JACQUES DE CAILLY
Jacques de Cailly, plus connu sous le nom de "chevalier d'Aceilly", est né à Orléans en 1604 ; il est mort en 1673.
Sa noblesse remontait aux lettres patentes de Charles VII, s'il est vrai, comme on l'assure, qu'il descendait de la famille de Jeanne d'Arc…
Il fut gentilhomme ordinaire de la Chambre du Roi et chevalier de l'ordre de Saint-Michel. il vécut sous le ministère de Colbert, avec la réputation que "l'heureuse fécondité de sa veine lui fit acquérir". En effet il s'amusait à rimer des madrigaux et surtout des épigrammes.
– Il se décida à les publier en 1667 : Diverses petites poésies du chevalier d'Aceilly, Paris 1667
– Une réédition fut faite à Amsterdam en 1708
– Charles Nodier publia en 1825 : Petites poésies choisies du chevalier d'Aceilly, Paris, 1825.
PRÉFACE PAR LE "CHEVALIER D'ACEILLY"
Si je dis, comme la plupart des autres, que mes amis m'ont presque forcé à donner enfin cet ouvrage au public, je dirai vrai, et cependant on ne m'en croira peut-être pas plus que ceux qui devant moi ont mis cette raison, vraie ou fausse, à la tête de leurs livres. J'ai bien eu de la peine à prendre le parti de m'exposer à la critique universelle, et il m'a fallu bien des années pour me résoudre à en venir à l'exécution. Il n'y en a pas un de ceux que j'ai le bien de connoître, et qui sont ensemble et beaux esprits et gens d'honneur, qui ne m'y ait encouragé, et qui ne m'ait fort assuré que mon ouvrage seroit bien reçu ; mais, quoiqu'ils soient et gens d'honneur et gens d'esprit, je n'ai pu les croire que pour ce qui les regardoit en leur particulier, et n'ai pu m'y fier absolument pour ce qui regardoit le reste du monde : j'ai bien cru qu'ils me disoient de bonne foi leurs sentiments ; mais je n'ai pas estimé qu'ils pussent me répondre de ceux des autres hommes, qui sont d'ordinaire si différents et même si bizarres. Ainsi je défère entièrement aux conseils de ces illustres personnes, mais je ne crois que de bonne sorte aux espérances dont ils ont voulu me flatter. Je laisse tout à la merci de cette fatalité, de laquelle on dit que dépend le bonheur ou le malheur des ouvrages : quelque disgrâce qui puisse arriver aux miens, elle ne passera point jusqu'à moi ; ce sont des choses qui m'ont si peu coûté que la perte ne m'en doit pas être considérable ; et c'est un petit bien que j'ai trouvé dans mon esprit par hasard, sans y fouiller, et même sans songer qu'il y fût. Les pensées m'en sont venues, non seulement sans contrainte, mais encore bien souvent à la foule, et il m'a semblé presque toujours que les vers se faisoient d'eux-mêmes, et que les rimes nécessaires venoient de leur plein gré se placer justement à l'endroit où elles devoient être. La diversité de pièces sur un même sujet, et la facilité de la versification, sont des preuves de ce que je dis ; et les maîtres de l'art l'ont fort aisément reconnu sans que je le dise. On me fera justice de ne pas croire que je parle ici de cette abondance et de cette facilité pour m'en glorifier, puisqu'il est vrai que je n'en parle que pour me défendre de ce que je me suis quelquefois amusé à ce genre d'écrire, et que je ne l'aurois jamais fait si les pensées m'eussent donné de la peine en leur recherche ou en leur expression.
Si les auteurs de notre siècle ont le plaisir de vivre après la mort de tant d'illustres personnages qui les ont précédés, ils ont aussi bien souvent le déplaisir de se rencontrer dans une même pensée avec ces grands hommes ; et ainsi quand ils croient avoir trouvé quelque chose de bon et de nouveau, il survient quelque savant qui, pour leur en ôter la gloire et la joie, leur dit hautement que cela est dans un certain auteur grec ou latin dont ils n'ont peut-être jamais ouï parler ; et c'est un chagrin qui me seroit quelquefois arrivé si je n'avois tourné la chose à mon avantage., et si, au lieu de m'en attrister, je ne m'étois réjoui de me voir assez heureux pour avoir rencontré en mon esprit ce que quelques auteurs des plus fameux de l'antiquité avoient rencontré dans le leur. Et dans les choses de l'esprit, non plus que dans celles de la fortune, je n'ai rien entrepris au-delà de mes forces et à quoi je ne pusse satisfaire de mon petit fonds ; c'est pourquoi j'ose dire ici qu'il ne se trouvera rien dans ce livre qui ne soit à moi. Comme l'air et l'eau sont à tout le monde, et que ce que chacun en prend pour son usage particulier lui appartient, il en est de même de certaines pensées générales qui sont communes à tous les hommes ; et quand il arrive à quelqu'un de s'en servir, celle qu'il a prise est à lui, comme cette même pensée fut à un autre qui s'en étoit servi auparavant. Quand je dis donc quelqu'une de ces choses générales , ou même quelque particulière qui soit en commerce parmi nous, je ne crois pas avoir rien pris d'autrui, parce que, si ces choses sont vulgaires, elles sont à moi comme aux autres : et pour ce que je dis d'ailleurs, quand il se trouveroit chez tous les auteurs du monde, je puis assurer qu'il est né chez moi comme chez le premier des écrivains qui l'ait jamais dit.
J'ai mieux aimé m'arrêter à ces petits poèmes qu'à d'autres de plus grande étendue, tant parce que je les fais en me divertissant et sans aucune attache que parce qu'ils sont plus à l'usage de notre nation, qui assez souvent s'impatiente ou s'endort sur les pièces qui sont de longue haleine. La plupart du monde appelle celles-ci des épigrammes ; mais on m'obligera fort de ne me point quereller sur ce mot, et de ne point alléguer que celle-ci ou celle-là n'a point l'air, le tour, ou la pointe de l'épigramme. S'il arrive quelquefois que j'en aie fait une, et que le lecteur en soit content, je m'en réjouirai avec lui ; mais pour moi je n'ai jamais affecté de faire ni épigramme ni autre chose. Quand il m'est venu quelque pensée en l'esprit, je l'ai mise en vers, tels que d'ordinaire ils se sont présentés d'abord ; et du recueil que j'en ai fait, j'ai formé ce livre, que j'appelle Diverses petites Poésies ; diverses, parce que je ne prétends pas qu'elles soient toutes d'un même genre ; et petites, tant à cause de leur peu de longueur que de leur peu de mérite.
Je serois bien satisfait que la netteté et la clarté s'y rencontrassent partout, parce que je les aime fort et que j'ai eu dessein qu'elles y fussent ; et je crois que personne ne me voudra mal de ce que la chronologie n'y est pas régulièrement observée, et de ce que, prenant les choses en confusion, j'en ai fait passer quelquesunes de l'année 1667 avant quelques autres de l'année 1660. Et pour ce qui est des différentes pièces qui se trouvent ici sur un même sujet, j'estime aussi qu'on ne trouvera point mauvais que je les aie mises en différents endroits pour tâcher de moins ennuyer et de mieux divertir le lecteur.
J'aurois encore un mot à dire si je ne craignois qu'on se formalisât de l'austérité qu'on croira que j'ai pratiquée en ce livre ; mais je ne prétends pas donner au monde de nouvelles lois : ce que je fais n'est que pour moi, et il me seroit bien permis d'exercer envers moi quelque rigueur s'il étoit vrai que ce que je vais dire en fût une, au lieu que ce m'est un jeu. Je dirai donc qu'en tout cet ouvrage j'ai évité la rencontre de deux syllabes semblables en deux mots différents, en quelques lieux qu'ils se rencontrassent et en quelque manière qu'elles se fissent, à moins que cette petite cacophonie me soit imperceptible ment échappée, et qu'avec cela tous les mots qui finissent par deux voyelles dont il se fait deux syllabes sont relégués à la fin du vers, sans qu'il s'en rencontre un seul ailleurs que dans les rimes, et je les tiens tous dans une si bonne discipline qu'ils ne se présentent jamais à moi que pour être là.
CHOIX D'ÉPIGRAMMES PAR CHARLES NODIER
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Pour Monseigneur Colbert, ministre d'État
À ce ministre délicat,
Qui ne peut souffrir qu'on étale
Ce que son ardeur sans égale
Fait pour le prince et pour l'état,
De mes vers je fais, sans éclat,
Une dédicace mentale.
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La défense des petits ouvrages
Voyez ce grave auteur, les mains sur les rognons,
Dire à nos madrigaux : Bas petits compagnons,
Voici mon grand poème, il faut lui rendre hommage.
Notre petit livret sans colère en sourit,
Et dit au grave auteur dont le mépris l'outrage :
Nous ne sommes pas grand, mais le monde nous lit.
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Au libraire, sur l'impression de ce livre
Trois esprits éclairés viennent de me poursuivre
Pour l'impression de ce livre,
Et jurent qu'à jamais je dois vivre par lui :
Il est certes bien doux de vivre ;
Qu'on l'imprime dès aujourd'hui.
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Pour le Roi
La première fois qu'à mes yeux
Les traits et le port glorieux
De Louis se firent paroître,
Sans qu'on me dît qu'il fut le roi,
À l'instant je sentis en moi
Qu'il l'étoit ou qu'il devoit l'être.
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Pour Monseigneur le Dauphin
Dauphin, dont la valeur par le ciel fut choisie
Pour abattre le trône et l'orgueil des tyrans,
Régnez dès l'âge de quinze ans ;
Mais allez régner en Asie.
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Contre Lycoris
Lycoris , ta douceur et ta fidélité
M'ont fait trouver en toi mille traits de beauté.
Lorsque tu ne m'es plus ni douce ni fidèle,
Je n'y vois plus ces traits qui te rendoient si belle.
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La mort du sire Étienne
Il est aubout de ses travaux,
Il a passé le sire Étienne ;
En ce monde il eut tant de maux
Qu'on ne croit pas qu'il y revienne.
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À Caliste
C'est par trop m'avoir éconduit :
En deux mots, Caliste, et sans bruit,
Voulez-vous enfin que j'en meure ?
Pas un de mes gens ne me suit ;
Je viens tard en votre demeure,
Et voilà mon bonnet de nuit.
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Sur l'étymologie de chante-pleure
Depuis deuxjours on m'entretient
Pour savoir d'où vient chantepleure ;
Au chagrin que j'en ai, je meure,
Si je savois d'où ce mot vient,
Je l'y renverrois tout à l'heure.
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De sa haine
En mon coeur la haine abonde ;
J'en regorge à tout propos :
Depuis que je hais les sots,
Je hais presque tout le monde.
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De Lanssay
Quand chacun parle de Lanssay,
Et que je garde le silence,
L'on a tort si l'on s'en offense
J'en dis tout le bien que j'en sai.
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À M. Colbert, ministre d'État
Que je vous donne ou vers ou prose,
Grand ministre, je le sais bien,
Je ne vous donne pas grand'chose ;
Mais je ne vous demande rien.
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Contre un juge corrompu
Devant ce juge, hélas ! tu ne m'as intenté
Nul procès qu'il ne vide et que tu ne l'emportes :
Le bon droit est de mon côté ;
Mais tes perdrix sont les plus fortes.
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La clef des grandes maisons, dialogue
Chez certain président à toute heure je vais,
Et ne le rencontre jamais.
Savez-vous bien pourquoi ? Non : pourquoi donc ? C'est pour ce
Qu'à tirer le teston son portier est ardent ;
Mettez les doigts dans votre bourse,
Et vous rencontrerez monsieur le président.
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La fille en couche
Lise est en couche, en faut-il rire
Et si fort y trouver à dire ?
Cesse-t-on pour si peu d'être fille de bien ?
L'enfant que Lise a fait n'est pas plus grand que rien.
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Le marchandeur de gants
Madame, montrez-moi des gants ;
Que vendez-vous ceux-ci ? – Monsieur, rien que six francs.
– Madame, vous en aurez quatre.
– Monsieur, je n'en puis rien rabattre.
– Madame, un écu d'or, mais je veux vous baiser.
– Monsieur, je n'ai rien fait de toute la semaine ;
En vérité c'est mon étrenne,
Je ne veux pas vous refuser.
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À une dame qui baisait ses moineaux
Donner à vos moineaux des baisers savoureux,
En leur pressant le bec de vos lèvres de roses,
N'est-ce pas vous tromper dans l'usage des choses,
Et leur donner un bien qui n'est pas fait pour eux ?
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Aux moineaux qui cette dame baisait
Dans les moments qu'Amarante vous baise,
Petits moineaux, vous ne mourez point d'aise !
J'en serois mort en goûtant ces appas.
Que malheureux le ciel nous a fait naître !
Vous jouissez d'un bien sans le connoître :
Je le connois, et je n'en jouis pas.
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Sur l'étymologie du mot italien Alfana qu'on soutenait venir du latin Equus
Alfana vient d'equus sans doute ;
Mais il faut avouer aussi
Qu'en venant de là jusqu'ici
Il a bien changé sur la route.
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Sur la jaunisse de Glycère
Glycère, qu'affligeoit une vieille jaunisse,
Avec un vrai teint de souci,
Contoit au médecin son langoureux supplice,
Quand le médecin dit ainsi :
– Glycère, en pareils maux la principale chose
C'est d'aller tout droit à la cause,
Ou ce n'est point guérir, ce n'est que pallier.
– En usez-vous ainsi ? lui répondit Glycère :
Allez donc tout droit à mon père,
Qui ne veut point me marier.
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Un cavalier à une fille qui l'avoit obligé de masquer
Si je masque aujourd'hui, trop aimable Sylvie,
C'est une chose qu'en ma vie
Je n'ai point faite jusqu'ici.
Je la fais pour vous plaire, et vous en êtes cause :
Faites pour moi quelque autre chose
Que vous n'avez point faite aussi.
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Du barbier à La Fontaine
Vous me coupez, barbier, tout beau.
Oui, le poil, répond La Fontaine.
Mon poil est donc cette semaine
Aussi sensible que ma peau ?
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À un busque [corset]
Busque si proprement tourné,
Et de petites fleurs orné,
Avant que ma main te présente
À mon incomparable Orante,
Apprends ce que pour elle, apprends ce que pour moi
Ici je désire de toi,
Et ne frustre pas mon attente.
Au poste qu'on t'aura donné
Demeure fixement, et là toujours prends garde
À bien faire l'emploi qu'on t'aura destiné ;
Mais voici ce qui me regarde.
Si quelque amant audacieux,
Dont cette nymphe ait blessé l'âme,
Cherche à sa blessure un dictame
En lui baisant la gorge, ou la bouche, ou les yeux ;
Alors, petit busque fidèle,
Vite sors de l'endroit où l'on t'avoit posé,
Arme la main de cette belle,
Et montre l'ardeur de ton zèle
Contre mon rival trop osé.
Par cent coups fais-lui perdre et l'espoir et l'audace,
Et le force à quitter la place.
Mais quand ces précieux instants
Que l'amour doit à mes souffrances,
Après de longues espérances,
Viendront sur les ailes du temps ;
Durant ces amoureuses crises
Dont l'événement est si doux,
Busque, n'oppose point tes coups
Au progrès de mes entreprises,
Et, de grâce, jamais ne te mets entre nous
Quand je m'avancerai pour en venir aux prises.
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Le frère joueur et la sœur amoureuse
Mon cher frère, disoit Sylvie,
Si tu quittais le jeu, que je serois ravie !
Ne le pourras-tu point abandonner un jour ?
Oui, ma soeur, j'en perdrai l'envie
Quand tu ne feras plus l'amour.
Va, méchant, tu joueras tout le temps de ta vie.
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Sur un moineau, à une dame
Aussitôt que j'entre chez vous,
Jeune divinité dont mon coeur est le temple,
Votre moineau me flatte, il me fait les yeux doux,
Il me donne du bec deux ou trois petits coups :
O le moineau de bon exemple !
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Épitaphe d'un prodigue
Ci-gît le prodigue Airanci :
Ce glouton, qui mourut plus gueux que les apôtres,
Ne mangera-t-il point la terre où le voici ?
Il en a mangé beaucoup d'autres.
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Le compilateur de la coutume
Certain jeune homme travailla
À des notes sur la coutume,
Et remplit un juste volume
De mille choses qu'il pilla.
Pour voir si la pièce étoit bonne
Il s'en alla trouver un docteur de Sorbonne ;
Et le docteur lui dit : Tout est bon, je n'y voi
Rien qui soit contraire à la foi.
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À un mari qui bat sa femme
Battre ta femme de la sorte,
Sous tes pieds la laisser pour morte,
Et d'un bruit scandaleux les voisins alarmer,
Tu vas passer pour un infâme ;
Compère, l'on sait bien qu'il faut battre une femme,
Mais il ne faut pas l'assommer.
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Contre Apollon
Entre nous jamais de négoce ;
Apollon, tu m'as affronté ;
J'aurois maintenant un carrosse
Du papier que tu m'as coûté.
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Contre Amarante au premier jour de l'an
En mil six cent soixante et un
Cherche un ami nouveau parmi les riches dupes ;
Qu'il te donne des gants, des bijoux, et des jupes,
Et qu'il n'ait pas un sou qui ne te soit commun :
Désormais, perfide Amarante,
Je ne suis plus ton sot de mil six cent soixante.
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Les beaux yeux malades, à Madame de Neranci
La justice du ciel n'est pas trop inhumaine
En affligeant vos yeux, aimable Neranci,
Ils souffrent bien de la peine,
Ils en ont bien fait aussi.
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Impatience amoureuse
En cet heureux jour de lundi
J'ai su de ma belle inhumaine
Que je la verrois mercredi.
Amour, ôte à cette semaine
L'incommode et jaloux mardi.
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D'une femme et de son mari
La femme a son mari,
Le mari sa favorite ;
Ainsi voilà quitte à quitte
Et la femme et le mari.
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Des gens de guerre
Je ne connois qui que ce soit
De ceux qui maintenant suivent Mars et Bellone,
Qui (s'il ne violoit, voloit, tuoit, brûloit)
Ne fût assez bonne personne.
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La dent postiche
Iris perdit hier une dent toute noire,
Le même jour une autre, aussi blanche qu'un lis,
Se trouva dans sa mâchoire.
Qu'en peu d'heures les dents reviennent à Paris !
J'aurois de la peine à le croire,
Si je ne l'apprenois de la bouche d'Iris.
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La vieille impudique
Tout le monde autrefois courut
Après la petite Ragonde ;
À son tour la vieille est en rut,
Elle court après tout le monde.
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La fausse virginité
Quand vous feignez d'être pucelle,
Vous me tenez pour innocent ;
En l'âge où vous êtes, la belle,
Un pucelage est indécent :
Et tout de bon je vous proteste
Que, quand vous en auriez eu cent,
Je ne croirois pas maintenant
Que vous en eussiez un de reste.
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La vie inutile
J'étois né pour les vers, j'étois né pour la prose,
Pour vivre en paix, pour chamailler ;
Et, pour peu que j'eusse eu dessein de travailler,
Je semblois né pour toute chose :
Mais, hélas ! je vois bien
Que je suis né pour rien.
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À sa chatte, qui battoit sa chienne
Notre chatte, qu'il vous souvienne
Que, si vous battez notre chienne,
Vous serez bientôt le manchon
De notre petite Fanchon.
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Le sot enrichi
De ce lieu Philémon partit à demi nu ;
Bien suivi, bien couvert, le voilà revenu :
Je ne le connus point dans cette pompe extrême.
Eh ! qui ne l'auroit méconnu ?
Il se méconnoît bien lui-même.
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Le mari peu jaloux
– Si ta femme n'est pas fort belle,
Elle est riche, elle est demoiselle ;
Par la loi de l'hymen tu dois t'en approcher :
La solitude au lit lui cause un deuil extrême ;
Avec elle va-t'en coucher.
– Avec elle ! vas-y toi-même.
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Contre un mauvais poète ; à Marc
Qu'au Parnasse on reçoive un si gros animal,
Si tu le crois, Marc, tu t'abuses.
Si Maillet a l'honneur d'appartenir aux muses,
Il est donc leur second cheval.
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La paresse de Marguerite, dialogue
– Marguerite, sans t'amuser,
Cours à Ruel, reviens au gîte ;
Pars vite, ou je vais te baiser.
– Je ne saurois partir si vite.
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À un huissier qui tira de l'argent de quelques bastonnades reçues en hiver
N'appelez plus la fortune mauvaise :
Il faisoit froid, vous étiez indigent,
Et vous voilà maintenantà votre aise ;
Vous avez eu du bois et de l'argent.
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À Cenerolles
L'argent que tu viens m'emprunter,
Je ne saurois te le prêter ;
J'en ai du regret, Cenerolles.
Tu dois bien me le pardonner
Je puis prêter mille pistoles,
Mais je ne puis pas les donner.
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Lésine nouvelle
Par testament dame Denise,
Quoiqu'elle possédât un ample revenu,
Ordonna que son corps fût inhumé tout nu
Pour épargner une chemise.
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De Jean et de son cheval
Sur son cheval Jean se ruoit,
Contre Jean le cheval ruoit ;
Et tous deux écumoient de rage :
Mathurin, qui pour lors passoit,
Dit à l'homme, qu'il connoissoit :
Eh ! Jean, montrez-vous le plus sage.
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À Lycidas
Tu dis que ta femme Lisette
A passé quarante-deux ans,
Et qu'elle n'eut jamais d'enfants ;
Lycidas, elle est bien secrète.
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De Renault à Gillot
Renault sembloit toujours avoir la mort au sein,
J'avois compassion de voir sa triste mine ;
Et le voilà qui boit, qui rit et qui chemine ;
Par quel médicament est-il devenu sain ?
Gillot, sa seule médecine
Fut de quitter son médecin.
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Moyen de se contenter
Rien ne te semble bon, rien ne sauroit te plaire ;
Veux-tu de ce chagrin te guérir désormais ?
Fais des vers, tu pourras ainsi te satisfaire ;
Jamais homme n'en fit qu'il ait trouvés mauvais.
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Les vers doivent venir du caprice
Qui de moi voudra de beaux vers,
Que jamais il ne les demande.
Je ne fais rien que de travers
Quand la besogne est de commande.
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Reprise d'amour à une dame qu'il avoit assurée de la mort de son amour
Je voulus étouffer cet amour obstiné,
Qui d'un de vos regards en mon cœur étoit né,
Et je crus que j'avois satisfait mon envie ;
Mais, Lise, je me trompai fort :
Cet amour est encore en vie.
Le petit traître fit le mort.
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L'amour pour cette vie
Que l'erreur aux humains fait une étrange guerre !
À peine en connois-je un qui n'aimât beaucoup mieux
Ici-bas un quartier de terre
Que tout le royaume des cieux.
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L'homme content
O Mort ! quand tu feras ta ronde,
Épargne le sieur de Torci ;
Chez lui tout rit et tout abonde ;
Il n'a ni peine ni souci :
Qu'a-t-il à faire en l'autre monde ?
Il est si bien en celui-ci.
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À un exempt des gardes
L'argent que tu me dois, L'Espine, rends-le-moi ;
Tu sais qu'en tes besoins ma bourse fut à toi,
Et que j'ai, pour t'aider, cent fois vendu mes hardes ;
Mais rien ne te fléchit, rien ne peut t'effrayer ;
Tu crois qu'être exempt des gardes
C'est être exempt de payer.
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Du jugement de la postérité
Je ne suis pas inquiété
De ce que la postérité
Jugera des fruits de ma veine.
Qu'elle en dise mal ou bien,
Pourquoi m'en mettrois-je en peine ?
Je n'en saurai jamais rien.
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Le malheureux à prêter
En fait de prêt le sort me traite
Avec grande inhumanité :
Je perds l'affection de ceux à qui je prête,
Si je ne perds l'argent que je leur ai prêté.
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Il y a des sots en tous lieux
C'est un heureux dégagement
Que de quitter les sots qu'on trouve dans les villes,
Pour aller jouir doucement
De l'aimable entretien des campagnes fertiles :
Là se trouvent aussi des sots petits ou grands ;
Mais le monde est plus rare aux champs.
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Prévention
Quabd pour les vieux auteurs des gens s'opiniâtrent,
Et que servilement leurs esprits idolâtrent
Tout, jusqu'au moindre mot qu'ait dit l'Antiquité,
Que de prévention, que d'erreur les gouverne !
Aujourd'hui l'homme est homme, et l'a toujours été,
Et ce qu'on voit d'antique autrefois fut moderne.
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Métier extraordinaire
Le métier d'amour en effet
Est une assez bizarre affaire ;
Ce métier-là plus on l'a fait
Et moins on est propre à le faire.
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De la postérité
Vous me prêchez à tous moments
Que la postérité fera ses jugements
Sur tout ce qu'en public nous aurons fait paroître.
Je m'embassrasse peu de la postérité,
Qui n'est point aujourd'hui, qui n'a jamais été,
Et qui pourra bien ne pas être.
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De la justice
Me voilà dans un grand souci ;
Je cherche la justice, elle n'est plus ici ;
On dit que dans le ciel elle fait sa demeure.
Mon affaire en a grand besoin ;
Mais que mon affaire demeure,
Je ne veux pas aller si loin.
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Insatiabilité
Dans les biens que l'homme entasse
Qu'il sait peu se mesurer !
Il semble qu'il n'en amasse
Qu'à dessein d'en désirer.
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D'un médecin poète
Roc, médecin peu docte et poète savant,
Fait des épitaphes souvent,
Où des morts il conte l'histoire :
Les maux que fit un art l'autre art sait les guérir ;
Roc poète fait vivre au temple de mémoire
Ceux que Roc médecin vient de faire mourir.
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De Lise
C'est pour m'attraper, dites-vous,
Que Lise me fait les yeux doux
Et me dit de belles paroles.
Vous pourriez bien vous y tromper.
C'est pour attraper mes pistoles
Bien plutôt que pour m'attraper.
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De sa servante
Quand ma servante est au marché,
Pour avoir à bon compte elle prend de la peine ;
Mais que m'importe qu'elle en prenne ?
Quand elle est au logis rien n'est à bon marché.
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Sur un ramas de vers en faveur d'un grand. À Alcidon
Sur le Parnasse on assemble
D'un fameux courtisan les éloges divers,
Et tu veux, Alcidon, savoir ce qu'il m'en semble.
Jamais on ne vit ensemble
Tant de mensonges en vers.
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L'excès des médecins nuisible. À Gillet
Votre précieuse personne
À quatre médecins aujourd'hui s'abandonne,
Et suit aveuglément leur sentiment vénal.
Gillet, mon amitié veut que je vous le die,
Quatre médecins sont un mal
Plus grand que votre maladie.
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Que ses pensées se trouvent parfois chez les Anciens
Souvent, par un secret destin,
Un vieil auteur, grec ou latin,
A produit, me dit-on, ce que ma Muse avance ;
Hé bien ! s'il est vrai, patience :
Je serois bien fâché d'avoir dit avant lui
Ce qu'elle m'inspire aujourd'hui.
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Les beaux yeux. À Olympe
Ces beaux yeux, les plus beaux qu'ait formés la nature,
Ces astres dont l'aspect fait nos maux et nos biens,
Ces globes animés d'une flamme si pure,
Olympe, ces beaux yeux, ce ne sont pas les tiens.
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À Philis
Votre mère est en grand courroux,
Et dit partout qu'avecque vous
Je trame une intrigue amoureuse.
Philis, prenez le bon parti ;
La chose seroit bien honteuse
Que votre mère en eût menti.
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À Isabelle
Quand votre mère vous querelle :
Allez, infâme, vous dit-elle,
Vous ne valûtes jamais rien.
Sa manière est un peu cruelle ;
Mais laissez-la dire, Isabelle ;
Elle est mère, et vous connoît bien.
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Sur le remboursement des rentes
De nos rentes, pour nos péchés,
Si les quartiers sont retranchés,
Pourquoi s'en émouvoir la bile ?
Nous n'aurons qu'à changer de lieu :
Nous allions à l'Hôtel-de-Ville,
Et nous irons à l'Hôtel-Dieu.
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À la bouche d'Ismène
Retirez-moi d'une peine
Où je suis depuis longtemps ;
Dites-moi, bouche d'Ismène,
En quel endroit sont vos dents.
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Des amis du temps
À faire des amis Fauste est peu négligent :
Il caresse, il oblige, il est franc, il défère ;
Et si Fauste n'en a guère,
C'est qu'il n'a guère d'argent.
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D'un sot
Qu'il est présomptueux l'ignorant Dorilas,
Et qu'il a de vent dans la tête !
Mais il est heureux d'être bête,
Puisqu'à force de l'être il croit ne l'être pas.
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À un mauvais payeur
Vous rendez fort soigneusement
Une visite, un compliment,
Une grâce qu'on vous a faite ;
Vous rendez tout, maître Clément,
Excepté l'argent qu'on vous prête.
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À un barbier
Quand je dis que tu m'as coupé,
Tu dis que je me suis trompé
Et qu'il ne faut pas que je craigne :
C'est donc ma serviette qui saigne ?
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D'Isabelle
Lorsqu'il va quelques insolents
En visite chez Isabelle,
Impunément ils parlent d'elle
Et de toutes sortes de gens ;
Ils savent fort bien que la belle
Ne leur montrera point les dents.
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De Ragonde
La bonne femme Ragonde
Partiroit sans nul souci
Pour aller en l'autre monde ;
Mais on boit en celui-ci.
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Avis
S'il est vrai qu'aujourd'hui l'infortune vous presse,
Après qu'assez longtemps le bonheur vous suivit ;
Pour faire désormais que votre douleur cesse,
Oubliez ce qu'on vous ravit,
Et regardez ce qu'on vous laisse.
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Sur la mort d'un puissant ecclésiastique
Je sais bien qu'un homme d'église,
Qu'on redoutoit fort en ce lieu,
Vient de rendre son âme à Dieu :
Mais je ne sais si Dieu l'a prise.
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Vanité de plusieurs riches
Ce comte est mon proche parent,
Et je ne fus point de sa noce.
Nous n'avons aucun différend.
Mais quoi ! je n'ai pas le carrosse.
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De Paul
Paul, qui nous cite à tout moment
Quelque passage ou quelque histoire,
Nous fait paroître sa mémoire
Et nous cache son jugement.
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Des dents de Macette
Vous étonnez-vous que Macette
Ait si bien conservé ses dents ?
Elles sont, la plupart du temps,
Dans un paquet en sa cassette.
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D'un avocat
Ne vous fiez nullement
En cet avocat célèbre ;
Je vous assure qu'il ment
Plus serré qu'un compliment
Et qu'une oraison funèbre.
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Sur ce qu'on dit à l'auteur que sa pensée étoit tirée d'un autre
De la pointe d'un madrigal,
Qu'on trouvoit n'être point trop mal,
Un savant me vint dire : Elle est dans Athénée ;
J'en suis, ajouta-t-il, un fidèle témoin.
Bon Dieu ! repris-je alors, à peine est-elle née,
A-t-elle été déjà si loin ?
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Sur un pareil sujet
Dis-je quelque chose assez belle,
L'Antiquité, toute en cervelle,
Me dit : je l'ai dite avant toi.
C'est une plaisante donzelle ;
Que ne venoit-elle après moi,
J'aurois dit la chose avant elle ?
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D'une dame de Biscaye
La femme d'un vieux comte basque,
Pour cacher à nos yeux son teint roux et brûlé,
A toujours sur le front un vieux masque collé ;
Il lui faudroit encore un masque
Pour cacher son masque pelé.
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À un riche impertinent
Parce qu'au fort grand bien s'est venu joindre au vôtre,
À peine à nos discours répondez-vous un mot.
Quand on est plus riche qu'un autre
A-t-on droit d'en être plus sot ?
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Services intéressés
La presse est à servir Étienne ;
Lui que chacun dernièrement
Haïssoit furieusement :
D'où croyez-vous que cela vienne ?
Étienne fait son testament.
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À des astrologues
Plus que vous, ô vains interprètes
Des influences des planètes !
Je suis savant à deviner ;
Malgré vos pratiques secrètes,
Je devine assez que vous êtes
Des gens qui cherchez à dîner.
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Contre un mauvais juge
Un jour que je dînois au faubourg Saint-Germain,
Certain juge me dit en me tirant la main :
Lavez donc, qu'est-ce que vous faites ?
Et je lui répondis soudain :
Lavez, monsieur, j'ai les mains nettes.
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Contre Caliste
Pour peu qu'à vos raisons aujourd'hui l'on résiste,
Vous mordez bien serré les gens ;
Où diable, outraeuse Caliste,
Depuis deux ou trois jours avez-vous pris des dents ?
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De Sylvandre et de Daphnis
Sylvandre, avec sa fière mine,
Nous débite ce qu'il apprit ;
Daphnis, dont la plume est plus fine,
Ne débite que ce qu'il fit :
Sylvandre a bien de la doctrine,
Et Daphnis a bien de l'esprit.
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Sur les mœurs du temps
Quand j'observe tout mûrement
Je crois ne voir qu'aveuglement,
Ou violence, ou stratagème.
Ma foi, c'est pitié que de nous ;
Ou je suis un grand fou moi-même,
Ou les autres sont de grands fous.
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Amour peu certaine
Votre amour, charmante Isabelle,
Doit être une amour éternelle,
Vous me l'avez bien protesté.
Mais, obligez-moi, que j'apprenne
À quel jour de cette semaine
Finira cette éternité.
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À l'auteur d'un méchant livre
L'univers t'a fâché, sans doute, en quelque chose,
Puisque tu lui donnes ta prose ;
Mais quel mal t'a fait l'univers,
Pour t'obliger encore à lui donner tes vers !
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Contre Martin
Martin nous a donné son ouvrage latin,
Et nous donnons au diable et l'ouvrage et Martin.
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Déclaration d'amour
Vous me dites vingt fois le jour :
Timandre, nommez-moi l'objet de votre amour ;
Est-ce une telle ? est-ce une telle ?
Je ne vous dis pas oui, je ne vous dis pas non ;
Mais, si vous ignorez le nom de cette belle,
Vous ne savez pas votre nom.
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À Damon
La faim pressait ta femme, elle a dîné sans toi ;
Damon, je n'y vois pas de quoi
Gronder comme tu fais, et faire tant de gloses.
Dîner sans son époux, est-ce un si grand péché ?
Ta femme a fait sans toi de plus étranges choses
Dont tu n'es pas fâché
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À une dame rousse, sur son portrait
Bien plus qu'à votre père,
Bien plus qu'à votre mère,
Au peintre vous avez de l'obligation ;
Ces gens, qui vous aimoient d'une amour sans seconde,
Avecque tout l'excès de leur affection
Ne vous firent pas blonde.
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Jugement
D'Hylas, qui sort présentement,
Lise, tu veux savoir quel est mon sentiment,
Toi qu'il vient d'étourdir d'un ennuyeux langage.
Cet homme, qui reprend les gens à chaque mot,
Peut-être qu'en latin c'est un grand personnage ;
Mais en françois c'est un grand sot.
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Disgrâce des nécessiteux
Si Philis ne te fait un accueil obligeant,
Si ton entretien l'importune,
N'en blâme point Philis, blâmes-en la fortune :
Que diable n'as-tu de l'argent ?
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Sur ce qu'il ne prend rien à l'Antiquité
Je n'ai pas fait une épigramme
Que l'Antiquité la réclame,
Et me dit d'une fière voix :
Mon ami, c'est la vieille gamme,
Pour celle-là tu me la dois.
Elle a menti la bonne femme ;
Ce n'est pas la première fois.
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À M. D. P.
Après avoir bien consulté
Ce qu'il faut pour votre santé,
Où votre petit fonds s'épargne ;
J'aimerois mieux, en vérité,
Une ordonnance de l'épargne
Que douze de la faculté.
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De frère Nicaise
S'il craint la mort le frère Nicaise,
Ce n'est pas que dans ces bas lieux
Il soit grandement à son aise ;
C'est qu'il craint de n'être pas mieux.
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Le baiser de rencontre
L'autre jour j'eus le bien de saluer Selvage :
D'abord je la baisai d'un côté du visage ;
Et, dans ce doux moment, je me sentis heureux.
Je la baisai de l'autre, et me sentis de même.
Ivre de ces douceurs, j'en cherchois un troisième
Ah ! que j'eus de dépit de n'en trouver que deux.
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Facilité de vers
Des madrigaux, sans que j'y pense,
Il m'en vient en grande abondance ;
Des sonnets il m'en vient aussi.
Juste ciel ! que ma destinée
Seroit plaisante et fortunée
Si l'argent me venoit ainsi !
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De Phorbas
Lorsqu'on entend dire à Phorbas :
Tous les jours pour rien je me bats ;
Vous figurez-vous qu'on en tremble ?
Qu'il se batte, si bon lui semble,
Pourvu qu'il ne nous batte pas.
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Sur l'étymologie du mot italien alfana qu'un savant homme disoit venir du mot latin Equus
Qu'on m'assure qu'alfana vienne [alfana : cheval de selle]
D'equus, d'equa, de chien, de chienne,
Je ne m'en étonnerai pas.
Ainsi, dans les Métamorphoses,
D'Euphorbus vient Pythagoras
Par d'étranges métempsycoses.
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À Iris
M'aimez-vous bien assurément ?
Me dit assez naïvement
Iris, de mille attraits pourvue.
Je lui répondis seulement :
Charmante Iris, je vous ai vue.
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D'un grand parleur
Sans doute dame Ragonde
En parle fort justement,
Quand elle dit que Clément
Fait un grand bruit dans le monde ;
Il y parle incessamment.
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D'un curé affligé de la pierre
L'évêque Paulin visitoit
Un curé que parfois la pierre tourmentoit ;
Des choses, dit Paulin, que je vous ai tant dites
En mes précédentes visites,
Quel grand soin en avez-vous eu ?
Et, depuis qu'on ne vous a vu,
Qu'avez-vous fait, messire Pierre ?
Le curé, sans être interdit,
À son évêque répondit :
Monseigneur, j'ai fait une pierre.
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D'un abbé ignorant
Cet abbé, qui d'ailleurs fait tout habilement,
Dit son bréviaire lentement,
Quand il s'avise de le dire ;
Mais si ce bon abbé vouloit apprendre à lire,
Il l'auroit dit en un moment.
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D'un homme avare
Dorilas, quand la nuit nous rend l'obscurité,
En paroît toujours attristé ;
Mais ce n'est pas à cause d'elle :
C'est parce que le jour épargne sa chandelle.
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À un esprit toujours inquiet de l'avenir
Par la grâce du ciel ils ne sont pas venus
Ces maux dont vous craigniez les rigueurs inhumaines ;
Mais qu'ils vous ont donné de peine
Ces maux que vous n'avez point eus !
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L'orgueilleux
Cet homme vain qui s'élève
Et prend le haut du pavé,
A tant d'orgueil qu'il en crève :
En fût-il déjà crevé !
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L'envieux
L'envieux est un animal
En qui je n'entends presque rien :
Le bien d'autrui lui fait du mal,
Le mal d'autrui lui fait du bien.
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Le paresseux
Que ce paresseux a grand'faim !
Que l'odeur de ce rôt le touche !
Mais s'il mange, il faut que sa main
Aille du plat jusqu'à sa bouche,
Et c'est bien faire du chemin.
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Les greffiers volés
Ces gens sont-ils voleurs, qui sur les grands chemins,
Par force à des greffiers ont arraché des mains
L'argent dont ils avoient leurs bourses bien garnies ?
Sur ce point, pour un temps, suspendez vos esprits ;
Peut-être qu'ils ne l'ont pris
Que pour le rendre aux parties.
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De lui
Avec les vieux auteurs je n'ai point eu d'affaires,
Je ne les connois point, je les laisse en repos ;
Si j'en vois quelques-uns, c'est chez quelques libraires ;
Et quand je les y vois, ce n'est que par le dos.
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Aux poètes en MDCLXV, sur le reculement de leurs pensions assigées sur le même fonds que les bâtiments du Louvre
Tant pour vous que pour ses maçons
Le Louvre n'a qu'un même fonds ;
Mais ils ont le pas aux recettes.
N'en soyez pas tant effrayés :
On satisfera les poètes
Quand les maçons seront payés.
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Aux mêmes sur le même reculement
Vos pensions, comme je vois,
Vont donc de quinze en quinze mois ;
Ce sont vos temps climatériques.
Oh ! que mes vœux seroient contents
Si le ciel vouloit de mes ans
Faire ainsi des ans poétiques !
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D'une poétesse
Sur du papier doré Lise écrivit des vers
Qu'elle avoit composés sur des sujets divers,
Et voulut que j'en fisse un jugement sincère ;
À quoi je répondis d'un visage assuré :
Oh ! la mauvaise ménagère
Qui gâte du papier doré !
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La vieille qui a mal aux dents
Les dents me font bien mal ; mais la douleur se cache ;
Elle attaque une, ou deux, ou trois dents à la fois.
La bonne femme veut qu'on sache
Que pour le moins elle en a trois.
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De la Justice
La Justice a les yeux bandés,
Nous en sommes persuadés :
Elle ne regarde personne ;
Mais, pour voir s'il est bon et beau
L'argent que son greffier lui donne,
Elle lève un coin du bandeau.
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À Aimée
Vous reveniez des champs au déclin de l'été,
Et, par droit de civilité,
Je vous baisai la bouche, incomparable Aimée :
La mienne en fut si fort charmée
Que, si le ciel m'eût écouté,
Vous en auriez eu cent comme la Renommée.
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Des greffiers
C'étoit aux greffiers de ce temps
Qu'il falloit des cent mains, et non pas aux Titans.
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Chanson
Noble liqueur que je tiens,
Vin meilleur que l'Hippocras,
Je ne sais pas d'où tu viens ;
Mais je sais bien où tu vas.
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Qu'il ne prend rien aux Anciens
Si je fais par rencontre une assez bonne pièce,
L'Antiquité me dit, d'un ton appesanti,
Que je vais la piller jusqu'au pays de Grèce ;
Sans le respect de sa vieillesse,
Je dirois qu'elle en a menti.
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À un juge corrompu
J'alléguois contre ma partie
Une raison sans repartie,
Sans qu'il dît de sa part rien en comparaison ;
Mais je vois bien, puisqu'il l'emporte,
Qu'avec des juges de ta sorte
Un bon levraut vaut mieux qu'une bonne raison.
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À bien des gens
Objets de ma satire, apprenez aujourd'hui
Que j'ai forgé des noms pour épargner les vôtres,
Et que tel a pensé rire aux dépens d'autrui
Qui sans se reconnoître a défrayé les autres.