porte encore son nom. L'armée protestante, de nouveau maîtresse d'Orléans, s'y maintint avec assez de fermeté pour que le roi, et Catherine de Médicis elle-même, se vissent forcés d'en venir surveiller le siège. L'armée catholique s'étendait par les campagnes d'Olivet, de Cornay, de Bout, et généralement sur les bords du Loiret, au-delà et en-deçà. Cet appareil, la lassitude des guerres, quelques succès importants des armées royales, le désir de voir renaître le commerce, religion des Orléanais, leur faisaient désirer vivement la fin de ces troubles. Ils n'auraient pas demandé la paix, mais ils l'auraient accueillie avec transport. Chaque parti avait soif de repos : Orléans surtout qui, suivant avec exactitude les chances de la fortune, était toute catholique quand Charles IX s'y trouvait ; et, quand y commandaient Lanoue, Condé ou d'Andelot, n'était plus que protestante.
Dans cette anxiété, apparut soudain un fou, né on ne sait où et que ne connaissait personne, qui, échevelé, en désordre, les yeux hagards, parcourut la ville, en annonçant son incendie prochain, la fin du monde, prédite, suivant lui, par les prophètes pour cette époque de terreur et de crimes, et surtout la mort du duc de Guise, qui paraissait l'obstacle le plus insurmontable à la réconciliation du trône et de la réforme.
Ce dernier avis de la mort du duc de Guise frappa vivement un gentilhomme protestant nommé Poltrot de Méré, connu par son dévouement à la foi calviniste, et aux Coligny surtout. Un soir, muni d'un laissez-passer, il traversa le pont ; les gardes abaissèrent la herse devant lui, et il disparut. Les soldats furent tout surpris lorsqu'au lieu d'un homme d'armes ils furent obligés d'ouvrir leurs rangs à un pauvre, souffrant, vieux, ayant la barbe en désordre et s'appuyant sur un bâton.
Nous ne passerons pas ici sous silence tous les services que le jeune Gyvès avait rendus à sa religion, par ses lumières, sa justice et sa loyauté ; il avait empêché plus d'un crime, plus d'une vengeance ; et, quoique sa modération fût un blâme de la violence des autres, cependant son courage dans les troubles, sa constance dans la persécution, sa clémence dans la victoire, avaient fixé sur lui les regards de toute la ville : la première circonstance qui demanderait un homme capable devait rassembler pour son élection tous les suffrages.
Le chancelier de la reine de Navarre, Groslot, grand bailli d'Orléans, avait aussi montré un grand dévouement à la cause de la religion ; mais, entêté et fier, il avait souvent risqué de compromettre ceux qu'il voulait défendre. Parmi les personnages importants, nous n'oublierons pas madame l'amirale de Coligny, que son époux avait reléguée à Orléans pendant les troubles, et avec laquelle il entretenait une correspondance où brillent à la fois sa piété, sa vertu et son amour pour le roi ; madame de Coligny n'avait de lui que son zèle religieux ; elle le poussait jusqu'au fanatisme ; protégée par son nom, que plusieurs catholiques respectaient en le haïssant, de la fenêtre de la maison où elle demeurait, cloître SaintAignan, elle outrageait du geste et du regard les prêtres catholiques qui se rendaient à l'office. Du reste, que les protestants ou, les catholiques fussent les plus forts, elle ne changeait rien à sa contenance. Dans le plus chaud de la persécution, elle souriait aux marmots du peuple qui venaient jouer sous les beaux arbres du cloître, et qui criaient sous ses fenêtres, avec ironie : Vive la reine Gaspard Ier !
Tout à coup, dans Orléans, retentit un cri : le duc de Guise, chef de l'armée royale, est assassiné !
Ce bruit se confirma : il avait été frappé dans un chemin creux, auprès d'Olivet, par un protestant nommé, dit-on, Poltrot de Méré. Le roi et sa mère comprirent qu'il fallait conclure la paix. Le traité se signa dans la petite Ile-aux-Bœufs, au milieu de la Loire, à une lieue à peu près au-dessous d'Orléans. Gautier, qui s'était dévoué aux intérêts du roi, présida lui-même à la construction d'un pavillon violet, où devaient se réunir les chefs de chaque parti.
Les cinquanteniers se rangèrent en haie devant le pavillon. Soudain de chaque rive de la Loire part un bateau. Celui qui vient du côté de Saint-Mesmin porte Catherine de Médicis, Charles IX, le connétable de Montmorency, le duc d'Aumale et le secrétaire de l'Aubépine ; le bateau qui part de la côte de Turcies Saint-Laurent porte le chancelier Groslot, le prince de Condé, d'Andelot Coligny, Saint-Cyr, dit Puy-Greffier, et d'Aubigné, son lieutenant. Le bateau de la reine arrive le premier et, aussitôt après le débarquement, s'éloigne de l'île et reste en panne au milieu du bras de rivière ; l'autre en fait autant.
Catherine et ses compagnons entrent dans le pavillon ; elle jette en passant un coup d'oeil à Gautier.
– Ah ! oui, madame… Mais ce qui est différé n'est pas perdu…
–  Chut !…
Arrivent, puis entre à leur tour les députés protestants. La reine fait un signe et l'on prend place.
Tels furent les articles du traité :
Art. 1er - Amnistie pleine et entière est octroyée à tous ceux qui ont pris part aux guerres de religion.
Art. 2. - Pourtant ne sont pas compris dans la présente amnistie ceux qui seraient accusés de quelque crime tout à fait étranger aux dissensions religieuses.
– Mais, observa le roi.
–  Adopté ! On aura toujours des témoins pour ceux que l'on voudra reprendre, dit tout bas Catherine au roi.
Art. 3.- Tout officier de judicature, comme magistrat, juge, greffier, qui a ci-devant professé la religion calviniste se défera de sa charge ou abjurera.
Art. 4.- L'exercice de la religion protestante est permis en toute liberté et publicité, mais seulement hors de l'enceinte des villes.
Le chancelier Groslot y consentit, se promettant bien de leur ouvrir son château de l'Île. On signa.
– Au revoir, messieurs, leur dit Catherine.
On se salua respectueusement et l'on sortit du pavillon. En passant devant Gautier, la reine lui adressa un sourire aimable.
– Au revoir , Gautier !
Et Gautier à demi-voix :
– Au revoir ! toujours !
Les deux bateaux se remplissent des personnes qu'ils avaient déjà apportées. Bientôt les deux embarcations touchent le rivage, où elles sont accueillies d'un côté par les soldats du roi, de l'autre par les huguenots : Orléans est tout entier sur le quai de Recouvrance, et Gyvès est entouré de ses amis et des notables de la ville, qui le félicitent et l'embrassent.
Le traité fut proclamé à son de trompe ; les habitants d'Orléans ouvrirent leurs portes au roi. Catherine retourna à Paris. Voilà où en étaient les choses lorsque Touchet reçut chez lui sa majesté.

III – LA CONVERSION

Une commotion électrique se communiqua de proche en proche aux assistants.
– Le roi ! le roi ! roi !
Ces trois exclamations se suivirent de si près qu'on ne peut trop dire quelle voix fut l'écho de l'autre.
– Elle a pensé à moi, dit Charles. Eh bien ! monsieur de Touchet, qu'en dites-vous ? N'est-ce pas là le fait d'un bon pasteur ? Des brebis égarées s'éloignent du bercail ; vous me fuyez, je me rapproche…
– Sire, comment ai-je pu mériter l'honneur ?
– Serait-ce pour me voir ? se demandait Marie… Quelle heureuse figure !
– Je viens vous convertir. Comment, une aussi jolie personne deviendrait la proie des flammes de l'enfer ?
– Mais, sire, j'espère bien être sauvée…
– Ne l'espérez pas ; vous appartenez d'avance au diable.
– Nous tâcherons de nous arranger avec lui ; et, s'il faut du retour, nous sommes trop bon père…
– Pas de blasphèmes, messire Touchet ; il est puissant. Mais il y a un moyen d'éviter l'enfer ; il faut vous convertir.
– Abjurer !
– Non, mais revenir ; ce ne sera pas difficile : ce n'est pas un coup d'essai pour vous. Si cette aimable enfant n'est plus hérétique, je la marie.
– Elle a son fiancé, monsieur de Gyvès.
– Le fils de l'échevin ? c'est au dessous d'elle : moi, je lui destine un seigneur ; je me charge de sa dot et vous, je vous attache à ma personne.
– Sire, dit Marie , la foi…
– Vous serez duchesse.
– Mais quand on croit sincèrement à une religion, répliqua Touchet.
– Vous croyez, monsieur de Touchet ?… Vous aurez un emploi à ma cour.
– L'amour de Dieu permet-il ?…
– Je vous aime…
– Qu'entends-je ! Et Marie tressaillit.
– Votre culte n'est que fausseté, dit le roi. Une fois à la Cour, vous vous ferez instruire par le confesseur de la reine, et vous penserez comme moi. Tavannes va continuer avec monsieur de Touchet ce que j'ai si bien commencé… Achève sa conversion ; moi, je me charge de convertir sa fille.
Tavannes prit Touchet par la main et l'entraîna doucement.
– Cependant, vous concevez quels scrupules je dois avoir… disait Touchet à Tavannes en sortant.
Charles resta seul avec Marie,
– Et vous aussi, charmante hérétique, vous comprenez bien que la religion catholique, apostolique et romaine……
Cette fois encore la religion triompha, grâce au dieu du paganisme le moins chrétien, et la foi compta deux martyrs de plus.
Heureuse puissance de deux beaux yeux ! royauté toute individuelle, qui égalise les rangs et réalise les brillantes illusions des politiques ; Charles, oublie un instant les guerres civiles et les malheurs de tes sujets ; étouffe sous le bruit de tes baisers l'écho des canons qui grondent encore : sois amant, sois jeune homme un seul jour. Bientôt reviendront les devoirs du roi, les proscriptions sanglantes, le meurtre des femmes, des enfants, des vieillards, et tout ce cortège horrible dont les intrigues de ta mère et ta faiblesse doivent pour jamais entourer ta mémoire.
Enchanté de sa conquête, Charles resta longtemps à Orléans. Ce n'était que bals, que fêtes, que plaisirs. Il donna à Marie Touchet le château du Hallier ; il parcourut avec elle les rives du Loiret, chassa dans les belles forêts d'alentour, et passa, dans l'ivresse de son amour, les jours en courses et les soirées en réunions brillantes. Elle abjura publiquement avec son père, dans la cathédrale, entre les mains de M. Masson de Morvillier, évêque d'Orléans, et accompagna, avec le roi, plusieurs processions solennelles des catholiques. Cette abjuration de Touchet et de Marie produisit une grande sensation : les protestants de leur connaissance les abandonnèrent ; tout le peuple plaisanta amèrement de cette conversion soudaine ; les catholiques même ne la crurent pas assez franche pour l'honorer : ils laissèrent percer leur mécontentement. Les hommes en place seuls fêtèrent Marie et son père, par flatterie pour le roi. Le père Levé se réconcilia sincèrement avec son voisin, et bénit la providence qui ramenait un fils repentant dans le giron de l'Église catholique. Marie eut beaucoup d'humiliations à soutenir. Après la publication de l'édit de paix, le chancelier Groslot annonça aux réformés qu'il leur donnait son château de l'Isle, à quelque distance d'Orléans, de l'autre côté de la Loire, pour y exercer librement leur culte. Comme il fallait traverser le pont pour s'y rendre, les huguenots étaient exposés à une infinité de vexations, de bons mots, d'insultes même auxquels Charles IX ne craignit pas de se joindre, en allant quelquefois, le soir, attendre les protestants au retour du prêche, et en chantant ironiquement à leur passage des psaumes français de Théodore de Bèze, qui renfermaient des allusions à leur situation douloureuse. Car, sitôt après la paix, les catholiques avaient montré la tête ; les abjurations de quelques membres de la magistrature et surtout la présence du roi et de ses troupes les avaient enhardis ; la persécution qui commençait à tomber sur les réformés, pour des bagatelles, annonçait quelque chose de plus horrible pour l'avenir. C'est dans ces entrefaites que Catherine de Médicis manda impérieusement son fils à Paris. Il quitta Marie avec désespoir, en jurant de revenir ou de l'appeler près de lui. Gautier, qui était tout fier d'avoir touché de près à la reine-mère, avait redoublé d'insolence et de férocité : les protestans étaient redevenus timides et tremblants comme dans leur origine ; le traité de paix avait vu l'article de l'amnistie, qui concernait une grande portion d'entr'eux, violé ou mal interprété ; de sorte que tous les réformés qui avaient été soldats s'étaient réfugiés dans les forêts, préférant vivre au hasard et à la grâce de Dieu, plutôt que de se fier à des traîtres.
Gyvès avait, quelques jours avant leur abjuration, cessé de fréquenter la maison des Touchet ; il s'était renfermé dans l'intimité du chancelier Groslot ; il y avait vu sa fille ; il avait apprécié les excellentes qualités d'Aurélie, la meilleure et peut-être la plus jolie Orléanaise ; et malgré la réserve, le respect de Gyvès, les sociétés de la ville, toujours prêtes à marier les jeunes gens qui se voient souvent, applaudissaient à une alliance aussi honorable qu'utile à la religion.

IV – UN BAL AU LOUVRE

Nous sommes dans le Louvre, loin de ces bruits de guerre et d'amour dont Orléans avait si longtemps retenti.
Charles est seul, il baille… se lève, se promène, se rassied et baille de nouveau.
– Ah !… que je m'ennuie ! Que ce Louvre est fatigant ! et tous ces courtisans ! quelle fausseté !… qu'il y a loin de leurs protestations de dévouement à cet amour si tendre, si vrai, de ma bonne Marie ! Je serais resté toute ma vie à Orléans ! Pourtant quels plaisirs offre-t-il ? aucun ! De vilaines rues, des sociétés pédantes, des femmes prétentieuses… Je n'y ai trouvé d'aimable que Marie. Marie ! à son nom seul mon cœur bat, et tous ces plaisirs qui m'ont enivré près d'elle reviennent armés de toute la magie de l'absence. J'ai voulu chasser… Chasser ! cela m'amusait jadis. Depuis que j'ai chassé avec Marie dans la forêt de Cercotte, la forêt de Fontainebleau ou de Rambouillet me paraît insipide… Je n'y vois pas ces bancs de gazon si verts, si frais, ou plutôt je n'ai plus Marie pour m'y asseoir avec elle. Ce Louvre a-t-il, dans ses peintures, une aussi jolie figure que la sienne ? Si elle était ici, ces grands salons ne me sembleraient pas déserts ! Elle charme tout de sa présence. Allons, il faut pourtant être raisonnable… Pour me distraire, poursuivons mon ouvrage sur la chasse.
« Telle la chasse, telle la bête. Ami lecteur, pourras-tu lever le lièvre avec le basset, et le sanglier avec le lévrier ? Le chien dont la fidélité…(il s'interrompt), la fidélité… je suis bien sûr que Marie m'est fidèle Si elle ne l'était pas… Je ne puis rester plus longtemps loin d'elle… il faut la rejoindre.
– Sire, sire, grande découverte ! Le roi se retourne : c'était Dorat, un de ses poètes favori.
– Sire…, j'ai trouvé… Et la joie le suffoquait ; j'ai trouvé.. Permettez-m… Que peut offrir à votre majesté Marie Touchet ?
– Ah ! grâce, esprit, finesse, amour et bonheur.
– Son nom renferme tout cela.
– Vous croyez ?
– Si votre majesté veut se donner avec moi la peine d'épeler son nom…
– Dépêchons ; vous me faites mourir d'impatience. Dorat écrivit le nom de Marie Touchet en caractères éloignés les uns des autres.
M A R I E  T O U C H E T
– Vous voyez ?
– Oui, voilà une combinaison…
–Suivez : j'enlève d'abord le j ou l'i (cela revient au même) ; ensuite l'e, et j'en forme un mot : je…
Il efface du nom de Marie Touchet les lettres qu'il annonce.
– C'est vrai… c'est charmant.
– Ensuite le c, l'h, l'a l'r
– Charles ! dit le roi.
– Il n'y a pas d'l à Marie Touchet.
– C'est vrai, étourdi !
Un gentilhomme de la chambre entre et annonce l'ambassadeur d'Espagne.
– Nous sommes occupés ; dites-lui qu'il s'adresse à ma mère. On n'a le temps de rien… Poursuivons…
– Nous avons déjà je char… nous trouvons encore m, e, ce qui fait je charme. Il reste quatre lettres qui font : t o u t, tout…
– Je charme tout ! s'écria le roi avec transport… Pauvre Marie ! certes, oui, elle charme tout. Ah, Dorat, si vous l'aviez vue !… J'y retournerai… merci, merci. Le souvenir de Marie , qui me suit partout, vient de prendre de nouvelles forces… Nous causerons une autre fois plus longuement… Adieu ; laissez-moi. Vous demanderez trois cents pistoles à mon trésorier.
Dorat sortit triomphant, Charles resta rêveur.
– Je voulais être seul : la solitude me fatigue déjà. Je n'ai qu'un moyen d'être avec Marie : je vais faire des vers pour elle. Il prend un crayon , se promène, et compose en se promenant :

Combien j'ai mon âme marrie,
Marie,
De venir faire ici le roi
Sans toi !

Sois-en certaine, ma couronne,
Mon trône,
Qui fatiguent des envieux
Les yeux,

Ne présentent pas à mon âme
La flamme
Qui jaillit de tes deux flambeaux
Si beaux !

L'éclat brillant du diadême
Qu'on aime,
Nos beaux marche-pieds de velours
Si lourds,

La pompe de ma capitale
Fatale,
Et les monumens de Paris
Chéris,

Ne valent pas pour moi ces herbes,
Ces gerbes
Que foulaient avec tant d'appas
Tes pas.

Ne crois pas qu'en ce deuil funeste
Je reste :
Je veux revoir tes doux attraits
De près.

Je laisserai ma capitale
Fatale,
Je laisserai pour Orléans
Céans.

Catherine de Médicis était entrée vers la fin de ces couplets ; les deux derniers vers l'effrayèrent : elle s'avança avec vivacité vers le roi , et soudain elle s'arrêta ; Charles, surpris, la regarda en silence.
– Eh bien, mon fils, lui dit Catherine, encore rêveur, toujours amoureux ; votre esprit et votre cœur battent la campagne.
– Eh, ma mère, qu'ai-je besoin de penser aux affaires ? n'êtes-vous pas là pour régner ?
– Oui ; mais plus forte que moi pourrait se lasser : une femme…
– Vous êtes plus roi que moi. Mais vous voulez me parler encore politique ; pardon. Et il allait sortir.
– Parlons de Marie Touchet ?
– Ah, oui, ma mère !
– Frivole jeune homme ! toujours une femme ! jamais la France…
– J'ai tort : je vous écoute.
– Mon fils les protestants commencent à se montrer de plus belle.
– Encore des guerres civiles ?
– Non, mais encore le besoin de les prévenir.
– Il faut en finir : c'est fatigant.
– Sans doute ; car ils pourront vous ôter jusqu'à la fatigue de régner.
– Me détrôner !… qui mettrait-on à ma place ?
– Votre successeur est déjà nommé : Gaspard premier, vulgairement dit l'Amiral.
– Coligny !… voilà longtemps que je l'en soupçonne.
– Je l'aurais parié… vous lui témoignez tant d'amitié…
– C'est un traître !
– Il faut le punir comme tel.
– Qu'on le livre au parlement.
– Le condamneront-ils ?
– Oui, quand ils sauront que je le désire.
– Il ne faut pas qu'ils le sachent.
– Ce serait tout ameuter contre nous, dit Catherine.
– Cherchons donc un moyen qui sauve le trône sans danger.
– Écoutez-moi ; voilà mon plan, mûri dans cette tête, mieux taillée pour la couronne que la vôtre. Le duc de Guise et moi avons résolu de donner, le 24 août à minuit, le signal de la destruction des hérétiques. Au son de la cloche de Saint-Germain, toute la France catholique se lèvera, le glaive à la main : signez seulement cet acte. Tous les ennemis de Dieu et du roi tomberont sous la vengeance populaire et sur ces ruines sanglantes s'élèveront, inaltérables et forts, la croix de Jésus-Christ et le sceptre de France.
Catherine, emportée par son exaltation, ne s'est pas aperçue que le roi ne l'écoute pas : elle s'en approche pour lui présenter l'acte ; elle jette un cri de terreur. Charles, pendant la confidence de la reine, avait éprouvé une foule de sensations trop vives pour son caractère naturellement apathique ; de grands tremblements l'avaient saisi au premier mot de la conspiration des huguenots, mais il tremblait plutôt d'indignation et de rage que de crainte ; ensuite lorsqu'il entendit le plan de la Saint-Barthélemy, frappé comme par la foudre, il était resté haletant ; le sang lui avait monté à la tête et était sorti en abondance par les narines, les yeux et la bouche.
– Que vois-je, quel horrible état !… Tavannes, holà, quelqu'un !…
Tavannes accourut et prodigua ses soins au roi, qui reprit lentement ses sens.
– Mon fils, comment vous trouvez-vous ?
– Mieux, ma mère. Cette révélation soudaine… ce ne sera rien… ce sang m'a soulagé ; mais… pour ce que vous me proposez, je n'y consentirai jamais. Et il sortit soutenu par Tavannes, laissant Catherine interdite.
– Jamais… il faudra bien que je l'obtienne.
– Tout est prêt pour la soirée que votre majesté m'a demandée…
Catherine se retourna, et courant à madame de Cossé.
– La soirée aura lieu… ne laissons pas soupçonner que le roi soit malade. Vous avez invité ce que la cour possède de plus brillant ?
– Tous sont prévenus.
– Je passe près de mon fils, je vous nomme la surintendante de la fête ; vous en ferez les honneurs.
Elle sortit en souriant.
Madame de Cossé reçoit les musiciens, qu'elle fait placer sur une estrade au fond de la galerie ; des domestiques, des officiers de service se mettent en mouvement ; des fauteuils, des tabourets, des bancs sont disposés de côté et d'autre ; des rafraîchissemens passent et repassent ; enfin, tout l'appareil d'une soirée. L'heure avance, et bientôt le jour plus sombre annonce l'approche du bal ; on allume les lustres et les bougies, qui brillent et se reflètent dans les glaces ; la clarté va au loin glisser sur les flots de la Seine, qui murmure au pied du Préaux-Clercs, et le huguenot qui, de l'autre rive, voit l'agitation de la maison royale, maudit ce luxe qui insulte aux douleurs encore saignantes de la guerre civile ; mais une plainte ne franchit pas le seuil d'un palais. La fête continue, tout est en ordre ; on peut danser au Louvre. Madame de Cossé, triomphante, va recevoir les invités ; sa fille entre, parée ; elle court à elle, l'embrasse, et lui dit tout bas : Bien…. tâche de te rapprocher du roi ; regarde-le amoureusement, comme cela, (et elle lui montrait comment on ferme à-demi les yeux pour leur donner un air de langueur). Vous avez déjà deviné quels projets on a sur le coeur du roi. Tâche qu'il croie que tu es folle de lui.
– Mais, maman, je le suis déjà un peu.
– Il faut le paraître davantage… Tâche de lui plaire, et notre fortune est faite.
– Oui, maman.
– As-tu entendu la messe ?
– Oui, maman.
– Cela te portera bonheur.
Après elle, se présentent Maria de Caracchioli, Yanina d'Ornano et Mathilde ; elles s'embrassent, se promènent en causant de leurs amants ; quelques seigneurs de la Cour les escortent, les complimentent. Le salon se remplissait pour l'arrivée de la reine de Navarre ; elle est accompagnée de Coligny et de Téligny ; elle est suivie d'Henri d'Albret qui, aussitôt son arrivée, aborde Vanina d'Ornano et fait avec elle plusieurs tours de galerie.
Est-elle coquette, parce que c'est un roi, murmurait Émilie de Cossé : moi, je serais bien fâchée de lui plaire. Ce n'est pas à lui que maman m'a dit.
Voici la comtesse de Turgis et le comte de Comminges, qui lui donne la main. Un frémissement de satisfaction et d'envie s'élève à leur vue [Tout te monde a lu l'admirable chronique dont la comtesse de Turgis est l'héroïne].
– Tu fais sensation comme le roi, lui dit Comminges, heureux et fier comme un amant avoué.
Puis voilà le duc de Guise, escorté de sa nombreuse cour, à laquelle se mêle Maurvel. Guise s'avance avec noblesse et dignité. Coligny et le duc se voient de loin, ne s'approchent pas et se saluent à peine.
– En voilà un qui flaire de près le trône de France, dit tout bas Coligny.
Parbleu, dit Guise à Maurevel, en voilà un qui a bonne envie du trône de France ; et il lui montrait Coligny. Tu vois , c'est ce vieux, à l'air si dédaigneux.
– Je ne le manquerai pas.
La fête est complète, mais la foule empêche de distinguer toutes les figures, de nommer tous les noms. Enfin, au milieu du silence, entrent Catherine de Médicis, le roi, suivis de Tavannes, d'Aumale et du duc d'Anjou. Charles est remis de sa crise ; il est seulement un peu plus pâle : du reste, il marche avec beaucoup d'aisance. Le roi donne le signal : l'orchestre commence, les quadrilles se forment. Madame de Cossé s'est rapprochée de la reine ; sa fille s'étudie à faire des signes au roi, qui ne les comprend pas. Au milieu de l'agitation, elle s'appuie sur le dos de son fauteuil, et lui dit tout bas à l'oreille :
– Sire, je vous aime….
– Que dis-tu, Marie ? répondit soudain le roi ; mais il revient à lui, regarde, et voyant Émilie interdite il s'avance vers elle pour la rassurer, et lui présentant la main : voulez-vous danser avec moi, mademoiselle de Cossé ?
– Oui sire…
Elle était rouge et pâle.
Le bal est à son plus haut période de joie et d'ivresse ; le roi, qui a reconduit Émilie, adresse un signe à Tavannes et sort ; Tavannes le suit mais, avant de sortir, il remet un billet à Catherine, alors assise auprès de la reine de Navarre.
– Comment trouvez-vous que je suis gantée ? lui demandait-elle…
– C'est un savant homme que celui qui a pu trouver si juste la mesure des jolis doigts de votre majesté, lui répondit gracieusement la reine de Navarre.
– Ne soyez plus jalouse, en voici de pareils ; et elle tira de son aumônière une paire de gants jaunes.
– C'est un don de votre majesté, il me deviendra précieux.
– Ne les chiffonnez pas, vous les ouvrirez chez vous. Elle sentit dans sa main le billet de Tavannes, et se mit à le lire. La reine de Navarre, par discrétion, se leva pour aller essayer ses gants ; elle y trouve un parfum, elle en respire l'odeur. Catherine, ayant lu le billet, jette un cri de surprise et de colère, tandis que la reine de Navarre tombe sans connaissance entre les bras de Coligny et de Henri.
– Ah ! la tête… du secours.
– L'insensé !… Un courrier, une voiture, s'écrie Catherine.
L'agitation la plus vive règne dans le Louvre. On se retire en désordre, chacun avec une pensée différente : Coligny avec tristesse, Henri d'Albret désespéré, Catherine furieuse, la reine de Navarre mourante et le duc de Guise triomphant.

V – LES FIANÇAILLES

Nous laisserons le Louvre se démêler au milieu de la confusion générale, et nous reviendrons à Orléans ; nous descendrons place de l'Étape, et, après avoir monté un perron de briques, nous nous reposerons un moment dans une vaste salle d'audience de l'ancien hôtel-de-ville : c'est un monument très gothique. Cette salle a deux cheminées immenses, dont chaque pilier est formé par une cariatide de marbre qui en soutient l'entablement ; au-dessus des cheminées, aux vitraux, aux dessus de portes, aux fenêtres, aux plafonds, est la devise de Louis XII, un porc-épic, avec ces mots en légende : Cominus et eminus. On y remarque aussi, aux angles du plafond et aux vitres, le chiffre de Henri II avec celui de Diane ; au fond, au-dessus d'un encadrement de boiserie, un grand crucifix.
Sipierre est assis au milieu d'une table ; aux deux extrémités sont Tripaut et Dupleix, ses adjoints au gouvernement.
– Oui, messieurs, et ce ton de familiarité protectrice nous a déjà annoncé messire de Marcilly , seigneur de Sipierre ; oui, Messieurs , c'est comme j'ai l'honneur de vous le dire : je l'ai encore là ! Ce fut au joyeux avènement de sa majesté Henri II et de la reine ; on donna un grand tournoi : j'eus l'honneur d'être cavalier-tenant avec le duc d'Aumale, le sieur de la Marche, le sieur de Saint-André, maréchal de France, le sieur de Boissy, grand-écuyer, et Tavannes. C'étaient de rudes jouteurs : sans forfanterie, le dernier des six en valait bien d'autres, et je n'étais pas ce dernier. Nous caracolâmes devant leurs majestés deux grandes heures, en plein soleil, aux applaudissemens de toute la cour. La reine-mère, l'auguste Catherine de Médicis elle-même, me trouva tant de grâce à manier un cheval qu'elle me fit nommer gouverneur d'Orléans.
– C'est ainsi que le mérite se met en évidence, observa Tripaut. C'est un tournoi auquel nous avons de grandes obligations.
– Oui, certes, nous devons rendre grâce à ce tournoi, répondit Dupleix, qui se serait bien gardé d'avoir une opinion.
– Par Dieu, je ne suis pas de votre avis. Ces Orléanais sont si rétifs ! on a raison de les appeler Guépins. Ne s'en prennent-ils pas à mon nom ? Savez-vous le jeu de mots qu'ils répandent contre moi ? Trois cailloux valent mieux que Sipierre. Vous comprenez : trois cailloux, ce sont les armes de la ville ; c'est comme s'ils disaient : les Orléanais valent mieux que leur gouverneur. Ah ! ah ! Il rit, et Tripaut et Dupleix l'imitèrent.
Entre un domestique avec des lettres.
– Ah ! les lettres ! voyez.
« Les protestans de Neuville, Pithiviers, etc., se plaignent qu'on viole à leur égard l'amnistie : beaucoup d'entre eux sont contraints à errer sans domicile, dans la crainte des jugements rendus injustement contre eux. »
– Ils se plaignent toujours ! Au panier cette lettre ! c'est la seule réponse à faire à des renégats.
– Quelle piété !
Est-ce Tripaut ou Dupleix qui fit cette observation ? mais elle fut dite bas, comme au théâtre, où toute une salle entend. Dupleix lut une autre lettre.
« Les chanoines de Notre-Dame de Cléry demandent des fonds pour rétablir le tombeau de Louis XI.
– Accordé de grand coeur, dit Sipierre : on ne peut trop honorer la mémoire des princes pieux.
Le domestique rapporta une autre lettre, en disant :
– Pressée.
– C'est de la reine-mère, s'écria Sipierre. Il ôta son chapeau et lut des yeux ; Dupleix et Tripaut saluèrent.
« Monsieur le gouverneur, le roi ayant formé le projet de se rendre incognito à Orléans, nous vous prévenons que nous le suivrons de près. Je vous défends expressément de faire aucun apprêt pour moi : vous devez ignorer mon arrivée. Sur ce, je prie Dieu, monsieur le gouverneur, qu'il vous ait en sa sainte et digne garde. Catherine. »
– Il suffit, messieurs. Tripaut, allez de suite faire préparer la maison de Diane de Poitiers.
Les adjoints sortirent en se demandant quel grand personnage allait arriver. Au même instant parurent Touchet et sa fille, qu'ils saluèrent.
Sipierre, en les voyant, se leva, et courut au-devant de Marie ; il lui présenta la main pour l'introduire avec tout le cérémonial accoutumé ; il voulut même déposer un baiser sur celle de Marie : elle la retira avec un geste de demi-pruderie.
– Allons, ma fille, lui dit Touchet, ne refuse pas monsieur le gouverneur ; il te rend le respect qui t'est dû.
Marie laissa sa main à Sipierre, qui y déposa un baiser respectueux.
– Pardonnez à sa timidité, monsieur le gouverneur : ma fille est si réservée ! elle est aussi belle que sage.
– Ah ! mon père !… Gouverneur, savez-vous des nouvelles du roi ?
– Que n'est-il ici pour voir tout l'intérêt que vous prenez à sa santé ! lui répondit adroitement le diplomate. J'ai de bonnes nouvelles de sa majesté à vous donner : le roi se porte bien.
– Le roi arrive ici aujourd'hui.
– Vous le saviez ?
– Nous savons tout ce qui se fait à la cour ; et Touchet était radieux et fier.
– Voici ce qu'il m'écrit : « Ma chère Marie… »
Touchet fut attendri : Ma chère Marie ! Excellent roi ! Comme ils s'aiment !
– Mais, mon père…
– Je me tais, ma fille ; je me tais , répondit Touchet, et il garda un silence respectueux.
« Ma chère Marie, je meurs de ton absence, et je vais chercher la vie près de toi. Charles. »
– Cette lettre n'est pas d'un roi, dit Sipierre, mais bien d'un tendre ami.
– Ah ! oui, bien tendre ! Et Touchet prit la lettre en l'embrassant. Laisse-la-moi, ma fille : je veux la joindre aux titres de noblesse que la Pucelle fit accorder à nos ancêtres. Nous allons donc le revoir, ce digne souverain ; il va encore me combler d'amitiés, me donner sa main à baiser, son manteau à porter, son chapeau à tenir… Quelle gloire ! quel honneur ! et c'est toi, ma fille, qui me vaux tout cela ! Qui m'aurait dit, lorsque tu étais petite…. Va, va, mon enfant, tu es la consolation des vieux jours de ton père.
Et Marie, rêvant sans l'écouter, se promettait bien de tirer parti de ce voyage pour sortir de cette position douteuse : son père n'en voyait que le beau côté ; mais elle se rappelait toutes les humiliations qu'elle avait souffertes, les dédains des dévotes, les compliments ironiques des hommes : je veux m'élever, disait-elle, et rabaisser ceux qui m'outragent.
– Bravo ! dans peu j'appellerai ma fille votre majesté !
Ils allaient sortir : Gyvès entra. Ils ne s'étaient pas vus depuis leur abjuration ; le fils de l'échevin avait eu trop à souffrir alors ; son amour et sa foi avaient reçu le couple plus terrible pour un huguenot et un amant.
– Ah ! c'est Gyvès, cria Touchet. Bonjour, monsieur le juriste, comment se porte le docteur in utroque jure, votre père… ?
– Merci, leur répondit sèchement Gyvès… Je viens pour…
– Avec quelle froideur vous accueillez nos amitiés ! lui dit timidement Marie.
– Eh quoi, répliqua Gyvès, vous et votre père, vous avez mêlé vos insultes à celles que le roi lui-même s'est permises contre nous, et vous me demandez les motifs de ma froideur ? Un regard du souverain, et ce que la religion proscrit, ce que l'honneur défend, votre piété, vos serments, tout fut oublié.
– Non , s'écria Marie avec vivacité et avec embarras, tout ne fut pas oublié. Votre souvenir, votre élévation future allégeaient mes remords. Écoutez, le chemin de la faveur vous est ouvert, l'époux de l'amie d'un roi peut tout obtenir, vous le savez… Les seigneurs ambitionnent sa main. Eh bien ! je vous offre de tenir toutes mes promesses.
– Vous m'offrez, répondit Gyvès avec un air de surprise et de dédain qui anéantit Marie.
Mais elle reprit sa fierté.
– Vous avez raison, Marie ne doit pas appartenir au fils d'un échevin.
– Il n'est pas fait pour toi, répliqua Touchet avec dignité.
– Je croyais trouver ici le chancelier de Navarre, dit Gyvès avec indifférence : Ah ! le voici.
Et il courut avec empressement audevant de lui.
– Il me préfère Aurélie, la fille du chancelier, pensa Marie avec regret ; serait-ce pour leur union que ?…
Gyvès introduisit le chancelier Groslot et Aurélie, que son père tenait par la main.
– Asseyez-vous, mon père ; messieurs les échevins sont chez le gouverneur, je vais les prévenir. Et il sortit.
– Il y a quelques préparatifs à l'hôtel-de-ville : je ne sais quel seigneur doit s'y rendre, dit le chancelier à sa fille, sans prendre garde à Marie et à son père qui l'écoutaient.
– Si c'était le roi lui-même, je serais ravi de le voir.
– S'il vient ici, que Dieu nous garde.
– Que marmotte donc là ce chef des huguenots, dit Marie, qui déjà détestait en lui le père de sa rivale.
– Respect à monsieur le chancelier de la reine de Navarre !
Le chancelier se retourna et vit Touchet qui lui rendait ses hommages.
– Je vous salue, Touchet.
– Il oublie que je suis chevalier, je crois !
Marie s'avança vers Aurélie ; le chancelier la serra près de lui.
– Il l'éloigne de moi ! quelle insolence ! murmura Marie.
– Eh bien ! nous marions donc notre fille, continua Touchet d'un air familier.
– Oui, monsieur, répondit le chancelier.
– Ces messieurs nous attendent pour la déclaration, dit Gyvès en entrant.
– Allons, ma fille.
Et Groslot prit Aurélie par la main.
– Monsieur le chancelier, dit Touchet en l'arrêtant, recevez mon compliment sur votre choix : je vous croyais pourtant des prétentions plus élevées.
– Monsieur Touchet, répliqua le huguenot, j'aime mieux voir mon Aurélie femme légitime d'un plébéien que courtisane du plus grand roi de la terre.
Pour sortir ils furent forcés de passer devant Marie et son père. Marie regardait Aurélie avec un dédain affecté.
– Elle n'est pas trop mal, la fiancée.
– De grâce, plus de respect quand la vertu passe devant vous, lui dit Gyvès avec colère.
Marie voulut soutenir son regard ; mais, vaincue par l'ascendant de Gyvès, elle baissa les yeux ; elle les releva lentement, ils avaient disparu.
– Les insolents !… Comment, on ne nous délivrera pas de ces hypocrites ? Quel orgueil, quelle sévérité ! Les catholiques ont de l'indulgence !… Mon directeur lui-même ne me condamne pas : il me donne des conseils, il ne m'a jamais refusé l'absolution ; mais ces hérétiques !…
– Ils ne méritent que ton mépris, ma fille.
– Je serai vengée.
– Il faut en charger le roi.
Ils se disposèrent à sortir. Sipierre, en grand costume, rentra l'air affairé ; quelques échevins le suivaient.
– C'est bon, c'est bon, disait-il avec humeur à des jeunes gens et à des femmes qui lui présentaient des papiers, nous n'avons pas le temps ; quand ces messieurs le pourront, ils vous expédiront. Ces hérétiques ne pensent qu'à se marier, dit-il à Touchet, comme si il n'y en avait pas déjà trop. Où allez-vous ?
– Attendre le roi !
– Passez, je vous prie.
– Je ne souffrirai pas…
Grandes cérémonies. Enfin Sipierre offre la main à Marie, et passe le premier avec elle. Touchet les suivit.

VI – LE COMPLOT

Un coup d'oeil sur la maison de la rue du Tabourg : les domestiques ont un air de fête. Touchet, joyeux, les presse, les active.
– Allons, mettez vite tout en ordre : le roi va venir ici… Marie est-elle prête ?
– Mademoiselle Marie fait une autre toilette, répondit Thibaut avec humeur.
– Qu'elle se dépêche : il ne faut pas que le roi attende. Préparez la chambre où sa majesté a déjà passé la nuit ; n'oubliez rien… Quel honneur ! Marie ! dépêche-toi.
– Me voilà, mon père…
– Voilà une toilette tout à fait galante. As-tu pris garde aux épingles, pour ne pas piquer les doigts de sa majesté… Tu es un peu pâle, tu aurais dû mettre du rouge.
– À quoi bon ? je rougis quand je veux.
Et Thibaut, dans un coin de la salle, murmurait tout bas :
– Elle devrait rougir une bonne fois. Je ne suis qu'un domestique ; mais ce n'est pas moi qui voudrais que ma fille…
– Le roi ! dit Touchet en regardant par la fenêtre.
C'était lui… Touchet se courba presque à terre.
– Sire, je vous présente mes hommages et ma fille…
– Je sais ce que valent l'un et l'autre, dit gracieusement le roi ; je vous attache à ma personne. Vous êtes noble ?
– Oui, sire ; depuis la bataille des Harengs, ma famille porte d'azur à deux glaives d'argent en sautoir, la pointe en chef, les poignées d'argent avec le titre de chevalier ; mais l'illustration dont je m'honore le plus date du jour où vous avez daigné distinguer ma fille.
– Et la religion, messire, la religion ?
– Ah ! sire, depuis les bons principes que votre majesté a donnés à ma fille…
– C'est bien ! mais ce n'est tout, il faut être fidèle.
– Ah ! sire, tant qu'il plaira à votre majesté.
Il salua, et sortit respectueusement. Charles ouvrit ses bras à Marie.
– Pardon, sire, le respect, le saisissement…
– Laisse-là le respect, le cérémonial qui m'obsède… Ma chère Marie, parlons de notre amour.
Et l'entretien cessa pendant quelque temps.
La première, Marie rompit le silence.
– Notre amour ! oh ! oui, dites le nôtre, si vous voulez que je croie au bonheur !
Et elle souriait… elle répandait des larmes.
– Des larmes ! et pourquoi ?
– Vous me le demandez ? Loin de celui que j'aime, je n'avais d'autre bonheur que de m'occuper de lui. Je le retrouve, c'est pour en être séparée bientôt ; encore s'il m'était permis de le suivre, de le voir… Les cruels, lorsque la triste Marie se demandait si son bien-aimé gardait, au milieu des fêtes, des plaisirs, des affaires, une pensée pour elle… le sarcasme venait briser son coeur.
– Que parles-tu d'outrages, qui pourrait ?…
– Tes ennemis et les miens, ceux de notre foi…
– Les huguenots ?
– Eux-mêmes.
– Les infâmes, dit Charles en se levant avec fureur, ils ne respectent rien.
– S'ils n'attaquaient que moi seule ; mais toi, mais Dieu lui-même…
– Ma mère les connaît : ils sont incorrigibles.
– Ils bravent ce qu'il y a de plus respectable.
– Ils insultent ma maîtresse !…
– Ils prétendent seuls pratiquer la vraie religion.
– Nous sommes donc des païens ?
– Voilà ce qu'ils répètent sans cesse.
– Il m'en coûte de punir ; mais ma mère a raison, ce sont des serpents qu'il faut écraser.
Il se lève, frappe du pied la terre avec violence, et Marie triomphe de sa colère. Après un moment d'agitation et de silence, il saisit la main de Marie qu'il serre affectueusement.
– Je te dois des consolations pour tant de souffrances. Sois dépositaire de mes secrets : je me suis dérobé à la surveillance de la reine : elle s'oppose à notre amour et elle me demande un coup d'état à travers lequel j'entrevois… du sang… Il y a toujours du sang dans les projets de Catherine ! Je hais les protestants, mais des supplices me font horreur. Ma mère est une Médicis : sa volonté est tenace ; je crains, en m'y soumettant, de plonger mon royaume dans une nouvelle guerre civile. Je voudrais anéantir leur secte, mais sans commotion dangereuse.
– Consultez le gouverneur, les catholiques, lui conseilla Marie avec adresse ; ils vous diront que leurs desseins ne sont pas douteux : ils rongent leur frein, leurs réunions sont fréquentes… Aujourd'hui même, pour assister à une cérémonie, le grand bailli Groslot, prévenu de votre arrivée, évite votre présence : il correspond avec la reine de Navarre.
– Ah ! la reine de Navarre. Et il sourit.
– Enfin, ils vous menacent tout bas.
Marie prit un air de gravité diplomatique.
– D'après le traité de paix, les huguenots ne peuvent plus avoir de prêche dans la ville. Le chancelier leur a prêté son château de l'Ile ; c'est aujourd'hui, pour eux, une double fête : ils ont prêche général et une cérémonie de fiançailles. Allons, en nous déguisant, nous mêler à la foule : vous pourrez les observer à votre aise.
À un signe de consentement du roi, Marie sonna. Touchet et Thibaut accoururent.
– Prévenez Tavannes, lui dit le roi, qu'il soit prêt dans un instant à m'accompagner à une cérémonie de protestants… De la discrétion.
Touchet resta pétrifié.
– Quoi ! sire, vous voulez aller au château de l'Île. Bah !… Qu'y verrez-vous, des mécréans, des petites filles du peuple, à la vérité assez jolies (et il souriait avec malice), mais bégueules, encapuchonnées de chaperons et de voiles qui ne les quittent jamais… même dans les rues ; de vieux entêtés de ministres qui vocifèrent la paix et l'union…, des…, des…
– Touchet, vous nous accompagnerez ; vous vous déguiserez comme nous.
Touchet voulut répliquer ; mais sa fille lui jeta un regard sévère, il se tut.
– Marie, n'est-ce pas que j'ai besoin d'un peu de repos ? dit le roi. Allez vous préparer, vous autres.
Il offre la main à Marie, et entre avec elle dans la chambre voisine.
Thibaut ferma la porte et sortit en grommelant :
– Je ne suis qu'un pauvre homme ; mais je ne voudrais pas que ma fille…

VII – LA JOURNÉE DES CHAPERONS

Si nous aimons le roi de France, nous désirerons veiller à sa sûreté ; devançons-le donc dans son expédition politique, et suivons, au lieu du rendez-vous, Gautier, chargé par le gouvernement d'Orléans d'une mission importante. Asseyons-nous sur ce banc de pierre, et reconnaissons les lieux. Nous sommes près la levée de Saint-Jean-le-Blanc : derrière nous, car nous regardons la ville, s'élève un grand mur crénélé qui partage l'emplacement en deux ; au milieu, une porte gothique, aussi crénélée, à deux battants ; à droite, la Loire et, derrière elle, Orléans ; sur la gauche, une forêt. À gauche du mur, au fond, est l'entrée d'une petite chapelle gothique, distinguée seulement par sa forme et son clocheton ; du reste, point de croix. Au-dessus de la porte de la chapelle est écrit : « Ne fais pas à autrui ce que tu ne voudrais pas qu'on te fît ».
Du côté de la ville arrive Toussaint, un cahier à la main. La porte du château est ouverte : à différents intervalles il entre en silence plusieurs groupes de gens de la ville et de la campagne en costume de fête, mais très simplement vêtus.
Toussaint finit sa lecture ; il repète les dernières phrases de mémoire : « Espérons, mes frères, cet heureux changement que la réforme a préparé ; soyez unis, vivez en frères, et comptez sur les promesses du trône ». Il soupire et. interrompt sa lecture. Il est loin de partager cette espérance.
– Bonjour, mon père, dit le chancelier, qui arrivait avec sa fille.
Toussaint lui serra la main.
– Nous venons vous offrir notre bonne volonté, dit Aurélie, vous seconder dans les apprêts de la cérémonie.
– Grâce à vous, nous possédons un temple près de la ville ! Puissions-nous le préserver de la corruption !
– Gyvès doit être bientôt ici.
– Il doit apporter l'acte de déclaration ; peut-être l'arrivée du roi l'aura retardé.
– Quoi ! s'écria Toussaint effrayé, le roi est à Orléans ?
– Depuis ce matin, dit Aurélie.
– Seul, j'espère !… Je le crains bien moins que ses conseillers.
– Il est venu seul ; il arrivait incognito ; mais je suis curieuse , j'ai voulu le voir.
– On dit que sa physionomie est heureuse.
– Il est moins bien que monsieur de Gyvès.
– Sans doute, mademoiselle, répliqua Toussaint en souriant : son caractère est bon, mais ses courtisans le gâtent.
– II a de l'esprit, il fait des vers.
– Futile occupation pour un roi ! dit le chancelier.
– Je lui trouve l'air d'un honnête homme, et je serais bien surprise que…
– C'est pour mieux tromper. Voyez sa mère.
– Sa mère, oh oui ! lorsqu'elle médite une vengeance… Nous lui devons la paix.
– La croyez-vous sincère ? La cour a des projets.
– Plutôt mourir que de renoncer à la religion de son père et de son… Aurélie rougit, puis elle ajouta : Mais il tarde bien. Ô mon Dieu ! peut-être un malheur…. Si la vengeance de…. maintenant que le roi est ici…. mon Dieu ! vous n'enlèverez pas à la religion un de ses plus fidèles appuis. Ah ! ah !… mon Dieu ! je vous remercie…
Elle avait vu Gyvès ; il parut accompagné de quelques jeunes gens, qui le laissèrent pour entrer dans la chapelle.
– Chère Aurélie, pardonnez, mon père… pardonnez à mon retard… Vous étiez inquiète…
– De votre absence, lui dit-on bien bas : mais il l'entendit.
– À peine ai-je pu obtenir l'expédition de l'acte que voici. Plusieurs de nos frères ont été durement refusés. Ah ! j'oubliais ! on a déposé ce paquet chez vous, monsieur le chancelier. Il le lui remit. À peine le chancelier l'eut-il ouvert qu'il frémit ; tout à coup il pâlit. Prêt à s'évanouir, il s'était assis sur un banc de gazon. Toussaint se rapprocha de lui. Alors le chancelier lui donna la lettre ; Toussaint la lut, et s'écria avec effroi : « Grand Dieu ! quel affreux message ! » Gyvès et Aurélie, qui parlaient tout bas avec feu, se retournèrent.
– Comme vous êtes pâle , mon père !…
– La reine de Navarre, lui dit tristement le chancelier, nous invite à nous tenir sur nos gardes.
– Elle voit la cour de près.
– Puis, sous le même couvert, un mot, un seul, horrible, de son secrétaire : elle est morte empoisonnée par Catherine de Médicis !
– Morte ! s'écria douloureusement Gyvès.
– Morte ! dit Aurélie.
Et Toussaint, regardant le ciel :
– Que ta volonté soit faite ! tu soumets tes enfans à de cruelles épreuves.
La cloche de la chapelle sonna ; il reprit son calme. Allons-nous prosterner aux pieds du Très-haut.
Arriva madame de Coligny.
– Eh bien ! le voilà à Orléans, le petit drôle ; il s'y passera encore quelque chose. Enfin, cela ne m'empêchera pas de prier pour lui et sa chienne de mère ; monsieur de Coligny me le recommande dans toutes ses lettres.
– Venez., ma chère fille, joindre vos prières aux nôtres.
Madame de Coligny embrassa Aurélie. Ils entrèrent dans la chapelle ; ils avaient à peine fermé la porte qu'au fond, du côté opposé, parurent Michot et Gautier suivis de plusieurs hommes ; ils avançaient avec précaution.
– C'est ça, disait Gautier, c'est ça, rien de si commode : monsieur le gouverneur !
– Va là, dans le bois de l'Île, auprès du château, emmène de bons lurons. Ayez des haches d'armes sous vos mantes de travail ; qu'on ne vous voie point aller ni arriver et, pour cela, traversez, la Loire au-dessus du château. C'est pour le service de la reine : tu sais comment elle récompense ! Voilà mes instructions ; tu les liras là-bas. C'est bien aisé à dire, cousin Michot… mais lire… Si je ne t'avais pas décidé à venir, malgré tes frayeurs et celles de ta femme, qui m'aurait déchiffré son grimoire ? Le voilà !
Michot prend le papier, se place un peu à l'écart, met ses lunettes, et commence : Monsieur le roi des arquebusiers !…
– À la bonne heure… c'est parler, ça… À tout seigneur, tout honneur.
– Laisse-moi donc aller. On sait bien que tu as abattu l'oiseau cette année ; ça ne prouve pas que tu sois le plus fort à l'arquebuse. Hem ! hem !… Si monsieur de Gyvès avait été à la fête, il n'aurait pas eu besoin de tirer deux coups, lui ! et, comme l'an dernier, le roi qu'on aurait choisi !…
– Ce n'aurait pas été moi, que tu veux dire ? Tu as raison. Mais qu'est-ce que ça fait, un coup, deux coups ? je le suis toujours. D'ailleurs, les Gyvès ont de la rancune contre moi… tu sais bien… Quand j'ai fait sauter en bas de cheval, dans mon pré, ce gueux de Poltrot.
– Ah ! ah ! qu'est-ce que tu dis. J'y étais moi ; si je ne m'étais pas caché derrière la haie, quand il a tiré sa pistole sur M. de Guise, qui t'aurait dit que c'était lui qui avait fait le coup ?
– C'est bien, c'est bien, tu es bon pour le conseil, cousin ; aussi voilà pourquoi je t'ai emmené ; mais pour de la résolution, tu n'en as pas plus qu'une poule.
– Qu'est-ce que tout cela fait à la lettre du gouverneur ?
– Rien du tout… C'est que ces Gyvès et le grand bailli m'en veulent depuis ce temps-là…
– Ah ! oui.
– Et à toi, aussi…
– Tu crois… Est-ce que tu aurais dit que j'avais vu… Prends garde à me compromettre… Tu me fourres toujours dans les entreprises… je ne sais comment… À la fin j'en serai la dupe.
– Un dos de poltron, vois-tu, il faut que cela serve à quelque chose, riposta Gautier en riant ; puisque tu n'as ni bras, ni valeur, tu contribues pour ce que tu as de bon. D'ailleurs tous les huguenots sont les ennemis de Guillaume Gautier et de sa famille, c'est connu ça ; aussi, comme je pense bien qu'il y aura des horions à leur donner, j'en suis pour la reine-mère… La brave femme celle-là, le cœur sur la main ; quoi ?…
Michot remettant ses lunettes qu'il avait ôtées pour discuter, l'inerrompit :
– Finissons donc de lire, avec ta reine-mère… Tiens, vois-tu, Gautier, les grands et les princes se servent du pauvre peuple pour exécuter leurs desseins, et puis, quand on en demande la récompense… ni vu, ni connu…. Tu m'entends… La reine-mère en sait quelque chose.
– Veux-tu bien te taire ? Si on t'entendait. Je ne suis pas politique, moi… J'ai ma réputation à garder… et puis, le roi m'a si bien reçu !….
– Tu as raison ; mais méfie-toi ; ta vas toujours à leur service comme la corneille qui…
– Tu ne sais ce que tu dis… parce que… voyons… Quand je me présentai à la reine, d'après l'affaire de Poltrot, tu sais…
– Oui, quand elle passa à Orléans, après la trêve…
– Eh bien ? qu'est-ce qu'elle fit ?…
– Elle fit peur.
– Ce n'est pas ça… Je te demande qu'est-ce qu'elle fit pour moi…
– Ah ! elle te donna cette bourse qui t'a si bien monté ta boutique, que tu fais maintenant monsieur le bourgeois dans notre corporation.
– Tu vois donc bien que les princes ne sont pas ingrats…
– Oui, pour toi ; mais pour moi…
– Cela viendra : le roi m'a promis sa protection (se rengorgeant) pour moi et les miens, tu comprends ?…
– Oui, je te suis attaché, lui dit Michot avec empressement ; mais de la prudence. Tiens, feue notre grande tante, qui avait vu la Cour à Orléans du temps où Diane de Poitiers se cassa la jambe…
– Que diable me chantes-tu ?
– Je te chante qu'elle avait l'air de mener le roi… Oui… ça toujours été comme ça, et ma femme dit que la petite Marie Touchet…
– Encore de la langue !…
– Que la petite Marie veut trancher de la Diane de Poitiers. Ainsi, garde à nous !
– Continue la lettre du gouverneur.
Michot remit ses besicles.
« Monsieur le roi des arquebusiers… hum ! hum … quand vous aurez passé la Loire, vous descendrez le bois de l'Isle jusqu'à la hauteur du château ; vous vous tiendrez aux aguets ; dès que vous verrez passer une compagnie de quatre personnes, vous les suivrez à quelque distance. »
Il interrompit sa lecture, et prenant Gautier à l'écart :
Dis donc, c'est du sérieux, écoute… Il y a au bas : « Cette compagnie, c'est le roi, un de ses officiers, Marie et son père. Il ne prendra pas d'escorte… Vous vous trouverez là comme par curiosité ; vous ne le perdrez pas de vue ; tâchez même qu'il vous permette de l'accompagner. Vous tiendrez vos hommes prêts à vous seconder contre les huguenots, au premier signal, s'il arrivait quelque tumulte. »
– C'est ça, dit Gautier avec joie, c'est ça… Il prit sa masse d'armes, et en faisant le moulinet : et piff… et paff… j'entends…
– Tu n'as plus besoin de moi, Gautier, n'est-ce pas ?… voilà la lettre lue, dit Michot, dont les dents claquaient de peur.
– Ne voudrais-tu pas t'en aller… et le secret ?
– Je sais ce que c'est qu'un secret d'État. Que diable, suis-je venu chercher ici ? Je serais si tranquille à mon comptoir… à côté de ma petite femme… Qui sait si je la reverrai… Ce sera tant pis pour elle… c'est elle qui m'a dit : Vas-y… Elle a plus d'ambition que moi… ça nous perdra comme tant d'autres.
Gautier, qui était allé parler à ses hommes, revient à Michot et lui frappe sur l'épaule.
– Ah ! mon Dieu, je t'ai pris pour un huguenot, dit Michot pâle et tremblant.
– Attention ! je crois que voilà nos gens.
– Cachons-nous ! c'est de ma consigne ce que je sais le mieux.
Ils se cachent de chaque côté : les hommes qui les accompagnent se réfugient derrière les arbres pour laisser la place à Charles IX, Tavannes, Touchet et Marie. Ils portent de grands manteaux bleus ; Marie est aussi déguisée ; ils sont méconnaissables.
– Nous voici donc près de ce redoutable château, dit le Roi à Touchet : c'est une vraie reconnaissance de place-forte. Chevalier, à quoi bon tous ces détours ?
– Votre majesté ne voulant pas être connue ni accompagnée, il faut prendre des précautions ; car ces réformés sont là-dedans, peut être… trois mille… qui sait ?
– Allons, vous exagérez ; d'ailleurs, pourquoi nous attaqueraient-ils ?
– J'ai regret de vous avoir engagé dans cette démarche… S'il y avait du danger ! dit Marie au Roi, en s'appuyant sur son bras.
– S'il y en avait, j'ai là mon épée ! et Charles mit la main sur son épée cachée sous son manteau qu'il entr'ouvrait.
– Vaincre devant vous, continua-t-il, serait pour moi le prix du courage.
Il écouta un moment.
– Quel silence ! Touchet était allé se mettre aux aguets près de la porte du château. Il revint.
– Est-il prudent, dit-il au roi, de pénétrer dans le château ? Si nous attendions à l'écart ?
– Je ne veux pas pénétrer sans avertir, répondit sa majesté ; il n'y a que des valets qui entrent sans se faire annoncer.
Pendant qu'il cherchait un domestique, Gautier et Michot s'avancèrent. Michot se tenait derrière Gautier.
– C'est la compagnie aux manteaux bleus, vois-tu, Michot ? dit Gautier.
– Ne bougeons pas : on ne t'a pas dit de les troubler.
– Non : mais M. le gouverneur dit que je me fasse connaître adroitement ; tu vas voir : Moi… je n'ai pas peur d'un roi, je vais lui parler.
– On cause près de nous, sire, murmura Touchet aux oreilles du roi, avez vous entendu ? C'est peut être quelque conspirateur.
Il se retourne, voit la mine de Gautier qui l'effraie d'abord ; mais il le reconnaît et se rassure.
– Sire, dit Gautier en s'approchant.
– Qui vous a dit, mon ami ?…
– Votre Majesté est ici secrètement pour tout le monde, excepté pour moi et mon cousin… Avance donc, imbécile.
Il prend Michot par le bras, et le fait avancer devant le roi.
– Que je vous présente… Salue donc !
Michot fait de grandes salutations.
– M. le gouverneur m'a chargé. Au surplus, voici son écrit : donne donc, Michot !
Michot le tire de sa poche ; mais, s'obstinant à le présenter lui même, il l'offrit au roi en posant un genou en terre.
– Sypierre a mis votre zèle à l'épreuve, dit le roi avec un léger dépit ; je crois que c'est une précaution inutile.
– Pas tant que vous croyez, peut-être : car ces chiens qui sont là dedans sont hargneux, sauf votre respect. Va, Michot, et attention au commandement !
Michot rejoignit ses compagnons avec des airs d'importance.
– Où va votre cousin ?
– S'assurer où en est cette cérémonie de parpayots.
Michot, après avoir examiné ses hommes, se rapprocha de Gautier.
– C'est fait ; je ne te quitte pas.
– C'est bon, attention !
– J'aurais désiré voir leur temple, ce qu'ils y pratiquent.
– Ce qu'ils font ? dit Marie : ils psalmodient en français, ils écoutent les ministres, ils se lient par d'affreux sermens.
– Avec votre permission mademoiselle Marie, ce n'est pas tout, dit Michot en prenant un air capable. Si sa majesté voulait permettre…
– Eh bien, parle ! que sais-tu ?
– D'abord, voyez-vous, j'en ai vu une partie par une lucarne du temple des quatre coins : ma femme a su le reste d'une marchande de poisson qu'elle a convertie ; oui, convertie, car ma femme est aussi bonne catholique que le grand bailly est hugue…
– Dis-nous ce qu'ils pratiquent.
– Dans leurs églises, il n'y a que les murs tout blancs, une chaire à prêcher et un orgue. Pas le plus petit tableau ; pas de ces images de saints qui sont si amusants quand ils se battent avec le diable ! Pas de dorures ! c'est pauvre, quoi ! comme des gens de rien. Pas de ces beaux ornements avec une couleur nouvelle à chaque fête, pour que ça ne soit pas si uniforme. Enfin, ils chantent avec l'orgue, qui va toujours sur le même ton, sans goût, sans tous ces enjolivements qui produisent tant d'effet dans l'église… et en français : c'est là le pis, parce que, quand on sait ce qu'on chante, adieu la religion ! Ça se comprend ; il n'y a plus d'harmonie ! pas moyen de jouer sur l'orgue ces beaux motets ou ces airs qu'on chante à la veillée de Noël.
– Est-ce tout ce que tu sais ?
– Ah ! que non… Ils se tiennent droit comme des guisarmes : et puis, paf, voilà qu'ils se mettent à genoux tout d'un temps, comme nos gardes de ville, à la petite guerre, et puis…
– Mais nous savons tout cela.
– Et puis, dame, faut il le dire devant votre majesté ?
– Dis tout, je te l'ordonne.
– Je n'ose pas.
– Je vas le dire, moi, interrompit Gautier. Oui, sire, il faut que vous sachiez tout ce qui se pratique d'infâme dans leur cabine. Ils vous ont un homme de cire, qu'ils nomment un patient… Ils en ont qui ressemblent à ceux qu'ils veulent voir périr. Y en a un pour la reine, y en a un pour M. de Guise, y en a un pour… vous, sire.
– Eh bien ? s'écria vivement le roi.
– Eh bien ? ils les pendent par la tête : ils les mettent en travers, puis ils les frappent de coups de poignard, de couteau. Ils croient que chaque coup blesse leur ennemi à la même place que la figure de cire… Alors…
Pendant cette explication, le roi s'anime peu à peu ; il a peine à contenir une colère concentrée. Tout à coup elle fait explosion à la fin du récit. Il se précipite par la porte du château avec indignation en s'écriant : les infâmes, ils périront !
Aussitôt Gautier fait un signe en courant sur les pas du roi. Huit ou dix hommes, armés de haches, les suivent avec fureur. Gautier et ses hommes forcent la porte de la chapelle, qui se trouve brisée et ouverte au moment où le roi arrive. Tous les protestants sont à genoux ; Toussaint, dans le fond de la chapelle, paraît présider à leur prière. Le roi est resté un moment atterré de ce tableau, si différent de celui qu'il attendait. Quelques hommes étant d'abord entrés dans la chapelle, les protestants, effrayés, se lèvent, et se précipitent en désordre vers la porte. Le roi et Gautier sont à chaque côté, de sorte que les protestants, qui s'enfuient, passent entre eux. Une des premières jeunes femmes qui sort est Aurélie, l'une des fiancées ; elle porte un voile et un bouquet blanc au côté. Au moment où le roi s'avance pour la regarder, pendant qu'elle passe devant lui, elle baisse son chaperon ; le roi le relève violemment : se trouvant décoiffée, elle se sauve vers le château, poursuivie par le roi, qui disparaît avec elle en lui prenant la main. Gautier, qui, de son côté, a aussi voulu lever quelques voiles, va tomber, culbuté par Gyvès qui, l'épée à la main, court sur les traces du roi et d'Aurélie. Charles était déjà près d'elle : sa main touchait sa taille, et son haleine brûlante effleurait ses cheveux flottants ; quand ces mots : le lâche ! une femme !… frappèrent ses oreilles, il se retourna et vit Gyvès, l'œil ardent, le front irrité et mettant l'épée à la main.
L'occasion était trop belle pour qu'un roi de France la laissât échapper. Il tira son épée et reçut avec sang froid le choc de son adversaire.
Un combat terrible s'engagea auprès d'Aurélie, qui, pâle de frayeur et de fatigue, s'était évanouie sur le bord de la levée.

VIII – PRÉLUDES DU 24 AOÛT

Sipierre faisait préparer pour le séjour de Catherine la maison de Diane de Poitiers, rue Neuve, près l'Hôtel-deVille. Il inspectait les ouvriers qui mettaient en ordre l'intérieur d'une chambre boisée, revêtue de chiffres royaux et déployant un grand luxe d'ornements déjà passés de mode. Il reçut un message de Touchet. Ce courrier secret vint lui annoncer que sa Majesté se disposait à aller rendre visite au château de l'Isle. En bon administrateur, Sipierre commença d'abord par donner les ordres ci-dessus mentionnés au brave royaliste Gautier et, quand il fut bien tranquille, il essaya de réfléchir à cette résolution étrange du roi.
Par la mort-Dieu, se disait-il en arpentant de long en large la chambre où Diane avait si souvent reçu avec joie son royal amant, que veut dire cette excursion ?… Comment ? il part sans en prévenir personne ? il se rend au château de l'Isle ? Groslot aurait-il encore du crédit à la cour ? J'ai bien fait de ne le point heurter. M. le gouverneur, vous êtes un sot, si vous ne démêlez pas les fils de cette intrigue, et si vous n'obtenez rien du roi, de la reine, ou du chancelier… Voilà un bruit de voitures et de chevaux… C'est, sans doute, Catherine…
Il regarda par la croisée.
Sans suite ! c'est étrange : et je ne suis pas là pour la recevoir… ah !… je dois ignorer… Allons à sa rencontre.
Il courut ; mais, au moment où il allait franchir la porte, il recula en saluant pour livrer passage à Catherine de Médicis, au père Bourgoing et à une femme qui accompagnait la reine.
– Bonjour, monsieur le gouverneur, dit brusquement Catherine.
– Votre majesté…
– Le roi est-il arrivé ?…
– J'ai l'honneur de dire à votre majesté…
Et Sipierre se prosternait jusqu'à terre.
– Point de compliments, le temps presse ! mon fils est-il venu ?
– Oui, votre maj…
– À-t-il vu Marie ?…
– Marie ?
– La fille du lieutenant Touchet.
– Ah !… dit Sipierre , et sa figure exprimait sa surprise que la reine fut instruite de ces petits détails, elle attendait son arrivée.
– J'en étais sûre… Laissez-nous.
– Je vais prévenir le roi de l'arrivée de…
Il eût été fort embarrassé si Catherine eût consenti.
– Je le verrai moi-même.
Sipierre allait sortir, elle le rappela.
– Ah !… que font les huguenots ?
– Ils enseignent publiquement ; ils ont des lieux d'assemblée, un prêche hors la ville : ils ont même naguère enterré l'un des leurs dans un cimetière catholique.
– Quelle profanation, murmura avec piété le père Bourgoing qui, jusque-là, avait paru s'occuper davantage de son chapelet que de la politique.
– De quel œil la masse des habitants les voit-elle ? demanda la reine.
– Ils ont peu de partisans : ils sont en butte à des rixes fréquentes.
– Bien ! s'écria Catherine.
Et, à chaque disposition hostile du peuple contre les protestants, le père Bourgoing levait les yeux au ciel et le remerciait.
– On les honnit.
– Bon !
– On les frappe même.
– À la bonne heure. On enfonce les maisons où l'on croit qu'ils se réunissent.
– Cela marche.
– On leur a brûlé des magasins, pillé des boutiques et, sans l'édit…
– Eh bien ?
– Je crois qu'aucun d'eux n'oserait paraître à la ville.
– Cela suffit… Laissez-nous, je vous appellerai. Jusque-là…
Elle lui demanda le silence.
– Quand votre majesté voudra…
Il salua respectueusement et sortit sur un signe de Catherine. Sa nourrice la laissa seule avec le père Bourgoing.
– Je vous ai arraché à votre couvent, mon père, il le fallait : en politique, le temps perdu ne se retrouve jamais.
– Aussi, ma fille, n'en perdons-nous point.
– Je vous ai amené pour prendre vos avis sur des dangers que je prévois.
– Ce que vous accordez aux hérétiques met l'État dans une anxiété que les catholiques déplorent. Dernièrement encore, ce traité de paix où vous avez consenti…
– Quel triomphe ! j'ai réussi à vous tromper vous-même, lui dit avec joie et bonheur sa royale pénitente. Je suis comme le fauconnier qui veille ses oiseaux ; laissez-moi faire : vous verrez que je les mettrai tous au filet d'un seul coup.
– Dieu vous seconde ! qu'il bénisse vos efforts !
– Ai-je jamais eu d'autre pensée ? C'est pour cela que j'ai voulu voir cette Marie Touchet dont mon fils parle sans cesse : je voudrais qu'elle pût jouer un rôle dans les événemens que ma politique prépare. Le départ précipité de Charles, au moment où je le pressais de signer l'ordre que vous connaissez, m'a prouvé son amour pour Marie et sa répugnance à mes volontés. Il faut triompher de l'une et me servir de l'autre : son brusque voyage à déterminé le mien.
– Votre majesté sait tirer parti de tout, même des obstacles qu'on lui oppose.
– Vous avez reçu des nouvelles de Rome, quelles sont-elles ?
–-Très favorables : le saint-père donne son adhésion au projet de se défaire de l'amiral de Coligny et des autres chefs protestants. Ce plan, soumis au concile de Trente par le cardinal de Lorraine, lui a paru concilier les intérêts du ciel et ceux de la terre. Pour mieux vous prouver l'assentiment des confidents du sacré collège, Voici ce qu'ils m'ont adressé :
Il développa un parchemin.
C'est un projet d'association catholique pour courir sus aux réformés, et maintenir des peuples dans la foi et l'obéissance absolue par tous les moyens possibles. Son exécution et sa propagande seront confiées à une société déjà célèbre, sous la protection immédiate du Ciel et l'invocation du nom de Jésus-Christ.
– Que ne puis-je voir d'aussi généreux desseins exécutés aussi promptement que ma pensée !
– Vous pouvez prendre l'initiative.
– J'y suis disposée de cœur ; mais des craintes… Le roi… Il faudrait son aveu.
– Cette œuvre sainte doit avoir lieu dimanche, 24 août, fête de saint Barthélemy.
– Et nous en sommes si près !
– Le duc de Guise est prévenu ?
– Il doit armer ses domestiques et se mettre à leur tête avec Besme, Allemand qui nous est dévoué.
– Les moines des couvents de Paris ont le mot d'ordre ?
– Ils sont armés.
– Qui vous retient ? La réussite dépend de votre fermeté.
– Mais la signature du roi.
– Ne peut-on s'en passer ?
– Impossible, on n'agirait pas : l'ordre du roi seul peut rendre l'exécution générale.
– Il faut dont l'obtenir de gré ou de force… Il ne vous attend pas si près de lui : venez avec moi le guetter à la sortie de son appartement. Tremblant, craintif, votre colère est ce qu'il redoute le plus au monde : il fera tout pour l'apaiser.
– Voyons !… quelqu'un ! Sipierre rentra.
– Mon fils ? dit Catherine ;
– Votre majesté ?…
– Parlez, où est mon fils ? dit-elle avec une vivacité qui fit trembler Sipierre.
– Le roi vient de partir pour voir la fête des chaperons.
– Qu'est-ce que cette fête ?
– C'est une cérémonie que les protestants…
– Les protestants ! s'écria Catherine, avec une explosion terrible… quelle imprudence !… quelle imprudence !… Que va-t-il chercher au milieu d'eux ? Que va-t-il leur dire ? Il va leur ravir leur sécurité ! Il va leur donner l'éveil ! Ah ! monsieur le gouverneur, le trône et la France sont en danger !
– Et l'Église, et ses ministres ? lui dit avec aigreur Bourgoing, choqué de cette indifférence, les oubliez-vous ?
– Non, non, le trône et l'autel sont inséparables ; mais je suis troublée, inquiète. Où est cette fête ? Partons, messieurs, partons… Dieu sauve le roi !
– Dieu sauve l'Église !

IX – MARIE EST EXILÉE

Marie voulait suivre le roi ; mais son père l'a retenue ; il a même cherché à contenir Tavannes, qui l'a repoussé pour se mettre à la recherche de son maître. Michot, d'abord entraîné dans la foule, est venu s'attacher au père Touchet qu'il ne quitte point : il parvient à ébranler le père et la fille. Pâles de frayeur, ils sont sur le point de disparaître, lorsqu'ils sont arrêtés dans leur fuite par Catherine, sa suite et Sipierre qui l'accompagne. Michot alors les quitte, court se cacher et reste à l'écart.
– Où est mon fils ? cria Catherine à Touchet.
Touchet, anéanti, put à peine bégayer ces syllabes :
– Il est entré au châ… â… teau… de…
– Courons sur ses pas.
– Il vaut mieux attendre, dit Bourgoing, ce que Dieu ordonnera.
Catherine fait un pas en avant pour entrer au château ; mais personne des assistants ne se dispose à la suivre.
– Personne ne vient ; je vais partir seule.
– Si ce tu… u… multe était un piège…
– Nous n'avons rencontré que des fuyards. Aucun n'a pu nous rendre compte de l'événement… Je ne vois pas Gautier, dit Sipierre à Marie ; mademoiselle, expliquez-nous…
– Oui, parlez, mademoiselle.
– Pa… a… arle, ma fille…
Marie était troublée ; elle cherche à reprendre ses sens ; et regardant Catherine d'un air respectueux, elle observe sa physionomie pendant qu'elle lui parle.
– Le roi, justement irrité des pratiques horribles que les huguenots exercent, dit-on, sur son image, s'est précipité dans le château (Catherine fit un mouvement de colère) où Gautier et les siens l'ont suivi… J'ai voulu voler sur ses pas ; mais on m'a retenue. Je n'ai plus entendu que le tumulte.
– C'est vous, dit Catherine, en s'avançant avec colère contre Marie, c'est vous qui en êtes cause : vous me répondez sur votre tête des jours du roi ! Gouverneur, faites conduire cette femme et son père à son château du Hallier ; qu'ils ne paraissent point à Orléans pendant notre séjour.
Michot, de sa cachette, prêtait l'oreille à tout ce débat et son ambition, qui se réveillait malgré lui, se disait à elle-même :
– Bien ! voilà qui pourra devenir un secret d'état.
Sipierre regarda Touchet, qui le suivit en tenant sa fille par la main.
– Venez, mademoiselle, j'aurai l'honneur…
– Quelle sotte idée tu as eue là, Marie ! Je savais bien quelles suites,..
Marie, avant de s'éloigner, se tourna plusieurs fois vers Catherine avec tristesse. Bourgoing, calme au milieu du bruit, disait son chapelet. Catherine, inquiète, allait, revenait du côté de la Loire, et prêtait l'oreille.
– Que résoudre, mon père ?… Je veux… Quel est ce tumulte ? Des armes, des épées qui se croisent !
– Ce sont des hérétiques que l'on frappe : ne vous dérangez pas… Dieu pourra…
– Dieu ! Dieu !… sauvera-t-il mon fils ?
– Vous blasphémez, je crois ! Heureusement que nous sommes seuls ; je ne suis pas forcé de m'en indigner… Oui, Dieu sauvera votre fils…, s'il le croit utile au bien de l'Église.
Le cliquetis des épées a redoublé. Catherine, qui écoutait avec impatience le sermon du père Bourgoing, s'élance au moment ou le roi, vivement pressé par Gyvès, perd du terrain et recule devant lui. Tavannes, de son côté, se bat avec le chancelier, qui déploie un courage au-dessus de son âge. Catherine se précipite entre les épées de Gyvès et du roi. L'étonnement des combattants fut extrême.
– Malheureux ! dit Catherine, voulez-vous immoler votre roi ?
– Le roi ! dit Gyvès en reculant avec surprise et effroi, grands Dieux ! qui l'aurait cru ?
Charles, que la présence de la reine avait anéanti, laisse tomber son épée : il se remet cependant de sa frayeur, et faisant succéder la colère à l'embarras :
– Ma mère, vous ici ! s'écria-t-il avec fureur ; dans quel moment ?… Mais me tromperais-je ? où suis-je ?
Il se retourna, et vit Bourgoing qui disait son chapelet,
– Vous aussi, mon père ?
Pendant cette scène, où chaque personnage se livre à des sentiments divers, Michot est sorti de sa cachette, a traversé la place et est venu se mettre près du groupe : des protestants qui poursuivaient Gautier et quelques-uns de ses hommes s'arrêtent, stupéfaits ; le nom de la reine et du roi circulent dans leurs rangs. Le plus grand silence règne dans l'assemblée, qui attend avec anxiété le dénouement.
Catherine, après avoir examiné le roi et s'être assurée qu'il n'a pas été blessé, reprit son calme, et, s'adressant au chancelier avec une tranquillité feinte :
– Approchez, chancelier.
Le chancelier et Gyvès s'approchèrent, le chancelier avec dignité, Gyvès avec plus de respect, mais non moins d'assurance.
– Je vous pardonne cette méprise.
Ce mot de pardon fit tressaillir Gyvès.
– Mon fils n'en conservera, non plus que moi, aucun ressentiment. Je sais ce qui s'est passé : on ne peut blâmer personne, chacun a fait son devoir ; mais le tumulte qui peut en résulter dans la ville y rend ma présence plus nécessaire que celle du roi. Je le laisse ici sous votre protection, chancelier ; il trouvera l'hospitalité dans votre château : vous et les vôtres, veillerez sur ses jours.
Charles est atterré : il n'ose répondre à sa mère ; il précède de quelques pas le chancelier, qui lui indique la porte du château et se dispose seul à lui en faire les honneurs. Gyvès s'approche de Charles, et lui dit tout bas avec colère :
– Sans adieu, sire ; j'espère que nous nous retrouverons.
Gautier, de la place où il était resté en stupéfaction avec ses hommes, s'avance près de la reine sur un signe qu'elle lui fait.
– Quoi ! votre majesté près de nous… La reine m'a reconnu.
Il recommande, par un signe, à Michot de se taire et de rester. La reine sort accompagnée de Gyvès , de Gautier, qui lui fait cortège avec ses hommes portant la hache d'armes sur l'épaule, et de Bourgoing sur les bras duquel elle s'appuie. Charles, Tavannes et le chancelier restent un moment en silence. Au fond, quelques personnes du château entrent et sortent par curiosité ; le roi est assis, la main au front, silencieux, sur un banc où il s'est jeté pour respirer de son émotion. Le chancelier l'invite plusieurs fois du geste à entrer dans le château ; le roi est trop absorbé dans ses pensées pour le voir ou lui répondre. Tavannes est debout auprès du prince.
– Permettez-moi, sire, lui dit le chancelier, de vous faire les honneurs de ma maison.
Il entra dans son château. Charles n'avait fait aucune attention à l'invitation du chancelier.
– Fatal emportement ! je ne pourrai donc jamais dompter ma colère ! Ô ma mère ! quelle éducation vous m'avez donnée ! J'expose mes jours, ceux de Marie…
À ce mot, il se lève soudain et s'adressant à Tavannes :
– Où est Marie ? Qu'est-elle devenue ?
– Ayant couru à votre défense, je l'ignore.
Charles est profondément affligé ; Michot, qui avait franchi le seuil de la porte du château en se glissant avec précaution, s'approche de Tavannes et, après avoir regardé autour de soi, il lui dit :
– Elle est en sûreté.
Charles, qui l'a entendu, se retourne.
– Que dites-vous ?… Tu saurais… N'es-tu pas le cousin de Gautier ?
– Oui, sire, pour vous servir, vous et mademoiselle Marie.
– Où est-elle ? dit le roi avec impatience.
– Elle est en sûreté, à son château du Hallier, où la reine l'a fait conduire, avec son père, par le gouverneur. Je l'ai suivie au bout du chemin : mademoiselle Marie m'a chargé de vous dire qu'elle espérait que vous iriez l'y retrouver.
– Oui, j'irai ; tu sais où est ce château ? Tu nous y conduiras… Ne t'éloigne pas.
Le chancelier revint avec des domestiques en livrée. Le roi adressa à Michot un signe expressif de garder le silence.
– Sire, dit le chancelier au roi en lui montrant le château.
– Je vous suis.
Le roi et Tavannes suivent le chancelier ; Michot est allé se mêler aux personnes qui étaient au fond. La porte du château se ferme, le groupe des témoins se disperse, excepté Michot qui passe derrière le château en disant :
– Monsieur de Tavannes me verra ; je vais attendre les ordres du roi.
Le père Levé, qui se rendait à sa maison de campagne de la Haute-Épine, fut témoin de tout ce tumulte. Il reconnut là l'esprit de désordre des protestants, et se retira la douleur dans l'âme, en priant Dieu avec ferveur de détruire, d'une façon ou d'autre, une secte aussi dangereuse, aussi turbulente.

X – PRÉLUDES DU 24 AOÛT

Assez sur les heureux et les rois ! nous avons accordé assez d'attention aux amours et aux plaisirs scandaleux de notre jeune monarque : revenons à des intérêts plus tristes et à des malheurs qui, en frappant des têtes moins élevées, sont plus dignes peut-être de la sympathie des faibles comme nous.
Si la nuit n'était pas si sombre, je voudrais bien demander à mon lecteur où nous nous trouvons. Je ne sais si je me trompe, mais, au bruit du vent qui murmure en s'indignant contre un obstacle, au froissement des branches qui s'entre-choquent, se brisent et tombent à mes pieds, au frémissement des feuilles, j'ai cru reconnaître une forêt, non pas une de ces forêts bien alignées, avec des allées percées dans l'épaisseur des futaies et des repos pour le voyageur fatigué, mais une véritable forêt druidique, comme il y en avait encore dans ce temps de troubles et de malheurs, comme si le Ciel avait voulu assurer une retraite aux proscrits, un asile aux vaincus et une forteresse invincible à ceux qui aimaient mieux avoir tout à souffrir de Dieu que des hommes.
Puisque, selon toute apparence, nous nous sommes égarés, prêtons donc l'oreille ; car j'ai cru entendre comme un son de voix humaines, et peut-être leurs discours nous aideront à sortir du labyrinthe où nous sommes entrés. Il me semble que les acteurs qui sont en scène se promènent de long en large, comme des soldats en faction.
– Sais-tu bien que voilà un rude métier ? dit l'un de nos interlocuteurs : toujours sous les armes ! errant dans les forêts ! nourris par la grâce de Dieu ! Mais comment faire ? Aller à la ville ? condamnés par contumace, il faudrait se rendre à discrétion aux catholiques ; et notre vie… j'aime mieux la défendre chèrement et mourir en vrai chrétien réformé.
– Nos chefs sont aussi malheureux que nous, répond l'autre, qui semble plus jeune. Depuis quelques jours nous nous sommes rapprochés d'Orléans ; mais en sommes-nous mieux ? Sans ce brave Michel, qui se ruine pour nous, il faudrait devenir voleur… pour manger… Il est vrai que les catholiques ne viennent pas nous relancer dans cette forêt ; il n'y a guère que la faim qui nous tourmente… Les factions sont à peu près inutiles ; mais quelle différence avec le temps où…
– Oui, le temps où, tranquilles chez nos parents, nous faisions un cours à l'Université. Quelle réunion de braves amis !… Eh bien ! c'est pourtant de là qu'est parti le coup… C'est et ce sera toujours comme cela : toujours l'énergie franche et sans art de la jeunesse rendra la liberté aux peuples ; il ne faut pas désespérer tant qu'il y aura des jeunes gens.
– Te rapelles-tu lorsque, Calvin à notre tête, nous fûmes à Beaugency réclamer le paiement de la maille d'or que les bourgeois refusaient d'acquitter ?
– C'est Calvin qui, dans le proverbe de la Passion, obtint sans violence ce qu'on refusait si obstinément : qui l'aurait dit alors, que le chef de la bande joyeuse deviendrait le réformateur de la religion ?
– Et Théodore de Bèze ?
– Ah ! lui, il a toujours été un peu libertin ; mais de l'esprit, de la science : c'est, dans la réforme, un véritable abbé de cour.
– Ne nous attristons pas : le bon temps reviendra,
– Mais reviendra-t-il pour nous ? Je ne l'espère guères.
– Que veux-tu ! Pour moi, je mourrais content si j'étais sûr que la France finira par être heureuse.
– Je ne serais pas fâché de jouir un peu de ce bonheur là… de mon vivant : par exemple, je donnerais tout pour être de retour chez mon pauvre père… l'embrasser… et… quand même il faudrait recommencer à se battre après.
– J'entends, les soirées du quartier et la petite de la rue Sainte-Catherine.
– Chut !… Après tout, c'est plus agréable que d'être ici à contempler le ciel et la terre, toujours…
– À propos, sais-tu le motif des doubles vedettes de ce soir ?
– Nos chefs ont une conférence qui a pour but de demander une amnistie générale.
– L'obtiendrons-nous ?
– Pourquoi pas ? cela ne coûte rien à promettre : on amnistie tout le monde et on ne fait grâce à personne. Tiens , vois-tu, les rois ne pardonnent jamais que lorsqu'ils ne peuvent pas se venger.
– À propos, on a célébré au château du chancelier une cérémonie de fiançailles : il y a eu beaucoup de tumulte ; le roi et sa mère sont venus à Orléans pour l'exciter. C'est un signal ; les persécutions vont recommencer de plus belle.
– Est-il possible ?
– Gyvès nous a fait prévenir d'être sur nos gardes.
– Encore se battre contre des Français ! et toujours par la faute des rois de France !
– Que veux-tu ? aujourd'hui ils nous mettent hors la loi : leur tour viendra peut-être.
– Le ciel sera juste.
– On a dépêché un de nous pour engager Gyvès à venir au camp cette nuit.
– Tu appelles cela un camp, toi ? Quelques tentes, des huttes…
– C'est un camp pour la discipline.
– Oui ; des retranchemens, un mot d'ordre, des sentinelles.
– Et la consigne d'arrêter tout ce qui passera dans cet endroit.
– Notre tâche à nous deux ne sera pas difficile. Ces chemins ne sont guère connus : quant à ceux qui les fréquentent…
On entend du bruit et plusieurs pas assez pesans.
– Attention !
– Halte là ! cria Jacquin.
C'est l'un des deux interlocuteurs que nous avons sans doute reconnus pour être des protestants, que la violation ou l'application injuste du traité de paix avait exilés dans les bois.
– Allons ! allons ! dit une grosse voix.
Allons ! allons !… Et soudain entra une espèce de Sancho, qui conduisait par la bride un squelette de mulet chargé de pain et de provisions ; lui-même portait sous le bras je ne sais quoi de précieux et de parfumé dont l'odeur se répandait assez loin.
– Vous ne me reconnaissez donc pas ?
– Parbleu, si… maintenant, je te remets… notre pourvoyeur !
– Et mon mulet qui veut toujours aller… Oh ! oh !… le voilà en bonne main… au quartier-général… c'est cela… Que faites vous donc ici, vous autres ? Pourquoi avez-vous changé de quartier… dans la forêt ?
– Par prudence.
– C'est juste.
– As-tu des vivres ?
– Ça se demande-t-il à un boulanger-pâtissier-traiteur ? Oui, j'en ai, des vivres : grâce à M. le chancelier et à M. de Gyvès, qui m'ont envoyé des soleils d'or. Vous pourrez vous ressentir aussi du mariage de sa fille qui se célèbre aujourd'hui, à son château de l'Isle : c'est notre digne ministre Toussaint qui les marie. Je vous apporte sur mon mulet de bon pain, de bon ragoût et des pâtés de mauviettes de ma façon.
Et il se baisait le bout des doigts.
– Vous m'en direz des nouvelles : au revoir.
– Dis donc, Michel, qu'as-tu sous le bras ?
– C'est un de ces dignes pâtés avec qui j'ai fait connaissance en route, pour voir si j'avais eu encore cette fois la main bonne, et puis une fameuse bouteille de vin vieux de Rebréchien : vous savez bien, de celui-là que buvaient nos rois, quand ils étaient moins délicats et peut-être meilleurs.
– Si nous en tâtions, nous, qui sommes là en vedette ?
– Vous avez raison, mes enfants… ça vous donnera des forces : je vous abandonne tout.
Il tire de dessous sa blouse un pâté entamé et une bouteille de vin qu'il met sur un banc.
– Au revoir les amis. Hoé ! oh !
On entendit dans le lointain sa voix s'éteindre avec le bruit du grelot de son mulet. Jacquin et Rousselet virent le pâté et la bouteille avec plaisir.
– Regrettes-tu encore de n'avoir pas été du détachement qui a accompagné nos envoyés à Orléans jusqu'à la lisière des bois ? dit ce dernier à son compagnon.
– Ma foi, non… À propos, ils doivent être revenus…
– Ils avaient du pays à parcourir pour éviter le grand chemin des Arches.
– Oui, oui.
Il pose son mousquet et casse une croûte de pâté qu'il mange avec appétit.
– Si tu vas de ce train-là, lui dit assez vivement Jacquin , qu'est-ce qui me restera donc ? Et la faction ?… À ton poste…
– J'y suis… Arrangeons-nous… chacun son tour… c'est moi qui commence.
– C'est cela, et s'il y a quelque alerte, je m'en passerai : dépêche-toi… Au moins de la conscience…
On entend un son de trompe dans le lointain.
– Ah ! ah ! entends-tu Rousselet ?
– Qu'est-ce que c'est que ça ?
Il quitte le pâté et court à son mousquet, qu'il met au port d'armes.
– C'est drôle ! personne ne chasse pourtant à cette heure.
Le son de trompe se fait encore entendre, mais plus près.
– On vient de ce côté.
– Tant mieux ! nous verrons le chasseur.
Nouveau son de trompe, mais tout proche.
– Moi ici… toi là…
Tous deux se tiennent à l'écart, à demi-cachés ; la nuit est déjà profonde. Un nouvel acteur vient garnir la scène ; il nous semble bien connaître ses traits ; mais comment s'imaginer qu'à cette heure… ? Cependant c'est lui ; il tient à la main une trompe de chasse. Il a son épée au côté : il porte un manteau bleu ; il entre en tâtonnant.
– Peste soit du poltron ! coquin de Michot, si je te tenais… ! J'ai beau sonner, personne n'entend dans cette forêt : elle est belle cependant… Je veux y venir avec mes équipages… Quel plaisir que celui de la chasse ! … c'est vraiment la plus noble occupation d'un roi. Aussi bien, j'en écris un traité pour l'instruction de mes successeurs. On blâme cet exercice… Mais qui peut s'en plaindre ?… personne… Après tout les ministres n'en sont pas fâchés ; pendant ce temps-là… (Il rit, et revenant à sa situation). Pas un bûcheron pour m'indiquer le chemin de ce château du Hallier ; une heure, une heure et demie de chemin de la ville, disait Michot, et en voilà deux que je marche… sans guide… Comment aussi me suis-je embarqué avec ce peureux ?… Et Tavannes, qu'est-il devenu ? Diable soit des huguenots !
Ici Jacquin et Roussel et avancent et écoutent avec attention : l'inconnu, s'il l'est encore pour vous, tâte, trouve le banc où sont le pâté et la bouteille, et s'assied à une extrémité.
– Après cette échauffourée du château de l'Isle, j'apprends le lieu de ta retraite, ma chère Marie ; je sais les vœux que tu formes pour me voir près de toi ; je reviens à la ville : nouveau message. Je me confie à Gautier… Retenu près de ma mère, il me donne pour guide son nigaud de cousin, qui prétend bien connaître la route… Nous partons ; une troupe armée paraît sur le chemin ; Michot perd la tête, se sauve en criant. Les hommes d'armes, qu'il dit être des réformés, courent sur moi ; je m'échappe. Tavannes protégeait ma fuite ; il sera tombé dans leurs mains, et me voici errant à l'aventure… mourant de faim.
Il réfléchit un moment, et s'animant par degrés.
– Maudite violence !… inconcevable faiblesse !… Mon sang bouillonne dans mes veines ! il se glace devant ma mère !.. Non, il n'en sera plus ainsi ! Qui donc est roi ? qui peut dire je veux ? C'est moi, moi seul. D'où vient cet ascendant qu'elle a pris sur moi dans ma jeunesse ? Je m'en affranchirai !… Ô Marie ! toi seule régleras ce cœur où tu règnes ! Ton esprit, ta fermeté me rendront digne du trône. Une union éternelle joindra nos destinées ! Pour l'obtenir, je braverai tout. Pourvu que bientôt ces maudits protestants….
Jacquin et Roussel et s'approchèrent.
– C'est un officier du roi !
– Tu crois… En effet…
– Je suis bien las, poursuivit le roi ; tâchons de reposer, en attendant le jour.
Il s'étend sur le banc : il trouve le pâté.
– Quoi ! qu'est-ce que cela ?
Il le prend, le flaire.
– Délicieux parfum !
Il trouve aussi la bouteille.
– Du vin !… C'est un miracle !… Après tout, pour un roi de France !… Le ciel en a fait pour des gens qui ne me valaient pas.
Il s'apprête à goûter du pâté : Jacquin et Rousselet, qui sont arrivés près du roi, mettent leur mousquet en joue.

XI. SUITE DU CHAPITRE PRÉCÉDENT

Je ne vous dirai pas le tumulte occasionné par la tentative plus qu'imprudente du roi. Les protestants, qui avaient cru avoir à leurs trousses une armée d'assassins, s'étaient précipités dans les champs, à travers les vignes du val de Saint-Denis, dans les venelles de Saint-Jean-le-Blanc et sur la rive de la Loire qui, à partir de la levée, s'étendait en tapis vert jusqu'au bassin du fleuve. Les hommes qui accompagnaient Gautier avaient aussi pris leur part de la plaisanterie : ils avaient poursuivi les jeunes protestantes et avaient levé les voiles de celles dont la taille promettait un joli visage. Les réformés n'avaient pas tous fait preuve d'une patience héroïque : ils avaient cru que la loi de Dieu ne défendait pas de protéger une femme, une sœur ou une fille, et ils avaient répondu aux insolences par des coups de poing ou des coups d'épée. Çà et là ce n'étaient que combats singuliers dont la plupart devinrent funestes aux protestants ; car ceux des catholiques que le hasard avait amenés sur le lieu de la scène avaient pris d'abord fait et cause pour leurs coreligionnaires et leur avaient rendu, par leurs secours, la victoire honteusement facile. Je ne vous dirai pas le nombre de coiffes et de voiles arrachés, jetés au vent ou à la Loire, ni combien de baisers furent pris et peut-être rendus. Je sais seulement que la grève de l'Île-aux-Bœufs présenta, le lendemain, aux mariniers, plusieurs cadavres d'hommes noyés, et que les protestants célébrèrent trois cérémonies de funérailles. Étrange contraste, qui fit répandre à Aurélie bien des pleurs ! Gyvès, lui, ne pleura point ; mais son cœur ulcéré se gonfla de projets de vengeance. La révolte lui sembla presque une justice. Le chancelier le ramena à des idées d'ordre et de résignation ; mais deux fois Charles IX l'avait blessé dans ses affections. Marie l'avait trahi pour le roi, et le roi avait outragé celle qui, après Dieu, occupait alors sa pensée… Aussi, lorsqu'en rentrant chez son père, il reçut un message des protestants retirés dans la forêt, il l'ouvrit avec empressement et répondit avec joie aux désirs qu'ils y exprimaient de le voir parmi eux : ils ajoutaient en outre que ses lois seraient respectées, qu'ils le nommaient leur chef, qu'ils lui confiaient leur sort, comme au plus digne, comme au plus sage !
Catherine revint à Orléans dans une colère horrible. Elle défendit de parler de cet événement, et ce fut l'entretien de toute la ville… Groslot qui, plus qu'un autre, entrevoyait ses desseins, répandit la nouvelle de la mort de la reine de Navarre, comme un présage des attentats qui se méditaient en silence. La terreur commença dès lors à glacer les esprits. Le fou de la rue de Hurepoix reparut soudain et, une nuit, il parcourut la ville en redoublant ses cris ; mais cette fois, ils avaient un accent terrible : tout Orléans l'entendit presque à la même heure. On pensa que sa voix avait été portée par un miracle dans tous les quartiers, et qu'il était envoyé d'en haut pour épouvanter et convertir.
Personne ne se convertit : les catholiques devinrent plus menaçants et les huguenots plus timides.
Le lendemain de la « journée des chaperons » – car le nom en resta, et longtemps encore on vous montrera où fut le château de l'Isle, où fut outragée Aurélie, où Gyvès croisa l'épée contre son roi – le lendemain, dis-je, la reine se transporta au séjour du chancelier pour ramener son fils à Orléans, et de là retourner au Louvre, où l'appelait l'exécution de la pensée de toute sa vie.
Le chancelier, à sa vue, fléchit le genou devant elle
– Comment ! un chef de protestants à mes genoux ! dit la reine avec surprise : Messieurs de la religion ne nous ont pas accoutumés à de pareils hommages…
– Madame, repartit Groslot, on s'agenouille pour une faute… C'est la situation où je me trouve…
– Comment… une faute ! vous, qui seriez un modèle, si vous étiez… catholique.. . Mais quelle est cette faute.. ?
– Votre majesté m'avait recommandé de veiller sur son fils ; mais pouvais-je résister à mon roi ?… Il est sorti avec son officier… Ils ont échangé deux ou trois mots avec un des hommes qui l'escortaient hier… et…
– Et ?…
– Il est parti.
– Par la mort !.. s'écria Catherine…
Puis elle reprit avec un calme subit que le chancelier ne put comprendre :
– Je sais où il est… Sans adieu chancelier… Je ne vous en tiens pas moins pour un bon et loyal sujet…
Elle le quitta et complimenta, en partant, Aurélie sur sa grâce et sa beauté.

– Qui vive ! crièrent ensemble Jacquin et Rousselet.
– Où suis-je ? dit le roi.
Il quitte la bouteille et le pâté, se lève, marche un moment dans l'obscurité ; il avance la main et saisit le canon du mousquet de Jacquin , dirigé contre lui.
– Ils sont armés… !
Pour le coup, il faut l'avouer, le roi eut peur…
– Qui vive ! encore une fois…
– Moi… répondit-il.
– Mais qui, toi ?…
– Parbleu ! moi, vous dis-je, répliqua Charles.
Et il s'étonna très-fort du peu d'effet que produisit ce moi, si puissant au Louvre.
– Ce n'est pas répondre. Où vas-tu ?
– Au château du Hallier.
– Qui es-tu ?
– De la prudence, dit Charles à lui-même. Et il répondit avec aisance :
– Officier du chevalier de Touchet.
– Ah ! ah ! chevalier de Touchet, lui répondit-on en éclatant de rire ; attends, pour lui donner ce titre, que le roi de France se soit avili jusqu'à nommer sa fille marquise ou duchesse.
Charles rougit d'indignation, et se contenant à peine :
– Misérables !
Mais il se calma et reprit avec dignité :
– Qui êtes-vous, vous-mêmes, pour m'interroger ainsi ?
– Des proscrits.
– Ce sont des huguenots… Messieurs, pourriez-vous m'indiquer ma route ?…
– Tu vas rester jusqu'à ce que tes desseins soient éclaircis. Toi, Rousselet, va faire ton rapport ; je garderai le prisonnier.
Rousselet partit, le factionnaire du fond le remplaça.
– Nous avons dérangé votre repas, monsieur l'officier du noble chevalier de Touchet ; les gens de guerre sont peu polis, et surtout ceux des bois, voyez-vous ?
– Ce n'est pas d'un brave de m'insulter quand je suis sans défense ; je suis votre prisonnier, vous me devez du respect.
– Soit ; mais nous soupçonnons que tu es un officier du roi ; et nous sommes, nous, des proscrits indépendans, qui devons veiller à notre sûreté.
– Bien ! bien ! Si jamais… À qui me conduira-t-on ?
– À nos chefs, ce ne sera pas long.
– Je suis excédé de lassitude et de faim.
Charles se rassied sur le banc.
– Puisque tu as trouvé des provisions, profites-en ; je vais te tenir compagnie.
Il prend du pâté et en présente au roi.
– Excellent !
Il commence à manger de bon appétit. Jacquin lui présente une bouteille.
– En usez-vous ?
– Merci.
– À votre santé !
– Vous n'êtes pas trop à plaindre ; voilà de la pâtisserie parfaite.
– Adieu, monsieur Jacquin, dit une voix que nous connaissons.
– C'est toi, Michel ; tu pars déjà ?
– Oui, diable, et ma femme !…
Charles continuait à dévorer du pâté sans s'occuper de l'entretien de ses voisins.
– Bon pâté ! je n'en ai jamais goûté de si bon à ma… à ma maison.
– Je le crois bien, camarade : c'est que je l'ai soigné comme pour la bouche d'un prince. Qu'est-ce que ce particulier-là ? dit-il à Jacquin, à demi-voix.
– C'est un prisonnier que je garde, quelque officier du roi envoyé en ambassade auprès de cette mijaurée de Marie Touchet.
– Vous croyez ?
Il revient au roi.
– Vous le trouvez donc bon, monsieur le prisonnier ?
– Si je connaissais l'adresse du faiseur, je donnerais l'ordre, c'est à dire je dirais… je voudrais en avoir.
– Eh bien ! le voilà le faiseur, dit Michel en se redressant avec orgueil ; si vous êtes un honnête homme, topez là ; puis jurez-lui de ne pas dire où vous l'avez connu : il vous dira son adresse.
– Je vous le jure.
Le roi serra affectueusement la main de Michel.
– Il s'appelle le père Michel, boulanger-pâtissier-traiteur ; il demeure à Pithiviers, au coin de la halle. Si vous allez jamais dans le pays, venez le voir, il vous en fera tâter de la cuisine, et de la bonne… et des pâtés d'alouettes… de mauviettes, etc., etc.
– J'irai vous voir.
– Est-ce Dieu possible ? Si vous me faites cet honneur, je vous donnerai à goûter des pluviers avec une sauce de mon invention, et vous verrez… Vrai ! sans me vanter, il ne faudrait qu'en servir au roi pour me donner à moi et à ma boutique une réputation universelle. Je vous salue, adieu, monsieur l'officier, au revoir !
Il sortit, et longtemps encore on l'entendit se féliciter avec son mulet du grand succès qu'il venait d'obtenir.
– Il m'a l'air d'un brave homme, dit le roi avec nonchalance.
– Tous les deux jours nous recevons une partie du fruit de son travail, de ses économies.
– Il mérite d'être protégé.
– Sans doute ; mais si quelque catholique le savait, il périrait peut-être.
– Je m'y oppose… Je vous assure que je m'y intéresse beaucoup.
Rousselet revint, escorté d'hommes armés.
– Jacquin ! es-tu là ?
– Oui, répondit Jacquin la bouche pleine.
– Tu n'as pas perdu ton temps.
– Je tenais compagnie au prisonnier… qui, de son côté… Puis tu as été si longtemps…
– Il faut le conduire au conseil ; on va l'interroger.
– Allons, monsieur le prisonnier, suivez-moi.
– Où donc ?
– On vous le dira quand vous y serez.
– Mon Dieu ! je me remets entre tes mains, dit Charles avec résignation. Et il sortit, entouré des hommes qui étaient venus avec Jacquin.

XII – LE PARDON

Le roi a suivi son guide dans la forêt, et avec lui il s'est égaré, comme lui-même s'est chargé de nous l'apprendre ; mais nous ne nous en sommes guère occupés : le danger du roi a pris toute notre attention, et nous n'avons pas un moment regardé en arrière pour voir ce qu'était devenu le pauvre Michot et Tavannes, qui, comme officier du roi, a bien quelques droits à notre intérêt. Pourtant nous attendrons encore pour voir entrer Charles IX dans la tente où il doit être interrogé…
Jacquin a refermé la tente après avoir introduit son prisonnier : il monte la garde. D'autres factionnaires sont disposés de loin en loin. Il se promène, et ces demi-mots lui échappent :
– On va le juger, ou du moins on va tâcher, pour le juger, de savoir qui il est. Il me fait de la peine : il n'a pas l'air méchant ; mais il y a tant de danger !… Quelle corvée aujourdhui ! Ah ça ! je suis encore de faction, ne nous endormons pas.
Pendant qu'il pense à ne pas dormir, le sommeil le gagne ; tout à coup, la sentinelle du fond crie : Qui vive ! Michot arrive là comme une bombe, court, traverse les arbres et vient tomber devant Jacquin à genoux. Jacquin, réveillé soudain, saisit brusquement son mousquet.
– Ah ! monsieur l'hérétique, ne me tuez pas ; j'ai une femme, trois enfants.
– Allons ! lève-toi, avec tes hérétiques ; qui es-tu, toi ?
– Un pauvre charcutier de la rue Barillerie, qui allais…
– Où ?
– Conduire…
– Qui ?
– Le… Il hésite, puis se ravisant :
– Un de mes parens, au Hallier.
– Ah ! ah ! au Hallier. Ils y vont tous ! Tu servais de guide à l'officier que nous avons arrêté ?
– Que vous avez arrêté !… je ne le connais pas. Tant mieux, car son affaire n'est pas bonne.
– Je suis perdu ! maudite ambition !
– Tu vas bientôt voir le chef : tu lui répondras.
– Le chef !… ah ! mon Dieu !
Il eut une si grande frayeur qu'il prit un air calme et assuré.
– Est-ce que vous savez, dans votre troupe, ce qui se passe en ville ?
– À peu près.
– Tiens !… Vous ne saviez pas que la reine a juré de venger l'insulte faite à son fils, à la sortie du prêche, et de punir les héré…. les réformés… qui mettraient la main sur un catholique ?
Le factionnaire du fond crie : Qui vive ? une voix répond : amis !
– Vive Dieu et la réforme !
Les rangs s'ouvrirent pour Gyvès et Toussaint.
– Enfin, grâce à Dieu , nous voici aux premières vedettes, dit Toussaint à Gyvès.
– Vous êtes fatigué, mon père ?
Toussaint ne songeait pas à sa lassitude : il s'agissait de ses frères.
– C'est vous, monsieur de Gyvès, lui dit Jacquin ; on vous attend au conseil : j'ai ordre d'annoncer votre arrivée.
Jacquin entra dans la tente. Michot, qui se crut oublié, chercha à se sauver ; mais le factionnaire lui barra le passage avec sa hallebarde : Michot retourna silencieux à sa place.
– À mon retour du prêche, dit Toussaint à Gyvès, vous m'avez confié le message de nos frères : j'ai dû vous suivre. Ils implorent notre appui ; nous aurons peut-être besoin du leur.
– Je suis prêt à tous les sacrifices.
– Je craignais que notre jeune fiancée, observa Toussaint, comme un homme qui comprend les pensées du coeur…
– Pars , m'a-t-elle dit, vas mourir s'il le faut ; je reste pour consoler mon père.
– Chère Aurélie ! modèle de toutes les grâces !
– La ville était agitée ? Médicis est furieuse : elle parle de vengeance.
– Que craindrait-on ?
– Le peuple est exaspéré ; on lui a fait un récit infidèle des événements du prêche : le chancelier lui-même m'a prié de m'assurer de l'existence de nos frères, si l'on essayait à Orléans quelque violence contre nous.
Michot, pendant ce dialogue, s'était rassuré.
– Je vais me découvrir : M. de Gyvès me tirera de là ; je ne lui ai jamais causé de mal ; puis ce bon M. Toussaint priera pour moi : c'est un si digne homme !
Il s'approche de Gyvès.
– Monsieur de Gyvès !….
– Que voulez-vous ?
– Je suis Michot, cousin de Gautier, c'est-à-dire, voisin de Gautier.
– Comment te trouves-tu ici ?
– Je me rendais au Hallier.
– Au Hallier, dis-tu ?
– Au Hallier, par ordre du roi. Et il se redressa avec fierté.
– Par ordre du roi ?
– Et oui, avec un de ses officiers. Nous avons rencontré un détachement, j'ai eu peur : je me suis sauvé ; ils ont pris l'officier. Je voulais revenir en ville, mais je me suis dit : si je retourne sans l'officier… on me pendra ; être pendu ici, être pendu là-bas, autant vaut savoir ce qu'il est devenu : je me suis avancé dans le bois, et je me suis arrêté ici, c'est-à-dire qu'on m'a arrêté. Monsieur de Gyvès et vous, monsieur Toussaint, qui êtes un homme de Dieu , rendez-moi à ma pauvre femme, à mes pauvres enfants : je vous jure…
Il veut se mettre à genoux, Toussaint l'en empêche.
– Je vous jure que le cousin Gautier aura beau dire… Les rois, la politique, tout ça ne me sera plus de rien.
– Gautier ! ce misérable…
Il s'arrêta… Puis avec calme :
– Connais-tu ses projets ?
– Il ne les connaît pas lui-même ; il va comme je te pousse…
– Quel officier conduisais-tu au Hallier ?
– D'abord, ce n'est pas le roi : c'est l'officier qui l'accompagne.
– Qu'allait-il y chercher ?
– Nous allions… voir la dame… de ses pensées… c'est-à-dire la dame des pensées de son maître.
– Cet officier, où est-il ?
– Vos chefs tiennent conseil pour savoir s'il sera ou non… pendu !…
– Quelle imprudence ! s'écria Gyvès : courons empêcher un assassinat ! il en est temps encore.
Il ouvrit rapidement la tente et entra avec Toussaint.
– Belle protection ! c'est-à-dire qu'on ne me laissera pas échapper.
Michot resta tremblant de la scène qui se préparait.
– Ça va faire un beau tapage, se dit-il avec une tristesse mêlée de curiosité ; M. de Gyvès va voir le roi : ils s'en veulent ; c'est juste ! Le roi lui a molesté sa femme. Et moi donc ! si, le jour de mes noces, on était venu pour… je me serais battu… vrai… si j'avais pu me battre. Ces diables de femmes, c'est cause de tous les malheurs du monde ! Enfin… m'y voilà !… tire-t'en comme tu pourras , Michot. Si le cousin Gautier était là seulement, il viendrait à mon secours ! Avec lui, je n'en crains pas dix, je n'en craindrais pas vingt, de ces sans-cœur d'hérétiques… Je voudrais le voir ici ; comme il vous les…
Il prêta l'oreille.
– Allons , les voilà qui parlent ! ils se débattent… ils viennent… C'est fini de moi, dépêche tes patenôtres, pauvre Michot ! Pater noster
La peur l'empêcha de finir. Charles enveloppé dans son manteau, sortit de la tente avec Gyvès.
– Écuyer, dit-il, je vous remercie.
– C'est un devoir, vous n'êtes point un espion.
– Non, certes !…
– Je ne sais pourquoi j'ai répondu de vous sans vous connaître.
– Je n'oublierai jamais ce service : sans vous j'étais condamné, et…
Il hésita sur le mot.
– Exemple terrible de rigueur, que nous donnent souvent les magistrats du roi de France ! droit affreux de représailles !
– C'est vrai ! c'est vrai ! dit Charles à lui-même.
– Vous alliez au Hallier ?
– Qui vous l'a appris ?
– Un pauvre diable qui vous servait de guide…
– Ah ! mon guide !
Michot, rassuré par la tournure pacifique des interlocuteurs, s'avança.
– Le voici…
– C'est ce misérable… dont la peur…
Michot n'avait pas entendu. Il arriva avec orgueil et regarda le roi, qui fixa tout à coup sur lui des yeux de colère.  
– Malheureux !…
Michot, anéanti, tomba à genoux.
– Sire , que votre majesté…
– Que dis-tu ? le roi !… cela ne peut être…
Gyvès s'approcha du roi. Charles ouvrit son manteau.
– Ah !… oui, en effet…c'est le roi.
Et un sourire amer de joie et d'indignation rida les lèvres du jeune protestant.
– Je n'irai pas bien loin chercher ma vengeance ! Te voilà donc sans escorte… sans gardes… Que c'est petit, un roi seul !… Savez-vous qui je suis ?
– Je ne vous ai jamais vu à ma Cour.
– Ce n'est pas là que vous m'avez rencontré ! Une fête religieuse se célébrait au château de l'Isle, asile offert par le chancelier de la reine de Navarre aux justes que la persécution chasse des villes. On y célébrait une cérémonie de fiançailles. Un homme se joint à des misérables pour troubler nos prières ; il ose attenter à l'honneur de la fille d'un vertueux magistrat, à la fiancée d'un fidèle serviteur du roi : maintenant, je vous le demande, quelle doit être l'indignation de l'amant, quel doit être le châtiment du lâche qui insulte une femme ? Eh bien ! cet amant, c'est moi ! cet insolent, c'est vous !
Certes, Gyvès était de bonne foi dans ce reproche ; mais, quoiqu'il n'ait pas prononcé le nom de Marie, elle était pour beaucoup dans sa colère et il eût peut-être pardonné l'outrage d'Aurélie, si cette blessure avait été la première que le roi eût faite à l'amant. Charles lui répondit sans s'émouvoir :
– Tu ne me parlerais pas ainsi, si j'étais sur mon trône de France !
– Si tu étais sur ton trône, je te dirais : Roi de France, crois-tu que ton sceptre est une verge de fer pour écraser ton peuple ? Dieu t'a donné les biens et les corps de tes sujets ; mais il ne t'a pas livré leurs consciences ; en vain tu emploieras la force des armes : Dieu est le Dieu des armées ; le soufle de sa colère dispersera tes bataillons. Ce jour est venu ; tu vas périr ici sans gloire, sans éclat ; aucun prêtre ne t'assistera à ta mort ; les prières n'accompagneront pas à Saint-Denis ton cercueil royal. Recommande ton âme à Dieu ; et puisse-t-il la prendre, si elle n'est pas trop criminelle pour paraître devant lui !
– Laisse-moi donc seul avec Dieu.
– Allons, lui dit Gyvès.
Et il se promena avec agitation.
– Saints de mon royaume, murmura le roi en prière, demandez un miracle pour moi !
Il écouta.
– Rien ne se trouble, tout est tranquille… Ce bruit… c'est le bruit du vent ! plus d'espoir !… Mourir sans confession ! Ô mon Dieu ! accordez-moi la contrition parfaite !
Deux hommes s'approchèrent de Charles, qui se disposa à les suivre.
– Adieu ! beau trône de France ! adieu, Marie !
Michot, anéanti, se cachait dans son coin ; il tremblait de tous ses membres.
– Je suis vengé ! se disait à lui-même Gyvès, pour s'affermir dans une résolution difficile. Je sauve mes frères, mon épouse, ma religion ! Malheureux ! n'ai-je pas lu : à Dieu seul appartient la vengeance ? Pardonnons, c'est la loi de Jésus-Christ.
Il se jeta aux genoux du roi.
– Pardon ! pardon ! sire ! la colère avait fermé mes yeux ; la foi vient de les ouvrir : vivez et n'oubliez pas qu'un huguenot vous a donné la vie.
– Que dites-vous ? quel changement !..
– J'ai cru entendre la voix de Dieu.
– Il y a donc de la vertu parmi vous ?
– Ah !… sire !… vous n'avez pas de plus fidèles serviteurs ! Quand avons-nous trahi ? Nous prenons les armes ; mais on nous attaque, on nous poursuit, on pille nos biens, on brûle nos maisons, nos temples ; on nous, égorge, on nous tue : qu'opposons-nous à ces persécutions ? la patience, la douceur. Le roi est à la tête de nos ennemis ; nous mourons, et nous prions pour le roi !
– Comme on m'a trompé ! Mais peut-on réparer ces maux ?…
– Un mot de votre bouche royale ! la paix se rétablit, plus de sang ! plus de meurtres ! plus de crimes ! Dites liberté de conscience, et tout vous bénira : ne sommes-nous pas tous enfants du même père ? La rigeur éloigne les cœurs ; la clémence les rappelle !
– Jamais prédicateur ne m'a touché comme toi ; mais je veux être digne de vous. Rassemble tes amis.
– Quoi ? sire.
– Rassembles-les, te dis-je. Tu crains… Eh bien ?…
Il sonne de la trompe : tout à coup une grande rumeur se fait entendre, des flambeaux allumés paraissent ; de tous côtés accourent les protestants.
– Français, Charles IX est devant vous !
– Le roi !…
– Le roi !…
Et tous se demandaient si c'était une réalité ou un rêve.
– Je vous apporte la paix, et la grâce de tous ceux qui ont pris part aux troubles. Je donne à tous la liberté de conscience. J'engage solennellement ma parole royale. Retournez en paix dans vos maisons, et ne m'oubliez pas dans vos prières.
Les protestants entourent le roi, lui baisent les mains, se mettent à genoux, remercient le ciel ; les cris de Vive le roi ! Vive Charles IX ! se font entendre et se prolongent dans la forêt.
Charles mit la main sur son coeur, qui battait d'une émotion toute nouvelle.
– Je sens là une joie inconnue… Quelle émotion ! Ah ! Gyvès ! qu'il est doux d'être aimé !… Allons trouver Marie.
Les cris de joie recommencèrent. Gyvès se prépara à l'accompagner, et Michot se rangea près de son maître, en bénissant le ciel qui veille toujours sur la vie de ceux qui le servent avec zèle.

XIII – LE HALLIER

Il me semble que nous avons témoigné une grande indifférence pour le sort de Marie. Nous l'avons laissée au pouvoir de Sipierre, qui ne paraît pas homme à s'attendrir sur des peines d'amour, et qui va, certes, la conduire au lieu de son exil avec toute la loyauté d'un courtisan qui craint de s'apitoyer et de déplaire. L'impassible Sipierre a fait ouvrir les portes du château solitaire où jadis le roi passa de si doux moments avec Marie, et dans lequel ils firent des haltes si longues après leurs chasses. Cette fois, au lieu d'un cortège de seigneurs et de courtisans, au lieu de cette meute de chiens qui, à peine arrivés, se répandaient dans les cours, dans les appartements, dans les jardins, et mettaient en fuite les oiseaux qui peuplaient les beaux arbres, un fermier, deux ou trois domestiques seulement, se présentent, et l'entrée est silencieuse et triste. Sipierre partit en ordonnant aux exilés de ne pas quitter le château : la recommandation était inutile ; on connaissait le caractère de Catherine, et l'on savait ce que pouvait coûter la plus légère infraction à ses volontés.
Un jour, une nuit se passèrent dans une agitation horrible : Marie ne ferma pas les yeux… Jadis, de ravissantes pensées lui tenaient lieu de sommeil : trop de joie empêche de dormir ; mais aujourd'hui, que de tristes réflexions viennent l'assaillir en foule ! Au lieu de ces illusions d'avenir que l'arrivée du roi avait fait éclore en elle, elle ne voit plus que séparation, exil, la mort peut-être ; car, si elle gêne Médicis , elle sait comment la reine se délivre de ses ennemis.
Elle se leva et elle se traîna dans le salon, où Touchet l'attendait pour déjeuner. Là veille même, il avait envoyé au roi un message écrit par sa fille. La table est dressée dans une vaste chambre gothique, mais ornée de modernes raffinements d'architecture ; des croisées, dont le haut s'arrondit en voûte, et à côté de chaque grande croisée une petite absolument conforme dans une proportion inégale ; de vieux tableaux, des chaises longues et de grandes armoires enclavées dans le mur garnissent les intervalles. Touchet met la table en ordre ; Marie, assise sur sa chaise, nonchalante et triste, rêve et gémit. Elle rompit le silence la première :
– Nous voici donc exilés ! prisonniers dans ma propre demeure !
– C'est ta faute : pourquoi diable aussi engager sa majesté à aller voir cette cérémonie ? On ne gagne jamais rien de bon à s'approcher des hérétiques.
– Avec quelle arrogance elle m'a reléguée ici ! Et ce gouverneur ! quel zèle il a mis à exécuter ses ordres ! Ce sont bien là les gens de Cour.
– Voyons, dejeuneras-tu aujourd'hui ? Quand tu te feras plus de peine qu'il ne faut, à quoi bon ? Voilà des préparatifs qui seront peut-être inutiles.
– Avez-vous envoyé ma lettre par quelqu'un d'intelligent ?
– Oui ; un second moi-même.
– Ce n'est pas rassurant ! S'il m'aime, il sera bientôt ici.
Et elle poussa un gros soupir ; quoiqu'égoïste, Touchet en fut ému.
– Allons, allons, lui dit-il, rassure-toi, il t'aime ? Il viendra.
– Dois-je l'espérer ? il doit être bien surveillé !
– Il y viendra, ma fille.
Une voix qui partait du dehors, au bas de la croisée, appela :
– Mademoiselle Marie !
– Que me veut-on ? lui dit son père, qui parut effrayé du son de cette voix
– Voyez, laissez-moi seule.
– C'est que j'avais cru entendre…
Il tremblait ; une seconde fois la voix cria :
– Marie Touchet !
– On appelle de ce côté, dit Marie.
Elle ouvrit la croisée, Michot parut et, se mettant à cheval sur la croisée :
– C'est moi, qui viens vous donner des nouvelles.
Il sauta par terre.
– Ouf ! je l'ai échappé belle ! Si vous saviez…
– Parle donc ! qui t'a amené ?
– Partout on m'a crié : Qui vive ! Je n'ai pas osé avancer ; je me suis glisé par ici prudemment, pour vous donner de bonnes nouvelles. Le roi est sauvé…
– Le roi, dis-tu ?…
– Il est sauvé ! et moi aussi ; rassurez-vous.
– Il aurait couru des dangers ?
– Je vous en réponds, que nous avons couru des dangers ! Sans mon courage et ma présence d'esprit, la France perdait son monarque.
– Vous verrez que le chancelier aura excité les protestants contre lui, dit Marie, qui croyait que le danger du roi était relatif à sa tentative du château de l'Isle… Poursuis…. poursuis… raconte-moi vite ce qui lui est arrivé après que le gouverneur m'eut emmenée…
– Ah ! vous voulez dire l'affaire du bord de l'eau, reprit Michot ; ah ! vous en voulez d'abord des détails : je vais commencer par là. La reine s'est mise d'une colère. .. Elle a séparé le roi et M. de Gyvès, qui se battaient, sans se connaître, pour cette petite Aurélie.
Marie tressaillit.
– Elle a laissé le roi sous la garde du chancelier ; moi, j'ai profité d'un moment qu'il était seul : je lui ai dit que vous l'attendiez ici.
– Le roi au château du chancelier !… Je suis trahie… il suivait cette… Continue…
– Par le moyen du seigneur Tavannes, j'ai revu le roi : suivant nos conventions, je l'ai attendu à la Croix-Fleury, pour le conduire ici avec son officier.
– Il m'aime toujours ! je respire ! Poursuis.
– Ensuite…
– Eh bien ! ensuite, dit Marie, que ce discours trop long m'instruisait pas de ce qui l'intéressait le plus… Le roi va-t-il venir ?
– Le roi va venir ici dans une heure, dit avec humeur Michot, qui ne pouvait faire du dramatique avec son récit de la forêt.
– Ah ! je respire.. !
– Et moi aussi.
– Il va venir ! cria avec explosion Touchet…. Vivat ! il faut que je prépare un beau discours pour sa réception : cela s'est toujours pratiqué ainsi ; et, comme maître d'un château, voyons…, qu'est-ce que je lui dirai ?… c'est là l'embarras… J'ai de l'esprit…. ce que je dis fait toujours rire… Hum !.. hum !.. Sire… voilà que je commence bien… après ?… qu'est-ce que le roi a fait de beau dans sa vie ?… Ah ! j'y suis !… Quand votre majesté daigna choisir ma fille pour…
– J'entends du bruit…
– C'est le roi sans doute…
Touchet s'avance vers la porte, qu'il ouvre en se courbant. Il commence son discours sans lever la tête.
– Sire, quand votre majesté daigna choisir ma fille pour…
Mais au lieu du roi entra Catherine de Médicis, suivie de Bourgoing ; Marie, qui s'était élancée comme pour embrasser le roi, revient avec frayeur, et reste immobile, inquiète de ce qui allait se passer.
– Quel est ce fou ? dit Catherine en repoussant Touchet.
– La reine-mère !
– Je suis perdu !
Touchet et Marie sont atterrés. Catherine est en proie à une violente colère.
– Ce n'était pas assez , s'écria-t-elle en saisissant le bras de Marie, d'avoir excité mon fils à une démarche qui a compromis sa dignité et le sort de l'État… vous l'avez engagé à me désobéir pour arriver jusqu'ici.
– Madame….
– Je connais vos désirs : je sais vos projets : aucun d'eux ne s'accomplira sans ma volonté… Mon fils est-il arrivé ?
– J'ignore si sa Majesté…
– Cessez de feindre : je sais tout ; mon empressement vous prouve mes alarmes. Retirez-vous… ! mon indignation est à son comble !
Après ce court dialogue, auquel Touchet, anéanti, n'osa prendre aucune part, Marie sortit lentement, soutenue par son père ; Catherine les regarda s'éloigner avec une fierté tranquille.
– Avouez-le, mon père, dit-elle à Bourgoing après le départ de Marie, voici de l'embarras ! Métier de roi, véritable galère ! Tout est prêt, il ne manque que la signature de mon fils ! Au moment de l'obtenir, il trouble tout pour cette bégueule… Enfin, nous voilà chez elle : nous n'avons qu'un jour, profitons-en : d'abord que décidons-nous de Marie ?…
– Ce que vous voudrez.
– Elle me gêne.
– Il faut vous en débarrasser. Nous avons des expédients… Des gants parfumés…
– Moyen usé… la reine de Navarre en a porté…
– Le poignard…
– Le sang laisse des traces.
– C'est vrai, reprit Bourgoing en riant, je n'y songeais plus. Mais au lieu des moyens violents et souvent incertains… ne pourriez-vous pas la mettre dans vos intérêts ?… L'appât d'un mariage…
– Quelle idée !… Marie Touchet l'épouse du roi !… c'est le dernier parti…
– C'est le premier à prendre.
– Comment cela ?…
– Engagez d'abord votre parole : nous trouverons un moyen de ne pas la tenir. Je me charge de concilier vos scrupules et l'honneur de votre royale maison ; je sais une ressource…
– Prompte, infaillible ?…
– Voyez !
Il tira de son sein un petit ciboire d'argent et l'ouvrit. Catherine y regarda avec empressement…
– Je vois… des hosties…
– Consacrées… c'est-à-dire préparées… vous concevez ! Après le mariage, la communion ; et votre ennemie…
– Très bien ! gardez cela… j'en aurai peut-être besoin. Je ne communierai jamais de sa main, dit-elle en elle-même.
– Vous voilà tranquille maintenant ; vous donnerez à Marie l'époux que vous lui aurez promis ; vous ne lui parlerez pas de ce que je lui réserve.
– Il faut tenter cette voie !… Je l'ai effrayée tout à l'heure… nous saurons l'apaiser : il n'y a pas de rancune qui tienne contre un trône ! Allez, envoyez-la moi de suite !
Bourgoing salua et sortit. Catherine eut beaucoup de peine à se résoudre à une pareille avance, dont Marie pouvait suspecter la loyauté.
– Cette petite sotte, pensait-elle, elle me dispute le pouvoir ! Qu'elle me seconde… nous le partagerons. Il faut, par son adresse, obtenir la signature du roi à cet ordre qui ne me quitte pas !
Elle tira un papier de son sein.
– Dire que la vie de plusieurs milliers d'hommes est attachée à quelques traits que le doigt de Charles peut tracer.
Elle simula le mouvement d'une signature.
– Rien que cela !… Le moment est favorable… son amour pour Marie fera le reste.
Pendant qu'elle tenait encore à la main l'acte terrible, Marie entra avec timidité. Catherine courut au-devant d'elle.
– Ah ! vous voilà ! Je vous ai brusquée tout à l'heure… Mais le danger de mon fils… Vous pardonnerez, n'est-ce pas ? Quand on est si jolie, il faut être indulgente.
Marie, étonnée, ne répondait qu'à peine.
– Madame… tant de bonté… Elle me caresse, se dit-elle tout bas ; soyons sur nos gardes.
– Allons, ajouta Catherine, parlons franchement,
– Elle veut me tromper.
– Vous êtes l'amie du roi : c'est flatteur !… Plus d'une femme de notre noblesse envie votre sort ; mais n'en est-il pas un que vous puissiez envier vous-même ?…
– Lequel ? Je ne vois au-dessus de moi que celui qui est au-dessus de tous : c'est son cœur, ce n'est pas sa couronne que j'aime. Que puis-je demander encore ? J'ai trop de bonheur pour former un désir.
– Si l'on vous unissait de plus près à lui ?
Marie tressaillit. Mais son émotion passa comme un éclair ; elle reprit son sang-froid et, pour ne pas donner prise sur elle, elle répondit avec l'ingénuité d'une jeune fille :
– Il n'est pas de magie qui puisse resserrer nos liens… Ma vie est mon amour : je cesserai de vivre avant de cesser de l'aimer.
– Aussi artificieuse que belle ! murmura Médicis. Mais, ma chère Marie, l'amour est fragile : jeune, entouré de femmes séduisantes, adroites, faciles, un roi, qui d'un mot peut-être heureux, oublie ses serments, porte ses hommages aux pieds d'une autre, et… vous plante là…
Marie frémit à cette expression si franche d'un sort commun aux maîtresses de roi ; mais, aussi adroite que son antagoniste, elle ne lui laissa pas même entrevoir sa crainte.
– Les poètes de sa Cour pourront composer mon épitaphe.
Catherine rugissait dans son âme d'être confondue, en quelque sorte, par la naïveté d'un enfant : elle fut deux ou trois fois sur le point de croire à sa franchise ; mais, Marie ne se trahissant, pas, Médicis continua :
– Ces sentiments vous rendent digne d'un éclat qui doit suivre l'accomplissement de mon projet.
– Si je puis vous servir, je suis prête ; pourvu qu'il ne blesse en rien mon amour pour le roi.
– Rusée !… au contraire, cet amour y trouverait son compte. Voyons, entre nous, voulez-vous être reine de France ?
– Reine de France !… Je ne puis croire à votre sincérité : une offre si brillante…
– Si je vous le promettais…
– Seriez-vous bien sûre de me le promettre ?…
– Vous doutez de la parole d'une reine.
– Je connais Catherine de Médicis.
– Vous sentez que j'ai besoin de vous ! Écoutez ; il s'agit d'un intérêt d'État. La religion réformée étend ses rameaux dans la France entière ; un vieux proverbe dit mieux vaut tuer le diable que d'en être tué : je veux tuer le diable.
– Elle se charge de ma vengeance ! pensa Marie.
– Tout est prêt ; dans trois jours l'hérésie est morte.
– J'admire !… Mais comment… ?
– Nous y voilà !… Le roi balance. Il vous aime… qu'il signe cet acte : vous devenez reine.
Elle le lui présenta.
– Ce que vous me demandez est bien difficile, dit Marie, contenant à peine sa joie.
Elle prit l'acte et le garda.
– Aussi, ce que je donne est grand !
– Je puis donc compter ?…
– C'est un traité conclu ; je veux célébrer ici le repas des fiançailles ; aussi bien, M. de Touchet l'a déjà préparé.
– Espérant recevoir le roi…
– Je sais… Il ne s'attend pas à trouver ici… deux reines.
Et un sourire diplomatique, un vrai sourire d'Italienne, vint contracter ses lèvres, pâles de rage et d'humiliation.
– Est-ce que votre majesté voudrait célébrer de suite ce mariage ? demanda Marie, qui voyait déjà la couronne sur sa tête.
– Oui, certes, j'ai amené avec moi le père Bourgoing ; il bénira votre union, qui restera quelque temps secrète. Demain, pour la consacrer, nous communierons ensemble de sa main.
– Comment pourrai-je reconnaître tant de bontés ?…
Bourgoing rentra.
– Madame , dit-il à Médicis , deux hommes se dirigent vers ce château ; l'un est le roi, l'autre est, dit-on, M. de Gyvès.
– Gyvès !… quel bonheur ! suivez-moi… je veux… Ah !… ma chère fille, dit-elle à Marie, en lui donnant un baiser sur le front, je vous recommande de la prudence : je crois en vous, croyez en moi !
Elle prit Bourgoing par le bras et sortit. Marie se leva avec orgueil, en regardant l'acte que la reine lui avait remis.
– Et nous, allons au-devant du roi ! Je réussirai ! Je tiens donc en mes mains le sort de mes ennemis ! Quel bonheur ! le pouvoir, la vengeance !

XIV – LE POISON

Tout est calme au château du Hallier ; à peine se douterait-on qu'il soit habité ! et pourtant la France entière a les yeux tournés vers lui ! Sans savoir à quel point de l'horizon se lèvent ses quatre tourelles et le petit clocheton de sa chapelle, elle cherche, inquiète, d'où lui viendra cette sanglante catastrophe que Médicis couve dans son âme florentine, et qui doit en sortir un jour comme un volcan.
Dans un des appartements les plus reculés du château, Charles, nonchalamment couché sur une chaise aux côtés de Marie, joue avec ses cheveux épars ; il frise entre ses doigts ces fils dociles qui flottent sur deux épaules nues et sur un sein plus découvert que ne le permet la coutume même, si immodeste, de la cour et de la ville. Charles a le sourire sur les lèvres, et dans les yeux plus d'un bonheur. Pourtant il cherche à deviner quel motif secret a pu troubler le calme et la gaieté de Marie. Elle l'a reçu avec empressement ; elle s'est jetée dans ses bras avec une joie, une ivresse que la présence de Gyvès semblait augmenter ; mais quand il le lui eut présenté comme un ami, comme un bienfaiteur même, quand il eut donné à Touchet l'ordre d'envoyer chercher, à Pithiviers, un pâté chez un hérétique, lorsqu'enfin il eut fait promettre à Gyvès de séjourner quelque temps au château et d'y passer au moins la journée , la joie de Marie avait fait place à la froideur, à l'inquiétude : leur tête-à-tête, naguère encore si tendre, moment délicieux où Charles oubliait qu'il était roi, où Marie oubliait qu'elle était sujette, n'avait été qu'un échange de demi-mots à peine aimables, interrompus par ces minutes de silence si fatales en amour, si tristes pour deux amants à qui il annonce la fin de leur passion ; car une âme pleine de tendresse est féconde et causeuse ; le bonheur est bavard, et encore plus l'amour, qui quelquefois ressemble tant au bonheur.
Le roi n'avait jamais connu ces chances si diverses, et il tâchait tant bien que mal de renouer et d'animer l'entretien.
– Ma chère Marie, vous avez failli perdre ce que vous avez de plus cher au monde. Je suis tombé dans un parti de protestants.
– Ils sont capables de tout.
– Même d'une bonne œuvre.
Avec tous les projets dont vous savez remplie l'âme de Marie, vous devinez l'accueil que reçut cette phrase du roi. Un moment de silence suivit. Le roi la regarda avec surprise et dépit.
– Marie ! ma chère Marie… qu'avez-vous donc ? lui dit-il enfin ? vous êtes rêveuse ! Comme je ne vous connais pas de sujets de tristesse, je vais croire que c'est ma présence qui vous afflige.
Marie l'embrassa pour réponse ; mais c'était une réponse bien froide.
– Tu auras pourtant droit d'être contente de moi, continua Charles ; j'ai fait une belle action ; je me réconcilie avec les protestants, et j'ai tout pardonné.
Marie pâlit de rage, et regarda l'acte qu'elle tenait caché dans sa main,
– Avec vos ennemis !
– Injuste ! ils m'ont conservé pour toi ! S'ils se révoltaient, c'est à force de persécutions… Qu'on les laisse tranquilles ; ce seront les meilleures gens de mon royaume.
– On ne change jamais un rebelle, observa gravement la protestante convertie.
– Est-ce que tu veux m'animer contre eux ? Tu prends mal ton jour ! Ils ont ri de toi ; ils se moquent bien de ma mère : elle ne s'en fâche pas. Sois sage comme elle ; tu devrais la féliciter d'un hasard qui me sauve un crime.
– Un crime !
– Oui, j'aurais fini par signer ce que me demandait ma mère. J'en frémis quand j'y pense ! immoler mes sujets ! couvrir mon nom d'une exécration éternelle.
– Je ne serai jamais reine de France ! pensa Marie, qu'un seul mot repoussait à jamais d'un trône.
– Marie, tu ne m'écoutes pas !
– Je ne suis pas tranquille ; j'ai des inquiétudes… Ces huguenots…
– Près de moi tu peux songer à d'autre chose ! Que l'amour te rassure, prodigue-moi ces caresses, ces baisers qui m'enivrent ; viens rendre Charles heureux.
Il lui pressait la main, il la serrait dans ses bras, il la couvrait de baisers.

– Bien ! très bien, mes enfants !
Charles crut reconnaître cette voix où l'ironie se mêlait à un accent de domination et de colère : il se leva irrité ; mais il retomba sur son fauteuil quand il vit sa mère.
– Vous ici, ma mère ! vous me suivez donc partout ?
– Oui, mon fils, comme votre ange gardien. Ai-je une autre pensée que votre bonheur ? Où en sommes nous ? dit-elle bas à Marie.
– Rien !…
Elle lui rendit le papier, que Catherine mit dans son sein.
– Voici des préparatifs ! dit-elle sans laisser lire sur son front aucune émotion : Monsieur de Gyvès, vous prendrez part à ce repas impromptu. Nous y voulons sceller notre réconciliation. Messire Touchet, vous pouvez servir. Messieurs, prenez place.
On prend place dans cet ordre : Bourgoing, Gyvès, Catherine de Médicis, Marie, Charles. Le hasard seul semble présider à l'arrangement des places ; mais un œil soupçonneux eût facilement reconnu, à l'empressement que Catherine mit à se rapprocher de Gyvès, une cause secrète assez malaisée à analyser, mais qui devait intéresser de la part d'une reine qui n'avait jamais fait dans sa vie une seule démarche inutile à son pouvoir ou à son ambition. Touchet et Tavannes servaient et veillaient au service.
– Monsieur de Gyvès, dit Catherine, après un demi-quart d'heure de silence, vous avez acquis des droits à notre estime. Votre belle action envers le roi notre fils… car je ne suppose pas que vous ayez une arrière-pensée. Charles l'interrompit avec l'accent du reproche.
– Ah ! ma mère !
– Je pense que votre Majesté ne garde aucun soupçon, reprit avec dignité Gyvès.
– Ce n'est pas de vous que je parle ; mais en général, les rebelles…
– Nous ne sommes pas des rebelles ; nous sommes des proscrits !
– Ce n'est pas vous que j'accuse, encore une fois… Vous voyez ma confiance… car enfin…
Et elle appuyait sur ces mots avec intention.
– Vous auriez beau jeu maintenant… si vous étiez un perfide… Les rois meurent comme les autres.
– Je donnerais mes jours pour le salut de votre Majesté…
– Je me plais à vous croire.
Pendant ce temps, le repas a avancé ; Charles et Marie ont échangé des mots et des regards ; Touchet a servi et surveillé avec de grands airs d'importance : bientôt il arrive lui-même portant un pâté qu'il dépose sur la table devant le roi.
– Ah ! messire de Touchet, c'est très aimable ; on reconnaît votre zèle, dit le roi, qui de suite en goûta : Exquis ! le même que dans la forêt. Tous les ans, à pareil jour, je veux qu'on en serve un sur ma table, pour me rappeler comme on trompe les princes.
Il en servit à Gyvès.
– Le reconnaissez-vous ?
– Il rappellera à votre majesté le souvenir de sa clémence.
– Buvons à la santé de tous les fidèles sujets de mon royaume !
– Monsieur de Gyvès, vous me ferez bien raison, répliqua assez vivement Catherine.
Elle demande à boire à Gyvès, qui lui en verse ; elle boit une ou deux gorgées et, retirant avec précipitation le verre de sa bouche :
– Jésus ! quel est ce goût ?… quelle amertume !
Et elle jette à terre ce qui restait dans le verre.
– Monsieur de Gyvès, ce n'est pas le même vin que tout à l'heure.
– Je n'y trouve aucune différence, répondit Gyvès, qui goûta le sien avec beaucoup de tranquillité.
– Au vôtre, je le crois bien ; mais au mien !… Quel soupçon !… Ah ! monsieur de Gyvès , ce serait infâme !…
– Votre Majesté peut-elle croire ?
– Je ne crois plus rien, ces douleurs sourdes, cette chaleur qui circule dans mon sein… Gyvès, vous m'avez empoisonnée !
– Quelle horreur ! s'écrièrent tous les assistants.
Le roi fut le plus indigné d'un pareil soupçon.
– Ma mère ! c'est impossible, il m'a sauvé la vie !
– À vous ! sans doute ; les protestants ne vous craignent pas…. mais moi !… Oh ! douleur ! mes entrailles brûlent comme si une flamme… ma tête s'égare… Infâme assassin ! qu'on le saisisse !
Gyvès écoutait avec calme et résignation.
– J'attends ; Dieu sait tout, disait-il.
Et sa figure n'exprima ni colère, ni surprise.
– Que l'on secoure ma mère !
Bourgoing et Charles soutiennent Catherine, et la font asseoir sur le canapé… Marie lui présente un verre d'eau.
– Laissez-moi, disait Catherine avec un accent de faiblesse et de douleur ; le mal est sans remède… je dois mourir !… Ce poison est rapide… mes yeux se troublent : ah ! que je souffre ! Mon fils ! mon fils ! ils vous tueront…. Ah ! je meurs !…
Et elle tomba étendue sur le canapé, près de Charles anéanti. Bourgoing toucha les mains de la reine.
– Déjà presque froide ! Ainsi Dieu se joue de la destinée des hommes.
– Morte ! morte sans vengeance ! s'écriait le roi.
Et il parcourait l'appartement comme un forcené.
– Retirez-vous ! Que l'on veille sur cet homme !
Il montrait Gyvès.
– Vous m'en répondez sur votre tête. Sortez tous ; qu'on me laisse seul pleurer auprès d'elle.
On se retira : Gyvès fut entraîné par Michot et les valets de Touchet. Charles, resté seul, se jeta aux pieds de Catherine et, après avoir versé des larmes :
– Ma mère ! ma mère ! vous ne m'entendez plus… La voilà déjà froide et bientôt glacée ! Où donc est maintenant cet esprit sublime… cette raison… cette pensée qui présidait aux destinées du royaume ?… Voilà ce que la mort t'a faite ! voilà tout ce qui reste d'une reine de France. La voilà morte… empoisonnée… par ceux-là mêmes… sans confession ! sans absolution…. damnée peut-être… damnée !… O terreur !… non… oh non !… Mon Dieu ! qui savez son zèle pour la religion, vous l'avez accueillie dans votre sein… et moi, sans elle… que vais-je devenir ? comment porterai-je ma couronne ? Je ne suis pas assez fort pour régner. Ces protestants que mon pardon va enhardir… s'ils ne m'avaient laissé la vie que par mépris pour moi !… Gyvès était un traître… Oh ! qui me délivrera de mon incertitude ? qui me conseillera maintenant ? Je ne suis plus roi ! j'ai perdu ma mère ! Si j'osais élever ma prière vers Dieu ! s'il daignait m'entendre ! si, comme dans l'Évangile, il réveillait ce corps inanimé ! Tout vous est possible , ô mon Dieu !.. que me demanderiez-vous ? ma vie !…. prenez-là… mais ranimez la sienne ! Vœux inutiles ! ce siècle est trop incrédule, Dieu s'est retiré de nous : on ne voit plus de miracles depuis qu'on ne veut plus y croire.
Il prit la main de Catherine.
– Me trompé-je ? est-ce un reste de chaleur ? ou si la vie… Achevez, achevez, mon Dieu ! qu'elle vive, et quelle que soit votre volonté…
Il agite le bras de Catherine et l'appelle.
– Ma mère ! ma mère !…
– Qui m'appelle ? répondit Catherine d'une voix faible. Et Charles tressaillit de joie et de crainte.
– C'est moi ! c'est votre fils !
– Où suis-je ?… Quel pouvoir me ramène sur la terre ? qui m'arrache aux flammes de l'enfer ?…
– Ce sont mes prières. Mais que parlez-vous de flammes d'enfer ?…
– Je les vois, je les sens encore… Mon fils ! j'étais damnée !…
– Damnée ! murmura le roi.
Et ses cheveux se dressèrent sur sa tête.
– Oui, et par vous ! Croyez vous qu'on ne porte devant Dieu que ses péchés ? on y porte aussi les iniquités de ses enfants. Moi, catholique, j'ai donné le jour à un fils qui voit outrager la religion sans en tirer vengeance !.. Voilà mon crime… le vôtre. Lorsque je me présentai devant Dieu : « Dans l'enfer, me dit-il d'une voix tonnante… Je t'avais donné le sceptre de France pour protéger l'Église, exterminer l'hérésie : tu m'as renié devant les hommes ; moi, je te renie dans les cieux ; va brûler pour l'éternité. »
– Et c'est moi, dont les refus !…
– « Regarde ! » me dit alors Dieu lui-même… Je regardai la terre : je vis l'impiété sapant chaque jour le culte catholique, les protestants méditant dans l'ombre la mort des prêtres de notre sainte religion, et aiguisant des poignards pour vous immoler vous-même.
Charles fit un geste de terreur.
– Je vis Gyvès verser du poison dans mon verre, et préluder par ma mort aux crimes qui vont désoler la France.
– Leurs complots affreux ne s'exécuteront pas. Vous m'aviez parlé d'un projet terrible, immense ; j'ai résisté longtemps : j'ai pu douter de la voix des hommes ; mais je ne balance plus : c'est la voix de Dieu même. Où est cet édit qui proscrit leur race ?
– Il ne m'a jamais quitté ; il doit être encore sur mon sein… Elle tire un papier de son sein.
– Tiens, le voilà.
– Mon Dieu ! je t'obéis.
Il prend vivement l'acte et le signe.
– Je punis les assassins de ma mère !
Catherine, transportée de joie, lui prend la main, se lève et le serre dans ses bras. Charles s'évanouit.
– Il s'évanouit !… sa faiblesse, la terreur… Holà ! quelqu'un !
Tous les personnages, excepté Gyvès, rentrèrent surpris, épouvantés d'un événement qu'ils ne pouvaient concevoir. On prit soin de Charles. Catherine regarda l'acte que Charles avait signé.
– Ah ! je les tiens… le roi a signé… Maintenant, messieurs, nous allons retourner à Orléans.

XV – LE CHÂTELET D'ORLÉANS

Les protestants de la forêt, pleins de confiance dans la parole du roi, sont revenus dans leurs foyers. Ce fut une grande joie dans la ville ; ils parcouraient les rues avec des paroles de paix et des bénédictions pour Charles IX. Les catholiques ne purent rien concevoir à ce retour. Le père Levé ferma sa boutique, certain que ces cris d'amour et d'enthousiasme cachaient quelques perfidies ; et, pour fuir les scènes d'horreur qu'il prévoyait, il se retira à sa maison de campagne de la Haute-Épine. Gautier et ses amis, surtout, s'indignèrent de cette audace ; ils s'ameutèrent, crièrent autour du palais du gouverneur qu'il trahissait le roi, la religion. Sipierre, inquiet, voyant que le tumulte devenait considérable, ne crut pas qu'il y eût meilleur moyen, pour l'apaiser, que de s'emparer des huguenots. Il les fit donc jeter en grand nombre dans les prisons de la ville, et en remplit encore d'autres édifices vacants. Cet acte de sévérité flatta le peuple ; mais cette réunion de protestants dans une même enceinte, cette facilité de les envelopper tous dans un massacre d'un moment saisit fortement les esprits haineux de la populace. Gautier ne contribua pas peu à les animer ; il les engagea à se munir d'armes et de piques, et se chargea lui-même d'obtenir de la reine la permission d'en finir d'un seul coup avec ses ennemis, résolu, en tout cas, à ne pas laisser échapper cette occasion.
Le retour du Hallier avait ressemblé plutôt à un convoi qu'à une partie de chasse. Charles ne pouvait se rendre compte des événemens de toute la journée ; au milieu de l'agitation de son âme, il avait perdu connaissance la moitié de la route. Gyvès avait été amené derrière le cortège, garotté, outragé, souffrant, plongé dans une charrette de fermier. Il avait gardé, tout le temps du voyage, un silence douloureux et résigné, interrompu seulement par quelques prières.
On se réunit dans une vaste salle gothique du Châtelet d'Orléans. Dans le fond, une croisée s'ouvre sur la Loire qui baigne les pieds de ses murailles à machicoulis ; au milieu de la Loire paraît la langue de terre commençant à l'île de Saint-Loup, qui va s'élargissant en remontant le fleuve. À droite, le pont et, au milieu du pont, le monument de la Pucelle. Au bout de l'horizon, le couvent des Augustins : croisées à droite et à gauche ; de chaque côté une porte qui ferme le premier étage d'une tourelle : c'est là que Catherine, restée seule, se livra à toute la joie d'un triomphe qu'elle n'osait espérer.
– Me voilà donc toute-puissante ! la première reine du monde ! Une heure après minuit tout ce qu'Orléans renferme d'hérétiques…
Elle fit avec la main le geste d'effacer.
– Ce soir n'est que le prologue ; à Paris on jouera la pièce. Plus d'hérétiques ! Ce n'est pas que je préfère un culte à l'autre : j'ai vu de près le pape et la cour de Rome ; je sais à quoi m'en tenir sur la religion catholique ; mais ces réformés avec leur liberté, leurs droits, ébranlent mon pouvoir ! et le pouvoir, voilà mon Dieu, à qui j'ai déjà tant sacrifié ! N'a-t-on pas dit que j'ai empoisonné le roi François II, mon fils ? Qui peut l'assurer ? personne ; mon confesseur lui-même n'en sait rien.
Elle ouvrit la fenêtre.
– La belle nuit ! comme la lune éclaire mollement ce beau site !… Que la Loire est imposante ! On dirait une nuit à Florence. Tout repose ; le moment est encore éloigné… J'ai passé une journée bien difficile ; je vais prendre un peu de sommeil.
Elle allait sortir ; elle entendit Gautier crier de l'intérieur :
– Je vous dis que j'ai absolument besoin de lui parler.
– C'est Gautier, dit Catherine, bon ! il pourra nous être utile.
– Pardon… je viens voir en quoi je puis être bon à votre majesté.
– Ce respectable ecclésiastique va tout vous expliquer. Gautier, il dépend de vous de me suivre à Paris.
– On peut donc compter sur toi ? dit Bourgoing à Gautier quand ils furent seuls.
– Est-ce que je ne suis pas bon catholique ?
– Qu'est-ce que tu nous conseilles ?
– Puisque la plupart des huguenots sont prisonniers, que les autres sont chez eux, bien cachés , j'ai deviné de suite que ce n'était pas pour leur bien.
– Tu es sorcier.
– Halte-là ! je ne suis pas sorcier : je vais à la messe.
– Tu dis qu'il faudrait…
– Sonner le tocsin et en finir tout d'un coup.
– On dirait que tu as assisté au conseil.
– Dites un mot, en moins d'un quart d'heure tous mes cinquanteniers…
– C'est peu, cinquante.
– Bah ! le signal donné, tout se joindra à nous ; puisque la reine est en cette ville, on sait bien ceux qu'il faut assommer.
– Si l'on te prenait au mot…
– D'abord, le feu aux Quatre-Coins, à la place Saint-Samson ! c'est une nichée d'hérétiques : les maisons leur serviront de fagots.
– Après ?
– Le bal aux fortes têtes du parti. Les voyez-vous se réveillant face à face avec le bon Dieu ?
– Eh bien ! sitôt qu'on aura sonné une heure après minuit…
– Suffit… une heure après minuit, la danse commence. Mon père, un bon chrétien doit penser à son salut : l'action sera chaude ; si l'on allait me tuer !
– Tu as peur ?
– Fi donc ! mais suis-je en état de grâce ? Vous êtes prêtre… pourriez-vous me donner l'absolution… d'amitié ?…
– Vous avez un repentir sincère de vos péchés ?
– Certainement que j'ai un repentir sincère. Si vous voulez, une confession générale…
– Le temps presse…
– Ah ! ma confession générale, ce sera deux mots… Je n'ai ni tué, ni volé… Il se pourrait bien que quelques huguenots, par-ci, par-là…
– Je vous absous de vos péchés, par le mérite du sang de notre Seigneur, et de la bonne oeuvre que vous exécutez pour son service.
– Ainsi soit-il !… C'est une belle chose que la confession : quand on a dit ses péchés, on est léger comme une plume. À une heure donc, en campagne !
Il partit.
Je ne vous dirai pas que Marie, bourrelée de remords, fît évader Gyvès pendant la nuit : on aurait peut-être peine à me croire ; mais comme nous le retrouverons bientôt, il faut bien que quelqu'un lui ait rendu la liberté, et peu nous importe que ce soit Marie, le roi, ou Michot lui-même.

XVI – LA PETITE SAINT-BARTHÉLÉMY

Gautier a couru à la place Saint-Samson : elle est située au bas du flanc méridional de l'église Saint-Maclou ; au fond de la place est une rue qui conduit à l'ancien hôtel-de-ville, et à la place des Quatre-Coins ; vis-à-vis est la rue Barillerie, qui aboutit à la rue Sainte-Catherine. Au fond de la place s'élève une maison à tourelles, une grande porte et plusieurs étages. La nuit est très profonde ; de temps en temps arrivent des hommes et des femmes enveloppés dans des manteaux, et portant les uns des lanternes sourdes, d'autres des falots. Tous ont l'air du plus profond désespoir. Pendant que la maison se remplit, des soldats emmènent prisonniers des femmes, des enfants en larmes : ils sont guidés par des flambeaux que porte un soldat en tête de la patrouille. Les cinquanteniers parcourent la ville ; de temps en temps on entend le cri et la réponse des sentinelles. On voit arriver, par la rue des Basses-Gouttières, le chancelier Groslot, conduisant madame de Coligny ; avec lui marche Thibaut, qui donne le bras à Aurélie.
– Comment, disait madame de Coligny, monsieur le chancelier, vous croyez qu'il y aura du bruit ?
– Rassurez-vous… tout me semble calme… Je voudrais le croire. Mais voilà une nuit qui nous sera fatale, pensa-t-il tout bas.
– Prenez garde, mademoiselle Aurélie ! la nuit est si noire.
– Digne garçon, brave Thibaut !
– Depuis que j'ai quitté M. Touchet pour vous, j'en remercie tous les jours le ciel ; je suis sûr de mon salut, avec vous.
Ils entrèrent dans la maison, qui s'ouvrit avec précaution et se referma de même. Toussaint les suivit de près.
– C'est ici, je crois… encore des peines, encore des persécutions ! sans doute, cette nuit, nous aurons des martyrs ! Puisse-je, ô mon Dieu , perdre aujourd'hui la vie avec mes frères pour une si sainte cause !
Il frappa et entra avec les mêmes précautions. M. d'Alibert et le chancelier regardaient par la croisée du premier.
– Je n'entends aucune rumeur pourtant, disait d'Alibert ; peut-être est-ce une fausse alarme.
– Ah ! voilà M. Toussaint ; nous ferons bien de passer le reste de la nuit en prières.
Ils fermèrent la croisée et coururent au-devant de Toussaint. La chambre était déjà pleine de protestants. Une lampe l'éclaire ; posée dans l'angle de l'appartement, elle ne jette qu'une lumière faible. Toussaint préside à la prière ; tous les assistants joignent à leur dévotion naturelle la ferveur de la crainte. Cependant, sur la place, arrivent Gautier avec quelques cinquanteniers.
– Bravo !… les oiseaux sont dans la cage ; nous n'aurons pas besoin de les attraper. Ah ça ! mes amis, il faut en finir cette nuit ; assez d'huguenots comme ça. Voyez-vous, ils en veulent au roi, à la reine, à nous, à tous les honnêtes gens. Mais tâchons de ne pas mettre les torts de notre côté : il faut avoir l'air de nous plaindre, il faut donc chercher une querelle. Allez, ce ne sera pas difficile : je leur en ai déjà cherché souvent : cela m'a toujours réussi. Attendez, vous allez voir.
Il frappe à la porte de la maison.
– Pan, pan ! holà ! quelqu'un !
On ne répond pas.
– Ils ne répondent pas… Pan, pan… voulez-vous répondre, sacrée canaille ?
M. Alibert ouvrit la croisée du premier.
– Qu'est-ce que vous voulez ?
– Voulez-vous m'allumer ma lanterne ? leur cria Gautier.
– C'est peut-être un pauvre : allez, Suzanne.
Le chancelier fit des observations ; mais le désir d'être utile l'emporta. Suzanne descendit ; elle ouvrit la porte de la rue et présenta sa lumière à Gautier, qui alluma sa lanterne.
– Eh bien ! à quoi bon cette farce ? crièrent les catholiques qui l'entouraient.
– Vous allez voir.
Il souffla sa lanterne ; les éclats de rire redoublèrent.
– Ah ! vous riez ? vous êtes encore pas mal forts, vous autres.
Il frappa de nouveau.
–Pan, pan.
D'Alibert ouvrit la fenêtre du premier.
– Qui est là ?…
– C'est moi ; je voudrais bien rallumer ma lanterne qui vient de s'éteindre.
– Il ne fait pas de vent, pourtant… enfin… Suzanne, veuillez descendre.
Suzanne descendit en grommelant, mais elle ouvrit encore la porte et offrit sa lumière à Gautier, en lui disant avec un peu d'humeur :
– Tâchez donc qu'elle ne s'éteigne pas encore ; c'est se moquer du monde.
– Dis donc, Gautier, est-ce que tu plaisantes ? Je ne vois pas où tu veux en venir, lui dit un des plus spirituels de la troupe.
– Tant pis pour toi, imbécile !
Il souffla sa lanterne. Alors les rires redoublent, les plaisanteries circulent autour de Gautier qui, impassible et calme comme un homme qui poursuit une grande pensée, retourne frapper une troisième fois à la porte ; mais comme les rires sont parvenus jusqu'à M. d'Alibert, on ne répond pas. Alors Gautier, irrité, frappe de plus belle… Même silence il revint à ses camarades.
– Eh bien ! quand je vous l'avais dit… ne faut-il pas qu'ils nous fassent toujours des sottises, ces damnés de protestants ? mais il faut en tirer vengeance… Allons, enfonçons la porte ! et vive le roi et la religion !
Les cinquanteniers se joignent à lui et se préparent à briser la porte.
Tout à coup les cloches, le beffroi se font entendre, de grandes clameurs retentissent ; de côté et d'autre arrive à la place Saint-Samson une foule d'hommes et de femmes armés de piques, de haches et criant :
– Mort aux huguenots !
Ils racontent à Gautier et aux cinquanteniers qu'ils se sont portés à la Maison-Carrée, à la tour de Juranville, qu'ils y sont entrés de force, qu'ils en ont chassé, à coups de piques et d'épées, les huguenots qui s'y trouvaient renfermés. En effet, on voit s'avancer plusieurs protestants, déjà blessés, se traînant à peine ; les uns sont poursuivis par des enfants du peuple et des femmes, sous les coups desquels ils fuient ou tombent près de là, tandis que d'autres meurent de lassitude et de leurs blessures sur la place même. La terreur est au comble dans la maison des Quatre-Coins : les scènes qui viennent de se passer ont été vues par le chancelier, d'Alibert et la maréchale de Coligny. La lumière a été éteinte ; la prière continue avec la plus grande agitation. Au milieu du bruit entre un jeune homme, c'est Gyvès ; il a pénétré dans la maison par la porte du jardin commun,
– Venez, mon père, et vous, mademoiselle, fuyez ! votre vie est menacée.
Il dit, et il les entraîne par la main.
– J'ai une barque sur le bord de la Loire… Vous allez traverser la rivière pour vous rendre près de Coligny.
Il les conduit par un détour, et se trouve avec eux dans la rue. Un catholique, qui reconnaît le chancelier, décharge sur lui un coup de pistolet ; mais Gyvès tire son épée, le jette mort et disparaît avec Aurélie et son père. Le coup de pistolet a attiré de ce côté beaucoup de monde : à leur tête est Michot.
– Que vois-je ? un ami tué ! s'écria-t-il.
– Ce sont les protestants qui m'ont assassiné !
– Vengeance !… les scélérats !
Ils entrent par la porte ouverte pour la fuite de Gyvès, et marchent en criant vers celle qui donne dans le jardin ; les protestants, qui ont été refoulés par eux, se barricadent en dedans avec des meubles, etc. Michot met du monde en sentinelle près de la porte, en leur recommandant de veiller à ce que personne ne sorte ; il court près de Gautier, que l'on a déjà informé de l'assassinat du catholique.
– Ce sont les gueux de cette maison qui l'ont tué !
– Eh bien ! il faut les brûler tout vifs là-dedans ; du bois ! des fagots ! une paillasse !
Une femme, d'une maison voisine, en jette une : Michot la traîne vers la porte ; on l'y applique, on y met le feu ; bientôt il a attaqué les ais de la porte ; on frappe à coups redoublés, elle se brise, la flamme pénètre dans la maison ; l'escalier s'embrase ; en peu de temps tout l'édifice est comme une fournaise. Les protestants se penchent aux fenêtres en demandant grâce ; mais on répond à leurs plaintes par des injures et des jeux de mots : ceux qui sont derrière eux, brûlés par les flammes qui les atteignent, les poussent par la fenêtre. Les uns tombent étouffés, les autres tout vivants sont reçus par Gautier et ses amis, sur des piques ; on les achève à terre. Enfin, la maison, ébranlée, chancelle : les catholiques s'éloignent ; elle tombe et croule au milieu des cris de joie, des hurlements du peuple et des gémissements de ceux qui sont entassés dans les décombres : ils brûlent et fument longtemps encore. La place, jonchée de débris mêlés d'hommes et de femmes à demi brûlés, fut, pendant plusieurs jours, un lieu de réunion et de plaisanteries.
Le père Levé y mena son fils aîné ; il lui donna, sur le champ de carnage même, des leçons pour le guider toute sa vie : il lui inspira l'horreur qu'il éprouvait pour les protestants, qui, depuis leur apparition, n'avaient causé que des troubles en France : la preuve en était sous ses yeux.
Les scènes de meurtre et d'incendie se répandirent dans toute la ville : on évalue à deux mille le nombre des victimes du zèle religieux des bons catholiques.
Le lendemain matin, on retrouva le corps de Gyvès à moitié caché par la Loire : il était percé de plusieurs coups de lance.
Le roi et sa mère quittèrent Orléans pour n'y plus revenir.
Le chancelier Groslot fut assassiné dans la nuit de la Saint-Barthélémy, à Paris.

XVII- CONCLUSION.

Que puis-je vous dire de plus, moi, qui ne vous ai promis qu'une chronique orléanaise ? Je ne suivrai pas Marie Touchet à Paris. Tout le monde sait qu'elle fut dame d'Entragues : je ne veux pas vous apprendre ce que sait tout le monde. Je vous dirai seulement que tout rentra dans l'ordre à Orléans ; que le petit nombre de protestants qui furent épargnés dans l'affaire végéta dans le mépris et la haine des bons citoyens. On ne leur pardonna jamais la journée des Chaperons. Gautier continua à jouir de l'estime générale ; Michot fut pensionné par la reine. Quant aux autres personnes, telles que Toussaint, etc., j'avoue que je n'ai pas la moindre donnée sur leur existence.
Parmi les héros de mon histoire, il en est un pourtant dont je dois vous entretenir d'une façon privilégiée : ce héros, c'est Levé ; la part prodigieuse qu'il a prise aux événements importants de notre histoire exige cette notice biographique. Il continua avec beaucoup de dévouement son commerce de marchand de draps, rue du Tabourg , à l'enseigne du Soleil-Levé ; il maria ses enfants, se retira après avoir fait sa fortune, et finit ses jours à sa maison de campagne de la Haute-Épine, entouré, comme on dit, de la considération publique. Sa postérité multiplia singulièrement à Orléans : c'est de cette famille que descendit mademoiselle Rose Levé, femme du sieur Lesguillon, père de votre serviteur.


DÉDICACE

À M. C. Vergnaud Romagnesi, membre de la Société royale des Belles-Lettres et Arts d'Ortéans, etc., etc. Mon cher cousin, Je te dois tant pour cet ouvrage que je n'en puis faire hommage qu'à toi : tes recherches savantes ont jeté une clarté immense sur les antiquités nationales d'Orléans, notre mère commune : tu as appris quels trésors elle renfermait dans son sein : tu as recréé ses monuments, ses souvenirs, et ennobli, aux yeux de la France, une ville qui si souvent, si longtemps fut à elle seule la France toute entière. Ce livre te revenait de droit et à plus d'un titre. Ton affectionné cousin, J. Lesguillon.


TABLE

La Rentrée du Roi
La Vache à Colas
La Conversion
Un Bal au Louvre
Les Fiançailles
Le Complot
La Journée des chaperons
Préparatifs du 24 août
Marie est exilée

Préludes du 24 août
Suite
Le Pardon
Le Hallier
Le Poison
Le Châtelet d'Orléans
La petite Saint-Barthélemi
Conclusion

 


RÉSUMÉ DU ROMAN

En 1569, dans le contexte des guerres de religion, le roi Charles IX, âgé de 19 ans, vient à Orléans. Là, il tombe amoureux de la fille de Jean Touchet, lieutenant du baillage d'Orléans, un huguenot : cette belle fille de 20 ans s'appelle Marie et est fiancée à Gyvès, le fils d'un échevin de la ville.
À cause de Marie, le roi resta lontemps à Orléans. Il fit cadeau à sa maîtresse du château du Hallier à Nibelle, où les deux amants s'adonnèrent au plaisir de la chasse. Bientôt Marie abjura, avec son père, dans la cathédrale Sainte-Croix. À cette occasion, Jean Touchet se réconcilia avec son voisin, le marchand de draps Levé. Gyvès, lui, se consola avec Aurélie, la fille du chancelier Groslot, un protestant.
*
Rappelé au Louvre par sa mère, Charles IX se languit loin de Marie Touchet (le poète Jean Dorat lui fait remarquer que le nom de la jeune fille contient toutes les lettres de « je charme tout », ce qui ravive son amour). Catherine de Médicis attire l'attention de son fils sur le danger que représente l'amiral Gaspard de Coligny ; elle lui apprend que le duc de Guise et elle-même on le projet de détruire les hérétiques : ce serait le 24 août de cette année 1572. Mais, au moment de signer l'acte autorisant le massacre, Charles IX a un grave malaise et refuse. Au Louvre, au cours d'un bal, Catherine offre des gants empoisonnés à Jeanne d'Albret, reine de Navarre, qui a pris la tête du mouvement protestant.
*
A Orléans, roi est venu incognito retrouver Marie. Dès leur premier entretien, celle-ci apprend au roi que les protestants vont se réunir dans le château de l'Isle pour les fiançailles de Gyvès et d'Aurélie. Elle convainc le roi de se déguiser et d'aller se mêler aux protestants.
Au château de l'Isle, le roi, Marie et son père, revêtus de grands manteaux bleus, ne sont pas reconnus. Mais quand le roi voit passer Aurélie devant lui, il ne peut s'empêcher de lever son chaperon et de chercher à l'embrasser. Furieux Gyvès attaque à l'épée ce malotru sur la levée de la Loire…
*
Catherine de Médicis, informée de l'escapade du roi son fils, est arrivée à son tour à Orléans, où on l'a logée dans l'hôtel dit de Diane de Poitiers. En fait, elle veut se servir de Marie pour amener le roi à signer l'ordre d'éliminer, le jour de la saint Barthélémy, l'amiral de Coligny et les autres chefs protestants (ce pour quoi le pape a donné son accord). Apprenant que le roi s'est rendu à une cérémonie de protestants, elle s'est inquiétée et s'est fait conduire à ce château de l'Isle.
Arrivant au moment où Gyvès allait l'emporter, elle fait cesser le combat. Tout le monde reconnaît alors le roi et sa mère. Les protestants pour la plupart s'enfuient et beaucoup sont tués ; mais certains essaient de défendre les belles huguenotes contre les catholiques qui s'amusent à arracher leur chaperon pour leur voler des baisers.
Catherine de Médicis demande que le roi soit gardé par le chancelier Groslot, dans son château de l'Isle, et que Marie soit conduite avec son père  dans son château du Hallier.
Quelques jours plus tard, est célébré, dans le château de l'Isle, le mariage d'Aurélie et de Gyvès, lequel sera bientôt choisi par les protestants pour être leur chef.
En effet, l'annonce de la mort de la reine de Navarre est interprété comme le signe avant-coureur des menaces qui pèsent sur les protestants et toute la ville d'Orléans est en émoi.
*
Depuis le Hallier, Marie a pu faire parvenir une lettre au roi. Celui-ci, échappant à la surveillance de Groslot, se met en route avec une petite troupe vers le château du Hallier; mais ils sont attaqués en chemin et le roi se retouve seul, perdu dans une forêt.
Dans cette forêt, où des protestants se sont réfugiés, des hommes armés de mousquets assurent la garde, avec mission de ne laisser personne. Un traiteur leur apporte quelque nourriture, dont un pâté et une bouteille de vin.
Arrive alors un homme vêtu d'un manteau bleu et portant trompe de chasse et épée: c'est le roi, qui cherche le château du Hallier. Ils le prennent pour un officier du roi chargé d'aller rencontrer Marie Touchet : ils le font prisonnier et le conduisent sous une tente où il doit rendre des comptes aux protestants.
Mais Gyvès, qui a rejoint ses coreligionnaires, reconnaît le roi, un catholique qui lui a pris sa fiancée. Il lui annonce d'abord qu'il va être exécuté ; puis il se reprend et, au nom de Dieu, il lui fait grâce. Il fait alors prendre conscience au roi des injustices dont sont victimes les protestants. Alors Charles IX, ému, promet la grâce pour ceux qui ont pris part aux troubles et, pour tous, la liberté de conscience.
*
Au château du Hallier, Marie et son père attendent le roi. Mais c'est Catherine de Médicis qu'ils voient arriver : en effet elle a besoin de Marie pour obtenir du roi l'indispensable signature. Son plan, conçu avec l'approbation du prêtre Bourgoing, est d'organiser un simulacre de mariage entre Charles et Marie, toute excitée à l'idée de devenir reine. Mais, au moment de la communion, l'hostie destinée à Marie serait empoisonnée…
*
Au Hallier, le roi a rejoint Marie. Celle-ci est furieuse d'apprendre qu'il a pardonné aux protestants et qu'il s'est réconcilié avec Gyvès, qu'il a même invité au Hallier. Àrrive Catherine, avec un nouveau plan : lors de ce qui est présenté comme un repas des fiancailles de Marie et du roi, elle feint d'avoir été empoisonnée par Gyvès et elle joue la femme agonisante qui vient de rencontrer Dieu : celui-ci la condamnera à l'enfer si rien n'est fait contre l'hérésie.
Alors Charles, bouleversé, n'hésite plus : il signe l'acte qui condamne à mort les protestants…
*
A Orléans, Catherine s'est réfugiée au couvent des Augustins. Elle attend le massacre qu'elle a projeté, non pas dans l'intérêt de l'Église, sur laquelle elle ne se fait plus d'illusion, mais pour en finir avec les protestants dont l'esprit de liberté menace son pouvoir.
Alors, c'est le début du massacre, prélude de la Saint-Barthélémy parisienne. Les protestants sont tués à coup de lance ou brûlés vifs dans leurs maisons. Gyvès, que Marie, prise de remords, a fait évader, essaie de sauver son père et Aurélie en les conduisant vers une barque sur la Loire; mais il est tué à coups de lance.
*
Le roi et sa mère ont quitté Orléans pour n'y plus revenir. Le chancelier Groslot a été assassiné à Paris dans la nuit de la Saint-Barthélémy.
Le marchand de drap Levé, resté bon catholique, deviendra un commerçant prospère: c'est une de ses decendantes, Rose Levé, qui sera la mère de l'auteur de cette histoire.



LA SUITE DE L'HISTOIRE

Marie Touchet ne tarda pas à tomber enceinte et Catherine de Médicis ordonna à son fils d'éloigner cette maîtresse. Charles IX l'envoya en Savoie où elle donna naissance à un fils qui ne survit que quelques jours. Mais trois ans d'éloignement n'eurent pas raison de cet amour. Lorsqu'elle apprit les projets de mariage entre le roi et l'archiduchesse Élisabeth d'Autriche en 1570, Marie Touchet déclara pleine d'assurance : « L'Allemande ne me fait pas peur ». En 1572, roi en eut une fille, Marie-Élisabeth de France, qui mourra en 1578.
En 1573, Marie Touchet alla accoucher d'un second fils de son amant royal au château du Fayet, en Isère, près de Barraux. L'enfant, baptisé Charles, sera plus tard comte d'Auvergne et duc d'Angoulême et fera souche princière (Charles de Valois-Auvergne, duc d'Angoulême).
Le roi état mort à Vincennes en 1574, Marie Touchet épousa, en 1578, François de Balzac d'Entragues, gouverneur d'Orléans, de qui elle eut deux filles, Catherine Henriette de Balzac d'Entragues et Marie-Charlotte de Balzac d'Entragues. Toutes deux seront maîtresses d'Henri IV (qui s'engagera même à épouser la première).
Marie Touchet, qui habitera à Paris place des Vosges, mourra à 89 ans, en 1638.


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