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Henri Lavedan

PETITES FÊTES

Résumés


LES NOISETTES
Un jour, une demi-mondaine, Gladys Harvey reçut la visite d'un collégien d'à peine 17 ans qui l'avait aperçue donnant un baiser à son amant, le comte Norodoff, et qui, se disant amoureux d'elle, venait lui demander un gant, un bas, une photo et un baiser. Amusée, elle lui accorda le baiser. C'est alors qu'elle s'aperçut que le garçon avait mis dans sa poche deux noisettes, un fruit qu'on disait propre à favoriser l'érection. En souvenir de cette visite, elle fit monter les noisettes sur un bacelet qu'elle garde à son bras.

LE TUYAU
Le baron de Volée était riche et divorcé. Son ex-femme, une demoiselle de Malaque, s'était remariée à un anglais, sir Richard Greyman. Un jour, juste avant de partir en Espagne avec 10000 francs en poche, il décida d'aller à Chantilly jouer aux courses, avec l'intention de mettre raisonnablement 25 louis sur le cheval Cléodore. Mais, avant de jouer, il aperçut son ex-femme avec son mari et il entendit qu'elle voulait miser sur Cléodore, mais que son mari lui demandait de jouer sur un autre cheval, Clover. Arrivé avec son ex-femme devant le guichet, le baron, par bravade, misa devant elle ses 500 louis sur Clover, sans se faire d'illusion sur ses chances de victoire; alors son ex-femme, elle aussi par bravade, misa 25 louis sur Cléodore. Et ce fut Clover qui l'emporta : le baron gagnait 60.000 francs et la femme allait devoir affronter son mari, auquel elle n'avait pas obéi…

VINGT-CINQ MILLE
D'après la loi du 27 juillet 1872, les étudiants pouvaient s'engager pour un an, en versant une somme de 1500 francs pour leur entretien et leur équipement. Cet « engagement conditionnel » permettait de limiter le poids des obligations militaires pour les fils de la bourgeoisie. C'est ainsi qu'à Nantes le jeune conditionnel Vélin se trouva sous les ordres du capitaine Chandenier que l'on avait surnommé "Vingt-cinq-mille", une expression dont il avait fait son juron favori. Or Vélin avait loué en ville, non loin de la caserne, un petit studio où il avait installé sa maîtresse, une demoiselle Blanche Berlet. Comme cela était interdit par le règlement, le capitaine, qui se doutait de la chose, ne cessait d'espionner son conditionnel pour découvrir où était cette chambre en ville. Un jour, après deux mois de vaines poursuites, Chandenier aperçut à une fenêtre une ravissante jeune personne, dont il devint amoureux. Pendant trois semaines, il fit le guet devant chez elle; puis, n'ayant jamais pu la voir sortir, il se décida, un dimanche matin, à aller frapper à sa porte. Mais, comme la jeune femme n'était autre que Blanche Berlet, c'est Vélin qui vint ouvrit, un Vélin pratiquement nu car il venait de prendre une douche. Alors le capitaine, déconfit, lui infligea quinze jours de punition… pour être en tenue de civil…

LA PRINCESSE DARIALOF
Marcel Debreux avait fait en vain sa cour à la belle princesse Darialof, qui le l'avait reçu chez elle presque tous les jours, mais sans jamais rien accorder et qui, après cinq années, l'avait froidement congédié. Un jour, ils se rencontrèrent au théâtre de l'Eden, rue Bourdeau. C'est elle qui prit l'initiative en suggérant qu'il pourrait lui offrir une consommation. Alors il se vengea se comportant avec cynisme : il la tutoya, commanda de l'absinthe, fuma un cigare en sa présence; elle répondit en le tutoyant, en buvant elle-même une absinthe, en fumant une cigarette. Puis, la nuit étant venue, elle l'invita à venir chez elle. Alors Marcel Debreux, sentant qu'il risquait de se faire "dévorer", eut la force de refuser. La princesse décida qu'elle se vengerait sur un prochain amant de tous les affronts qu'elle venait de subir.

LE SECRÉTAIRE
Le comte René de Taraloup avait été l'héritier de sa tante la baronne de Sauvain, une dévote vertueuse et charitable. Alors qu'il était entré dans ce qui fut la chambre de la vieille dame, il s'intéressa à un secrétaire peint en blanc et découvrit, dans un tiroir secret, le journal intime, daté de 1782, de la grand-mère du comte, Chonchette de Taraloup. Elle y exprimait son désir de tromper son mari infidèle avec un certain chevalier de Rémy, dont elle avait recopié une lettre dans laquelle le chevalier disait son bonheur d'être sur le point de la posséder, en même temps que sa crainte de ne pas être physiquement à la hauteur! Les pages suivantes racontaient comment les désirs de Chonchette avaient été comblés, mais comment elle avait éprouvé ensuite un certain désenchantement. Pour la remercier de s'être donnée en lui, son amant lui avait offert un secrétaire orné de peintures érotiques. Six mois plus tard, lorsque le chevalier mit fin à leur liaison, il fit repeindre en blanc le secrétaire, dans lequel celle qui fut sa maîtresse cacha le petit cahier qui contenait le bref récit de son aventure. Et c'est dans ce secrétaire qui recelait images et prose érotiques que la vertueuse baronne de Sauvain enfermait ses livres de prière et l'argent de ses aumônes!

L'ÉCHAPPÉ DES FLAMMES
Louis Bertin était un modeste employé dans la compagnie d'assurances Neptune. Après avoir logé dans un meublé en face de la Monnaie de Paris, il avait pris une chambre dans l'hôtel assez minable du Palatinat, où la patronne se montrait fort désagréble avec lui. Un jour qu'il y prenait un bain, de l'eau bouillante jaillit et le blessa au côté. Souffrant, il alla se réfugier chez un ami, qui le garda à coucher toute la nuit. C'était le 25 mai 1887, le soir où l'opéra-comique fut incendié.
Revenu à son hôtel le lendemain matin, Louis Bertin fut étonné d'y être reçu comme un héros : on disait qu'il avait échappé par miracle à l'incendie, qu'il avait sauvé quelques personnes… Il n'eut pas la force de rétablir la vérité. A l'hôtel du Palatinat, on donna à celui qu'on appelait "l'Echappé des flammes" la plus belle chambre et on le nourrit magnifiquement; le directeur de la compagnie Neptune, lui, augmenta son salaire. Comme Louis Bertin ne détrompa pas sa logeuse qui pensait qu'il avait dû recevoir, comme victime, une bonne somme de son assurance, elle contraignit tous ceux qui voulaient loger au Palatinat de s'assurer au Neptune.

QUIA PULVIS
Le narrateur, lorsqu'un voyage à Milan, est amené à visiter le cimetière en compagie d'un guide particulièrement envahissant qui tient à lui présenter les sépultures des familles de riches commerçants, toutes "d'un somptueux mauvais goût", contrastant avec la beauté reposante du cimetière catholique. Puis le narrateur est poussé par son guide vers le bâtiment où doit s'opérer la crémation d'un homme de modeste condition. Alors qu'il souhaite en sortir bien vite, le guide le contraint à s'approcher du four crématoire et à regarder le cadavre livré aux flammes, puis à la collecte des cendres et des os à l'aide d'une pince à asperges. Cet horrible spectacle conforte le narrateur dans l'idée que l'inhumation est bien préférable, car elle laisse opérer la nature. C'est ainsi que l'on a pu retrouver intacts, à la Chartreuse de Pavie, les squelettes de Galeas Visconti et d'Isabelle de Valois.

LA BONNE IDÉE
En juillet 1887, le marquis Pont-l'Étoile, grand amateur de femmes, après avoir assiégé pendant quatre mois la baronne Berthe de Mauves, a enfin obtenu qu'elle vienne le rejoindre dans un fiacre, conduit par le cocher Manceau, pour aller dîner à la Maison d'Or. Elle accepte, mais elle lui annonce qu'elle doit être chez elle à minuit au plus tard, juste avant le retour de son mari parti à la campagne. Toutefois, à peine ont-ils commencé le dîner dans l'initimité d'un cabinet particulier que Manceau vient leur annoncer que le baron Paul des Mauves attend dehors dans une voiture, semblant faire le guet. Alors, avec la complicité de Manceau, les deux amants réussissent à sortir du restaurant et à regagner leur voiture. Mais le baron les a vus et les suit. Alors s'engage une course poursuite à travers Paris, ce qui, d'ailleurs, amuse fort la dame. Une ruse de Manceau leur permet d'échapper à leur poursuivant et la baronne peut rentrer chez elle, quelques minutes seulement avant son mari.

LE DÉFI
On s'étonnait de voir le comte et la comtesse de Bergagues sortir régulièrement en compagnie de Roger d'Étreilles. C'est que celui-ci, un homme connu pour sa ténacité, s'était juré de prendre pour maîtresse la comtesse Diane, qu'il aimait depuis leur jeunesse, mais qui le repoussait "avec une fermeté ironique et douce". Un soir qu'ils assistaient tous les trois au Café algérien à une représentation au cours de laquelle un aïssaoua se transperçait la joue avec une longue aiguille, elle lui dit, agacée par ses déclarations d'amour : "Vous me feriez pas ça pour moi!". Alors il prit l'épingle qui retenait le chapeau de Diane et se l'enfonça dans la joue droite. Devant le sang qui coulait de la blessure, la comtesse s'évanouit et le spectacle fut interrompu.

NUIT DE NOEL
La nuit de Noël, sous la neige, dans un quartier pauvre de Paris, on voyait deux femmes, une pauvresse avec un bébé qui espérait quelque aumône et une prostituée qui cherchait en vain un client. Elles avaient commencé à se parler, se racontant leur vie misérable, lorsqu'un vieillard passa, qui accepta la proposition de la pécheresse. Lorsqu'elle celle-ci revint avec les vingt francs qu'elle venait de gagner et qu'elle avait l'intention de donner par charité à la mendiante, elle constata que celle-ci était partie… et elle pleura.

LE VERTIGE
Madame du Challay avait depuis longtemps le désir de monter dans le ballon captif du Trocadéro. Comme son mari ne se décidait pas, elle alla seule se payer une ascension. C'est ainsi qu'elle se retrouva par hasard dans la nacelle en compagnie du baron Paul Mantoux, un homme qui lui avait fait la cour pendant huit mois et qu'elle avait repoussé. Le baron profita de la situation pour essayer d'obtenir un rendez-vous de la dame et celle-ci, parce qu'elle avait un peu le vertige lors de la descente du ballon, ne refusa pas. Mais, rentrée chez elle, elle regretta ce moment de faiblesse et raconta tout à son mari, qui pardonna facilement. Le lendemain Paul Mantoux lui fit parvenir une lettre dans laquelle il lui disait que, s'étant repris, il ne serait pas au rendez-vous. Comme monsieur de Challay avait pu lire la lettre avant son épouse, il lui fit croire que le rendez-vous était confirmé. Et Mme de Challay se donna le plalsir de dire qu'elle n'irait pas et que son adorateur l'attendrait en vain.

REÇU
Dix-neuf ans plus tard, le narrateur raconte ce qui s'était passé à Paris le 5 août 1870, au début de la guerre. Alors qu'il était à la Sorbonne pour passer l'épreuve orale du baccalauréat, la nouvelle parvint d'une victoire totale de Mac-Mahon et de la mort de prince Frédéric-Charles. Une joie immense déferla alors dans tout Paris, des drapeaux firent leur apparition aux fenêtres et le jury, pour fêter l'événement, décida… que tous les admissibles était reçus. Mais la nouvelle était fausse: Mac-Mahon avait été vaincu. Tristement, le narrateur alla avec sa mère dans l'église Notre-Dame-des-Victoires, où des gens de toutes classes sociales priaient la Vierge de donner la victoire à la France.

LITS DE JEUNESSE
Le narrateur se souvient des lits qu'il a occupés autrefois. D'abord la couchette blanche lorsqu'il avait trois ans, près du lit de ses parents, avec le rituel du coucher et le baiser apaisant de sa mère lorsqu'il se réveillait la nuit. Puis son lit à douze ans dans le dortoir du collège, un lit dans lequel il se remémorait ses vacances, avant le lever matinal et la toilette devant l'eau froide du lavabo. Puis, lorsqu'il fut soldat conditionnel, son lit dans lequel ses camarades de chambrée avaient répandu une sauce noirâtre, le contenu d'une gamelle avec boeuf et légumes, sur laquelle il lui fallut dormir. Le quatrième lit c'est celui, magnifique, dans lequel il couchait avec une petite actrice du Palais-Royal lors des absences de son amant en titre, avec tout un rituel précédant le coucher de la belle Gabrielle, qui aimait se faire désirer. Et tout se termine pour l'évocation de ces multiples lits différents qui jalonnent toute une vie d'homme.

DANS LE TEMPS
Le baron Juillan et son épouse décidèrent de dîner au restaurant du Trocadéro. La baronne, veuve d'un premier mari, n'avait jamais vraiment connu le bonheur dans ses deux mariages. Et le baron ne s'était marié, à 42 ans, que pour se faire une vie calme et oisive. Tous deux menaient donc ensemble une vie paisible, faite de beaucoup de renoncements. Sur la terrasse du restaurant, un orchestre commença à jouer la Chanson de Fortunio d'Alfred de Musset:
– Si vous croyez / Que je vais dire / Qui j'ose aimer / Je ne saurais / pour un empire / Vous la nommer / Nous allons chanter à la ronde / Si vous voulez / Que je l'adore et qu'elle est blonde / Comme les blés : en entendant cela, le baron, très ému, se souvint de sa liaison, avant son mariage, avec la gentille Lucette Iris, une actrice des Ivresses-Parisiennes, qui chantait cette chanson; et il se proposa de chercher une photographie d'elle qu'il devait avoir conservée.
– Du mal qu'une amour ignorée / Nous fait souffrir, / J'en porte l'âme déchirée / Jusqu'à mourir. / Mais j'aime trop pour que je die / Qui j'ose aimer, / Et je veux mourir pour ma mie / Sans la nommer: en même temps, ces vers éveillèrent en la baronne le souvenir d'une soirée aux Ivresses-Parisiennes avec son premier mari, où la Chanson de Fortunio, interprétée par une certaine Lucette Iris, l'avait remplie d'émotion; et elle se proposa de rechercher la photographie de ce premier mari.
Ces retours dans le passé, dont ils se sentirent un peu coupables, ranimèrent un peu l'amour qu'ils avaient l'un pour l'autre.

CARNET D'UN PETIT CHÂTELAIN
En 1889, le baron de Manchecourt, 35 ans, a quitté Paris pour venir dans son château familial de La Grive, près de la forêt d'Orléans. Dans son carnet, il va noter ses impressions au cours de ce séjour. De nombreuses notes développent son amour pour la campagne, la splendeur de ses paysages, la beauté d'une fleur. Il s'intéresse aux paysans, à leurs réactions devant une vache morte ou lors d'une réunion électorale. Il va rencontrer le meunier dans son moulin. Il organise une chasse aux alouettes.
Dans le château sont venus plusieurs amis du baron : la baronne de Vaujours et sa fille de seize ans, le vicomte Henri de Boisseron, "fade et prétentieux", le comte Coutureau "parasite de bon ton", l'alsacien Alfred Herman, célibataire par choix, qui anime les soirées avec de vieilles chansons galantes, enfin Bernières qui, ayant surpris à Paris sa maîtresse Lucie au bras d'un monsieur, est venu se changer les idées à La Grive.
Mais surtout séjourne au château Gabrielle de Brannes, une jeune veuve à laquelle le baron a coutume de faire la cour. Après avoir résisté aux sollicitations d'Alfred Hermann et de Bernières, Gabrielle repousse avec élégance l'assaut du baron qui a osé entrer un soir dans sa chambre. Et lui, qui avait noté dans son carnet bien des réflexions sur les femmes, n'a plus comme ressource que de se réjouir, avec son ami Bernières, le chasseur, de l'arrivée des bécasses.


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