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HENRI LAVEDAN ET LA CRITIQUE DE SON TEMPS


 

JULES LEMAÎTRE, tout en se livrant à des critiques fines des productions de Lavedan, n'a cesé de dire son admiration.

– Dans la "Causerie littéraire" de la Revue Bleue, 1888

Je ne vois personne parmi les jeunes gens qui possède mieux que M. Henri Lavedan tous les secrets de l'écriture artiste, toutes les habiletés de notre plus récente rhétorique.

– Dans Les Contemporains (1899)

"La saveur si particulière des écrits de M. Henri Lavedan, d'où vient-elle donc ? Je crois l'entrevoir. La Haute et Le Nouveau Jeu, Leur Cœur et Nocturnes, Le Prince d'Aurec et Viveurs, c'est la surface brillante et pourrie de la société contemporaine, décrite par un esprit aigu, mais en même temps jugée, le plus souvent sans le dire, par une âme qui, dans sa rencontre avec l'éphémère, continue de porter en soi quelque chose de stable et de traditionnel : la vieille France, simplement. […] Lavedan demeure un moraliste. Il a, plus que les autres, insisté sur le surgit amari aliquid de la vie joyeuse, l'immense ennui, le néant qui est au fond des existences purement mondaines, cette mélancolie noire dont sont envahis, quand ils ne s'amusent plus et même en s'amusant, ceux qui font profession de s'amuser. […] Derrière Paris, ou dans Paris même, Lavedan nous montre la province, c'est-à-dire, derrière ceux qui s'agitent dans le vide du présent, ceux qui vivent de la foi du passé. Il aime, il peint avec une émotion vraie et un charme rare les vieux prêtres, les "bonnes dames", Ies vieilles demoiselles pieuses, les jeunes filles innocentes, les mœurs terriennes, les antiques foyers, les vies modestes, dévouées, secrètement héroïques. […] Sous le délicieux et pittoresque écrivain, sous le satirique osé, sous le moraliste inquiet et quelque peu divisé contre lui-même, sous l'observateur trop complaisant des "petites fêtes" de la chair triste, survit et se devine encore, grandi et libéré, mais non point infidèle, le "bon petit enfant" à qui Mgr Dupanloup fut paternel autrefois."

– Dans les Impressions de théâtre - 7e série (1901)

Le Prince d'Aurec reste la satire la plus vive et, vers la fin, la plus âpre et la plus emportée des travers, des vices, de la risible inutilité, de la sottise et de Ia bassesse morale de la noblesse, ou de ce qui en reste aujourd'hui. […] Le Prince d'Aurec est un des plus remarquables exemplaires de comédie sociale que nous ayons jusqu'ici.


ALBERT-ÉMILE SOREL, dans ses Essais de psychologie dramatique (1911) lui a consacré des pages élogieuses :

Sans faiblir, avec une résolution douce et et tenace, Henri Lavedan s'est attaqué aux thèmes hardis, évitant de froisser les convictions, mais irritant les susceptibilités des vaniteux. Il demeure fidèle à la tradition par son caractère sûr et son style clair et souple ; son langage – l'un des plus exquis dans la chronique, des plus légers dans la conversation, des plus châtiés dans le dialogue – séduit, charme, émeut. Son attention se porte sur ce qui entrave la sensibilité et le goût, dans notre société ; aussi fouaille-t-il ses adversaires, ennemis de la probité. Ceux qu'il dépeint disparaissent, mais la forme qu'il en sculpte subsiste : ce qui demeure d'une époque, dans l'art, est fait souvent de ce que la vie entraîne le plus vite dans sa course fugitive.


LÉON DAUDET, Dans ses Souvenirs les milieux ittéraires dans l'entre-deux-guerres (1915) n'a pas manqué d'écrire sur Lavedan quelques paragraphes pleins de fiel, qui s'attaquent plus à l'homme ("à l'haleine empestée") qu'à l'oeuvre.

Henri Lavedan, qui ne fut rien si ce n'est académicien, […] en littérature vise le précieux, le rarissime, et il réalise le pire rococo, la fausse ingéniosité, le Rostand en prose. Ses chroniques de l'Illustration rappellent les travaux en cheveux et en coquillages. […] Ces pages inénarrables que Lavedan consacre, avec l'accent tantôt délicieux bohème, tantôt prédicateur mondain, tantôt grand cœur, aux lectures, à la vie des champs, aux vertus domestiques d'autrefois, aux vieilles pantoufles des maréchaux de l'Empire, aux chapelets, aux pièges à rats, aux berlines d'évêques et aux notaires départementaux, ces tartines pour personnes pâles font la joie des conservateurs ignares et des épiciers retraités : "Comme c'est bien écrit !". […] L'image que Lavedan se fait de la tradition balance celle qu'il se fait de la Révolution, et les morceaux crus qu'en rendent au trou du souffleur ses personnages, sous prétexte de dialogues alternés, lèvent le cœur. La recette de ces fabrications est connue : un jeune ingénieur, un vieux militaire, une belle demoiselle, une douairière haletante, un évêque sentencieux mais jovial, un libidineux, une grincheuse, quelques comparses, et ça y est. Je préfère la comtesse de Ségur.


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