André CHENAL
LES CHANSONS DU SOL NATAL
Sur les rives de la Loire |
Angelus matinal |
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SUR LES RIVES DE LA LOIRE
I
L'antique Cité des Carnutes
A soutenu, dans tous les temps,
De longues et terribles luttes
Qu'on se rappellera longtemps.
Du fond des bois et des bruyères
S'élançant, la francisque en mains,
Tous, debout les premiers, nos pères
Ont barré la route aux Romains !
C'est sur les rives de la Loire
Que la France nous dit son histoire :
Rappelez-vous, petits enfants,
Toutes les gloires d'Orléans.
II
À travers notre vieille Gaule,
Promenant le fer et le feu,
Pour remplir son sinistre rôle,
Chevauche le Fléau de Dieu.
Rien ne résiste à sa puissance,
Tout frémit devant Attila…
Soudain le bon Aignan s'avance
Et dit au Barbare : Halte-là !
III
Plus tard, les hordes d'Angleterre
Envahissent notre pays…
Mais voici qu'une humble bergère
Nous vient tout droit de Domrémy.
Et Jeanne, la sainte Pucelle,
Boutant le Léopard anglais,
Enlève à l'assaut les Tourelles,
Rend la doulce France aux Français !
C'est sur les rives de la Loire
Que la France nous dit son histoire :
Rappelez-vous, petits enfants,
Toutes les gloires d'Orléans.
IV
Une autre tempête est passée :
Le Germain succède au Normand
Et la pauvre France harassée
Se couvre de deuils et de sang…
Coulmiers répare la défaite
Et nous conservons dans nos cœurs
Les noms de Sonis et Charrette,
Vaincus plus grands que les vainqueurs !
C'est sur les rives de la Loire
Que la France nous dit son histoire :
Rappelez-vous, petits enfants,
Toutes les gloires d'Orléans.
V
À chaque époque de l'Histoire
Et quel que fût l'envahisseur,
C'est sur les rives de la Loire
Que vint échouer sa fureur.
Si, plus tard, la France meurtrie
Doit revoir ces jours de douleur,
Orléans, Cœur de la Patrie,
Saura, toujours, sauver l'Honneur !
C'est sur les bords de notre Loire
Que s'apprend la leçon de la gloire.
Rappelez-vous, petits enfants,
La grande Histoire d'Orléans !
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NOUT' VIEUX CURÉ
I
L'aut' jour, dans un' grand' conférence,
L' député d' nout' arrondiss'ment
Nous parlait avec éloquence
Des bienfaits d' nout gouvernement !
Comme i' bagossait à son aise,
Épaté d' l'entend', en sortant,
Un copain m' dit d'un' voix mauvaise :
« Ton vieux curé n'en dirait pas autant ! »
II
J'y réponds, avec mon air bête :
« J' suis pas d' ces pus intelligents,
Mais j' me laiss' pas monter la tête
Par tous leus jolis boniments !…
Les prêt's aussi font des études,
Et quoi qu'i' soit p'têt' pus savant,
Ben humble dans sa solitude,
Nout' vieux curé ne s'en vante pas tant !… »
III
« Ton député, dans sa faconde,
Nous parle de Fraternité,
Disant qu'i' faudrait ben dans c' monde
D' la Justice et d' l'Égalité !
Non, ça n'est pas un imbécile,
Il a raison assurément,
Mais, en nous prêchant l'Évangile,
Nout' vieux curé n'en dit p'têt' ben autant !…
IV
« Vois-tu, mon vieux, la Politique,
Ça n'est pas un mauvais métier,
Et ton député qu'est pratique
A ben l' de quoi s'en contenter ;
À prôner la guerre sociale,
I' gagn' tout d' mêm' ses quinz' mill' francs !
Pour nous enseigner la morale
Nout' vieux curé n'en demande pas tant ! »
V
« Quoi qu' pauvre lui-mêm', la misère
À lui n' s'adresse jamais en vain.
I' dit que l' Pauvre il est son frère,
Et qu' c'est un précepte divin !
Que, pour sa Foi, pour ses croyances,
I' donn'rait volontiers son sang !…
Avec tertout's ses manigances
Nout' député n'en ferait pas autant ! »
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CHANSON DU LABOUREUR
I
Bon laboureur, sors ta charrue,
Voici le jour !
Là, devant toi, la Terre nue
Est en amour ;
Et l'alouette, ton amie,
Sur les sillons,
Réveille la glèbe endormie
De ses chansons.
Hardi, mon gâs, tiens bon l'araire,
Creuse droit ton sillon, mon fieu,
En chantant, joyeux et sincère :
Vive la Terre
Et gloire à Dieu !
II
La Terre est la bonne maîtresse
Qu'il faut chérir.
Sens-la, sous ta rude caresse,
Sens-la frémir !
Non, ce n'est point une infidèle,
Car elle sait
Payer l'amour qu'on a pour elle
De ses bienfaits !
III
À l'Angelus, dis ta prière,
Dieu l'entendra.
Le labeur, qui te semble austère,
S'adoucira.
Ne crois jamais à l'imposture
D'un beau parleur,
Car tout chante dans la Nature
Ton Créateur.
IV
Fermant l'oreille aux bruits du Monde,
Fais ton Devoir :
Creuse gaîment la Glèbe blonde
Jusques au soir.
Lors, à la tâche faisant trêve
Quand tout s'endort,
Tu verras surgir en ton rêve
Les moissons d'or.
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LES BRANDONS
I
À l'heure où le Carême
Vient attrister nos jours,
Amis, chantons quand même
La joie et les amours !
Que ce jour nous rassemble
Tertous, et sans façon,
Pour célébrer ensemble
La Fête des Brandons !
Et zon, zon, zon,
Les bouëlles et les garçons
Au feu des brandons
Gaîment nous danserons !
Et zon, zon, zon,
Au son des violons,
C'est Jean-Pierre avec sa Louison
Qui les allumeront !
II
Suivis de tous les gosses,
Nous irons deux par deux,
Tout comme aux jours de noces
Avec les violoneux,
Quérir, torches en tête,
En dimanche habillés,
Les rois de notre fête :
Les nouveaux mariés !
III
Sans craindre la dépense,
Nos conscrits, ces bons gâs,
Ont préparé d'avance
Deux cents fagots en tas.
Aussi, pour récompense,
On paiera, s'il le faut,
Après un tour de danse,
L'andouille et le vin chaud.
IV
Bons époux, le Carême
Est le temps des sermons :
De vos amours l'emblème
C'est le feu des brandons !
Vos cœurs flambent sans doute
Bien mieux que ces fagots…
Comme eux, je le redoute,
Tout s'éteindra bientôt !
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LE CHANT DE LA FORÊT
I
Un frisson court sous la ramée
Comme une haleine parfumée…
Les bois profonds, dès le réveil,
Fêtent le retour du soleil.
Au cri joyeux de l'alouette
Répond la voix de la fauvette ;
Loriots, merles et pinsons
Modulent gaîment leurs chansons.
C'est le printemps qui les enchante :
La Forêt chante !
II
Dans le grand bois qui se recueille
Nul souffle n'agite la feuille,
La lune, dans la paix du soir,
S'élève comme un ostensoir.
Parfois le cri de la chouette
Vient troubler la forêt muette ;
Dans les halliers silencieux
Montent des bruits mystérieux.
La nuit descend sur la prairie :
La Forêt prie.
III
Au fond de la forêt sauvage
Entendez-vous monter l'orage ?
Dans le bois qui semble endormi
Tout a tremblé… tout a frémi !…
Aux sourds grondements du tonnerre
L'oiseau déserte la clairière
Et dans les fermes des hameaux
Les bergers rentrent leurs troupeaux.
L'ouragan va faire sa ronde :
La Forêt gronde !
IV
Mais l'hiver a dépouillé l'arbre,
Les ruisseaux, partout, sont de marbre
Et le givre, au sapin géant,
Fait briller des larmes d'argent.
– Homme qui t'en viens solitaire,
La hache au poing, que vas-tu faire ?
L'écho tressaille à tous tes coups,
Le vent sanglote dans les houx…
Bûcheron, rejoins ta demeure :
La Forêt pleure !
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LES SEMAILLES
I
Le soc a creusé le sillon
Et la Terre offre ses entrailles,
Le brouillard voile l'horizon :
Voici la saison des semailles.
Prêtre d'un mystère divin,
Père nourricier du Monde,
Semeur, jette aux sillon le grain,
Le grain qui féconde !…
Paysan, ton frère a faim :
Sème, sème à pleine main,
Sème le bon grain
Qui sera demain
Du pain.
II
L'alouette, fille du jour,
Redit sa chanson d'allégresse.
Son hymne d'espoir et d'amour
Chante la terre et sa promesse…
Malgré les rapaces corbeaux,
Semeur, tes moissons seront belles.
Tu verras, sous l'éclair des faux,
Tomber les javelles !
III
La herse bientôt passera,
Recouvrant partout la semence
Et puis le blé vert pointera,
Ainsi que lève l'Espérance…
Ah ! si d'autres ont murmuré,
Toi, poursuis ton œuvre sans plainte,
Car, pour nous, ton rôle est sacré,
Ta besogne est sainte.
IV
Et le brave gâs, dans ses champs,
Depuis l'aube de la journée,
Lance la graine à tous les vents,
Confiant en sa destinée.
Il ne quittera son labeur
Qu'à l'heure où, dans les cieux sans voiles,
Le divin, l'éternel « Semeur »
Sème les étoiles.
Paysan, ton frère a faim :
Sème, sème à pleine main,
Sème le bon grain
Qui sera demain
Du Pain.
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GENTILLE BERGERETTE
Gentille bergerette
Qui gardes tes moutons,
Chante ta chansonnette
Aux échos des vallons.
Trêve aux chansons légères,
Chante à plein cœur, à pleine voix,
Les refrains de nos pères,
Les chansons d'autrefois.
II
Gentille bergerette
Qui gardes tes moutons,
File ta quenouillette
Pour tisser tes jupons.
Les robes des coquettes,
Ne valent pas, si tu m'en crois,
Les si gentes toilettes
Qu'on portait autrefois.
III
Gentille bergerette
Qui gardes ton troupeau,
Voudrais-tu, sur ta tête,
Mettre un affreux chapeau ?
Nos modes éphémères
Ne t'iraient pas… Mieux vaut cent fois
La coiffe des grand'mères,
Le bonnet d'autrefois.
IV
Gentille bergerette
Qui gardes tes moutons,
Rêves-tu d'amourette
Et de jolis garçons ?…
Sur un gâs du village
Loyal et bon, fixe ton choix
Et garde en ton ménage
Les vertus d'autrefois.
V
Gentille bergerette
Qui gardes tes moutons,
Ce soir, en ta chambrette,
Redis les oraisons…
Pour calmer nos souffrances
Personne encor n'a trouvé mieux
Que nos vieilles croyances,
Que la Foi des aïeux !
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MA CHARRUE
I
Compage de longue misère,
Quand nous peinons tous deux,
Tu sais, toi, combien notre Terre
Est dure au laboureux…
Lorsque j'ai dépensé pour Elle
Tous mes jours aux sillons,
Hélas, la foudre ou bien la grêle
Me détruit mes moissons !
Berce mes chagrins,
Ma vieille charrue,
Et ma peine accrue
Par d'âpres besoins ;
Dans la glèbe nue,
Par les sillons bruns,
Ma vieille charrue
Berce mes chagrins !
II
Pour moi, l'existence est bien rude,
La Mort a pris les miens !
Et, dans ma triste solitude,
Je n'ai plus de soutiens…
La Nature est indifférente
À toutes mes douleurs ;
Le soleil brille et l'oiseau chante
Sans souci de mes pleurs !
Berce ma douleur,
Ma pauvre charrue,
La vie est bourrue
Pour le laboureur…
Tandis que se rue
Sur moi le malheur,
Ma pauvre charrue
Berce ma douleur !
III
À quoi bon remuer ma peine ?
Gémir n'avance à rien !…
Mais non ! il faut reprendre haleine
Et suivre son chemin !
Nous reverrons, peut-être, amie,
Bientôt de meilleurs jours :
L'Homme, pour supporter la vie,
Doit espérer toujours !
Berce mon espoir,
Ma bonne charrue,
L'aube est apparue
Sur l'horizon noir !
Dans ma tâche ardue,
Du matin au soir,
Ma bonne charrue
Berce mon espoir !
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CHANSON DU VIGNERON
I
Le vin nouveau bout dans ma tonne,
Sa senteur emplit la maison,
Et dans mes fûts le bon soleil d'automne
A mis tout l'or de ses rayons !
Ohé, là-bas, les camarades,
Rentrez tous au fond du cellier ;
Nous en boirons maintes rasades ;
J'en verse à qui veut en goûter !…
À ta santé, bon vigneron,
Le vin bannit tout front sévère.
Laissons la peine et la raison
Au fond du verre !…
II
Tous les ans, quand vient la vendange,
Je me sens le cœur tout joyeux,
Car sa gaîté me console et me venge
Des instants les plus douloureux.
Si, sans manquer une semaine,
Je la soigne comme une enfant,
Ma vigne, pour payer ma peine,
Ce jour-là donne tout son sang !
III
Quand j'ai mes grappes pour couronne,
Ma hotte au dos, mon verre en main,
Et mon vieux pressoir en guise de trône,
Non le Roi n'est pas mon cousin !…
Sans trop chercher ce que rapporte
Chaque récolte au bout de l'an,
C'est du bonheur qu'elle m'apporte,
Ça me suffit ! je suis content…
IV
Nous combattons toute l'année
Le phylloxera, le mildiou,
Quand il suffit d'une simple gelée
Pour tout anéantir, d'un coup !…
Mais qu'importe ! on n'est pas des lâches,
Notre vie est toute aux billons
Et si dure que soit la tâche,
Dès demain, nous la reprendrons.
À nos santés, bons vigneron,
Malgré tout, point de fronts sévères ;
En chantant gaîment nos chansons
Vidons nos verres !
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L' GÂS DU MÉTAYER
I
Vous avez ben connu Thiophile,
El' gâs au métayer d' cheux nous,
C'ti-là qu'est parti z'à la ville
Pour aller qu'ri fortune itou !
Au lieur ed' labourer la terre,
Comme avint fait tous ses parents,
C' ferluquet-là n'a voulu faire
Un méquier ben moins salissant.
Oh, oh !
Hé, Hé !
C'est pas d' la p'tit' bière
Oh, oh !
Hé, hé !
L' gâs au métayer !
II
À présent, les gâs d' la même âge
N'os'nt quasiment point y parler,
Quand qu' c'est qu'i' s'en r'vient au village
À seul' fin de s' faire er'luquer !
Ensemb'e i's allint à l'école
Et s'en r'venint bras d'sous, bras d'sus.
S'ment, dame, à présent, ma parole,
On crérait qu'i' les r'connaît pus !
III
Chaqu' fois qu'i' vient à la campagne,
Il épat' les populations…
Ah ! faut voir comme i' fait ses magnes
Avec sa canne et ses lorgnons !
Quand qu' c'est qu'il aparçoit eun' blouse,
L' pauver' gâs, ça li fait piquié…
Et, pour pas marcher dans la bouse,
Il avanc' que su' l' bout des pieds !
IV
V'là quat' matins qu' c'est à la ville,
Ça parl' pus gras qu' les bourgeoisiaux !
I' dit que j' somm's des imbéciles,
Vu que j' lisons point ses journiaux !…
V'là deux jours qu'il allait m'ner paître
Ses vach's dans les champs… et l' pétiot
À présent peut s'ment pu r'connaître
Eun' bett'rab' d'avec un naviot !
V
Depuis qu'il a fait son sarvice,
I' s' crét taillé pour viv' dans l' grand !…
On l'a pas changé z'en nourrice,
I' rest' pésan, tout comm' devant !
Paraît qu' l'aut' jour eun' vieill' commère
Y'a dit comm' ça, sans s'épater :
Écout', mon gâs, t'auras beau faire,
Mais tu s'ras jamais qu'un raté !
Oh, oh !
Hé, Hé !
Bravo, la p'tit' mère !
Oh, oh !
Hé, hé !
C'est rud'ment tapé !
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LES FOINS SONT COUPÉS
I
Il fait une soirée exquise,
Les acacias sont tous en fleurs…
On ne les voit plus, mais la brise
Vient nous griser de leurs senteurs !…
Au clocher de notre village
L'Angelus du soir a tinté
Et dans le ciel pur, sans nuage,
L'astre de la nuit est monté !
Tra la la
La deri dera.
Viens avec moi, ma gente brune,
Viens par les bois et par les prés,
Tra la la,
Le soir est tombé…
Viens goûter, au clair de la lune,
L'âpre senteur des foins coupés !…
II
Vois, l'air est tout tiède encore,
La Terre lasse entre en sommeil,
Et, là-bas, l'Occident se dore
Aux derniers rayons du soleil…
Sous le bois que la lune argente,
Croyant que c'est encor le jour,
Écoute, le rossignol chante
Sa plus douce chanson d'amour.
Tra la la
La deri dera.
III
La nuit répand son doux mystère
Sur les prés, dans les chemins creux…
L'odeur des foins monte de terre,
Comme un pur encens, vers les cieux…
J'entends la voix de la rivière
Qui murmure sous les taillis
Et se mêle dans la bruyère
Au cri lugubre des courlis.
Tra la la
La deri dera.
IV
Oh ! que notre campagne est belle
Pour qui l'aime d'un saint amour !…
Nous resterons toujours fidèles
Au lieu qui nous donna le jour…
Pour ce bonheur qui nous enivre,
Terre, nous voulons te chérir :
Chez nous il est si bon de vivre
Qu'il sera très doux d'y mourir !
Tra la la
La deri dera.
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LA CROIX DU CARREFOUR
I
Là-bas, tout au bout du village,
Lorsque je m'en reviens des champs,
Le soir, épuisé par l'ouvrage,
Menant devant moi mes bœufs blancs,
J'aime à voir se dresser dans l'ombre
La Croix debout sous le Ciel noir :
À l'heure où tout ici-bas sombre,
C'est le symbole de l'Espoir !
Je te salue, ô Croix rustique,
Pieux vestige d'autrefois,
Car, sans souci de la critique,
Humblement j'espère et je crois.
Je te salue, ô vieille Croix !
II
Souvent de tristes gâs farouches
(La haine étouffant leur raison)
Passent le blasphème à la bouche
Près de l'Image du Pardon.
Mais moi, devant le vieux Calvaire,
Je passe toujours chapeau bas,
Car je l'aime et je le vénère
Pour tous ceux qui ne le font pas.
III
Parfois, au milieu de nos transes
Égarés par trop de rancœurs,
Nous succombons sous les souffrances,
La révolte germe en nos cœurs !
Devant la Croix, je me résigne,
Songeant, éclairé par la Foi,
Qu'un « Autre » meilleur et plus digne
Sur elle a souffert avant moi !
IV
Voici que de lâches sectaires
Se sont juré d'anéantir
La Foi qui consola nos pères.
Sans crainte, attendons l'Avenir !
Christ, où sont ceux que la colère,
Contre Toi, jadis aveugla ?
Leurs corps sont tombés en poussière…
Ton humble Croix est toujours là !
Je te salue, ô Croix rustique,
Pieux vestige d'autrefois,
Car, sans souci de la critique,
Humblement j'espère et je crois.
Je te salue, ô vieille Croix !
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CHANTE, BÛCHERON !
I
Perdu dans le grand bois sauvage
Au pied de quelque arbre géant,
Tout le jour courbé sur l'ouvrage,
Hardi ! bûcheux, bûche gaîment…
Si parfois la vie est méchante,
Écoute et vois, dans la Forêt
Tout brille, tout rit et tout chante :
Seras-tu seul et triste et muet ?
Chante, bûcheron,
Ami des grands chênes,
Ta vieille chanson
Qui berce les peines ;
Gai comme pinson
Oublieux des haines,
Chante, bûcheron,
Chante ta chanson !
II
Voici que le fier sapin tombe,
Frappé rudement de tes mains ;
Mais il faut que l'arbre succombe
Pour servir aux progrès humains.
Déjà les chênes centenaires
Gisent au travers des chemins,
Car il faut, pour nos morts, des bières
Et des berceaux pour nos gamins !
III
Loin des bruits de la foule humaine,
N'es-tu pas le toi des forêts ?
Les bois sont ton vaste domaine,
Ta loge est ton humble palais…
On y vit sans propriétaire,
Sans terme à payer, sans ennui :
Comme le charbonnier son frère,
Bûcheron est maître chez lui !…
IV
Pourquoi prends-tu cet air farouche
Quand tu parles du « Syndicat »,
Pourquoi te vient-il à la bouche
Des mots que la Haine dicta ?…
Le Syndicat veut qu'on s'unisse,
Mains dans les mains, cœurs contre cœurs,
Pour le Droit et pour la Justice,
Non pour la Haine et ses rancœurs.
V
Reprends ta vaillante cognée,
Frappe sans peur, à tour de bras,
Et, la besogne terminée,
Ce soir tu te reposeras !
Songeant aux forçats de la mine,
Aux esclaves de la Cité,
Laisse se gonfler ta poitrine
Au souffle de la Liberté !
Chante, bûcheron,
Ami des grands chênes,
Ta vieille chanson
Qui berce les peines ;
Gai comme pinson,
Oublieux des haines,
Chante, bûcheron,
Chante ta chanson !
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LES MOISSONS
I
Debout, les gâs, la cloche sonne
L'Angélus, au clocher lointain
Et, seule, au fond des cieux rayonne
La blanche étoile du matin.
Sortons les faux et les faucilles,
Debout les filles…
Allons couper les blés, en tas,
Debout, les gâs !
II
Debout les gâs, car l'alouette
A déjà redit ses chansons…
C'est aujourd'hui la grande fête,
La grande fête des moissons.
III
Le maître-gâs, dans notre ferme,
Donne le signal du réveil.
Nous travaillerons dur et ferme,
Sous les chauds rayons du soleil.
IV
Mais, pour oublier toute peine,
Pour adoucir le dur labeur,
Nous chanterons à perdre haleine :
La chanson nous donne du cœur.
V
Quand la moisson sera finie,
Gaîment, les gâs, nous placerons
La dernière gerbe fleurie
Au sommet des plus hauts meulons.
VI
Et puis, le soir, la tâche faite,
Après les rires, les chansons,
Rendons grâce, en courbant la tête,
Au Dieu qui bénit les moissons.
VII
Nous le prierons, pour qu'il pardonne
Les blasphèmes des jours maudits,
En attendant qu'Il nous moissonne
Pour les Greniers du Paradis !
Sortons les faux et les faucilles,
Debout les filles…
Allons couper les blés, en tas,
Debout, les gâs !
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FLEUR DE BRUYÈRE
I
La Solognote aux jolis yeux
Qui gardait ses moutons frileux,
Dans la clairière,
Charmait nos bois et nos taillis,
On l'appelait dans le pays
Fleur-de-bruyère !
II
Quand elle allait par les chemins,
Répétant nos jolis refrains,
De sa voix claire,
Les oiseaux, cessant de chanter,
Se penchaient, pour mieux écouter
Fleur-de-bruyère !…
III
Sa joue égalait en fraîcheur
La modeste et très douce fleur
Qui nous est chère.
Et c'est pourquoi, naïvement,
Nous lui donnons ce nom charmant :
Fleur de bruyère.
IV
Mais voici qu'un très beau monsieur
Vint, chez nous, faire les doux yeux
À la bergère…
Et dans le trouble du Bonheur
Elle donna gaîment son cœur,
Fleur-de-bruyère !…
V
Puis ils s'en furent tous les deux,
En quête de destins heureux
Ou de misère…
À la Ville, dans ses beaux jours,
On eût pu voir en grands atours,
Fleur-de-bruyère !…
VI
Mais hélas, le Bonheur a fui !…
La pauvrette dort aujourd'hui
Au cimetière !…
Tu ne pouvais, ô pauvre enfant,
T'épanouir que dans ton champ,
Fleur-de-bruyère !…
VII
Un petit pâtre qui l'aimait
Au fond de son cœur, en secret,
Tout comme un frère,
Durant l'été, chaque matin,
Vient fleurir sa tombe de thym
Et de bruyère !
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GARDONS LA BLOUSE ET LES SABOTS !
I
Depuis que les gens de la ville
Sont venus promener chez nous
Leur ennui, leurs bras inutiles,
Voici que nos gâs sont jaloux !
Jaloux de leur coquette mise,
Ainsi que de leurs fins souliers,
Qui leur font la jambe bien prise
Mais leur donnent des cors aux pieds !
Paysans, point de sotte envie,
Contentons-nous de notre vie !
À quoi bon tous ces attifiots :
Gardons la blouse et les sabiots !
II
Mais bons gâs, sans vous faire injure,
Vous ne croyez pas cependant
Que l'esprit des gens se mesure
À la coupe du vêtement ?
N'ayez donc point l'âme jalouse
De ces fats et de ces pédants,
Car nous savons que, sous vos blouses,
Battent des cœurs de braves gens !
III
Sans souci de la mode anglaise
Et des modernes falbalas,
Sachez qu'on n'est bien à son aise
Qu'avec votre blouse, mes gâs !
Et vous les fillettes que tente
Le moindre des colifichets,
Vos chapeaux à quatre cinquante
Ne vaudront jamais vos bonnets !
IV
Écoutez bien, gentes filles,
Conservez vos simples atours
Et vous paraîtrez plus gentilles
Que dans la soie ou le velours…
Oui, n'en faisons qu'à notre tête,
Gardons nos habits démodés ;
Jamais on n'a l'air aussi bête
Que lorsqu'on est gauche et guindé !
V
Restons au fond de nos villages,
Modestes, sans ambitions ;
Gardons les antiques usages
Et les saines traditions.
Ce n'est point en vain que tout change,
Mes gâs, il faut se rappeler
Que, plus on descend dans la fange,
Et plus on veut se fignoler !
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LE NOËL DE LA VIEILLE
La pauvre mère Clémence,
La veuve à défunt Giroux,
A, durant son existence,
Subi de bien rudes coups !…
Elle a vu – quelle misère ! –
De tous les siens le Trépas ;
Il ne lui restait sur terre
Que son dernier petit gâs !…
Dame aussi la brave femme
Dont faiblissait la raison
Aimait de toute son âme
Son joli petit garçon.
Et lui, malgré son jeune âge,
Plein de vigueur et d'entrain,
Travaillait avec courage
Pour lui gagner tout son pain.
Dans le bois faisant sa tâche,
Seul au milieu des buissons,
Il vous maniait la hache
Comme les vieux bûcherons !
Un jour, un énorme chêne
S'abattit… en l'écrasant…
Ce fut une horrible peine
Pout la pauvre grand-maman !…
Par cette nuit de Décembre,
Les cloches sonnent gaîment
Et la grand'mère, en sa chambre,
Dort et sourit doucement…
Comme au bon temps de l'enfance,
Dans l'âtre, ainsi qu'autrefois,
La pauvre vieille, en démence,
A mis ses sabots de bois !…
Dans la neige et sous le givre,
Noël, en bien des maisons,
Aux enfants heureux de vivre
Porte joujoux et bonbons.
La vieille de l'existence
Hélas ! a bu tout le fiel…
Pour apaiser sa souffrance
Qu'apporteras-tu, Noël ?
Mais quand on ouvrit sa porte,
À la nuit, le lendemain,
On trouva la vieille morte,
Avec son rosaire en main !
On la mit alors en bière,
Au son jugubre du glas :
Pour son Noël la grand'mère
Avait retrouvé son gâs !…
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LA MAIN DANS LA MAIN
I
La main dans la main, petite Jeannette,
Lorsque nous étions de frêles bambins,
Nous allions, chantant une chansonnette
Que sifflait le merle aux buissons voisins !
Sans nous attarder au jeu trop frivole,
Nous suivions tous deux le sentier commun
Et nous revenions ainsi de l'école,
La main dans la main.
II
La main dans la main, le cœur plein d'ivresse,
C'était, ma mignonne, un soir de printemps,
Un beau soir très doux, comme une caresse,
Où tous les oiseaux fêtaient nos vingt ans !
Dans l'ombre, à genoux devant la chapelle
Où la Vierge rêve au bord du chemin,
Nous fîmes serment d'un amour fidèle,
La main dans la main.
III
La main dans la main, ma gente payse –
Les cloches sonnant comme aux plus grands jours –
Nous irons demain dans la vieille église
Où Dieu bénira nos jeunes amours…
Sachant du Devoir l'austère langage,
Mais le cœur empli d'un bonheur divin,
Nous traverserons notre cher village,
La main dans la main.
III
La main dans la main, petite Jeannette,
Pour suivre sa route on est bien plus fort !
Douleurs, trahisons, rien ne vous arrête
Et très doucement l'on arrive au Port !
Dieu veuille, ici-bas, Lui qui nous rassemble,
Idéaliser notre amour humain :
Puissions-nous L'aimer, Le servir ensemble,
La main dans la main.
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LE ROUET DE GRAND'MÈRE
I
Lorsque bonne maman filait
Durant l'hiver, à la veillée,
Tandis que que le rouet tournait,
Je dévidais sa quenouillée.
Le chat faisait son gai ron-ron,
Assis devant la flamme claire :
Qu'elle était douce la chanson
De vieux rouet de ma grand'mère.
II
Pour dorloter ses petits fieux,
Elle filait de bien beaux langes,
Pendant que les bambins joyeux
Gazouillaient comme des mésanges.
Mais aujourd'hui me voilà seul :
Grand'maman dort au cimetière.
Il a filé plus d'un linceul
Le vieux rouet de ma grand'mère.
III
Or, l'autre jour, j'allais cherchant
Dans la demeure paternelle,
De-ci, de-là, tout en songeant
À l'heureux temps qu'elle rappelle.
Lorsque dans un coin, tout rouillé,
Tout disloqué, gris de poussière,
J'ai retrouvé, bien oublié,
Le veux rouet de ma grand'mère
IV
Devant ce pauvre tour usé,
J'ai revu toute ma jeunesse
Et le Passé, trop méprisé,
Que l'âme évoque avec ivresse.
Le remords étreignant mon cœur,
Des larmes mouillant ma paupière,
J'ai mis à la place d'honneur
Le vieux rouet de ma grand'mère.
V
Nous dédaignons – trop oublieux
Des souvenirs de notre enfance –
Le patrimoine des aïeux,
Vieux objets et vieilles croyances.
Amis, cessons de renier
Tout ce que vénéraient nos pères :
Ne laissons pas dans le grenier
Les vieux rouets de nos grand'mères.
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POUR MON CLOCHER, POUR MON DRAPEAU !
I
C'est un humble petit village
Qui, jadis, m'a donné le jour.
À lui va mon premier hommage,
À lui mon plus sincère amour !…
Mais je chéris la noble terre,
La France, mon pays charmant :
On peut, en vénérant la mère,
Aimer aussi la grand'maman.
Pour la petite et la grande Patrie,
Je donnerais gaîment ma peau…
Pour mon village et ma France chérie,
Pour mon clocher, pour mon Drapeau !
II
Ce clocher ? … C'est la vieille église,
La cloche aux joyeux carillons,
C'est la Maman, c'est la Promise…
C'est le village et ses chansons !…
C'est le champ, le bois, la chaumière,
C'est l'école et nos premiers jeux,
Et c'est encore le cimetière
Où reposent tous nos aïeux !…
III
Le drapeau ? c'est la douce France,
Le sol gaulois et ses splendeurs…
C'est l'Avenir… c'est l'Espérance,
Nos Triomphes et nos Douleurs !…
C'est notre impérissable Histoire
Que notre étendard triomphal
Enferme dans ses plis de Gloire,
Couleur d'Aurore et d'Idéal !
IV
Le vieux clocher de mon village,
Le cher drapeau de mon Pays
Parlent, tous deux, même langage
À nos cœurs souvent affaiblis.
Ils sont, tous deux, les fiers Emblèmes
Du Souvenir et de l'Espoir,
Prêchant pour les tâches suprêmes
La Foi, l'Honneur et le Devoir !
Pour la petite et la grande Patrie,
Je donnerais gaîment ma peau…
Pour mon village et ma France chérie,
Pour mon clocher, pour mon Drapeau !
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ANGELUS MATINAL
I
À l'horizon d'or le soleil se lève
Et tous les oiseaux chantent le réveil.
Déjà l'ouvrier s'arrache à son rêve,
La forge s'allume avec le soleil.
Et voici que dans l'air
S'élève un gai concert :
La cloche sonne
Au clocher du hameau,
L'enclume résonne
Sous les coups du marteau.
Leur chanson touchante
En un même refrain
Au village chante
L'Angelus du matin.
II
Leur voix, tour à tour joyeuse ou sévère,
Chante à sa façon l'Hymne au Créateur.
Le clocher là-haut nous redit : Prière
Et la forge en bas lui répond : Labeur.
Et ce double refrain
C'est tout notre destin.
La cloche sonne
Au clocher du hameau,
L'enclume résonne
Sous les coups du marteau.
Leur chanson touchante,
Avec le même entrain
Au village chante
L'Angelus du matin.
III
Et pour nous guider au sein du mystère
Où l'homme éperdu cherche une lueur,
Suivons ici-bas ce conseil austère,
Car c'est le secret de tout vrai bonheur !
Sonneurs et forgerons,
Lancez vos carillons !…
La cloche sonne
Au clocher du hameau,
L'enclume résonne
Sous les coups du marteau.
Leur chanson touchante
En un même refrain
Au village chante
L'Angelus du matin.
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LA FÊTE DU MAI
I
La douce aubépine blanche
Fleurit sur tous nos buissons.
Je vais en couper des branches
Au bois rempli de chansons…
Dans la bourgade endormie
J'irai, dès le petit jour,
À la porte de ma mie
Déposer le mai d'amour.
Voici le mois des roses,
Le beau mois parfumé
Où les fleurs sont écloses
Pour la fête du mai !…
II
Les laides, les vicieuses
N'auront que des fleurs de choux,
Les mégères, les hargneuses
Des chardons, des brins de houx !
Moi je veux, pour la chérie,
Joindre de mes doigts tremblants
À l'aubépine fleurie
Un bouquet de lilas blancs !
III
Dès que l'aube va paraître
Sur les bois, les prés en pleurs,
Suzette, ouvrant sa fenêtre,
Verra mes modestes fleurs !
Les filles du voisinage
Bien sûr la jalouseront…
Les commères du village
Quinze jours en jaseront !
IV
Du Soleil c'est la Revanche,
Partout il sème les fleurs.
Le Printemps fleurit les branches
et l'Amour fleurit les cœurs !…
Mais les fleurs sont éphémères
Et les cœurs bien inconstants.
Seules les amours sincères
Ici-bas narguent le Temps !
Voici le mois des roses,
Le beau mois parfumé
Où les fleurs sont écloses
Pour la fête du mai !…
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LES VIEUX
« Que notre vie est monotone ! »
Pensent tristement les bons vieux,
Qui se chauffent, las et frileux,
Sur le banc, au soleil d'automne…
Ils se disent, les pauvres gens,
Qu'avec leurs membres si fragiles
Ils sont des êtres inutiles
Et coûtent trop à leurs enfants !
D'un regard voilé de tristesse
Ils contemplent au loin les champs
Que retournaient leurs bras vaillants
Au temps joyeux de la jeunesse.
Adieu les splendides moissons
Et les labours, et les semailles,
Et les quotidiennes batailles
Qu'il fallait livrer aux sillons !
Pour eux, dont elle était la vie,
Songez aux remords angoissants
De se sentir des impuissants
Devant la Glèbe inassouvie !
Et d'être minés sourdement
Par une mort lente mais sûre,
Alors qu'autour d'eux la Nature
Rajeunit éternellement !
Puis leur frêle corps se soulève
Et, s'appuyant sur leur bâton,
Par les chemins les vieux s'en vont,
Absorbés dans un sombre rêve.
Ils vont, tristes, à petits pas
Et trébuchent dans la poussière,
Courbés en deux, vers cette terre
Qui semble leur parler tout bas…
Et les vieux demandent peut-être,
En ce singulier entretien,
À la Glèbe qui les vit naître
De les reprendre dans son sein !…
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CHANSON DU MEUNIER
Près de la route d'Orléans,
Je possède un moulin rustique.
Il me vient de mes grands-parents
Et c'est mon héritage unique.
Mais je ne suis pas envieux
Et, plus que les Grands de la Terre,
Dans mon moulin je vis heureux
Et là je nargue la Misère !
Tourne, tourne, mon vieux moulin,
Tourne gaîment sur la colline.
Ta meule moudra la farine,
La farine blanche du pain
Qui fait le sang du genre humain !
II
C'est là que je vis jour et nuit,
À côté de la meule ronde ;
Je préfère son joyeux bruit
À tout le vacarme du Monde !
Par ma lucarne, sans façon,
J'aime à contempler la campagne
En chantant gaîment ma chanson
Que la voix du vent accompagne !
III
Ses ailes tournent à tous les vents
– Ainsi que beaucoup de cervelles ! –
Mais ces têtes-là, bien souvent,
Font moins bonne besogne qu'elles !
C'est ma farine qui nourrit
La campagne ainsi que la Ville.
Si je suis un humble, un petit,
Je ne suis pas un inutile…
IV
C'est lui le dernier survivant
De tous les moulins du village,
Puisqu'on ne veut plus maintenant
De ces vestiges d'un autre âge…
Des vans, des fléaux, des moulins
Adieu l'époque si joyeuse…
La vapeur moudra tous les grains,
Triés déjà par la batteuse !
V
Quand j'aperçois sur le chemin
– Malgré qu'on ne soit pas bien riche –
Des pauvres gueux tendant la main,
Vite je leur taille une miche !
Quand on est à l'abri du vent
Et du froid et de la misère,
Il faut penser que bien souvent
D'autres manquent de tout sur la terre !
VI
Si l'on me trouve, un beau matin,
Mort dans mon linceul de farine,
Qu'on m'enterre sous mon moulin :
Ce sera le mieux, j'imagine.
Là, sans remords et sans souci,
Oublieux des peines cruelles,
Je dormirai bien à l'abri
De la croix blanche de ses ailes.
Tourne, tourne, mon vieux moulin,
Tourne gaîment sur la colline.
Ta meule moudra la farine,
La farine blanche du pain
Qui fait le sang du genre humain !
*******************************
MA MUSETTE
J'ons une belle musette
Tra la la, lan dérirette
L'outre est en peau de mouton,
En cormier le gros bourdon.
Elle fait sauter les filles,
Le Dimanche, dans nos bourgs,
Et chante, sous les charmilles
Le Printemps et les amours !…
Tra la la, lan dérirette
Tra la la, lan dérira
II
Vous connaissez la Jeannette
Tra la la, lan dérirette
Je l'aimons ben, voyez-vous,
Et les gâs n'en sont jaloux…
Mais, hélas ! rien ne l'amuse
Et son petit cœur mignon
N'aime pas la cornemuse
Ni sa gentille chanson !…
Tra la la, lan dérirette
Tra la la, lan dérira
III
Moi, j'adore ma musette :
Tra la la, lan dérirette
Si l'on m'en offrait de l'or,
Je la garderais encor.
Sa douce voix m'est ben chère
Et je veux qu'à mon trépas
On me couche dans ma bière,
Ma musette entre les bras !
Tra la la, lan dérirette
Tra la la, lan dérira
IV
Et pourtant si la Jeannette
Tra la la, lan dérirette
Me disait un beau matin :
« Voudrais-tu de moi, Gustin ? »
Pour plaire à la bergerette,
Sans remords, sous mes sabots,
Je briserais ma musette,
Ma musette aux chants si beaux !
Tra la la, lan dérirette
Tra la la, lan dérira !
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AUTOUR DU PRESSOIR
I
Le soleil a quitté le Monde ; sa Lumière
Va mourir, là-bas au Couchant
Et nos vignes, partout, sous sa lueur dernière,
Dans les clos, sont rouges de sang !
Autour du vieux pressoir,
Amis, chantons ce soir
Le bon vin des Aïeux
Qui fait les cœurs joyeux !
II
C'est le sang du soleil, c'est le sang de la Terre,
Le sang rouge des vins nouveaux
Qui, sous le vieux pressoir que le vigneron serre,
Coule aujourd'hui dans nos tonneaux !
III
Ce sang-là, mes enfants, c'est le beau sang de France,
C'est le sang de nos fiers Gaulois,
C'est le vin glorieux qui parle d'Espérance
Et de Fierté… comme autrefois !
IV
C'est le vin généreux qui console nos peines
Après les durs travaux du jour,
Le vin qui fait couler sans cesse dans nos veines
La Santé, la Gaîté, l'Amour.
V
C'est le vin qui toujours fit la grands Caractères
Les grands Cœur, les nobles Cerveaux…
Qui, dans les jours maudits, pour sauver nos frontières,
A fait naître tant de Héros !
VI
C'est le fils indompté du fougueux Vendémiaire
C'est le vin de Fraternité,
Le vin qui fit surgir, aux grands jours de colère,
Le Peuple, pour sa Liberté !
VII
Buvons à la santé des bonnes vendangeuses,
Aux beaux yeux, mais aux rudes bras.
Buvons à la santé des fillettes rieuses
Qu'épouseront un jour nos gâs !
VIII
Buvons à la santé des travailleurs, nos frères :
Des semeurs qui sèment le pain,
Des braves laboureurs, des vaillantes fermières,
Des meuniers qui moudront le grain !
IX
Buvons aussi, mes gâs, avant les entonnailles
À la santé des bûcherons,
Des braves tonneliers qui nous font les futailles,
De nous tous… qui les emplirons !
X
Enfin, pour achever dignement nos louanges,
En vidant nos verres gaîment,
Buvons à la santé du Père des Vendanges,
Buvons tous au bon Saint Vincent !
*******************************
DANS MES BLÉS
I
Au sein de mes grands blés mouvants
A fleuri le bleuet modeste,
Le bleuet qui, dans l'or des champs,
Glisse comme un regard céleste.
J'ai revu, le cœur plus joyeux,
Dans mes moissons l'humble fleurette :
Les bleuets m'ont parlé des yeux
Des jolis yeux de ma Jeannette.
II
Au sein de mon froment vermeil
Fleurit la blanche marguerite…
On voit aux baisers du soleil
Son petit cœur d'or qui palpite…
Nous venions autrefois, tous deux,
En effeuiller la collerette…
Elle m'a redit les aveux
Et les serments de ma Jeannette !
III
Au sein des blés étincelants,
Ainsi que de rouges blessures,
Ont fleuri les pavots sanglants,
Des faux présageant les morsures !
Je moissonnerai sans rancœur,
En chantant… comme l'alouette :
Les pavots m'ont parlé du cœur,
Du cœur ardent de la Jeannette.
IV
Bleuets, marguerites, ponceaux
Bercent ma très douce espérance…
Et mes champs, comme des drapeaux,
Ont les trois couleurs de la France.
Aussi je chéris mes blés lourds
Qui se parent pour leur toilette
Des couleurs de mes deux amours :
De ma Patrie… et de Jeannette !…
*******************************
LE PARJURE
Lorsque le fermier Jean-Pierre
Sentit venir le trépas,
Près de lui, dans sa chaumière
Il fit appeler son gâs :
« Mon gâs, je vais disparaître,
Mais je m'en irai content
Si tu veux me jurer d'être
Toujours un bon paysan !… »
« Hardiment et sans relâche,
À plein cœur comme à pleins bras,
J'ai su commencer la tâche :
C'est toi qui la finira…
Nous les vieux, il est bien juste
Qu'on parte avant la moisson,
Quand il reste un gâs robuste
Pour achever le sillon ! »
De rester sans défaillance
Aux champs, le gâs lui promit.
Et, très calme, sans souffrance,
Le vieux fermier s'endormit…
Puis, dans l'humble cimetière,
On le coucha doucement
Au sein de la bonne terre
Que le vieillard aimait tant !
Et maintenant la charrue
Reste seule au bout du champ,
Parmi l'herbe folle et drue,
Les ronces et le chiendent,
Car le gâs du vieux Jean-Pierre
A laissé pour la Cité
Et ses champs et sa chaumière :
Le parjure a déserté !
Mais, depuis, dans les nuits sombres,
On entend de longs sanglots
Et l'on voit errer les ombres
D'un vieillard… de deux chevaux…
La vision de mystère
Se dissipe avant le jour :
C'est, dit-on, le vieux Jean-Pierre
Qui vient finir son labour !
*******************************
PRIÈRE DU PAYSAN
I
Après une pénible et vaillante journée,
À l'heure où le soleil à l'horizon descend,
Le brave paysan rejoint sa maisonnée
Et, debout sur le seuil, il s'arrête un instant.
Ému par la douceur du soir et son mystère,
Et contemplant au loin la splendeur du Couchant :
« Mon Dieu, dit-il alors, bénissez ma chaumière,
Préservez des fléaux mon village et mes champs !
II
Bénissez les sillons tracés par la charrue,
Les prés et les guérets, qui semblent en sommeil,
Protégez le blé vert qui lève en herbe drue
Et qui sera bientôt doré par le soleil.
Donnez-nous notre pain de chaque jour, ô Père,
Veillez sur le repos de l'humble travailleur,
Donnez aussi, mon Dieu, le pain du pauvre hère
Et qu'il trouve un foyer où reposer son cœur !
III
Donnez-nous, pour la Glèbe, un amour très sincère.
Mettez le même amour au cœur de tous nos gâs :
Pour jamais attachés au métier de leur père,
Qu'ils demeurent aux champs, jusques à leur trépas,
Fortement racinés au sol qui les vit naître,
Aux humbles lieux témoins de leur premier réveil.
Peut-être un jour aussi le vieux lit des ancêtres
À leur tour, bercera leur suprême sommeil !
IV
Conservez le manteau des moissons à la Terre.
Conservez à nos bois les oiseaux et leurs chants.
Mais préservez-nous tous, ô mon Dieu, de la guerre.
Gardez-nous nos foyers, gardez-nous nos enfants !
Faites-nous assez forts pour savoir ne rien craindre,
Pour nous rire du mal et narguer tous ses coups.
Donnez-nous la vertu de trimer sans nous plaindre
Et le bonheur de vivre et de mourir chez nous !
*******************************
CHANSON DU SOIR
I
Le Ciel de pourpre et d'émeraude
Resplendit aux feux du Couchant.
Les oiseaux de nuit en maraude
Jettent dans l'air un cri perçant.
Les rossignols et les fauvettes
Charment les grands bois de leurs chants ;
Dans les prés tintent les clochettes
Des troupeaux qui rentrent des champs.
Chantons, bergers, sur la musette
Notre plus douce chansonnette :
La chanson du soir
C'est la chanson d'espoir.
II
Du fond des bois et des ravines
Où les grillons chantent en chœur,
S'exhalent des senteurs divines
Qui troublent l'esprit et le cœur.
C'est comme une lente caresse
Tout empreinte de volupté
Et l'âme goûte avec ivresse
La fin de ce beau jour d'été.
III
Puis l'horizon se fait plus sombre
Et, dans le lontain, l'on entend
L'Angélus au clocher, dans l'ombre,
Égrener ses notes d'argent.
Partout, pour une nuit encore,
C'est le repos, c'est le sommeil :
Demain nous reverrons l'Aurore
Rougir aux baisers du soleil.
IV
Espoir !… voilà le mot suprême
Que tout, ici-bas, nous redit.
C'est de l'espoir que l'homme sème
Dans le sillon qui le nourrit.
Dieu, dans sa Puissance infinie,
Fait, par un miracle d'amour,
De la Mort renaître la Vie
Et de la Nuit naître le Jour !
*******************************
PLEURE PAS, MON VIEUX
I
Qu'est-c'que tu dis donc, mon pauvre homme ?…
Que la vie est rude ici-bas…
Qu'on n'a que d' la misère, en somme,
Depuis l' berceau jusqu'au trépas !…
Que t'as trimé de tout ton être
Dans l'espoir d'un lointain succès
Et qu' nous avons fini par être
Plus gueux, plus délaissés qu' jamais !…
Pleur' pas, mon vieux,
Pleur' pas pour ça, tu m' f'rais d' la peine !…
C'est pas d' not' faut', qu'est-c' que tu veux :
On n'a pas d' veine !…
Pleur' pas, mon vieux,
Pleur' pas pour ça, tu m' f'rais d' la peine,
P'têt' que plus tard, ç march'ra mieux :
Pleur' pas, mon vieux !…
II
T' rappell's-tu l' jour de not' mariage,
Nos cœurs étaient remplis d'espoir,
Dame, après tout, c'était d' notre âge
De n' pas voir l'av'nir tout en noir !…
Nous n'avons eu dans l'existence
Que des chagrins, que des rancoeurs.
La vie brise nos espérances,
Mais n'a pas brisé nos deux cœurs !
Pleur' pas, mon vieux,
Pleur' pas pour ça, tu m' f'rais d' la peine !…
C'est pas d' not' faut', qu'est-c' que tu veux :
On n'a pas d' veine !…
Pleur' pas, mon vieux,
Pleur' pas pour ça, tu m' f'rais d' la peine,
Portons not' misère à nous deux :
Pleur' pas, mon vieux !…
III
Le Bon Dieu nous a mis sur terre
Pour y souffrir, pour y lutter :
Son Fils a choisi la misère
Quand Il vint pour nous racheter…
Et puisque la Douleur nous brise,
Loin des homm's lâches et méchants
Allons tous deux jusqu'à l'église :
C'est la maison des pauvres gens !
Pleur' pas, mon vieux,
Pleur' pas pour ça, tu m' f'rais d' la peine !…
C'est pas d' not' faut', qu'est-c' que tu veux :
On n'a pas d' veine !…
Pleur' pas, mon vieux,
Pleur' pas pour ça, tu m' f'rais d' la peine,
Le vrai Bonheur n'est qu' dans les Cieux :
Pleur' pas, mon vieux !…
*******************************
CHANSON DU RÉVEIL
I
De leur cri joyeux et sonore
Les coqs ont salué l'aurore,
Annonçant au lointain écho
Que le soleil naîtra bientôt.
Dans les blés, l'alouette chante,
Tout l'univers est dans l'attente :
Les champs, le village et les bois
S'éveillent à la fois.
Sur l'horizon vermeil,
Va reparaître le soleil ;
La Terre s'arrache au sommeil :
C'est l'heure du réveil.
II
Et soudain l'orient s'allume,
Au loin s'efface toute brume,
L'astre du jour éblouissant
Surgit, baigné d'or et de sang !
Partout sa riante caresse
Sème la vie et l'allégresse ;
Tous les bosquets, tous les buissons
S'emplissent de chansons.
Sur l'horizon vermeil,
Voici que paraît le soleil ;
La Terre s'arrache au sommeil :
C'est l'heure du réveil.
III
La glèbe palpite de sève :
Bon paysan, quitte ton rêve,
Et, le front nimbé de rayons,
Retourne vite à tes sillons.
La nuit endort toute souffrance,
L'aurore te rend l'espérance,
Et Dieu te donne encore un jour
De travail et d'amour !
Sur l'horizon vermeil,
Voici que monte le soleil ;
La Terre s'arrache au sommeil :
C'est l'heure du réveil.
*******************************
PETITS VOISINS
I
Autrefois, dans mon cher village,
J'avais, tout près de ma maison,
Deux jeunes bambins du même âge :
Une fillette… un gros garçon !
Le soir, la classe terminée,
Je voyais jouer au jardin,
Jusqu'à la fin de la journée,
Ma petite voisine et son petit voisin !
II
Puis, le Dimanche, quand la cloche,
Nous appelant vers le Saint-Lieu,
Semblait dire, de proche en proche :
« Venez, c'est le Jour du Bon-Dieu !…
L'un près de l'autre, avec sagesse,
Tenant un gros livre à la main,
Ils partaient bien vite à la messe,
Ma petite voisine et son petit voisin.
III
Lui fut premier… elle première,
Du grand catéchisme, à douze ans.
L'honneur de dire la prière
Revint de droit aux deux enfants.
Et l'on put voir, tremblants de crainte,
Mais formant un couple divin,
S'avancer à la Table Sainte
Ma petite voisine et son petit voisin.
IV
Un jour – ô bonheur sans mélange –
Pour égayer notre chemin,
Le Ciel nous envoyait un Ange,
Un joli petit Chérubin !…
Il fallut chercher la marraine,
Il fallut choisir un parrain.
Ma foi, je les trouvai sans peine :
Ma petite voisine et son petit voisin.
V
Ils ont grandi… grandi trop vite !
– Car ça ne nous rajeunit pas ! –
Elle, aujourd'hui, n'est plus petite
Et lui, c'est un fier et beau gâs !…
Ils feront un gentil ménage,
Car notre curé, ce matin,
Vient d'unir en bon mariage
Ma petite voisine et son petit voisin.
VI
Hélas ! la vie est éphémère…
Tôt ou tard viendra le Trépas !
Et, pour eux, voici la prière
Que je dis au Bon-Dieu, tout bas :
« Ne séparez jamais, ô Père,
– Ce serait un trop lourd chagrin ! –
Dans le Ciel comme sur la Terre,
Ma petite voisine et son petit voisin.
*******************************
L'ANGELUS DES CHAMPS
I
Dès le matin, quand l'aurore
Rougit le toit des maisons,
Pour trimer un jour encore,
Nous retournons aux sillons.
Et soudain, à l'horizon,
Chante un joyeux carillon :
C'est la cloche qui sonne
Au clocher lointain,
La cloche résonne
Pour l'Angelus du matin…
Par respect, sans feinte,
Arrêtons nos chevaux :
C'est l'heure sainte,
Que Dieu bénisse nos travaux !
II
Le soleil de sa lumière
Dore les champs et les bois…
Dresse la table, fermière,
Tes gâs auront faim, je crois !
N'entends-tu pas au lointain
Ce carillon argentin :
C'est la cloche qui sonne
En l'air attiédi,
La cloche résonne
Pour l'Angelus de midi…
Sa voix nous invite
À reposer nos bras,
Rentrons bien vite :
Que Dieu bénisse nos repas !
III
Il est tard… la Nuit sereine
Descend au loin sur nos champs.
Le Soir, dans sa marche, entraîne
Son manteau semé d'argent
Et dans l'ombre l'on entend
S'élever un très doux chant :
C'est la cloche qui sonne
À l'horizon noir…
La cloche résonne :
Voici l'Angelus du soir !…
Sa bonne voix pleure
Le Trépas du soleil…
Dans nos demeures
Dieu bénira notre sommeil !
*******************************
UNE PLACE AU CHEMIN DE FER
I
J'vas vous conter l'histoire à Pierre.
Un gâs solide au teint vermeil,
Qu'avait, pour narguer la misère,
Pas mal d'arpents d' terre au soleil.
Il aurait pu rester son maître,
Mais voilà qu'un matin maudit
Le facteur lui remit un' lettre
D'un d' ses cousins germains d' Paris ;
Et dans cett' lettre-là,
Il lui disait comm' çà :
« J' vis heureux et tranquille,
Mon métier n'est pas difficile…
Avec un' p'tit' pinc' dans la main,
J' m'en vais, au départ de chaqu' train,
Soir et matin,
Découper des p'tits trous bien ronds
Dans des p'tits bouts d'carton. »
II
Comme il trouvait la terre trop basse
Et qu' ça lui faisait mal aux reins,
Il s' dit : Faut que j' dégote un' place
Pareille à cell' de mon cousin !
Là-d'sus, il court au presbytère,
S'en vient trouver son bon Curé,
Et lui racont' sa p'tite affaire
En lui d'mandant de l' renseigner :
« M'sieur l' Curé, voyez-vous,
C'est un métier très doux…
Un métier bien tranquille,
Et qui n'est pas trop difficile.
Avec un' p'tit' pinc' dans la main,
Il faut, au départ de chaqu' train,
Soir et matin,
Découper des p'tits trous bien ronds
Dans des p'tits bouts d'carton. »
III
L' Curé lui dit un' bonn' parole :
« Restez donc chez vous, mon garçon ! »
Le gâs courut chez l' Maît' d'école
Qui lui répondit su' l' même ton…
Consulté par lui, Mossieu l' Maire
Lui conseilla de patienter…
On vit même un jour l'ami Pierre
Chez l' Sénateur et l' Député !
À tous ceux qu'il voyait
L' pauvre gâs répétait :
« C'est un' plac' bien tranquille,
C' métier-là n'est pas difficile…
Avec un' p'tit' pinc' dans la main,
J'irais, au départ de chaqu' train,
Soir et matin,
Découper des p'tits trous bien ronds
Dans des p'tits bouts d'carton. »
IV
En fin de compte, il obtint un' place,
Fut si content qu'il en rêvait,
Mais s'aperçut – dam', c'est cocasse ! –
Qu' ça n'était pas c' qu'il attendait…
Comme il faut partout faire un stage,
Et malgré tout's ses protections,
On lui fait porter les bagages
Et pousser les ram's de wagons,
Et tout en turbinant
Il s' dit en ronchonnant :
« J' voudrais êtr' plus tranquille,
C'te plac'-là c'est trop difficile…
Avec un' p'tit' pinc' dans la main,
J' pourrais, au départ de chaqu' train,
Soir et matin,
Découper des p'tits trous bien ronds
Dans des p'tits bouts d'carton. »
À la ville, avec son salaire,
Il lui faut tous les jours payer
Son pain, son vin, ses pomm's de terre
Qu'il faisait autrefois pousser !
Avec ça, pour régler son terme,
Il est obligé d' se priver,
Et son taudis n' vaut pas sa ferme :
On n'y peut mêm' pas respirer !…
Mes bon gâs, voyez-vous,
Il faut rester « chez nous » !
N'allons pas à la ville
Au village on est plus tranquille.
Chez nous on récolte son pain
Et l'on peut manger à sa faim
Soir et matin…
Ça vaut mieux que d' percer des ronds
Dans des p'tits bouts d'carton !
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LA PROMISE DU SOLDAT
I
Avec les gâs de son âge,
Mon « bon ami », mon Armand
A quitté notre village
Pour partir au régiment.
Je chante malgré ma peine
Gai, gai, gai,
Et don don daine
Pour un peu m'en consoler
Gai, gai, gai,
Et don don dé !
II
Au départ, à ma fenêtre,
Sous mes yeux brillants de pleurs,
Mon galant est venu mettre
Un joli bouquet de fleurs,
Afin que je me souvienne
Gai, gai, gai,
Et don don daine
Mais le bouquet s'est fané
Gai, gai, gai,
Et don don dé !
III
Dans l'écorce d'un gros chêne,
Sur la route du canton,
J'ai voulu, l'autre semaine,
De ma main graver son nom…
Mais la mousse y peut, sans peine,
Gai, gai, gai,
Et don don daine
Le couvrir… et l'effacer !
Gai, gai, gai,
Et don don dé !
IV
À la source au gai ramage
Qui chante dans la forêt,
Au rossignol du bocage
Je dirais bien mon secret…
Mais rossignol et fontaine
Gai, gai, gai,
Et don don daine
S'en iraient le babiller !
Gai, gai, gai,
Et don don dé !
V
Aussi, vraiment, je préfère
En attendant son retour,
Dans mon cœur, avec mystère,
Garder son nom… son amour
Et du cœur de Madeleine
Gai, gai, gai,
Et don don daine
Rien ne les pourra chasser !
Gai, gai, gai,
La rirette ô gué !
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LA CROIX DE BLÉ
I
Allons, les gâs, qu'on m'apporte
Une gerbe d'épis blonds :
Je veux mettre sur ma porte
La Croix des moissons !…
Puisque la récolte est bonne,
Sachons, de grand cœur,
À Celui qui nous la donne
En rendre tout l'honneur !
Les filles, les gâs, tertous rassemblés…
À genoux devant la croix de blé !…
O Crux ave !
II
Gloire au Dieu des moissons blondes
Au Dieu qui, dans sa bonté,
Rend les semences fécondes
Pour l'Humanité !
Bénissons le divin Père,
Au cœur plein d'amour,
Qui nous donne sur la Terre
Le Pain de chaque jour !…
Les filles, les gâs, tertous rassemblés…
À genoux devant la croix de blé !…
O Crux ave !
III
Quand un pauvre misérable
Passera sur le chemin,
La Croix du Dieu charitable
Nous dira demain :
« Tes moissons furent prospères,
Songe à ton Prochain…
Les miséreux sont tes frères :
Partage-leur ton pain !… »
Écoutons, les gâs, le cœur tout troublé,
La leçon de l'humble croix de blé :
O Crux ave !
IV
Ce symbole salutaire
Portègera ma moisson
Comme aux champs la croix de pierre
Bénit le sillon,
De même qu'au cimetière
Ce signe pieux
Garde, à jamais, la poussière
De tous nos chers Aïeux !
Les filles, les gâs, tertous rassemblés…
À genoux devant la croix de blé !…
O Crux ave !
V
Fermons la grange et l'étable :
La servante nous attend ;
Nous allons nous mettre à table
Et souper gaîment !
Quand on a, dans sa prière,
Béni le Seigneur,
On se sent la voix plus claire
Pour chanter tous en chœur !…
Qu'un signe de croix par nous soit tracé
Sur le pain que Dieu nous a laissé :
O Crux ave !
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LA CHARRUE ABANDONNÉE
Parmi les champs déserts que couvre au loin la neige,
Sous le vol des corbeaux, j'ai trouvé – délaissé
Par quelque laboureur ingrat et sacrilège –
Un vieux soc culbuté sur l'ados d'un fossé.
Il gît là, dans un coin – tout rougi par la rouille,
Seul, oublié de tous – comme un vieux serviteur ! –
Les vers rongent son bois et la Terre le souille,
Elle qui lui devait sa récente splendeur !…
Je suis resté pensif devant cette charrue,
Et j'ai songé, rêveur, au stupide abandon
De la foule nombreuse et chaque jour accrue
Des Terriens déserteurs du soc et du sillon.
Leurs cerveaux fascinés par le luxe des villes
– Comme les papillons par de vagues clartés –
Se sont prostitués en besognes serviles,
Troquant pour un peu d'or toutes leurs libertés…
Ingrats !… pouvez-vous bien ainsi trahir la Terre
Dont la voix endormait tous vos tourments, jadis ?
Pourquoi donc avez-vous abandonné l'araire :
Le trouviez-vous trop lourd pour vos bras affaiblis ?
Parfois, dans vos cités dont l'air impur vous mine,
Ne regrettez-vous pas, au fond du cœur, le temps
Où le grand air des champs gonflait votre poitrine,
Où votre voix vibrait pour de rustiques chants ?
Et le soir, fatigués par toutes les lumières,
Vos pauvres yeux meurtris, vos yeux de paysans
Ne pleurent-ils jamais l'ombre de vos chaumières
Et le lit paternel où vous dormiez contents ?
Ne croyez-vous jamais, en votre âme inquiète,
Au milieu des rumeurs d'un peuple soucieux,
Entendre tout à coup le chant de l'alouette
Comme un hymne d'espoir s'élevant jusqu'aux cieux ?
Et ne voyez-vous pas, en un douloureux rêve,
Les grands bois assoupis sur l'horizon vermeil,
Les vignes, les vergers aux fruits gonflés de sève,
Et les blés frissonnant aux baisers du Soleil !
Vous tous qui, sur le noir bitume de la rue,
Revenez chaque soir, épuisés, le front bas,
Songez, amis, songez à la vieille charrue
Qui tristement, là-bas, vous tend ses deux grands bras !…
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IL NEIGE !
Il neige sur la route, il neige sur les toits,
Un lugubre linceul recouvre la campagne…
Il neige dans les champs, il neige dans les bois,
Triste chanson d'hiver que la bise accompagne !
Plaignons les voyageurs, plaignons les chemineux,
Pensons aux pauvres gens que la famine assiège :
Mignonne, au coin de l'âtre, asseyons-nous tous deux :
Il neige !…
Il neige dans les cœurs, il neige sur les fronts,
Le Temps inexorable a poudré de son givre
Mes pauvres cheveux noirs, tes jolis cheveux blonds,
Et nous avons vieilli, sans être las de vivre ;
Où sont nos gais printemps, nos radieux étés ?…
Nos rêves, nos espoirs, en douloureux cortège,
S'envolent loin de nous, par la bise emportés :
Il neige !…
Il neige sur les fronts, il neige dans les cœurs.
La Nature s'endort en sa morne tristesse…
Le soleil reviendra, de ses rayons vainqueurs
Nous rendre les beaux jours… mais non pas la jeunesse !
Puisque l'homme, ici-bas, doit espérer toujours,
Espérons en Demain… et que Dieu nous protège :
Qu'Il nous donne, Là-Haut, d'éternelles amours…
Il neige !…
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NOËL DES PAYSANS
I
Pleurant de froid et lamentable,
Sans langes pour ses membres nus,
Au fond d'une très pauvre étable
Est né le cher Enfant-Jésus.
Celui qui naît dans la détresse
Eût pu choisir un sort plus doux ;
C'est pour nous prouver sa tendresse
Qu'il s'est fait « petit » comme nous.
Chantez gaîment, vielles et musettes,
Pour saluer le Dieu des champs ;
Sonnez, bourdons, carillonnez, clochettes,
C'est le Noël des Paysans !
II
Il a choisi la paille blonde,
L'âne, le bœuf, les moutons blancs,
Afin de mieux montrer au Monde
Qu'Il venait pour les pauvres gens.
Avant l'or et l'encens des Mages,
Avant tous les présents des Rois,
Il a voulu d'humbles hommages,
Ceux des bergers, simples et droits !
Chantez gaîment, vielles et musettes,
Pour saluer le Dieu des champs ;
Sonnez, bourdons, carillonnez, clochettes,
C'est le Noël des Paysans !
III
Bergers, laboureurs et fermières,
Célébrons partout l'Enfant-Dieu,
Et que chacun, dans nos chaumières,
Mette la lourde bûche au feu !
Tout comme Jésus, dans l'étable –
Pour fêter sa Nativité –
Ouvrons la porte au misérable :
C'est la Nuit de la charité !
Chantez gaîment, vielles et musettes,
Pour saluer le Dieu des champs ;
Sonnez, bourdons, carillonnez, clochettes,
C'est le Noël des Paysans !
IV
Cette nuit, les rumeurs futiles
Des foules, de leurs passions
Étouffent partout, dans les villes,
Des cloches les gais carillons.
Mais de nos clochers la voix chère
Dans les champs résonne bien mieux
Et l'on croit voire en la nuit claire
La Terre qui s'unit aux Cieux !
Chantez gaîment, vielles et musettes,
Pour saluer le Dieu des champs ;
Sonnez, bourdons, carillonnez, clochettes,
C'est le Noël des Paysans !
V
Souvenons-nous de ce mystère :
Loin des riches et des puissants,
Le Dieu du Ciel et de la Terre
Est né parmi les Paysans…
Si les Grands – lâches et sceptiques –
O Christ, n'entendent plus ta Voix,
Que les "Terriens", que les "Rustiques"
Forment ta Cour… comme autrefois !
Chantez gaîment, vielles et musettes,
Pour saluer le Dieu des champs ;
Sonnez, bourdons, carillonnez, clochettes,
C'est le Noël des Paysans !