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VOLTAIRE, LE PAUVRE DIABLE


LE PAUVRE DIABLE,
ouvrage en vers aisés, de feu Mr. VADÉ
mis en lumière
par CATHERINE VADÉ sa cousine,
dédié à MAÎTRE ABRAHAM.
1758

Comme il est parlé de vous dans cet ouvrage de feu mon cousin Vadé, je vous le dédie. C'est mon Vadé mecum; vous direz sans doute, Vadé rétro; et vous trouverez dans l'œuvre de mon cousin plusieurs passages contre l'Etat, contre la Religion, les mœurs etc. partant vous pouvez le dénoncer, car je préfère mon devoir à mon cousin Vadé.
Faites l'analyse de l'ouvrage, ne manquez pas d'y répandre un filet de vinaigre, en souvenance de votre premier métier. J'ai des préjugés légitimes que vous êtes un des plus absurdes barbouilleurs de papier qui se soient jamais mêlés de raisonner ; ainsi personne n'est plus en droit que vous d'obtenir, par vos raisonnements et par votre crédit, qu'on brûle ce petit poème, comme si c'était un Mandement, ou le Nouveau Testament de frère Berruyer. Continuez à faire honneur à votre siècle, ainsi que tous les personnages dont il est question dans ce Livret que je vous présente.
Catherine Vadé.

A Paris rue Thibautaudé, chez Maître Jean Gauchat, attenant le gîte de l'auteur des Nouvelles Ecclésiastiques, 27e. Mars 1758.

LE PAUVRE DIABLE.

Quel parti prendre ? ou suis-je, et que dois-je être ?
Né dépourvu, dans la foule jeté,
Germe naissant par les vents emporté.
Sur quel terrain puis-je espérer de craître?
Comment trouver un état, un emploi ?
Sur mon destin, de grâce, instruisez-moi.
– Il faut s'instruire et se fonder soi-même,
S'interroger, ne rien croire que soi,
Que son instinct; bien savoir ce qu'on aime;
Et, sans chercher des conseils superflus,
Prendre l'état qui vous plaira le plus.
– J'aurais aimé le métier de la guerre.
– Qui vous retient ? allez ; déjà l'hiver
A disparu; déjà gronde dans l'air
L'airain bruyant, ce rival du tonnerre;
Du Duc de Broglie osez suivre les pas;
Sage en projets, et vif dans les combats,
Il a transmis sa valeur aux soldats ;
Il va venger les malheurs de la France :
Sous ses drapeaux marchez dès aujourd'hui
Et méritez d'être aperçu de lui.
– Il n'est  plus temps ; j'ai d'une Lieutenance
Trop vainement demandé la faveur,
Mille rivaux briguaient la préférence;
C'est une presse! En vain Mars en fureur
De la patrie a moissonné la fleur,
Plus on en tue et plus il s'en présente :
Ils vont trottant des bords de la Charente,
De ceux du Lot, des coteaux Champenois,
Et de Provence, et des monts Francomtois;
En botte, en guêtre, et surtout en guenille,
Tous assiégeant la porte de Crémille,
Pour obtenir des maîtres de leur sort
Un beau brevet qui les mène à la mort.
Parmi les flots de la foule empressée,
J'allai montrer ma mine embarrassée ;
Mais un Commis, me prenant pour un sot,
Me rit au nez, sans me répondre un mot;
Et je voulus, après cette aventure,
Me retourner vers la Magistrature.
– Eh bien ! la robe est un métier prudent ;
Et cet air gauche, et ce front de pédant,
Pourront encor passer dans les enquêtes;
Vous verrez là de merveilleuses têtes.
Vite, achetez un emploi de Caton ;
Allez juger; êtes-vous riche? – Non,
Je n'ai plus rien, c'en est fait – Vil atome!
Quoi! point d'argent? Et de l'ambition!
Pauvre impudent ! apprends qu'en ce royaume
Tous les honneurs font fondés sur le bien.
L'antiquité tenait pour axiome
Que rien n'est rien, que de rien ne vient rien;
Du genre humain connais quelle est la trempe ;
Avec de l'or je te fais Président,
Fermier du Roi, Conseiller, Intendant.
Tu n'as point d'aile et tu veux voler! Rampe.
– Hélas! Monsieur, déjà je rampe assez.
Ce fol espoir qu'un moment a fait naître,
Ces vains désirs pour jamais font passés :
Avec mon bien j'ai vu périr mon être.
Né malheureux, de la crasse tiré,
Et dans la crasse en un moment rentré,
À tous emplois on me ferme la porte.
Rebut du monde, errant, privé d'espoir,
Je me fais moine, ou gris, ou blanc, ou noir,
Rasé, barbu, chaussé, déchaux, n'importe.
De mes erreurs déchirant le bandeau,
J'abjure tout; un cloître est mon tombeau,
J'y vais descendre ; oui, j'y cours – Imbécile
Va donc pourrir au tombeau des vivants.
Tu crois trouver le repos, mais apprends
Que des soucis c'est l'éternel asile,
Que les ennuis en font leur domicile,
Que la discorde y nourrit ses serpents;
Que ce n'est plus ce ridicule temps
Ou le capuce , et la toque à trois cornes,
Le scapulaire et l'impudent cordon
Ont extorqué des hommages sans bornes.
Du vil berceau de son illusion
La France arrive à l'âge de raison;
Et les enfants de François et d'Ignace
Bien reconnus sont remis à leur place :
Nous faisons cas d'un cheval vigoureux
Qui, déployant quatre jarrets nerveux,
Frappe la terre et bondit sous son maître ;
J'aime un gros bœuf, dont le pas lent et lourd,
En sillonnant un arpent dans un jour,
Forme un guéret ou mes épis vont naître ;
L'âne me plaît, son dos porte au marché
Les fruits du champ que le rustre a bêché ;
Mais pour le singe, animal inutile,
Malin, gourmand, saltimbanque indocile,
Qui gâte tout et vit à nos dépens,
On l'abandonne aux laquais fainéants.
Le fier Guerrier, dans la Saxe en Thuringe,
C'est le cheval : un Pequet, un Pleneuf, *
Un trafiquant, un commis est le bœuf,
Le peuple est l'âne et le moine est le singe.
– S'il est ainsi, je me decloître. Ô Ciel!
Faut-il rentrer dans mon état cruel !
Faut-il me rendre à ma première vie!
– Quelle était donc cette vie ? — un enfer,
Un piège affreux tendu par Lucifer.
J'étais sans biens, sans métier, sans génie ,
Et j'avais lu quelques méchants auteurs ;
Mordu du chien de la métromanie,
Le mal me prit, je fus auteur aussi.
– Ce métier-là ne t'a pas réussi,
Je le vois trop; ça, fais-moi, pauvre Diable,
De ton désastre un récit véritable.
Que faisais-tu sur le Parnasse ? – Hélas !
Dans mon grenier, entre deux sales draps,
Je célébrais les faveurs de Glicère,
De qui jamais n'approcha ma misére ;
Ma triste voix chantait d'un gosier sec
Le vin mousseux, le Frontignan, le Grec,
Buvant de l'eau dans un vieux pot à bière ;
Faute de bas passant le jour au lit,
Sans couverture, ainsi que sans habit,
Je fredonnais des vers sur la paresse,
D'après Chaulieu je vantais la mollesse.
Enfin un jour qu'un surtout emprunté
Vêtit à cru ma triste nudité,
Après midi, dans l'antre de Procope,
(C'était le- jour que l'on donnait Mérope)
Seul dans un coin, pensif et consterné,
Rimant une Ode, et n'ayant point diné,
Je m'accostai d'un homme à lourde mine,
Qui sur sa plume a fondé sa cuisine,
Grand écumeur des bourbiers d'Hélicon,
De Loyola chassé pour ses fredaines,
Vermisseau né du cul de Des Fontaines,
Digne en tout sens de fon extraction,
Lâche Zoïle, autrefois laid Giton.
Cet animal se nommait Jean Fréron.
J'étais tout neuf, j'étais jeune, sincère,
Et j'ignorais son naturel félon ;
Je m'engageai sous l'espoir d'un salaire
À travailler à son hebdomadaire,
Qu'aucuns nommaient alors patibulaire.
Il m'enseigna comment on dépeçait
Un livre entier, comme on le recousait,
Comme on jugeait du tout par la préface,
Comme on louait un sot auteur en place,
Comme on fondait avec lourde roideur
Sur l'écrivain pauvre et sans protecteur.
Je m'enrôlai, je servis le Corsaire ;
Je critiquai, sans esprit et sans choix;
Et je mentis pour dix écus par mois.
Quel fut le prix de ma plate manie ?
Je fus connu, mais par mon infamie,
Comme un gredin que la main de Thémis
A diapré de nobles fleurs de lys,
Par un fer chaud, gravé sur l'omoplate.
Triste et honteux, je quittai mon pirate,
Qui me vola, pour fruit de mon labeur,
Mon honoraire en me parlant d'honneur.
M'étant ainsi sauvé de sa boutique,
Et n'étant plus compagnon satirique,
Manquant de tout dans mon chagrin poignant,
J'allai trouver le Franc de Pompignan
Ainsi que moi natif de Montauban,
Lequel jadis a brodé quelque phrase
Sur la Didon qui fut de Métastase ;
Je lui contai tous les tours du croquant:
"Mon cher pays, secourez moi, lui dis-je ,
Fréron me vole et pauvreté m'afflige.
– De ce bourbier vos pas seront tirés,
Dit Pompignan, votre dur cas me touche;
Tenez, prenez mes cantiques sacrés ;
Sacrés ils sont, car personne n'y touche;
Avec le temps un jour vous les vendrez :
Plus, acceptez mon chef-d'œuvre tragique
De Zoraïd ; la scène est en Afrique;
À la Clairon vous le présenterez ;
C'est un tréfor, allez et prospérez."
Tout ranimé par son ton didactique.
Je cours en hâte au Parlement comique,
Bureau de vers, ou maint auteur pelé
Vend mainte scène à maint acteur sifflé.
J'entre, je lis d'une voix fausse et grêle
Le triste Drame écrit pour la Denêle.
Dieu paternel, quels dédains, quel accueil!
De quelle œillade altière, impérieuse,
La Duménil rabattit mon orgueil !
La d'Angeville est plaisante et moqueufe ;
Elle riait; Grandval me regardait
D'un air de Prince, et Sarrazin dormait;
Et renvoyé penaut par la cohue,
J'allai gronder et pleurer dans la rue.
De vers, de prose et de honte étouffé,
Je rencontrai Gresset dans un Café,
Gresset doué du double privilège
D'être au Collège un bel esprit mondain,
Et dans le monde un homme de Collège ;
Greffet dévot ; longtemps petit badin,
Sanctifié par ses palinodies,
Il prétendait avec componction
Qu'il avait fait jadis des Comédies,
Dont à la Vierge il demandait pardon.
– Gresset se trompe, il n'est pas si coupable.
Un vers heureux et d'un tour agréable
Ne suffit pas ; il faut une action,
De l'intérêt, du comique, une fable,
Des mœurs du temps un portrait véritable,
Pour consommer cette œuvre du Démon.
Mais que fit-il dans ton affliction ?
– Il me donna les conseils les plus sages :
"Quittez, dit-il, les profanes ouvrages;
Faites des vers moraux contre l'amour,
Soyez dévôt, montrez-vous à la Cour."
Je crois mon homme, et je vais à Versailles;
Maudit voyage ! hélas chacun se raille
En ce pays d'un pauvre auteur moral,
Dans l'antichambre il est reçu bien mal,
Et les laquais insultent sa figure,
Par un mépris pire encor que l'injure.
Plus que jamais confus, humilié,
Devers Paris je m'en revins à pied.
L'abbé Trublet alors avait la rage
D'être à Paris un petit personnage,
Au peu d'esprit que le bon homme avait
L'esprit d'autrui par supplément servait;
Il entassait adage sur adage ;
Il compilait, compilait, compilait,
On le voyait sans cesse écrire, écrire
Ce qu'il avait jadis entendu dire ;
Et nous lassait fans jamais se lasser ;
Il me choisit pour l'aider à penser.
Trois mois entiers ensemble nous pensâmes,
Lûmes beaucoup, et rien n'imaginâmes.
L'abbé Trublet m'avait pétrifié.
Mais un bâtard du sieur de la Chaussée
Vint ranimer ma cervelle épuisée ;
Et tous les deux nous fîmes par moitié
Un Drame court et non versifié,
Dans le grand goût du larmoyant comique,
Roman moral, roman métaphysique.
– Eh bien, mon fils, je ne te blâme pas ;
Il est bien vrai que je fais peu de cas
De ce faux genre, et j'aime assez qu'on rie ;
Souvent je bâille au tragique bourgeois,
Aux vains efforts d'un auteur amphibie.
Qui défigure et qui brave à la fois
Dans son jargon Melpomène et Thalie.
Mais après tout, dans une Comédie,
On peut parfois se rendre intéressant,
En empruntant l'art de la tragédie,
Quand par malheur on n'est point né plaisant.
Fus-tu joué? ton Drame hétéroclite
Eut-il l'honneur d'un peu de réussite ?
– Je cabalai, je fis tant qu'à la fin
Je comparus au tripot d'Arlequin.
Je fus hué : ce dernier coup de grâce
M'allait sans vie étendre sur la place ;
On me porta dans un logis voisin,
Prêt d'expirer de douleur et de faim,
Les yeux tournés, et plus froid que ma pièce.
– Le pauvre enfant ! son malheur m'intéresse ;
Il est naïf ! Allons, poursuis le fil
De tes récits : ce logis quel est-il ?
– Cette maison d'une nouvelle espèce,
Où je restai longtemps inanimé,
Était un antre, un repaire enfumé
Ou s'assemblaient six fois en deux semaines
Un reste impur de ces énergumènes
De Saint Médard effrontés charlatans,
Trompeurs, trompés, monstres de notre temps.
Missel en main la cohorte infernale
Psalmodiait en ce lieu de scandale,
Et s'exerçait à des contorsions,
Qui feraient peur aux plus hardis Démons.
Leurs hurlements en sursaut m'éveillèrent ;
Dans mon cerveau mes esprits remontèrent ;
Je soulevai mon corps sur mon grabat
Et m'avisai que j'étais au sabbat.
Un gros rabbin de cette synagogue ,
Que j'avais vu ci-devant pédagogue,
Me reconnut ; le bouc s'imagina
Qu'avec ses saints je m'étais couché là.
Je lui contai ma honte et ma détresse.
Maître Abraham, après cinq ou six mots
De compliment, me tint ce beau propos :
"J'ai comme toi croupi dans la bassesse,
Et c'est le lot des trois quarts des humains ;
Mais notre sort est toujours dans nos mains ;
Je me suis fait Auteur, disant la Messe,
Persécuteur, délateur, espion ;
Chez les dévots je forme des cabales ;
Je cours, j'écris, j'invente des scandales;
Pour les combattre et pour me faire un nom,
Pieusement semant la zizanie ,
Et l'arrosant d'un peu de calomnie;
Imite-moi, mon art est assez bon ;
Suis comme moi les méchants à la piste ;
Crie à l'impie, à l'athée , au déiste,
Au Géomètre ; et surtout prouve bien
Qu'un bel esprit ne peut être Chrétien :
Du rigorisme embouche la trompette ;
Sois hypocrite, et ta fortune est faite."
À ce discours saisi d'émotion,
Le cœur encor aigri de ma disgrâce,
Je répondis en lui couvrant la face
De mes cinq doigts ; et la troupe en besace,
Qui fut témoin de ma vive action,
Crut que c'était une convulsion.
À la faveur de cette opinion
Je m'esquivai de l'antre de Mégère.
– C'est fort bien fait ; si ta tête est légère ,
Je m'aperçois que ton cœur est fort bon.
Ou courus-tu présenter ta misère ?
– Las! ou courir dans mon destin maudit !
N'ayant ni pain, ni gîte , ni crédit,
Je résolus de finir ma carrière,
Ainsi qu'ont fait, au fond de la rivière,
Des gens de bien, lesquels n'en ont rien dit.
Ô changement ! ô fortune bizarre !
J'apprends soudain qu'un oncle trépassé,
Vieux Janséniste et Docteur de Navarre,
Des vieux Docteurs certes le plus avare,
Ab intestat malgré lui m'a laissé
D'argent comptant un immense héritage.
Bientôt changeant de mœurs et de langage,
Je me décrasse et, m'étant dérobé
À cette fange où j'étais embourbé,
Je prends mon vol ; je m'élève, je plane ;
Je veux tâter des plus brillants emplois,
Être Officier, signaler mes exploits,
Puis de Thémis endosser la soutane,
Et moyennant vingt mille écus tournois
Être appelé le tuteur de nos Rois.
J'ai des amis , je leur fais grande chère ;
J'ai de l'esprit alors! et tous mes vers
Ont comme moi l'heureux talent de plaire ;
Je suis aimé des Dames que je sers.
Pour compléter tant d'agréments divers,
On me propose un très bon mariage ;
Mais les conseils de mes nouveaux amis,
Un grain d'amour ou de libertinage,
La vanité, le bon air, tout m'engage
Dans les filets de certaine Laïs,
Que Belzébut fit naître en mon pays,
Et qui depuis a brillé dans Paris.
Elle dansait à ce tripot lubrique
Que de l'Église un Ministre impudique
(Dont Marion fut servie assez mal) *
Fit élever près du Palais-Royal.
Avec éclat j'entretins donc ma belle
Croyant l'aimer, croyant être aimé d'elle,
Je prodiguais les vers et les bijoux:
Billets de change étaient mes billets doux:
Je conduisais ma Laïs triomphante
Les soirs d'été, dans la lice éclatante
De ce rempart, asile des amours
Par Outrequin rafraîchi tous les jours,*
Quel beau vernis brillait sur sa voiture !
Un petit peigne orné de diamants
De son chignon surmontait la parure ;
L'Inde à grands frais tissut ses vêtements,
L'argent brillait dans la cuvette ovale
Ou sa peau blanche et ferme autant qu'égale
S'embellissait dans des eaux de Jasmin.
À son souper un surtout de Germain
Et trente plats chargaient sa table ronde
Des doux tributs des forêts et de l'onde.
Je voulus vivre en fermier général ;
Que voulez-vous, hélas ! que je vous dise ?
Je payai cher ma brillante sottise,
En quatre mois je fus à l'Hôpital.
Voila mon sort, il faut que je l'avoue.
Conseillez-moi. – Mon ami, je te loue
D'avoir enfin déduit sans vanité
Ton cas honteux et dit la vérité ;
Prête l'oreille à mes avis fidèles.
Jadis l'Égypte eut moins de sauterelles
Que l'on ne voit aujourd'hui dans Paris
De malotrus, soi-disant beaux esprits,
Qui dissertant sur les pièces nouvelles,
En font encor de plus sifflables qu'elles.
Tous, l'un de l'autre ennemis obstinés,
Mordus, mordants, chansonneurs, chansonnés,
Nourris de vent au Temple de mémoire,
Peuple crotté qui dispense la gloire.
J'estime plus ces honnêtes enfants,
Qui de Savoye arrivent tous les ans,
Et dont la main légèrement essuie
Ces longs canaux engorgés par la suie.
J'estime plus celle qui dans un coin
Tricote en paix le bas dont j'ai besoin,
Le cordonnier qui vient de ma chaussure
Prendre à genoux la forme et la mesure
Que le métier de tes obscurs Frérons.
Maître Abraham, et ses vils compagnons
Sont une espèce encor plus odieuse.
Quant aux Catins , j'en fais assez de cas ;
Leur art est doux, et leur vie est joyeuse ;
Si quelquefois leurs dangereux appas
À l'hôpital mènent un pauvre Diable,
Un grand benêt qui fait l'homme agréable,
Je leur pardonne, il l'a bien mérité.
Écoute, il faut avoir un poste honnête ;
Les beaux projets dont tu fus tourmenté
Ne troublent plus ta ridicule tête ;
Tu ne veux plus devenir Conseiller :
Dans mon logis il me manque un portier ;
Prends ton parti, réponds-moi, veux-tu l'être ?
Oui-da, Monsieur. – Quatre fois dix écus
Seront par an ton salaire, et de plus
D'assez bon vin chaque jour une pinte
Rajustera ton cerveau qui te tinte ;
Va dans ta loge; et surtout, garde toi
Qu'aucun Fréron n'entre jamais chez moi.
– J'obéirai sans réplique à mon maître
En bon Portier : mais en secret, peut-être,
J'aurais choisi, dans mon sort malheureux,
D'être plutôt le Portier des Chartreux.

–––––––––––––––––
* Pequet, Premier commis, grand travailleur.
* Pleneuf, Intendant des vivres, grand travailleur aussi.
* Marion, Marion Delorme, fille très respectée en son temps.
* Outrequin, Mr Outrequin qui fait arroser les remparts très proprement.
Le Portier des Chartreux : L'Histoire de Dom Bougre, portier des Chartreux est un roman libertin de 1741 attribué à l'avocat Gervaise de Latouche. Dom Bougre désignerait un célèbre moine débauché, l'abbé Desfontaines.


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