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LE RAVISSEMENT DE PROSERPINE

tragédie de CLAVERET

à Paris, chez Antoine de Sommaville, au Palais,
dans la Galerie des Merciers,
à l’Écu de France 1639 avec privilège du Roi.


A Monseigneur Messire Claude de Bullion, chevalier, conseiller du Roi en ses conseils, président à la Cour de Parlement, surintendant des Finances, Mines et Minières de France, etc. [a]

Monseigneur,
Quoique ma Proserpine ait eu l’honneur de paraître avec quelque sorte d’agrément dans les plus belles assemblées du monde, elle n’est point encore satisfaite de sa fortune si vous ne lui donnez l’entrée de votre cabinet. C’est la même beauté que le dieu des Enfers ravit dans la Sicile et dont il ne put posséder les bonnes grâces. Aussi les dieux fabuleux n’ont point de qualités qui la puissent toucher : c’est au véritable dieu des Richesses [b] qu’elle désire plaire ; c’est à vous, Monseigneur, en qui se trouve un titre si charmant, par la possession absolue que vous laisse de ses coffres le plus grand Roi de la terre [c]. Souffez donc, s’il vous plaît, Monseigneur, que cette fille céleste jouisse de la clarté du jour sous votre protection et qu’elle vous conte ses aventures. Elle ne s’est parée de tous les ornements que mon étude et ma plume lui a donnés qu’afin d’avoir la gloire et la satisfaction de vous être agréable. Et son entretien a du moins ce rapport avec votre esprit que, comme il n’y a rien aussi de si mesuré que les vers, il n’y a rien aussi de si juste que la distribution que vous faites des finances.
Certes, Monseigneur, la France n’avait personne qui fût digne de cet emploi que vous et c’est en votre considération principalement qu’on a raison de dire que l’or est le seul de tous les métaux qui ne salit point, vu que vos mains se conservent si nettes dans le maniement continuel de tant de trésors. Ainsi tout ce qui a donné lieu de blâmer quelques-uns de vos prédécesseurs [d] en cette charge me semble un glorieux fondement de vos louanges, lorsque je considère que le luxe est le vrai plan sur lequel et la vanité et l’envie ont souvent élevé des édifices à leur ruine et que la judicieuse économie qui s’observe en toute votre maison en relève sûrement, de jour à autre, l’éclat et les prospérités.
Oui, Monseigneur, vous triomphez de l’inconstance de la fortune par la grandeur de vos mérites et par les inventions de votre esprit, inventions si solides et si considérables pour les armes du Roi que vous ne payez pas les gens de guerre de vent et de titres imaginaires — comme font les Espagnols de monnaie de cuivre et de cuir, pressés et contraints qu’ils y sont par la nécessité [e] — mais d’or et d’argent, la marque et la splendeur de l’État, qui paraît dans ce royaume avec d’autant plus d’admiration qu’il semble à tout le monde que la misère de la guerre [f] y devait avoir mis la pauvreté.
Mais je laisse à toute la France à considérer vos vertus, pour vous supplier très humblement, Monseigneur, de ne point refuser la faveur de votre estime à cette déesse par qui les Anciens ont voulu marquer l’abondance. Vous lui causerez un ravissement aussi véritable que celui que je vous offre est imaginaire et dont tout le bonheur retombera sur moi, si les productions de mon esprit peuvent contribuer quelque chose au divertissement du vôtre et vous faire connaître que je suis, Monseigneur, votre très humble et très obéissant serviteur,
Claveret.


Extrait du Privilège du Roi — Par grâce et privilège du Roy donné à Paris le 8e jour de février 1639. Signé par le Roi, en son Conseil de Monçeaux. Il est permis à Antoine de Sommaville, marchand libraire à Paris, d’imprimer ou faire imprimer, vendre et distribuer une pièce de théâtre intitulée Le Ravissement de Proserpine, tragédie, par le Sieur de Claveret, durant le temps de cinq ans à compter du jour qu’elle sera achevée d’imprimer. Et défenses sont faites à tous imprimeurs, libraires et autres de contrefaire ladite pièce, ni en vendre ou exposer en vente de contrefaite, à peine aux contrevenants de trois mille livres d’amendes et de tous les dépens, dommages et intérêts, ainsi qu’il est plus au long porté par lesdites lettres qui sont en vertu du présent extrait tenues pour bien et dûment signifiées, à ce qu’aucun n’en prétende cause d’ignorance. Achevé d’imprimer pour la première fois le 12 février mil six cent trente neuf.


Personnages :

JUPITER, dieu du Ciel
PLUTON, son frère, dieu des Enfers
CÉRÈS, déesse de la végétation
PROSERPINE, fille de Zeus et de Cérès
ELECTRE, nourrice de Proserpine
VÉNUS, déesse de l’amour
DIANE, déesse de la chasse
PALLAS (ou Pallas-Athéna ou Minerve), déesse de la pensée
MERCURE, messager des dieux entre le Ciel et l’Enfer
RHADAMANTE, fils de Zeus appelé aux Enfers pour juger les morts
TISIPHONE, une des trois Erynnies
ARETHUSE, nymphe de Sicile
ASCALAPHE, fils d’une nymphe du Styx et de l’Achéron

La scène est au Ciel, en la Sicile et aux Enfers, ou l’imagination du lecteur se peut représenter une certaine espèce d’unité de lieu, les concevant comme une ligne perpendiculaire du Ciel aux Enfers.


1- La scène est dans l’Enfer. PLUTON s’entretient avec une Érynnie,TISIPHONE, et son fils RHADAMANTE, en présence d’ASCALAPHE. [p. 01]

PLUTON
Le conseil en est pris : je ne puis, sans vengeance,
Souffrir de Jupiter cette haute arrogance. [2]
Et, si je suis privé de la clarté du jour,
Je ne le serai pas des plaisirs de l’Amour.
Puisqu’il me l’a promis, son heureux droit d’aînesse
Ne le dispense pas de tenir sa promesse.
S’il prétend aujourd’hui la pouvoir violer
Je veux à ma fureur son orgueil immoler.
Quoi ! n’est-ce pas assez que le superbe ouvrage
De ses palais d’azur ait été son partage [10]
Et qu’assis sur un trône environné d’éclairs
Il manie à son gré la colère des airs ?
Quoi, n’est-ce pas assez que l’un et l’autre pôle
Fassent rouler les cieux au gré de sa parole,
Qu’il imprime en tous lieux le respect de ses lois,
Qu’il marche avec mépris sur les têtes des rois,
Que toutes les beautés pour lui n’aient point de voiles,
Qu’il ait dessous ses pieds ce corps semé d’étoiles,
Qu’il gouverne lui seul ces miracles roulants
Qu’embellissent la nuit tant d’yeux étincelants, [20]
Qu’au moment qu’en colère il regarde la terre
Tout l’univers frémisse au bruit de son tonnerre
Et qu’il goûte aux baisers que lui donne sa sœur, [23]
Tout ce qu’un libre amour peut avoir de douceur ?
Il ne lui suffit pas, à ce frère barbare,
De posséder aux Cieux tout ce qu’ils ont de rare ;
De voir les Immortels sous le joug de sa loi,
D’être seul plus puissant que Neptune et que moi.
Le brutal prend encor mille formes nouvelles, [29]
Pour éteindre ses feux dans les couches mortelles [30]
Et, pour tenter enfin la plus chaste beauté,
Il fait même un appas de sa divinité.
Il possède les corps dont je n’ai que les ombres [33]
Dans le séjour affreux de mes royaumes sombres
Où, tout dieu que je suis, il ne m’est pas permis
D’accomplir un hymen que même il m’a promis,
Où je ne puis goûter, par sa rigueur sèvère,
Les noms délicieux et d’époux et de père,
Où mon plus doux plaisir est d’ouïr les esprits
Effrayer mon palais de leurs horribles cris. [40]
Je souffre trop longtemps un si sensible outrage,
Pouvant contre le Ciel faire éclater ma rage.
Sus ! Qui secondera mes généreux desseins,
Appuyant ma fureur de ses vaillantes mains ?
Qui de vous, compagnons, m’aime assez pour me suivre ? [45]
Qui veut à cet affront honteusement survivre,
Sans me voir allumer, par un louable effort,
Le flambeau de l’hymen ou celui du discord ?

TISIPHONE
Puissant dieu des Enfers, qu’une ardente colère
Devrait avoir armé contre un injuste frère, [50]
Si vous voulez combattre et régner dans les Cieux
Qu’usurpe indignement ce cœur audacieux,
Si vous voulez revoir la nuit et la lumière
Dans le désordre affreux de la masse première, [54]
Servez-vous de mes sœurs et de moi seulement. [55]
C’est à nous à conduire un si noble armement.
Déchargez de ce soin votre esprit indomptable
Et ne nous ôtez point cette charge honorable.
Confiez-vous, grand Dieu, sur l’extrême pouvoir [59]
Qui vous rend redoutable en ce royaume noir. [60]
Assez de grands esprits, demi-dieux en courage,
Par l’orage de Mars ont fait ici naufrage ;
Assez de bras vaillants ont fait trembler des rois
Qu’une mort naturelle a soumise à vos lois.
N’avez-vous pas des chefs dont l’illustre conduite
À ce Jupiter même a fait prendre la fuite.
Et qui peut empêcher, pour finir vos débats,
Qu’ils n’aillent dans les cieux mettre son trône à bas.
Laissez-moi toute seule assembler tant de forces.
La conquête du ciel a de douces amorces. [70]
Les efforts de son Dieu contre nous sont si vains
Que je le vois trembler, la foudre entre les mains.

PLUTON
Choisis-moi promptement ces courages d’élite.
Enrôle en ma faveur et Centaure et Lapithe, [74]
Et ces braves soldats, enfants de la terreur,
Que Bellone a nourris de carnage et d’horreur. [76]
Réveille les fureurs du vaillant Encelade
Qui déjà dans le ciel a planté l’escalade [78]
Ne laisse point oisifs ces géants à cent mains ; [79]
Fais revivre avec eux leurs courageux desseins ; [80]
Souffle-leur derechef la révolte dans l’âme ;
Arme-les de rochers, d’horreur, de fer, de flamme
Et, par le fort appui d’un bras victorieux,
Aide-moi, brave fille, à monter dans les cieux.

RHADAMANTE
Monarque souverain de l’empire nocturne,
Amateur de la paix, digne fils de Saturne, [86]
Puisque sous votre aveu je fais agir ma voix
Pour conserver ici l’autorité des lois,
Que toujours ma sentence est par vous confirmée,
Que votre grâce en vain n’est jamais réclamée [90]
Et qu’en des cas divers mes fidèles avis
Ont été tant de fois utilement suivis,
Trouvez-bon que je parle en l’affaire importante
Où je vois votre ardeur si prompte et si bouillante.

PLUTON
Parlez.

RHADAMANTE
            Je sais, grand Dieu, qu’un louable dessein
De ces brûlants transports arme ainsi votre sein
Et qu’il serait honteux, étant ce que vous êtes,
De tenir plus longtemps ces injures secrètes.
Votre colère, enfin, a raison d’éclater
Puisque l’orgueil du Ciel à ce point veut monter. [100]
Quand la vengeance est prompte, elle en est plus insigne,
Car qui souffre un affront montre qu’il en est digne.
Il vous faut une femme et, sans plus raisonner,
Puisqu’on vous l’a promise, on doit vous la donner.
Si Jupiter y manque et que pour son partage
Vous lui laissiez le Ciel, vous manquez de courage.
Plutôt que de souffrir ce mépris odieux,
Vous devez renverser et la terre et les cieux.
Tout souverain qu’il est sur l’un et l’autre pôle,
Il s’en déclare indigne en manquant de parole. [110]
Mais le vouloir chasser du céleste séjour
Sur le simple dépit que suggère l’amour,
C’est ne respecter pas cette auguste alliance
Qui seule entre vous trois nourrit l’intelligence [114]
Et dont votre conseil, avec tant d’équité,
A fait voir l’importance à votre déité.
Les ferventes ardeurs des prières des Parques
N’ont-elles pu fléchir le plus doux des monarques,
Détournant vos pensers du barbare dessein
De mettre à tout le monde un poignard dans le sein ? [120]
La nature à vos pieds par moi plaide sa cause,
Vous par qui seul commence et finit toute chose,
Arbitre de la vie, arbitre de la mort,
Faites sur votre esprit un généreux effort,
Ne donnez point au ciel ces funestes alarmes
Que de justes raisons n’autorisent vos armes.
Toujours la guerre injuste a des succès honteux
Et la vôtre est injuste en son sujet douteux
Puisque c’est sans sujet que votre esprit s’enflamme
Lorsqu’il se voit privé des douceurs d’une femme. [130]
Il est vrai qu’une femme est un rare trésor
Et qu’elle a des douceurs qui vous manquent encor,
Mais à qui, sage amant, l’avez-vous demandée ?
Qui ne l’a pas dès l’heure à vos vœux accordée ?
Ne précipitez point ces combats furieux :
Vous l’obtiendrez bientôt, députant vers les Cieux.
S’il en vient un refus, lors avec plus de gloire
Votre Divinité gagnera la victoire.
Armez lors, marchez lors, et ne différez point
D’achever des projets où votre honneur est joint. [140]
Employez Tisiphone, Alecton et Mégère
À punir un tyran qui prend le nom de frère.
Mais, s’il voulait permettre à votre ardente amour
De choisir un parti dans la céleste cour,
Comme déjà, peut-être, ayant ouï vos plaintes
La chose est arrêtée en ses demeures saintes,
Quel sujet auriez-vous de vous fâcher si fort ?
Pour vaincre avec honneur, mettez-le dans son tort.

TISIPHONE
Il ne l’y met que trop, en se plaignant sans cesse
Que l’ingrat Jupiter ne tient point sa promesse. [150]

RADAMANTE
Ce souverain du ciel qui, par des soins divers,
Pense éternellement au bien de l’univers
Peut faire en un instant tout ce qu’il se propose.
Mais il peut quelquefois différer une chose.

TISIPHONE
Se peut-il occuper à de plus nobles soins
Qu’à tenir sa parole ?

RADAMANTE
                                 Essayons-y du moins.

TISIPHONE
Quoi ? vers un frère ingrat employer la prière ?

RADAMANTE
Oui, toujours la douceur doit marcher la première.

PLUTON
Qu’on m’appelle Mercure ! En semblables traités [159]
Jupiter doit par lui savoir mes volontés. [160]
Prends ce soin, Ascalaphe, et qu’à ma voix divine
Ce courrier en ce lieu promptement s’achemine.
Veut-on que je relève, étant né souverain,
Du suprême pouvoir de ce frère inhumain ?
Quelque félicité que mon esprit conçoive,
Je ne demande rien que l’ingrat ne me doive,
Rien qu’il ne m’ait promis par accord solennel
Lorsque je lui quittai le sceptre paternel :
Pour cela ma colère avec raison s’enflamme.
Qu’il y consente ou non, Pluton veut une femme ; [170]
Il veut que les plaisirs d’un réciproque amour
Tempèrent les ennuis de son triste séjour,
Que de deux coeurs unis les accords agréables
Adoucissent l’enfer, et ses cris effroyables.
Souviens-t’en, Jupiter, et songe seulement
Que je puis contre toi m’animer justement,
Que je puis déchaîner ce vaillant Briarée [177]
Dont ta divinité fut si peu révérée
Quand les fils de la Terre, entassant mont sur mont,
Portèrent la terreur jusque dessus ton front. [180]
Par quelle autorité me fais-tu cet outrage ?
Dus-je quitter ainsi l’honneur et le courage
Lorsque je te quittai cet empire azuré ?
Si j’ai perdu le ciel, le cœur m’est demeuré.
Bien que le jour manque en ce palais funeste,
Je te ferai bien voir que la force me reste
Et je rendrai témoins de mes coups glorieux
Ces brillantes clarté dont tu pares les cieux.

RADAMANTE
Modérez pour un temps ces transports de colère,
Dieu des profondes nuits, sage et généreux frère, [190]
Et ne détachez point les Titans de leurs fers.
Les Cieux, où l’on vous craint, auront soin des Enfers,
Et jamais le refus d’un hymen si louable
Ne rompra de trois dieux l’union vénérable.
Avant que l’œil du monde ait achevé son tour,
Deux beaux yeux dans l’Enfer apporteront le jour
Et, pour vous consoler, dans vos demeures sombres,
Vous jouirez d’un corps au milieu de tant d’ombres.
Calmez donc les bouillons d’une si prompte ardeur
Jusqu’au retour heureux de votre ambassadeur. [200]

PLUTON
Les traits sont si puissants quand l’amour les décoche
Que… Quoi ! Ne vient-il pas ?

ASCALAPHE
                                        Le voici.

PLUTON
                                                      Qu’il approche !

Arrive MERCURE

PLUTON
Toi par qui sont connus tous les secrets des dieux,
Commun ambassadeur de l’Enfer et des Cieux,
Qui seul pouvant sortir de ses voûtes profondes
Entretiens le commerce en nos différents mondes,
Député de ma part, fends le vaste des airs,
Passe plus promptement que ne font les éclairs
Et jure par le Styx au maître du tonnerre
Que le dieu des Enfers lui déclare la guerre [210]
S’il ne voit aujourd’hui dans son pâle séjour
Régner une beauté digne de son amour.
Fais pour moi ce serment, officieux Mercure,
Et n’appréhende point que Pluton se parjure.
Oui, si ce Jupiter n’y consent aujourd’hui,
Tout l’Enfer mutiné s’armera contre lui.
J’ouvrirai les cachots des royaumes funèbres,
Je confondrai le jour avecques les ténèbres,
J’ébranlerai la terre en ses creux fondements,
Je troublerai partout l’ordre des éléments, [220]
Je romprai de mes eaux les plus fortes barrières,
Je ferai déborder mes fumantes rivières
Et, dans ce prompt chaos, je perdrai les mortels
Qui de ce frère injuste adorent les autels.
Il verra, le superbe, en ce brûlant naufrage,
Que je sais puissamment repousser un outrage
Et qu’il est dangereux, en des transports si prompts,
De refuser un dieu qui commande aux démons.
Si j’ai le pire sort, si l’aveugle fortune
Me traite encore plus mal qu’elle n’a fait Neptune, [230]
Puisqu’il peut dans les eaux contenter ses désirs,
Je veux, parmi les feux, nager dans les plaisirs.
Je ferai voir du moins que Jupiter commence
A rompre injustement notre auguste alliance,
Puisque je tiens encor mon dépit suspendu
Jusqu’à ce que, par toi, l’ingrat m’ait répondu.
Si j’arme contre lui, dois-je en être blâmable,
Lui qui, m’ayant promis ce qu’amour a d’aimable,
Ose bien s’en dédire et ne s’en souvient pas.
Va ! Mais reviens bientôt.

MERCURE
                                    J’y vole de ce pas. [240]

[Mercure sort]

PLUTON
Cependant, compagnons, dans l’attente incertaine,
Tenez, pour me venger, vos fureurs en haleine.
Que l’on soit toujours prêt et qu’au moindre signal
Je trouve armé d’horreur tout le camp infernal.
Tisiphone, allons voir dans mes affreux abîmes
Ce que nous employons au châtiment des crimes ;
Si la flamme et le fer, si la peste et la mort
Sont en état de faire un prompt et rude effort
Et si, pour réparer un affront si sensible,
Je n’ai pas dans l’Enfer tout ce qu’on voit d’horrible. [250]


2- Changement de décor : la scène est dans le Ciel. JUPITER s’entretient avec VÉNUS. [acte II, scène 1, p. 14]

JUPITER
Tu sais, belle Vénus, par quel étroit accord
Le destin confirma le bonheur de mon sort
Et qu’entrant souverain dans le plus beau des mondes
Je promis une reine aux demeures profondes.
Pluton me fait sommer de m’en ressouvenir.
J’ai donné ma parole ; il me la faut tenir.
Il est temps désormais qu’en ce trône de flamme
L’hymen fasse éclater les beautés d’une femme.
Il est temps que mon frère, en ce triste séjour,
Goûte au moins les plaisirs d’un légitime amour. [260]
Les perles, le corail et le jaspe liquide
Font un trône royal où Neptune préside.
Les cent rares beautés que ce dieu peut tenter
Aussi bien qu’Amphitrite ont soin de le flatter.
Pluton seul aux Enfers règne sans compagnie
Dans des cachots affreux d’où la joie est bannie,
Où n’entrèrent jamais l’amour ni la clarté,
Dont l’horreur éternelle est toute la beauté.
Songeons à lui donner ces douceurs infinies
Qu’un chaste hymen départ à deux âmes unies. [270]
Faisons mourir sa plainte à force de plaisirs
Et ne lui laissons plus de sujets de désirs.

VÉNUS
Disposez de mes soins, ménagez mes caresses
Et si, dans ce rencontre, il faut d’autres adresses,
Servez-vous de mon fils ; il est, dans cet emploi, [275]
Quoiqu’enfant, quoi que nu, plus capable que moi.

JUPITER
Il y va de ta gloire ainsi que de la sienne
Que son autorité puissamment se maintienne,
Que la terre et les cieux, les eaux et les enfers
Sentent également le pouvoir de ses fers. [280]
Va donc trouver ton fils ; choisis-lui dans sa trousse
Une flèche si belle et si forte et si douce,
Anime-le si bien que, de son coup fatal,
Il enflamme le cœur du monarque infernal.
Mais ce n’est pas assez que mon frère soupire
Si tu n’étends plus loin ton amoureux empire,
Si, par des traits puissants, tu ne fais aujourd’hui
Qu’une rare beauté soupire aussi pour lui :
C’est le point important d’un si noble service.

VÉNUS
L’apparence, ô grand Dieu, que mon soin réussisse [290]
Et qu’un lieu plein d’horreur où n’entre point le jour
Donne à quelque beauté des sentiments d’amour !

JUPITER
Si ce dieu des trésors n’a pas assez de charmes,
Il faut, chère Vénus, lui donner d’autres armes.
Tu connais Proserpine et sais combien de dieux [295]
Ont ressenti les traits qui partent de ses yeux.
Tu sais que leur amour, jointe à leur artifice,
Ne la surprit jamais par l’amorce du vice.
Tu sais qu’elle est unique et que c’est un parti
Aux grandeurs de Pluton dignement assorti. [300]
C’est la rare beauté qu’en faveur d’hyménée
Les destins, dès longtemps, aux Enfers ont donnée.
Or, tandis que sa mère exige des mortels
Les honneurs qu’on doit rendre à ses fameux autels
Et qu’elle l’a cachée en un lieu de Sicile
Qu’elle croit pour sa garde un imprenable asile,
Choisis, pour l’éblouir, tes plus vives couleurs,
Va près de ce château l’attirer sur des fleurs
Et là tout à propos se trouvera mon frère
Qui, par un heureux rapt, achèvera l’affaire. [310]
C’est tout ce que je veux. Songe donc à partir ;
Et cependant Mercure ira l’en avertir.
Mais, parce qu’en ma cour tout le monde t’épie,
Qu’à ton esprit adroit rarement on se fie,
Et que, par un malheur à ta beauté fatal,
Tes plus sages desseins s’expliquent toujours mal
A présent qu’il s’agit d’enlever une fille
Qui seule est le trésor d’une auguste famille,
Pour faire à tes discours ajouter plus de foi,
Prends la chaste Diane et Pallas avec toi. [320]
Feins d’aller sans dessein et fais, par ton adresse,
Que Pluton aujourd’hui possède une maîtresse.

VÉNUS
Je sais feindre à propos et disposer mes rets.

JUPITER
N’attendons pas surtout le retour de Cérès.
Quand le coup sera fait, qu’elle crie il n’importe.
On ne révoque pas mes arrêts de la sorte.
Outre que mon pouvoir est assez absolu,
Les Parques et Thémis l’ont ainsi résolu.
Concluons donc, Vénus, cette noble aventure.
Dépêchons à Pluton le vigilant Mercure. [330]
Mais prenez tous deux garde, en servant ce grand dieu,
De convenir ensemble et du temps et du lieu.


3- Retour aux Enfers. PLUTON est toujours avec TISIPHONE et RADAMANTE. [acte II, scène2, p. 18]

PLUTON
Il n’en faut plus douter : un procédé si lent
A rendu contre nous Jupiter insolent.
Ce long retardement de son traître Mercure
Est d’un mauvais succès un infaillible augure.
Vous voyez maintenant comme on s’y doit fier
Et comme il est honteux à des dieux de prier.
Ah ! je ne devais pas d’une lâche prière
Presser ce frère ingrat dont l’humeur est si fière [340]
Et publier partout, me plaignant de sa foi,
Que les fils de la terre ont plus de cœur que moi.
Quelqu’un de mes sujets devait avoir l’audace
De blâmer hautement une action si basse.
Mon respect, Radamante, a trop mal réussi
Et vous ne deviez pas me conseiller ainsi.
C’est à ce coup, esprits généreux et fidèles,
Qu’il faut aller au Ciel terminer nos querelles.
Poursuivons vivement ce combat entrepris
Et ne supportons pas plus longtemps un mépris. [350]
Occupons noblement le ciseau de la Parque.

TISIPHONE
On n’attend que votre ordre, invincible monarque.

RADAMANTE
Souvent le repentir suit les conseils trop prompts.

TISIPHONE
Peut-on trop tôt punir de semblables affronts :
Lorsqu’on est offensé, l’on doit être sévère.

RADAMANTE
Toujours le bon conseil vaut mieux que la colère.
Qui consulte avec crainte entreprend sûrement.

TISIPHONE
Qui consulte avec crainte entreprend faiblement
Et fait que ses soldats, aux plus chaudes alarmes,
Avec moins de valeur mettent la main aux armes. [360]
J’ai cent fois inspiré d’assez nobles efforts,
J’ai fait cent fois couvrir les campagnes de morts.
Mais je sais qu’aux combats les bons succès dépendent
Du conseil violent des grands coeurs qui commandent,
Non pas de ces poltrons, ces ennemis de Mars,
Que la peur fait pâlir dans les moindres hasards.
Un grand dieu doit toujours, lorsque quelqu’un l’offense,
Autrement qu’un mortel en tirer la vengeance
Et sa juste colère, où le pouvoir est joint,
Est un foudre vengeur que l’on n’évite point. [370]
Ce lâche ambassadeur a manqué de parole.
Il ne faut point de temps à Mercure qui vole
Et depuis ce matin il devrait être ici.
Pourquoi tant différer ?

RADAMANTE
                                 Puissant dieu, le voici
Et l’on dirait qu’Amour lui prête encor ses ailes
Pour vous donner plus tôt d’agréables nouvelles.

[Entre Mercure, de retour du Ciel]

PLUTON
Ce monarque du Ciel s’est-il enfin soumis
À s’acquitter vers moi de ce qu’il m’a promis ?

MERCURE
Je n’ai rien que d’aimable et de grand à vous dire.

PLUTON
Un moment fait languir un amant qui désire. [380]

MERCURE
Immortel souverain de l’Empire des morts,
À qui sont en partage échus tant de trésors,
La fille de Cérès, la belle Proserpine,
Est celle que le Ciel aujourd’hui vous destine.
Et Jupiter m’envoie en cet obscur séjour
Vous offrir de sa part ce miracle d’amour.
On ne voit point d’éclat que le sien n’éblouisse.
Mais, pour la posséder, il faut qu’on la ravisse :
C’est à vous qu’appartient cet effort glorieux.
Déjà, pour vous aider, Vénus quittant les Cieux [390]
Avec un ordre exprès est allée en Sicile
L’attirer sur les fleurs dont se pare cette île.
Tandis que promptement j’irai par l’univers
Dire aux divinités des terres et des mers
Qu’on ne découvre point le rapt de Proserpine
Si l’on ne veut déplaire à la grandeur divine.
Je vous laisse, ô grand Dieu, penser à ce beau choix.

PLUTON
La joie et la douleur m’ont surpris à la fois :
Elle est sage, elle est belle et d’auguste naissance.
Je ne refuse point sa céleste alliance [400]
Et Jupiter m’oblige en m’offrant ce parti :
Mon cœur secrètement a déjà consenti.
Mais, si je vous en crois, mes conseillers fidèles,
Est-ce là noblement terminer nos querelles ?
On m’offre une beauté qui peut tout captiver.
Mais me la donne-t-on, s’il la faut enlever ?
Après ma longue attente, un hymen légitime
Se doit-il accomplir par la faveur d’un crime ?
Puis-je de ce trésor posséder la douceur
Si d’injustes moyens m’en rendent possesseur ? [410]
Qui fait ce doux hymen que l’accord de deux âmes ?
Qui me peut conseiller ces criminelles flammes ?

TISIPHONE
Que vous peut-on ici justement reprocher ?
Quoi ? Ne sait-on pas bien qu’un dieu ne peut pécher.
Banissez les froideurs qu’un vain respect vous donne
Jupiter y consent ; le destin vous l’ordonne
Et, quand ils n’auraient pas ce juste mouvement,
L’amour est votre excuse en cet enlèvement.

PLUTON
Étant ce que je suis, et l’affaire étant telle,
La douceur ferait mieux.

RADAMANTE
                                   Une fille si belle, [420]
Pour qui les dieux du Ciel soupirent vainement
Ne viendra point ici faire choix d’un amant.
Et le soin de Cérès la rend si peu visible
Que désirer la voir, c’est tenter l’impossible
Si vous n’exécutez ce complot amoureux.
Il ne vous suffit pas d’être né généreux,
Il ne vous suffit pas d’être grand, d’être sage,
D’avoir avec l’Enfer les trésors en partage,
Et pour frères Neptune et le Dieu tout puissant,
Vous ne l’obtiendrez pas si Cérès n’y consent. [430]
Mais pouvez-vous penser que jamais cette mère,
Tenant comme elle fait Proserpine si chère,
Pour quoi que se puisse être, éloigne de ses yeux
Ce qu’elle a de plus rare et de plus précieux.
Enlevez-la, grand dieu : vous êtes digne d’elle.
Votre sceptre est plus beau que la fille n’est belle.
Les douceurs de l’hymen la pourront rassurer
Et, la chose étant faite, il faudra l’endurer.
Donnez ce prompt remède aux douleurs de votre âme.

PLUTON
Sus, esprits, tenez prêt mon chariot de flamme. [440]
Que l’on m’aille quérir, aux bords de Phlegeton,
Alastor et Nictée, Orphnée avec Ethon.
Que Mégère en partant les lave et les abreuve
Dans les ondes de feu qui roulent dans ce fleuve
Et qu’ils soient à ce char promptement attelés.
Cette affaire me presse. Allez vite, volez.
Mercure, cependant, vas retrouver mon frère.
Dis-lui que ses bontés éteignent ma colère,
Me permettant d’éteindre, en mon obscur séjour,
Les brûlantes ardeurs du beau feu de l’amour. [450]
Jure-lui de ma part une paix éternelle,
Si j’enlève aujourd’hui cette fille immortelle
Dont la rare beauté, par d’invisibles traits,
A déjà dans mon âme imprimé ses attraits.
Mais non, reviens, Mercure, en mon palais m’apprendre
Où Vénus en cette île a promis de m’attendre.
Pour faire heureusement nos complots réussir,
On ne peut trop longtemps ni trop bien s’éclaircir.
Je ternirais l’éclat de ma grandeur suprême
De manquer ce beau coup, l’entreprenant moi-même. [460]
Et nous ne perdrons point en frivoles propos
Cet instant bienheureux d’où dépend mon repos.


4- La scène est en Sicile - VÉNUS, DIANE et PALLAS sont venues rencontrer PROSERPINE [acte III, scène 1, p. 26]

VÉNUS
Que je te trouve heureuse en un lieu si fertile
Et que le Ciel est laid au regard de cette île.
Aimable Proserpine, un si rare séjour
T’a dû faire quitter notre céleste Cour
Et l’on devait loger au plus beau lieu du monde
Celle dont la beauté n’eut jamais de seconde.

PROSERPINE
Vous me raillez toujours, me donnant des appas
Que mon teint, mon visage et mon esprit n’ont pas. [470]
Mais du moins il est vrai que cette île se pare
De tout ce que la terre eut jamais de plus rare,
Qu’un printemps éternel y rit parmi des fleurs
Dont l’émail éclatant ne se voit point ailleurs.

VÉNUS
Si ton île est féconde en de si belles choses,
Si dans son large sein tant de fleurs sont écloses,
Si la riche abondance a vaincu les désirs,
N’en dois-tu pas goûter les plus parfaits plaisirs
Sans passer tes beaux jours dans cette humeur austère,
Captive en une tour ?

PROSERPINE
                              J’obéis à ma mère [480]
Par son commandement habitant ce château.
Fût-il rempli d’horreur, je le trouverais beau.
Dans cette obéissance ainsi tout m’est aimable.

VÉNUS
De toutes les vertus, elle est la plus louable.
L’on ne peut trop donner de respect et d’amour
À ceux par qui le ciel nous donne part au jour.
Mais crois-tu que Cérès veuille ici te défendre
Les honnêtes plaisirs qu’une fille peut prendre ?
Qu’une si tendre mère ait eu la cruauté
De souhaiter de toi ce qui perd la beauté ? [490]
Perds plutôt ce chagrin où ton âme s’emporte.
Tu dois, prudente fille, obéir de la sorte.
Bannis de tes beaux yeux ces petits rougeurs
Dont la chaleur ne vient que de l’eau de tes pleurs.

PROSERPINE
Il est vrai que, tantôt, rêvant sur mon ouvrage,
J’ai senti dans mon cœur un funeste présage.
Mais je ne puis moi-même en savoir le sujet.
Cet ouvrage au logis était tout mon objet.
J’y voyais déjà croître* une vive peinture
Des plus rares beautés que produit la nature. [500]
Mille fleurs composaient un gracieux émail.
On voyait dans la mer des perles du corail,
Et l’on sentait le vent qui, d’une douce haleine,
Y soulevait des flots et de soie et de laine.
J’avais vêtu l’iris* de ces éclats charmants
Dont la nature et l’art parent les diamants
Et qu’en un temps serein l’œil curieux admire
Dans leur eau précieuse où le soleil se mire.
Mon aiguille avait peint ce beau palais des dieux.
Elle avait attaché deux grands astres aux cieux [510]
Et d’un azur brillant allumé les étoiles.
L’air avait ses éclairs, la nuit avait ses voiles.
Il ne me restait plus qu’à descendre aux enfers
Pour y peindre Pluton, ses manes et ses fers.
Je le tirais déjà dans son trône de flamme,
Quand une horreur subite avant saisi mon âme
Je n’ai pu retenir un déluge de pleurs
Dont j’ai pensé noyer et ciel et mers et fleurs.

VÉNUS
Mais n’est-ce point un songe ?

PROSERPINE
                            Un songe ? l’apparence,***
J’étais trop attentive à ma triste nuance.** [520]

VÉNUS
L’attention si forte à des objets puissants,
Lassant ainsi la vue, assoupit tous les sens.
Mais, de peur qu’en parlant aussi l’on ne se lasse,
Inventons quelque jeu.

DIANE
                          Non, allons à la chasse.

PROSERPINE
Je n’oserais, déesse, éloigner ce château. [525]

VÉNUS
Cueillons plutôt des fleurs sur un tapis si beau.

PROSERPINE
Votre avis est fort bon ; cette île est assez grande.

VÉNUS
Que chacune de nous en fasse une guirlande
Et nous couronnerons le front victorieux
De celle dont le choix réussira le mieux. [530]

PROSERPINE
Je le veux.

DIANE
          J’y consens

PALLAS
                              Je l’approuve avec joie.

VÉNUS
Donc sans perdre le temps où l’honneur nous emploie,
Que chacune choisisse un endroit écarté
Pour disputer le prix entre nous arrêté.
Je prends déjà pour moi la plus prochaine place.

DIANE
Dans les grandes chaleurs mon carquois m’embarrasse :
Nous n’avons rien à craindre en un lieu si plaisant.

PROSERPINE
Votre armet, chère sœur, est aussi bien pesant. [538]

DIANE
Je m’en vais tout cacher au pied de ce lierre.

PALLAS
Et moi planter auprès ma lance dans la terre. [540]

VÉNUS
Que chacune s’éloigne, et ne regarde pas
Ce que fait sa compagne.

VÉNUS, restée seule
                                   Elles s’en vont là-bas.
Mais, de peur que Diane, aux cris de Proserpine,
À venger cette injure aussitôt ne s’obstine
Avec ces traits puissants qu’on ne peut éviter,
Allons détendre l’arc qu’elle vient de quitter.
J’obéis, Jupiter : la proie est attrapée.

PROSERPINE, restée seule
La subtile Vénus à ce coup s’est trompée :
Voici le bel endroit. Tout rit à mon dessein :
Je serai couronnée aujourd’hui de sa main. [550]
Que d’agréables fleurs près de moi je découvre !

[Bruit, tonnerre ; un char sort de terre au milieu des éclairs]

PROSERPINE
Mais quel bruit est ceci ? Bons dieux ! la terre s’ouvre ;
Elle s’émeut sous moi d’un soudain tremblement.
Les astres dans le ciel changent leur mouvement.
Dieux ! que vois-je là-bas ? L’épouvantable gouffre !
L’insupportable odeur : tout pue ici le soufre !
Ces éclairs surprenants me donnent de l’effroi !
Un chariot de feu s’avance devers moi !
Où m’irai-je cacher ?

PLUTON, sortant de son char et saisissant Proserpine
                            Ne craignez point, ma reine !

PROSERPINE
Grandes divinités ! à mon aide ! on m’entraîne ! [560]

PLUTON
Ne vous en troublez pas : c’et Pluton, c’est un dieu
Qui, pour vous couronner, vous ôte de ce lieu.

PROSERPINE
Au secours ! C’est Pluton !

Les trois déesses reviennent pendant que Pluton entraîne Proserpine sous la terre.

VÉNUS
                                            Agréables alarmes.
Tout va le mieux du monde : elles n’ont pas leurs armes
Et déjà ces chevaux, par des chemins couverts,
Gagnent l’antre fumant qui conduit aux enfers.

DIANE
Ah ! ma sœur ! c’en est fait !

PALLAS
                                       Il est encore proche.
Ajuste vite un trait, ma sœur, et le décoche
Vers l’endroit où ce nom s’est si fort entendu. [569]

DIANE
Je ne saurais si tôt : mon arc est détendu. [570]

PALLAS
Courons donc !

DIANE
                       Où, bons dieux ?

PALLAS
                                     Au hasard ; il n’importe.
Je la vois, chère sœur : un char de feu l’emporte.

DIANE
Ah ! nos cris et nos pas sont ici superflus.
Il a fendu la terre et l’on ne le voit plus.
Ce monarque inhumain des abîmes de flamme
L’entraîne en ses Enfers. Il voulait une femme.
Proserpine est trahie et, pour mieux s’excuser,
Vénus avecque nous a voulu l’abuser.
Vois qu’elle est peu surprise !

VÉNUS
                                          Après ces artifices,
Qui ne croira, mes sœurs, que vous êtes complices, [580]
Que votre intelligence approuve ces desseins
Et que ce coup funeste est un coup de vos mains.
Par quelle honnête excuse étiez-vous désarmées,
Vous qu’on voit aux combats sans relâche animées ?
Par quelle honnête excuse étiez-vous sans carquois,
Vous qui chassez sans cesse au plus profond des bois ?
Les traits vous manquent-ils, adroite chasseresse,
Dès qu’il faut d’une biche arrêter la vitesse.
Et, pour sauver l’honneur d’une fille des Cieux,
Faut-il manquer encor de pieds, de voix et d’yeux ? [590]
Peut-on plus lâchement secourir Proserpine ?
Elle est, ainsi que vous, de céleste origine :
En cette qualité, que l’on doit révérer,
Vous la deviez défendre et la considérer.

DIANE
C’est vous, dont l’artifice est ici manifeste,
Qui deviez respecter cette beauté céleste,
Non pas nous attirer en ces funestes lieux
Pour mieux exécuter vos complots odieux.
C’est vous qui vous avez toutes deux désarmées,
Dont les fausses bontés nous ont ainsi charmées. [600]
Et je vais, de ce pas, m’en plaindre à Jupiter.

VÉNUS
Prenez de bons témoins ; faites-vous assister
Et, si votre crédit n’appuie assez la chose,
J’irai moi-même au Ciel y plaider votre cause.
Cependant mon adresse a rompu leur dessein
Et mon fils à présent est partout souverain.
Fais vœu, dorénavant, farouche Proserpine
De mépriser des traits dont la trempe est divine.


5- Dans les Enfers - PLUTON, au milieu de sa Cour, essaie d’apaiser PROSERPINE [acte III, scène 3, p. 36]

PLUTON
Grâces à Jupiter, à Vénus, à l’Amour,
Vous voilà, ma princesse, arrivée en ma Cour [610]
Où j’immole à vos pieds et mon sceptre et ma vie.
Vous fâchez-vous encor d’avoir été ravie ?

PROSERPINE
Si vous aviez dessein, maître absolu des Cieux,
Que la clarté céleste abandonnât mes yeux,
Votre bras tout puissant porte-il pas un foudre
Qui pouvait m’en priver, me réduisant en poudre.
Aviez-vous** pu conclure au sacré tribunal
Qu’on traînât votre fille en l’abîme infernal ?
Quel crime ai-je commis ? Que vous a fait ma mère
Pour attirer sur nous ces éclats de colère ? [620]
Qui peut avoir aigri cette extême bonté
Par qui le plus grand crime est toujours surmonté ?
Quand la témérité des enfants de la terre
Porta leur insolence à vous livrer la guerre,
Avons-vous conspiré contre vous avec eux ?
Ai-je appris à Junon vos larcins amoureux ?

PLUTON
Laissons aller sa plainte où son dépit la pousse.
Elle en sera tantôt plus traitable et plus douce :
La plus forte colère en criant s’adoucit.

PROSERPINE
Ainsi donc, ô Diane, un saint voeu réussit. [630]
Donc je suis la victime aux enfers destinée !
Est-ce ainsi, Jupiter, que je suis couronnée ?
Et m’a-t-on fait sortir du sacré sang des dieux
Pour confiner ma vie en de si tristes lieux ?
En l’état où je suis, que je te trouve heureuse,
Qui que tu sois, mortelle, insensible, amoureuse,
Qui que soit ton amant, soit sûr ou dangereux
L’endroit où te conduit un brutal amoureux
Ou ton consentement adoucit cette gêne,
Ou comme moi par force un insolent t’entraîne [640]
Mais tu jouis toujours du bien de la clarté.
Hélas ! avec l’honneur ce bonheur m’est ôté :
Pour jamais on m’exile en un infâme gouffre
Renommé seulement pour les maux qu’on y souffre.
Un affreux ravisseur m’entraîne en ses Enfers.
On me couronne reine en m’attachant aux fers.
Ô ruse de Vénus, complice de ma perte,
Et trop tôt éprouvée, et trop tard découverte,
Visite infortunée, adorables avis
Que j’ai si bien reçus, que j’ai si mal suivis. [650]
Quelque part où tu sois, chère et pieuse mère,
Regarde avec pitié l’excès de ma misère,
Rompt le cruel dessein d’un tyran furieux
Et ne me laisse point dans ces funestes lieux.

PLUTON
Chassez de votre esprit cette injuste tristesse.
Si vous voulez pleurer, que ce soit d’allégresse.
Un indigne mari ne profanera pas
Ce teint où la beauté règne avec tant d’appas.
Je suis roi des trésors, je suis roi des monarques.
À moi seul, en tout temps, obéissent les Parques. [660]
Bref, tout ce qui respire est sujet à ma loi
Et vous partagerez cet empire avec moi.
Déjà toute ma cour, de vos beautés ravie,
Et brûlant de leur être à jamais asservie,
Vient vous faire à genoux un serment solennel
De rendre à sa déesse un hommage éternel.
La clarté de vos yeux dissipe les ténèbres.
L’on n’entend plus l’horreur des hurlements funèbres
Et déjà les damnés sont si respectueux
Qu’ils n’osent murmurer, vous voyant auprès d’eux. [670]
Ces fameux potentats, ces foudres de la guerre
Dont l’éclat orgueilleux faisait trembler la terre,
Déchus en un instant de leurs titres mortels,
Viendront parmi le peuple adorer vos autels
Et vous prendrez plaisir, sur un trône adorable,
D’obliger l’innocent, de punir le coupable.

PROSERPINE
Quel plaisir puis-je prendre où ma mère n’est pas ?

PLUTON
Ne vous arrêtez point à ces faibles ébats**.
Votre âge vous convie à de plus hauts mystères.
Un mari comme moi vaut seul toutes les mères. [680]
Il faut mieux que vos fleurs, mieux que tous vos plaisirs
Et vous condamnerez ces frivoles désirs
Quand vous aurez goûté ceux qu’un dieu vous réserve.
Vous oublierez bientôt et Diane et Minerve.

PROSERPINE
Le moyen d’être gaie en l’éternelle nuit ?

PLUTON
Ici, belle princesse, un nouvel astre luit.
Et, pour vous réjouir, mes Iles fortunées
Sont d’un émail de fleurs en tout temps couronnées
Plus parfumé cent fois, plus durable et plus beau
Que celui dont Etna borde votre château. [690]
C’est dans mes champs heureux que Flore est souveraine,
Que Zéphir la courtise avec sa douce haleine,
C’est là que commencé de s’épandre dans l’air
L’odeur que le jasmin prend plaisir d’exhaler.
C’est là qu’en un clin d’œil mille fleurs sont écloses,
Que l’œillet rend hommage à l’incarnat des roses
Et qu’on voit le soleil, de ses pinceaux polis,
Coucher l’or sur Clitie et l’argent sur le lys. [698]
Une nouvelle aurore, au lieu de vos rosées,
Baigne d’eau de senteurs mes plaines élysées. [700]
C’est là qu’à son lever mille petits oiseaux
Mêlent leur douce voix au murmure des eaux.
C’est là que d’un beau vert la terre se tapisse,
Qu’un rayon de soleil ressuscite Narcisse
Et que ce bel enfant, tué par Apollon,
Fait lire sur sa fleur deux lettres de son nom.
C’est là que la tulipe a des couleurs parfaites,
Qu’un frais azur est peinte sur mille violettes,
Que, pour vous présenter d’aimables nouveautés,
La grenade et l’orange enfantent leurs beautés [710]
Et qu’un vif nacarat brille sur l’anémone.
C’est là, chère beauté, que Vertumne et Pomone
Travaillent à l’envi, par mille soins divers,
À rendre mes jardins toujours beaux, toujours verts,
Qu’un concours éternel de riches influences
Relève ces tapis de fruits et de nuances.
C’est, ma chère princesse, en ce lieu précieux
Que vous aurez un trône aussi beau dela*** Cieux.
Sus, que toute ma Cour à le parer s’applique
Et pour vous faire voir que la joie est publique, [720]
Que l’horreur de la nuit quitte la place au jour,
Qu’on arrache Titie à son gourmand vautour, [722]
Qu’on détache Ixion, que l’altéré Tantale
S’enivre à la santé de la Reine infernale,
Que Sisyphe à présent ne se puisse fâcher
Ne sentant plus sur lui retomber son rocher,
Que, dans ces jours heureux, la troupe Danaïde
Quitte le soin d’emplir un tonneau toujours vide
Et que, pour être enfin plus content désormais,
L’allégresse préside où l’on en vit jamais. [730]

PROSERPINE
L’innocente victime est ainsi couronnée
Et parmi les honneurs au supplice menée.

PLUTON
Ce qui peut à présent exciter vos soupirs
Sera tantôt l’objet d’où naîtront vos plaisirs.


6- En Sicile, CÉRÈS fait des reproches à ÉLECTRE, la nourrice de sa fille [acte III, scène 4, p. 43]

CÉRÈS
Pernicieuse Électre, imprudente nourrice,
Est-ce ainsi que tu veux couronner ton service ?
Pouvais-je en assurance, abandonnant ces lieux,
Commettre à d’autres soins un bien si précieux ?
Ne prenais-tu plaisir d’élever ta maîtresse
Que pour nous donner mieux ces sujets de tristesse ? [740]
L’aimais-tu pour la perdre et te plaire à servir
L’insolent suborneur qui devait la ravir ?
L’avais-je en vain du Ciel amenée en Sicile ?
L’avais-je en vain logée en un si fort asile ?
Et ne t’avais-je pas expressément enjoint
Que, jusqu’à mon retour, elle n’en sortît point ?

ÉLECTRE
Las ! il n’est que trop vrai, Déesse incomparable.
Mais les filles du Ciel seules m’ont fait coupable.
Pouvais-je honnêtement ne lui permettre pas
D’accompagner dans l’Ile et Diane et Pallas. [750]
Aurait-on jamais cru que le noble courage
De la Reine des bois eût souffert cet outrage ?
Ni même qu’à l’aspect de sa guerrière sœur
Eût osé l’aborder ce brutal ravisseur ?
Ainsi je l’ai permis ; Ciena l’a suivie.

CÉRÈS
Que n’as-tu donc su d’elle, au moins, qui l’a ravie ?

ÉLECTRE
À l’aspect étonnant d’une suite d’éclairs
Que j’ai vu du château s’élever dans les airs,
Au bruit affreux de voix, entre elles confondues
Que j’ai, de ce lieu même, à l’instant entendues, [760]
Tant que mon faible corps m’a permis de marcher,
Confuse j’ai couru dans l’île la chercher.
Alors un bruit du ciel a frappé mon oreille,
Comme si Jupiter eût fait quelque merveille.
Une épaise fumée, un air noir et poudreux
A couvert le soleil d’un voile ténébreux,
Dérobant tout d’un coup les objets à ma vue.
Ce grand bruit a cessé ; cete île est disparue.
Mais mon mal et ma peur faisant agir ma voix
M’ont fait trouver Cyane au-delà de ce bois. [770]
Cette nymphe adorable, et que votre ennui touche,
Pour le conter l’histoire ouvrait déjà la bouche.
Le nom du ravisseur, à moi-même inconnu,
Jusque dessus sa lèvre était presque venu,
Quand je sentis ses bras et ses cheveux humides
S’amollir à l’instant, être aussitôt liquides
Et tout ce corps, enfin, si charmant et si beau,
S’écoulant de mes mains, devenir un ruisseau
Quand ses yeux pleins de feux, noyant ainsi leurs charmes,
Pour mieux pleurer vops maux, se sont changés en larmes. [780]

CÉRÈS
Ah ! je n’ai plus de fille, et le Ciel a permis
Que ce lâche attentat contre moi soit commis.
Ces présages affreux, qui m’ont fait tant de peines,
Étaient de mon malheur des marques trop certaines.
Je n’ai pas sans sujet résolu mon retour
Avant que le soleil nous redonnât le jour.
Ce n’est pas sans sujet, dormant la nuit passée,
Qu’un songe épouvantable a troublé ma pensée,
Que mon aimable fille à mes yeux s’est fait voir
Le cœur percé de traits et sous un habit noir, [790]
Qu’au milieu de ma cour ses grands ormes stériles
Par miracle à l’instant sont devenus fertiles
Et que ce beau laurier, dont les sacrés rameaux
Ont couronné le front de tant d’époux nouveaux,
Comme s’il eût senti la colère du foudre,
Au moindre attouchement se réduisait en poudre.
Ce prodige nouveau devait seul m’avertir
Que je ne devais plus différer à partir.

ÉLECTRE
Las ! un aussi croyable et funeste présage
Troubla ma chère fille achevant son ouvrage. [800]
Une subite horreur changea ses yeux en eau
Quand ces perfides sœurs entrèrent au château.

CÉRÈS
Quelque fâcheux destin que ta compagne éprouve,
Il faut par son secours que ma fille se trouve.

ÉLECTRE
Le jour, sage Cérès, va céder à la nuit.

CÉRÈS
Je prendrai des flambeaux si le soleil ne luit.

ÉLECTRE, restée seule
Quelle apparence, ô dieux, que Cyane réponde.
Le moyen qu’elle parle, elle qui n’est qu’une onde.
Le moyen de tarir la source de mes pleurs
Si le Ciel autrement n’inspire nos douleurs. [810]
Ah ! qu’à de longs ennuis mon malheur me destine,
Si je veux dignement te pleurer, Proserpine.


7- La scène est dans le Ciel, où sont revenues VÉNUS, DIANE et PALLAS. JUPITER s’entretient avec MERCURE. [acte IV, scène 1, p. 48]

JUPITER
Hé bien, ton éloquence a-t-elle heureusement
Commandé le secret de notre enlèvement ?

MERCURE
J’ai vu les déités des campagnes salées,
J’ai visité les monts, les coteaux, les vallées,
J’ai vu Pan et sa suite au milieu des forêts,
J’ai couru les étangs, les fleuves, les marais,
J’ai rompu le sommeil des Nymphes des fontaines,
J’ai sommé les buissons, les cavernes, les plaines, [820]
Tout l’univers enfin, par serment solennel,
Vous promet, grand monarque, un silence éternel.

JUPITER
Je n’attendais rien moins de l’onde et de la terre
Que cette obéissance au maître du tonnerre
Et j’ai toujours bien cru la pouvoir obtenir
Sans qu’un commandement les fît ici venir.
Surtout donc qu’on se garde, en ma maison divine,
D’enseigner à Cérès le sort de Proserpine.
Car quand l’audacieux sortirait de son sang,
Quand il aurait au Ciel l’honneur du second rang, [830]
Fût-il le plus chéri de toute ma famille,
Fût-il mon fils, ma sœur ou ma femme ou ma fille,
Je jure par la paix, ce lien précieux
Par qui seuls sont unis l’Enfer, la Mer, les Cieux,
Que ce foudre élancé punira son audace,
Que je l’affligerai d’une telle disgrâce
Qu’il se plaindra du sort de n’être pas mortel.
Je lui ferai soufrir un tourment éternel
Dans cet abîme obscur de la noire contrée
Dont il aura trahi la majesté sacrée. [840]
Or afin, Immortels, que vous sachiez pourquoi
Le destin vous oblige à cette étroite loi,
C’est qu’il a résolu, par sa haute conduite,
De lasser cette mère en sa vaine poursuite
Et de rendre à la fin ses esprits si troublés
Qu’elle enseigne aux mortels l’art qui produit les blés
Sur l’espoir d’acquérir par cette récompense
De cent peuples divers la prompte bienveillance
Et de trouver plus tôt son trésor le plus cher,
Tant de cœurs et tant d’yeux aidant à le chercher. [850]
Le chardon ou le gland n’est pas la nourriture
Que destine aux humains l’obligeante nature.
Certes il est honteux que leur oisiveté
Réduise l’univers à cette extrémité
Et que, levant au ciel leurs orgueilleuses têtes,
Leurs stupides esprits rampent comme des bêtes,
Eux qui devraient passer et les jours et les nuits
À parer la nature et de grains et de fruits.
Elle veut que par force on épuise ses veines,
Que je mesure ainsi la récompense aux peines [860]
Et des riches habits ne veulent point briller
Si les soins des mortels n’aident à l’habiller.
Commençons à tirer les trésors de la terre
Qu’en faveur des humains dans son sein elle serre.
Faisons par le travail revivre les beaux-arts.
Que l’abondance, enfin, règne de toutes parts :
C’est l’affaire important que toujours je diffère,
Depuis que je préside au trône de mon père.
Songez donc, Immortels, à cacher mon dessein.
Rien ne révoquera mon arrêt souverain. [870]
Je l’ai dit une fois. Je vous le dis encore.
Va visiter le Ciel : vois si quelqu’un l’ignore.


8- En Sicile. CÉRÈS, seule, tenant à la main un flambeau allumé, exprime sa douleur et sa colère [acte IV, scène 2, p. 51]

CÉRÈS
Auguste sang du ciel, mon unique désir,
Ma première allégresse et mon dernier plaisir,
Proserpine, mon cœur, fille qui m’est si chère,
Ne veux-tu point répondre à la voix de ta mère ?
Perdrai-je ainsi mes soins, mes soupirs et mes pas ?
Ha ! Non plus que Cyane, elle ne m’entend pas
Et ma juste douleur, traversant la Sicile,
S’amuse au vain éclat d’une voix inutile. [880]
Ce flambeau que je tiens, allumé dans la nuit,
Ne découvrira point la beauté qui me fuit.
Tu ne fais plus, ma fille, admirer ton mérite
Par le nombre des dieux qu’on voyait à ma suite,
Dont les soins assidus, les soupirs et les feux
M’offraient, en ta faveur, de légitimes vœux.
Sous quel astre inhumain, chère fille, es-tu née ?
Est-ce là, cher enfant, le flambeau d’hyménée
Qui devait dans le ciel à ta noce éclater ?
Est-ce là l’hymne saint qu’on y devait chanter ? [890]
En cela d’autant plus à mes douleurs je cède
Que je ne connais pas celui qui te possède,
Que j’alentis ma rage à force de parler
Et que mes plus hauts cris se dissipent en l’air.
Que ne tiens-je un moment ce ravisseur infâme
Pour éteindre en son sang son insolente flamme
Et montrer par sa mort à ces audacieux
Le respect qu’on doit rendre aux ouvrages des dieux.
Tu le caches en vain, impitoyable père :
Il n’évitera point les traits de ma colère. [900]
Je chercherai ce traître en tant de lieux divers
Que je le trouverai, s’il est dans l’univers.
Où le soleil se lève, où le soleil se couche,
Tu verras à quel point cette perte me touche.
Tu verras mes dragons fendre le sein des airs,
En dépit des frimas, des vents et des éclairs.
Ni repos ni sommeil n’interrompra ma course.
Sur les champs de Thétis, l’amour sera mon Ourse
Et, quand l’astre du jour tombera dans les eaux,
Je ferai sur la terre un jour de mes flambeaux. [910]
Montagnes, ni rochers, ni chaleurs, ni froidures
Ne pourront arrêter mes tristes aventures.
Je chercherai ce lâche aux plus affreux détours,
Parmi les léopards, les lions et les ours.
Mais, dans l’extrême ardeur dont mon âme est éprise,
Puis-je encor différer cette juste entreprise ?
Partons, et pour jamais abandonnons ces lieux,
Source des flots amers qui coulent de mes yeux.
Apprends, à ton malheur, terre sicilienne,
Que tu t’en sentiras avant que je revienne. [920]
Souviens-toi, peuple ingrat, que ta mère Cérès
Ne protègera plus tes blés, ni tes guérets ;
Que je m’en vais détruire, en moins d’une journée,
Ces beaux préparatifs d’une fertile année
Et que de ton pays j’aurai le même soin
Qu’il eut de Proserpine en l’extrême besoin.
Sache que désormais ton coutre est inutile,
Que te rendrai ta terre en tout temps infertile,
Que, dans l’horrible excès de mes justes fureurs,
Je n’épargnerai pas même tes laboureurs. [930]
J’égorgerai tes bœufs, je romprai tes charrues,
J’allumerai sur toi des foudres dans les nues,
Je te décocherai mes traits les plus sanglants
Et remettrai ton peuple à l’usage des glands.

La nymphe ARÉTHUSE sort de l’eau à moitié du corps en présence de CÉRÈS.

ARÉTHUSE
Nourrice des humains, triste et prudente mère,
Considérez, de grâce, où va votre colère
Et ne permettez point que d’injustes soupçons
Perdent en ce pays de si belles moissons.
Le respect de vos lois en Sicile domine.
Elle s’est bien ouverte au rapt de Proserpine [940]
Mais, sans favoriser ce barbare dessein :
Le sceptre des Enfers fendit son large sein.
Malgré sa résistance, il y fit une voie
Par où passa Pluton, et son char, et sa proie.
Son crime est innocent, et ne mérite pas
Que vous la réduisiez à ces tristes repas.
Son peuple infortuné vous fut toujours fidèle :
Je vous réponds de lui, sacré sang de Cybèle.
Étant hors d’intérêt, je suis hors de soupçon.
Pise a vu ma naissance, Aréthuse est mon nom. [950]
Et, bien que de mes eaux s’étende ici la course,
L’Arcadie est pourtant ma demeure et ma source :
Mon flux dessus la mer m’a fait de longs ruisseaux
Et, quand je viens ici, le Styx m’ouvre ses eaux.
C’est là, sage Cérès, que j’ai vu votre fille.
Là sur son front royal une couronne brille.
Là l’Enfer à genoux révère son pouvoir
Et, s’il lui manque un bien, c’est celui de vous voir.
Je vous apporte ici ces nouvelles certaines
Pour arrêter le cours de vos recherches vaines [960]
Et vous représenter, en faveur de ce lieu,
Qu’il lui faut pardonner, je vous en prie. Adieu !

[La nymphe disparaît dans la fontaine]

CÉRÈS, seule
Chère fille, est-il vrai que tu sois renfermée
Dans un abîme affreux d’horreur et de fumée,
Que ces astres brillants, où présidait l’amour,
Soient obligés de lui** où ne luit pas le jour.
Ton père a-t-il permis ce rapt abominable ?
Est-ce de son amour la marque vénérable
Et de mes longs travaux le véritable fruit ?
Oui, ce l’est, et j’ai dû le juger cette nuit [970]
Quand tu m’apparaissais de tes pleurs si mouillée
Et qu’au bruit de tes fers je me suis éveillée.
Mais ne t’en prends qu’à moi si tu souffres du mal :
C’est moi qui t’ai livrée à ce monstre brutal,
C’est moi qui, pour te perdre, ai fendu la Sicile,
T’abandonnant ainsi toute seule en ton île
Au lieu de t’avertir que cet Etna fameux,
Qu’un mont d’où sort un air et brûlant et fumeux,
Que l’horreur de ce phlegre*, où les fils de la terre
Souffrent le châtiment de leur injuste guerre, [980]
Qu’un lieu frappé du foudre et dont il fume encor
Était trop renommé pour garder un trésor.
Ne t’en prends donc qu’à moi. Mais pourtant, triste reine,
Que tes maux contre moi n’excitent point ta haine.
Mon sein meurtri de coups, mes cheveux arrachés,
Mes yeux qui jusqu’ici ne se sont point séchés,
Ces violents transports qu’on lit sur mon visage,
Le désir de vengeance où me porte ma rage,
Le fâcheux souvenir de l’état où je suis,
Sans m’affliger encor, sont d’assez grands ennuis. [990]
Console-toi, ma fille, en ton palais funeste,
Tandis* je vais me plaindre en la maison céleste.
Et si ce père ingrat ne t’ôte de tes fers,
Crois que j’irai moi-même habiter aux Enfers.
Je te suivrai partout, ma chère Proserpine,
Puisque je t’ai ravi la lumière divine.


9- Dans le Ciel - JUPITER est avec les trois déesses, VÉNUS, DIANE et PALLAS [acte IV, scène 3, p. 57]

JUPITER
Vos cris contre Vénus sont ici superflus.
Puisque je l’ai voulu, qu’on ne m’en parle plus.
Qu’elle ait bien ou mal fait, elle en eut la puissance
Et ce n’est point à vous d’en prendre connaissance ; [1000]
Un dieu lui commanda : les dieux n’ont jamais tort
Et le rapt est permis lorsque j’en suis d’accord.
Donc, qu’un baiser de paix la rende satisfaite
Et que cette aventure entre vous soit secrète.

DIANE
Mon vouloir est la vôtre.

PALLAS
                                     Et c’est le mien aussi.

[Arrive Mercure, qui annonce l’arrivée imminente de Cérès]

JUPITER
Quel sujet important te fait venir ici ?

MERCURE
Grand Dieu, j’ai vu Cérès de la voûte prochaine.
Par les plaines des airs son char ailé la traîne.
J’en viens donner avis à votre Majesté.

JUPITER
Comment ? Notre secret serait-il éventé ? [1010]
Vient-elle droit au Ciel ?

MERCURE
                                    Elle en est déjà proche.

JUPITER
Elle vient m’étourdir d’un importun reproche.
Je suis trahi, Mercure, ou mon commandement
N’a pas été reçu partout exactement.
Mais elle entre ; et je vois, sur son visage peinte,
L’excessive douleur dont son âme est atteinte.

[Arrive Cérès]

CÉRÈS
Ainsi donc, ô grand Dieu, votre enfant vous est cher,
Vous prenez du plaisir à me le voir chercher.
Votre extrême bonté souffre qu’on m’assassine.
Vous ne sauriez cacher l’aimable Proserpine : [1020]
Je l’ai trouvée. Enfin, si c’est recouvrement
Que savoir en quels lieux ma fille est seulement.
Je l’ai trouvée, enfin, si c’est l’avoir trouvée
Que savoir par quel bras elle fut enlevée.
Enfin, pour adoucir les maux que j’ai soufferts,
Des roseaux m’ont appris qu’elle est dans les Enfers.
Mais las ! cette nouvelle, autant triste que vraie,
Est-elle un appareil salutaire à ma plaie ?
Ne sens-je pas plutôt, au seul nom des démons,
Les accès de mon mal plus rudes et plus prompts ? [1030]
Quand j’ignore le nom de l’auteur de mes peines,
Une juste fureur se répand dans mes veines ;
Et dès que je l’apprends, à ce nom odieux
Un plus juste courroux rend mon cœur furieux.
Si vous m’aimiez encor, serait-il bien possible
Qu’aux douleurs de Cérès vous fussiez insensible
Et que vous eussiez pu consentir qu’un brutal
Eût traîné votre fille en un gouffre infernal ?
Fallait-il une femme et si belle et si chère
Au tyran des Enfers ?

JUPITER
                               Cérès, il est mon frère. [1040]
Cette qualité seule, où tant d’honneur est joint,
Si votre aversion ne vous aveuglait point,
Aurait en votre esprit une estime honorable.
Mais une telle affaire est trop considérable
Pour être consultée ainsi légèrement.
Pensons-y donc, Cérès, un peu plus mûrement.
Et, s’il est à propos, nous enverrons* Mercure,
Ambassadeur exprès, en la demeure obscure.
Peut-être que mon frère, apprenant vos dédains,
Remettra dès l’instant Proserpine en vos mains. [1050]


10- Aux Enfers - En présence de PROSERPINE, MERCURE vient de transmettre à PLUTON l’offre de Jupiter. ASCALAPHE assiste à la scène. [acte V, scène 1, p. 61]

PLUTON
Toute ton éloquence est ici superflue :
Je ne la rendrai point, la chose est résolue.
M’a-t-on permis exprès les douceurs de l’amour
Pour ne m’en pas laisser possesseur plus d’un jour.
Et ce maître des dieux, que l’univers révère,
Doit-il être amolli par les pleurs d’une mère ?
N’ai-je vu luire ici cet aimable soleil
Que pour voir éclipser son éclat sans pareil ?
Et ses charmants rayons n’ont-ils percé mes ombres
Que pour en rendre, après, mes royaumes plus sombre ? [1060]
Ne prétends point, Mercure, éteindre ainsi mes feux.
Jupiter l’a voulu : malgré lui je le veux.
Que Cérès dans le Ciel crie et verse des larmes :
Ma princesse aux Enfers fera régner ses charmes.
J’adorerai toujours ses célestes appas
Et mes respects enfin ne lui déplairont pas.
Un peu d’accoutumance adoucira son âme
Et lui fera chérir l’honneur d’être ma femme.
Retourne donc, Mercure, avertir Jupiter
Qu’il devrait prendre garde à ne pas m’irriter. [1070]
Car je jure le Styx, serment irrévocable,
Si j’allume une fois mon courroux implacable,
Qu’il ne soutiendra pas mes efforts aisément,
Lui qu’une voix de femme abat si promptement.
Fais-lui voir à quel point ses faiblesses me choquent,
Que les arrêts du Ciel jamais ne se révoquent,
Que ce n’est pas ainsi qu’on respecte la foi,
Ni que le Dieu des dieux doit traiter avec moi.

MERCURE
Il n’eut jamais dessein, Majesté souveraine,
De tirer des Enfers cette adorable reine, [1080]
Mais bien de vous en rendre absolu possesseur,
Changeant au nom d’époux celui de ravisseur.
S’il obtient dans le Ciel que Cérès y consente,
Proserpine en ce cas en sera plus contente.
Vous lui ferez pousser des soupirs amoureux
Aussitôt que sa mère approuvera ses feux.

PLUTON
Mais s’il ne l’obtient pas, mais si ce lâche frère
Se laisse vaincre encore aux sanglots d’une mère,
Hasarderai-je ainsi le trésor que je tiens ?

MERCURE
Jamais l’arrêt du Ciel ne rompra vos liens. [1090]

PLUTON
Je ne dois point souffrir que mon bonheur dépende
Du caprice incertain d’un dieu qui me gourmande
Et dont le faible esprit au Ciel nous jugerait
Selon la passion qui lors l’animerait.
Je n’irai point là-haut solliciter mon frère.

PROSERPINE
Ah ! ne me privez point du bien de voir ma mère.
Accordez, grand Monarque, à mon ressentiment
Que je l’aille embrasser une fois seulement.
Mettez dans mes ennuis ce moment d’allégresse.

PLUTON
Je n’y puis consentir, adorable déesse. [1100]

PROSERPINE
Vous le pouvez, grand Dieu, quand vous l’aurez voulu.
Aux cieux, comme aux Enfers, Pluton est absolu.
Il ne demande ici qu’un bien dont il dispose
Et son tout puissant frère est juge de sa cause.
Hélas ! devez-vous craindre un triste événement
Si le juge est l’auteur de votre enlèvement.
Et que peuvent les cris d’une mère éplorée
Contre le souverain de la voûte azurée,
Lui de qui tout dépend, par un ordre fatal,
Et dont le seul vouloir fait le bien et le mal. [1110]
Quelle impuissance, ô dieux ! où je suis souveraine.
Je perds tout mon crédit, alors qu’on me fait reine.
Je n’ai pas, triste mère, en ce couronnement
Le pouvoir ni l’honneur de te voir seulement.
Je veux ce que je dois. Mon âme te caresse
Avec des sentiments d’amour et de tendresse.
Elle te suit partout, elle pleure avec toi.
Mais son corps est captif dans un lieu plein d’effroi
D’où ne me permet pas de revoir la lumière
Ce monarque inhumain qui me tient prisonnière. [1120]

PLUTON
Que ce charmant rayon de la divinité
Sait pénétrer une âme avec autorité.
Beauté, présent du ciel, que ta force est extrême
D’assujettir un dieu dès le moment qu’il aime.
Moment pernicieux, fatal à mon pouvoir,
Cruel tyran des cœurs qui me sus émouvoir.
Commencement si beau, si déplorable issue,
Fille aimée et ravie aussitôt qu’aperçue,
Qui l’eût dit qu’à ce point mes yeux te chériraient ?

PROSERPINE
Si vous m’aimiez, grand Dieu, mes pleurs vous toucheraient [1130]
Et j’aurais le plaisir d’être autrement ravie
Par les baisers de celle à qui je dois la vie.
Hélas ! pour l’être ainsi, serais-je moins à vous ?
Faut-il, pour vous fléchir, embrasser vos genoux
Et mériter ce bien par un torrent de larmes ?

PLUTON
Non, ta beauté, ma Reine, a de trop puissants charmes.
Je ne puis m’opposer plus longtemps à tes vœux.
Je me rends, je te cède, et veux ce que tu veux.
Remonte donc, Mercure, en la maison divine.
On y verra tantôt Pluton et Proserpine. [1140]
Vole, nous te suivons.

[Mercure part vers le Ciel]

PLUTON
                                 Mais, avant que partir,
Ô vous qui m’avez fait à mes maux consentir,
Vous qui me possédez, triste et charmante Reine,
Consentez qu’Ascalaphe après moi vous amène.
Jurez-moi, par Cérès, de faire exactement
Tout ce qu’il vous dira par mon commandement
Et de n’approcher point, s’il ne vous sert de guide,
L’auguste et sacré trône où Jupiter préside.
Après cela, ma Reine, à tout je me soumets.
Me le promettez-vous ?

PROSERPINE
                               Oui, je vous le promets. [1150]


11-Dans le Ciel, JUPITER s’entretient avec CÉRÈS en présence de VÉNUS, DIANE, PALLAS, LATONE et MARS [acte V, scène 2, p. 67]

JUPITER
Bien qu’entre mes sujets quelqu’un ait eu l’audace,
Nonobstant ma défense et ma juste menace,
De vous entretenir des amours de Pluton,
Puisque vous me priez d’en ignorer le nom,
Puisque tant de raisons prouvent son innocence
Et qu’il ne put sous terre entendre ma défense
Quand mon courrier ailé sur ce vaste élément
Commanda le secret de cet enlèvement,
Pour ce coup ma clémence épargnera ma foudre.
Je vous donne, ô Cérès, le pouvoir de l’absoudre. [1160]
Mais je veux, en échange, obtenir pour jamais
Un prompt oubli des maux que Vénus vous a faits,
Quand même son adresse aurait commis un crime,
Car mon consentement l’a rendu légitime.

CÉRÈS
J’obéis. Mais, de grâce, au nom de notre amour,
Ramenez votre fille à la clarté du jour.

JUPITER
J’eus toujours pour mon sang les tendresses d’un père.
Sur mes plus chers enfants Proserpine m’est chère
Et les mêmes raisons qui vous la font aimer
Viennent secrètement la plaindre et me charmer. [1170]
Elle est de nos deux cœurs l’union et la vie.
Et, si j’ai consenti que Pluton l’ait ravie,
J’ai cru vous obliger, lui donnant un époux,
Après Neptune et moi le plus puissant de tous.
Mais puisque vos désirs veulent un autre gendre,
Vous en choisirez un, si Pluton la veut rendre.
L’interprète des dieux, vers ce Dieu député,
Vous apprendra bientôt quelle est sa volonté.
N’espérez pas, pourtant, digne sang de Cybèle, [1179]
Revoir auprès de vous cette fille immortelle, [1180]
Pour peu qu’elle ait mangé, depuis qu’elle est là-bas :
L’implacable Destin n’y consentira pas.
Si jamais des Enfers quelque âme est revenue,
Il faut qu’un jeûne exact ait sa grâce obtenue.
Les Parques m’ont soumis à cette étroite loi
Par l’accord solennel fait entr’elles et moi.

CÉRÈS
Ô Dieux ! que j’appréhende un repas si funeste !

[Arrive Mercure]

JUPITER
Le retour de Mercure éclaircira le reste.

CÉRÈS
Après ce rude accord qu’on me vient d’objecter,
Que je te dois, retour, et craindre et souhaiter. [1190]
Mon fidèle Mercure, as-tu vu Proserpine ?
Possède-t-elle encore cette beauté divine ?
Et, depuis qu’elle habite en ce royaume noir,
Crois-tu qu’elle ait mangé ? Le puis-je pas savoir ?

MERCURE
N’en doutez point, Déesse, où votre fille est reine
Rien ne lui peut manquer.

CÉRÈS
                                        Ah ! faveur inhumaine !

MERCURE
Elle-même et Pluton vous résoudront ce point :
Ils me suivent de près.

CÉRÈS
                                 Je ne l’espère point.
O Dieux ! Il vient tout seul et laisse ainsi mon âme [1199]
Dans les cachots hideux de son gouffre de flamme. [1200]

[Entre Pluton, accompagné d’Astanarot]

CÉRÈS
Pouvez-vous, Jupiter, souffrir qu’un ravisseur
Soit ainsi de mon bien absolu possesseur ?
A-t-il dû de la sorte, entraînant Proserpine,
Deshonorer un sang de céleste origine ?
A-t-il dû se montrer au sacré tribunal
Et reléguer ma fille en l’abîme infernal ?
Pour contenter sa flamme et ses forcenneries,
N’a-t-il pas dans l’Enfer des Parques, des Furies ?
Quoi ! mon unique enfant, mon unique support
Sera le seul objet de son barbare effort ? [1210]
Je verrai sans regret ses grâces profanées
Par ce prince inhumain de tant d’âmes damnées ;
J’aurai si tendrement élevé sa beauté
Pour la voir exposée à tant de cruauté.

PLUTON
M’a-t-on fait comparaître au Palais de lumière
Pour me voir mépriser par cette femme altière ?
Parle-t-on de la sorte en présence d’un dieu ?
Ne respecte-t-on point la majesté du lieu ?

JUPITER
Ignorez-vous, Cérès, que l’auguste présence
Du souverain du Ciel vous oblige au silence ? [1220]

CÉRÈS
Je le sais. Mais, grand Dieu, puis-je faire autrement ?
Mon extrême douleur m’ôte le jugement.
Dans l’excès des ennuis mon âme est trop plongée
Et je serais plus sage, étant moins affligée.
Ainsi, juge cruel, après cent maux soufferts,
On défend au captif de remuer ses fers.
Après plus de malheurs que je n’en pouvais craindre,
On me ravit encor le plaisir de m’en plaindre,
Si c’est plaisir, hélas, en l’état où je suis
D’accroître, en me plaignant, l’excès de mes ennuis ; [1230]
Si c’est plaisir, hélas, par mes cris lamentables
De vous rendre plus sourds, tyrans inexorables.
Proserpine se noie, et ce père inhumain,
Quand je la veux sauver vient retenir ma main.
Sa fille est égarée, et ce père farouche,
Quand je veux l’appeler, me vient fermer la bouche.
Proserpine est perdue, et ce cœur de rocher
Vient arrêter mes pas quand je la veux chercher.
Puisque mes justes cris sont des voix indiscrètes,
Pleurez, mes tristes yeux, vos plaintes sont muettes ? [1240]
Le souverain du Ciel, regardant vos ruisseaux,
Ne s’irritera point par le bruit de ces eaux.
Il se plaira, peut-être, à vous voir fondre en larmes,
Miroirs dont autrefois il adora les charmes.
Il se peut faire aussi qu’il plaindra mes malheurs,
Voyant son propre sang détrempé dans mes pleurs.
L’image de sa fille aux Enfers immolée,
Son âme tant de fois à la mienne mêlée
Et dont le souvenir le touche encor si fort
Peuvent sur son esprit faire ce saint effort. [1250]

JUPITER
Quelques sévérités que témoigne ma bouche,
Cette extrême douleur m’attendrit et me touche ;
Le torrent de ses pleurs commence à m’emporter.

PLUTON
Si votre esprit, grand Dieu, se pouvait surmonter,
J’aurais devant ce trône amené ma Déesse.

CÉRÈS
Ah ! fille infortunée, objet de ma tristesse,
Puisque par un fatal et si funeste amour
Je te devais donner la lumière du jour,
Que n’eus-je l’imprudence et le sort de Semele [1259]
Quand ton père eut pour moi cette ardeur mutuelle. [1260]
Son foudre inopiné m’aurait mise en état
De ne me plaindre point de ce lâche attentat
Et tu ne serais pas honteusement réduite
À passer tes beaux jours sur les bords du Cocyte
Où, si l’on t’y forçait, je ne le saurais pas
Puisque j’aurais senti la rigueur du trépas.
Transports, rage, poisons, désespoirs, fer et flamme,
Êtes-vous impuissant, lorsque je vous réclame ?
Ne peux-tu, ma douleur, quand mon désastre est tel,
Me décharger enfin de mon être immortel. [1270]
Ne puis-je fendre aussi la terre qui me porte
Pour baiser aux Enfers ma fille, vive ou morte ;
Ne peux-tu, père ingrat, par mes pleurs t’émouvoir ?
Me peux-tu refuser le plaisir de la voir,
Sachant avec quels soins j’ai formé son enfance
Et l’état déplorable où me met son absence.

JUPITER
Je ne puis plus, mon frère, à ses pleurs résister.

PLUTON
Me l’avez-vous donnée afin de me l’ôter ?

JUPITER
Accordez-en la vue aux douleurs de sa mère :
Je vous l’ordonne en roi, je vous en prie en frère [1280]
Et jure par le Styx à Pluton, à Cérès,
Que le Ciel sera juste en donnant ses arrêts.

PLUTON
Qu’une femme est sur vous contre moi souveraine.
Astanarot, va vite où j’ai laissé la Reine ;
Dis-lui que je l’attends, et fait que, promptement,
Ascalaphe obéisse à mon commandement.
Vous reverrez bientôt l’aimable Proserpine :
Elle n’est pas si loin que Cérès s’imagine.

CÉRÈS
Ma juste impatience allonge assez le temps,
Sans retarder encor le plaisir que j’attends. [1290]

PLUTON
Que l’ordre que je donne à présent vous console :
Cette fille des cieux ne va pas, elle vole.
Ainsi que votre char, le mien brillant d’éclairs
Passe en dépit des vents qui grondent dans les airs.
Mais, de quelque façon que Cérès vous réclame,
Souvenez-vous, grand Dieu, que sa fille est ma femme
Et que c’est seulement par la loi de l’amour
Qu’elle a la liberté de revoir cette Cour.

CÉRÈS
Hélas ! de quelle amour peut-elle être chérie,
Dans un lieu plein d’horreur, de pleurs, de barbarie ? [1300]
Quels plaisirs goûte-t-elle au milieu de l’effroi,
Seule parmi des morts ? Ah dieux ! Je l’aperçois !

[Arrive le char de Pluton avec Ascalaphe accompagnant Proserpine.]

Excusez, grand Monarque, ou** ma joie est si grande
Si je manque au respect qu’il faut que je vous rende.
Est-ce toi, Proserpine, est-ce toi, mon trésor ?
Te retrouvai-je ici pour te reperdre encor ?
Puis-je encor me flatter de ce doux nom de mère
En l’état déplorable où je te considère ?
Et t’ai-je fait quitter la demeure des Cieux
Pour confiner ta vie en de funestes lieux ? [1310]

JUPITER
C’est trop longtemps pleuré. Sachons si Proserpine
A mangé sous la terre, où mon frère domine.
Songez-y bien, ma fille, et le prétendez point
Trahir la vérité, répondant sur ce point.

PROSERPINE
Depuis ma déplorable et funeste aventure,
Mes larmes ont été ma seule nourriture.

CÉRÈS
Après un si fidèle et si triste rapport,
Rendez-moi, juste Dieu, mon unique support
Et ne permettez point que ma fille retourne
Dans un gouffre où l’honneur avec la faim séjourne. [1320]
C’est à quoi désormais vous devez consentir,
Puisque ce jeûne exact lui permet d’en sortir.

PLUTON
Quand par ce jeûne exact, dont encore je doute,
Elle pourrait rentrer sur la céleste voûte,
Assez d’autres raisons, que chacun peut savoir,
L’empêchent de sortir de ce royaume noir.
Elle ne peut, Cérès, abandonner sans crime
Les justes intérêts d’un mari légitime
Ni la part qu’elle a prise au sceptre que je tiens.
L’hymen nous joint tous deux par de trop forts liens. [1330]
Le moyen de défaire une si sainte attache
Sans faire à son honneur une éternelle tache
Qui brillant, comme il est, au trône de Pluton
Donne un nouvel éclat à votre auguste nom.
C’est assez pour contraindre une mère si sage
À ne dénouer point le nœud du mariage.
C’est à sa chère fille un assez grand bonheur
Et nul ne peut que moi conserver son honneur.

CÉRÈS
Vous n’avez pu souiller une vertu si haute
Puisque sa volonté n’a point part à sa faute. [1340]
Et mon nom par moi-même est assez précieux
Sans tirer de l’éclat de vos funèbres lieux.
Oui, mon aimable fille est entièrement pure.
La seule violence a fait son aventure
Et cet hymen forcé n’empêche point son vœu
Puisque d’elle et de moi vous n’avez point l’aveu.

PLUTON
Pour accomplir l’hymen que le Ciel devait faire,
C’est assez d’avoir eu la volonté du père,
Que l’arbitre des dieux l’ait ainsi résolu.

CÉRÈS
Il m’a donné sur elle un pouvoir absolu. [1350]
Sans cette autorité vous ne l’auriez point vue
Vers ce château fatal de secours dépourvue.
Là votre cruauté n’aurait pu s’assouvir.
Il m’en fallait prier, et non pas la ravir.
Rendez-moi donc mon bien, quand les Cieux vous l’ordonnent.

ASCALAPHE
Que vos bontés, Cérès, s’il vous plaît, me pardonnent,
Si j’ose révéler, en présence des dieux,
Ce que dans les Enfers ont vu mes propres yeux.
Je vis hier la Reine, en une promenade,
Aux champs Élysiens manger une grenade. [1360]

CÉRÈS
Que dit cet avorton des horreurs de la nuit ?

PROSERPINE
Ah ! ma mère, il est vrai que je cueillis ce fruit,
Que j’en mangeai trois grains, me sentant altérée.
Mais pour cela, méchant, me suis-je parjurée ?

JUPITER
La rigueur du Destin punit sévèrement,
Ainsi qu’un grand repas, ce rafraîchissement.

CÉRÈS
Ah ! père sans amour, ton injuste licence
Doit-elle de la sorte affliger l’innocence ?
D’où peux-tu, chère fille, espérer du support
Si le Ciel et l’Enfer contre toi sont d’accord ? [1370]
Quand je cherchais ces traits dont ta grâce est pourvue,
Mon souverain plaisir dépendait de ta vue
Et, lorsque je te vois, des regrets plus puissants
Me troublent à la fois et l’esprit et les sens.
À quels fâcheux ennuis me vois-je réservée,
Et pour l’avoir perdue, et pour l’avoir trouvée !
Quel, de ces deux malheurs, doit m’affliger le plus ?

JUPITER
Qu’on mette fin, Cérès, à ces cris superflus.
Il est temps désormais que la Cour immortelle
Prononce les arrêts dont jamais on n’appelle [1380]
Et qu’enfin elle essaie, en recueillant les voix,
De contenter mari, mère et fille à la fois.

CÉRÈS
Ne me condamnez point pour l’intérêt d’un autre.
Je parle pour mon sang ; je parle pour le vôtre.
Donc, si Cérès en pleurs ne vous peut émouvoir,
Que sa fille offensée ait sur vous ce pouvoir.
Ne désavouez point, éconduisant la mère,
Le gage d’un amour que vous teniez si chère.
Conservez, juste Dieu, notre commun trésor.
Si ce n’est plus ma fille, elle est la vôtre encor. [1390]
En cette qualité, peut-elle bien sans blâme
Être d’un ravisseur la sujette et la femme.

PLUTON
Souvenez-vous, grand Dieu, que ce ravissement
A pour justes raisons votre consentement ;
Que sa fille a mangé dans mon propre héritage
Et que toutes les lois veulent ce mariage.

CÉRÈS
Dans quelle injuste loi peut-il avoir appris
Que mon bien soit à lui parce qu’il me l’a pris.
Quel mystère inhumain met ma fille à la gêne
Et permet qu’aux Enfers un barbare l’entraîne ? [1400]
Doit-elle y retourner pour avoir seulement
Cherché parmi les feux du rafraîchissement ?
S’il faut suivre des lois, en pareille aventure,
Écoutez, juste Dieu, celles de la nature.
Soyez, en nous jugeant, ce même Jupiter
Qu’autrefois dans les Cieux ma beauté put tenter
Et ne renoncez point aux sentiments de père
Pour protéger ici les cruautés d’une frère
Dont les feux indiscrets peuvent s’éteindre ailleurs.
N’écouterez-vous point la voix de mes douleurs ? [1410]
Parlant pour votre enfant, serai-je rebutée
Et par son père même ainsi persécutée ?
Ah ma fille ! ah ma joie ! ô sang d’un si grand Dieu,
Faut-il que je te dise un éternel adieu
Et que je ne le puisse imprimer sur ta bouche
Alors que je te parle, alors que je te touche.
Toi, qui du haut des Cieux vois la peine où je suis,
Toi, de qui les enfants t’ont causé tant d’ennuis,
Toi, que pour eux j’ai vue en état de tout craindre,
Ressouviens-t’en, Latone, à présent pour me plaindre. [1420]
Vois dans tes maux soufferts les douleurs que je sens
Et recommande au Ciel le droit des innocents.
Recueille, en ma faveur, tes tendresses de mère
Et sauve des Enfers une fille si chère.
Et vous, que ses beautés ont si bien su charmer,
Sacrés hôtes du Ciel, que je viens réclamer,
Dieux, si de ses vertus vos feux prirent naissance,
Faites-le moi paraître en prenant sa défense ;
Aimez-la maintenant qu’on la prive du jour
Ou souffrez que mes pleurs rallument votre amour. [1430]
Si jadis ses rigueurs osèrent vous déplaire,
N’écoutez point contre elle une injuste colère ;
Perdez-en la mémoire, ou que ce souvenir
Serve à la protéger, non pas à la punir.
Puisque c’est sa vertu, puisque c’est sa sagesse
Qui causait sa rigueur, qui causait sa rudesse,
Et que, pour m’obéir, elle ne pouvait pas
Avec moins de froideur tempérer ses appas.
Ôtez au dieux des morts un droit illégitime
Qu’il ne peut appuyer que sur l’horreur d’un crime. [1440]
Songez plus d’une fois, en donnant vos avis,
Qu’il y va de mes biens, qu’un voleur m’a ravis.
Et me voyant ainsi par mes mains déchirée,
Rangez de mon parti l’adroite Cythérée.
Noble orgueil de Cérès, où te vois-tu soumis
Qu’il te faille prier même tes ennemis.
Où t’irai-je chercher, adorable Justice,
Si même dans les Cieux tu ne m’es point propice ?

JUPITER
Le Ciel, durant six mois, veut qu’aux funèbres lieux
La belle Proserpine à Pluton soit donnée. [1450]
Ordonne que Cérès après lui dans les Cieux
La possède, à son gré, le reste de l’année
Et que pour être enfin l’un et l’autre contents
Ils en usent ainsi dans la suite des temps.

PLUTON
Ainsi je puis, sans crime, étant fait votre gendre,
Posséder à la fois ma Reine et vous la rendre,
Si le pouvoir des dieux est sur vous absolu.

CÉRÈS
Il le faut bien vouloir, quand le Ciel l’a voulu.

JUPITER
Elle y sera tantôt pleinement résignée
Quand on aura chanté ces beaux airs d’hyménée [1460]
Et que la Cour céleste à ses charmants concerts
Aura fait succéder mille plaisirs divers.


NOTES

[a] Surintendant des Finances et ministre d'État sous Louis XIII, Claude de Bullion (1580-1640) passait, selon Tallemant des Réaux, pour avoir une des plus belles fortunes de son temps. La seigneurie de Boulon ou Bullion est aujourd'hui dans le département des Yvelines. Il fut maître des requêtes, conseiller d'État, commissaire du roi à l'assemblée protestante de Saumur (1612), ambassadeur extraordinaire en Piémont (1619). La prodigieuse croissance de sa fortune est contemporaine du triomphe de Richelieu en 1630, après la journée des Dupes. Le Cardinal le récompense de sa fidélité en lui faisant partager avec Claude Bouthillier la surintendance des Finances en 1632, et le fait chevalier du Saint-Esprit, décoration réservée aux gentilshommes militaires. Bullion s'empressa d'investir dans la terre pour essayer de s'intégrer à la haute noblesse, suprême idéal de bien des bourgeois.

[b] Allusion subtile : A Pluton, dieu des Enfers, Proserpine préfère Plutus, le dieu des Richesses, incarné par le Surintendant Bullion !

[c] Depuis le XVIe siècle, l’administration financière du royaume est confiée à un Surintendant des Finances. Plus tard Fouquet sera nommé Surintendant en 1653 et sa disgrâce entraînera, en 1661, la suppression de cette charge.

[d] De 1626 à 1632, Antoine Coëffier de Ruzé ; de 1624 à 1626, Jean Bochart de Champigny et Michel de Marillac ; de 1623 à 1624, Charles marquis de La Vieuville, de 1619 à 1622, Henri de Schomberg comte de Nanteuil, etc.

[e] La monnaie de cuir, remplaçant des espèces réelles, a été utilisée largement par Frédéric II au XIIIe siècle, pendant sa guerre contre l'Italie, ou encore en France au XVIe lors du siège de Cambrai par les Espagnols.

[f] Il s’agit de la guerre que les historiens appelleront « guerre de Trente ans ».


[2] Enfants de Rhéa et de Cronos, Jupiter a reçu en partage le monde du Ciel et de la lumière, Pluton le monde souterrain des Enfers et Neptune le monde des Océans. En dédommagement, Jupiter a promis à Pluton qu'il lui offrirait une femme choisie « dans la céleste cour ». Mais Pluton attend toujours et se révolte contre son frère. Les trois Érynies (Furies), Tisiphone, Mégère et Alecto, sont décidées à le soutenir.

[23] Jupiter avait eu des relations amoureuses avec sa sœur Junon (Hèra), qu’il devait finalement épouser.

[29] Jupiter, par exemple, s’est uni à Europe sous la forme d’un taureau, à Léda sous la forne d’un cygne, à Danaé sous forme d’une pluie d’or, etc.

[33] Les ombres des morts, qui sont descendus aux Enfers.

[45] On pense à la formule « Qui m’aime me suive ». Appelé au secours par le comte de Flandre, Louis de Nevers, incapable de venir à bout de ses sujets révoltés, le roi Philippe VI de Valois, qui venait à peine d'être sacré (29 mai 1328), répondit avec enthousiasme, trop heureux d'avoir l'occasion d'une "belle chevauchée". Mais ses barons se montrèrent beaucoup plus froids; ils appréhendaient d'entrer trop tard en campagne et de se trouver sous les armes pendant l'hiver. Le connétable, Gautier de Châtillon, leur fit honte: "Qui a bon coeur trouve toujours bon temps pour la bataille." Philippe VI embrassa son connétable pour cette bonne parole et claironna: "Qui m'aime me suive!" Il fut bien suivi, entra en Flandre le 20 août et massacra les rebelles flamands à Cassel.

[54] « La masse première » = le chaos, état initial du monde.

[55] Mégère et Alecto, sœurs de Tisiphone.

[59] « Confiez-vous sur » = fiez-vous à, ayez confiance dans.

[74] Les Centaures étaient des êtres monstrueux, à moitié hommes, à moitié chevaux, de mœurs fort brutales. Ils luttèrent contre les Lapithes, un peuple de Thessalie.

[76] Bellone, déesse romaine de la guerre, représentée comme une sorte de Furie sur son char.

[78] Encelade, chef des Titans, a entassé montagnes sur montagnes pour monter vers le Ciel et défier Jupiter.

[79] "Géants à cent mains", par exemple Briarée (voir note du vers 177).

[86] Pluton, fils de Cronos (= Saturne) et de Rhéa.

[114] Allusion au partage du monde entre Jupiter (le ciel), Neptune (la mer), Pluton (les enfers).

[159] Mercure (Hermès) est le messager de son père Jupiter (et éventuellement, son serviteur dans ses entreprises amoureuses).

[177] Briarée, un des géants qui attaquèrent le ciel. Il avait cent bras et cinquante têtes. Il fut terrassé par Poseïdon, et emprisonné sous l'Etna.

[275] Cupidon

[295] Proserpine est fille de Zeus et de Déméter (Cérès).

[525] Éloigner ce château = m’éloigner de ce château.

[538] Armet : armure de tête des gens de guerre, de la fin du XVe siècle à la fin du XVIe siècle.

[569] Ce nom : le nom de Pluton crié par Proserpine.

[698] Clitie = l’héliotrope. La nymphe Clitie, amoureuse d’Apollon-Soleil et abandonnée par lui, fut transformée en héliotrope.

[700] Les Champs Elysées, partie des Enfers où sont les âmes des héros et des personnes vertueuses. Dans l'Odyssée, Protée les décrit ainsi à Ménélas (IV, 563-568) : Les Immortels t'emmèneront chez le blond Rhadamanthe / Aux champs Élyséens, qui sont tout au bout de la terre. / C'est là que la plus douce vie est offerte aux humains / Jamais neige ni grands froids ni averses non plus / On ne sent partout que zéphyrs dont les brises sifflantes / Montent de l'Océan pour donner la fraîcheur aux hommes.

[722] Tityos est un géant qui fut foudroyé par son père Zeus et jeté dans les Enfers où un vautour (ou deux serpents) dévoraient son foie qui renaissait toujours.

[1179] Cybèle est une autre appellation de Rhéa, la mère de Déméter-Cérès.

[1199] Mon âme = ma fille.

[1259] Zeus avait promis à Sémélè de lui accorder tout ce qu’elle demanderait. Elle voulut qu’il apparaisse près d’elle dans toute sa gloire. Zeus dut s’approcher d’elle avec ses foudres et elle mourut brûlée


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