J. Lesguillon
ÉMOTIONS
1833
POST-SCRIPTUM |
Si jamais ce livre tombe entre les mains d'un lecteur qui aime à se rendre compte de tout, s'il le pose gravement sur sa table en interrompant sa lecture, et se demande : À quoi bon ? je lui répondrai avec ingénuité que ce Recueil est publié à peu près comme il a été composé, au hasard.
Et d'abord l'auteur a commencé de bonne heure à douter de ce qu'on nomme la gloire. À une époque où rien n'est arrêté, où tout va, comme les flots au rivage, sans but, sans projet, il a vu tant de célébrités sans cause, tant de renommées gratis qu'il a fini par se demander s'il y avait encore en France une voix retentissante et infaillible, choisissant les noms pour les redire et les transmettre. Il a senti, dans son âme, un dédain profond pour toutes choses, excepté cependant pour ces suffrages qui sont un succès, et ces estimes qui suppléent à tout un peuple. .
Les pièces que renferme ce livre furent presque toutes écrites pour un regard, pour un sou rire de femme. Les plus longs travaux ne rencontrent qu'auprès d'elles une juste récompense, car là seulement on reçoit plus qu'on ne donne. Ainsi s'est établie une balance de poésie et d'affections, où se berçaient à la fois le cœur et l'esprit du poète.
La poésie est comme la confession : quand on lui dit ses peines, elles cessent d'être. On doit peu parler de ses plaisirs.
Et voilà qu'un jour j'ai revu ces émotions douces et douloureuses ; je les ai parcourues avec le bonheur des souvenirs d'enfance : j'ai cru qu'il était temps de les imprimer.
C'est le moment plus que jamais de dire aux poètes, comme au laboureur négligent qui laisse ses fruits dehors : Hâtons-nous ! hâtons-nous ! nous qui avons encore des illusions d'amour ; nous chez qui I'existence idéale se retrace non dans un tableau mais dans un miroir fidèle, nous qui ne voyons de réel, dans la vie, que de vivre dans les autres.
Pour respirer librement au milieu de notre atmosphère prosaïque, il faut se dépêcher de jeter un pareil bagage. Ainsi je ne publie pas ; je me débarrasse.
Il est donc bien convenu qu'aucune des pièces de ce Recueil ne fut composée d'abord pour paraître ; c'est la seule chance de succès que j'y trouve.
Si l'on me demande pourquoi j'imprime cela, je répondrai naïvement : Je ne sais. – C'est pour le public, peut-être ? – Ah ! ah ! le public… j'y songe à présent : mais le public… il n'y en a plus.
MARIA |
À Madame du duchesse d'Abrantès
Debout sur les degrés du trône
À côté de Napoléon,
Votre époux fut un beau rayon
De son immortelle couronne :
Pour l'éclat de votre maison,
Votre plume, aussi bien trempée,
Sur le champ de votre écusson
S'entrelace avec son épée.
Tout succès peut vous réclamer,
Et les lettres et les victoires :
Il suffira de vous nommer
Pour rappeler toutes les gloires.
Il est une heure grave, où, lorsqu'autour de l'âtre
Veillent la causerie et la gaîté folâtre,
Si parfois l'entretien, s'égarant dans son cours,
Sur de sombres objets attire le discours,
Suivant de la terreur le penchant insensible,
Il se fixe enchaîné par son charme invincible,
Et I'esprit, désirant ce qu'il doit redouter,
Craint à la fois d'entendre et brûle d'écouter.
Alors vient une triste et Iamentable histoire :
C'est un esprit en deuil fuyant du purgatoire ;
C'est un père oublié, qui, leur tendant les bras,
Demande une prière à des enfants ingrats ;
C'est une amante encor, par I'amour immolée,
Qui sort de son cercueil plaintive et désolée,
Et, l'œil mouillé de pleurs, va tristement s'asseoir
Sous l'arbre où son amant ne revint pas un soir ;
Fantastiques récits qui, nés de la faiblesse,
Épouvantent l'enfance et troublent la vieillesse,
Et, de la raison même altérant le flambeau,
Nous assiègent vivants des terreurs du tombeau.
Oh ! vous verriez alors I'assemblée éperdue
Aux lèvres du conteur demeurer suspendue !
Comme tous les tourments la peur a son attrait :
Le cœur bat, palpitant d'un horrible intérêt ;
Tandis que règne au loin l'attention profonde,
Si l'on entend la voix de I'aquilon qui gronde,
L'éclat rapide et sec d'un meuble qui se fend,
Les aboiements d'un chien, la plainte d'un enfant,
Une porte qui s'ouvre, une cloche qui sonne,
L'auditeur, tressaillant, sur sa chaise frissonne,
Et, serrant de plus près tous ses voisins transis,
Se consume au brasier, et se glace aux récits.
Lorsqu'a sonné pourtant l'heure qui nous sépare,
Le cercle à cet effort Ientement se prépare :
Quelque raison toujours de rester nous permet ;
On craint de se quitter, comme si I'on s'aimait ;
On envie aux époux, que le devoir rassemble,
Le droit si cher alors de demeurer ensemble :
En entrant dans sa chambre, on hésite, on pâlit ;
Et le plus courageux regarde sous son lit.
Mais le vertige encor nous poursuit clans un songe ;
On est près d'un abîme, on y marche, on y plonge :
C'est en vain qu'au péril on veut se dérober ;
On y tombe… on s'éveille au moment d'y tomber.
C'est ainsi qu'en terreurs le repos se consume :
Dans son cours enflammé le sang battu s'allume ;
Sous nos draps humectés d'une froide sueur
Nous cachons notre front ; enfin une lueur
Paraît ; d'un doux reflet l'horizon se colore,
On espère ; l'on doute ; on voit briller l'aurore !
Et, le sourire au front, s'élançant du chevet,
On se moque tout bas de la peur qu'on avait.
Or, écoutez ! I'airain frappait la douzième heure !
Triste, silencieux, et seul dans sa demeure,
Aux tremblantes clartés d'un feu qui se mourait,
Après trois ans d'hymen, un mari déplorait
La perte d'une épouse et jeune et bien aimée
De ce soir seulement dans la terre enfermée.
Elle avait désiré que son anneau d'hymen,
Son collier, ses brillants dont il orna sa main,
Des fêtes et des bals parure solennelle,
Fussent dans le cercueil déposés avec elle.
Depuis une heure au moins il avait vu partir
Ses parents, à ses maux lassés de compâtir.
Seul, il se rappelait, accablé de tristesse,
Ses jours heureux, passés avec tant de vitesse !
Ses jours heureux, passés pour ne plus revenir !
Son épouse, riant à son bel avenir,
Brillante de beauté, de vertus et de charmes !
Il avait tant pleuré qu'il n'avait plus de larmes !
Les regrets trop brûlants dessèchent jusqu'aux pleurs !
Tantôt il contemplait, sombre dans ses douleurs,
Ce lit que pour jamais le bonheur abandonne,
Où personne n'attend, et qui n'attend personne !
Tantôt (le sentiment fatigué de souffrir
Aux chimères parfois se plaît à recourir),
Tantôt, de la pensée indicible mystère,
Comme pour repeupler son âme solitaire,
Il rêvait d'autres nœuds, ou d'amours inconstants ;
Mais peut-on remplacer ce qu'on aima longtemps ?
L'amour use le cœur ; puis il est de ces femmes
Qu'on ne retrouve plus, qui laissent dans les âmes
Un vide immense, affreux l Dans la foule isolé,
Du bonheur qu'on n'a plus tout semble désolé !
Plus d'une femme arrive, et ravissante et belle ;
On l'admire ; elle plaît ; oui, mais ce n'est pas elle !…
Pour un cœur de regrets et d'amour éperdu,
Il n'est rien de si beau que ce qu'il a perdu.
Tandis qu'au tourbillon des flammes balancées
Il livrait vaguement ses lugubres pensées,
Soudain sa porte s'ouvre, et, le glaçant d'effroi,
Un fantôme s'approche, en lui disant : C'est moi !
Celle qui l'appelait d'une voix bien connue,
C'est une femme grande, et pâle, et presque nue ;
Soutenu par son bras, un vaste linceul blanc
Se repliait autour de son genou tremblant ;
Comme un saule plaintif, qui pour pleurer se penche,
Ses cheveux noirs tombaient sur son épaule blanche.
Et l'époux, palpitant d'une soudaine horreur,
La regarde, l'œil fixe et muet de terreur ;
Vers le lit nuptial il recule en silence,
Et, comme retenant son qui s'élance,
Il s'assied pâle, et tel qu'on voit dans nos jardins
Ces héros demi-dieux ou ces faunes badins
Qui, d'un savant ciseau créations habiles,
Dans· un seul mouvement respirent immobiles,
Promenant sur le spectre un regard obscurci,
Il écoute la voix qui Iui parlait ainsi :
« Depuis plus de huit jours, ton ardente tendresse
Près d'un lit de douleur veillait sur ma faiblesse :
Tout à coup un frisson sembla me parcourir ;
Bientôt je m'affaiblis, et je me vis mourir.
Tremblant d'aborder seule un tombeau solitaire,
Je n'avais qu'un regret : quitter sans toi la terre !
J'eusse avec moi voulu, loin d'un monde odieux,
T'emporter ; je sentais que j'allais dans les cieux !
Je m'éveillai : j'étais enchaînée, inflexible,
Dans une nuit profonde et pourtant invisible !
Mes yeux étaient couverts d'un humide bandeau :
Mes membres supportaient un étrange fardeau :
Je cherchai… je compris !… De toutes parts pressée,
C'était par un linceul que j'étais enlacée.
Un choc épouvantable ébranla ma raison,
Lorsque j'eus reconnu quelle était ma prison !
Mon malheur est si grand qu'il me semble incroyable :
J'essaie à soulever cette voûte effroyable.
Remplissant de mes cris mon asile de mort,
Ma dent déchire en vain mon linceul qu'elle mord.
Je double, en m'agitant, mon affreuse torture ;
Je rassemble ma force à changer de posture ;
Vains efforts ! quelle angoisse et quel horrible effroi,
Quand je pensais aux morts qui dormaient près de moi !
Eux, éteints sans douleur ! et moi, vivante encore.
Couchée auprès de ceux que la tombe dévore !
L'accent du désespoir est bientôt criminel ;
Je maudis mon destin et mon sort éternel :
Tout mon sein se gonfla d'amertume et de rage,
Au dieu qui me frappait je prodiguai l'outrage ;
Le blasphème sortit de mon cœur indigné !
Puis, je me repentis, et je me résignai ;
Je pleurai ces parents dont j'étais adorée,
Mon mariage heureux et ma vie honorée,
Toi qui m'avais juré de me chérir toujours,
Toi, mon époux, hélas ! et pour si peu de jours !
Ah ! disais-je ; et des pleurs inondaient mon visage,
Quelle terreur pour lui, quel douloureux présage,
Lorsque pour me pleurer son regard se baissant
Verra sur mon tombeau croître la fleur de sang !
Puisse au moins, et mon cœur se console à la croire,
Ma vie éteinte ici survivre en leur mémoire !
Puissent tous mes amis, ces hôtes que j'aimais,
Dans leur prière au ciel ne m'oublier jamais !
Sous le poids du malheur quand l'âme se resserre,
On promet souvenir, on croit être sincère,
Et le mourant sourit ; mais, s'il rentrait au jour,
Dans son beau patrimoine ou son riant séjour
Rien ne serait changé…. que les cœurs, et peut-être
Ce qu'il aimait le plus craindrait de le connaître ;
Sur Iui-même déjà I'homme s'est replié,
Et celui qui n'est plus est bientôt oublié !
C'est alors que j'appris combien la vie est chère.
Oui, qu'importent la faim, I'abandon, la misère ?
Tourments et désespoir, on peut tout supporter :
La vie est le seul bien qu'on ne puisse quitter !
Gloire, fortune, honneurs sont peu dignes d'envie,
Quand du fond de la tombe on regarde la vie !
Je ne voulais que vivre, et, priant avec foi,
Je demandais au ciel un miracle pour moi.
Oh ! de quelle ferveur je promettais l'exemple !
Je devais chaque jour visiter le saint temple ;
Consacrer mes loisirs à la seule vertu ;
Je devais relever le malheur abattu,
Consoler le vieillard et nourrir I'indigence :
Plus de fêtes, d'atours ! bien loin haine ! vengeance !
Aux vanités du monde on dit sans peine adieu,
Quand on se trouve seul en présence de Dieu !
Je priais… j'appelais, et qu'en devais-je attendre ?
Je comprenais trop bien qu'on ne pouvait m'entendre ;
Bientôt je n'obtins plus qu'un sourd gémissement
De mes flancs douloureux échappé lentement :
Puis mon sein oppressé battit avec souffrance,
Et je perdis enfin jusques à l'espérance.
Il me sembla pourtant dans un vague incertain
Au-dessus de ma tête entendre un bruit lointain,
Le son d'un fer qui frappe, et s'élève, et retombe :
On creusait en chantant ; était-ce une autre tombe ?
Les coups de I'instrument s'approchent par degré ;
Je voudrais avertir, mais mon sein resserré
Refuse un accent même à ma voix haletante.
J'attends donc, immobile, et froide, et palpitante.
J'entendais, enchaînée à tous ces mouvements,
Presque sur mon cercueil rouler les ossements.
Soudain, perçant le sol, la bêche tout entière
Fendit, en la brisant, la voûte de ma bière.
Je poussai, d'une voix que l'air pur me rendit,
Un cri perçant, auquel un autre répondit.
Non ! le son enchanteur de la voix qu'on adore,
Le chant de mille oiseaux au lever de I'aurore,
Les adieux d'un amant qui ne veut pas partir,
Avec moins de douceur auraient pu retentir !
Levant avec effort le fardeau qui me couvre,
Je brise d'un seul coup la planche qui s'entrouvre,
J'écarte le linceul qui me cachait les yeux,
Je me lève, regarde, et je revois les cieux !
Qu'ils étaient beaux ! jamais, dans sa grâce immortelle,
La nature à mes yeux n'avait paru si belle !
Près de moi, confondu dans un seul sentiment,
Tout était voluptés, extase, enchantement :
Je me sentais renaître, et mon âme ravie
S'enivrait à longs traits du bonheur de la vie !
D'un hommage d'amour, tout s'animait en moi :
Le premier fut pour Dieu, le second fut pour toi !
Autour de moi pourtant règne un profond silence ;
J'entends sonner minuit : tout à coup je m'élance :
Je traverse nos murs sans lumière et sans bruit.
Faible femme, jadis j'avais peur de la nuit :
Son ombre cette fois m'a semblé moins horrible,
J'avais vu de si près une nuit plus terrible !…
Me voilà ! Grâce au ciel, je puis encor t'aimer.
Demain, quand le soleil viendra tout ranimer,
Nous irons, saluant le réveil de l'aurore,
Glorifier ce Dieu qui nous unit encore,
Adorer sa clémence, et, mon bras sur le tien,
Finir notre prière au lieu d'où je reviens. »
Elle achevait ces mots, et, d'une main tremblante
Entourant du Iinceul sa blessure sanglante,
Vers son époux muet, trop lent à s'avancer,
Heureuse, elle accourait comme pour I'embrasser :
Etonnée, Inquiète, elle approche, le touche ;
Un murmure confus expire sur sa houche :
Elle appelle, s'agite ; à ses cris superflus
Personne ne répond : son époux n'était plus.
Quand la mort eut marqué son passage livide,
Elle le fit placer, dans sa fosse encor vide,
Et d'un denier de veuve acheta ce séjour,
Comme un lit nuptial, pour y rentrer un jour.
SÉJOUR À ORLÉANS |
À Mademoiselle Hermance Sandrin
À vous, bonne sans art, aimable sans système,
Indulgente pour tous bien plus que pour vous-même,
Vous qui vivez de l'âme autant que de l'esprit,
Bonjour, paix et santé ! La main qui vous écrit,
En retraçant ici ces détails de voyage,
Pourra bien aborder l'écueil du verbiage :
Mais lorsqu'en nos plaisirs le cœur est de moitié,
Tout entendre et tout dire est un droit d'amitié.
Musa pedestris.
Je frappe ! tout à coup un cri : « C'est lui peut-être !
Oui, sans doute, c'est lui ! » Soudain je vois paraître
Marie, au front brillant de joie et de santé,
Qui promène sur moi son regard enchanté.
Puis, laissant à plein bord s'échapper sa tendresse,
Elle approche et m'admire, et m'embrasse et me presse ;
« Avec impatience on vous attend ici.
C'est vous, Monsieur ! et moi ! je vous attends aussi ;
Bon Jésus ! de vous voir combien je suis charmée !
« Je vous reconnaîtrais au milieu d'une armée ! »
Et pourtant d'aujourd'hui seulement je la vois.
Oh oui ! je la comprends. Sans doute bien des fois
Ma mère, en conversant selon le vieil usage,
Lui peint mes goûts, mes mœurs, ma taille, mon visage,
Et passe, tout entière à mon seul souvenir,
Les jours à m'accuser, les soirs à me bénir.
Je pénètre. Aussitôt, sortant comme d'un rêve,
Ma mère, en me voyant, sur son séant se lève :
« Mon fils ! c'est toi ! mon fils ! c'est affreux ! qu'il m'est doux ! »
Et voilà qu'elle pleure : Eh oui ! c'est moi ! c'est nous !
Après des jours, encore allongés par l'absence,
S'entendre, se revoir est une jouissance !
Dans cet échange heureux, il est donc des attraits,
Il est des voluptés qui ne meurent jamais !
C'est comme une divine et sympathique ivresse :
On sent s'évanouir le poids qui nous oppresse :
De l'âme anéantie en cet embrassement
Tout souvenir humain s'efface en ce moment,
Et parmi ces plaisirs dont le retour dévore,
Il n'est qu'un seul baiser qu'on se rappelle encore !
Le courage revient aux esprits abattus ;
On se ranime, on croit à l'amour, aux vertus.
Adieu, vanité folle ! adieu, vaine chimère !
Mon cœur est encor pur, j'aime toujours ma mère !
Après l'émotion viennent les entretiens.
« N'as-tu rien oublié de tes devoirs chrétiens ?
Quand Dieu chaque matin te donne la lumière,
Ne négliges-tu pas de faire ta prière ?
– Non, maman !
– Ah ! tant mieux ! bien sûr ?
– Oui, chaque soir,
Chaque matin, toujours, comme un hymne d'espoir,
S'élève vers les cieux ma prière éternelle :
Pour toi, d'abord, maman, puis ensuite pour elle.
– Pour elle ! allons, enfant ! Quoi ! jamais de raison ?
Ne ferais-tu pas mieux, comme un fils de maison,
D'embrasser un état digne de tes ancêtres,
Comme tous tes cousins, qui sont avocats, prêtres,
Marchands, et de pouvoir un jour, gagnant du bien,
Faire tout à la fois ton bonheur et le mien ?
Songe à ton grand-papa : lui, pas de poésie ;
Chef du grenier à sel et de la bourgeoisie,
Il vécut dans la ville avec beaucoup d'honneur ;
Il fut estimé, riche, et voilà le bonheur.
– Tout mon bonheur, maman, c'est qu'éclatante et vive
Sur ma cendre glacée une flamme survive !
Que l'on dise un instant, et peut-être toujours :
Il crut la poésie et lui donna ses jours.
Ce qu'il me faut, maman, ah ! c'est qu'elle m'estime !
Qu'une femme admirable, une amante sublime,
Me mêle avec son âme, et que de tous vainqueur,
Mon nom, mon nom lui seul fasse écho dans son cœur,
Et lorsqu'à ses genoux elles volent pressées,
M'obtienne un souvenir pour toutes mes pensées ! »
Et mes baisers de fils se plaisaient à tarir
Les pleurs qui, dans ses yeux, essayaient de courir.
Puis je lui reparlais d'amour et de mémoire :
D'un amour éternel, d'une éternelle gloire ;
Et ma mère riait de mes rêves d'enfant,
De mes illusions d'avenir triomphant,
Seules réalités, toute la vie en somme,
Dont le vulgaire doute et qui font le grand homme.
Ma bonne et tendre mère ! oh ! le cœur maternel !
Sainte émanation du foyer éternel !
Oh ! le cœur maternel ! source féconde, immense
De conseils, de bienfaits, de bonté, de clémence !
Pareille au Dieu mortel qui naquit pour mourir,
Elle vient pour aimer, pardonner et souffrir !
Je les ai reconnus, les yeux mouillés de larmes,
Ces vallons enchantés, ces sites pleins de charmes,
Ce rivage animé, poétique séjour,
Où coula mon enfance, où j'ai reçu le jour !
Salut, trois fois salut, majestueuse Loire !
C'est là que, comme un sot, j'osais parler de gloire,
Alors que bien des fois la voix d'un froid pédant
Glaçait d'un mot amer mon espoir imprudent :
C'était là que toujours, quand expirait l'année,
De lauriers verdoyants la tête environnée,
Athlète triomphant de mes nombreux rivaux,
Je volais, palpitant au milieu des bravos,
Et courais, étourdi de ma gloire éphémère,
Déposer ma couronne aux genoux de ma mère.
Contemplons Sainte-Croix, dont le vaste clocher
Se mêle avec les cieux que son front va toucher :
Voyez comme ses tours, sveltes, audacieuses,
Élèvent mollement leurs tailles gracieuses !
Elle réunit tout, force et légèreté :
Sa grâce ajoute encore à sa mâle fierté ;
Sainte-Croix, dont le Christ aime les voûtes grises,
Domine de si haut nos plus belles églises
Qu'à peine Notre-Dame, en son orgueil jaloux,
Pourrait en se haussant toucher à ses genoux !
Près du temple sacré, reine des basiliques,
Non loin de cette enceinte où dorment ses reliques,
Pothier, ennoblissant d'honorables emplois,
Promenait son flambeau sur le fatras des lois,
Des bailliages divers débrouillait les méthodes,
Enfantait le Digeste et préparait nos codes ;
Et dans la maison même, où, d'honneurs revêtu,
Le marbre nous redit sa gloire et sa vertu,
Mérault inspire aussi, comme du sein d'un temple,
La foi par ses écrits, le bien par son exemple.
Ici tout est vivant de restes glorieux !
Ici, les monumens guerriers, religieux,
Qui de la vieille France agrandissent l'histoire,
Nous parlent de combats, de sièges, de victoire !
C'est ici qu'aux Anglais renvoyant leur effroi,
Jeanne d'Arc témoignait pour la France et son Roi,
Là même, où chaque année une auguste coutume
Habillant un enfant de son mâle costume,
Dans nos murs pavoisés de drapeaux et de fleurs,
Rappelle ses exploits, sa gloire et ses malheurs.
Palais qu'un goût naïf avec faste décore,
De la gentille Agnès vous souvient-il encore ?
Et vous, qui d'Henri-Deux vîtes couler les pleurs,
Avez-vous de Diane oublié les douleurs ?
Partout autour de nous, la monarchie antique
Grava sur nos maisons sa trace politique ;
Notre Orléans, fidèle à son culte, à sa foi,
Grave sur ses drapeaux la patrie et le Roi,
Et jetant sur l'histoire un sillon de lumière,
Renferme dans son nom la France tout entière.
T'oublierai-je, ô Loiret ! dont le vaste détour
Abreuve, en serpentant, les coteaux d'alentour ?
Là Bolingbrock passa l'exil du ministère :
Ta source quelque temps a vu rêver Voltaire,
Où maintenant respire un sage, dont la voix
Instruit l'homme des champs et plaide pour nos droits.
Oh ! comme avec amour tu caresses nos plaines !
Les vieux débris dormants de nos tours châtelaines,
Saint-Mesmin, Olivet, le pied dans tes roseaux,
Parure de tes bords, se mirent dans tes eaux.
Tantôt comme un torrent tu bondis en cascades ;
Tantôt, sous les rameaux dont les vertes arcades
Sur ton cristal, vêtu de leurs mille couleurs,
Versent comme un tapis les feuilles et les fleurs,
Tu grondes indocile, ou calme tu reposes
Au milieu des gazons, des épis et des roses,
Et tu répands au loin sur ton bord enchanté
L'espérance, la joie et la fécondité !
Poursuis, fleuve riant, ta marche vagabonde !
Et, puissé-je, oublieux de moi-même et du monde,
Ainsi que dans la vie emporté sur ton cours,
Abandonner ma voile au souffle des amours,
Et, sur tes flots rêveurs hasardant ma nacelle,
Par un beau soir d'été m'égarer avec elle !
Ainsi, quand l'amitié m'accorde des loisirs,
L'imagination me rend les vrais plaisirs :
Mais au sein d'Orléans, dans la province même
Qu'un préjugé banal frappe d'un anathème,
On peut nommer encor de ces rares esprits
Amoureux de l'étude, et des beaux-arts épris.
Ici, la récréant sous sa plume savante,
Vergnaud exhumera notre histoire vivante,
Ces trésors, ces débris de nos siècles géants
Qui gisaient oubliés sous le sol d'Orléans ;
De nos beaux monumens la forme retracée
Glisse sur le vélin du crayon de Pensée ;
Et tous deux, d'un chef-d'œuvre honorant nos remparts,
Unissent en faisceau nos prodiges épars.
Je retrouve avec joie au sein de ma famille
Des amis indulgents, cœurs où la vertu brille ;
Mon oncle qui retrace en son aménité
Des anciens temps la noble et franche loyauté,
Et dont le ciel dota les qualités aimantes
D'une épouse adorable et de filles charmantes.
Mais ces êtres aimés et ces parents chéris,
C'est la famille, hélas ! mais ce n'est pas Paris.
Paris, signal heureux d'espérance et de joie,
Comme aux combats jadis saint Denis et Montjoie :
Paris ! à ce seul mot électrique et puissant,
Avec son bruit sonore, avec son charme absent,
Renaissent tout à coup ces brillantes soirées,
De chant, de poésie et d'amour enivrées !
Puis avec un attrait plus paisible et plus doux,
Ces rapides moments où nous n'étions que nous :
Ces heures que peuplaient les chimères fleuries ;
Pendant les soirs si courts les longues causeries,
L'hiver, où nous rêvions de printemps, de ciel bleu,
La tête sur le marbre et les pieds dans le feu.
Alors loin d'Orléans le souvenir m'emporte ;
Et ces lointaines voix que l'aquilon m'apporte
Dans mon esprit, frappé comme les bois du cor,
Plus haut que tous les bals retentissent encor.
Ainsi lorsqu'un amant de celle qu'il adore
Obtient le don sacré que sa tendresse implore,
Quand un gage d'amour, nœud d'un premier hymen,
Du front qu'il idolâtre a passé dans sa main,
Il l'enchâsse dans l'or ; sa piété fidèle
L'enchaîne sur un cœur qui ne bat que pour elle,
Et comme un vrai chrétien, à toute heure, en tout lieu,
Il prie à son trésor comme on prie à son Dieu :
Ou flottant sur son sein, ou pressé sur sa bouche,
Il le suit aux plaisirs, il le suit sur sa couche,
Et, comme un talisman, féconde nuit et jour
Sa pensée immortelle et ses rêves d'amour.
UNE EXÉCUTION MILITAIRE |
À Mademoiselle Clémentine Mame
La pièce est finie !… dit l'un des routiers, en poussant le cadavre de son pied avec insouciance.
Le Manoir de Beaugency
Non loin du monument, retraite hospitalière
Offert par Louis à la vertu guerrière,
Au pied de ces ormeaux où d'un beau souvenir
Nos braves mutilés viennent s'entretenir,
Où parfois, quand la nuit rêveuse et solitaire
D'un voile protecteur enveloppe la terre,
Deux cœurs d'amants heureux, qu'importune le jour,
Échangent des serments et s'enchaînent d'amour,
Arrivent des soldats : les tambours à leur tête
Semblent les précéder comme pour une fête :
Mais ils marchent d'un pas triste, silencieux ;
L'un montre la colère écrite dans ses yeux :
L'autre, le front baissé, retient en vain ses larmes.
Pourquoi ces rangs sans ordre et ces guerriers sans armes ?
Est-ce ainsi qu'aux dangers ils doivent accourir ?
Ils ne vont point combattre, ils vont pour voir mourir !
Dans le centre désert de leur enceinte immense,
Le mystère prélude : un grand acte commence !
Rangés comme en bataille au milieu du chemin,
Douze soldats debout et les armes en main,
Attendent !… Vous pourriez sur leurs mâles visages
Surprendre en frémissant de sinistres présages :
La stupeur et l'effroi semblent glacer leurs fronts :
Pourtant leurs bras parés d'honorables chevrons,
L'étoile de I'honneur, récompense guerrière,
En gage de victoire ornant leur boutonnière,
Attestent à la fois leurs travaux, leur valeur :
Et leur front intrépide est couvert de pâleur !
Plus pâle, à leurs côtés, immobile, s'élève
Celui qui leur commande et parle avec le glaive.
Cependant autour d'eux le peuple rassemblé
Se rapproche, se presse, inquiet et troublé :
Il se tait ; mais parfois I'attention surprise,
Un jeune enfant tombe d'un rameau qui se brise ;
Un bon mot d'une triste et lugubre gaieté
Parmi les curieux circulant répété ;
Un homme dans les rangs se frayant un passage ;
Une clameur de femme, un larcin, un message,
Des cavaliers adroits gourmandant leurs chevaux,
Excitent le courroux, le rire, les bravos.
Du sommet des maisons, du haut de la muraille,
On se répond, on siffle, on applaudit, on raille,
Et la foule retombe, agitée un moment,
Dans le calme profond du même sentiment.
Vous verriez se glisser dans cette masse oisive
Et la femme timide et la vierge craintive
Qui cherche d'un regard mélancolique et doux,
Comme on cherche un amant qui manqne au rendez-vous,
Et peut-être pressant un instant qu'elle implore,
Se dit avec tristesse : Il ne vient pas encore l
Soudain un cri s'entend : je le vois ! il est là !
Et le peuple à l'instant murmure : Le voilà !
Regardez ! ce n'est pas un de ces misérables
Qui sur le bien d'autrui portent leurs mains coupables ;
Qui, seuls, veillant armés lorsque nous reposons,
Apportent le trépas au sein de nos maisons ;
Ensanglantent la nuit nos paisibles voyages,
Et par l'assassinat préludent aux pillages ;
Au chef qui le commande il a donné la mort :
Pourquoi ? Dieu seul le sait ! Un aveugle transport,
La haine, I'amour même ont pu troubler son âme :
C'est un grand criminel, ce n'est pas un infâme :
Eh ! qui donc, excepté la suprême grandeur,
Peut d'un cœur ulcéré sonder la profondeur ?
Qui sait, quand chaque jour un noir courroux s'augmente,
Ce que peut enfanter la haine qui fermente ?
Il est dans la vengeance un attrait si puissant !…
Il semble qu'un affront s'écoule avec le sang :
On frappe ! mais sitôt que tombe la victime,
La colère s'éteint, il ne reste qu'un crime :
L'homme porte avec lui deux langages secrets ;
La conscience avant, et le remords après.
La foule s'est ouverte et la pitié s'exhale :
« Quel dommage l si jeune ! il est calme ! est-il pâle ?
Non : sa joue est vermeille : il découvre son front !
Ah ! c'est pour saluer ceux qui le connaîtront : :
Oh oui, son cœur touché d'un crime qu'il déplore
Dans un monde meilleur croit les revoir encore :
Ce salut fraternel n'est qu'un premier adieu :
Je vois à ses côtés un ministre de Dieu ;
Il parle du Sauveur, et la sainte parole
Prépare pour le ciel cette âme qu'il console. »
Le cercle cependant, pour son jour éternel,
Se referme sur lui muet et solennel :
Il pénètre au milieu des plaintes et des Iarrnes :
Et tandis que Ià-bas on apprête les armes,
Des tambours séparés Ie sombre roulement
Accompagne le char qui passe lentement.
Oh ! comme tristement il bat à son oreille !
Ce n'est plus cet accent qui charme et qui réveille,
Ce signal éclatant applaudi des guerriers,
Lorsqu'au bruit des fusils, des canons meurtriers,
Au fracas de la foudre, aux chants de la victoire,
Il les guide aux combats, aux périls, à la gloire !
Il gronde sourdement à chacun de ses pas,
Comme un arrêt du sort qui sonne le trépas.
Silence ! vers les cieux s'élève sa prière !
N'ai-je pas vu des pleurs humecter sa paupière ?
Ah ! sa mère sans doute ou son frère chéri
Présents par la mémoire à son cœur attendri,
Un souvenir d'amante à ses yeux retracée,
Comme un songe lointain traversent sa pensée !
Quelques rêves de gloire et de célébrité :
Peut-être un avenir… Le char s'est arrêté…
Il touche au lieu terrible ; il entend la sentence :
Il descend, il approche, il franchit la distance,
Il arrive : trois fois d'un bras impérieux
Repousse le bandeau dont on couvrait ses yeux ;
Sur ses bourreaux émus jette un regard austère,
Rejette loin de lui son manteau militaire,
Et d'un pas assuré mesurant le terrain,
Aux balles qu'il attend présente un front serein.
C'est le signal : deux fois monte et s'abaisse un glaive ;
Prompt comme le tonnerre un bruit affreux s'élève :
Le malheureux soudain tombe, le sein broyé,
Sans cris, sans mouvement, sans douleur, foudroyé.
Immolé par ces bras qui l'ont pressé naguère,
Il meurt, mais son trépas rappelle encor la guerre,
Et son moment suprême est un dernier combat.
C'est le plomb qui le tue et le feu qui I'abat :
Son front d'un vil couteau n'a pas subi l'outrage,
Et ses chefs attendris ont vanté son courage.
France, en ce jour peut-être on t'enlève un appui l
Unavenir d'honneur dormait peut-être en lui
Soldat, de la patrie illustrant la querelle,
Avec quelle vaillance il serait mort pour elle !
Rival de nos héros, peut-être un jour comme eux
Il eût jeté son nom parmi les noms fameux.
De ses yeux inquiets la foule le dévore ;
Et sur la place humide où son sang fume encore,
Vont renaître, émaillés des plus vives couleurs,
Le gazon verdoyant et les tapis de fleurs.
Quand descendra le soir avec ses voiles sombres,
Sous cet arbre touffu qui double encor les ombres
Reviendront les amants, qu'importune le jour,
Échanger des baisers et se parler d'amour.
À MON AMI ÉDOUARD D'ANGLEMONT |
J'ai visité, chez nous, ruisseaux, fleuves fameux,
Rochers, encadrements de l'Océan brumeux,
Cirques romains, forêts, croix, pierres sépulcrales,
Églises de village et vieillies cathédrales ;
Partout j'ai satisfait ma soif d'interroger.
Je m'adressais au prêtre, à l'enfant, au berger,
Et, riche des tributs de notre France antique, .
J'essayai de parer d'un vernis poétique
Des récits effrayants, étranges, merveilleux.
Légendes françaises.
Enfin donc, mon ami, votre lettre tardive
Rassurant aujourd'hui mon amitié craintive,
M'est venue apparaître au fort de mes ennuis
Comme un astre imprévu qui naît au sein des nuits.
Maudit soit le premier qui, cherchant les naufrages,
Sur un fragile esquif affronta les orages,
Et du noir Océan bravant les tourbillons,
Livra sa voile ouverte au vol des aquilons !
Ainsi dit en beaux vers notre immortel Horace,
Horace, heureux modèle et de charme et de grâcie,
Quand d'une ode admirable et de regrets amers
ll escorte Virgile emporté sur les mers !
Moi, je maudis celui de qui I'intelligence
Fixa sur deux essieux la Iourde diligence,
Et le long d'un timon attelant cinq chevaux,
Fit rouler à grand bruit, et par monts et par vaux,
La magique cité dont l'enceinte profonde
Rapproche en peu de jours Ies limites du monde.
Adieu ces doux instants où, mêlant nos discours,
Nous parlions d'avenir, et de gloire et d'amours !
Ainsi que deux flambeaux qu'unit la même flamme,
Ta verve quelquefois s'allumait à mon âme :
Tantôt comme un parrain épiant le moment,
J'assistais au bonheur de ton enfantement,
Et, de tes nouveaux-nés censeur plein de scrupule,
J'épluchais les défauts soumis à ma férule.
De doux épanchements charmaient nos entretiens !
Tu me lisais tes vers, je te parlais des miens !
Puis venanit u voyage à travers la campagne :
Fuyant loin de Paris le bruit qui l'accompagne,
Nous demandions aux champs de l'air et du repos :
Tous ces agriculteurs, ces bergers, ces troupeaux,
Ces sites enchantés, ces monts, ces paysages,
Les mœurs des villageois et leurs naïfs usages,
Cette onde qui serpente à I'ombre des rameaux,
Ce clocher qui s'élève au-dessus des hameaux,
Ces fermes, ces moulins, ces bois, cette colline
Se mêlant par degrés à l'ombre qui s'incline,
Dans mon cerveau frappé se gravaient tour à tour
Comme un panorama des beautés d'alentour.
De la foule pressée aux jeux de la barrière
La gaieté turbulente, active, familière ;
Ces archets discordants qui règlent leurs faux pas,
Ces danseurs chancelants au sortir des repas ;
Ce peuple qui s'entasse où le plaisir l'amène,
Consommant en un jour le gain d'une semaine ;
Ces contrastes piquants d'objets toujours nouveaux
Façonnent la pensée aux scéniques travaux,
Et I'aspect varié des diverses natures
Laisse des souvenirs pour toutes les peintures !
Ah ! si, payé du moins par un tendre retour,
J'étais de l'amitié consolé par l'amour !
Une femme sans doute eût calmé ma tristesse ;
Pour comble de malheur, je n'ai pas de maîtresse :
Nul minois adoré ne m'apporte où je suis
Du charme pour mes jours, du bonheur pour mes nuits ;
Je ne rencontre pas celle qui me console,
Qui comprenne le sens caché sous ma parole,
Espère quand j'attends, frémisse quand je crains,
Partage mes plaisirs el surtout mes chagrins.
Trois fois heureux celui dont on pleure l'absence :
La mémoire qui reste est presque Ia présence !
Laissons toujours au bord qui doit nous réunir
Une moitié de nous qui croit au souvenir !
Sa douce image est là quand les ennuis nous gagnent ;
On voyage escorté, des vœux nous accompagnent,
Et notre cœur, tranquille, appuyé sur leur foi,
Converse avec les cœurs qu'il entraîne après soi !
Ainsi nos vœux parfois te suivent dans la route :
Nous disons : Que fait-il ? Ah ! trop heureux sans doute,
Il oppose au fracas de Ia grande cité
Ces champs, séjour de calme et de sérénité ;
ll emprunte aux enfants de ces lointaines plages
Leurs contes de grand'mère, archives des villages,
Ces fabliaux naïfs, piquants, ingénieux,
Où revivent Ies mœurs, les goûts de nos aïeux ;
Ces chevaliers vaillants forcent des citadelles,
Ces châtelains courtois, ces paladins fidèles ;
Les prodiges d'amour de ces vieux Amadis,
Dont on rit maintenant, mais qu'on croyait jadis.
Quand l'attelage arrive au haut de la montagne
Et que ses yeux ravis sur la vaste campagne
S'étendent… si soudain, au sommet d'un coteau,
Surgit du fond des bois la crête d'un château,
Devant ces grands témoins de guerre et de victoire,
Il répète les noms fameux dans notre histoire ;
Il contemple, il admire avec ravissement
La chapelle gothique ou le vieux monument,
Et, plein du noble élan que les débris respirent,
Demande de beaux vers aux lieux qui les inspirent.
Malheur ! malheur à toi si ton Iointain essor
Ne doit pas d'un autre âge agrandir le trésor !
Que ton absence aux arts ne soit pas inutile,
Et reviens enrichi d'un bagage fertile,
Rapporte donc bientôt dans nos cercles amis
Des récits inconnus dans tes rimes transmis ;
Conquérant poétique, accomplis ton message ;
Enrichi des tributs levés sur ton passage,
Reviens, de ces trésors par tes mains découverts,
Entretenir le feu qui nourrit I'univers !
Viens grossir ce foyer immense, d'où ruisselle
Un fluide puissant, galvanique étincelle,
Qui, de l'âme assoupie éveillant les accords,
Évoque les esprits inhumés dans les corps :
Qui, comme un sang nouveau dans les veines lancée,
Ressuscite la vie et souffle la pensée,
Et, rappelant la force en des membres éteints,
Alimente Ieur flamme à des soleils lointains.
Des contacts étrangers sa Iumière s'augmente :
C'est un volcan obscur qui marche, qui fermente,
Gronde, et sortant soudain des abîmes ouverts,
Tonne comme la foudre et s'échappe en éclairs !
La poésie enfin ! ardente, échevelée,
À tous les intérêts, à tous les jeux mêlée,
Forte comme un Iion, souple comme un serpent,
Planant du haut des airs ou sur le sol rampant,
Sous vingt déguisements et sous divers emblêmes,
Au théâtre, au salon, odes, drames, poèmes,
Ou satire éloquente, ou maligne chanson,
Prodiguant le dédain, l'éloge, la leçon,
Flétrissant Ies bourreaux, encensant les victimes,
Relève les erreurs ou signale les crimes,
Et, creusant sous ses pas des stigmates vainqueurs,
De ses germes féconds sillonne tous les cœurs.
L'INFANTICIDE |
Au Général Comte Anatole de Montesquiou
J'aime la grâce, le génie,
Et la noble mdulgenee à la grandeur unie ;
J'aime l'esprit et l'ingénuité ;
J'aime les droits heureux à la longue mémoire,
Le mérite modeste et l'imposante gloire, :
J'aime encore les arts, le talent, la bonté :
J'aime enfln en tout genre un mérite suprême.
Le comte Anatole de M… (Poésies)
I
Qui porte dans mon sein ce sourd frémissement ?
Qui m'agite et me trouble ? Un noir pressentiment
De mes plus doux loisirs vient corrompre les charmes :
Ma gaieté semble fuir comme un songe effacé,
Et mon sourire commencé
Disparaît bientôt sous mes larmes.
Mon front est humide et glacé :
Tantôt mon sang se précipite ;
Tantôt il bouillonne pressé
Autour de mon cœur qui palpite.
Je fuis les plaisirs que j'aimais :
Mon goût aux plus exquis des mets
Reproche une saveur amère ;
Tout me devient triste, odieux,
De mes amis je fuis les yeux,
Je crains les regards de ma mère.
Malgré mes longs ennuis comme les mois sont courts !
Déjà deux fois la lune a terminé son cours :
Et j'attends vainement, et rien ne se révèle !
Et de mon sexe en vain me rappelant la loi,
Son disque moins pâle que moi
Déjà trois fois se renouvelle !
Des maux que j'aurais à souffrir
Est-ce un présage que j'ignore ?
M'annonce-t-il qu'il faut mourir ?
Qui ? moi ! mourir ! si jeune encore !
Serait-il un plus grand malheur ?
À ma souffrance, à ma pâleur,
Quel mystère affreux je soupçonne !
Dans mon sein qu'il semble changer,
Dieu ! quel mouvement étranger !…
Ce n'est pas mon cœur qui frissonne !
II
Depuis un mois déjà dans son regard charmant
D'un amour immortel j'avais lu le serment :
Son silence éloquent me répétait : Je t'aime !
Il me comprit : pourtant je ne répondais pas ;
Qu'aurais-je dit ? À peine, hélas !
L'osais-je avouer à moi-même.
De ma triste pensée, un soir,
Je sondais le profond mystère :
À mes côtés il vint s'asseoir,
J'étais rêveuse et solitaire ;
Il me parla d'amour, d'hymen ;
Tremblante, je sentis ma main
Brûler sous sa lèvre charmante :
Dans mes bras, fiers d'un poids si doux,
Je croyais presser mon époux,
Et je n'étais que son amante !
III
Que les rêves d'amour ont un affreux réveil !
Une horrible lumière a chassé mon sommeil.
Adieu joie, avenir ! adieu gloire, innocence !
Fruit honteux et secret d'un amour suborneur,
Qui pourrait me rendre l'honneur
Que me ravira ta naissance ?
Du suc des simples et des fleurs,
Qu'on me fasse un affreux breuvage :
Je périrai par son ravage,
Je ne verserai plus de pleurs.
Mais non : cet être qui me pèse
S'agite, tressaille et s'apaise :
Je le sens comme un poids qui dort :
Le crime m'a trop bien servie :
Quand il faudra donner la vie,
Je n'enfanterai que la mort.
IV
Pourquoi ces fleurs ? pourquoi cet appareil de fête
Qui m'entraîne à l'autel expirante et défaite ?
C'est lui ! lui qui me rend et son nom et sa main :
Un jour plus tôt… Qu'importe ? Ah ! toute à sa tendresse,
Savourons à longs traits l'amour et son ivresse :
Rions ! nous pleurerons demain !
Des jours qu'un remords empoisonne
Me reprochant le sombre ennui,
Mon époux dit qu'il me pardonne
D'avoir tout oublié pour lui.
« De l'amour trop faible victime,
C'est moi seul qui commis le crime
Que tu ne pouvais soupçonner ;
Ta vertu, moi, je la proclame ! »
O Dieu ! s'il lisait dans mon âme
Ce qu'il Iui reste à pardonner !
De mes flancs déchirés un soir avec souffrance
S'échappe… Mon époux bénit ma délivrance :
Il accourt inquiet, attendri, plein d'espoir,
Et quand il croit presser son image vivante,
Un monstre nouveau-né n'offre à son épouvante
Que son cadavre informe et noir !
V
D'éternels regrets poursuivie,
Je souffre plus que le remords :
Mon sein ne peut donner la vie,
Il a séché frappé de mort.
Et je n'aurai pas de famille !
Et jamais un fils, une fille,
Ange près de nous descendu,
De ma bouche ne doit apprendre
Ce nom de mère, doux et tendre,
Que par mon crime j'ai perdu !
Et depuis ce temps-là, coupable et solitaire,
En baissant mes regards, je passe sur la terre !
Partout, autour de moi, rien ne s'offre à mes yeux
Que des anges humains avec des traits joyeux,
Riant de jeu naïf ou de jeune chimère :
À ce spectacle affreux mon cœur brisé se fend :
Et c'est avec horreur que je vois un enfant
Bercé dans les bras de sa mère.
LA COLONNE ET LE MONUMENT |
À M. Briffaut, de l'Académie française
Va !… ce jour t'apprendra…
Si j'ai mal soutenu les droits de la patrie,
Et par qui de nous deux elle est la plus chérie.
Charles de Navarre, acte II, sc. 2.
Il faisait nuit : et balancée
Dans un essor silencieux,
Sur les ailes de la pensée
Mon âme planait dans les cieux.
Au milieu des splendeurs de la vieille Lutèce,
Deux souvenirs, signal d'orgueil et de tristesse,
Venaient frapper mon cœur d'un double sentiment :
Ici l'airain de la victoire !
Ici le marbre expiatoire l
La Colonne et le Monument !
Parmi les feux et la tempête,
J'admirais, en ordre rangés,
Ces preux s'élançant vers le faîte,
Comme au front des murs assiégés !
J'aimais ces grands combats, ces batailles vivantes,
Ces colosses armés, et ces foudres mouvantes
Sortant avec fracas du bronze étincelant ;
Ce bronze, fruit de la conquête,
Qui n'éleva si haut sa tête
Que pour porter le drapeau blanc !
Non loin de l'avenue immense
Où, proclamant d'heureux exploits,
L'étoile redit la vaillance
Du royal protecteur des rois ;
Près de l'arc triomphal, épuré par ses guerres,
Sur cette même place, horrible encor naguères,
Rappelant le pardon avec le repentir,
Surgit un monument célèbre
Comme une chapelle funèbre
Sur une tombe de martyr.
Je me demandais en silence
Pourquoi les souvenirs de deuil
S'élèvent tant de fois en France
Auprès des pompes de l'orgueil !
Il me sembla soudain entendre deux génies ;
Leurs langages divers formaient deux harmonies,
Comme le luth succède aux tambours meurtriers :
Accents délicieux, étranges,
Dont l'un semblait la voix des anges,
Et l'autre le cri des guerriers.
LA COLONNE.
Soldats, marchons ! de l'Allemagne,
Le fer nous ouvre les chemins.
Venez vaincre, et cette campagne
Mettra l'Europe dans nos mains.
Sur des fleuves de sang que mon drapeau surnage ;
Le triomphe, guerriers, s'obtient par le carnage ;
Tombez sous les coursiers, tombez sous le canon ;
Et du bronze qui vous moissonne
Nous bâtirons une colonne
Pour immortaliser un nom !
LE MONUMENT.
Parlez-moi toujours de la France :
Quels secours lui faut-il offrir ?
Je suis Bourbon, sous ma puissance
Le peuple ne doit pas souffrir.
Ils osent menacer ma vie et ma couronne :
Je pourrais me venger ! jamais ! je leur pardonne :
Qui ? moi ! frapper… qui ? moi ! verser… je le défends !
Leur bonheur est ce que j'espère :
Mourons, si le trépas du père
Doit être utile à ses enfants.
LA COLONNE.
Français, apportez votre hommage !
Et vous, dont il riva les fers,
À genoux, peuples, c'est l'image
Du conquérant de l'univers !
Il semble encor du geste ordonner les ravages :
Son front impérieux, méditant les orages,
Du soleil d'Austerlitz réfléchit les rayons :
La foudre comme un diadème
Le couronne, et les trônes même
Tombent devant ses bataillons.
LE MONUMENT.
Pour quel grand forfait se prépare
Un appareil si menaçant ?
Quelle est cette troupe barbare
Dont les yeux demandent du sang ?
Le visage serein, l'infortuné s'avance !
La pitié l'environne et l'horreur le devance !
Tout est majestueux sur son front calme et doux :
Quelle est cette auguste victime ?
C'est Louis, martyr magnanime,
Mourant pour les crimes de tous.
LA COLONNE.
li triomphe ! mais des murmures
Assiégent son trône d'airain !…
Un choc ébranle ces armures ' ?
Où donc est-il le souverain ?
Il semblait, dans les cieux, diriger le tonnerre ;
Il tombe, et désarmé de ses foudres de guerre,
L'aigle sur d'autres bords va cacher son Iambeau !
Dans son ambition profonde,
Pour lui c'était trop peu du monde :
Il n'aura pas même un tombeau.
——
Tout se tait : mais du ciel Iui-même
Une autre voix semble venir,
Dictant comme un arrêt suprême
La sentence de I'avenir.
Que du siècle présent le murmure s'apaise !
Dans les balances d'or toute splendeur se pèse :
Farouche conquérant, réponds-moi, le sais-tu ?
Il est dans I'implacable histoire
Un éclat plus pur que ta gloire !
Car rien n'est grand que la vertu !
LA CACHETTE |
à Madame Wyse, née princesse Letizia Bonaparte
C'était place Sorbonne au faubourg Saint-Germain.
Une dame y vivait sous le joug de l'hymen.
Vieux style ! l'héroïne était une greffière
Dont on citait partout la beauté noble et fière,
Qui tenait fort aux mœurs et se disait souvent,
Quoique femme de cour, sage comme au couvent.
Cette greffière donc avait, en mariage,
Pris un gros plumitif déjà mûri par l'âge.
Un jour qu'un beau procès, péniblement instruit,
Devait dans le Palais l'enchaîner une nuit,
Notre greffier jaloux, abrégeant son absence,
Sans que sa digne épouse en eût eu connaissance,
Revint et, tout à coup, au sein de la maison,
On entendit crier : « Trahison ! trahison !
– Au secours ! à la garde ! – Osez-vous bien, Madame…
– Mon ami… j'ignorais… – Oui, parbleu ! c'est infâme !
– Infâme… que dis-tu ? toi, toi que j'aime tant !
Viens, mon ami, viens donc… » Et voilà qu'à l'instant
Tout le bruit s'apaisa : le moyen, on l'ignore ;
Suffit qu'il s'apaisa… Quand reparut l'aurore,
Notre dame restait seule dans son logis,
Effarée et pâle, et… les yeux de pleurs rougis.
Elle voulait d'abord se jeter dans la Seine,
Mais elle n'en fit rien. Plus prudente et plus saine,
Une pensée éclot avec un froid souris.
Et voilà qu'elle court les cercles de Paris,
Couvre d'or et de fleurs sa chevelure blonde,
Et préside à la mode et brille dans le monde.
Tout Paris l'adora. De ses nuits, de ses jours
Le plaisir et la joie embellissaient le cours
Et la foule flatteuse, à ses goûts asservie,
Effeuillait sous ses pas les roses de la vie.
L'histoire assure enfin très sérieusement
Qu'elle eut nombre d'amis et pas un seul amant.
Mais j'entends que là-bas, pour éclairer mon conte,
Du greffier disparu l'on me demande compte.
De cette question me voilà tout surpris !
Depuis quand, s'il vous plaît, pense-t-on aux maris ?
Un mari, voyez-vous, comique personnage,
Est un quelqu'un chargé des travaux du ménage.
Il est banquier, commis, avoué, commerçant,
C'est tout ; chez lui, du reste, il est toujours absent
Ou, quand il interrompt ses éclipses commodes,
Ce n'est que pour payer la marchande de modes.
Il solde le loyer, la table, les impôts ;
Double les revenus pour les frais de chapeaux ;
Est complaisant, soumis, timide par système,
Et signe tous les ans un acte de baptême.
Les amis du greffier, ou bien de sa maison,
De son éloignement cherchèrent la raison.
Comme de son absence ils demandaient la cause,
Par forme d'entretien, pour dire quelque chose,
On leur dit : « Voyez-vous… vous sentez… dans ce temps
L'état… » De la réponse ils furent très contents :
Ils en restèrent là. De question nouvelle ?
Aucune : le portier fouilla dans sa cervelle ;
Mais, au premier de l'an comme on le payait bien,
Il ne souffla pas mot ; le quartier ne sut rien.
Le greffier, dit plus tard une feuille publique,
Était, pour sa santé, parti pour l'Amérique.
II.
C'était place Sorbonne, au faubourg Saint-Germain,
Le jour même, je crois, ou bien le lendemain
Du jour où, remuant et la cour et la ville,
Monsieur Scribe avait fait jouer un vaudeville.
Un monsieur pâle et noir, d'un œil terne et distrait,
Guettait je ne sais quoi d'affreux qui se mourait.
Or, ce qui se mourait c'était une greffière
Dont on vanta jadis la beauté noble et fière,
Mais qui, vieille à présent, de son siècle impoli
Se plaignait, et vivait chagrine dans l'oubli.
Tout autour de son lit les parents les plus proches
Restaient, les bras croisés, ou les mains dans les poches.
Deux hussards, qui semblaient chargés d'ennuis profonds,
Conversaient dans un coin de la baisse des fonds.
La garde, répondant d'une voix somnolente,
Enrageait qu'à passer la dame fût si lente.
Les femmes, par ennui, pleuraient à sangloter.
Les héritiers pleuraient du plaisir d'hériter.
Un jeune fat surtout, son neveu je le pense,
D'après le testament calculait sa dépense.
Il avait fait beaucoup de dettes qu'il jurait
De payer le jour même où sa tante mourrait.
Dès longtemps le jeune homme, en proie à la disette,
Vivait dans sa mansarde avec une grisette,
Les dimanches au soir dansait incognito,
N'avait pas de chemise et portait un manteau.
Il arrangeait déjà son futur héritage,
Et mettait sa maîtresse au quatrième étage.
La greffière pourtant, finissant de gémir,
Du sommeil éternel avait paru dormir,
Et ses parents, d'après sa sagesse notoire,
La logeaient dans le ciel ou dans le purgatoire.
Tout à coup un tison, qui de soutien manquait,
Descend du foyer, roule au milieu du parquet,
Et, comblant de vapeur la chambre qu'il parfume,
Pétille en s'arrêtant sur le plancher qui fume.
La mourante soudain sur sa couche de mort
A tressailli ; ses yeux s'ouvrent avec effort ;
Elle interrompt d'un cri ce lugubre silence,
Jette son drap, se lève, et descend et s'élance.
Comme un fantôme blanc qui sort de son tombeau,
Elle court au tison, le prend comme un flambeau,
Au milieu du foyer avec un ris farouche
Le replace, revient, se rassied, se recouche,
Tourne ses yeux éteints, vers le ciel tend les bras,
Lutte, succombe et meurt, la tête dans ses draps.
La voilà morte enfin ! On l'emboîte, on l'enterre.
Et puis le marbrier, en un grand caractère
Noir, creusé dans le marbre avec bordure d'or,
Des larmes, et beaucoup d'autres choses encor,
Lui compose une longue et brillante épitaphe
En vers français, avec des fautes d'orthographe :
« Ci-gît morte à la fleur de ses ans, de ses jours,
(Elle avait cinquante ans), un ange, que toujours
Regretteront amis et parents, la greffière »
Et cœtera… Suivaient l'histoire tout entière
Avec un long récit de grâces, de vertus,
Le tout très bien soigné, total cinquante écus !
III.
Nous voilà parvenus à notre acte troisième.
La décoration reste toujours la même,
Car c'est place Sorbonne, au faubourg Saint-Germain,
Le jour même, je crois, ou bien le lendemain
Du jour où les chargés de notre délivrance
Ont en roi des Français changé le roi de France.
Un maçon travaillait dans un appartement
Parqueté, propre et lisse, un peu noir seulement
Dans un endroit creusé comme par une flamme.
C'était là que naguère habitait une dame
D'assez bonne maison, laquelle (avant sa mort)
S'était sur son séant levée avec effort
Pour remettre au foyer, brûlant comme en décembre,
Un tison allumé qui roulait dans la chambre.
Un de ses héritiers, Gustave Désormeau,
Homme d'un grand esprit, notaire à Longjumeau,
Qui même publia dans un format commode
Un ouvrage estimé pour apprendre le Code,
Avait fait à lui seul ce raisonnement-ci :
« Ma tante (ou sa cousine) en se levant ainsi
« (Je l'ai toujours connue une femme hardie),
« N'avait pas sûrement eu peur de l'incendie.
« Donc une autre raison agissait sur elle ; or
« Elle a dû cacher là de l'argent ou de l'or,
« C'est sûr ; donc à l'hôtel il faut mettre l'enchère. »
Ainsi dit, ainsi fait ; l'emplette devint chère.
Même on en causa ; mais il donna pour raison
Son respect… Le motif vrai, c'était le tison.
Puis il met là-dessus un maçon qu'il surveille.
On brise le parquet et l'on voit… ô merveille !
Cherchez ! Une cassette avec de beaux joyaux ?
Eh non ! – Un portefeuille avec des bons royaux ?
Non ! – Un coffre rempli de louis d'Henri Quatre ?
Non ! vous ne tenez pas. Je vous le donne en quatre !
Devinez !… Sous l'habit d'un duc, d'un grand seigneur,
Il y trouve… un squelette !… avec la croix d'honneur !
Lui qui croyait gagner un trésor, je vous laisse
A penser s'il manqua de tomber en faiblesse !
Il s'enfuit : on s'assemble. Alors horreur ! effroi !
Descente de monsieur le procureur du roi,
Ou de quelqu'autre enfin de ces gens qui s'adjugent
Le droit de jugeailler, qui siègent et qui jugent
Et jugeront toujours les actes malséans
Sous Henri de Bourbon ou Louis d'Orléans.
On avertit le Roi, qui, pour avoir justice,
Voulut qu'on avertît le préfet de police.
Le préfet avertit sa femme, ses amis ;
La femme du préfet avertit un commis ;
Et le commis, trouvant l'aventure bouffonne,
En rit seul avec elle et n'avertit personne.
Je pourrais maintenant, si vous étiez discret,
De l'intrigue à vous seul révéler le secret.
Oui ? bien ! mais chut !… voici ce qu'on sait d'authentique :
Le greffier n'était pas parti pour l'Amérique !…
LA MODESTIE |
À M. J.-C. Vial, auteur d'Aline.
La nature dans nous fait germer en naissant
L'amour-propre, foyer éternel et puissant,
Infernal ou divin, qui de sa flamme anime
Et le mortel vulgaire et le mortel sublime.
L'amour-propre, être aveugle et de lui-même épris,
Despote, enfant gaté, règne sur es esprits :
Il donne un accent rude aux paroles du maître,
Se glisse en tapinois sous le bonnet du prêtre,
Sous sa robe sanglante enfle le magistrat,
Inspire I'honnête homme et le grand scélérat,
Et fait naître en ménage, aussi bien qu'en histoire,
Un bel assassinat, une belle victoire.
Sous un prisme enchanteur caressant nos travers,
Par lui lui nous nous créons centre de I'univers ;
Pour nous du jour naissant l'Orient se colore :
Pour nous seuls les saisons, les fruits doivent éclore :
Tous doivent prévenir nos caprices, nos goûts,
Pour nous seuls tout existe, et tout pense pour nous :
L'obstacle nous indigne, et comme Diogène,
Nous dirions au héros que son ombre nous gêne.
Quand de biens et d'honneurs Dieu voulut nous doter,
Nous pensons que le ciel ne fit que s'acquitter :
C'est peu de regretter le bonheur qui s'envole,
Quand un autre est heureux, nous croyons qu'il nous vole ;
Comme si chaque legs à nous seuls était dû,
Ce qu'hérite un voisin nous semble un bien perdu ;
Des couleurs d'un beau front le nôtre devient blême,
Et les jours gras d'autrui sont pour nous un carême.
Tel de son but souvent s'égare détourné,
Ce noble sentiment pour d'autres fins donné.
C'est Dieu qui, nous soufflant cette soif de la gloire,
Crie au fond de nos cœurs : Illustre ta mémoire,
Prends ta place à côté de nos hommes fameux ;
Tâche que l'univers t'honore un jour comme eux,
Et dise, en bénissant ton nom et tes ouvrages,
Que tu voguas un jour sur l'océan des âges !
L'amour-propre avec nous croît, gonfle notre sein ;
C'est le virus de l'âme, il brave le vaccin.
En vain contre la gloire un froid pédant déclame :
C'est un charbon couvert, soufflez ! voici la flamme !
Comme un damné rugit à l'aspect des élus,
Tel l'ose blasphémer qui I'adore le plus :
Qui la fuit, la recherche : ainsi lorsque la femrne
Qui règne en notre cœur et qui garde notre âme,
Embellit un salon, une fête, un repas,
C'est la seule souvent qu'on ne regarde pas.
Ah ! de nos actions principe salutaire,
Que I'amour de la gloire expire sur la terre,
Adieu les dévouements ! adieu le souvenir !
Le présentt enivrant et le vaste avenir !
Adieu la noble arène où tout grand cœur s'élance !
Dans le monde affaissé tout redevient silence,
Comme si, retenu sous l'Occident vermeil,
Dans I'ombre pour jamais s'endormait le soleil,
Et, suspendant soudain sa course solennelle,
Abandonnait le monde à la nuit éternelle.
Mais si dans toute l'âme il a su se cacher,
Dans quel coin, Modestie, irai-je te chercher ?
Quand tout homme est bouffi de sa propre importance,
Faudra-t-il bonnement croire à ton existence ?
Devrai-je en ta faveur soutenir un assaut ?
Se vanter est d'un fat, s'ignorer est d'un sot :
On est faible, timide, on tremble de paraître,
Mais modeste ! il n'est pas permis à tous de I'être !
Pour se dire modeste il faut quelque talent,
Comme, pour être simple, il faut être opulent :
Que diriez-vous d'un gueux qui, grâce au sort barbare,
Se ferait un honneur de n'être pas avare ?
D'un impotent n'osant avec humilité
Disputer à la course un prix d'agilité ?
Est-il modeste au moins ce jeune homme timide
Qui pour le moindre mot rougissant, l'œil humide,
D'un entretien scabreux esquive les faux pas,
Et cache dans un coin un esprit qu'il n'a pas ?
Est-ce ce connaisseur de qui l'omnipotence
Porte sur vos écrits sa sévère sentence,
De ce qu'on lui refuse enfle sa dignité,
Proclame avec orgueil son incapacité,
Et vous rabaisse, vous, débonnaire personne,
De toute la hauteur des avis qu'il vous donne ?
Et celui qui rappelle à demi satisfait
Ses ouvrages sifflés pour prouver qu'il en fait ?
Car dussions-nous armer l'aus tère médisance,
Nous préférons sur nous la critique au silenee :
Et nous aimerions mieux, pour remplir l'entretien,
Dire du mal de nous que de n'en dire rien.
Vous paraît-il aussi modeste, ce poète
Qui, geôlier maladroit de quelque œuvre indiscrète,
Refuse obstinément pour qu'on le prie encor,
Ou, pour prouver qu'il peut prendre plus haut l'essor,
Traite une fugitive avec grand soin frappée,
Comme une bagatelle à sa muse échappée !
Oui, l'orgueil peuple tout ! chaumières et palais ;
Auteurs et gens d'esprit, grands seigneurs ou valets !
C'est toujours, et toujours ou sublime ou difforme,
Un seul et même orgueil sous un autre uniforme.
Voilà ce que j'ai vu ! mon regard attristé
A rencontré partout vanité ! vanité !
J'ai sur la modestie interrogé les sages :
La pudeur à ce mot colorait leurs visages :
Mais sitôt qu'à la preuve ils voulaient en venir,
Ils mettaient leur orgueil à la bien définir.
S'il faut donc la créer sous la forme d'un être,
Je dirai : C'est celui qui tremble de paraître,
Mais qui, digne en tout point de l'estime d'autrui,
Ne cherche pas la gloire et la trouve chez lui ;
Qui sans faste évitant le grand jour qu'il redoute,
Doute de son talent quand personne n'en doute,
Et, surpris de les voir si promptement jaillir,
Demande à ses beaux vers qui les force à venir ;
Qui, lorsque les bravos éclatent légitimes,
Cherche qui peut causer ces transports unanimes,
S'échappe intimidé de sortir triomphant,
Écoute une servante, interroge un enfant,
D'un débutant obscur exauce la prière,
Le lance avec plaisir dans sa propre carrière,
Et quand un jeune essai demande à s'avancer,
Se dérange trois pas pour le laisser passer.
Faut-il de mon portrait vous nommer le modèle ?
De notre Inimitable expression fidèle,
Nul ne sait mieux que lui, dans un conte charmant,
Répandre à pleines mains l'esprit et I'enjouement :
Sous sa touche à la fois et maligne et légère
Renaissent fat, gascon, prince, bourgeois, bergère :
Il donne, par des traits ingénus ou perçants,
Du charme à la raison, de la grâce au bon sens.
D'un public rigoureux emportant les suffrages,
Il compte ses succès par ses nombreux ouvrages,
Et, retrouvant partout l'éloge qu'il a fui,
Quand on parle de gloire il cherche autour de lui.
D'un voile protecteur c'est en vain qu'il se cache :
À son modeste abri I'empressement l'arrache,
Et voilà que soudain avec rapidité
S'élancent les bons mots, pétille la gaieté,
Comme le tube armé des foudres qu'il recèle
Aux doigts des curieux répond par l'étincelle.
Faut-il vous le nommer ? Partout, à chaque trait,
Vous ayez reconnu le modèle au portrait.
Eh bien ! sa modestie a fait aussi naufrage :
Il est fier ! il est fier de son plus bel ouvrage :
Noble création, qui dans sa majesté
Se fait par la pudeur pardonner la beauté,
Qui, semblable aux enfants des grands maîtres, révèle
Chaque jour une grâce, une vertu nouvelle,
Impose à qui la voit son prestige vainqueur,
Et qu'on aime à revoir quand on la sait par cœur.
D'un excusable orgueil savez-vous l'origine ?
Le plus modeste a droit d'être orgueilleux d'Aline.*
* Aline reine de Golconde, opéra-comique, livret de Jean(-Baptiste-Charles) Vial
et (Etienne Guillaume) François de Favières, créé à l'Opéra-Comique le 3 septembre 1803.
CHARLES DE RIVIÈRE |
À M. le Chevalier Alissan de Chazet
Incorruptae fides.
« On a beau dire, la fidélité est une bonne chose. » Roberspierre
Toujours, lorsque, frappant un pouvoir séculaire,
Le glaive parricide est sorti du fourreau,
Quand il reste pour lois la fureur populaire,
Et pour magistrat, le bourreau :
Oui, toujours s'élançant de cette fange immonde,
Surgit, combat, aux yeux du monde,
Et pour le sceptre et pour ses droits,
Un Bayard, un Guesclin, dont I'âme magnanime
Sait, par un martyre sublime,
Confesser le nom de ses Rois.
Notre France, en tous temps, parmi ses fils recèle
De ces preux, au péril empressés de courir,
Jaloul de s'attacher au trône qui chancelle,
Pour Je défendre ou pour mourir ;
Chez qui le dévouement, immuable partage,
Se transmet avec l'héritage,
Ainsi qu'un titre glorieux,
Dans les siècles éteints Iaisse de larges traces,
Et s'éternise dans les races
Comme un patrimoine d'aïeux.
Tel Rivière parut ! Quand des lois inhumaines
Profanaient de nos Rois les honneurs abolis,
Il apporte à leurs pieds le prix des vieux domaines
Par ses ancêtres embellis.
Courtisan du proscrit, il l'entoure, il l'escorte ;
De sa vertu constante et forte
Lui prodigue le noble appui,
Et, couvrant de sa voix les accents du blasphème,
Adore, veuf du diadème,
L'exilé, toujours roi pour lui.
Bientôt, fier d'enflammer la froide indifférence,
S'il vient des cœurs français encourager l'accord,
Il lui faudra subir, convaincu d'espérance,
Les fers, les cachots et la mort.
N'a-t-il pas invoqué cette auguste puissance
Dont l'aspect fait fuir la licence,
Au crime inspire la terreur ?
Magistrats, punissez ce complot monarchique !
D'un vœu contre la république
Vengez, vengez… un empereur !
Vertueux et fidèle, il est juste qu'il meure :
Mais d'où partent soudain ces sanglots et ces cris ?
Dans l'assemblée immense on tressaille, l'on pleure,
Comme on pleure sur des proscrits !
Des mains de ces soldats qui fait tomber les armes ?
Pour qui ces baisers et ces larmes,
Pour qui cet immortel adieu ?
Noble preux, quel portrait a reçu ton hommage ?
Sur tes Ièvres voit-on I'image
Ou de ta mère ou de ton Dieu ?
C'est Charles ! dans ses traits la majesté respire ;
Le pardon est gravé dans ses yeux attendris ;
A des fils égarés il semble encor sourire,
Ainsi qu'à des sujets chéris.
De la main, de la voix un héros le proclame ;
Son amour passe de son âme
Au sein de ce peuple éperdu,
Qui, saisi d'un respect impérieux et tendre,
Croit voir du haut des cieux descendre
Le prince qu'il avait perdu.
Tu pourrais, je le sais, improvisant ton zèle,
T'abaisser aux honneurs par d'autres dévouements,
Parle : on t'offrira tout pour te rendre infidèle :
Mais tu ne sais pas deux serments ;
Et de même qu'aux jours de l'ardente jeunesse
Ton cœur d'une vive tendresse
Plus d'une fois n'a point battu,
Objet d'un pur amour que l'infortune augmente,
La Royauté, ta seule amante,
T'est chère autant que la vertu.
Au fond de ces cachots qui dévorent ta vie
L'espérance, du moins, avec toi descendra :
L'arrêt d'un tribunal ne te l'a point ravie,
Son charme te consolera ;
Oui, dans ce froid cercueil où tu meurs solitaire,
Tu rêveras un grand mystère
Au loin caché dans I'avenir :
Que dis-je, l'avenir ? Le passé recommence :
Reçois enfin ta récompense,
Renais, tes Rois vont revenir !
Savoure à les revoir tout le bonheur qu'ils donnent :
Ils n'ont dit qu'un seul mot, c'est un accent d'amour.
Vois, tu les reconnais, ce sont eux, ils pardonnent !
Charle annonce ainsi son retour.
Il t'embrasse, il répond d'une voix attendrie
Aux vœux touchants de la patrie,
Au vieil hommage de ta foi ;
Vous disputiez l'élan de son âme oppressée,
Elle eut sa première pensée,
Et la seconde fut pour toi.
Mais déjà vient le jour où l'enfant du prodige
Pleurant Montmorency dans la tombe enfermé,
Réclamera d'un père un bras qui le dirige,
Un guide sûr et bien-aimé :
Il faudra réunir piété magnanime,
Héroïsme simple et sublime,
Fuyant l'éclat et le renom ;
La France choisira comme a choisi ton maître, ·
Et tu seras le seul peut-être
Qui n'ait pas prononce ton nom.
Vœux superflus ! en proie à d'horribles tortures,
Il est là qui gémit ! il souffre, le héros
Que n'avaient fait pâlir ni les prisons obscures,
Ni l'Océan, ni les bourreaux !
Et tandis qu'à ses pieds frémissante, éplorée,
S'agite une mère entourée
De ses enfants muets d'effroi,
Quelle auguste douleur partage leurs alarmes ?
Quti vient près d'eux, versant des larmes,
Prier… ? Silence ! c'est le Roi.
De quels soins paternels il entoure sa couche !
Déposant près de lui les pompes de sa cour,
Que de mots rassurants descendent de sa bouche,
Empreints de tendresse et d'amour !
Il soutient, aux accents de la sainte parole,
Cette grande âme qui s'envole ;
Il la guide au céleste port ;
Et la religion, de promesses suivie,
Comme elle a consolé sa vie,
Vient pour sanctifier sa mort,
Sa mort ! c'en est donc fait ? il faut donc que tu meures ?
Le palais retentit d'un douloureux accent,
Comme au jour où, quittant ses terrestres demeures,
Vers Saint-Denis un roi descend.
Tu n'es plus, et longtemps le regret pâle et blême
Se glisse au sein des fêtes même,
Silencieux et solennel,
Et ton prince fidèle à tant de gloire absente,
Dans son âme reconnaissante
Te consacre un deuil éternel.
Charles dans sa mémoire a toujours ceux qu'il aime,
Chez lui les souvenirs sont de nouveaux bienfaits ;
Et de nos jours sanglants son équité suprême
N'oublia rien que les forfaits.
Que mon vers, célébrant des vertus qu'il honore,
Écho de son âme, déplore
La perte dont il a gémi,
Et qu'à son cœur ému ma voix se fasse entendre
Comme un souvenir doux et tendre
Du héros qui fut son ami.
Puisse-t-elle arriver jusqu'à ce Roi lui-même,
Qui doublant son pouvoir par son aménité,
Se plaît à tempérer l'éclat du diadême
Par les grâces de la bonté ;
Qui, soumis à Dieu seul dans sa puissance auguste,
Vécut inaltérable et juste
Dans la gloire et dans la douleur ;
Et, toujours au-dessus d'une atteinte commune,
Accepte sa haute fortune
Comme il accepta le malheur !
À CORNÉLIE |
Doux fruit de mes premiers amours,
Repose en paix, fille chérie !
Adieu donc ! nos baisers et nos tendres secours
Ne ranimeront plus sur ta lèvre flétrie
Le sourire éteint pour toujours ;
Repose en paix, ma pauvre amie,
Ton enfance s'est endormie
Sans avoir connu de beaux jours.
Lent à suivre notre espérance,
Ton premier jour parut obscurci par les pleurs :
Tu vécus toute à la souffrance,
Et tu mourus dans les douleurs.
Pourtant de mes chagrins dissipant I'amertume,
Ton amer souvenir charme mon sombre ennui :
Ainsi du malheureux la peine se consume,
Et le regret encore est un bonheur pour lui.
À peine, joyeuse et discrète,
Ma main avait touché le seuil
Où dans le calme et la retraite
Ta mère à mes transports se livre avec orgueil,
Tu tendais tes mains caressantes,
Que ton instinct guidait vers moi ;
Mais sur tes lèvres pâlissantes
Un souris faible et morne errait avec effroi :
De l'aspect de la mort sans cesse poursuivie,
Tu semblais d'un regret saluer cette vie
Que tu sentais fuir loin de toi.
Souvent aux premiers feux de la naissante aurore,
Quittant pour t'embrasser son lit silencieux,
Ta mère s'offrait à mes yeux,
Fière de ton poids précieux,
Qui semblait l'embellir encore.
Le soir, de ton repos j'épiais les moments ;
Ton œil bleu se voilait de sa blonde paupière ;
Ton sommeil vers ta couche attirait ma prière :
Un songe heureux parfois apaisanr tes tourments,
Sur ton front obscurci rappelait l'allégresse :
S'envolait-il ? vers nous levant tes bras charmants,
Ton regard, pour payer nos soins d'une caresse,
Invitait ma tendresse à tes embrassements.
J'aimais d'un avenir à doter ta jeunesse ;
Car j'adore la gloire, et mes pressentiments
Me disent que mon nom vivra dans la mémoire.
Je te parlais d'éclat et d'immortalité :
Dans mon illusion je me plaisais à croire
Qu'il existait pour toi quelque célébrité ;
Que, fille de l'amour, tu naissais pour la gloire :
Tu brillais de talents divers :
À cet âge où soudain la Muse se révèle,
Tu joignais, Corinne nouvelle,
Le charme des beaux yeux au charme des beaux vers.
Dans un art moins fécond élève encor savante,
Tu savais, du génie y portant le flambeau,
Fixer Ie monde éclos sur la toile vivante ;
Car toute palme honore et tout triomphe est beau.
Ainsi l'orgueil enivre : aveugles q ;ue nous sommes !
L'orgueil me répétait que tu ne serais pas
Semblable à ces enfants des hommes
Qui de l'obscurité descendent au trépas.
Et tandis qu'égaré par ces riants mensonges,
De lauriers imposteurs j'entourais ton berceau,
Un long cri me réveille, et j'ai fini mes songes
Sur les froids degrés d'un tombeau.
Adieu, fille chérie ! adieu, fleur éphémère !
Tu languis sans éclat et n'eus qu'un seul printemps !
Ta présence du moins pendant de courts instants
A mêlé quelque joie à ma tristesse amère :
Si le destin jaloux te ravit à nos vœux,
En pieux souvenir je veux
Conserver de tes blonds cheveux
Dans une lettre de ta mère.
AMOUR |
I
Combien, hélas ! je l'admirais
Cette grâce aimable et charmante !
Mais elle n'a que des attraits :
L'orgueil seul respire en ses traits,
Et j'y cherche en vain une amante !
Oh ! pourtant, moi j'aimerais mieux
Cette qui brille à côté d'elle,
Vierge au front rêveur, aux grands yeux,
Au souris tendre et gracieux,
Jeune, naïve et non moins belle !
Elle qui d'un regard discret
Cherchait mon regard qui l'enflamme ;
Et puis, rêveuse, soupirait ;
Qui m'aime peut-être en secret,
Sans même interroger son âme !
Consacrons-lui donc à genoux
Et ma pe,sée et mon hommage :
Car son esprit est sans courroux,
Et dans ce miroir calme et doux
Rien n'ira ternir mon image.
Un seul mot d'elle, un seul accent
Brûlerait mon indifférence :
Enivré d'un charme puissant,
C'est peu que du bongeur présent,
J'ai même pour moi l'espérance.
Un jour elle m'appartiendra :
Par un charme éternel et tendre
Mon existence doublera,
Et mon bonheur s'augmentera
Du tourment heureux de l'attendre.
Et dût l'autre avec ce regret,
Qui veut désarmer la colère,
Revenir à qui l'adorait,
Le bonheur qu'elle donnerait
Ne vaut pas celui que j'espère.
II
À toi, vers qui mon cœur depuis longtemps s'élance,
Comme vers l'astre heureux qui peut le ranimer,
Toi que d'un culte pur j'environne en silence
Et que je n'oserais nommer.
De peur que ton saint nom sur des ailes de flamme
N'aille, armé d'un pouvoir divin, mystérieux,
Ainsi que dans la mienne éveiller toute une âme
L'écho qui lui répond aux cieux :
Irais-je, te troublant d'un fastueux hommage,
Altérer par l'orgueil ton cours paisible et pur,
Plus calme que le ciel dont un léger nuage
N'a pas même terni l'azur ?
Non, tu ne sauras pas que ma pensée aimante
Assiste avec ivresse à tes jours gracieux,
Comme le naufragé battu par la tourmente
Sur le phare attache ses yeux.
Oh ! quand tes pieds légers plus prompts que la cadence
Rasent le sol qui fuit, non, tu ne sauras pas
Que mon âme vers toi s'élançant à la danse
S'égare et vole sur tes pas.
Je ne te dirai pas quel est de ta main blanche,
Quel est de ton col pur le charme décevant,
Quand tu baisses les yeux, lorsque ton front se penche,
Et que tu t'assieds en rêvant.
Je ne te dirai pas qu'un seul mot de ta bouche
Résonne dans mon âme ainsi qu'un divin chœur,
Et qu'un frémissement, quand ta robe me touche,
Passe de mes sens à mon cœur.
Est-il, quand il t'a vue, un être qui t'oublie ?
Contre l'ingratitude un charme te défend
Car tu joins aux talents de la femme accomplie
Toutes les grâces d'un enfant.
Enfant ! mais animé d'une flamme divine !
À l'esprit délicat, aux talents précieux
N'as-tu pas, dévoilant ta céleste origine,
Uni le langage des dieux ?
Mais quelle hymne soudain de ma bouche élancée
De mon pieux mystère a profané les lois ?
Mon amour indiscret plus ha ut que ma pensée
Aurait-il élevé la voix ?
Non ! passe insouciante au travers des homm :ages :
Ignore de l'orgueil le charme empoisonneur
Fuis l'amour et son trouble, et ses bruûlants orages,
Plus doux pourtant qu'un froid bonheur.
Sans doute ma tendresse attend sa récompense :
Mais jusqu'au jour fatal je veux la renfermer :
J'attendrai ! le plaisir qu'une autre nous dispense
Vaut-il le tourment de t'aimer ?
III
Toi, qui dans son âme si belle
As mis esprit, bonté, douceur,
Mon Dieu ! jette un regard sur elle !
Anges, veillez sur votre sœur !
La voilà pâle, sur sa couche !
Et gardant encor son pouvoir,
Le doux sourire de sa bouche
Console ceux qui vont la voir.
Que ne souffrent-ils à sa place
Ces mortels aux yeux secs et froids,
Mélanges de boue et de glace,
Âmes pâles, esprits étroits !
Inutile et nombreuse race
Qui, suivant au hasard son cours,
Disparaît sans laisser la trace
De sa pensée ou de ses jours !
Mais elle, admirable modèle
De tout ce que l'on peut chérir,
Mais elle, entendez-vous, c'est elle ?
Devrait-elle jamais souffrir ?
Si pour hâter sa délivrance,
Maître d'un secret surhumain,
Je pouvais prendre sa souffrance
Comme un fruit qui cède à la main !
Oh ! comme j'irais sur sa lèvre,
Dans un baiser délicieux,
Puiser les flammes de la fièvre
Qui brûle son front gracieux !
Comme on vide une coupe pleine
Que ne puis-je boire ses pleurs,
Et le poison de son haleine
Où j'aspirerais ses douleurs !
Pour la sauver ou pour la suivre,
À quels dangers faut-il courir ?
Ah ! pour elle je voudrais vivre !
Pour elle je voudrais mourir !
IV
Et vous avez pensé que sans votre présence
D'un plaisir étranger je subirais la loi ?
Que je me soumettrais à votre obéissance
Lorsque vous m'avez dit : Soyez heureux sans moi !
Oh ! non, la scène en vain me convoque à ses fêtes :
Je n'en veux pas : ce soir elle n'a plus d'attraits ;
Du talent applaudi qu'importent les conquêtes ?
Ce spectacle vaut-il celui que j'espérais ?
Où seront-ils ces yeux où je me plais à lire,
Cet esprit que j'écoute et qui sait m'inspirer ?
Ce sourire charmant à qui j'aime à sourire,
Et ce regard ému qui me dit de pleurer ?
Qui me révèlera les beautés de ce drame ?
Être seul, c'est trop peu pour goûter, pour sentir :
Avec qui partager mes transports ? dans quelle âme
Les accents de la mienne iront-ils retentir ?
Ah ! quand on flotte en proie à tant d'inquiétude,
On cherche à tout quitter quand le bonheur nous fuit :
La lumière fatigue, on abhorre le bruit ;
La foule ajoute encore à notre solitude !
Comme on est isolé ! de quels regards jaloux
On poursuit les plaisirs de l'assemblée immense
Pour qui l'heure nouvelle expire et recommence,
Ravissante pour elle et stérile pour nous.
Alors bouillonne en nous le désir qui fermente,
Un vague et sourd projet qui ballotte nos pas,
L'insupportable poids du loisir qui tourmente,
Le besoin de courir aux lieux où l'on n'est pas.
Alors on va, pareil à cette âme hagarde
Qui, frappant radieuse à la porte du ciel,
Trouve le seuil fermé, se retourne et regarde,
Et voit s'étendre au loin le désert éternel.
En vain autour de moi, trésors de l'industrie,
Fourmillent fêtes, bals, concerts délicieux !
Au cœur acclimaté qu'importent d'autres cieux ?
Il n'est que deux séjours, l'exil ou la patrie !
Ne me demandez point d'où me vient tout cela ?
Je m'ignore et ne sais quelle est cette puissance
C'est qu'il est de ces cœurs que dépeuple une absence,
Et qui manquent de tout quand l'autre n'est plus là !
Ah ! c'est que je demande, afin qu'il me soutienne,
Un bras qui de ma vie allège le fardeau,
Qui me prenant ma joie et me donannt la sienne
Pose sur mes douleurs sa main comme un bandeau !
Ah ! c'est que je voudrais une âme assez fidèle
Pour trouver loin de moi le tourment et l'ennui,
Et qui, lorsque je dis : Point de bonheur sans elle !
Me réponde à son tour : Point de bonheur sans lui !
V
Par un culte immortel qu'elle me soit sacrée,
Cette délicieuse et rapide soirée !
Heures d'enivrement trop promptes à finir,
Qui s'envolent si tôt pour ne plus revenir !
Court instant, qui rayonne en notre âme ravie,
Comme un éclair qui fend l'orage de la vie !
La lune était au ciel : son reflet argenté
Pâlissait ton beau front de sa blanche clarté :
Tantôt sur le gazon se roulant avec grâce,
De tes pieds adorés venait baiser la trace ;
Tantôt des rameaux verts entr'ouvrant l'épaisseur,
De tes yeux caressans éclairait la douceur.
Tout prenait, animé d'un sentiment plus tendre,
Des regards pour te voir, une âme pour t'entendre,
Et, pour mieux t'écouter, se taisait dans le bois
L'haleine du zéphyr moins pure que ta voix.
Quel bonheur ! près de toi comme au sein de moi-même,
Te redire ces chants éclos d'un nom que j'aime !
Bercer aux doux accords de mes vers palpitants
Moi qui te les répète et toi qui les entends,
Et, réveillant chez toi cet écho que j'adore,
Quand tu les sais si bien, te les apprendre encore !
Pourquoi de gloire alors viens-tu m'entretenir ?
Près de mon soir d'hier qu'est tout mon avenir ?
La coupe où ma jeunesse a bu la poésie,
De tes lèvres de rose a-t-elle l'ambroisie ?
Qu'importent du public les jugemens divers ?
Toi seule maintenant fais frissonner mes vers !
Pour toi seule je veux vivre, penser, écrire :
Récompensé d'un mot, payé par un sourire,
Ma seule ambition c'est de voir ton regard
Me chercher dans la foule, et, par un doux hasard,
Retomber sur moi, comme avec idolâtrie
Retourne un exilé qui revoit sa patrie :
Ne me rappelle pas la scène et ses bravos
Je cède sans regret la palme à mes rivaux,
Pourvu que recueillant le seul fruit où j'aspire
Je moissonne l'amour dans le cœur qui m'inspire !
Qu'au lieu d'un nom public, dans un tendre entretien,
Une secrète voix me redise le mien !
Plus chère qu'un laurier que la gloire environne,
Une main sur mon front est toute ma couronne.
Si je vous ai reçus pour un vaste dessein,
Trésors de poésie enfermés dans mon sein,
Mes amours n'iront pas en voluptés stériles :
Pour ma gloire peut-être elles seront fertiles ;
Et l'on retrouvera dans mon vers enflammé
Tout ce que je sentis et tout ce que j'aimai.
Toi, que pour mon repos j'ai tant besoin de croire,
Que ce soir à jamais vive en notre mémoire,
Comme ces jours si chers à leur culte jaloux,
Que les chrétiens fervents célèbrent à genoux.
Ne crains pas que ma bouche, inapprise à taire,
Ose de tes bienfaits épancher le mystère ;
Ne t'offense donc pas si pour tout entretien
Mon sein gonflé d'amour se répand dans le tien :
Pour confident enfin quand je n'ai que toi-même,
Pourquoi défends-tu de prononcer : Je t'aime ?
Eh bien ! de nos discours que ce mot soit exclus :
Je t'aimerai toujours, je ne le dirai plus.
Mais lorsqu'elle te suit sur tes pas élancée,
Jamais tu ne pourras bannir de ma pensée
Ni ton âme en mon âme heureuse à retentir,
Ni cet esprit sublime et brûlant à sentir,
Que berce des succès la douce fantaisie,
Qui rêve élans de gloire ou simple poésie :
Partout, au sein du monde, au désert me suivront,
Et ces grands cils portant l'albâtre de ton front,
Et ce front imposant où ta grandeur respire
Et cette bouche rose où s'égare sourire :
Non ce rire bruyant plus triste que les pleurs ;
Mais ce souris plaintif tout empreint de douleurs,
Retraçant le passé comme une onde fidèle
Les sites vaporeux qui s'effacent loin d'elle.
Désenivre-moi donc des formes d'un beau corps,
De cette voix qui brille en suaves accords,
De ces cheveux flottants dont l'onde qui s'épanche
Descend en se jouant sur une épaule blanche,
Et, relevant l'éclat d'un sang vermeil et pur,
Court en anneaux de jais sur des veines d'azur !
Eloigne, si tu peux de mon esprit rebelle,
Et ces pieds si mignons et cette main si belle,
Et ces doigts délicats, effilés et polis,
Qui s'ouvrent gracieux comme un bouquet de lis,
Ou, quand sur un genou leur tige se repose,
À chaque extrémité laissent pendre une rose.
Ferme mes yeux enfin sur toi, sur ton pouvoir,
Sur toi qu'il faut aimer dès qu'on a pu te voir
Sur ton souris puissant, moins puissant que tes larmes,
Et sur tant de beauté, le moindre de tes charmes !
Alors de nos discours que l'amour soit exclus :
J't consens ! à ce prix, je n'en parlerai plus.
Mais cependant ici permets qu'il me souvienne
Qu'hier ta blanche main ne fuyait pas la mienne :
Que ton œil enivrant, ma richesse, mon bien,
Avec quelque douceur se fixait sur le mien.
Ah ! que ce vert coteau, ces arbres, ces ruines,
Ce gazon tressaillant sous tes formes divines,
La même lune aussi, les mêmes lieux, le soir
À tes genoux sacrés me voient encor m'asseoir ! :
Il faut je re quitte et mes douleurs reviennent :
Mes instants ne sont beaux que lorsqu'ils t'appartiennent :
Et, comme en un désert, sitôt que tu m'as fui,
Je me retrouve seul et seul avec l'ennui :
Flambeau qui coloras ma vie amère et sombre,
Comme un astre qui brille et qui s'éteint dans l'ombre,
Ainsi tu m'apparais dans mon rêve d'un jour,
Comme un ange exilé de son divin séjour,
Qui, glissant un moment des sphères éternelles,
Sur son voile d'azur a replié ses ailes,
Et sème, en s'envolant, sur ses pas gracieux,
Ces doux parfums d'amour qu'il apporta des cieux.
VI
Lorsque l'hommage t'environne,
Laisse mes doigts mystérieux
Mêler des fleurs à la couronne
Qui pare ton front glorieux.
Dans cette fête solennelle
Dont tout le bonheur fut pour moi,
Mes regards cherchaient la plus belle,
Mon amour ne voyait que toi.
Autour de toi dans mon ivresse
Erraient ma pensée et mes vœux,
Caressant sous leur longue tresse
Ton diadême de cheveux.
Comme dans un riant parterre
Riche de parfums, de couleurs,
Majestueux et solitaire
Le lys règne au loin sur les fleurs :
Ainsi relevant ta parure
De sa noble simplicité,
Calme, majestueuse et pure
Éclatait ta jeune beauté.
Oh ! comme mon âme captive
Suivait avec bonheur tes pas,
Alors qu'une rougeur naïve
Doublait encore tes appas :
Et quand tu courais palpitante,
Au bruit de nos mille bravos,
Recevoir la palme éclatante
Conquise par tes longs travaux !
Que tes succès que l'on proclame
Ne nuisent pas à ta candeur :
Que ta victoire de ton âme
Ne corrompe pas la pudeur :
Sois toujours et bonne et modeste :
Que jamais la sombre fierté
Ne vienne de ton front céleste
Obscurcir la sérénité !
Des rayons dont ton œil s'anime
N'altère pas l'éclat si doux,
Enfant admirable et sublime,
Que je ne nomme qu'à genoux !
Comme un être divin, suprême,
C'est que je t'aime, vois-tu bien !
Ta vie est pour moi tout moi-même,
Ton bonheur m'est plus que le mien.
Que mon seul hommage rassemble
Tous les hommages qu'on t'offrait :
Celui qui te parle en secret
Parle plus haut que tous ensemble.
VII
Ainsi de ce sang-froid dont un juge implacable
Assassine avant l'heure un homme au désespoir
Ta bouche a prononcé l'arrêt irrévocable :
Un jour sans te revoir !
Un jour, un jour entier loin de ma bien-aimée !
Un jour sans m'enivrer du charme de ses yeux !
Sans presser son beau front de ma lèvre enflammée !
Tout un jour loin des cieux !
Il me faudra donc triste et veuf de son sourire,
Sans avoir d'un baiser rougi sa blanche main,
Au sommeil qui les fuit fermer mes yeux, sans dire :
Je la verrai demain !
Il faudra, le matin, plus triste que la veille,
Sur ma couche rêveuse en soupirant m'asseoir,
Sans dire, en bénissant le rayon qui m'éveille :
Je la verrai ce soir !
Mais moi, pendant ce temps que deviendra mon âme ?
En vain j'implorerai l'astre qui me conduit :
Et je n'aurai pas même un flambeau dont la flamme
M'éclaire dans ma nuit.
Que faire d'aujourd'hui perdu pour moi loin d'elle !
Tous les lieux sont déserts quand j'y porte mes pas !
Où porter les accents de cet hymne fidèle
Qu'elle n'entendra pas ?
Irai-je pour calmer ma sombre inquiétude
Aux loisirs de l'esprit, au travail recourir ?
Mais je n'ai plus d'orgueil : je n'aimerais l'étude
Quepour la conquérir !
Si tu m'avais aimé, peut-être la mémoire
Eût couronné mon nom d'un rayon enflammé :
J'aurais eu des succès, j'aurais eu de la gloire,
Si tu m'avais aimé !
Sans toi que vaut ma vie enchaînée à la tienne ?
L'avenir à mes yeux ne sourit qu'avec toi :
Il faut que je t'adore et que je t'appartienne,
Il te faut toute à moi !
Oui, tout entière ! ainsi mon destin te réclame :
Oses-tu bien m'offrir un partage moqueur ?
L'amour calcule-t-il ? Une âme veut une âme :
Un cœur veut tout un cœur !
À toi ! je suis à toi ! demain ! toujours ! encore !
À toi quand la nuit sombre obscurcit mon séjour !
À toi dans mon sommeil ! à toi quand vient l'aurore !
À toi quand vient le jour !
Je n'ai d'autre bonheur, je n'ai d'autre pensée,
Quand je ne te vois plus, que d'espérer te voir,
D'y courir le matin, et, quand je t'ai laissée,
D'y revenir le soir !
Ainsi brûle ma vie ou joyeuse ou cruelle :
Pâles de tes rigueurs, brillants d'un doux retour,
Mes jours ne sont pour toi qu'une chaîne éternelle
D'hommages et d'amour !
VIII
J'ai cru jadis aimer : au seuil de la jeunesse
Qui n'a senti sa vie éclore à la tendresse ?
Qui n'a pas prodigué, dans ses vœux inconstants,
Ces mots qu'on apprend vite et qu'on retient longtemps ?
Heureux, heureux du moins qui, triomphant sans crime,
Parmi ses passions n'eut pas une victime,
Et, fidèle à l'honneur jusque dans son amour,
N'a jamais outragé ce qu'il n'aima qu'un jour !
Moi-même aussi, charmant ma jeunesse trompée,
J'amusais de ces jeux une heure inoccupée :
Une âme de poète a toujours des accents
Qui, pénétrant au fond des cœurs retentissants,
Vont, comme un doigt errant sur la corde sonore,
Y chercher des pensers qui sommeillent encore !
Combien de fois, vainqueur doucement pardonné,
De mon propre bonheur je restais étonné !
C'est qu'alors j'ignorais combien prêtent de charmes
L'éloquence des yeux, du langage et des larmes :
Par les larmes, amour, que de cœurs tu soumets,
Et qui m'a vu pleurer ne m'oubliera jamais.
Oh ! de ces souvenirs, pour moi si pleins de grâces,
Je me complais encore à retrouver les traces.
Ainsi, lorsque parfois la plus belle des fleurs
Sous le lin qu'elle embaume a perdu ses couleurs,
L'odorat, enchanté du charme qui l'attire,
A reconnu la rose au parfum qu'il respire.
Mais vous, mélange pur d'attraits et de candeur,
Vous, bonne avec gaîté, naïve avec pudeur,
Plus ravissante encor quand vous êtes vous-même,
Non, je n'aimai personne autant que je vous aime ?
Jamais avant ce jour une invincible loi
Ne m'isola de tout pour n'exister qu'en toi :
Jamais avant ce jour l'image d'une femme
N'avait pris comme toi la place de mon âme.
Partout, dans les salons, dans mon triste réduit,
Présente avec le jour, présente encor la nuit,
Comme le dieu puissant vers qui va mon hommage,
À ma vie enchaînée assiste ton image :
C'est elle qui me force aux lieux où tu n'es pas
À caresser des yeux la trace de tes pas.
Dans seul sentiment se plongeant tout entière,
Mon âme loin de toi cherche en vain la lumière
Adieu ce fol orgueil, source de beaux travaux !
Ce n'est que dans ton cœur que je crains des rivaux :
Adieu la poésie et les jeux du théâtre !
Il n'est plus qu'un succès dont je sois idolâtre :
Un seul : c'est de te plaire, et tout mon avenir,
Toute ma gloire enfin n'est que ton souvenir.
Ma plume, obéissant au charme qu'elle ignore,
Remplit les blancs feuillets de ton nom que j'adore :
De mes héros surpris c'est le seul entretien ;
Rien que ton nom partout ; excepté ton nom, rien,
Et de ce nom divin les lignes retracées
Semblent seules répondre à toutes mes pensées !
Mais parfois, y versant un philtre empoisonneur,
Quelque chose d'amer plane sur mon bonheur :
Il est de ces moments où ton indifférence
Comme un tombeau muet se ferme à l'espérance.
Qu'un autre, en invoquant les droits de l'amitié,
De tes riants loisirs partage la moitié :
Moi que lassa la joie et ses chimères vaines,
Comme un gage plus cher j'ai besoin de tes peines :
Pour les indifférents garde tes jours sereins :
Qu'un autre ait tes plaisirs, moi, je veux tes chagrins :
Jaloux de partager tes soupirs, tes alarmes,
C'est à ma lèvre ardente à dévorer tes larmes :
Laisse-les près de moi qui te suis consacré,
Descendre goutte à goutte, en mon sein altéré !
Je sais la vie, hélas ! amour, succès, richesse,
Tout est vain, ici bas, excepté la tendresse
Et dût le bonheur même, avec tous ses appas,
Semer de fleurs la route ouverte sous mes pas,
Si tu daignes m'ouvrir l'abri que je réclame,
Comme dans l'arche sainte enfermé dans ton âme,
N'ayant que toi pour dieu, de culte que ta loi,
Je renonce au bonheur pour souffrir avec toi !
Mais qu'importe une nuit où l'orage fermente ?
Qu'importe les écueils et la mer écumante,
Si, lorsque sous les flots ma barque disparaît,
Elle est là sur le bord qui me donne un regret ! :
Suivons donc le destin où mon amour m'entraîne
J'adore avec transport ma jeune souveraine !
O toi, qui m'enchaînas sans m'avoir rien promis,
Dispose d'un esclave à tes ordres soumis ;
J'adopte à deux genoux ta loi que je révère :
Sois bonne, si tu veux, sois, si tu veux, sévère :
Car mon âme à ton âme où volent mes désirs,
Demande du bonheur et non pas des plaisirs.
Qu'au-dessus des vains bruits ma voix se fasse entendre :
Seuls sachons nous parler, seuls sachons nous comprendre :
Renvoyons-nous tous deux ces mots, remplis d'appas,
Qu'un cercle froid écoute et ne distingue pas :
Que tout le monde voie et qu'aucun ne soupçonne :
Ayons tous pour témoins ! pour confident, personne !
IX
Vous qui, la nommant la plus belle,
Voudriez, heureux sous sa loi,
Vivre pour l'aimer, comme moi
Qui dois vivre et mourir pour elle,
Vous auriez bien souvent, je crois,
Donné tous les trésors du monde
Pour voir glisser entre vos doigts
Sa chevelure qui l'inonde :
Eh bien ! pour prix de tant de vœux,
Pour tant de pleurs et de tendresse,
Je les possède, ses cheveux !
J'ai des cheveux de ma maîtresse !
Par un présent mystérieux
Eût-elle payé ma demande,
Quel riche présent, quelle offrande
Pourrait les valoir à mes yeux ?
L'anneau dont le muet langage
Suppléerait à son entretien,
Et qui pourrait, fragile gage,
S'élancer de son doigt au mien ?
La broderie ingénieuse
Dont elle eût tracé le dessin ?
L'écharpe flottante et soyeuse
Consacrée en touchant son sein ?
Mais tout cela, ce n'est pas elle,
Ce n'est pas elle, comme toi,
Anneau de la chaîne éternelle
Qui pour jamais l'unit à moi.
Couronne de celle qui m'aime,
Enlevée à son front si doux,
Je vous adore ! car en vous
Je trouve une part d'elle-même.
Quand ses vitraux chaque matin
Laissent les rayons de l'aurore
Sur ses paupières que j'adore
Poser un baiser incertain,
De votre touffe gracieuse
Sa main, entr'ouvrant le rideau,
Ornait sa tête radieuse
D'un diadême ou d'un bandeau.
Que de fois, de son front d'albâtre
Descendus avec volupté,
Mollement vous avez flotté
Sur ce beau cou que j'idolâtre !
Que ton talisman précieux,
Sur mon sein qu'il gonfle de joie,
Flotte, suspendu par la soie
Teinte de la couleur des cieux !
Ou sur mon cœur ou sur ma bouche,
Il se reposera toujours :
Qu'il accompagne tous mes jours !
La nuit qu'il embaume ma couche !
Si de mes jours qu'elle féconde
S'éloignait son divin flambeau,
Seul bien que j'emporte du monde,
Tu me suivras dans le tombeau.
X
Oh ! comme ils auront dû sourire
Alors qu'ils passaient près de moi,
Ceux qui m'ont vu baiser et lire
Ce papier animé de toi ?
Comme il s'embrasait sous ma bouche !
De quels baisers délicieux
Je couvris ces mots précieux
Qui, si ma lèvre encor les touche,
M'enivrent comme un don des cieux !
Il inspirera plus d'un rêve :
Il sera là, dans mon sommeil :
Et si ma paupière se lève,
Il embellira mon réveil.
À qui te presse, à qui t'embrasse,
Tu n'oseras rien refuser ;
Gage chéri, bientôt ta trace
S'effacera sous mon baiser.
Je craignais que ton doigt sévère
Ne m'eût tristement adressé
Le reproche amer et glacé,
Ou le dédain qui désespère.
Grâce à ton pardon indulgent
J'ai lu cette phrase si belle,
Aux mesures du vers rebelle,
Et n'ose, copiste infidèle,
La profaner en la changeant.
Pensez… Faut-il que l'on m'en presse ?
Penser… oh oui ! penser toujours !
Penser à toi seule et sans cesse !
Penser les nuits ! penser les jours !
À… Quel est le nom qu'il réclame ?
Son nom divin, mystérieux,
Éveille un écho dans mon âme
Comme un chant sacré dans les cieux !
Moi ! c'est dans ma pensée obscure
Celle que je dois renfermer :
Mourons avant de la nommer
Est-il une lèvre assez pure
Pour la dire sans blasphémer ?
Qui pense à vous ! ô ciel ! te croire
Est plus que je n'ose obtenir :
Je l'ai lu ! Victoire ! victoire !
Son souvenir ! son souvenir !
Partout présent à mes pensées,
Toutes mes heures enlacées
Ne s'écouleront qu'avec lui :
Oh ! qu'à jamais il me soutienne !
Qu'il soit mon guide, mon appui,
Et que ton âme m'appartienne,
Toujours enchaînée à la mienne,
Comme hier et comme aujourd'hui !
Puissé-je un jour, d'une couronne
Payant un amour aussi doux,
Poser sur tes divins genoux
Un front que l'éclat environne !
Dussé-je, au théâtre vainqueur,
À mon nom donner la mémoire,
J'immolerais jusqu'à la gloire
Pour ne régner que dans ton cœur !
XI
Pourtant savions nous entendre :
J'étais l'écho de ta voix tendre :
Tu t'enivrais à mes regards !
Je devais croire à ma puissance,
Et je déplore ton absence,
Et tu me chéris et tu pars !
Quand ta parole souveraine
Sur tes traces au loin entraîne
Mes regrets et mon souvenir,
Plaignant ma tendresse immortelle,
Songes-tu de l'amant fidèle
Dont ton retour est l'avenir ?
As-tu pendant ce long voyage
Vu se tracer dans un nuage
Mon image que tu savais ?
Quand quelqu'un venait à paraître
De loin, as-tu pensé peut-être
Que c'était moi qui te suivais ?
Au bout de l'avenue antique
D'où surgit ton château gothique
Avec ses tourelles au vent,
As-tu, dans ton âme en souffrance,
Surpris la secrète espérance
De m'y trouver en arrivant ?
Avec sa féconde ceinture
Quand sourit au loin la nature,
Quand le soleil se lève en roi,
Quand tout parle amour et mystères,
Dans ces retraites solitaires
Si poétiques avec moi,
Puis, lorsqu'errante dans la plaine,
Te vient la frémissante haleine
Qui se joue en tes longs cheveux,
Lorsqu'aux caresses de la brise
Tout en toi rêve et s'électrise,
N'as-tu pas formé quelques vœux ?
Au fond de la vallée humide,
N'est-il pas de source timide
Fuyant sans faste et sans renom,
Qui gazouille à la nuit mourante,
Et de qui l'onde murmurante
Balbutie en fuyant mon nom ?
N'est-il pas de ruisseau limpide
Dont parfois la barque rapide
Effleure le mouvant miroir,
Tandis que son onde qui tremble
Réfléchit le saule et le tremble
Qui penchent leur front pour s'y voir ?
Que ne puis-je, ô ma poésie,
M'enivrant à cette ambroisie
Que j'aime à puiser dans tes yeux,
Heureux d'un cœur qui m'appartienne,
Parcourir, ta main dans la mienne,
Ces rivages délicieux,
Quand la lune, à demi-voilée,
Du haut de sa cour étoilée
Épanche son pâle flambeau,
Et de sa lueur incertaine
Attriste la ville lointaine
Qui sommeille comme un tombeau !
Comme sa lumière tremblante
Flotte sur l'onde étincelante !
Marchons vers ce lit de roseaux,
Et, du pied repoussant la rive,
Dénouons la barque captive
Qui se balance sur les eaux !
Tu frissonnes et ta main tremble ! :
Que crains-tu ? nous sommes ensemble :
De ces bords suivant le détour,
Livrons et nos sens et notre âme
Au bruissement de la rame
Frappant l'eau qui fuit à l'entour !
Salut, inspirante nature !
Et vous, naïve architecture !
Salut, romantique coteau !
Vois-tu ces fermes isolées
Gravir la croupe des vallées
Dont le front vert porte un château.
Quel bruit pour toi nouveau t'étonne ?
C'est l'écho d'un son monotone
Qui s'échappe du vieux moulin.
Vite, vite, tournons la proue :
Ici roule, en grondant, la roue
Qui foule les débris du lin.
Vils débris où s'écrit la gloire !
Par vous beaux-arts, vertu, victoire
Retentissent dans l'avenir.
Ah ! puisse, consacrant mon être,
Une des feuilles qui va naître
Éterniser mon souvenir !
Sortant de ta bouche vermeille,
L'enthousiasme qui sommeille
S'éveillerait à tes accents :
Ce n'est qu'en toi que je respire :
Loin de ton souffle qui m'inspire
Mes jours se traînent languissants.
Ma vie est douloureuse, amère :
Ma gaieté, menteuse chimère,
De mes ennuis cache l'essaim,
Et lorqu'enfant d'un vain délire,
Sur mon front éclate le rire,
Mon âme gémit dans mon sein.
Toi qui te plais à me comprendre,
Tu peux seule encore me rendre
Les illusions qui m'ont fui ;
Si tu veux contre la tourmente
M'offrir dans les soins d'une amante
Un asile, un guide, un appui !
Je t'aime avec toute mon âme,
Je t'aime avec un cœur de flamme,
Seul penser de tous mes instants !
Je t'aime plus qu'un vers sublime,
Plus que la gloire qui m'anime,
Plus que les succès que j'attends !
Toi que ma vie entière adore,
Quand pourra lejour que j'implore
Me rendre pour sécher mes pleurs,
Toi qui n'es que vertus et charmes,
Toi dont le sourire a des larmes
Qui répondent à mes douleurs !
XII
Emportés près de lui sur vos ailes de feu,
Vos pensers parlent-ils face à face avec Dieu ?
Dans ces sites rêveurs où son souffle respire,
Modulez-vous ces chants que la nature inspire ?
Oh !quel bonheur pour moi qui sais le pressentir,
D'entendre autour de moi votre nom retentir !
De voir de vos talents un peuple tributaire !
Comme un ange, ici bas messager volontaire,
Aime I'humble prière et les accents pieux
Qui volent à son maître et montent vers les cieux,
Poursuivez ces travaux qu'un noble but impose :
Vous ne soupçonnez pas comme un succès repose ?
Quel calme inattendu, succédant aux ennuis,
Nous solde la fatigue et des jours et des nuits !
Comme on existe enfin ! commee il est doux de croire
Qu'aux lieux absents de nous assiste notre gloire,
Et qu'un peuple, accueillant un succès affermi,
Tressaille à notre nom comme au nom d'un ami !
Succès d'autant plus vif que son sexe l'augmente,
Dans tous les souvenirs son image fermente :
D'un attrait plus puissant l'esprit est animé :
Tous palpitent pour elle… un seul en est aimé l
Puissé-je, de mon nom. consacrant la mémoire,
Vous parer d'une palme et vous offrir ma gloire !
Votre cœur ce soir-là battrait si doucement !
J'ai tant besoin de vous pour ce fatal moment !
Si mon ouvrage, hélas ! succombe dans la lutte,
Un mot de votre cœur consolera ma chute :
Mais si je réussis, succès amer et doux !
Qui me consolera de réussir sans vous ?
XIII
Je ne me trompe pas, ce message il est d'elle l
Mille baisers d'abord à son nom gracieux,
À ces doux mots tracés par une main fidèle,
Et lisons à genoux ce qui me vient des cieux l
Demain… je l'ai bien lu… demain… en sa présence…
Quand l'aurore luira pour mon premier beau jour…
Demain !… ah ! les tourments d'une si longue absence
Seront-ils payés au retour ?
XIV
L'extase de la volupté
Passe comme I'éclair rapide :
Sa coupe, nectar enchanté,
Échappe à notre lèvre avide,
Et le ll ectar qu'on a goûté
Laisse en fuyant notre âme vide.
Eh bien ! mollement délassés,
Dans le charme et dans le silence,
Mêlons nos bras entrelacés,
Comme le lierre qui s'élance
À l'entour des ormeaux pressés.
Qu'à notre ardeur tumultueuse
Succède une étreinte amoureuse :
Et profitant du reposer,
Que notre bouche savoureuse
Échange un éternel baiser !
O divine et chaste caresse !
Amour ! amour ! ton feu vainqueur
Vaut-il ces moments de faiblesse
Où I'ame survit à l'ivresse,
Où I'on ne jouit que du cœur ?
XV
Quand ce matin, encor trop tôt pour ma tendresse,
Je la quittai, brillant de bonheur et d'espoir,
Tandis que palpitait la dernière caresse,
Sa bouche en souriant m'avait dit : À ce soir !
Depuis une heure au moins je suis séparé d'elle :
Offrons-nous tout à coup à ses regards surpris,
Comme un ami lointain dont l'image fidèle
Renaît par la mémoire en nos sens attendris !
Personne en ce salon où vole sur sa trace
Le plaisir, docile à sa voix,
Où brillent ces beautés que sa présence efface,
Où je la vis un soir pour la première fois !…
Serait-elle ?… Salut, ô retraite charmante !
Boudoir voluptueux, où quand son âme aimante,
Tristement suspendue à mes jeunes malheurs,
De mes jours orageux déplorait la tourmente,
Après un long oubli d'elle et de mes douleurs,
Celle quej'adorais s'eveilla mon amante
Tenta de m'accuser et répandit des pleurs !
La voici !… quand mon être auprès d'elle s'élance,
Pourquoi donc immobile, au seul bruit de mes pas ?…
Elle dort : gardons-nous de troubler le silence :
Ce matin, à l'aurore elle ne dormait pas !
Notre veille toujours trop avant se prolonge !
Et pourtant, chaque soir, je m'impose une loi…
Mais un mot semble errer sur sa bouche : elle songe !
Songes d'or, parlez-lui de moi !
Contemplons-la, muet, pendant qu'elle repose !
Que d'attraits ravissants sa négligence expose !
Parmi ses noirs cheveux flottant en liberté,
Autour d'un col d'ivoire un autre bras s'enlace :
Dans son mol abandon que d'aisance et de grâce !
Dans ses traits assoupis quelle sérénité !
Sur sa lèvre entr'ouverte un sourire se joue :
Et, de souvenirs agité,
L'incarnat colore sa joue
Qui pâlissait de volupté.
Entrouvrant le poids qui l'oppresse,
Comme un flot qui s'élève et décroît tour à tour,
Son sein tremble, ondule, s'abaisse,
Ma pensée est brûlante et frissonne à l'entour,
Et mon œil dévorant caresse
L'albâtre éblouissant de son divin contour.
Débordant tout à coup comme une coupe pleine,
Mon cœur bouillonne et cède à ses charmes puissants :
Ma lèvre ose effleurer sa Ièvre, et son haleine
Comme un ruisseau de flamme a passé dans mes sens :
C'en est fait : I'amour seul conseille ;
Serrons-la palpitante en mes bras frémissants,
Et que le bonheur la réveille !
Malheureux ! quel transport ! moi ! j 'irais abuser !…
J'irais, lorsqu'à ma foi le hasard t'abandonne !
Respect ! la volupté se donne…
On ne doit ravir qu'un baiser.
Posons sur ses genoux cette rose vermeille :
Partons, et lorsque j'aurai fui,
Que dans I'instant qu'elle s'éveille
Elle se dise : C'était lui !
Ces faveurs que I'amour dispense,
C'est de moi seulement qu'il veut les recevoir :
Comme elle sourira quand je vais la revoir !
Adieu ! toi que j'adore ! adieu ! mais à ce soir !
Tu sais quelle est ma récompense !
XVI
Oh l Iaisse-moi, ma bien-aimée,
Laisse-moi, dans ces vers discrets,
Épancher mon âme charmée,
Esclave heureuse, accoutumée
À bénir ta voix et tes traits.
Dans tes regards j'avais su lire :
Tu tiens avec fidélité
Ce que promettait ton sourire.
D'une touchante aménité
Toujours ta malice embellie
Fait succéder à la gaîté
Ces teintes de mélancolie
Qui relèvent la volupté.
Ton âme est la source féconde
De mille tendres sentiments :
Loin de nous ces fades amants
De qui l'ignorance profonde
Adore sans épanchements,
Et jouit comme tout le monde !
Malheureux, qui des seuls désirs
Éprouve l'aveugle puissance !
Les sots n'ont que la jouissance :
L'esprit seul fait les vrais plaisirs.
Va, ne crains pas qu'une plus belle
Me fasse violer ma foi :
Où la trouver ? où donc est-elle ?
La plus belle, n'est-ce pas toi !
En est-il une qui t'efface ?
Quel regard a plus de candeur ?
Quel sourire offre plus de grâce,
Et quelle âme a plus de pudeur ?
Quel esprit délicat recèle
Plus de charme et de vérité ?
Quel œil plus brillant étincelle ?
Quel front a plus de majesté ?
Oh ! oui, divine enchanteresse !
Pour fixer, tu reçus des cieux
L'éclair qui rayonne en tes yeux,
Le doux sourire qui caresse,
Et cet accord délicieux
D'une âme pleine de tendresse,
D'un esprit noble et gracieux !
Que toujours, heureux de s'entendre,
Nos deux cœurs se parlent tout bas ;
Car l'écho du tien est si tendre,
Et tu te fais si bien comprendre
De celui qui ne doute pas.
Jamais, belle magicienne,
Au corps enivrant, à I'œil noir,
Je n'ai senti, comme hier soir,
Mon âme tenir à la tienne.
Amitié, dévouement, amour
Tiennent ma pensée asservie :
Celui qui t'a vue un seul jour
Doit t'adorer toute la. vie.
XVII
O mon pauvre ermitage
Où je rêve content,
Tu n'as pas en partage
Un plafond éclatant,
Ni de vastes tentures
Dans un long corridor,
Ni de riches peintures
Avec leurs cadres d'or :
Ni ces meubles superbes
Des palais copiés,
Ni ces tapis pleins d'herbes
Si douces à nos pieds !
Mais, ô deuxième étage,
Parfois si déplaisant,
O mon pauvre ermitage
Que je t'aime à présent !
Dans mon taudis profane
Ce que j'aime est venu,
Comme en une cabane
Entre un prince inconnu :
Comme en ce temps étrange
Où parlait l'Eternel,
Volait parfois un ange
Au séjour d'un mortel :
Comme de leur demeure,
Avec un doux souris,
Vers le croyant qui pleure
Descendent les houris.
Comme sur une étoile
Ou sur un char de feu,
Planait jadis sans voile
La majesté de Dieu.
De l'échange ineffable
Plus d'un sage a douté :
On n'avait -que la fable,
J'ai la réalité :
O mon deuxième étage,
Parfois si déplaisant,
O mon pauvre ermitage,
Que je t'aime à présent !
XVIII
Beaux lieux où nous serons demain,
Quel bonheur en mon âme espérez-vous répandre,
Si sur mon bras ému je ne sens pas sa main,
Si je ne puis lui parler et I'entendre ?
Que m'importent tous vos appas ?
Loin d'elle, plaisir, gloire, étude,
Tout est froid et muet : chagrin, inquiétude,
Viennent seuls germer sous mes pas.
Spectacles ravissants, qu'un autre vous admire !
Tout ton charme est dans son sourire,
Nature, que peux-tu me dire,
Puisque je ne la verrai pas ?
XIX
27, 28, 29 Juillet 1830.
Quoi ! parmi le fracas des armes,
Quand on ne tremblait que pour soi,
Mon danger causa tes alarmes,
Et tes pleurs ont coulé sur moil
O larmes chères et fidèles
Que je paierais de mon bonheur !
Hélas ! pourquoi s'écoulaient-elles
Loin de ma bouche et de mon cœur !
Vers le seul regard que j'envie
M'élançant de tout mon pouvoir,
Quand tu frémissais pour ma vie,
Je mourais de ne pas te voir !
Tandis qu'au fracas des batailles
Joignant les crimes et l'effroi,
Grondaient au sein de nos murailles
Les soldats du peuple et du Roi,
Je courais, et plus d'une femme
Sur mon sort prompte à s'attendrir
Me plaignait peut-être en son âme
D'aller et combattre et mourir !
Elles admiraient mon courage,
Disant : Ennemi du pouvoir,
La liberté plaît à son âge :
Moi, je ne cherchais qu'à te voir !
Moi, je m'écriais : Que fait-elle ?
Quand la foule retient mes pas,
Que me veut un peuple rebelle ?
Je meurs, si je ne la vois pas !
Qu'importe que sur ce rivage
Un prince affermisse sa loi ?
Que m'importe leur esclavage ?
Moi, je n'ai de maître que toi !
Qu'un autre chante ces spectacles !
Qu'il dise le peuple à la fois
Vainqueur sans lutte et sans obstacles
Profanant le palais des rois !
D'un jour éclatant et funeste,
Marqué par le meurtre et le sang,
Le seul souvenir qui me reste,
C'est que tu me pleuras absent !
Trésor de tendresse et de charmes,
À tes pieds, je te le promets,
Va, ce seront les seules Iarmes
Que je te coûterai jamais,
J'en garde la sainte mémoire
Comme du plus cher des succès :
J'ai, plus heureux que les Français,
Trois jours de bonheur et de gloire.
XX
Amant fidèle,
Dis en partant
À la plus belle :
Serai constant.
Mais à qui m'aime
Jusqu au trépas
Je dis de même :
N'oublions pas !
Vers toi fixée,
Ne veux bannir
De ma pensée
Ton souvenir :
Si ton cœur m'aime,
Jusqu'au trépas
Qu'il soit le même :
N'oublions pas !
Sur l'autre rive
Si je mourais,
Que je revive
Dans tes regrets :
O cœur qui m'aime
Jusqu'au trépas,
Dans la mort même
N'oublions pas !
XXI
Dans cette solitude,
Où je n'ai qu'un plaisir,
J'ai pris une habitude,
Qui n'est pas de l'étude,
Et n'est pas du Ioisir.
Comme un flot sur la grève
Vient mourir affaibli,
Mon jour naît et s'achève,
Et ma vie est un rêve
De toi seule rempli.
Sur la côte de Loire
Je me plais à venir,
Et, dédaigneux de gloire,
Je n'ai plus de mémoire
Que pour ton souvenir.
Chaque jour sur la rive,
Tout rêveur, je m'assieds,
Livrant ma vue oisive
À l'onde fugitive
Qui murmure à mes pieds.
Alors commence une heure,
La plus belle du jour,
Où mon âme qui pleure,
Comme dans sa demeure,
S'enferme en ton amour.
Ton sourire et ta grâce,
Par de charmants tableaux,
Devant moi se retrace
Comme dans une glace
Ou dans l'azur des flots.
Je me rappelle encore,
Irrésistible et prompt,
L'éclat qui te décore
Et le lis qui colore
L'albâtre de ton front ;
Et puis avec délice,
Longue et soyeuse à voir,
Ta chevelure lisse,
Ton petit pied qui glisse,
Et tes yeux au feu noir ;
Et ta taille divine
Qui, souple à se plier,
Se balance et s'incline,
Comme sur la colline,
Là bas, ce peuplier ;
Et ton cœur magnanime,
Ton esprit gracieux,
Et le dieu qui t'anime,
Et ton âme sublime
Qui parle avec tes yeux ;
Et ta bouche vermeille,
Et ces baisers, doux bruit,
Qui, lorsque je sommeille,
Dans mon âme qui veille
Retentissent la nuit ;
Et toutes nos tendresses,
Ces bonheurs hasardeux,
Et toutes nos ivresses,
Et toutes ces caresses
Que nous savons tous deux.
Et soudain ma pensée,
De mon sein s'élevant,
Vers toi part élancée,
Plus prompte, plus pressée
Que la poussière au vent.
Mais l'onde que sillonne
Le roulis d'un bateau,
Le vent qui tourbillonne
En bruyante colonne,
Et roule du coteau :
Une voix qui répète
Mon nom que j'oubliais
Ou qui trouble, indiscrète,
Ma prière secrète,
Croyant que je priais :
Un chant qui se prolonge,
La clameur d'un nocher,
De ce céleste songe
Où tout en moi se plonge,
Soudain vient m'arracher.
Je tressaille et m'étonne :
Le prestige est détruit,
Et le charme abandonne
Mon âme qui frissonne
Et se réveille au bruit .
Et tristement ravie
À son divin émoi,
Ma pensée asservie
Recommence la vie
Qui ne m'est rien sans toi.
XXII
Abandonné soudain même de l'espérance,
Quand j'ai souffert assez pour désirer mourir,
Lorsque tu me brisas par ton indifférence,
Tu viens me demander si tu m'as fait souffrir ?
Quoi ! pas un souvenir dans la soirée entière !
Quoi l dans tous mes tourments n'être pas de moitié !
Et quand des pleurs de sang montaient à ma paupière,
Pas un doux mot, pas même un regard de pitié !
Quand ta bouche jadis, par son adieu si tendre,
Même après mon départ prolongeait l'entretien,
Conquis par un regard que je savais comprendre,
Mes serments te restaient en échange du tien.
Un mot illuminait ma nuit décolorée,
Et comme en sons Iointains se répète le cor,
J'étais déjà bien loin, et ta voix adorée
Dans l'écho de mes sens retentissait encor.
Son charme me suivait pendant le Iong voyage,
Et comme le fidèle à genoux au saint Iieu,
Dans mon séjour, rempli de ta céleste image,
Je priais à ton nom comme on prie à son Dieu !
Après avoir la nuit caressé ta pensée,
Quand l'aurore brillait à l'Orient vermeil,
Je fermais lentement ma paupière lassée,
Et des songes d'amour enchantaient mon sommeil.
Alors mille bonheurs, délicieux mélange,
Avec toi, près de toi paraient mon avenir ;
Ton nom me réveillait prononcé par un ange,
Et ma bouche et mes yeux s'ouvraient pour te bénir.
Mais lorsqu'hier en proie à mon inquiétude,
Sombre et désespéré, je quittai ton séjour,
Lorsque je regagnai ma triste solitude,
Seul avec ma douleur et veuf de ton amour :
Adieu riant espoir ! adieu douces chimères !
Rêves d'enivrement ! pressentiments des cieux !
Que de sanglots cruels ! que de Iarmes amères
Dont la trace brûlante est encor dans mes yeux !
Cependant insensible aux maux que je déplore,
Sur ses ailes de plomb le temps poursuit son cours,
Et le soleil qui luit m'apporte avec l'aurore
Un jour de plus qu'il vole à la tombe où je cours.
Que me veut I'avenir si ma joie est ravie ?
Comme un paisible abri j'implore le trépas :
À qui perd le bonheur que peut offrir la vie ?
Que faire de mes jours lorsque tu n'en veux pas ?
Voilà quelles douleurs subit celui qui t'aime :
Et que serait-ce alors si trahissant ta foi…
Oui ! si jamais… grands dieux ! anathème ! anathème !
Malheur ! malheur à lui ! malheur ! malheur à moi !
Malheur à celui-là dont la bouche profane
T'osera confier une espérance, un vœu l
Va ! s'il n'est pas écrit sur ton front diaphane,
Dans ses yeux insolents je lirai son aveu !
Je I'ai surpris ! tu l'as écouté sans colère !
Il faut que tout s'incline à genoux devant toi ;
On obtient un regard dès qu'on cherche à te plaire :
Tout esclave t'est bon pour adorer ta loi !
Consacrée à toi seule et par toi consacrée,
Quand ma vie à tes pieds s'enchaîne pour toujours,
Par la voix des flatteurs, par l'orgueil égarée,
À ta coquetterie il faut plusieurs amours.
Et je doutais encor de ton parjure infâme !
Insensé ! quel vertige abusait ma raison ?
Je reste anéanti sous cette trahison !
Je m'en étonne encore ! et j'aimais une femme !
XXIII
Oh non ! ce n'est pas moi ! car je serais infâme,
Oh non ! jamais ma main ne les aurait tracés
Ces traits injurieux que déjà dans mon âme
Mes pleurs ont effacés !
Mais que peut respecter la noire jalousie ?
Qui peut de l'injustice éviter le poison ?
N'est-il pas des instants où notre âme saisie
Fuit avec la raison ?
Ainsi dans Ie ciel même où, voilé de ses ailes,
Devant son roi divin d'éclat environné
Lucifer enviait les splendeurs immortelles
De son front couronné,
N'a-t-il pas, déployant l'étendard infidèle,
Par des cris de révolte ébranlé le saint lieu ?
N'a-t-il pas un moment porté son bras rebelle
Vers le trône de Dieu ?
Mais près du trône à peine arriva le blasphème,
Qu'aux pieds de l'Éternel soudain il se courba,
Et s'éloignant de lui, sur Satan pâle et blême,
L'outrage retomba !
Eh bien ! quand j'ai failli, même peine m'arrive !
Brûlant comme la foudre et prompt comme le vent,
Pour punir mes soupçons, que le remords me suive
Comme un spectre vivant !
Qu'il soit un rêve affreux pendant que je sommeille !
Qu'il abreuve ma lèvre et de fiel et d'ennuis !
Qu'il soit là quand je dors, et là quand je m'éveille,
Là les jours, là les nuits !
Qu'un accent implacable en mon sein les déplore !
Qu'il déchire ma vie errante à l'abandon !
Et que ta voix terrible à ma voix qui l'implore
Dise : Point de pardon !
XXIV
Oui, jaloux ! depuis l'heure où, si longtemps rebelle,
Aux éclairs de tes yeux je me vins enflammer !
Du moment où, ravi de t'admirer si belle,
Je me pris à t'aimer !
Car, moi, je ne veux pas, pour flatter une envie,
De ces penchants légers qui durent sans effort ;
Moi, je veux un amour qui consume la vie
Ou qui donne la mort.
Sais-tu qu'en te quittant je te laisse mon âme ?
Que des pleurs mal cachés s'écoulent au départ ?
Que je t'appelle absente, et que nulle autre femme
Ne fixe mon regard ?
Sais-tu que chaque soir ma pensée indocile
Vers toi porte au hasard son vol silencieux ?
Comme un pauvre exilé qui cherche son asile,
Elle cherche les cieux !
Sais-tu que chaque jour, pensif et solitaire,
Je vais, privé de tout lorsque tu m'échappas,
D'un avide regard épier sur la terre
La trace de tes pas ?
Eh bien ! à ces tourrnents d'une amère espérance,
À ces bonheurs cruels, à ces bonheurs si doux,
Toi qui souffres aussi, juge de ma souffrance,
Et si je suis jaloux !
Que je hais les regards qui, fortunés complices,
Caressent sous le lin tes trésors précieux !
Je hais quand sur un autre, astres purs et propices,
Étincellent tes yeux !
De qui suis-je jaloux ? Je ne sais ! qui te dire ?
Personne !… et tout le monde excite mon courroux :
Qu'une femme elle-même obtienne ton sourire,
Et j'en deviens jaloux !
Pardonne à mon ardeur ma faiblesse insensée !
Despote que je suis, je te veux toute à moi,
Je te veux tout entière, âme, corps, pensée,
Comme je suis à toi !
Et pourtant, faut-il donc, profanant leur retraite,
Offrir notre mystère à la face du jour,
Et dans ce cercle oisif d'une foule indiscrète
Éventer notre amour !
Oh non ! cache-le bien ce secret plein de charrnes !
Qu'il croisse ! qu'il échappe à l'œil le plus perçant !
Pour un de tes chagrins, pour une de tes Iarmes,
Je donnerais mon sang !
Qu'aucun secret n'échappe à ta lèvre imprudente :
Mais dans l'instant heureux qu'abrègent nos plaisirs,
Pous prix de mes tourments, peuple mon âme ardente
De tendres souvenirs !
Quand je suis près de toi rassure mes tendresses ;
Jure-moi que moi seul je remplis tes pensers :
Donne-moi pour garants tes naïves caresses
Ou tes divins baisers.
Qu'un éternel serment m'anime et m'entretienne !
Que ta bouche en entrant dise : Je suis à toi !
Que je sois tien toujours, et toi toujours la mienne,
Et tes regards à moi !
Lorsqu'un cercle jaloux nous presse et nous sépare,
Qu'en tes gestes encor nos serments soient écrits :
Qu'à travers Ieur sang-froid ou Ieur gaieté barbare
Vienne à moi ton souris !
D'un air indifférent que ta robe me touche !
Qu'un mot, dit pour moi seul, m'arrive gracieux !
Que tes élans d'amour, arrêtés sur ta bouche,
Se Iisent dans tes yeux !
Et que toujours ainsi l'un vers l'autre s'élance,
Sans témoin se parlant, s'écoutant sans témoin,
Dans le monde, en secret, dans le bruit, en silence,
De près comme de loin !
XXV
Puisque tout me trahit, puisqu'elle m'abandonne,
Toi, que dans mes chagrins le ciel du moins me donne,
Toi, le seul des amours qui jamais ne trompas,
O poésie, accours dans ma sombre retraite,
Et reçois, mais tout bas, confidente discrète,
Des accents de douleur qu'elle n'entendra pas.
Toi, Iorsque tu souris, ton sourire console ;
Mais elle, froide et belle, et coquette et frivole,
Aux éclairs d'un moment rapide à s'animer,
De ses yeux au hasard elle égare la flamme,
S'oublie en un triomphe, et négligeant son âme,
Veut vaincre qui résiste, et ne sait pas aimer.
Peut-elle seulement, dans la foule des hommes,
Me distinguer poète et sentir qui nous sommes ?
Elle se laisse plaire à qui veut I'en prier :
Et si mon front un jour de gloire s'environne,
Je la verrais, jouant avec une couronne,
Comme un bouquet vulgaire effeuiller mon laurier.
Et pourtant, tu le sais, ô chère poésie !
Comme si de ta main tu me l'avais choisie,
On dirait que le ciel se plut à la former ;
Toute femme possède un brillant avantage :
Mais le sort est aveugle : elle a tout en partage :
Seule elle réunit tout ce qui peut charmer.
Comme son corps léger sur sa tige s'élance !
Vois avec volupté comme elle se balance !
Combien son abandon ajoute à ses appas !
Comme est vif l'incarnat de sa lèvre de rose !
Comme son pied mignon légèrement se pose,
Et comme avec amour le sol baise ses pas !
Est-il rien de plus doux qu'un beau vers dans sa bouche !
Sur la harpe éloquente, ou sur la blanche touche,
Volent en frémissant ses doigts mélodieux :
Comme son col est pur ! comme I'œil idolâtre
Plonge amoureusement sur ses trésors d'albâtre !
Comme l'âme s'allume à l'éclair de ses yeux !
Et tout cela c'est froid près d'un amour si tendre :
Portons donc notre hommage à qui sait le comprendre :
Moi ! souffrir plus Iongtemps ses dédains absolus !
Non : fuyons à jamais ces charmes que j'abhorre :
Si j'étais enchaîné, je la verrais encore :
Mais je suis Iibre ! enfin !… je ne Ia verrai plus !
Me voilà soulagé du fardeau qui me pèse :
Je suis calme à présent : j'en suis sûr, je m'apaise,
Je suis content ! Sur moi je connais mon pouvoir !
Je ne la verrai plus ? et pour jamais loin d'elle…
Aujourd'hui cependant à l'usage fidèle
Elle doit… O mon Dieu l viendra-t-elle ce soir ?
XXVI
N'est-ce pas qu'il est doux, quand l'erreur insensée,
De termes innocents altérant la pensée,
Voulut prêter un crime à de légers discours,
N'est-ce pas, du regret écoutant la puissance,
QU'il est doux de revoir, après des jours d'absence,
Ce qu'on devait chérir toujours ?
On s'enfuit courroucé bien loin de ce qu'on aime :
Mais on ne peut longtemps se suffire à soi-même ;
On demande au hasard un soutien, un appui ;
La vie est un fardeau qu'un Dieu cruel nous jette :
Seul pour la supporter, on est faible, on végète ;
On n'existe que dans autrui.
Puis un amour perfide, une amitié frivole
Nous prodigue avec faste un serment qui s'envole :
Il vous berce, imposteur, d'un avenir plus beau :
Mais on sent tout à coup ce bonheur qu'on réclame
Et son âme mourir, affreuse mort de I'âme,
Pire que celle du tombeau.
Alors on flotte au loin, âme incertaine et vide ;
Vers des bords inconnus poussant sa course avide,
On traverse les monts, les fleuves et les mers ;
Et, quand elle finit la marche vagabonde,
On s'assied tristement sur la borne du monde :
0n est t seul au sein des déserts.
Et l'on part inquiet, on accourt, on arrive
À celle qui, sublime et touchante et naïve,
Entrouvre sa jeune âme à toutes les douleurs :
Le pied qui se souvient reprend l'ancienne trace ;
On se revoit, on tremble, on se presse, on s'embrasse,
Avec des soupirs et des pleurs.
Ah ! c'est que le bonheur, indicible mystère,
Est semblable à l'arbuste, amoureux de la terre,
Qui lui donna naissance et vit son premier jour :
Qu'une main insensible à son doux esclavage
Le transplante ; il languit sur un lointain rivage,
Il meurt dans un autre séjour.
Trouvera-t-il ailleurs la sève fraternelle,
Et le zéphir natal qui parfois de son aile
Vient caresser sa tige et ses feuillages verts,
Et la source, et surtout, surtout ce chêne immense
Qui, des souffles glacés supportant l'inclémence,
L'abritait contre les hivers ?
Voyez ! déjà les fleurs, les fruits allaient éclore :
Plus d'espoir de moisson ! son front se décolore,
Comme s'il eût souffert l'injure des autans :
Ses rameaux inclinés ont perdu leur verdure ;
Et l'arbuste exilé, triste avant la froidure,
Expire au milieu du printemps.
O toi, que j'outrageai par plus d'un noir blasphème,
Ton cœur est toujours pur et noble, puisqu'il aime !
Puisqu'il a bien compris le bonheur du retour !
Puisque du souvenir elle entend Ie murmure,
Oh, oui ! ton âme noble est toujours noble et pure,
Car toute vertu n'est qu'amour.
XXVII
Modeste et candide pervenche,
Ton front se baisse gracieux
Comme un front d'ami qui se penche
Pour sécher les pleurs de nos yeux !
De charme et de mélancolie
Ta fleur embaumant ton séjour,
Ne dit pas un seul mot d'amour,
Mais elle défend qu'on oublie.
C'est auprès de toi que Rousseau
Ranima son âme flétrie
Aux ressouvenirs de patrie
Qui nous ramènent au berceau.
Pure et délicieuse ivresse !
Tu frappes ses regards charmés,
Comme un revenir de tendresse
Dans les yeux qui nous ont aimés.
Il baise ta feuille charmante,
Comme sur le soir, au retour,
Ou son amie ou son amante
Qu'on regretta tout un grand jour.
Tels, après une nuit d'orages
Où le cœur se brise à moitié,
Descendent du sein des nuages
Les purs rayons de l'amitié.
L'âme vers elle avec délices
S'élance : car ses nœuds plus doux
Ne connaissent ni les supplices,
Ni les soupçons froids et jaloux.
Dévouée à l'objet qu'elle aime,
L'amitié, sentiment constant,
Plus tendre que l'amour Iui-même,
Exige moins et donne autant.
L'amitié noble et généreuse
Dit même à qui l'a fait souffrir :
« Oui, je t'aime assez pour chérir
Ce qui saura te rendre heureuse. »
Chaste pervenche, c'est donc toi
Que j'offrirai pour dernier gage !
Croyez, mon amie, au langage
De la fleur qui parle pour moi.
D'une âme à la vôtre asservie
Voilà désormais l'entretien :
Son emblème sera le mien :
Amitié de toute la vie !
XXVIII
Je m'étais résigné : car le fils de la terre,
Jusqu'au moment fatal qui le verra mourir,
De ses jours douloureux accomplit le mystère :
Son sort est de souffrir.
Eh bien ! je souffrirai ! mais jamais, comme à I'ombre
L'aveugle va pleurer silencieux et seul,
Jamais, jamais I'ennui, voile pesant et sombre
Et froid comme un Iinceul,
Jamais le triste ennui qui désenchante l'âme,
Frappant d'un doigt glacé le souris de mon front,
N'attachera ma vie et mes pensers de flamme
À ses ailes de plomb .
Il est venu pourtant, prompt comme une souffrance,
Rabaisser vers le sol, graves et soucieux,
Ces regards qui parlaient d'amour et d'espérance
Et qui cherchaient aux cieux.
Je cherchais ces pensers qui font une mémoire :
Je voulais ce laurier qui crée un souvenir :
Adieu rêves d'amour, d'orgueil et de victoire !
Voudront-ils revenir ?
J'aurais eu des succès pour I'obtenir ! pour elle
J'eusse immolé sans peine un succès attendu :
Si l'on ne m'eût ravi qu'une palme immortelle,
Je n'aurais rien perdu.
La palme est noble et chère ! il est si beau de croire
Qu'un accent inconnu se plaît à nous nommer ;
Mais je voyais plus haut : je ne voulais la gloire
Que pour me faire aimer.
Eh bien ! celle-là même où volaient mes pensées,
Celle qui m'enivrait par un tendre retour,
Et dans son cœur brûlant couvait entrelacées
Nos promesses d'amour :
Elle sur qui ma foi ne conçut aucuns doutes,
Elle qui maudissait ceux qui m'osaient haïr,
Que je nommais fidèle et qui seule de toutes
Ne pouvait pas trahir :
Elle trahit ! adieu promesse sacrilège !
Sur un autel désert le feu s'est refroidi,
Comme ces noirs climats qui gèlent, sous leur neige,
Loin des feux clu Midi.
Et je m'étonne encor comment l'ennui me ronge !
Le bonheur dans son vol suit la fidélité :
Semblable au malheureux qui s'éveille d'un songe
Pour la réalité,
C'est que j'avais rêvé, dans mes heures d'ivresse,
Qu'elle pouvait m'offrir un cœur comme le mien,
Et que je n'ai trouvé, pour payer ma tendresse,
Qu'un cœur comme le sien !
C'est que mon existence en veut une autre encore :
Que I'esprit le plus ferme a besoin d'un appui :
Qu'il faut doubler son âme et que l'heure dévore
L'être qui n'a que lui.
J'ai consumé pour toi, sublime enchanteresse,
Une âme que ton crime a brisée en un jour !
On a plus d'une épouse et plus d'une maîtresse :
Mais on n'a qu'un amour !
À MON AMI ACHILLE COMTE, MÉDECIN |
Heureux trois fois le mortel studieux
Qui, sous son voile épiant la nature,
Du corps humain a sondé la structure
Et plonge I'œil dans le secret des dieux !
J'avais souvent admiré ces spectacles,
Ces grands efforts où l'art ingénieux,
Pour nous servir ou pour flatter nos yeux,
De la pensée a versé les miracles.
J'avais cherché par quel secret travail
Le temps, écrit sur un cercle d'émail,
À pas comptés nomme en courant les heures :
Dans ces jardins, poétiques demeures,
J'avais appris par quelles sages lois
Les flots, ravis à leur source lointaine,
Tracent dans l'air leur ellipse certaine
Pour revenir baigner le pied des rois.
J'avais passé, lorsque parfois ma route
Guidait ma barque au doux languir des eaux,
Sous ces beaux ponts dont l'intrépide voûte
Sur notre front recourbe ses arceaux.
Mais qui m'eût dit, à moi, dont I'âme impie
Te blasphémait au pied de ton autel,
Que nos chefs-d'œuvre, artisan immortel,
N'étaient des tiens qu'une informe copie !
Tout ce que I'homme invente de plus beau
N'est qu'un reflet de ta grande harmonie :
Tout créateur t'imite, et le génie
N'est qu'un éclair parti de ton flambeau !
Pendant longtemps, oublieux de moi-même,
J'ai méconnu cette invisible loi,
Ressort caché dont la force suprême
À mon insu me dirigeait en moi !
Mais maintenant, grâce à toi, cher Achille,
J'ai détaillé l'échafaudage humain :
En t'écoutant, j'ai su par quel chemin
Le pain se broie et se transforme en chyle,
Et dans le corps lentement digéré,
Porte son suc des tubes aspiré.
De nos humeurs j'ai conçu les mystères :
Dans leur travail j'ai surpris les artères :
De la machine admirable concours !
J'ai vu comment la flexible soupape,
Lorsque le flux trop vivement s'échappe,
Retient le sang qu'enflammerait son cours.
Des ossements j'ai suivi la charpente :
Comme au compas asservie au niveau,
J'ai vu la moelle en l'épine rampante
De case en case aboutir au cerveau.
Tu m'as montré, comme un savant habile
Guide nos pas sur la carte immobile,
Du sang veineux I'innombrable détour,
Pareil au fleuve enfant d'une autre rive
Qui, promenant sa course fugitive,
Va dans la mer s'engloutir sans retour.
Je me réveille à ton expérience :
Tu m'as guidé ! je me connais enfin :
Je sais en moi le principe et la fin :
Artiste ami, ta longue patience
Met en nos mains Ies fils de ta science,
Comme un mineur bravant un sort fatal
Cherche, découvre et suit avec mystère
Le filon gris qui mène sous la terre
Vers cette couche où germe le métal.
Mais tes leçons que l'esprit assaisonne
N'ont point l'orgueil du pédant qui raisonne :
Par le bon sens tu relèves I'esprit :
L'homme complet, I'enfant peut te comprendre,
Sans en rougir la vierge peut t'entendre,
Le maître écoute et le vieillard sourit.
Ton art un jour grandira ta mémoire :
De tes succès je jouis par moitié :
Ah ! que ton cœur, lorsque te vient la gloire,
Garde toujours sa place à I'amitié.
Octobre 1831.
À UN MOINEAU |
Moineau, qui devrais tant aimer
Celle qui te sauva la vie,
Que ton sort est digne d'envie !
Quels vœux encor peux-tu former ?
Vois comme le hasard t'adresse,
Comme il prévient jusqu'au désir !
Toi-même eus choisi ta maîtresse,
Que tu n'aurais pu mieux choisir.
Tu pourras quelquefois entendre
Les accents de sa douce voix :
Tu pourras monter et descendre
L'échelle de ses jolis doigts.
Tu pourras sur la blanche touche
Suivre leur vol harmonieux,
Ou même épier sur sa couche
Le premier rayon de ses yeux.
À ton existence sauvage
Oppose ta félicité :
Auprès d'un si bel esclavage
Que t'offrirait la liberté ?
Ta vie inquiète, incertaine !
Des branches qu'agite le vent !
Rarement de l'eau de fontaine,
Du blé… qu'il faut voler souvent !
Tu souffres, pendant la froidure,
Le souffle des noirs aquilons,
Et, pour attendre la verdure,
Les hivers sont parfois bien longs !
Contre les barreaux de ta cage
Pourquoi donc ainsi t'emporter ?
Dans les champs et sous le bocage
Tu n'as plus rien à regretter.
Pourtant d'un chagrin qu'il recèle
Ton petit cœur semble souffrir :
Aurais-tu laissé là-bas celle
Dont la perte nous fait mourir ?
Ne maudis plus notre puissance :
Cherche qui t'appelle à son tour :
Va ! pars ! le chagrin de l'absence
Devient du plaisir au retour.
Va ! pour toi vont renaître encore
Et la feuillée et le réveil,
Et les chants quand paraît l'aurore,
Et les doux ébats au soleil.
Pars ! que ta compagne fidèle,
L'œil au guet, le sein palpitant,
Reconnaisse au battement d'aile
Que c'est celui-là qu'elle attend.
Ah ! je le sens comme toi-même,
Il faut un cœur au cœur aimant
Le bonheur même est un tourment,
S'il n'est donné par ce qu'on aime.
LA MÈRE, ÉTUDE BIBLIQUE |
À M. le Marquis de Carbonnière
Salomon, dans l'éclat de sa naissante gloire,
Sur les degrés soyeux de son trône d'ivoire
Était assis, tandis qu'autour de lui pressés
Des femmes, des vieillards courbant leurs fronts baissés,
Ou d'un œil de respect admirant sa puissance,
Rendaient grâce au Seigneur dans sa magnificence.
Voilà que dans la foule étonnée, à pas lent,
La rougeur sur la joue et le pied chancelant,
Jusqu'aux genoux du Roi s'avancèrent deux femmes :
De celles-là qu'on voit aux voluptés infâmes
Convier la jeunesse, et dans les carrefours
Vendre à l'or des passants d'impudiques amours.
Et la première : « Hélas ! seigneur ! (et sa voix tremble)
Dans le même logis nous habitions ensemble :
Cette femme et moi, faible et misérable aussi :
C'est là que j'accouchai de l'enfant que, voici. »
Et pâle, elle donnait des baisers pleins d'alarmes
À l'enfant qui jouait et riait à ses larmes.
Et le peuple écoutait.
« Après le second jour,
Cette femme d'un fils devint mère à son tour :
Nous n'étions que nous deux, et nul jusqu'à cette heure
Avec nous n'occupa notre pauvre demeure.
Une nuit, par mégarde, au milieu du sommeil,
Elle étouffa son fils mort avant son réveil :
Et voilà qu'à minuit soudain elle se lève,
Tandis que reposait ta servante : elle enlève
Mon fils, et, pour cacher son coupable larcin,
Elle prend son fils mort et le place en mon sein.
Je dormais sans soupçon. Tout à coup m'éveille :
Je regarde, jamais terreur ne fut pareille :
Celui que je trouvai tout froid à mon côté,
Ce n'était pas le fils que j'avais enfanté ! »
Et le peuple souffrait de sa douleur amère,
Car toute âme est sensible aux plaintes d'une mère.
Mais l'autre répondait : « Cela n'est pas ainsi,
Mon enfant est vivant, et le tien que voici
Est mort. » Mais d'un accent que la terreur inspire :
« Ton fils n'est plus, dit l'autre, et le mien seul respire :
Ton fils est mort ! celui qui respire est à moi ! »
Ainsi toutes les deux parlaient devant le Roi.
Mais le Roi d'un front calme et serein : « Cette femme
Jure qu'on lui ravit I'enfant qu'elle réclame ;
L'autre répond : Mon fils respire et non Je tien :
L'enfant mort est à toi : le vivant est le mien.
Laquelle ment des deux et laquelle est trompée ? »
Et le Roi dit alors : « Qu'on m'apporte une épée ! »
On apporta l'épée au Roi qui dit : « Je veux
Qu'on saisisse I'enfant, qu'on le partage en deux :
Pour qu'une part au moins à la mère appartienne,
Et dans ces deux moitiés chacune aura la sienne. »
Soudain, le cœur serré de tendresse et d'effroi,
La plus jeune, tombant à genoux, dit au Roi :
« Hélas ! ô mon seigneur ! ce que ta bouche ordonne
Est trop horrible : eh bien ! je consens qu'on lui donne
Mon fils ! que mon enfant ne soit pas égorgé ! »
Et l'autre répondait : « Il sera partagé ! »
Mais le Roi se levant avec un front sévère :
« Qu'on rende à celle-ci l'enfant : voici sa mère !
Car celle-là vraiment dut lui donner le jour
Dont l'âme avait pour lui tant de crainte et d'amour !
Et le peuple admira sa justice profonde :
Le bruit s'en répandit dans tous les lieux du monde,
Et les fils d'Israël, qui marchaient dans la foi,
Bénirent le Seigneur et craignirent le Roi.
CAMILLE AUX YEUX BLEUS |
Avez-vous vu parfois la blonde et jeune fille ?
C'est elle à qui je porte et mon cœur et mes vœux :
J'aime Camille
Aux yeux bleus.
Oui, pour son œil d'azur, qui se mouille et scintille,
Pour son front pâle et triste et pour ses blonds cheveux,
J'aime Camille
Aux yeux bleus.
Oh ! quand elle sourit, ou se plaint, ou babille,
Quand elle est ou pensive ou joyeuse pour deux,
J'aime Camille
Aux yeux bleus.
Plus que l'ombrage épais de la verte charmille,
Qui brise la lumière en reflets onduleux,
J'aime Camille
Aux yeux bleus.
Plus que l'éclat si doux dont la fortune brille,
Bien plus que les grandeurs, bien plus qu'un sort heureux,
J'aime Camille
Aux yeux bleus.
Enfin plus que patrie, amis, parents, famille,
Plus que les êtres chers qui nous aiment en eux,
J'aime Camille
Aux yeux bleus.
Tâchez donc de la voir la rose et blonde fille ;
Comme moi vous direz, content ou malheureux :
J'aime Camille
Aux yeux bleus !
À M. ALPHONSE BODIN |
Oui, vous avez un pur accent,
Vous êtes poète, et votre âme
Sort de votre sein frémissant
Avec des paroles de flamme.
Il est doux, quand notre destin
Souvre sous une main rosée,
De rêver au frais du matin
Dans les parfums et la rosée,
Des jours pleins de vie et d'espoir,
Un ciel que l'azur seul colore,
Et de se promettre à l'aurore
Un éclat qui suive le soir !
Mais pour la gloire et sa chimère,
Savez-vous qu'il faudra laisser
Le saint asile où votre mère,
Enfant, se plut à vous bercer ?
Il faudra, pour l'onde écumante
Quittant les délices du port,
Vous confier à la tourmente
Qui peut vous briser sur le bord.
N'espérez pas, quand votre voile
Défiera les vents furieux,
Voir toujours une blanche étoile
Luire pour vous au front des cieux,
Si prendre place en la mémoire
Est un sort qui fait des jaloux,
Songez-y, noble enfant, la gloire
A bien plus d'amants que d'époux.
De son illusion ravie
Le cœur flétri saigne longtemps :
Du choix que l'on forme à vingt ans
Dépend le charme de la vie.
Mais si votre sort est écrit,
Si, plus sage que tous les sages,
Vous avez de ces beaux présages
Qui promettent un vaste esprit :
Si lorsqu'un maître vous décore
D'un prix au travail réservé,
Vous avez soudain éprouvé
Qu'il est d'autres palmes encore :
Si votre âme, brûlant séjour
De tendresse et de jalousie,
Divinise en un chaste amour
Les femmes et la poésie :
Si de la mort bravant les coups,
Vous croyez, brillante colombe,
Qu'un souffle respire après nous
Et que l'on survit à la tombe :
Aux rayons du matin vermeil,
Si la voix magique et puissante
Qui vient dorer votre sommeil,
Se ranime plus caressante :
Enfin, si, comme un souvenir,
Un accent vous parle, vous nomme :
Si la nuit I'ombre d'un grand homme
Vient avec vous s'entretenir :
Partez, riez des vents contraires :
Debout sur le phare ou le port,
Nous seconderons votre effort ;
Car tous les poètes sont frères.
Pour vous aplanir le chemin,
Guidant votre inexpérience,
Comme en un traité d'alliance
Nous vous offrirons tous la main.
Moi, qui pourtant dans cette route
Ai trouvé des rivaux ingrats,
Moi, dont la foi jamais ne cloute,
Je vous présenterai mon bras,
Aux accès que l'envie amène
Moi, je ne fus jamais soumis :
La pensée est un grand domaine,
Qu'on peut partager entre amis.
Lorsque dans ses belles retraites
On laisse s'égarer ses pas,
Elle a des voluptés secrètes
Que le vulgaire ne sait pas :
La gloire, sa fille immortelle,
A de divins enivrements
Qui valent à ses vrais amants
Tout ce qu'ils immolent pour elle.
LES TROIS AMOURS |
Premier amour fait naître l'âme :
Simple, ingénu, pur, sans détour,
Il éclot dans un cœur de femme :
Il l'éclaire comme la flamme
Qui blanchit I'aube au point du jour.
Second amour n'est pas moins tendre :
Mais plus puissant, mais plus hardi,
C'est un éclair qui vient surprendre,
Échauffe, brûle et met en cendre
Comme le soleil du midi.
Écho lointain de voix mourante,
Le dernier amour plus touchant
S'éteint avec l'âme souffrante ;
C'est une flamme pâlissante
Que jette le soleil couchant.
À CÉLINE QUI DORT |
Mignonnement elle repose !
Comme un léger parfum de rose,
Son souffle avec un si doux bruit
S'échappe, que l'on croit entendre
La plainte harmonieuse et tendre
D'un sylphe qui pleure la nuit.
Dans ta naïve insouciance,
Sois heureuse, c'est ta science :
Incrédule aux jours orageux,
Sommeille sans changer de place,
Et que ton berceau te délasse
De tes plaisirs et de tes jeux.
Peut-être que dans un beau songe
Ta journée encor se prolonge :
Peut-être en tes pensers renaît
Et le plaisir et le tapage,
Ton cheval et son équipage,
Et tes raisins et ton minet.
Dors, naïve et charmante amie,
Que le jour te trouve endormie
Sur le coussin de ton berceau :
Bientôt, hélas ! repos s'envole :
Bientôt viennent les jours d'école,
Et les classes et le cerceau.
Aux maîtres ta maman te Iivre :
Il faut déchiffrer un gros livre,
Et tes beaux yeux épouvantés,
Baignés des larmes qu'ils expriment,
Maudissent ceux qui les impriment
Et ceux qui les ont inventés.
Mais plus tard… tu pourras, brillante,
Paraître à la danse riante,
Où les mains viennent s'assembler.
Enfant, souviens-toi de ta mère :
Un jour aussi tu voudras plaire,
Souviens-toi de lui ressembler.
Puis viendront les aveux qui mentent,
Et les demi-mots qui fermentent,
Et I'amour et son ascendant :
Et les serments qu'on se rappelle,
Et ce langage qu'on épèle,
Et les rêves… en attendant,
Laisse-moi cueillir sur ta Joue
Où la rose et le lis se joue,
Où règnent les ris séduisants,
Un baiser d'ami, chaste et tendre.
Hélas ! m'en laisseras-tu prendre
Lorsque tu compteras quinze ans ?
LA REINE DU HAMEAU |
Sur le sein qui pour une rose
Plus d'une fois avait battu,
Elle la portait, fraîche éclose,
La rose, prix de la vertu.
Elle était belle, elle était fière :
Tout cœur de fille était jaloux :
Gardez-la bien, belle rosière,
Reine du hameau, garde à vous !
Un jour vint un grand du royaume :
Quand il sortit de son château,
Il courut visiter le chaume
Qui s'élevait sur le coteau.
Un pâtre un jour sur la bruyère
Crut le voir tomber à genoux :
Gardez-la bien, belle rosière,
Reine du hameau, garde à vous !
ll est des heures qui vont vite,
Aimez, vous verrez ! mais un jour :
C'est le Roi, dit-il, qui m'invite
À venir le voir dans sa cour.
Des pleurs inondaient sa paupière :
Hélas ! quand nous reverrons-nous ?
Gardez-la bien, belle rosière,
Reine du hameau, garde à vous !
Puis par un soir triste d'automne
Voici qu'un drap blanc arrivait ;
Puis un cantique monotone
De jeunes filles le suivait.
Une rose parait la bière,
Pâle, flétrie ; ils pleuraient tous !
C'était la fleur de la rosière :
Reine du hameau, garde à vous !
ANNIVERSAIRE DE NAISSANCE |
Quand le temps qui s'envole et fuit
La touchant du bout de son aile
Sonnera l'heure de minuit,
Heure rêveuse et solennelle,
Alors renaîtra ce beau jour
Où parmi les fils de la terre
S'accomplit un riant mystère,
Mystère de grâce et d'amour.
En ce temps des rumeurs étranges
Troublaient le séjour éternel :
La douleur régnait chez les anges,
Un ange s'absentait du ciel.
Sous les traits d'une fille d'Ève
Il venait montrer à nos yeux
Ces grâces qu'on ne voit qu'en rêve
Et qu'on ne retrouve qu'aux cieuxl
De ce touchant anrnversaire
Laissez-moi vous entretenir ;
Que I'accent d'un ami sincère
Soit le premier à vous bénir.
Chaque journée en vous augmente
Esprit, bonté, grâce, enjouement :
C'est le bon âge, enfant charmant,
Soyez une femme charmante.
Les noms de gloire revêtus
Que l'histoire austère proclame,
Vous parleront de ces vertus
Dont le germe brille en votre âme.
Déjà frémissant sous vos doigts,
Rendez plus puissant et plus tendre
Le piano, si doux à comprendre
Qu'on croit écouter votre voix.
Déjà comme un noble partage
Vous avez des chants inspirés :
Tous les beaux vers que vous ferez
Auront un faux air d'héritage.
C'est peu de ces riants attraits,
C'est peu de ces grâces naïves,
De ce sourire et de ces traits
Qui tiennent les âmes captives :
De ce front rêveur où s'écrit
Et modestie et bienveillance :
C'est peu des charmes d'un esprit
Brillant même dans le silence :
C'est peu de ce noble maintien,
De ces yeux à tourner la tête,
Il faut encor, songez-y bien,
Il faut que vous soyez parfaite.
Ajouter à ces dons brillants
Est un devoir qu'on vous impose :
Si vous n'aviez tous les talents,
Il vous manquerait quelque chose.
À MA COUSINE AURÉLIE LESGUILLON |
Il est une muse puissante
Qui, comme une divinité,
Commande à I'âme obéissante
Et que nous nommons la beauté ;
Il est une autre muse encore,
Qu'un éclat moins brillant décore,
Mais qui renferme plus d'attrait :
À l'autre on cède avec regret,
Mais c'est celle-ci qu'on adore.
La bonté ! trésor précieux !
Tu reçus les deux en partage :
La fraîcheur pare ton visage :
La douceur se peint dans tes yeux :
Ta grâce simple et naturelle
Charmerait le cœur enchanté,
Et qui possède ta bonté
N'aurait pas besoin d'être belle.
À UNE JEUNE POÈTE |
Jeune ange, dont I'âme choisie
S'exhale en rêves gracieux,
Ne crois pas toute fantaisie :
Car l'amour et la poésie
Ne sont pas des bienfaits des cieux.
La poésie enchanteresse
Mêle des dards sanglants aux fleurs :
Près de I'amour la mort se dresse,
Poésie, amour, sombre ivresse,
Dont il ne reste que douleurs !
Il est au ciel qui te réclame
Un dieu digne de tes autels :
Garde-lui tes pensers de flamme,
Et ne va pas souiller ton âme
Aux vains hommages des mortels.
LA PROSCRIPTION |
Oui, disais-je, entraîné vers la gloire Iointaine,
Fuyons ces bords obscurs et volons vers Athène :
Muse ! à ma jeune ardeur tu promets un appui :
Là brille encor Sophocle et l'éclat l'environne :
Là puisse un beau laurier, radieuse couronne,
M'immortaliser près de lui !
Toi que j'afflige, ô toi ! la plus tendre des mères !
Pourquoi tes yeux voilés et tes larmes amères ?
Vois un vaste avenir succéder à ton deuil !
Dans la lutte agrandi, mon courage s'enflamme :
Et mon nom ignoré, que le malheur proclame,
Pourra faire un jour ton orgueil.
Vois, aux regards charmés d'une assemblée immense,
L'indulgence sourire à ton fils qui commence !
S'il était des lauriers gardés à mes essais !
Si d'un peuple attendri j'arrachais le suffrage !
J'irais, à tes genoux déposant mon ouvrage,
Te couronner de mon succès !
Les cruels ! et leur main m'a fermé la barrière !
Muets à ma douleur et sourds à ma prière,
De cette arène auguste ils éloignent mes pas !
De Sophocle applaudis, approuvés par Ménandre,
Mes accords de l'oubli ne pourront me défendre !
La gloire ne me viendra pas !
À MON AMI JUSTIN FEY |
Si voyagez dans la Bretagne,
Vous trouverez près de Mortagne,
Quand la côte va s'élevant,
Un ramas d'antiques décombres,
Où vont la nuit danser des ombres :
C'était autrefois un couvent.
Là, de pieux anachorètes
Vivaient au sein de leurs retraites,
Priant et de Dieu seul rêvant :
Ils rendaient de très beaux oracles,
Et I'abbé faisait des miracles,
Honorables pour le couvent !
Un vieux fermier du voisinage
Leur avait, par droit d'héritage,
Laissé certain âne savant,
Qui sur un mot, au moindre signe,
À la rivière, en droite ligne,
Portait le linge du couvent.
Un jour (il fut puni sans doute
Pour s'être endormi dans la route),
Il vit paraître en se levant
Un loup, fléau de la province,
Qui faisait des dîners de prince
Avec les moutons du couvent.
Ce loup qui, comme ses ancêtres,
Ne respectait seigneurs ni maîtres,
Gibier d'enfer, vrai mal vivant,
Poursuit le baudet qui s'échappe,
Met dessus la griffe et le happe
Presqu'à la barbe du couvent,
Il fallait voir le loup se rire :
Mais un moment, notre beau sire,
Plus ne rirez dorénavant ;
Car tandis que n'y prenez garde,
Voici l'abbé qui vous regarde
Du haut du clocher du couvent.
« Maudit soit celui qui mal donne !
Lui cria l'abbé, je t'ordonne,
Comme à mon vassal redevant,
Bien qu'à porter tu sois novice,
De remplacer dans son service
L'âne défunt de mon couvent. »
On vous dira dans le village
Qu'il fit cinquante ans le voyage,
Ou pluie ou neige recevant ;
Quand il eut expié son crime
Il mourut, emportant l'estime
Et du canton et du couvent.
MORALITÉ
Juifs, huguenots, maudite race !
Que l'histoire qu'on vous retrace
Vous convertisse, en vous prouvant
Que le ciel veut qu'on le révère,
Et punit de façon sévère
Tous ceux qui volent un couvent.
Si vous doutez de I'aventure,
Allez en Bretagne, en droiture,
Consulter un prêtre savant :
C'est là que le fait est notoire,
Et ce qui prouve mon histoire,
C'est qu'on montre encor le couvent.
À MADAME AMABLE TASTU |
En vain, comme la fleur modeste
Embaumant son obscurité,
Tu veux à la célébrité
Dérober ta lyre céleste,
Étoile d'immortalité :
L'admiration indiscrète
De son hommage curieux
Poursuit la naïve interprète
Aux pensers fiers et gracieux,
Et leur parfum délicieux
Trahissant ta pudeur discrète,
Nous découvrirait la retraite
Où tu chantes loin de nos yeux.
Au sein du bonheur domestique,
À I'ombre d'un d'hymen riant,
D'une déesse poétique
Tu veux fuir le culte bruyant ;
Au rang que Paris te destine
Tu subiras un nom brillant
Entre Lavigne et Lamartine
Que j'aime ces chants généreux
Où, pleurant les fils de la Grèce,
Tu pleins ces guerriers malheureux,
Qui, de leur langue enchanteresse
Perdant les sons mélodieux,
N'ont conservé, dans leur détresse,
Que la valeur de leurs aïeux !
Viens, pensive mélancolie,
Viens tristement l'entretenir :
De pleurs sa paupière est remplie,
Et tandis que vers l'avenir
Elle s'élance recueillie,
L'ingrate au monde qu'elle oublie
Lègue un éclatant souvenir.
Mais vers de plus douces images
Tu détournes ton enjouement,
Et de délicieuses pages
Révèlent ce sexe charmant,
Où se joue un tendre assemblage
De malice et de sentiment,
Où tout est grâce et dévouement,
Où tout est vertus et courage !
Muse, des antiques sommets
Laissons la fabuleuse histoire :
Ce sont d'autres dieux qu'il faut croire :
Et si tu veilles désormais
Au seuil du temple de mémoire,
Ton ange gardien est la Gloire
Qui ne te quittera jamais,
Le succès t'ouvrit la barrière
Poursuis tes gracieux travaux :
Et dans I'immortelle carrière
Dispute la palme aux rivaux
Heureux de t'y voir la première.
Aux charmes qui nous font la loi
Le talent en ajoute un autre :
Ton sexe s'honore de toi,
Tu ferais la gloire du nôtre.
PRIÈRE |
Ange de mort, dont le glaive rapide
Fauche le monde, orphelin dans ton cours,
Épargne-moi : de ton souffle homicide
Dans leur été ne brûle pas mes jours :
Avec l'effroi que ta présence apporte,
Et ces frissons qui nous font tant souffrir,
Passe, oubliant de frapper à ma porte :
Je ne veux pas encor mourir.
Ah ! si j'avais accompli ma carrière,
Si je laissais un nom sonore et beau,
Si je traçais un sillon de lumière
Dont la clarté brillât sur mon tornbeau ;
Je te dirais : Frappe, car la mémoire
A des secrets qui peuvent le rouvrir.
Mais aujourd'hui je finirais sans gloire :
Je ne veux pas encor mourir.
Ali ! si l'amour, élancé de mon âme,
Ne m'obtenait qu'un sourire moqueur ;
Si j'étais seul, si la voix d'une femme
Ne trouvait plus son écho dans mon cœur ;
Mais quand pour moi I'avenir se révèle,
Mais quand j'ai vu son âme s'entr'ouvrir,
Heureux d'aimer, je dois vivre pour elle :
Je ne veux pas encor mourir.
FIN