<== Retour


GEORGES LAFENESTRE

ORLÉANS

dans La France artistique et monumentale, sous la direction d'Henry Havard, Société de l'Art français, 1895

tome VI, p. 121 à 144


La ville d'Orléans, l'une des plus vénérables et nobles cités de France, n'offre point d'abord, aux yeux des visiteurs de passage, ce bel ensemble de monuments qu'il croit trouver et qu'il cherche en un lieu si célèbre. Aucune ville, dans nos crises nationales, n'a joué, à diverses reprises, au Ve siècle devant Attila, au XVe devant les Anglais, au XIXe devant les Allemands, un rôle plus simplement énergique ; aucune n'a pris une part plus passionnée au mouvement intellectuel du Moyen Age et à l'agitation religieuse de la Renaissance ; aucune non plus n'a payé plus chèrement sa gloire. L'histoire, souvent lamentable, de ses monuments est aussi l'histoire de nos désastres ; c'est, en même temps, le témoignnge de nos prodigieux relèvements et de notre infatigable activité. Plusieurs fois incendiée, plusieurs fois assiégée, moins heureuse que Chartres et Blois, ses voisines, la ville d'Orléans n'a pu conserver, à son grand dommage, un de ces édifices capitaux, cathédrale ou palais, qui marquent une époque décisive dans le développement de l'art. Toutefois, on y trouve encore d'assez nombreux vestiges du passé, à toutes ses heures, pour reconstituer la vieille cité française sous ses divers aspects, et le caractère des édifices civils encore debout est assez particulier pour qu'on y constate la persistance d'un goût local très déterminé.

LES RESTES D'AURELIANUM

De l'antique Genabum, devenu au IVe siècle la ville de l'empereur Aurélien, Aurelianum, rien sans doute, ou presque rien. Quelques chapiteaux et sculptures, d'un style assez riche, trouvés au XVIIIe siècle sur l'emplacement de la préfecture moderne, y ont démontré l'existence antérieure d'un temple important. Depuis cette époque, les hasards des reconstructions et des démolitions ont remis à jour, çà et là, mais pour peu de temps, les vestiges de l'enceinte antique qui suivait à peu près les rues actuelles des Hôtelleries et de l'Aiguillerie, de Jeanne-d'Arc et de l'Évêché, du Bourdon-Blanc et de la Tour-Neuve. Une citadelle isolée et un temple, dont un fragment de frise colossale est conservé au Musée historique, s'élevaient, selon toute apparence, à l'endroit où se dresse la cathédrale. De vastes arènes se développaient, à l'est, sur la pente du coteau qui domine la Loire. C'est aussi dans cette région orientale qu'en 1805 et 1829, du côté de Saint-Euverte, en 1821 et 1822 du côté de Saint-Aignan, on a fouillé plusieurs cuveaux ayant servi de sépultures durant la période gallo-romaine.

LA CRYPTE DE SAINT-AVIT

Les débris de la période chrétienne primitive ne sont ni plus nombreux, ni plus apparents. Pour trouver une ruine de quelque importance, il faut arriver au VIe siècle. Nous pouvons descendre alors dans la crypte, construite, en 532, sous le règne de Childebert Ier, en l'honneur de saint Avit, par Vuaddo, seigneur d'Orléans, et dont l'entrée se trouve dans le jardin du grand séminaire. La chapelle extérieure qu'elle supportait, saccagée à plusieurs reprises par les Normands, par les Anglais, par les Huguenots, a été enfin rasée en 1710, par l'architecte Vauclin, pour faire place aux bâtiments actuels du séminaire. Le sanctuaire souterrain, longtemps oublié, a été déblayé en 1852 par Clouet, architecte de la ville. Suivant Viollet-le-Duc qui en a donné les plans et coupes dans son dictionnaire, c'est un des types les mieux conservés et les plus caractéristiques de ce genre de constructions à l'époque mérovingienne. Orientée de l'est à l'ouest, cette crypte se compose de deux pièces, la chapelle et le martyrium. La chapelle demi-circulaire, voûtée en briques, repose sur quatre piliers octogones à chapiteaux carrés et sur six pilastres engagés. Elle forme ainsi trois nefs, communiquant, par deux portes et deux fenêtres cintrées, avec le martyrium. Celui-ci, de plan rectangulaire, est également voûté en briques, et l'autel y occupait probablement, au fond, une arcature centrale plus large que les six autres. L'ensemble est d'un style simple et grave dont l'effet est imposant.

SAINT-PIERRE LE PUELLIER, SAINT-DONATIEN, SAINT-EUVERTE

Si on ouvre les annalistes d'Orléans, on voit que du VIe au XIe siècle, dans cette malheureuse ville, la Clef de la Loire, exposée à toutes les attaques, ce n'est qu'une succession de pillages, de combats, d'incendies. Quelques vestiges épars, substructions, colonnes, chapiteaux, modillons que l'archéologue retrouve, non sans un certain effort d'attention, en de vieilles églises fort remaniées, restent seuls pour nous confirmer, en fait, l'activité de la période romane que nous attestent les documents écrits. Le portail latéral de Saint-Pierre-le-Puellier (Sanctus Petrus puellarum, baptistère des jeunes filles) et sa basse nef avec ses curieux modillons du XIe siècle, les six piliers et les arcades du chœur de Saint-Donatien, quelques parties de Saint-Euverte (base de la tour et murs des nefs) des XIIe et XIIIe siècle, fournissent d'intéressants motifs d'étude, mais se trouvent singulièrement compromis par leur entourage disparate et moderne. C'est encore sous terre qu'il faut aller chercher le souvenir le plus curieux du XIe siècle, la crypte de l'église Saint-Aignan.

LA CRYPTE DE SAINT-AIGNAN

L'évêque saint Aignan, dont le nom se lie à la première défense d'Orléans et à la défaite d'Attila, avait été d'abord enterré, en 453, dans une église assez éloignée de l'enceinte, Saint-Laurent. Quelques années après, en 498, Clovis fit rapporter ses reliques, déjà vénérées, dans la petite chapelle de Saint-Pierre-aux-Bœufs, près de la Loire, qui prit, dès lors, le nom du saint évêque. L'édicule devint vite insuffisant pour le nombre des pèlerins ; agrandi par Charlemagne en 769, détruit par les Normands en 865, il fut reconstruit par Charles le Chauve, en 870, puis enfin s'effondra dans le terrible incendie de 999 qui anéantit, au dire des chroniqueurs, la ville entière et ses faubourgs. Ce fut une occasion pour Robert le Pieux, qui résidait souvent à Orléans, d'entreprendre, en 1029, la reconstruction sur un nouveau plan et dans de plus grandes dimensions.

D'après Helgaudt, moine de Saint-Benoît-sur-Loire, chroniqueur contemporain, « Robert avait fait construire, dans un lieu plus élevé, la maison du Seigneur sur un plan bien préférable à l'ancien… L'édifice a quarante-deux toises de long, douze de large, dix de haut, cent vingt-trois fenêtres. Il a fait faire dans l'église même dix-neuf autels. Le principal fut dédié à l'apôtre Pierre à qui le roi associa Paul, tandis qu'auparavant le lieu était consacré seulement à saint Pierre... Le chevet de l'église fut une œuvre merveilleuse construite à l'instar de Sainte-Marie, mère de Dieu, et des Saints Agricol et Vital à Clermont… » L'indication précieuse, donnée par Helgaudt, nous permet de reconstituer, par l'imagination, cette basilique romane, puisqu'elle offrait, il nous l'atteste, des analogies frappantes avec Notre-Dame-du-Port, à Clermont.

Ce qui reste de la crypte confirme l'exactitude des renseignements donnés par le chroniqueur. « On y reconnaît, dit M. de Buzonnière (1) la reproduction presque complète de la crypte de Notre-Dame-du-Port. Le plan, l'élévation, le style, la forme et l'agencement des voûtes, le nombre des piliers sont identiques ; si les piliers sont cylindriques à Notre-Dame, tandis qu'ils sont carrés à Saint-Aignan, si nous comptons ici cinq chapelles rayonnantes, tandis que là il n'y en a que quatre, les différences sont si légères qu'il n'y a pas lieu de s'y arrêter. » Une nef avec deux bas-côtés, un chœur avec galerie latérale, entouré de sept chapelles, formaient autrefois le sanctuaire. La nef principale est actuellement comblée de maçonneries, ainsi que le martyrium qui en occupait une partie. Toutes les voûtes sont à plein cintre, en berceau, formées de blocages. Le chœur reposait sur dix forts piliers, la plupart fort dégradés aujourd'hui, n'ayant pour ornement qu'un simple tailloir. Seules, les deux colonnes engagées dans la paroi du martyrium portent deux chapiteaux étranges, aux sculptures grossières, qui attestent la date de la fondation. L'un représente une corbeille, couverte d'une draperie et surmontée de palmettes, l'autre se compose de trois figures humaines et de deux monstres à corps d'homme et têtes de cheval bizarrement enchevêtrés. « Ces monstres sont debout, dit M. de Buzonnière ; leur ventre est appliqué à la muraille, et cependant leur tête, qui soutient l'angle du tailloir, est tournée vers le spectateur. Leur cou est orné d'un collier de perles. De leur gueule descend une énorme langue plissée comme un pan d'étoffe, de laquelle ils se lèchent le dos. Ils appuient leurs griffes sur un homme nu et posé debout entre eux. Cet homme a une longue barbe. Il porte une main sur sa poitrine, de l'autre il cache sa nudité. La figure sculptée sur le côté du tailloir, à gauche du spectateur, semble fuir ; enfin, celle qui occupe la face droite élève un bras comme pour dompter le monstre, tandis que de l'autre elle lui enfonce un glaive dans le flanc. Ces deux figures sont également nues. » Les parois de la nef sont ornées d'arcatures reposant sur des colonnettes à chapiteaux grossièrement sculptés avec des boudins, torsades et rosettes. Des traces de peintures contemporaines sont encore visibles dans quelques voûtes des collatéraux. « Au fond, dans un étroit déambulatoire, entre deux piliers du sanctuaire, on aperçoit la trace d'une petite porte basse. Elle s'ouvrait jadis sur un souterrain passant sous la chapelle de la Sainte-Vierge de l'église supérieure. À cette porte apparaissait souvent Louis XI sortant de son palais, situé à l'est de l'église. Il se rendait aussi vers l'escalier de pierre, et de là sur la terrasse qu'il avait fait solidement élever. Seul, à l'abri de tous regards, il respirait, presque rassuré, il regardait au loin le paysage mélancolique et écoutait les conversations des paysans de l'île Charlemagne que lui apportait le vent d'est et l'air limpide de ce pays découvert et calme » (2). On ne sait à quelle époque cette église souterraine fut comblée par les blocages qui en cachent encore aujourd'hui la plus grande partie ; on peut supposer que ce remplissage fut exécuté au XVe siècle pour assurer une base plus solide aux nouvelles constructions.

L'ÉGLISE SAINT-AIGNAN

L'église supérieure, construite en même temps que la crypte, au XIe siècle, aurait duré autant que les solides constructions romanes de nos autres provinces, ses contemporaines, si elle avait .été renfermée dans l'enceinte de la ville. Mais, de même que celle de Saint-Euverte, placée dans un faubourg, à proximité des remparts, dans ce qu'on appellerait aujourd'hui la zone militaire, elle fut démolie, en 1370, par les habitants eux-mêmes, afin qu'elle ne devînt pas pour les Anglais une forteresse d'attaque. Reconstruite, après le départ de l'ennemi, dès 1376, elle fut sacrifiée de nouveau aux nécessités de la défense, lors du long siège de 1429. Le bâtiment actuel est dû à Charles VII, qui accorda, en 1439, à la fabrique, pour l'aider à cette reconstruction, un droit sur les gabelles des provinces moins éprouvées et surtout à Louis XI qui partagea ses faveurs et sa dévotion entre l'église de Saint-Aignan et Notre-Dame-de-Cléry. C'est lui qui inaugura solennellement le nouvel édifice en 1466, s'y fit recevoir chanoine, lui octroya, à plusieurs reprises, des dons magnifiques de châsse, ciboires et autres orfèvreries et, enfin, se fit bâtir, dans le cloître même, un logis dont quelques vestiges se distinguent avec peine dans une maison voisine. L'achèvement complet et la consécration n'eurent lieu, toutefois, qu'en 1509, sous Louis XII, à qui l'on devait les chapelles de la nef.

Cet édifice, qui fut un des types de l'art de la Loire au XVe siècle, nous est malheureusement parvenu dans un état d'altération et de dégradation qui demande quelque effort d'esprit pour en concevoir la noblesse et l'élégance primitives. Les premières guerres de religion lui avaient déjà été singulièrement cruelles, ainsi qu'à tous les monuments religieux d'Orléans : mobilier pillé, statues brisées, toitures incendiées, voûtes ébranlées. On avait renoncé dès lors, faute d'argent, à réparer le dommage. En 1570, une muraille transversale sépara le chœur moins endommagé de la nef trop compromise et consacra, d'une façon durable, une fatale mutilation. En 1804, le chœur seul fut rendu au culte, et l'architecte Lebrun qui, en 1792, avait acheté l'église comme bien national, fit démolir la tour et les murs de la nef qu'on lui laissait pour compte. Nous n'avons donc aujourd'hui en face de nous qu'une moitié d'édifice, un tronçon incomplet, dans lequel on pénètre de côté, par la porte du transsept septentrional, qui est devenue l'entrée principale, faute de mieux.

Ce portail lui-même, dont tous les détails, riches et élégants, portent la marque d'un art recherché, a terriblement souffert. Le pignon qui surmonte la baie ogivale à voussures, coupé à hauteur de la corniche du premier étage, a perdu tous ses pinacles. La rose de ce premier étage, veuve de ses verrières et de ses meneaux, est aveuglée par une grossière maçonnerie. La fenêtre supérieure, à meneaux flamboyants, d'une flamme tourmentée et un peu lourde, se montre dans le même état. Le chœur et le chevet, restaurés par Clouet en 1852, ont repris un meilleur aspect. Le profil de la grande toiture et la masse du chœur et de l'abside, avec leurs hautes et larges fenêtres, ont un caractère de fermeté grave et protectrice qu'augmente encore l'humilité particulière des cinq chapelles, relativement très basses, groupées en cercle autour du chevet « comme des poussins à demi cachés sous l'aile de leur mère », suivant l'expression de Buzonnière. .

L'intérieur, malgré l'absence de nef, donne pourtant la même impression. Les ogives sont d'un galbe encore très pur et très ferme pour l'époque, les nervures prismatiques, sans effilements excessifs, simples et peu ornées, remplissent encore avec loyauté leurs rôles de supports ou de ligaments. La fantaisie capricieuse du temps s'est donné carrière dans les sculptures fleurissantes ou grimaçantes des culs-de-lampe sur lesquels retombent ces nervures et qui abondent en images bizarres. Les deux clefs de voûte, dans les transsepts, celle de l'abside, surtout, où la figure de saint Aignan se détache dans un cadre ingénieusement combiné d'arcs entrecroisés, sont de charmants spécimens décoratifs. Les clefs des voûtes du chœur portent des écussons sculptés et peints aux armes de Marie d'Anjou, de Charles VIII, de Louis, duc d'Orléans, de Louis XII, roi de France, nous donnant ainsi la série des protecteurs du lieu. Des anciennes verrières du XVe siècle, il n'est resté qu'un sujet intact, une grande croix, avec les mots Jésus Maria, entre la Vierge et saint Jean, dans la fenêtre centrale du chevet, et quelques ornements, bordures, fleurs de lis, écussons, dans les fenêtres voisines. Tout le reste a été, comme dans la plupart des églises orléanaises, refait à la moderne par l'infatigable Lobin, de Tours. Les deux sacristies, en style ogival, sont intéressantes à visiter ; dans l'une d'elles, une piscine entourée d'une guirlande de vignes est sans doute l'œuvre charmante d'un des sculpteurs qui travaillèrent aux fines bordures du portail.

LA CATHÉDRALE SAINTE-CROIX

L'édifice le plus célèbre et le plus complet d'Orléans, sa cathédrale, est, bien plus encore que l'église de Saint-Aignan, le témoignage des vicissitudes par lesquelles a passé la ville. C'est, en même temps, un des exemples les plus curieux et les plus importants qui nous restent de la persistance de la tradition religieuse et nationale du Moyen Age, dans l'architecture française, à travers les périodes classiques. Cette tradition fut ici, en effet, si vivante et si puissante qu'elle s'imposa même aux artistes célèbres les plus fortement imbus de principes contraires, tels qu'Hardouin Mansart et Gabriel, et dans le pays même où la Renaissance avait trouvé ses premiers et ses meilleurs disciples. Ce vaste monument, d'un effet si surprenant, d'un style si composite et si divers, que le touriste admire trop peut-être, mais que méprisent certainement trop les pédants, reconstruit dans ses parties essentielles, au XVIIe et au XVIIIe siècle, à peine achevé durant le nôtre, ne rentre, on le sait, dans aucune classification régulière. De l'art gothique, il n'a conservé que son plan général, son chevet, quelques piliers, les apparences ogivales dans la structure intérieure et le décor extérieur ; il a emprunté à la Renaissance nombre de détails ornementaux, et c'est à l'art classique qu'il se rattache par le système de construction, par un goût marqué et irrésistible pour les lignes droites et les courbes sèches, pour les ornements inexpressifs et réguliers qui pénètre de tous côtés, altère et modifie les formes mal comprises du Moyen Age. C'est donc, à vrai dire, un amalgame des éléments le plus disparates, et, qui pis est, d'éléments copiés et embrouillés par les architectes les plus différents, dont les uns se sont efforcés consciencieusement, mais péniblement, de rester fidèles nu style imposé, dont les autres sont demeurés indifférents, parce qu'ils ne comprenaient pas, dont quelques-uns se sont montrés franchement hostiles, parce qu'ils détestaient. Néanmoins, de quelque façon que cet amalgame se soit produit, c'est une grande œuvre et une œuvre imposante, parce que c'est une œuvre vivante. Malgré ses irrégularités, peut-être même à cause de ses irrégularités, la cathédrale d'Orléans demeure une chose inattendue et intéressante ; si l'on y doit déplorer, en ses mauvaises parties, l'association la plus détestable du maniérisme gothique et du formalisme académique, on y peut admirer, en revanche, dans ses excellentes, l'union imprévue et heureuse de certaines qualités, en apparence contradictoires, recherchées par des artistes d'âges et d'esprits divers. Il est certain que si l'on veut s'en tenir absolument aux définitions d'école, académiques ou archéologiques, les œuvres éclectiques et transitoires de ce genre sont des monstruosités et des hérésies ; mais n'est-ce pas l'heureux privilège de l'art, comme celui de la nature dont il émane, d'échapper, par sa mobilité même et par sa variété, à la tyrannie de toutes les formules absolues et de toutes les classifications étroites? Si ce n'est pas un sonnet, c'est une sonnette, disait Malherhe à un prétendu connaisseur qui lui reprochait d'avoir fait un sonnet irrégulier. Que cette cathédrale ne soit un édifice conforme à aucune des législations soi-disant définitives qu'ont cru devoir successivement édicter, d'après l'observation forcément incomplète de quelques monuments, les adorateurs exclusifs de l'antiquité ou les dévots bornés du Moyen Age, cela saute au yeux, et le cas n'est point rare. Ce n'en est pas moins un édifice magnifique et bien caractérisé, plus religieux même et plus édifiant que beaucoup d'autres construits suivant des formules plus ecclésiastiques ; c'est, en tout cas, l'exemple le plus curieux d'un effort séculaire poursuivi par plusieurs générations d'artistes modernes pour réaliser, dans la mesure changeante des goûts nouveaux, une conception antérieure et supérieure du Moyen Age, soit qu'ils aient été, malgré leur éducation classique, attirés par la majesté de ce grand rêve, soit qu'ils se soient honnêtement résignés, par devoir, à s'y enfermer.

Une première basilique, sur le même emplacement, paraît avoir été construite auprès d'un sanctuaire plus ancien, celui de Saint-Étienne, par l'évêque saint Euverte, du temps même de Constantin, lorsque sainte Hélène venait de retrouver la vraie croix, entre 325 et 335. Pillée plusieurs fois par les Normands, elle fut complètement anéantie dans le grand incendie de 999 et relevée peu de temps après. Cette construction des XIe et XIIe siècles, hardiment conçue, avait été exécutée trop vite et avec peu de soins. La nef n'était pas achevée, en 1227, lorsqu'elle s'écroula, avec le sanctuaire, sous la poussée des voûtes, devant les yeux mêmes de l'évêque Arnoult ; on dut en hâte démolir le reste, qui menaçait ruine. La partie occidentale, avec ses deux hautes tours carrées et son portail cintré, resta seule ferme et debout ; elle devait subsister jusqu'au XVIIIe siècle, et ne fut démolie qu'en 1726, par Robert de Cotte, pour faire place à la façade moderne. Dès l'année 1239, l'évêque Robert de Courtenay, petit-fils de Louis le Gros, avant de partir pour la croisade avec saint Louis, avait pris des mesures pour faire reconstruire l'édifice dans de plus vastes proportions, sur un plan nouveau, dans le style nouveau. La première pierre fut posée le 11 septembre 1288 par son successeur, Gilles de Patay, et les travaux poussés d'abord avec activité. Dans le plan adopté, les architectes avaient respecté les deux tours et le grand portail de style roman ; ils asseyaient aussi le nouveau chœur sur les fondements de l'ancien, en le complétant par une couronne de chapelles rayonnantes. Le sanctuaire fut achevé par le successeur même de Gilles de Patay, Pierre de Mornay, mais, après lui, sous Ferry de Lorraine, la ferveur se ralentit, et, durant les XIVe et XVe siècles, on ne pensa guère qu'à décorer et qu'à meubler l'édifice tel qu'il se présentait, avec ses transsepts tronqués, avec sa nef incomplète, arrêté, dans sa croissance, sur trois côtés, par les restes de I'édifice roman. De cette vaste construction gothique qui passait, toute inachevée qu'elle fût, pour un des plus beaux types de l'art des XIIIe et XIVe siècles, il ne reste aujourd'hui que le plan général, toujours et heureusement respecté, la porte dite de l'Évêque, entre le transsept gauche et l'abside, et, enfin, le chevet même. La porte de l'Évêque n'est point arrivée jusqu'à nous sans avaries ; elle porte la trace des trop nombreuses restaurations qu'elle a dû subir, les statuettes sont modernes : néanmoins, c'est encore un agréable spécimen d'un art de transition.

Les parties subsistantes de l'ancienne abside ont une tout autre valeur ; c'est là, en réalité, que tous les architectes postérieurs sont venus s'inspirer, plus ou moins consciencieusement, pour reconstruire, restaurer et achever l'œuvre sans cesse interrompue, c'est là seulement aussi qu'on retrouve la simplicité, la netteté, ln noblesse du XIIIe siècle. « Il est difficile, dit M. de Buzonnière, d'embrasser d'un coup d'œil l'ensemble du chevet, à moins de se placer dans l'étage supérieur d'une des maisons particulières situées à l'est de l'église ; mais de ce point se présente un aspect admirable. Sur le soubassement circulaire se festonnent les absides des chapelles avec leurs nombreux contreforts à pinacles, leurs longues fenêtres ogivales, leur belle corniche et leur balustrade, le tout formant comme une grande terrasse d'où s'élèvent et rayonnent les plans découpés des contreforts, leurs arcatures et leurs pinacles. Au milieu de ces longs bras de dentelle qui l'appuient sans le cacher, se découvre le rond-point du sanctuaire, aérien lui-même, tout percé à jour de fenêtres élancées et surmonté du cône de la toiture. Au delà, la ligne des combles du chœur part jusqu'à celle des transsepts dont les flancs et le toit forment un fond opaque à ces lignes distinctes ; enfin, l'obélisque du clocher domine l'ensemble et, plus loin, le vaporeux dessin des deux tours… Les fenêtres des chapelles sont très élancées et tracées en ogive tiers-point. Leurs pieds-droits sont ornés de colonnettes très grêles, à chapiteaux de feuillage. Elles ont un seul meneau ; leur réseau se compose de deux têtes de trèfles surmontées de deux trèfles complets et d'un quatre-feuilles inscrit dans un cercle ; toutes les nervures sont doriques… La balustrade qui couronne le chevet de la chapelle de la Sainte-Vierge a évidemment servi de modèle à toutes les autres. Toutefois, il ne faut pas conclure de là qu'elle soit du XIIIe siècle. C'est une alliance mal assortie de Renaissance et du style flamboyant, et on ne peut la faire remonter au delà des premières constructions du XVIe siècle. »

Le chef-d'œuvre de l'art ogival devait, en effet, périr avant d'être achevé. En 1562, une première fois, les Huguenots pillèrent les trésors accumulés dans Sainte-Croix. En 1568, au moment où un édit de pacification allait mettre fin à leur domination dans la ville, les plus fanatiques d'entre eux, sous l'impulsion de Théodore de Bèze, alors étudiant à l'Université, sapèrent les maîtres piliers en les soutenant par des étais de charpentes autour desquels ils entassèrent des matières inflammables. Dans la nuit du 23 au 24 mars, après une célébration de la Cène, l'incendie fut allumé, et l'édifice, quelques heures après, s'écroula avec fracas au milieu des flammes et de la fumée ; les onze chapelles de l'abside, les tours romanes, la porte de I'Évêque, six piliers du chœur, quelques pans de murs, çà et là, survécurent seuls au désastre. Grâce à l'énergie de l'évêque, Mgr de La Saussaye, les travaux de restauration furent commencés presque immédiatement et continués, autant que les malheurs du temps le permettaient, durant les règnes de Charles IX et de Henri III. Néanmoins, ce fut seulement sous Henri IV que l'on put refaire un plan général et se procurer les ressources suffisantes. Le roi pacificateur vint lui-même, avec la reine Marie de Médicis, le 18 avril 1601, poser la première pierre d'une reconstruction qui devait, il est vrai, durer plus de deux siècles, mais qui, sous son règne et sous celui de son fils, fut déjà poussée avec une remarquable activité.

Il est bien curieux de suivre, durant ces deux siècles, soit dans l'église même, soit dans les documents manuscrits ou graphiques, les transformations qu'eut à subir le projet primitif suivant les goûts des nombreux architectes qui se succédèrent dans la direction des travaux. Pour tous, le problème à résoudre était compliqué et difficile, car tous, élevés dans les principes classiques, eurent à mettre de côté leurs études et leurs prédilections pour s'efforcer de reprendre les traditions d'un art oublié et méprisé, l'art du Moyen Age. Pouvaient-ils le faire tous avec la même intelligence, la même bonne volonté, la même abnégation? Non, cela est évident. De là, dans toutes sortes de détails, ces étranges incertitudes et ces disparates bizarres qui restent, pour l'observateur, si intéressants et si instructifs, et devant lesquels on se sent surpris que la puissance mystérieuse de la vieille tradition ait été assez tenace, dominante et irrésistible pour que toutes ces hésitations ou toutes ces trahisons se perdent, en fin de compte, dans la majesté, un peu bigarrée, mais incontestable, de l'ensemble.

L'architecte de 1601 ne nous est pas connu. Mais nous savons que tous les travaux étaient dirigés et contrôlés, dès cette époque, par une commission spéciale et locale à laquelle le roi, qui fournissait les fonds, avait délégué ses pouvoirs. Ce Bureau de la réédification, composé de cinq membres, trois chanoines et deux notables, sous la présidence de l'évêque, fonctionna régulièrement jusqu'en 1767, pendant plus d'un siècle et demi. C'est à l'influence de cette commission, qui choisissait les architectes et qui examinait les devis, qu'on doit sans doute la fidélité plus ou moins enthousiaste des constructeurs à la tradition gothique. En 1628, Théodore Lefebvre, d'Orléans, architecte du roi et de S. A. le duc, élève le portail du Nord, en style mixte et lourd, où des colonnes corinthiennes supportent une balustrade à quatre feuilles, où la rose flamboyante est flanquée de panneaux Renaissance. Son successeur, Barbet (de 1642 à 1653), veut rompre plus nettement encore avec le Moyen Age. « ll dédaigna tout ce qui l'entourait, et au milieu de cette forêt de contreforts prismatiques et de pinacles à crochets, au milieu de ce tissu d'arcs rampants et d'arcatures à jour, il planta un obélisque enjolivé à la moderne. » Ce chef-d'œuvre, composé d'un soubassement octogone et d'un piédestal ajouré, en retrait sur le soubassement, avec consoles renversées à ses angles, le tout surmonté d'une aiguille octogone de vingt et un mètres amortis par une boule et une croix, coûta dix ans de travail et quinze mille livres d'argent. Achevé en 1653, laid et peu solide, il fut démoli en 1691. C'était Jules Hardouin Mansart qui présidait alors aux destinées de la Cathédrale et ce grand artiste eut le mérite de repousser le nouveau projet plus ridicule encore qui lui était présenté par un architecte de la ville, Hainault. Il s'agissait, celle fois, d'un obélisque de pierre à huit pans, flanqué de huit vases, huit candélabres et huit anges. Pour asseoir cette masse accablante sur les piliers de la croisée, il eut fallu d'énormes travaux de consolidation. Mansart proposa un contre-projet qui fut adopté. Si la flèche qu'il fit élever en 1707 et qui, trop lourde encore pour ses supports, a dû être jetée bas en 1858 et remplacée alors par l'aiguille plus légère due à M. Bœswilwald, n'était pas une restitution tout à fait pure de l'art du Moyen Age, c'en était au moins une imitation intelligente et respectueuse. Il semble, du reste, que ce respect pour la tradition gothique, même chez les membres de la commission locale, n'allait pas au delà du gros œuvre architectural. Pour tout ce qui concerne le décor complémentaire ou le mobilier, c'est le goût du jour qui domine sans conteste. Malgré quelques protestations faites par Mansart, le jubé, très pompeux et très surchargé, avait été achevé, vers 1694, sur des dessins fournis autrefois par Le Brun. Le seul morceau qui reste de cette construction, alors très admirée et détruite en 1791, est le Christ, sculpté par Tuby, qui se trouve aujourd'hui dans le collatéral. Quelque temps après, les dessins pour les stalles du chœur furent demandés à Jacques-Jules Gabriel, contrôleur général des bâtiments du roi, et l'exécution de ces dessins confiée, à la suite d'une adjudication, à Jules Degoullons, sculpteur du roi à Paris (3). Sainte-Croix courut de plus sérieux dangers sous le successeur de Mansart, son beau-frère et élève, Robert de Cotte. En 1706, de Cotte fit démolir ce qui restait de la basilique romane, le portail et les deux tours, et présenta un projet de façade plaquée en style grec, dans des proportions colossales. L'énormité de la dépense fit heureusement ajourner les travaux qui commençaient à peine lorsque de Cotte fut remplacé, en 1723, par Jacques-Jules Gabriel. Celui-ci ne tarda pas à s'adjoindre, comme collaborateur, son fils déjà célèbre, Jacques-Ange.

C'est aux Gabriel qu'on doit le projet d'ensemble de la façade nouvelle, dont ils firent exécuter, en 1739, un modèle en bois qui est aujourd'hui encore conservé au palais de l'évêché. La partie inférieure s'y présente, comme aujourd'hui, divisée en trois grandes zones horizontales : 1° trois portes, de hauteur égale, avec tympan ogival, mais toutes trois surmontées également de la corniche qu'un successeur de Jacques-Ange a supprimée heureusement dans la porte centrale, et accompagnées de piédestaux sans ornements que Trouard a complétés par des niches à pinacles portant des statues ; 2° trois roses à rinceaux composites qui n'ont été que peu modifiées ; 3° une galerie à jour, soutenue par des colonnettes. Si le parti pris général est resté le même dans l'exécution, presque tous les détails ont été changés. Ce n'est pas, du reste, sans mille hésitations et sans de nombreux tâtonnements que Jacques-Ange était arrivé à combiner ce projet auquel devaient, plus ou moins, se rattacher ses successeurs. Un dessin de 1734 montre qu'il avait d'abord imaginé les tours octogones avant de les faire carrées, par étages, comme elles le sont dans le modèle de 1739 et comme elles devaient être à la fin établies non sans d'importantes modifications. Tous ses successeurs furent, en effet, préoccupés de donner à ces énormes masses une légèreté et une richesse que Gabriel avait cherchée et rêvée, mais sans l'atteindre et la réaliser. Trouard, Legrand, Paris, qui eurent charge du monument jusqu'à la Révolution, ne furent pas, sans doute, toujours également heureux dans leurs innovations, mais ils comprirent tous trois la nécessité de cet allègement et montrèrent, dans l'emploi décoratif des formes gothiques, plus d'aisance et de liberté que leurs prédécesseurs. La voussure de la baie centrale, les roses flamboyantes, la corniche et la balustrade, que l'on doit à Trouard, le premier et le second étage des tours, avec leurs escaliers d'angle ajourés et leurs gracieuses colonnettes, dans lesquelles un simple entrepreneur, Legrand, fit preuve d'une imagination plus originale que celle des maîtres patentés, comptent parmi les meilleurs morceaux de l'édifice. En 1790, le troisième étage des tours fut achevé sur les dessins de Paris (Pierre-Adrien), de Besançon, élève de Trouard. Esprit ouvert et cultivé, le collaborateur de l'abbé de Saint-Non et de d'Agincourt, le futur directeur des fouilles de Rome, apporta, dans ce travail, un goût libre et distingué. « C'était la partie la plus élégante de l'édifice, dit M. de Buzonnière ; sa colonnade svelte et presque aérienne s'arrondissait en couronne, sans autre soutien que quatre piliers intérieurs dont le volume était dissimulé par autant de groupes de colonnes détachées. Rien n'était délicat comme ce diadème de filigrane, lorsqu'il se découpait, à midi, sur l'azur du ciel, ou, le soir, sur le disque argenté de la lune. » Malheureusement, cette ornementation gracieuse était d'une construction trop évidée et trop frêle. On dut, pour la consolider, changer les piliers intérieurs en massifs prolongés.

La Cathédrale, devenue, sous la Révolution, le temple de l'Éternel, fut rendue au culte catholique en 1796. Les travaux d'achèvement et de restauration furent dirigés par Pagot de 1802 à 1829. Le dernier travail important qu'on ait fait à l'extérieur est la flèche construite par M. Bœswilwald, en 1858, en remplacement de celle d'Hardouin Mansart, bâtie en porteà-faux, et qui menaçait ruine. Les œuvres d'art qui ornent l'intérieur de la Cathédrale sont presque toutes modernes. Les verrières les plus anciennes sont celles des deux roses du trnnssept, dues à Levieil, de Rouen, mort en 1731. L'ouvrage de sculpture le plus important, avec le Christ de Tuby, est la Notre-Dame des Douleurs, par Michel Bourdin, Orléanais, de 1622, placée dans la chapelle du Christ, et, parmi quelques toiles conservées dans la sacristie, on remarque une belle œuvre de Jean Jouvenet, le Christ au Jardin des oliviers. Depuis 1888, on a placé dnns le bas-côté droit le monument élevé à la mémoire de l'évêque Dupanloup et dont les sculptures sont dues à Henri Chapu.

LES AUTRES ÉDIFICES RELIGIEUX - LA FAÇADE DE SAINT-JACQUES

Les autres édifices religieux d'Orléans n'offrent qu'un intérêt secondaire. Les parties anciennes y sont rares, d'une conservation souvent médiocre, et sans caractère particulier. En dehors des vestiges que nous avons déjà signalés à Saint-Pierre-le-Puellier et à Saint-Donatien, quelques parties de Saint-Euverte, pour les périodes romane et gothique, méritent, presque seules, un examen attentif.

Le plus joli morceau du XVe siècle qu'on pouvait voir encore, il y a quelques années, dans la rue Sainte-Catherine, l'église Saint-Jacques, a été récemment démoli. La municipalité en a d'ailleurs fait transporter respectueusement la façade dans un jardin dépendant de l'Hôtel de ville, et c'est une attention intelligente dont il faut la remercier. Si endommagée qu'elle soit, celle chapelle, qui doit très probablement sa construction à Louis XI « fort dévot envers Monsieur saint Jacques », est encore un de ces ouvrages de transition entre le Moyen Age et la Renaissance qui montrent avec quelle aisance et quelle grâce nos artistes opéraient cette inévitable et nécessaire évolution. Deux portes ogivales, à voussures profondes et richement sculptées, accostées de niches avec dais et pinacles non moins librement fouillés, se relient par une corniche très accentuée, à moulures vigoureuses, à un pignon plan, en appareil régulier, percé de trois baies inégales en hauteur et en largeur, d'une extrême simplicité. Au centre, soutenu par une saillie de la corniche, s'avance, en encorbellement, une sorte de tourelle, basse et tronquée. L'aspect d'ensemble est singulier, d'une originalité audacieuse et expressive ; on voit que l'artiste, dans une rue étroite, avec des ressources peut-être limitées, a voulu surtout faire œuvre d'ornemaniste et de sculpteur. Néanmoins la beauté ferme des profils dans les baies et dans les corniches nous prouvent sa valeur comme architecte. La décoration des voussures et des niches de Saint-Jacques passe à bon droit pour une des œuvres les plus délicates et les plus curieuses de l'école locale au XVe siècle. Sous le hangar qu'abrite le portail de Saint-Jacques on a transporté aussi et replacé les deux vastes arcatures qui couronnaient les autels de la Vierge et de Saint-Jacques sur les parois du fond dans cette vieille chapelle. Les ornements en sont également capricieux et délicats ; au-dessus de la plus grande est représenté un Calvaire.

LA SALLE DES THÈSES

Malgré toutes les dévastations qu'elle a subies, dans un passé lointain, par les guerres et par les incendies, dans un passé récent, par les embellissements et par les démolitions, la vieille ville d'Orléans renferme encore un bon nombre de petits édifices, publics et privés, dans lesquels on peut suivre, avec intérêt, l'histoire du goût français dans l'architecture civile, durant les XVe et XVIe siècles.

La Salle des Thèses, dans l'ancienne rue de l'Écrivinerie (rue des écrivains, libraires, enlumineurs) aujourd'hui rue Pothier, nous reporte aux jours glorieux de son antique Université où se pressaient quatre à cinq mille étudiants de toute nationalité. C'est en 1337 que l'Université, jusqu'alors installée au couvent des Jacobins, fut transportée dans l'intérieur de la ville, mais par suite des malheurs publics, la salle d'honneur ne put être construite immédiatement. En 1411, on signa un contrat pour achat de maisons « afin de bâstir la librairie d'icelle Université qu'on veut faire en une place de maisons abattues ». Les travaux, interrompus par la guerre, paraissent avoir repris assez vite après le siège, car, en 1441, l'édifice est achevé. Dans ses proportions modestes, c'est un des monuments les plus purs qui nous soient restés de cette époque et des mieux appropriés à sa destination. La salle des Thèses, achetée par la ville d'Orléans, restaurée par M. Lisch, devenue le siège de la Société archéologique, est, heureusement, désormais, à l'abri des aventures qui faillirent jadis entraîner sa disparition. Deux larges baies ogivales en occupent tout le fond, au-dessus d'un soubassement, et l'emplissent d'une lumière calme. Trois colonnes centrales la soutiennent et la divisent. Ces colonnes, fermement posées sur des socles à pans coupés, sveltes et légères, montent d'un trait, sans arrêt de chapiteaux, jusqu'à la voûte, pour s'y développer en fines nervures, qui retombent de l'autre côté de l'ogive, comme des branches fourchues sorties du même arbre, et posent leurs extrémités sur d'élégants culs-de-lampe. Ces culs-de-lampe sculptés représentent des anges, des saints, des docteurs. Dans chaque clef de voûte se montre un écusson ; à gauche, ce sont les armoiries du roi Philippe IV, qui fonda l'Université, du pape Clément V qui la bénit, de Charles, duc d'Orléans, qui la protégea, du chapitre de Sainte-Croix, dont elle relevait ; à droite, celles des nations qui envoyaient le plus d'étudiants, la Normandie, la Picardie, l'Allemagne, la France. C'est la décoration expressive et appropriée telle que la comprenait le bon sens de nos pères. Rien de mieux fait pour le recueillement , la lecture, la méditation, que cette salle paisible dans laquelle vinrent se préparer à la vie tant de jeunes gens dont l'histoire devait conserver les noms, Érasme, Calvin, Théodore de Bèze, Jean et Jacques de La Taille, Étienne de La Boétie, Ducange, Molière, La Bruyère, Charles Perrnult et bien d'autres.

En suivant l'ordre chronologique et en laissant de côté plusieurs maisons, éparses dans la ville, dont certaines parties remontent aux XIVe et XVe siècles, les deux monuments les plus importants sont ensuite le vieil Hôtel de ville (aujourd'hui Musée de peinture) et la Mairie actuelle.

L'HÔTEL DES CRÉNEAUX

Le premier (ancien hôtel des Créneaux) fut construit, entre 1498 et 1518, par Charles Viart, cet artiste savant et distingué à qui l'on doit le charmant Hôtel de Ville de Beaugency, et qui, l'un des premiers, montra comment l'esprit de la Renaissance pouvait animer et rajeunir la vieille et honnête tradition des architectes français sans la corrompre ni la bouleverser. Si mutilée, si délabrée qu'elle soit, la façade qui se présente sur la rue Sainte-Catherine affirme bien haut les qualités remarquables de Viart comme constructeur et comme décorateur ; la restauration désirable de ce chef-d'œuvre ne serait qu'une affaire d'argent puisqu'aucune partie essentielle n'a été détruite et qu'on peut reconstituer, à coup sûr, toute l'ornementation. La façade comprend deux étages, divisés en quatre travées par des pilastres cannelés à chapiteaux feuillus. Le rez-de-chaussée, d'appareil régulier, avec un parti pris de masses pleines irrégulièrement percées de lucarnes quadrangulaires, rappelle nettement par ses dispositions les soubassements de l'école de L.-B. Alberti. Comme les rez-de-chaussée des palais florentins, c'était un magasin, le dépôt du sel municipal, le salouer. Les quatre fenêtres du premier étage, assez rapprochées les unes des autres, occupent et éclairent presque toute la façade avec leurs belles lignes droites, fermes et nettes, dont d'élégants meneaux en croisée, aujourd'hui disparus, allégeaient et égayaient autrefois la hauteur ; elles donnent à cette partie principale un aspect de gravité accueillante et ouverte tout à fait juste et appropriée. Sur les montants qui les séparent, sous des dais ajourés, se dressaient, dans des niches, cinq statues de rois et de ducs. Rien de plus élégant, dans sa richesse ingénieuse, que l'entablement à coquilles et la balustrade qui couronnent cette façade et la relient à la grande toiture. Si Charles Viart a nettement introduit dans son œuvre la pureté des lignes et la régularité du décor qui lui sont inspirés par ses études florentines, il n'a rien sacrifié pourtant des qualités indigènes, logique dans la construction et franchise dans l'expression. C'est une alliance heureuse et charmante de l'art qui s'en va et de l'art qui vient.

L'HÔTEL GROSLOT

Les historiens ont constaté de tout temps, dans l'esprit orléanais, avec une certaine vivacité critique et de l'énergie au labeur, un fonds persistant d'attachement aux traditions éprouvées qui semble l'avoir toujours mis en garde, dans les innovations, contre les trop brusques ruptures avec le passé. On ne comprendrait pas, par exemple, comment tous les architectes de la cathédrale d'Orléans, malgré leurs répulsions personnelles, ont été constamment forcés, plus ou moins, d'en revenir aux formes du Moyen Age, s'ils n'avaient constamment subi, à ce sujet, l'influence de l'esprit local représenté, nous l'avons vu, par une commission permanente. Ce qui devait se passer aux époques académiques s'était déjà passé, ce semble, à l'heure même de la Renaissance. L'hôtel Groslot, devenu la Mairie moderne, sur la place de l'Étape, bâti en 1530, par Jacques Groslot, bailly, en est une preuve évidente. Jacques Groslot, issu d'une famille de riches marchands, conseiller du roi, chancelier de la reine de Navarre, esprit libre et grave, était père d'un huguenot déclaré, Jérôme Groslot, qui fut tué à la Saint-Barthélemy. Porté, sans nul doute, par sa gravité d'esprit, à se défier des élégances italiennes, il ne voulut point de logis en belles pierres blanches, sculptées et brodées, comme c'était déjà la mode ; il s'en tint à la construction en brique dans le goût flamand, plus simple, mais plus colorée, plus familière et moins froide, telle qu'on l'avait employée, avec tant de bonheur, durant le XVe siècle, sur les bords de la Loire, notamment à Tours. L'hôtel Groslot, restauré par Delton, de 1850 à 1854, a subi, dans ce remaniement, quelques modifications plus ou moins heureuses, telles que la surélévation du rez-de-chaussée et l'adjonction d'un perron fantaisiste, qui en changent un peu l'aspect. Néanmoins, avec ses trois corps de logis, dont le central et le principal est en retraite sur les deux autres, développant leurs façades d'un rouge sombre enserrées et rehaussées par des bordures et moulures de pierres blanches, avec ses sept pignons dentelés découpant leurs crêtes sur le ciel, c'est encore un monument remarquablement agréable et pittoresque, d'un abord facile et d'une disposition commode. De jolies cariatides du XVIe siècle, bustes d'hommes et de femmes, soutiennent les consoles des portes latérales ; la tradition les attribue à la jeunesse de Jean Goujon. La plupart des sculptures modernes, statues ou bas-reliefs, ont été exécutées par Jouffroy. C'est dans l'hôtel Groslot que se tinrent, en 1560, les États d'Orléans et que François Il rendit le dernier soupir dans les bras de sa jeune femme, Marie Stuart, dont le souvenir reste inséparable pour les Orléanais, de leur Hôtel de ville.

LA MAISON DITE « D'AGNÈS SOREL »

L'imagination populaire semble d'ailleurs avoir voulu rattacher un nom de femme illustre à presque toutes les maisons remarquables de la Renaissance qui subsistent encore dans la vieille ville. La plus curieuse et la plus charmante d'entre elles, celle de la rue du Tabourg, nos 13 et 15, portera toujours le nom d'Agnès Sorel, bien que le séjour de la favorite dans cette résidence, dont la construction, pour la plus grande partie, ne remonte pas au delà du XVIe siècle, ne soit aucunement prouvé ; la légende n'a pourtant rien d'invraisemblable, si la maison primitive avait été donnée, comme on l'assure, par Charles VII à Pierre Compaing, en récompense de sa belle conduite pendant le siège. La façade seule est du XVe siècle. La simplicité et la régularité de son ordonnance, la sobriété et l'élégance de son décor en font un des types les plus remarquables de cette époque de transition. Par une recherche de symétrie alors rare, la porte rectangulaire occupe le milieu, entre deux arcades à cintres surbaissés qui ont toujours, sans doute, servi de boutiques. Sur le linteau de pierre en plate-bande, se déroulent, en bas-reliefs, de légers rinceaux qui fleurissent en têtes fantastiques, avec deux enfants nus portant un écusson. La porte en bois est conservée, et le tympan supérieur représente un triomphe. Les deux étages sont semblables, chacun avec deux grandes fenêtres centrales à meneaux en croix et deux petites aux extrémités, à la distance d'un mètre les unes des autres ; les grandes sont couronnées par un chambranle rectangulaire dont les retombées s'appuient sur des culs-de-lampe à figures accroupies. Une corniche de feuillages, soutenue par des culs-de-lampe, sépare les étages dans toute la longueur de la façade.

L'intérieur est aussi intéressant que l'extérieur. C'était un vaste logis comprenant cour et arrière-cour entourées de constructions et s'étendant jusqu'à une petite rue, la rue du Puits-Landeau (le Puits London, où, pendant le siège, avaient été jetés, après un combat sanglant, plusieurs soldats anglais). Dans la première, une assez longue galerie sur arcades présente une ferme et élégante décoration de pilastres et de panneaux ornés accompagnant de larges fenêtres rectangulaires. L'ouvrage est, évidemment, postérieur à celui des autres corps de bâtiment qu'il relie et qu'il complète. L'ornementation du XVIe siècle est plus riche et plus abondante, plus inégale et moins soignée. Le plafond de la galerie ouverte du rez-de-chaussée frappe en particulier les yeux par son luxe de sculpture. Trente-deux caissons, encadrés de moulures, y montrent les sujets les plus divers, des têtes d'animaux, des trophées d'armes, des cœurs traversés de flèches, des roses et des fleurs de lis, des poires sur un plat (les fruits qu'aimait la belle Agnès, dit la légende), toute une série de ces emblèmes souvent obscurs dans lesquels aimait à se jouer l'imagination à la fois raffinée et naïve de la Renaissance. Tout ce qui reste, d'ailleurs, dans la demeure, de cette époque, montre que le propriétaire avait en toute chose apporté le même soin et la même recherche. Le pavé de la cour, disposé en mosaïque, le puits, avec sa tête de lion sur sa margelle, la belle structure de l'escalier à vis, témoignent du passage d'un artiste attentif. L'un des morceaux les mieux conservés est la grande cheminée qui orne la vaste salle du rez-de-chaussée avec un bas-relief de deux génies supportant un écusson et qui a servi de modèle pour la cheminée de la salle des mariages à l'Hôtel de ville. La conservation de ce charmant édifice est désormais assuré par l'installation récente d'un musée de Jeanne d'Arc, consacré à l'iconographie et aux souvenirs de l'héroïne nationale.

LA MAISON ET LE CABINET « DE JEANNE D'ARC »

A quelques pas de la maison dite d'Agnès Sorel, une autre maison, dite de Jeanne d'Arc, rappelle, avec plus de certitude, le séjour de l'héroïne. Si ce n'est pas dans la maison actuelle de l'Annonciade, construite seulement en 1580 par François-Colas des Francs, que coucha la douce Jeanne le soir de son entrée dans la ville, le 29 avril 1429, on sait, d'une façon certaine, que la vieille maison en bois où elle reçut l'hospitalité, la maison du trésorier Jacques Boucher, occupait une place voisine ; l'on croit la reconnaître dans la maison à pans de bois qui porte le n° 33. Le pavillon en pierre, d'architecture régulière et classique, dans une arrière-cour, qui a conservé le nom de Cabinet de Jeanne d'Arc, n'est, au contraire, qu'une construction du XVIe siècle, peut-être élevée par le même Colas des Francs sur l'emplacement d'un pavillon occupé, en effet, par Jeanne d'Arc. Les deux étages, dont la façade, très simple, est divisée en deux par des pilastres, s'élèvent sur un soubassement de pierres taillées en bossage. Les fenêtres sont cintrées et surmontées de cartouches quadrangulaires soutenus par des mascarons. La décoration extérieure et intérieure, avec ses figures mythologiques, faunesses, chimères, et faunes, marque la pleine Renaissance. On a tout lieu de croire que ce pavillon, avec ses murailles épaisses, ses portes et fenêtres très étroites et grillées au rez-de-chaussée, ses salles voûtées en pierre, à l'abri du feu, n'était point destiné à l'habitation, mais que c'était une sorte de trésor où l'on enfermait les objets précieux et les archives de famille. Le pavillon de l'Annonciade a été attribué à Du Cerceau dont on reconnaît, dans les ornements, le caractère accoutumé, si l'on s'en rapporte à son œuvre gravé.

Deux autres hôtels non moins remarquables, offrent encore des spécimens bien caractérisés de l'art de la Renaissance au milieu du XVIe siècle.

LE LOGIS DIT « DE FRANÇOIS Ier »

L'un est le logis dit de François Ier, rue de la Recouvrance, qui ne fut pas bâti pour le roi, mais qui lui coûta sans doute quelque chose, car il fut habité par Anne de Pisseleu, demoiselle du Heilly, qui y prit le titre de duchesse d'Étampes. Le propriétaire était Guillaume Toutain, valet de chambre du dauphin. La façade, ornée de six pilastres ioniques, en est fort simple et faite pour ne point attirer l'attention ; l'intérieur, au contraire, est d'une élégance remarquable, soit dans la construction, soit dans le décor. C'est dans la coquille formant l'encorbellement d'une petite tourelle, au fond de la cour, qu'on lit la date de 1540. Cette coquille, formant un éventail à sept branches, dont chacune est divisée en cinq caissons, est un morceau exquis, autant par l'élégance de la coupe que par la grâce légère des reliefs sculptés à fleur de pierre dans les caissons, emblèmes d'amour, têtes de chérubins, rosaces et bouquets. L'un des compartiments montre une femme nue, portant une corne d'abondance, le cœur percé d'une flèche par un petit amour qui la suit, dans laquelle on a cru voir, avec plus d'imagination que de vraisemblance, une image exacte de la duchesse d'Étampes. La disposition générale de l'habitation rappelle celle de la maison d'Agnès Sorel. On y trouve de même, à gauche, une galerie (ouverte ici à ses deux étages) reliant les différents corps de logis. Les colonnes du rez-de-chaussée, assez sveltes, ont des chapiteaux corinthiens ; celles du premier, courtes et trapues, supportent des chapiteaux ioniques pesants et lourds. Deux portes cintrées à frontons triangulaires, aux deux bouts de la galerie, correspondent aux cages des escaliers. C'est dans le fronton de la porte de l'ouest qu'on remarque l'emblème de la salamandre. Les solives des étages supérieurs portent les traces de fleurs de lis sculptés alternant avec des dauphins.

L'HÔTEL CABU

Vers le même temps, un architecte inconnu, qui est peut-être Jean Bullant, construisait, dans la rue des Albanais, pour Pierre Cabu, un hôtel devenu célèbre sous le nom de Maison de Diane de Poitiers, plus important encore au point de vue architectural. La netteté du parti pris, la fermeté élégante et pure des colonnes et des entablements, la sobriété mâle et vive de la décoration accusent la main d'un artiste supérieur qui conçoit et exécute dans le même esprit que l'illustre architecte d'Écouen. L'ornement sculptural, rare et bien placé, n'est plus là une simple broderie superficielle qui orne, couvre ou envahit la construction, c'est une accentuation, délicate ou énergique, de cette construction même. C'est surtout dans la façade intérieure, sur la cour, où l'architecte a été pourtant bien gêné par l'étroitesse de l'espace, et n'a pu donner la même longueur à ses deux pavillons en saillies, qu'on admire ces qualités vraiment classiques. Aussi est-ce de ce côté qu'on a placé, avec raison, l'entrée du Musée Historique installé, depuis 1861, dans ce charmant palais dont la conservation se trouve ainsi assurée, ainsi que celle de la maison d'Agnès Sorel, par les soins du même érudit patient, infatigable et modeste, M. l'abbé Desnoyers. Pourquoi l'édifice porte-t-il le nom de Diane de Poitiers ? Parce que, suivant la tradition, la favorite y aurait été transportée et soignée à la suite d'une chute de cheval qu'elle fit en entrant à Orléans en 1551. Rien ne prouve, en effet, qu'elle en ait été ni la propriétaire, ni la locataire. C'est dans une maison voisine, de moindre apparence, qu'on a trouvé, dans des caissons sculptés, l'emblème des croissants enlacés. A la suite de la façade principale, sur la rue Neuve, on voit aujourd'hui plusieurs façades en pierre et en bois des XVe et XVIe siècles. Ce sont les restes de maisons de la vieille ville, atteintes et renversées par les alignements modernes, que la municipalité a fait transporter et réédifier avec le plus grand soin.

LA MAISON D'ALIBERT ET LA MAISON DE LA COQUILLE

Il faut souhaiter que les mêmes mesures soient prises lorsque les brutalités fatales de la voirie menaceront les derniers édifices de la Renaissance qu'on voit encore dans les bas quartiers, dans la rue Pierre-Percée, déjà plus qu'à moitié comblée, et aux environs du Châtelet. Parmi les logis bourgeois, servant à la fois au commerce et à l'habitation, la Maison de Jean d'Alibert et la Maison à la Coquille sont justement admirées des artistes pour la simplicité nette et facile de leurs proportions autant que pour l'élégance de leur décor. Les deux façades présentent la même apparence : sur la droite du spectateur une large baie cintrée ouvrant sur une vaste salle et accostée sur la gauche d'une petite porte ouvrant sur un couloir. Au-dessus de cette porte, une fenêtre géminée éclaire le couloir. Les deux étages supérieurs conservent le même parti pris ; au-dessus de la petite porte se superposent deux étroites lucarnes ; au-dessus de la grande, de larges fenêtres flanquées à droite d'un panneau plein, et à gauche d'une fenêtre étroite de même hauteur. Toutes les divisions sont établies par des pilastres. Il y a toutefois de grandes différences pour la qualité du dessin et pour celle de l'exécution entre les deux logis. La maison d'Alibert, d'une date antérieure, paraît avoir été le prototype de la maison à la Coquille. La finesse des profils, la pureté des moulures, la richesse des cartouches, la variété et la grâce des ornements sculptés, têtes de lions, mascarons, génies et guirlandes, y prouvent la direction soigneuse d'un artiste distingué. La maison de la Coquille est exécutée avec plus de négligence et les détails en sont quelquefois un peu lourds. Elle contenait, d'ailleurs, un chef-d'œuvre de sculpture ornementale, la magnifique cheminée qu'on voit au Musée historique, sur laquelle sont représentés, dans les trois tympans supérieurs, la Prédication de saint Jean, le Baptême de Jésus-Christ, la Décollation de saint Jean, et au-dessous, au milieu d'arabesques délicieuses, David, Hercule, Bacchus. L'ouvrage est hors ligne et d'un sculpteur de premier ordre. Dans la copie qui en a été faite pour l'Hôtel de ville, les trois sujets religieux ont été remplacés par trois épisodes de la vie de Jeanne d'Arc.

LE CABINET DE LA RUE DU POIRIER

A quelques pas des maisons d'Alibert et de la Coquille, dans la cour d'une maison de commerce, rue du Poirier, il faut encore aller admirer un charmant Cabinet construit en 1540 au-dessus d'un passage voûté, et portant au-dessus de son fronton l'inscription : Pax huic Domi. Le médaillon de Henri IV, dans le tympan du fronton, a été ajouté postérieurement, mais la beauté ferme de l'ensemble rappelle le style de l'hôtel Cabu.

Quelle est la part de Bullant, quelle est surtout celle de Ducerceau, homme du pays, quelle est celle d'autres artistes moins connus dans ce développement orléanais de l'architecture civile au XVIe siècle ? Pour éclaircir ce problème, ce ne sont pas les œuvres qui manquent. Malgré bien des dévastations, le vieil Orléans conserve encore beaucoup d'autres constructions, intactes ou mutilées, qui sont encore les preuves visibles d'une longue activité. Jusqu'à présent, par malheur, les documents écrits ne nous ont pas apporté toutes les lumières désirables et, sauf Charles Viart, aucun des artistes qui avaient fait d'Orléans, à la Renaissance, une ville si pittoresque, n'a recueilli encore la part de gloire qui lui est due.

GEORGES LAFENESTRE,
Membre de l'Institut, Professeur suppléant au Collège de France, Conservateur des Musées nationaux.


1- Histoire architecturale de la ville d'Orléans, par M. de Buzonnière, 2 vol. in-8°, Paris et Orléans,1849, t. I, p. 297.

2- Orléans, par René Biémont,Orléans, H. Herluison, 1880, p. 119.

3- Les dossiers de ces stalles, un chef-d'œuvre de sculpture décorative, sont conservés dans la chapelle du grand séminaire. La tradition en attribuait les dessins à Le Brun, jusqu'à la publication des pièces justificatives, par M. Vignat, dans le t. XVII de la Réunion des Sociétés des Beaux-Arts des départements (année 1893), p. 722 à 756.


<== Retour