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JEAN LESGUILLON

COURONNES ACADÉMIQUES

(1861)

Résumés des poèmes


La découverte de la vapeur
La proscription des moineaux
La premier puits artésien dans le Sahara
Pallida
La main rouge
La fraternité des loups
Un songe dans l'Attique
Les peintres d'après nature
Le conte de la Margrave
Le marchand de vérité
Jacques et Jean
La légende du comte Renaud
Le procès de Jéhovah
Les pleurs du printemps
Le télescope
La maladie mortelle
Le moulin de mon père
La musique

La mort héroïque de Jean Jacobsen
Influence de l'instruction sur les classes laborieuses
La lanterne
Un vol à la poésie
Les deux âges
L'arbre et les fruits
Les devoirs de l'homme de lettres au XIXe siècle
Vingt ans
L'exil de la modestie
La mission civilisatrice de la France en Orient
La statue de Colbert à Reims
Le conseil de l'âme
Le colon de Mettray
Le second Zacharie
Romagnesi
L'or et le travail
Rome et Paris

 


LA DÉCOUVERTE DE LA VAPEUR

L'ingénieur américain Robert Fulton avait mis au point, en 1801 à Brest, un sous-marin de combat, et, en 1803 sur la Seine, un bateau à vapeur. Mais Napoléon, mal conseillé par son ministre de la marine Decrès, refusa d'adoper cette innovation, qui lui aurait sans doute permis de mener à bien l'invasion de l'Angleterre en 1804.
Lesguillon imagine Napoléon à Boulogne dormant "d'un sommeil sans repos" à la veille de l'invasion : alors qu'il pressent que cette opération est vouée à l'échec, dans son rêve il voit apparaître la Science qui lui annonce qu'il pourrait disposer d'un "pouvoir inconnu" qui lui permettrait d'être vainqueur sur les mers. Napoléon a alors la vision d'une machine à vapeur en fonctionnement, semblable à celles qui pourraient animer les futurs vaisseaux devenus sur les mers comme des « Vésuves vagabonds ».
Dix ans plus tard, en 1814, on retrouve Napoléon sur la frégate anglaise qui le conduit à l'île d'Elbe. Il pense aux proposition de l'ingénieur Fulton et se demande s'il n'a pas eu tort de les repousser. C'est alors qu'il voit passer un navire à aubes mu par la vapeur produite par la chaudière enfermée dans ses flancs. Il comprend alors que cette invention nouvelle aurait pu lui permettre de dominer les mers.
Et Lesguillon continue en évoquant les progrès de la technique dus à l'utilisation de la vapeur, progrès dont le monde entier va bénéficier et qui annoncent la venue d'une paix universelle. Il termine son poème en évoquant les grands savants que la France a produits : Salomon de Caulx, auteur, en 1615, des Raisons des forces mouvantes, où se trouve l'article relatif à l'expansion et la condensation de la vapeur d'eau, le blésois Denis Papin et ses travaux sur la machine à vapeur (1690). C'est grâce à eux que "le monde s'illumine au soleil de la France" !


LA PROSCRIPTION DES MOINEAUX

Dans une île (imaginaire) les habitants sont furieux contre les moineaux qui sont venus piller leur blé et ils décident, faute de pouvoir les chasser, d'avoir recours à la Justice et de porter plainte contre eux. Dans le procès, le Pinson est l'avocat et le Hanneton, victime des moineaux,  l'accusateur public. Dans une harangue fort éloquente, celui-ci souligne la dimension politique de cette affaire et demande une peine d'exil. Le Pinson plaide la cause des moineaux en rappelant qu'il égayent le monde par leur chant et que les humains les apprécient lorsqu'ils les servent à leur table en salmis ou en rôti; d'ailleurs en pillant les champs de blé ils ne font que prendre la part légalement réservée aux glaneurs. Toutefois le président du tribunal condamna les moineaux à l'exil.
Ce fut d'abord un grand soulagement dans l'île : cigales, grillons, sauterelles, vers luisants manifestèrent leur soulagement; et les laboureurs se réjouirent.
Mais, au printemps, on vit  les vergers et les champs ravagés par les insectes et rongeurs qui étaient auparavant la proie des moineaux et l'on regretta de les avoir chassés. Heureusement les moineaux, sans rancune, revinrent d'exil et la prospérité revint dans les campagnes. Double moralité : il faut que notre superflu aide les petits à vivre et il ne faut pas vouloir changer la loi naturelle.


LE PREMIER PUITS ARTÉSIEN DANS LE SAHARA

Jadis, les Hébreux, dans leur marche dans le désert, arrivèrent à Raphidim où il souffrirent de la soif. Mais Moïse frappa un rocher de son bâton et Dieu fit jaillir de l'eau pour les hommes et le bétail. Aujourd'hui l'esprit de Dieu se manifeste dans la Science, dont l'ambition est de comprendre les mystères de la Création.
L'homme, nouveau Moïse, est capable, grâce aux puits artésiens, d'aider l'eau des nappes aquilères à jaillir à la surface. C'est ainsi que sont nées les oasis du Sahara, petits paradis dans un désert brûlé par le soleil où toute verdure n'est que mirage. Des hommes ont réussi à forer dans la roche des puits par où l'eau souterraine a pu jaillir.
Et Lesguillon développe alors un éloge de l'eau, l'eau qui abreuve la terre, qui fait vivre les blés, verdir les campagnes, se mouvoir les moulins, l'eau qui rend la terre habitable et près de laquelle se regroupent les hommes.
Les puits artésiens du Sahara sont un exemple des bienfaits que la France apporte à l'Algérie colonisée.


PALLIDA

Quand le Démiurge eut achevé son oeuvre en créant l'homme, il décida de le rendre mortel, peut-être pour lui épargner le fardeau que serait pour lui l'immortalité. Donc il créa la Mort et se désintéressa de sa création.
Mais il arriva que la Mort vint le trouver. Elle était lasse, dit-elle, de se faire insulter par les vivants qui trouvaient toujours chaque mort injuste et elle menaçait de faire grève, sachant bien que la terre surpeuplée deviendrait alors rapidement invivable.
Le Démiurge comprit que son oeuvre était imparfaite et qu'il fallait faire quelque chose : il décida d'amener les humains à regarder non le passé mais l'avenir.
De fait, un siècle plus tard, la Mort vint lui dire que tout était arrangé et qu'elle était désormais bien accueillie chez les hommes : on s'était mis à souhaiter la mort de celui dont on allait hériter, du patron dont on allait prendre la place, d'un parent ou d'un ami que l'on trouvait gênant. C'était au point que, si la Mort exauçait tous les vœux,  la terre serait vite dépeuplée ; heureusement elle n'exerçait son pouvoir qu'avec mesure.


LA MAIN ROUGE

Dans le château de Saint-Brisson, non loin de Gien, vivait le fils du baron, un enfant de dix ans nommé Agius, partagé entre les leçons de son vieux chapelain et son père qui lui répétait que « le fer fait la force et la force le droit ».
Un jour, il découvrit le nid d'une colombe avec trois oisillons. Sans pitié, il blessa la mère d'un coup de pierre et la cloua sur une porte du manoir, laissant les petits mourir privés de leur mère. Mais le lendemain, il s'aperçut que sa main était rouge du sang de l'oiseau ; ni les interventions des plus grands médecins, ni les prières du chapelain ne purent le débarrasser de cette horrible main rouge. Et il commença à croire que c'était là le châtiment de son crime.
L'hiver suivant, la Loire en crue vint jusqu'aux rempart de Saint-Brisson et les gens des alentours vinrent se réfugier dans le château. Mais un mère cria que son enfant était emporté par les eaux. Alors Agius plongea et réussit à rapporter l'enfant à sa mère. Aussitôt, sa main redevint blanche comme un lis, signe que l'amour en lui avait fait taire la haine : c'est la leçon de Jésus dans son Évangile.


LA FRATERNITÉ DES LOUPS

Le roi des Loups est tombé sur un livre dans lequel le loup est présenté comme le plus méchant des êtres vivants, sanguinaire et cruel par nature. Pour le vérifier, il demande à un vieux courtisan d'aller parcourir le monde pendant six mois pour observer les hommes. À son retour, le vieux loup rapporte ce qu'il a vu. D'abord, dans une ville, il a rencontré un homme d'une maigreur extrême, ruiné par les huissiers qui lui ont pris le peu de biens qu'il avait. Puis, dans un pré, il a vu deux hommes qui se battaient en duel : à l'issue du combat, le vainqueur a sucé le sang de celui qu'il a blessé à mort. Dans un pays lointain, le loup s'est trouvé entre deux armées alignées l'une en face de l'autre qui, bientôt se sont engagés dans une bataille féroce ; à la fin, épouvanté, il entendit le chef vainqueur qui poussait ses hommes à manger le foie et le coeur des vaincus. Quittant le monde dit civilisé, le loup s'embarqua alors pour le nouveau monde : là il trouva des anthropophages qui faisaient cuire un homme entier à la broche. Ayant entendu ce rapport, le roi des Loups en conclut que la race humaine était bien plus perverse que les loups qui, certes, tuent pour se nourrir, mais qui, à l'évidence, valent mieux que les hommes, puisqu'il ne se mangent pas entre eux.


SONGE DANS L'ATTIQUE

S'étant endormi à Athènes près des ruines antiques, le narrateur fait un rêve. Il assiste d'abord aux funérailles de Périclès, près des splendides monuments dont il a orné la ville. Puis apparaît Périclès lui-même, dialoguant avec la déesse Minerve.
Périclès dit que, dès son arrivée aux Champs-Élysées, il a appris que les monuments d'Athènes seraient un jour en ruine et disparaîtraient. Minerve lui rappelle que toutes choses sont destinées à disparaître, victimes du temps ou des hommes, qu'Athènes tombera aux mains des Romains puis de l'Islam conquérant.
Périclès, en pensant à Phidias et à tous ceux qui ont travaillé sur l'Acropole, se désole à l'idée que tout, même son nom, doit disparaître. Alors Minerve lui enseigne que la pensée, elle, ne doit pas finir : Démosthène, Eschine, Xénophon, Thucydide, Hérodote seront toujours là pour instruire l'avenir ; et les grands tragiques, Eschyle, Sophocle, Euripide, connaîtront l'immortalité des applaudissements. Et puis Minerve cite Aristophane, Pindare et sa rivale Corinne, Théocrite, Anacréon, Hippocrate, Socrate, Platon, tous préparant la venue d'un dieu nouveau, d'un dieu à la croix, qui abolira tous les autres dieux. Tous ces écrivains, tous ces artistes, c'est là l'éternité d'Athènes..
Voilà ce que dit Minerve avant de regagner le ciel; alors Périclès retourne aux enfers et le narrateur s'éveille. Il voit alors arriver une foule de travailleurs : ce sont les archéologues français occupés à retrouver les restes et les chefs-d'oeuvre de l'Antiquité.
Alors Lesguillon termine par un éloge de la France, digne héritière de la Grèce antique. Car son Louvre vaut bien le Parthénon, et ses penseurs valent bien les Aristotes, les Socrates, les Xénophons ; Molière vaut bien Aristohane et Corneille Sophocle. Désormais la France est bien devenue l'Athènes du monde!


LES PEINTRES D'APRÈS NATURE

Sur un champ de foire, deux artistes proposaient aux badauds de faire d'eux un portrait parfaitement ressemblant: c'étaient le Singe et le Renard.
Le Singe, lui, s'inspirant de la daguerréotypie, parvenait, grâce à un composé chimique, à fixer sur un miroir l'image parfaite du visage ; mais ses clients étaient épouvantés de se voir tels qu'ils étaient réellement.
Le Singe, plus malin par nature, faisait tout son possible pour embellir ses sujets en corrigeant tous leurs défauts. Alors que le Singe n'avait plus un client, le Renard gagnait beaucoup d'argent et était honoré, surtout par les femmes.
Il expliqua au Singe déconfit que les hommes aiment le mensonge qui les flatte, alors que la vérité leur déplaît: s'ils font faire leur portrait ce n'est bien sûr pas pour qu'il leur ressemble.


LE CONTE DE LA MARGRAVE

C'est une histoire que raconta une vieille femme, un soir à minuit, dans le château d'un margrave, autour duquel se déchaînait une terrible tempête.
C'était il y a 80 ans. Albert, professeur au collège royal, s'adonnait en secret à la nécromancie. Dans son cabinet, en haut de la tour où il habitait avec sa jeune servante Berthe, il consultait régulièrement le vieux Grimoire de Salomon qui contenait le rituel et les formules permettant d'évoquer Satan lui-même. Dans une maison voisine habitait un de ses élèves, le jeune Frédéric. Intrigué par ce que pouvait faire son maître en haut de la tour, il essayait d'obtenir de Berthe la clef du cabinet. Berthe la lui refusa longtemps, mais, comme elle était amoureuse du garçon, un jour elle la lui céda.
Frédéric put entrer dans l'endroit interdit. Terrifié, il découvrit l'antre d'un sorcier avec un autel encore chaud, un hibou, des squelettes, des serpents vivants pendus à la voûte, et surtout un vieux livre portant le pentacle de Salomon. Par curiosité, il lut à haute voix les formules qu'il y découvrit, faisant ainsi apparaître Satan. Comme, en présence du démon, il ne savait que dire et que faire, Satan, furieux d'avoir été dérangé pour rien, l'étrangla.
Quand Albert revint, il découvrit son élève mort et eut peur de devoir affronter la justice des hommes. Alors il fit revenir Satan : il lui demanda de faire revivre le corps du garçon; en contrepartie il pourra prendre la place de son âme. Satant exécuta ce contrat : Frédéric, le diable au corps, se releva et partit dans la ville.
Mais Berthe avait tout vu. Elle alerta le juge et l'évêque. Celui-ci put monter en haut de la tour et lancer à temps le rite de l'exorcisme; Albert fut jugé et condamné au bûcher.
Quant à Frédéric, il erra dans la ville. Berthe tenta de lui parler, de lui dire son amour; mais, privé de son âme, il la frappa; alors, désespérée, elle alla se jeter dans le fleuve. Puis Frédéric partit dans les bois, où il massacrait les voyageurs. On réussit pourtant à le capturer. Au moment où l'on s'apprêtait à le mettre à mort, un prêtre lui mit un crucifix sur les lèvres; alors on vit Satan, sous la forme d'un serpent noir, sortir de sa bouche. On comprit qu'il n'était en rien coupable ; seulement, par pure curiosité, il avait follement risqué sa part du paradis.


LE MARCHAND DE VÉRITÉ

C'était dans une foire, là où l'on voyait, comme toujours et partout, un saltimbanque faisant ses tours, une femme sauvage sautant sur des piques, un cheval sautant à travers un cerceau, une avaleur de sabre, une balerine marchant sur une corde, et des marchands de pacotilles ou d'étoffes pour les dames. Parmi eux, l'un affichait : « Ici l'on vend la vérité. ». Sans doute un charlatan comme les autres., se disaient les passants qui, de fait, n'aspiraient nullement à connaître la vérité des choses. Pourtant une sorte de philosophe sembla intéressé; mais, n'ayant pas un sou en poche, il passa son chemin. C'est alors qu'il vit quelqu'un qui acheta au marchand un lot de sa vérité. Se précipitant vers lui, il le félicita et l'embrassa. En revanche il accabla le marchand d'injures, car, dit-il, la vérité peut s'acheter, mais on ne doit jamais la vendre!


JACQUES ET JEAN, SOUVENIR DE CRIMÉE

Deux amis d'enfance, Jacques et Jean, sont très différents de caractère : Jacques, pieux et sage, craint d'offenser Dieu mais est sûr qu'Il veille sur nous; Jacques, plutôt gai luron, ne croit pas que Dieu s'intéresse aux atomes que nous sommes dans l'univers.
Jacques et Jean se sont embarqués sur un navire à vapeur en route pour la guerre de Crimée. Lorsque survient une tempête, Jean est paralysé par la peur alors que Jacques réagit avec courage.
En Crimée, devant une attaque des Russes, Jean est défaitiste, alors que Jacques se lance dans la bataille et réussit à prendre un drapeau ennemi; ce qui lui donne sa force, c'est la certitude que rien n'arrive par hasard, que tout est voulu par Dieu.
Tous deux, gravement blessés, se retrouvent dans un hôpital. Jean constate que la piété de son ami peut l'aider à mourir sans trouble ni peur et il commence à regretter et à douter. Jacques essaie de la persuader qu'il est toujours temps de se repentir et que Dieu pardonne.
Trois ans plus tard, les deux anciens soldats sont revenus au pays. Jean a trouvé la foi et la paix; il a compris que « qui craint Dieu là-haut ne craint rien ici-bas. »


LA LÉGENDE DU COMTE RENAUD

En 1095, Pierre l'Hermite, de retour de Jérusalem, relaie l'appel du pape à partir en croisade pour libérer l'accès aux Lieux saints. Répondant à son appel, Renaud, le jeune comte de Bourgogne, s'est mis en route, laissant au pays sa fiancée Loïse, qu'il doit épouser à son retour.
Mais cette première croisade est un désastre : beaucoup de croisés sont morts, massacrés ou victimes des maladies et de la faim; ceux qui ont été faits prisonniers doivent choisir entre le supplice ou le reniement de leur foi.
C'est ainsi que Renaud, après avoir vaillamment combattu, se retrouve dans un horrible cachot. La veille de son supplice, il a la surprise de voir entrer dans sa cellule la fille de l'émir : la belle Zaïde, tombée amoureuse de lui, venait le libérer, à la condition qu'il l'emmène en France et qu'il l'épouse. Présentement, reniant sa foi musulmane, elle se fait baptiser par Renaud.
Dans son château de Bourgogne, on a annoncé le retour du comte Renaud. Loïse, qui l'a attendu pendant trois ans, est au comble de la joie. Mais elle découvre que son fiancé est accompagné d'une belle jeune fille blonde, et celle-ci annonce qu'elle vient pour épouser Renaud.
Loïse est désespérée et tombe malade. Zaïde, compatissante, reste à son chevet nuit et jour. Puis, devant un autel de la Vierge, les deux jeunes filles font le serment de ne pas épouser Renaud, de rester vierges et de lui être fidèles jusqu'à la mort.
Renaud, pour expier sa double faute, se fait religieux selon la règle de saint Benoît. Toujours amoureux de ses deux fiancées, il n'ose espérer que la mort de l'une lui permette d'épouser l'autre. Mais Loïse et Zaïde, conformément à leur voeu, meurent le même jour ; et, sur chacune de leurs tombes, Renaud vient cueillir les lys qu'un miracle y fait pousser chaque jour.
Quand c'est pour Renaud l'heure de mourir, deux anges viennent l'assister et l'entraîner vers le Ciel.


LE PROCÈS DE JÉHOVA

Depuis que l'homme a été créé, il n'a cessé de se plaindre et de méconnaître son créateur. D'abord Dieu ne s'en est pas soucié ; mais, comme les anges tentaient de le persuader de détruire ce monde impie, il décida de se soumettre au jugement des hommes. On lit en effet dans Joël, 4,2 : « Je réunirai toutes les nations et les ferai descendre dans la vallée de Josaphat ; là j'entrerai en jugement avec elle. »
Donc, le jour venu, les représentants de toute l'humanité étaient là, sur les pentes de la montagne de Josaphat devenues un vaste tribunal. Et Jéhova parut, ayant révêtu la forme d'un humain.
Alors chaque homme vint à son tour développer ses plaintes ; on entendit le mendiant méprisé, le riche désabusé, le paralytique, le fiévreux, le dément, l'amoureux fou, le colérique, le jaloux, l'avare, l'assassin; puis on reprocha à Dieu les incendies, les mauvaises récoltes, les ravages de la guerre, les épidémies et cette mort par laquelle tout doit se terminer.
Jéhova prit la parole et se défendit en rappelant tout ce qu'il a donné à l'homme : la pensée, le désir de vérité et de justice, la raison capable de dompter les passions… Il montra que le reponsable c'est l'homme, qui corrompt les dons que Dieu lui a faits, l'homme qui nuit à sa santé par l'alcool et les excès de table, l'homme qui est moins prévoyant que la fourmi, l'homme qui préfère la haine à l'amour, l'homme qui, lorsqu'il proteste contre la mort, oublie qu'il a reçu une âme immortelle.
Pour clore ce procès dont Jéhova soratit vainqueur,  on entendit les saints du ciel et les damnés de l'enfer chanter la gloire de Dieu. Alors Jéhova remonta au Ciel.
L'âme des hommes sortit épurée de ce procès : ils renonçaient au vice, assumaient leur condition humaine. Mais l'esprit du mal exerça à nouveau sur eux son empire et les humains, considérant que le procès qui s'était tenu dans la vallée de Josaphat n'était qu'une fable, reprirent leurs doléances et leurs blasphèmes. Mais, cette fois, Dieu ne réagit plus, attendant seulement le jour du Jugement où ceux qui l'auront condamné sur la terre seront condamnés sans appel.


LES PLEURS DU PRINTEMPS

Dans un village, un jeune homme vivait, mélancolique et retiré du monde, fuyant non seulement les hommes, ce qui se peut comprendre, mais aussi et surtout les femmes, ces êtres si adorables. Une femme en effet l'avait déçu et avait brisé son coeur et, depuis, il avait renoncé à son rêve de s'immortaliser par la poésie, adonné seulement aux larmes et à la souffrance.
Un jour, un laboureur le vit et, s'étonnant de voir un jeune homme aussi désespéré, il lui fit la leçon. Il lui montra le champ voisin laissé à l'abandon, envahi par les orties, les chardons et l'ivraie, ne produisant plus rien, alors que le sien, régulièrement blessé, déchiré et labouré par la charrue, produisait d'abondantes récoltes. Voyant cela, le jeune homme devait comprendre que ses souffrances pouvaient être mises à profit pour en tirer le meilleur. C'est ce que fit notre poète. Au lieu de les pleurer, il chanta ses chagrins; il mit ses souffrances dans des poèmes, que les femmes adorèrent. Il connu le succès et la fortune et ce sont ses douleurs qui ont fait sa gloire.


LE TÉLESCOPE

Au sortir d'un bon repas chez un philosophe bon chrétien, trois jeunes garçons s'amusaient à argumenter contre la foi. Admettant l'idée d'un dieu créateur, ils refusaient de penser qu'il s'occupe de ce monde qu'il a créé, pour la bonne raison, disaiznt-ils, qu'il est beaucoup trop loin pour pouvoir voir ce qui s'y passe, la lumière, qui a besoin de l'air pour la conduire, ne sortant pas des limites de notre monde.
Alors le philosophe les conduisit dans son jardin où se trouvait un télescope. Chacun à leur tour, ils s'en servirent pour déchiffrer ce qu'on n'apercevait que très indistinctement dans le lointain. Ils virent devant un presbytère un homme attaqué par un autre, puis le curé intervenant et faisant la morale à l'agresseur à genoux, puis le curé et le malfaiteur repenti occupés à soigner le blessé, puis ce dernier embrassant sa victime, puis les trois hommes entrant dans l'église…
Alors le bon philosophe put les persuader que Dieu dispose en quelque sorte d'un télescope qui lui permet de tout voir, même à travers les murs. Les acteurs de la petite scène qu'ils ont vue au loin ne se doutaient pas qu'ils étaient vus et jugés; c'est pourtant le sort des hommes sur la terre : ils agissent sous le regard de Dieu qui a le pouvoir d'abolir la distance et qui lit même dans les pensées. Si Dieu a permis à la science d'inventer le télescope, c'est pour que les hommes progressent vers la foi, la science étant toujours dans l'intérêt de Dieu.


LA MALADIE MORTELLE

A la faculté de Médecine, dix mille écus avaient été offerts à celui qui décrirait la maladie dont on mourait le plus. Alors, dans un amphithéâtre, on vit s'affronter les docteurs les plus savants. L'un décrivit la fièvre maligne, un autre la péripneumonie, un autre le choléra-morbus, un autre le typhus. Les insultes commençaient à fuser lorsque, dans le public, quelqu'un se leva pour réclamer le prix. Il décrivit un mal sans remède, que chacun contracte en naissant, dont on souffre même dans les meilleurs jours et dont chacun doit un jour mourir. Ce mal, c'est la vie.


LE MOULIN DE MON PÈRE

Lorsqu'il était enfant, le narrateur venait aux beaux jours avec sa mère dans un vieux et modeste moulin qui appartenait à son aïeul et qui était alors loué à un honnête artisan. Mais, quand il eut hérité de ce moulin, il eut le tort de le mettre en vente: il fut acheté par quelque riche bourgeois. Vingt ans plus tard, il le revit, trop bien restauré, mais entouré de la même nature accueillante. Et il connut le regret de n'avoir pas conservé ce moulin qui était resté longtemps dans sa famille.


LA MUSIQUE

Le Créateur a donné aux hommes la parole; mais ceux-ci ont fait en sorte que chaque race ait un langage différent, que les étrangers ne peuvent comprendre et que les traductions trahissent. Or il est une langue universelle, capable de tout exprimer ce qu'il y a dans le monde, tous les sentiments, toutes les émotions: c'est la Musique. C'est pas le coeur et non par l'esprit qu'on peut la goûter. Elle féconde les esprits, y fait revivre le passé oublié. Beaucoup qui restent insensibles à la poésie, à l'éloquence, aux beaux-arts sont émus par elle jusqu'aux larmes. Elle rend l'homme meilleur, elle apaise celui qui souffre, elle console le veuf ou l'exilé. Sur les champs de bataille elle accompagne les soldats combattant et mourant pour la liberté. Dans les églises elle convertit les incrédules, elle est présente pour les mariages ou les obsèques. Elle préfigure les chœurs des élus et des anges célébrant dans l'éternité les louanges du Tout-puissant.


LA MORT HÉROÏQUE DE JEAN JACOBSEN

Dans le port d'Ostende, sur trois navires, marins et soldats se préparent à appareiller dans la nuit. Bientôt ils gagnent la haute mer. Mais voici qu'une escadre hollandaise de neuf vaisseaux  approche, menaçante, prête au combat. C'est alors que se manifeste l'héroïsme de Jan Jacobsen, ce corsaire dunkerquois au service de la monarchie espagnole. Alors que les deux navires de corsaires qui l'accompagnent, celui de Pedro de la Plesa et celui de  Juan Garcia, virent de bord et s'enfuient lâchement, Jacobsen, sur le Saint-Vincent, fait jurer à ses hommes de vaincre ou de mourir. Aussitôt ses canons crachent le feu contre un navire ennemi qui ne tarde pas à sombrer. Mais les huit autres font pleuvoir mille boulets sur le Saint-Vincent, qui est gravement endommagé et risque de couler. Au lever du jour, la moitié des hommes ont été tués. Mais aux Hollandais qui lui crient de se rendre, Jacobsen répond par un refus et, avec dix hommes résolus à mourir avec lui, il enflamme un baril de poudre et fait sauter le navire, acte d'héroïsme qui lui vaut l'immortalité plus encore que la gloire du combattant vainqueur.
Précisions historiques :
Jan Jacobsen (1588-1622) était un corsaire dunkerquois pendant la guerre de Quatre-Vingts Ans (soulèvement des Pays-Bas espagnols contre la monarchie espagnole).  Le 3 octobre 1622, pour sa première expédition, Jacobsen est parti d'Ostende, comme capitaine de l'une des frégates du roi Philippe IV d'Espagne, le Saint Vincent. Son navire était accompagné par deux navires de corsaires espagnols, Pedro de la Plesa et Juan Garcia. Jacobsen n'a pas échappé aux navires néerlandais patrouillant au large de la côte flamande et fut bientôt engagé dans une bataille contre neuf navires de guerre néerlandais. Cette bataille a duré 13 heures. Abandonné par les deux autres navires de l'escadre, il a pu détruire deux navires, avant de finalement se faire battre.
Les Néerlandais ont demandé à Jacobsen de se rendre, mais, plutôt que de laisser l'un des vaisseaux du roi tomber dans les mains de l'ennemi, il a fait exploser son bateau avec la poudre qu'il contenait. Ce faisant, il a paralysé les deux navires hollandais qui se trouvaient alors à proximité, et a causé des pertes considérables d'hommes. Au départ, ce devait être lui qui devait mettre le feu à la poudre, mais il fut touché à la cuisse, et demanda alors à un de ses hommes de faire exploser le navire. 170 hommes de son équipage ont survécu, mais se sont fait pendre par la suite, malgré la promesse de vie sauve, sauf deux jeunes gens épargnés en raison de leur âge, dont Cornille Jacobsen.
Ce Cornille Jacobsen, 16 ans, fait prisonnier par les Hollandais, a été libéré le 26 janvier 1623. À la demande de la veuve du corsaire, il a fait sous serment une attestation, devant le magistrat de Dunkerque, sur le déroulement des faits et l'attitude héroïque de Jan Jacobsen. Cette déclaration a été corroborée par un autre témoin des évènements le 30 mai 1623. En représailles, la ville de Dunkerque a fait pendre 30 prisonniers hollandais et armer de nouveaux navires pour poursuivre la lutte.


INFLUENCE DE L'INSTRUCTION SUR LES CLASSES LABORIEUSES

Pourquoi certains doutent-ils des bienfaits de la lumière ? Depuis l'invention de l'imprimerie, la raison a de plus en plus éclairé les esprits et l'instruction a fait de grands progrès. Les parents veillent à ce que leur enfant apprenne très tôt à lire et à écrire. La lecture apporte des bienfaits de toute nature: elle apprend le respect des autres, l'honneur, la charité. Elle éveille en chacun des aptitudes qui, sans elle, ne se seraient jamais révélées. Celui qui a découvert les grands textes du passé deviendra peut-être lui-même un homme politique, un architecte, un médecin, un capitaine, un poète, un artiste. L'homme instruit, grâce à ses inventions, rend l'humanité meilleure et plus heureuse; et s'il y a encore des hommes vicieux ou pervers, l'absence d'instruction en est la cause. La raison est la meilleure arme contre les préjugés; mais il faut veiller à ce qu'elle n'amène pas à mettre en doute les vérités chrétiennes et à perdre la foi en Dieu, ce Dieu qui a dit qu'en tout la lumière était bonne.


LA LANTERNE

Alors qu'un notaire allait au chevet d'un châtelain mourant qui voulait faire son testament, son valet Pacot lui avoua qu'il lisait régulièrement les Évangiles. La notaire, libre penseur, essaya de le persuader de l'inutilité de ce livre à côté de la science, de la morale naturelle et de la raison.
Lorsque, l'affaire faite, ils quittèrent le château, ils durent traverser, en pleine nuit, une forêt obscure, et le notaire était peu rassuré. Heureusement Pacot avait pris la précaution de se munir d'une lanterne, qui leur permis d'éviter les obstacles et de trouver leur chemin. Belle occasion pour lui d'expliquer au notaire que la religion était pour l'homme comme cette lanterne: elle ne permet certes pas d'abolir tout ce qui lui reste obscur, mais elle l'éclaire un peu et lui sert de guide dans sa vie. Cela fit réfléchir le notaire qui, sans plus tarder, se mit à lire l'Évangile.


UN VOL À LA POÉSIE

Dans un salon, un obscur poète fut invité à lire une de ses productions intitulée Le Classique et le Romantique (c'était l'époque de la querelle entre les deux écoles). Le texte ne prenait pas parti entre les deux esthétiques, le classicisme de Delavigne et le romantisme de Lamartine, si bien que tout le monde, dans l'auditoire, y trouva de quoi se satisfaire et l'auteur fut très applaudi.
Toutefois un des auditeurs, un misanthrope qui connaissait le poète comme une âme vile et basse, ne pouvait croire que les vers qu'il avait entendus fussent de lui et se garda bien d'applaudir. Quand l'auteur, étonné, lui demanda ce qu'il pensait de son poème, il lui répondit seulement : « Ces vers sont-ils de vous? ». L'autre, furieux, refusa de répondre et, quelques mois plus tard, on vit le poème Le Classique et le Romantique richement imprimé, exposé dans la vitrine de la librairie de Pierre-François Ladvocat au Palais-Royal.
Puis, un jour, on apprit que le poète Jean-François Pellet d'Épinal (auteur du recueil Le Barde des Vosges, 1828)  avait fait condamner notre homme par la justice. Au tribunal il avait expliqué que l'accusé lui avait proposé de chercher un éditeur pour un de ses poèmes, qu'il lui avait confié le manuscrit et que, quelques mois plus tard, il s'était aperçu qu'il avait fait imprimer le texte sous son nom.
Les soucis que lui avait causés cette affaire firent que le pauvre Pellet ne tarda pas à mourir (en 1830). Mais la poésie a fini par être vengée : un soir l'usurpateur fut tué d'un coup de feu par un homme qu'il avait escroqué au jeu.


LES DEUX AGES

Un vieillard commence par affirmer qu'il a très bien vécu dans le monde comme il va et qu'il n'a que faire du progrès.
Alors un jeune garçon vient le contredire :  il cite en désordre la faciité des déplacements (10 heures pour aller à Paris au lieu de quinze jours), les machines à vapeur dans les champs et sur mer, les dirigeables, l'air comprimé, le télégraphe électrique, l'anesthésie, le paratonnerre, l'assèchement des marais, la pisciculture,les puits artésiens, les canaux…
Le vieillard reconnaît tous ces progrès, mais il est plus réservé sur l'avenir. Il voit l'homme qui s'éloigne de Dieu pour n'avoir plus d'autre idole que lui-même. Cet homme, par la science et la technique, agit certes sur les effets, mais sans avoir la possibilité de connaître les causes. Et puis le nouvel état des esprits et l'appât du gain finissent par faire disparaître les sentiments les plus naturels et même l'amour. Seul le corps est pris en compte, comme si nulle âme n'existait en lui.
Le garçon développe son désaccord. Pour lui, le progrès est dû à la part céleste qui est en l'homme; il donne l'exemple du droit qui pousse à vivre en honnête homme, qui établit la justice pour tous; il montre que la société moderne a créé des institutions, des oeuvres protectrices, afin de venir en aide aux indigents, aux vieillards, aux jeunes enfants; et un nouvel esprit de fraternité fait que le peuple va vers l'avenir avec confiance. D'ailleurs il est faux de dire que la société moderne a oublié Dieu. C'est donc un monde meilleur, où l'homme est plus puissant, plus libre, plus solidaire qui, selon le jeune garçon, va être transmis à nos descendants.


L'ARBRE ET LES FRUITS

Dans un village, le curé avait été congédié par ses paroissiens après 15 années de ministère. Puis ils lui avaient demandé de revenir. Ils lui expliquèrent pourquoi ils avaient voulu se débarrasser de lui. Ils en avaient eu assez de l'entendre dire qu'il fallait accepter sa condition et ne pas prétendre s'élever dans la société, que les femmes devaient être dociles, que les valets devaient obéir à leur maître. Puis il y avait eu, avec la Révolution, un changement de politique, et un instituteur primaire était arrivé, qui disait tout le contraire :  hommes et femmes sont égaux et ont les mêmes droits, le peuple n'a d'autre souverain que lui-même et l'école est là pour former des citoyens. Au début, dirent-ils, cela leur avait plu; mais la situation au village était vite devenue intenable, parce que, au nom de la liberté acquise, chacun refusait de se mettre au travail, parce que le peuple avait choisi pour maire un illettré, parce que les épouses dépensaient sans compter. Alors le bon curé répondit en leur expliquant qu'on ne peut juger de la qualité de quelque chose qu'en prenant en compte ses conséquences. Et il illustra son propos par une fable : en Picardie, Pierre avait acheté des graines après les avoir soigneusement examinées et il en tira une magnifique récolte; Paul, lui, s'était laissé séduire par le bagout du marchand grenetier qui lui avait refilé des graines de rebut qui ne produisirent rien de bon.


LES DEVOIRS DE L'HOMME DE LETTRES AU XIXe SIÈCLE

A un garçon qui veut renoncer à l'agriculture pour partir à Paris afin de se faire écrivain et poète, un vieil ami répond en lui rappelant quels seront ses devoirs et à quoi aboutit le plus souvent une carrière d'écrivain.
S'il devient historien, il devra ni noircir le passé, ni dissimuler ses méfaits et ses faiblesses. Car les sophismes répandus par les historiens dans le XIXe siècle ont été source de bien des désordres; et les utopies qui ont été diffusées ont eu pour conséquence le remplacement d'une tyrannie par une autre tyrannie, alors que la liberté doit se fonder sur la discipline et que les devoirs doivent passer avant les droits. Si, devenu romancier, il est amené à mettre en lumière les sentiments qui font agir les hommes, qu'il prenne garde à ne pas corrompre ses lecteurs en rendant le vice séduisant : son devoir est de le dénoncer dans ses oeuvres. Alors que le succès, dans le monde des lettres, est surtout pour les auteurs qui montrent les difformités de l'homme et de la société, la littérature doit montrer qu'on devient plus heureux en devenant meilleur; elle doit rabaisser les passions, exalter le beau et le bien, réveiller le sens religieux contre  le doute et la raison, persuader que l'on est sur terre pour souffrir en espérant l'immortalité. Et puis, au besoin, l'écrivain doit aussi savoir s'engager dans les luttes de son temps, comme le fit André Chénier. De toutes façons, le jeune auteur doit savoir que ni la gloire ni l'argent ne lui sont assurés: il risque surtout de finir prisonnier pour dettes dans la prison de Clichy et sa gloire se limitera à quelques éloges prononcés sur sa tombe par quelqu'un qui n'aura pas lu une ligne de lui.
Ayant entendu ce long discours, le jeune homme ne se sent pas prêt à mener cette vie de martyre. Alors son vieil ami l'encourage à s'engager dans une vie où tout effort trouve sa récompense, celle de fermier.


VINGT ANS

Un garçon de vingt ans dit clairement au prêtre auquel il se confessait lorsqu'il était enfant qu'il ne se sent plus chrétien : il veut désormais jouir de la vie, alors que la morale chrétienne lui paraît un obstacle à la jouissance. On ne sait ce qu'il fit ensuite : se consacra-t-il aux festins, aux femmes, aux bals masqués, au théâtre, aux courses ? Cinq ans plus tard, il revit le vieux prêtre et, d'emblée, il reconnut qu'il ne s'était en rien converti. Il avait vu certains de ses amis tenter de lire l'Évangile en s'aidant de la raison et de l'histoire, mais il avait, lui, consacré tout son temps aux plaisirs desquels, reconnaît-il, il n'avait rien conservé. Il évoque toutefois trois belles actions dans sa vie : amené à se battre en duel pour venger une insulte, il avait renoncé à tirer sur son adversaire; il avait richement doté une jeune fille pour qu'elle puisse épouser celui qu'elle aime; enfin il avait, dans un incendie, sauvé un enfant prisonnier des flammes. Faisant cela, dit-il, il n'avait en rien cherché à être admiré du monde, mais il avait été content de faire quelque bien.
Le prêtre lui montra alors que, sans en avoir conscience, il était bien chrétien, car « l'oeuvre fait le chrétien autant que la croyance »


L'EXIL DE LA MODESTIE

Longtemps, sur l'Olympe, tout se passa bien: c'est que, vivant parmi les dieux, la Modestie était là pour rappeler à la raison ceux que la vanité aurait pu entraîner. Mais un jour dieux et déesses en eurent assez du contrôle qu'elle exerçait sur eux et, pour s'en débarrasser, ils racontèrent à Jupiter qu'elle faisait courir le bruit qu'il vieillissait mal. Donc Jupiter, vexé, exila la Modestie sur la terre.
Ce fut un soulagement parmi les dieux et le début d'un grand relâchement : Junon se prétendit supérieure en beauté à Vénus, Vénus plus éloquente que Minerve, Hercule plus élégant qu'Apollon; on vit Mars jouer au philosophe, Vulcain danser, Cérès s'enivrer comme une bacchante et certains eurent même le dessein de détrôner Jupiter. Alors celui-ci, inquiet devant tout ce désordre, envoya Mercure chercher la Modestie, sans doute réfugiée à Paris.
Mercure commença chez un savetier; mais il trouva un homme fier de ce qu'il faisait et méprisant pour son concurrent, qu'il considérait comme un incapable : ce n'est pas chez lui que se trouvait la Modestie.
Mercure alla ensuite chez un concierge, très mécontent de sa condition, qu'il considérait indigne de lui; rappelant qu'il s'était fait tout seul, il s'attribuait autant de mérite qu'un empereur.
Les autres visites de Mercure furent autant d'échecs : le coiffeur, qui se jugeait l'égal des nobles qu'il coiffait, le tailleur, l'usurier, l'avoué, le banquier, le commis, le courtisan, jusqu'au prince, qui se prenait pour Alexandre.
Le messager des dieux était découragé lorsqu'il découvrit un écrivain, membre de cinq académies, qui ne se faisait aucune illusion sur ses talents et sur la survie de ses oeuvres. Lorsque l'homme reconnut qu'il avait recueilli chez lui une pauvre femme qui, depuis, l'éclairait sur ses défauts, Mercure comprit qu'il avait trouvé où se cachait la Modestie. Mais celle-ci refusa sa proposition de revenir auprès de Jupiter, préférant rester la compagne d'un homme d'un vrai mérite.


LA MISSION CIVILISATRICE DE LA FRANCE EN ORIENT

Un musulman parle.
J'appartenais à une famille qui vivait asservie aux règles du Coran. Ma mère, achetée à ses parents, avait été placée dans un harem, et moi, son fils, je n'étais pas considéré comme son enfant mais comme celui de son maître, un homme mystérieux, un tyran que tous redoutaient. La société musulmane à laquelle j'appartenais subissait tout avec fatalisme et la religion de Mahomet ne lui promettait après la mort que des plaisirs de la chair décuplés, des orgies bonnes pour des pourceaux. Aussi j'aspirais à des perspectives plus exaltantes, peu convaincu en effet  par ces ulémas anonnant les versets du prophète et ces derviches qui espèrent gagner le ciel en restant en équilibre sur un seul pied.
C'est alors que la France envoya ses soldats, ceux qui furent les héros du grand Napoléon-Bonaberdi et parmi lesquels je me suis engagé et j'ai combattu, soucieux seulement de savoir si, au cas où je perdrais la vie, mon corps serait enseveli selon les rites coraniques. Dans le violent combat auquel j'ai pris part, j'ai remarqué un prêtre armé seulement d'un crucifix qui  tentait d'aider les blessés. Puis, le combat ayant cessé, je vis que les soldats français soignaient eux aussi les blessés ennemis, sous la bénédiction du prêtre. Puis, la victoire ayant été acquise par les Français, vint la peste qui contamina une grande partie de l'armée. Et je vis, dans un hôpital, des femmes qui, sans craindre la contagion, venaient s'occuper des mourants (et je songeai qu'à ce moment les femmes de mon sérail continuaient leur vie insouciante): c'étaient des soeurs de la Charité.
Alors que je me demandais d'où venait cette force que je constatais chez les chrétiens, un Français m'expliqua qu'elle venait de leur foi. Il m'expliqua aussi leur respect de la femme, de l'épouse et, lorsque leurs valeurs auront été transmises à leurs enfants, leur acceptation de la mort qui est un retour en Dieu et la découverte des vérités éternelles. Je compris alors que c'était là la vérité. C'est ainsi que j'ai pris la décision d'épouser une chrétienne et de libérer les femmes de mon harem, qui vont renoncer au Prophète et adopter notre nouvelle religion.
On sent d'ailleurs que, dans l'Orient entier, la Croix tend à se substituer au Croissant, et que le monde, débarrassé de l'erreur islamiste, va peu à peu devenir chrétien.


STATUE DE COLBERT À REIMS

A l'occasion de l'inauguration, en 1860, d'une statue de Colbert à Reims, le poème donne successivement la parole à un financier, à un marin, à un bourgeois, au peuple, à un poète et enfin à l'histoire : tous vont faire l'éloge du grand Colbert.
Colbert, par un édit, a demandé aux riches de justifier l'origine de leur richesse, mettant ainsi en lumière fraudes et exactions dont ils se sont rendus coupables, les poussant ainsi soit à se cacher, soit à s'exiler.
Colbert a doté la France d'une puissante marine.
Colbert a rendu Paris plus habitable et plus sûr; il l'a débarrassé des mendiants et des bohémiens, et cela grâce aussi au lieutenant de police La Reynie.
Dans les régions de France accablées par la famine, Colbert a fait venir du blé, il a créé des hospices ; pour favoriser l'agriculture, il a modifié le système des impôts afin de le rendre plus juste.
Colbert, contrôleur général des finances, s'est fait le protecteur des lettres et des arts, il a vu le triomphe de Corneille dans ses dernières années et ceux de Racine et de Molière; il a fondé trois académies; on lui doit la colonnade du Louvre, la manufacture des Gobelins,l'hôtel des Invalides.
Toujours soucieux du bien public, tolérant, honnête, sans ostentation (sa froideur déconcerta Mme de Sévigné), Colbert « ne suivit d'autre loi que l'honneur de la France et la gloire du roi ».


LE CONSEIL DE L'AME

Lorsque l'âme commence son pèlerinage sur la terre, elle est amenée à faire des choix entre ce que Dieu lui conseille et ce que le monde lui suggère. Supposons donc qu'une âme encore pure et neuve mais tentée par une pensée qui offense la morale, ait demandé conseil à une sorte de tribunal.
L'orgueil, la paresse, l'ambition, l'avarice la poussèrent à suivre cette voie, ce qui, dirent-ils, ne lui apporterait que des profits ; seule la conscience la mit en garde. Évidemment c'est la majorité qui l'emporta; et l'âme, dans la vie, se laissa aller à ses penchants sans se soucier de la justice.
Pourtant arriva chez elle, un spectre sombre et inquiétant, qui ne la lâcha plus : c'était le remords, qui démystifia ce bonheur qu'elle croyait avoir trouvé.
Quand vint pour l'âme le jour où elle dut quitter son corps, un ange prit en compte les regrets qu'elle avait eus de ses erreurs passées et les bienfaits qu'en avaient reçus les indigents; cet ange, c'était le repentir. Et l'âme, en abordant son dernier voyage, n'avait plus à craindre Dieu.


LE COLON DE METTRAY

En 1839 avait été créée la colonie agricole et pénitentiaire de Mettray (près de Tours) pour rééduquer les jeunes déliquants par le travail de la terre. Les enfants étaient répartis dans des divisions (ou familles), chacune étant placée sous la responsabilité d'un contremaître dit "chef de famille".
C'est un colon de Mettray qui raconte son histoire.
A dix ans, il était devenu victime d'un beau-père alcoolique qui le poussa à mendier et à voler. Arrêté par la police, il fut mis en prison, un véritable enfer qui ne peut que pervertir encore plus les délinquants. Mais un jour on décida de le conduire à la cité de Mettray, une sorte de caserne où l'on s'éveille au bruit du clairon, où l'on va joyeusement se mettre à l'ouvrage, où les colons, purifiés de leur passé, retrouvent loin des villes leur dignité par le travail et par l'éducation (lecture, écriture, calcul et dessin).
A Mettray, il avait reçu une bêche et un évangile; aussi a-t-il décidé qu'il serait laboureur, car le travail de la terre élève notre âme; et, ayant lu l'Evangile, il a trouvé un sens à sa vie, a fait sa communion et est devenu chrétien
Un jour il y a eu un incendie à Mettray. Courageusement, il sauva des flammes une femme et son enfant ; mais, grièvement blessé, il mourut en remerçiant tous ceux qui l'avaient aidé, en particulier les prêtres et les soeurs de charité, et en souhaitant que tout enfant tombé dans la délinquance puisse être accueilli dans cette colonie qui a su le rendre digne du monde et digne du Ciel.


LE SECOND ZACHARIE

Marie-Dominique Sibour, né dans la Drôme en août 1792, devient évêque de Digne puis archevêque de Paris, entre 1848 et 1857. En 1853, il célèbre même le mariage de l'empereur, Napoléon III. C'est un homme populaire parmi les Parisiens : on le surnomme « le prêtre des ouvriers »...
Le samedi 3 janvier 1857, dans l'église Saint-Étienne-du-Mont, à Paris, vers 17 h, Mgr Sibour célèbre une messe en l'honneur de sainte Geneviève, dont Saint-Etienne-du-Mont garde les reliques. Alors qu'il bénit les fidèles, un homme surgit et le frappe d'un violent coup de poignard. Peu de temps après, l'évêque meurt .L'assassin est, un simple curé, Jean-Louis Verger, prêtre du diocèse de Meaux, interdit pour avoir attaqué, dans un sermon, le dogme de l'Immaculée Conception (dont Mgr Sibour avait déclaré la définition inopportune). A cette fin, il avait, quelques semaines avant, acheté son arme chez un coutelier rue Dauphine.  Il y eut procès et, le 30 janvier, il montait sur l'échafaud.
Le poème – Alors que le pays s'endort dans l'athéisme, il fallait qu'un grand événement vienne éveiller la France chrétienne. C'est le meurtre horrible d'un évêque dans l'église Saint-Etienne-du-Mont alors que les fifèles honraient sainte Geneviève, « la bergère de son-secours ». A la fin de la cérémonie, alors que l'évêque bénissait les fidèles, il est frappé à mort par un prêtre. Une foule immense vint saluer sa dépouille de ce nouveau Zacharie (le père de Jean-Baptiste assassiné par ordre d'Hérode le Grand). Conservons le souvenir de celui qui, dans le Ciel, continue à veiller sur son peuple.


ROMAGNESI

Antoine Romagnesi (1781-1850) est mort alors qu'il travaillait à la bibliothèque Richelieu au classement des archives musicales. De nombreux artistes et poètes ont entouré le cercueil de ce grand musicien dont les romances et la musique de salon charmèrent le public pendant que la guerre se déchaînait en Europe. Ses chants, appliqués à des poèmes souvent de lui, resteront dans les mémoires, comme on se souvient encore des soirées passées avec cet homme simple et honnête qui laisse derrière lui un sillon d'harmonie.


L'OR ET LE TRAVAIL

Encouragés par Hernan Cortez, le conquistador espagnol (1485-1547), des foules avides se sont lancées à la recherche de l'or dans l'empire aztèque, n'hésitant pas à tuer les habitants pour rapporter en Espagne le précieux métal. Car tous en Europe espéraient alors connaître, grâce à ces richesses, un éternel loisir. Mais, tous les hommes étant devenus également riches, personne ne voulut travailler pour un autre; alors plus de blé, plus de vin, plus de fruits ou de végétaux. L'or abondant a été la cause de l'abaissement de la société.
L'or n'a pas d'autre vertu que d'être rare, moins utile que les métaux qui servent pour les enclumes les marteaux, les charrues, les haches et les armes. L'or n'a pour lui que l'image que l'on s'en fait.
La seule vraie richesse, c'est le travail qui permet à l'humanité de progresser, c'est la science, c'est l'intelligence qui explique l'homme à l'homme, c'est le génie humain qui a inventé la machine à vapeur, le télégraphe, le paratonnerre, c'est l'agriculture qui produit l'or véritable que sont les moissons.
Pourquoi donc aller chercher l'or dans ces pays lointains? Pourquoi quitter la terre chrétienne pour aller y souffrir et mourir ? C'est la faute de ce siècle impatient de jouir, ce siècle sans morale et sans foi où l'on veut réussir quel que soit le moyen, ce siècle qui ressemble à l'empire romain décadent menacé par les hordes barbares.
Aujourd'hui beaucoup chez nous seraient prêts à se laisser envahir par les Turcs, à devenir des sujets du tsar, pourvu qu'il puissent continuer leurs magouilles financières. Mais attention alors aux révolutions, aux guerres civiles par lesquelles Paris risque de disparaître et sur les ruines duquel on dira que l'or est passé par là.


ROME ET PARIS

Au collège nous avons traduit en prose Virgile, Horace, Catulle, Lucrèce. Mais c'est plus tard, par l'étude, que la pensée des Anciens nous a été révélée.
L'étude montre comment Lucrèce s'est attaqué au culte des faux dieux et à cette morale qui tolérait les vices puisqu'il étaient communs aux hommes et aux dieux; les superstitions ont même été dénoncées par certains. Puis Auguste pour conforter son pouvoir, a eu besoin de restaurer les anciennes valeurs. Alors que les patriciens méprisaient l'agriculture bonne pour les esclaves, les Géorgiques ont célébré l'amour de la terre. Et dans l'Énéide Virgile montre des dieux justes, le Tartare pour les méchants et l'Elysée pour les justes. Mais le paganisme antique n'est plus : Horace et Catulle l'avaient pressenti et Virgile avait demandé qu'on brûle son Enéide.
Dix-huit siècles après, on trouve une opposition entre ceux qui affirment le triomphe de la raison sur la foi, disant que le monde est le fruit du hasard et non l'œuvre d'un créateur, et ceux qui constatent le renouveau de la foi et de l'Église. Les uns sont tournés vers un avenir qu'ils imaginent radieux; les autres au contraire le redoutent et restent fidèles au passé.
Mais Dieu a décidé : c'est vers le bonheur et la charité que, à la lumière de l'Evangile, l'humanité doit aller, ayant trouvé son unité dans une prière universelle.


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