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JEU DES EMBLÈMES.


Récréez-vous, attrayante jeunesse,
Et livrez-vous à des jeux innocents ;
Quand on bannit les ennuis, la tristesse,
On a toujours bien employé le temps.

Pour commencer le jeu, une des personnes de la société mêlera les cartes et en remettra une à chaque joueur. Les dix numéros pairs seront destinés aux dames, et les dix impairs aux cavaliers. Si une des dames avait un numéro impair, elle pourrait l'échanger contre la carte d'un cavalier qui porterait un numéro pair. L'échange terminé, on passera à l'explication. Exemple : je suppose qu'un cavalier ait en main la violette, il devra annoncer qu'elle est l'emblème de la modestie. Si une dame avait un laurier, elle le désignera comme l'emblème de la victoire. Le premier cavalier devra donc expliquer à sa dame de droite l'idée emblématique de la carte qu'il lui remet, et la dame en devra faire autant de son côté. Pour juger si les joueurs ont deviné, on consultera ce livre au numéro indiqué ; et, en cas d'erreur, on donnera un gage. Le jeu peut être réitéré jusqu'à ce qu'il y ait assez de gages à tirer au sort. 

n°1 – LE CHIEN, emblème de la Fidélité.
Qui ne se rappelle avec attendrissement les traits de sensibilité, d'attachement et de courage de ce fidèle compagnon de l'homme? Que de belles leçons le Chien donne à l'humanité ! Patience, amitié, dévouement ne sont pas les seules qualités de cet intéressant animal : il nous apprend à pardonner. En lui l'adresse est jointe à l'audace, la soumission à l'intelligence et la constance à l'amour. Il ne lui manque, dit-on, que la parole ; mais non, ce don précieux lui a été accordé : sa voix plaintive, suppliante ou expressive, ses accents de douleur et de joie sont compris par tous les amis de la nature. Le Chien pleure, appelle, avertit, menace et se tait à propos ; enfin, cet ami sincère, ce modèle d'affection et de tendresse, de prudence et de sagacité ne sera jamais apprécié à sa juste valeur par ses tyrans inflexibles ; cependant que ne lui doivent-ils pas ?
Trop heureuse la Pastourelle
Qui, dans les yeux de son amant,
Peut lire même sentiment
Que dans ceux de son chien fidèle.

n°2 –LA COLOMBE, emblème de la Tendresse.
Jeunes Colombes qui êtes l'ornement de la société, livrez-yous au plaisir d'être aimées ; mais sachez faire un choix digne de votre tendresse. Riez du suranné biset qui veut vous inspirer des sentiments déjà usés en lui par les glaces de l'âge ; résistez au langage séduisant du léger ramier qui voltige de belle en belle ; et n'ouvrez votre cœur qu'au fidèle tourtereau dont la constance égale l'amour. Fuyez, innocentes Colombes ! fuyez surtout le dangereux exemple de la changeante fauvette. 
Tout dit qu'il faut vivre deux :
Aimez, brûlante jeunesse !
Qu'une durable tendresse
Vous donne des jours heureux.

n°3 – LE COQ, emblème de la Vigilance.
Ce fier Sultan qui se promène avec orgueil au milieu de son joli sérail est loin d'imiter la paresse des efféminés Pachas de l'Orient : dès que l'aurore aux doigts de rose ouvre les portes du ciel, il la salue de son chant aigu ; il appelle l'ouvrier au travail, le chasseur aux forêts, et le laboureur aux champs. En époux généreux, le Coq pourvoit aux besoins de ses nombreuses compagnes : avec quelles instances il les convie lorsqu'il a découvert quelque grain ! S'il se résout à s'en approprier, c'est lorsqu'il a amplement répandu ses bienfaits.
Chantre de l'aube renaissante,
Il précède l'astre du jour,
Et fait aux échos d'alentour
Répéter sa voix éclatante ;
Tous ses instants sont à l'amour.
Le Coq apprend à la molle indolence
Que la santé naît de la vigilance.

n°4 – LA VIOLETTE, emblème de la Modestie.
Heureux qui sent le plaisir de s'égarer, par une fraîche matinée du printemps, dans le riant empire de Flore. Là, c'est une prairie émaillée, ici, c'est un vert bosquet qui recèle les dons de l'amante de Zéphire ; quelle variété de couleurs! Une odeur suave et parfumée vient flatter mes sens ; mais d'où peut provenir cette exhalaison délicieuse qui m'attire? En vain l'orgueilleuse rose et le pompeux œillet, son audacieux rival, prétendent captiver mon attention, ils ne sont pas la cause des agréables sensations que j'éprouve. Déjà je t'ai reconnue, aimable violette ! et j'ai découvert ton asile ignoré et virginal. 
Bergère qu'Amour fit jolie,
De l'humble violette écoutez la leçon !
Les grâces, les attraits, les vertus, la raison
Ne sont rien sans la modestie.

n°5 – LE RENARD, emblème de la Finesse.
Cet industrieux carnivore prouve qu'en mainte occasion la finesse supplée à la force. Il emploie mille ruses pour faire tomber dans le piège les innocentes victimes de sa voracité. S'il est poursuivi, il déroute chiens et chasseurs ; et dès que la nuit a étendu ses voiles sombres sur l'atmosphère, il revient se placer à l'affût. En vain l'homme oppose à ses sanguinaires tentatives des barrières crues insurmontables, le renard triomphe de tous les obstacles. On ferait plusieurs volumes des tours qu'il a inventés et de ceux qu'il invente chaque jour ; aussi les fabulistes l'ont dépeint comme l'animal le plus fin et le plus astucieux. 
Jeunes poulettes
Trop indiscrètes,
Que des pas imprudents exposent aux hasards,
Craignez les malins tours des perfides Renards ;
Autour de vous il en rôde sans cesse.
En dépit des argus et malgré les mamans,
Ces adroits maraudeurs emploient en tout temps,
Pour vous tromper, la ruse et la finesse.

n°6 –  LE PÉLICAN, emblème de l'Amour maternel.
Si l'Amour, ce petit lutin qui se mêle de toutes les parties, offre des plaisirs, l'Hymen, son frère, ne tarde pas à imposer des devoirs dont le plus doux est celui que la reine Blanche a voulu remplir. Heureuse la jeune épouse qui jouit du premier sourire d'un tendre rejeton suspendu à son sein ! Quant à la marâtre qui le confie à des mains mercenaires, elle ne doit pas se plaindre des événements funestes dus à sa coupable indifférence.
À ses petits, le Pélican
Chaque jour prodigue son sang ;
Qui l'inspire? c'est la nature.
Mère froide, coquette ou dure !
Venez, d'un simple oiseau, venez prendre leçon :
Ce qu'il fait par instinct, faites-le par raison.

n°7 – LE LIERRE, emblème de l'Amitié.
L'amitié, ce présent du Ciel, est un sentiment peu apprécié par les humains ; cependant ils en parlent tous. Je vais voir un de mes intimes, dit le solliciteur, fier de savoir le nom d'un premier commis. Deux femmes se sont-elles vues trois fois, les épithètes de ma chère amie sont prodiguées de part et d'autre. Voici un de mes amis, dit un mari à sa moitié en lui présentant un homme qu'il a connu au café. Mettez ces amis-là à l'épreuve, vous en saurez juger. L'intérêt personnel, l'adversité, des rivalités, l'opinion, un seul prêt, font bientôt évanouir ces liaisons éphémères. Le véritable ami doit ressembler au lierre qui meurt où il s'attache.
O jeune amant, épris d'une aimable bergère !
Si vous êtes payé du plus tendre retour,
Pour jouir du bonheur que vous offre l'amour,
Aimez, attachez-vous tout ainsi que le lierre.

n°8 – LE MOUTON, emblème de la Douceur.
Pourquoi le chat, dont la robe fourrée est si belle, dont la démarche est si gracieuse et la souplesse tant admirée, pourquoi le chat, dis-je, n'est-il pas aimé ? Parce que sa bonté feinte cache un caractère méchant. Voyez ce jeune agneau sur les genoux d'une gente bergère, il est l'objet de ses affections ; cependant il n'a ni la voix harmonieuse du chantre des forêts, ni la fidélité de son gardien, ni la beauté du tigre domestique ; mais il possède la douceur ; c'en est assez pour être chéri.
Eussiez-vous l'esprit en partage,
Fussiez-vous riche, instruite et sage,
Eussiez-vous mille attraits, et noblesse et grandeur ;
Tous ces dons ne sont rien, Iris, sans la douceur.

n°9 – LE PHÉNIX, emblème de la Perfection.
Le voilà, cet oiseau précieux dont les poètes ont parlé avec tant d'enthousiasme, mais que jusqu'à présent personne n'a vu !
Qu'est le Phénix ? c'est un avare
Sensible à la voix du malheur ;
C'est un amant, chose bien rare,
Ne donnant qu'une fois son cœur ;
C'est un mari toujours aimable,
Un auteur sans prétention,
Un courtisan sincère, affable,
Un commis sans ambition ;
Un bigot rempli d'indulgence,
Un guerrier français sans valeur,
Un noble gascon sans jactance,
Un Anglais courtois et flatteur ;
C'est un journal qui rend justice
À chacun indistinctement,
C'est la coquette sans caprice,
C'est un joueur riche et prudent,
C'est un grand toujours accessible ;
Enfin, c'est la chose impossible.

n°10 – L'IMMORTELLE, emblème de la Constance.
De tout temps ce végétal a été destiné à grossir les bouquets offerts par l'amour et l'amitié ; mais il arrive trop souvent que cette fleur emblématique reste seule le lendemain d'une fête, et que tous les sentiments dont elle est l'interprète s'évanouissent. Ah ! si la sincérité était le guide des amis et des parents qui empruntent le  langage de l'immortelle, la société cesserait d'être infectée des ingrats et des trompeurs qui l'assiègent.
Pour peindre la naissante ardeur
Qui dans votre âme étincelle,
Amants, consultez votre cœur
Avant d'offrir l'immortelle.

n°11 – LE LION, emblème du Courage.
Ce courageux habitant des déserts brûlants de l'Afrique tient parmi les animaux un rang égal à celui qu'ont obtenu nos valeureux soldats sur ceux des autres peuples. Imbus de cette image, les auteurs d'une petite pièce intitulée le Zodiaque de Paris l'ont produite avant moi, en représentant sous le signe du Lion un grenadier français.
Nos vieux guerriers sont des Lions
Du plus mâle courage,
Vous le savez, ô nations
Du Danube et du Tage!
Ils ont jadis affronté le trépas
Dans mainte et mainte circonstance :
Étrangers ! respect à la France !
Le Lion dort, ne le réveillez pas.

n°12 – L'ABEILLE, emblème du Travail.
Examinez l'intérieur d'une ruche : comme tout y est coordonné ! chacun des citoyens de cette petite république contribue avec zèle au bien-être général. Là, on ne voit ni côté droit, ni côté gauche ; point de paresseux, de sangsues ni d'êtres inutiles. Quelle leçon pour les hommes, si fiers de leurs lois trop souvent cimentées dans l'intérêt du petit nombre ! Les abeilles n'en ont qu'une : amour du travail. Mais, à l'instar des humains, elles ont pour ennemi le frelon qui cherche à les priver du fruit de leur laborieuse existence.
Le riche indolent qui sommeille
En rêvant des impôts nombreux,
Est le frelon ambitieux ;
Le cultivateur est l'abeille.

n°13 – LE PAPILLON, emblème de l'Inconstance.
De toutes les figures emblématiques contenues dans ce petit ouvrage, voici celle qui représente le mieux l'esprit des humains, et celle dont l'image peut être appliquée à toutes les classes.
Je vois papillons en amour,
Et papillons en politique ;
Modes font papillons d'un jour,
Fiers de leur mise ultra-comique.
Papillons qui dans les journaux
Meuvent à leur gré la critique ;
Papillons d'humeur sophistique,
Qui se tourmentent pour des mots.
Autres dont la croyance
Tourne comme le vent.
Ah ! si l'homme est constant,
Il l'est à l'inconstance !

n°14 – LE CYGNE, emblème des Grâces.
C'est à ce volatile que les anciens ont supposé une voix mélodieuse ; mais s'il en est privé aujourd'hui, il peut encore plaire par son aspect gracieux et noble. Que j'aime à le voir se promener majestueusement sur la surface de l'onde, à peine effleurée par ses imperceptibles mouvements ! La blancheur éblouissante de son  plumage me représente le léger tissu qui pare les compagnes de Vénus.
L'amoureux cygne, un jour, aux genoux de Léda,
Agitait mollement la plus pure des glaces ;
L'épouse de Tyndare, en voyant tant de grâces,
S'émeut sans le vouloir, sans le vouloir céda.

n°15 – LE ROSSIGNOL, emblème de l'Harmonie.
Vous qui aimez à jouir des beautés de la nature, allez, par une fraîche matinée du printemps, allez vous reposer à l'ombre de nos bois ; là, vous entendrez la voix harmonieuse du Rossignol. Mais qu'est-il besoin de chercher au loin cette agréable récréation? c'est dans  cette société même que vous retrouverez l'attrayante mélodie du chantre des forêts. Les jeunes bergères qui sont l'ornement de votre aimable réunion vous charmeront par leurs sons non moins expressifs, mais plus variés que ceux du Rossignol.
À leurs touchantes voix que la vôtre se mêle ;
Saluez par vos chants l'aurore du bonheur!
Vous êtes entourés de mainte Philomèle
Qui mieux qu'un Rossignol pénètre en votre cœur.

n° 16 – LA ROSE, emblème de la Beauté.
Par condescendance pour un usage dès longtemps consacré, je veux bien convenir que cette fleur est l'emblème de la beauté ; mais quels avantages celle-ci n'a- t-elle pas sur la reine des fleurs ! Une jeune femme ayant à peine atteint son troisième lustre est, il est vrai, semblable à la rose ; mais en vain les noirs  frimas rembrunissent l'horizon, le printemps qui leur succède revoit la femme plus belle que jamais alors que de nouveaux boutons ont déjà fait oublier la rose et son existence éphémère! En traitant de ce sujet, je ne puis m'abstenir de citer quatre vers que je voudrais avoir faits :
Femme au printemps est une fleur
Que le temps en vain décolore ;
Quand elle a perdu sa fraîcheur,
Par son âme elle est belle encore.

n° 17 – LE LAURIER, emblème de la Victoire.
Combien il en coûte aux humains pour cueillir un seul des rameaux flexibles de ce petit arbrisseau! Jeune, l'homme parcourt la carrière épineuse des lettres et les âpres sentiers de la gloire, et souvent la vieillesse le surprend avant que d'avoir vu ceindre son front de ce feuillage verdoyant auquel il aspire.  Mais pourquoi n'en décorer que les docteurs, les poètes et les conquérants? Le laurier est moins l'apanage de notre sexe que celui des dames.
Si les lauriers sont le prix de la gloire,
La beauté sur eux a des droits :
Auteurs, savants, guerriers et rois,
Vous lui cédez tôt ou tard la victoire.

n°18 – LA SENSITIVE, emblème de l'Innocence.
Dès que la feuille de la sensitive est touchée par une main profane, elle s'agite pour se soustraire à la captivité qu'on lui impose.
Ainsi une jeune personne innocente doit s'opposer à ce qu'un audacieux berger la presse indiscrètement, et elle doit également fuir des mains de celui qui veut l'enlacer.
Jeune beauté dont la pudeur craintive
Redoute justement
L'approche d'un amant,
Fuyez, fuyez comme la sensitive!

n°19 – LE MYRTE, emblème de l'Amour.
Qu'ils sont heureux ces deux amants que le flambeau d'amour conduit aux autels de l'hyménée ! La simple couronne de myrte qui va parer leur front, et que Vénus a tressée pour eux, leur semble bien préférable aux rubis qui ornent le diadème des souverains. S'il est doux de ceindre le myrte, ce n'est pas lorsqu'une passion insensée conduit aux bosquets de Cythère ; mais lorsqu'un penchant est avoué par les lois et cimenté par l'hymen.
Tout est bonheur quand l'Hymen fait les frais
D'une mutuelle tendresse ;
Mais une imprudente faiblesse
Change toujours les myrtes en cyprès.

n°20 – LE LAPIN, emblème de la Timidité.
Le jeune homme qui croit se donner de l'importance en affectant des airs libres et dégagés, loin de produire l'effet qu'il en attend, n'a plus que l'attitude d'un fat indécent et effronté ; mais c'est surtout chez la femme que la timidité sied beaucoup ; rarement celle qui affiche de la coquetterie est réellement aimée ; il faut que, comme le lapin, elle fuie devant le chasseur acharné à sa poursuite.
Sémélé, qui bravas le maître du tonnerre,
Dis-nous quel fut le prix de ta témérité?
Ton trépas nous apprend que la timidité
Est le plus sûr moyen d'enchaîner et de plaire.

FIN


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