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Marie-Anne Barbier

ECLOGUE, ODES ET APOTHEOSE D'URANIE.
A MADAME LA COMTESSE DE ***

dans

Nouvelles Oeuvres de Théâtre contenant les Tragédies et autres Poésie, de M. ** B **. 1749


 

Je vous tiens parole, MADAME, je reviens à la Poefie; & je vai vous faire part d'une avanture, que j'ai cachée fous le voila de l'Eclogue; c'eft de Monfieur le Marquis de *** de Mademoiselle de *** dont je vai vous entretenir. Vous fçavez que ces deux perfonnes s'aiment depuis long-tems, & que des raifons de famille leur ôtent la liberté de fe voir auffi fouvent qu'ils le voudroient ; cette contrainte les a penfé broüiller. Un Cavalier ami du Marquis devint prefque en un même jour fon Confident & fon Rival; & comme l'amitié perd fes droits, où l'amour fait fentir fa puiffance, ce perfide ami forma le deffein de brouiller l'Amant & la Maîtreffe, en donnant de la jalousie au premier. Il dit un jour au Marquis d'un air embarrassé, qu'il le prioit de le difpenfer de certaines vifites, qu'il rendoit à la Demoiselle pour faire office d'ami: le Marquis lui en demanda la raifon; il fe défendit long-tems de la dire, pour picquer davantage la curiofité de celui qu'il vouloit tromper; s'étant fait affez long-tems preffer de rompre le filence, il dit enfin à l'Amant, qu'il avoit le malheur de plaire à fa Maîtreffe; & qu'il craignoit de devenir fon Rival: ce poifon étoit fi bien préparé que le Marquis l'avala fans foupçonner de perfidie la main qui le lui prefentoit, & ne confultant que fon depit, il pria fon ami de continuer fes vifites, & de ne fe point faire de violence: le Fourbe feignit de s'en défendre pour se rendre moins fufpect; & l'amant qui avoit pris le change, lui dit, que l'inconftance de fon indigne Maîtreffe l'avoit gueri fans retour, & qu'il fe fentoit affez dégagé pour ta voir fans regret entre les bras d'un autre. La chofe alla même fi loin, qu'il porta fes vœux ailleurs; ou du moins il fe perfuada qu'il pourroit en aimer une autre : mais un éclairciffement qu'une amie commume menagea entre ces deux Amans, fit retomber toute la perfidie fur fon auteur ; & le fort leur a été depuis fi favorable, que je crois qu'il m'en coutera bientôt un Epithalame. J'ai mis cette avanture en deux Eclogues, comme vous l'allez voir ; j'aurois été trop prolixe, fi je n'en avois fait qu'une.

 

EGLOGUE

I– AMARYLLIS, SILVIE

SILVIE.
D'où vient, Amaryllis, ce transport de colere ?
Vous battez vos moutons; ont-ils pû vous déplaire ?
Quoi? vous frapez toûjours ! qu'a-t-il fait ce troupeau,
Qu'on vous vid preferer à tous ceux du hameau ?

AMARYLLIS.
Puis je trop le punir? tu vois, chere Silvie,
Cet orme où j'ai perdu le repos de ma vie ;
Mon troupeau tous les jours m'y conduit malgré moi ;
C'est là que le Berger qui m'a manqué de foi
Me fit mille fermens d'une amour éternelle,
Sermens qu'il a trahis...

SILVIE.
                                   Quoi? Thyrfis infidelle !
Je ne puis revenir de mon étonnement.

AMARYLLIS.
Que ne puis je en douter pour flater mon tourment ?

SILVIE.
Pour moi, je l'avoüerai, je ne fçaurois le croire.

AMARYLLIS.
De mes triftes amours écoute donc l'histoire:
A peine je fortois de l'heureufe faifon
Où l'on ne voit briller qu'une foible raison.
Age d'or de la vie, enfance fortunée,
D'un efpace trop court ta durée eft bornée ;
Ah! que l'on connoît mal le prix de tes plaifirs,
Ils préviennent les foins, & même les defirs,
Vains regrets! ma raifon ne faifoit que de naître,
A peine je pouvois moi-même me connoître;
Un jour... Tout a changé depuis ce trifte jour,
Un jour me fit connoître & Thyrfis & l'amour.
Vers cet orme fatal, où mon troupeau perfide
Veut à mes pas errans encor fervir de guide,
Je ne fçai quel deftin m'avoit fait égarer;
Sous un feuillage épais j'entendis foupirer.
C'étoit Thyrfis; mon ame auffi-tôt fut émuë,
Pour la premiere fois il s'offrit à ma vuë,
Couché fur un gazon qu'il arrofoit de pleurs,
Entouré d'un troupeau temoin de fes douleurs.
Quoi! bruler d'une ardeur que rien ne peut éreindre,
Difoit-il, il faut donc expirer fans me plaindre.
La Bergere que j'aime ignore mon tourment,
Elle tremble au feul nom & d'amour & d'Amant,
Et je ne fçai que trop qu'aux filles de fon âge
On en fait tous les jours une effroyable image:
S'il m'échape un feul mot, quel fera fon courroux?
Un troupeau fremit moins à l'approche des loups;
Ah! j'aime mieux mourir, que vivre avec sa haine.
Mais auffi, plus long-tems fi je cache ma peine,
Ma langueur me conduit aux portes du trepas,
Et je meurs de parler & de ne parler pas:
Neceffité cruelle où ma flâme eft reduite!
Ses foupirs de ces mots interrompant la fuite;
Il gemit; malgré moi je me fens attendrir,
Je voudrois d'un confeil au moins le secourir,
Et me joignant à lui contre l'objet qu'il aime,
Lui donner pour l'amour l'horreur que j'ai moi-même,
Mais qu'il fe paffe en moi de mouvemens confus!
Moi-même je me cherche & ne me trouve plus;
Et fans fçavoir pourquoi, je brûle de connoître,
 En voyant tant d'amour, l'objet qui l'a fait naître;
Dans ce deffein bizarre au lieu de m'aprocher,
A Thyrfis avec foin je cherche à me cacher,
Je me gliffe fans bruit, mais non fans épouvante,
Dans un buiffon épais que le fort me prefente;
De là par le fecours d'une tremblante main
Mes yeux jufqu'au Berger s'entrouvrent un chemin,
Je vois fans être vûë, & les rameaux dociles
A mes vœux incertains sont doublement utiles:
Après quelques foupirs à demi réfolu,
« Finiffons, dit Thyrfis, un tourment fuperflu,
« Si je ne puis parler, fi je ne puis me taire
« Cher ormeau, de mes feux fois le dépofitaire ;
« Mais j'exige, pour prix de te facrifier,
« Un fecret qu'aux échos je n'ofe confier,
« Que tournant tous les jours d'un plus épais feüillage,
« Tu fçaches t'attirer la beauté qui m'engage,
« Et cacher fes appas même aux yeux du foleil,
« Quand tu verras les fiens fermez par le fommeil.
A peine a t il parlé, que fur l'écorce tendre
Je vois qu'il trace un nom qu'il n'ofe faire entendre ;
Curieufe, j'obferve, il acheve, je lis:
L'écorce offre à mes yeux le nom d'Amaryllis :
Ciel quel trouble ce nom fait naître dans mon ame !
Mais quoi ! vois ce que c'eft que le cœur d'une femme ?
De mouvemens divers le mien eft agité,
Je trouve avec dépit ce que j'ai fouhaité ;
Auffi-tôt je me leve, interdite, éperduë;
Ce Thyrfis que je plains femble offenser ma vûë;
Je le vois déformais comme un monftre odieux,
Je ne fonge qu'à fuir de ces funeftes lieux;
Mais au bruit des rameaux, foible & fatal azyle,
Thyrfis courant à moi rend ma fuite inutile;
Arrêtez, temeraire, & craignez men courroux,
M'écriai-je ; il m'aborde, il tombe à mes genoux;
« Vangez vous, me dit-il, puniffez mon audace,
« Si l'amour le plus pur eft indigne de grace;
« Mais s'il faut me punir pour en avoir parlé,
« Prenez vous en au fort qui vous l'a revelé;
« Quel que fût mon amour, malgré fa violence,
« Je m'impofois moi même un éternel filence ,
« Et je me préparois mille tourmens nouveaux,
« Mais pour moi vôtre haine eft le plus grands des maux ;
« Et j'aimois mieux mourir à force de me taire,
« Qu'en parlant de mes feux rifquer de vous déplaire;
« Mais que ce foit mon crime, ou le crime du fort:
« J'ai parlé, j'ai déplû, j'ai merité la mort,
« J'aime, & fi vous voulez remplir vôtre vangeance,
« Vous n'avez feulement qu'à m'ôter l'efperance,
« Ma douleur fuffira pour me ravir le jour,
« Trop heureux de mourir pour avoir trop d'amour.
A ces mots, il me jette un regard qui me touche,
N'attendant pour arrêt qu'un feul mot de ma bouche.
Que devins-je, Silvie, en ce fatal moment ?
Je pardonnai l'amour en faveur de l'Amant.
Tu fçais quel eft Thyrfis.

SILVIE.
                                   Je fçai qu'il vous engage ;
Mais je ne puis penfer que fon cœur foit volage;
Vous ne vous en plaignez que pour parler de lui.

AMARYLLIS.
Ah! ce reproche encore augmente mon ennui,
Tu me fais entrevoir que j'aime l'infidéle,
Tout indigne qu'il eft d'une flâme fi belle,
Que ne puis-je douter de fon manque de foi?
Philis poffede un cœur qui n'étoit dû qu'à moi.

SILVIE.
On dit dans ce hameau, que Tamire fon pere
Le preffe tous les jours d'aimer cette Bergere,
Et qu'il veut que l'hymen les uniffe tous deux.
Mais eft-on criminel pour être malheureux?
Pour accabler Thyrfis faut-il que tout confpire?
Vous l'affligez encor! eft-ce peu de Tamire?

AMARYLLIS
A l'accufer à tort je pourrois confentir !
Mes yeux... Ah!je voudrois les pouvoir démentir,
Mes yeux n'ont que trop vû fa perfidie extrême,
Non je n'en doute plus, & c'eft Philis qu'il aime ;
Elle obtint l'autre jour pour gage de fa foi
Des fleurs, que je croyois qu'il deftinoit pour moi;
Il ne s'en cacha point, ce fut en ma prefence
Que de fon cœur perfide éclata l'inconftance;
Helas! en ce moment, j'en fais l'aveu honteux,
J'entretenois Lycas Confident de nos feux,
Thyrfis eft fon ami ; je lui faifois connoître
Tout l'amour que l'ingrat dans mon cœur à fait naître.

SILVIE.
Lycas en apparence à Thyrfis attaché,
Ou je m'y connois mal, est un Rival caché ;
J'ai furpris des regards temoins de fa tendreffe;
Et vous feule ignorez les vœux qu'il vous adresse;
Je vous dirai bien plus, Thyrfis en eft jaloux,
Et de vos entretiens juge autrement que vous.

AMARYLLIS.
Et qu'en peut-il juger?quoi! Thyrfis pourroit croire,
Que mon cœur eût trahi fon amour & fa gloire !
Eft-ce ainfi qu'il me traite,& fans être éclairci...

SILVIE.
Mais vous-même pourquoi le traitez-vous ainfi ?

AMARYLLIS.
Il change, tu le fçais, & tu veux le défendre ?

SILVIE.
Dois je le condamner comme vous fans l'entendre?

AMARYLLIS.
Il fçaura t'ébloüir, fi tu veux l'écouter.

SILVIE
Pourquoi vous privez-vous du plaifir de douter?

AMARYLLIS.
Ah! cette raillerie eft de mauvaise grace.

SILVIE.
Je prétens entre vous fçavoir ce qui se passe :
Je m'en doute,& j'en ris dans le fond de mon cœur.

AMARYLLIS.
Eft ce ainfi que tu dois partager ma douleur !

SILVIE.
Je ris de fes foupçons, & j'ai pitié des vôtres ;
Ils ne font pas fondez les uns mieux que les autres.
Mais j'apperçois Thyrfis & je veux tout fçavoir;
Il s'avance vers nous.

AMARYLLIS.
                                   Je ne veux point le voir,
Fuyons.

SILVIE.
Ne fuyez pas; lui-même il fe retire.

AMARYLL IS.
Tu le vois, il me fuit, il n'a rien à me dire
Le perfide… Suis moi, je veux lui reprocher.

SILVIE.
Ne courez pas; il vient lui-même vous chercher.

AMARYLLIS.
Ah! qu'il triompheroit de mon depit jaloux.
Fuyons; mais le perfide eft déja près de nous;
Je voulois l'éviter avec un foin extrême ;
Ciel, qu'on fuit lentement quand on fuit ce qu'on  aime

II– THYRSIS, AMARYLLIS, SILVIE.

THYRSIS.
Ceffez, Amaryllis, de fuir loin d'un Berger,
Qui d'un lien fatal a sçû fe dégager,
Je ne viens pas ici, de douleur l'ame atteinte
Fatiguer votre cœur d'une inutile plainte,
Elle fut de faifon quand je fus vôtre Amant;
Mais je fuis trop heureux grace à mon changement.
J'aime Philis enfin, & la chose est publique ;
Ma gloire veut pourtant qu'avec vous je m'explique,
Et je veux que Silvie ici juge entre nous;
Il eft vrai, j'ai changé, mais ce n'eft qu'après vous.

AMARYLLIS.
Et que m'importe à moi l'aveu que vous m'en faites ?
Vous le voyez ; je fuis tous les lieux où vous êtes;
Pourquoi me cherchez-vous ? je ne vous cherche pas.

THYRSIS.
Vous avez cependant voulu fuivre mes pas.

AMARYLLIS.
Pourquoi me fuivez-vous, lorfque je me retire?

THYRSIS.
J'ai crû que vous aviez quelque chofe à me dire.

AMARYLLIS.
Moi! qu'aurois je à vous dire ? il eft vrai qu'autrefois
L'amour fur vôtre cœur me donna quelques droits,
Mais un heureux penchant vers une autre l'entraîne,
Et Philis déformais en est la fouveraine ;
Ne croyez pas, Thyrfis, qu'un mouvement jaloux
M'eût fait en vous voyant tourner mes pas vers vous ;
J'ai vû vos nouveaux feux, mais fans inquietude;
Silvie en eft temoin; une longue habitude
Entrainoit malgré moi mes moutons en des lieux,
Qui me font pour jamais devenus odieux :
Je les en ai punis.

THYRSIS.
                       Quoi ! de vos injuftices
Faut-il que vos moutons foient encor les complices ?
Que ne les fuivez-vous? perfide, je le voi,
Vous fuyez cet ormeau, garent de vôtre foi,
Où vos feux & les miens ont commencé de naître,
Où mon nom & le vôtre à l'envi femblent croître,
Pour vous faire fentir qu'un véritable amour
Doit au lieu de s'éteindre augmenter chaque jour;
Et bien, j'y vai moi feul; il faut que j'en efface
Un nom, avec le mien indigne qu'on le place;
Oui, j'en cours arracher le nom d'Amaryllis.

AMARYLLIS.
Va, cours, au lieu du mien mets celui de Philis.
Charmé de fes attraits...

THYRSIS.
                                   Vous êtes la plus belle,
Mais avoüez du moins qu'elle eft la plus fidelle ;
C'est tout ce que je veux quand je cherche un vainqueur,
La conftance en amour détermine mon cœur.

AMARYLLIS.
Vous parlez de conftance; ah! juge nous, Silvie,
J'allois aimer l'ingrat le refte de ma vie,
Mon cœur… pour mon repos je le dois oublier
Et toi pour mon honneur tu le dois publier:
lnftruis tout le hameau, dis par tout, fi je change,
Qu'il m'en donne l'exemple, & que mon cœur fe vange,
Qu'il paffe, s'il fe peut, pour un monftre en des lieux,
Où le manque de foi fut toûjours odieux.

THYRSIS.
Silvie eft équitable, & me rendra juftice.
Vous lui tendez un piege, elle en voit l'artifice;
Mais vous tâchez en vain de corrompre sa foi,
Et j'ofe me flater qu'elle fera pour moi.

SILVIE.
Qui! moi je ne ferai ni pour l'un ni pour l'autre,
Je publierai par tout fa folie & la vôtre.

AMARYLLIS.
Silvie eft contre moi !

SILVIE.
                                   Vous êtes infenfez;
Vous vous aimez tous deux plus que vous ne penfez ;
Et je balance en vain vos plaintes mutuelles,
Je ne vois que deux cœurs l'un à l'autre fidéles;
Ils ont plus de tendresse encor que de courroux;
S'ils fçavoient moins aimer, ils feroient moins jaloux.

AMARYLLIS.
Moi, je ferois jaloufe; ah! ce foupçon m'offense.
Et ce n'eft qu'à l'oubli de punir l'inconftance.

THYRSIS.
A fe vanger de vous mon cœur n'ofe afpirer;
Et je laiffe aux remords le vôtre à déchirer.

SILVIE.
Et quoi! ne fçauriez vous un moment vous contraindre ?
Le tems vous eft trop cher pour le perdre à vous plaindre :
Parlez, Thyrfis: & vous ne l'interrompez pas ;
De quoi vous plaignez-vous ?

THYRSIS.
                                               Qu'elle adore Lycas.

SILVIE.
Lycas feroit aimé, qui vous l'a dit?

THYRSIS.
                                                          Lui-même.

AMARYLLIS.
Qu'entens-je? quoi ! Lycas vous a dit que je l'aime!

THYRSIS.
Vous vouliez qu'il gardât cet important fecret ;
Mais vous deviez choifir un Amant plus discret.

AMARYLLIS
Je pourrois de Lycas confondre l'impofture;
Mais quoi ! prendre un tel foin! pour qui ? pour un parjure?
Non, j'aime mieux encor vous laisser vôtre erreur,
Oui, j'adore Lycas, il regne dans mon cœur.

THYRSIS.
Vous l'entendez, Silvie, elle aime, & l'infidéle
Fait gloire devant vous de fa flâme nouvelle
Ce n'eft plus un Rival, c'eft elle qui le dit.

SILVIE.
Pour en croire un aveu dicté par le dépit,
Il faut en avoir crû l'aveu d'un Rival même.
Qu'on a peu de raifon auffi-tôt que l'on aime !

THYRSIS.
Je ne m'abuse point, Lycas eft trop aimé;
Les yeux d'Amaryllis me l'ont trop confirmé ;
Tout de glace pour moi, mais pour lui tout de flâme.
J'ai lû, n'en doutez point, jufqu'au fond de fon ame:
Pour elle, il m'en fouvient, j'avois cüeilli des fleurs,
Confus, jaloux, en proye aux plus vives douleurs,
Defefperé, j'ai crû, pour vanger mon outrage
Qu'il falloit à Philis adreffer mon hommage,
Auffi-tôt dans les mains ma guirlande a paffé
J'aurois donné mon cœur, fi l'on me l'eût laiffé.

SILVIE.
Vous l'aimez donc encor en la croyant coupable!

THYRSIS.
Ah pour être infidelle en eft-on moins aimable !
Je voudrois la haïr, mais malgré mon effort,
Je fens que dans mon cœur l'amour eft le plus fort.

SILVIE.
Parlez, Amaryllis ; c'est à vous de répondre.

AMARYLLIS.
Et le puis-je ? à ces mots dont je me fens confondre,
C'eft, au lieu de ma bouche, à mes yeux à parler,
Je répons par ces pleurs que vous voyez couler.

THYRSIS.
Vous pleurez: ah ! je cede au bonheur qui m'enchante,
Je puis donc plaire encor aux yeux de mon Amante.

AMARYLLIS
N'en doutez point, Thyrfis, je vous aimai toûjours ;
Croyez en à mes pleurs bien plus qu'à mes difcours.

THYRSIS.
Ma chere Amaryllis, quoi! vous m'êtes fidelle !

AMARYLLIS.
Quoi vous ne brûlez pas d'une flâme nouvelle !

THYRSIS.
Non; vôtre cœur cent fois dût il fe dégager,
Vous me verriez mourir plûtôt que de changer.

AMARYLLIS.
Au pied de cet ormeau, temoin de nos tendresses;
Allons renouveller la foi de nos promesses :
Viens, fuis nous.

SILVIE.
                       Vous pouvez vous paffer de mes soins,
Allez, l'amour heureux veut être fans témoins.

 

ODE À MONSEIGNEUR L'ABBÉ BIGNON

Un jour dans un lieu folitaire,
Loin du bruit je pris mon pinceau,
Pour tracer le Dieu qu'on revere,
Sur le docte & facré coupeau.
Mais par une étrange difgrace
Je me fentis toute de glace,
En moi-même je me cherchai,
J'eus beau rappeller mon courage,
Il fallut laiffer un ouvrage,
Que j'avois à peine ébauché.

Quoi! m'écriai je; quelle honte !
Je ne fçaurois peindre Apollon;
C'en eft trop, il faut que je monte
Jufqu'au fommet de l'Helicon.
Là je rechaufferai ma veine,
Là fur les rives d'Hippocrene,
Beuvant de fes eaux à longs traits,
Je verrai ma Mufe renaître,
Et mon feu deviendra peut être
Plus ardent qu'il ne fut jamais.

A ces mots malgré ma foibleffe
Je prens mon effor dans les airs,
Et je vole jufqu'au Permeffe,
Où je trouve le Dieu des Vers:
Je le vois, comment m'y méprendre?
Sa lyre me fait trop entendre
Que lui-même eft devant mes yeux;
J'entens les Filles de memoire
A l'envi celebrer fa gloire ;
Il l'emporte fur tous les Dieux.

Quels fons ! quels accords ! tout m'enchante.
Ah! dis-je alors, qu'ai je entrepris ?
C'est ainsi qu'il faut que l'on chante
Ce Dieu dont mon cœur eft épris ;
Cependant j'allois, temeraire,
Tracer d'une plume ordinaire
Ce qui paffe l'effort humain,
Du grand Zeuxis, du docte Apelle,
Euffai-je le pinceau fidelle,
Il me tomberoit de la main.

De ma vaine erreur détrompée
Je ceffe alors de me flater,
Et je ne fuis plus occupée
Que du foin d'apprendre à chanter,
Quand Phebus, dont les vives flâmes
Penetrent jufqu'au fond des ames,
Fait tomber fes regards fur moi:
J'approuve, me dit-il, ton zele ;
 Mais pour une fimple mortelle
 C'étoit trop que d'un tel emploi.

Pour prix de ton amour extrême,
Va, pourfuit-il, que ton pinceau
Ofe fur un autre moi-même
Faire l'effai de mon tableau ;
J'y confens tu peux l'entreprendre
Et je prendrai foin de t'apprendre
Comment on celebre un grand nom :
Sois fûre de mon affiftance,
Chante l'Apollon de la France,
Tu le trouveras dans BIGNON

Il dit, & moi pleine d'audace
Je parts du Pinde fans regret,
Et du Dieu dont tu tiens la place
Je viens faire en toi le portrait.
Pardonne, illuftre ABBÉ, pardonne,
C'eft Appollon qui me l'ordonne,
Je ne puis lui désobeïr ;
Je fçai que c'eft trop entreprendre,
Mais à lui feul tu dois t'en prendre,
Il faut te peindre, ou le trahir.

Commençons, ouvrons la barriere,
Je fens mes efprits ranimez,
Ciel! quelle brillante carriere
Vient s'offrir à mes yeux charmez !
Au milieu d'un docte Lycée
Je vois une foule empreffée,
Arrêter fur toi fes regards;
C'est en ces lieux que tu proteges,
Les honneurs & les privileges
Des Sciences & des beaux Arts.

De quel plaisir je fuis faifie
Si-tôt que je t'entens parler !
Le Nectar, la douce Ambrosie
De tes levres femblent couler ;
Les Sciences les plus abftraites
N'ont point d'énigmes fi fecrettes
Que tu ne fçaches dénoüer ;
Tu furmontes tous les obftacles ;
Et tu prononces des oracles,
Qu'Apollon voudroit avoüer.

Mais quoi ! trop avant je m'engage
Puis-je me flater qu'à ton tour
Tu veuilles avouer l'hommage,
Que j'ofe t'offrir en ce jour ?
Je fens revenir ma foibleffe;
Le Dieu qui prefide au Permesse
En vain me prête fon appui
Je crains une chute funefte;
Qu'Appollon acheve le refte;
L'entreprise eft digne de lui.

 

ODE SUR LA JUSTICE. A MONSEIGNEUR D'ARGENSON, CONSEILLER D'ETAT

Quelle eft cette augufte Immortelle,
Que je vois defcendre des cieux !
Tout mon cœur s'enflâme pour elle,
Si-tôt qu'elle brille à mes yeux.
N'en doutons point, c'eft la Justice ;
Mortels, que chacun obéïsse ;
Elle vient nous donner des loix :
Oracle du Maître fuprême,
La terre, l'enfer, le ciel même,
Tout doit reconnoître fa voix.

Digne choix du plus digne Maître
Qui ait jamais regné fur nous,
D'ARGENSON, tu fçais la connoître
Cette voix qui nous parle à tous :
Sur tes confeils elle préfide :
Peut-on fans la prendre pour guide
Difcerner le mal & le bien?
C'eft fur elle que tout fe fonde,
Et le premier thrône du Monde
N'a point de plus ferme foutien.

Le Maître à qui tout rend hommage
Sur l'équité fonde fes droits ;
LOUIS eft fa vivante image;
Qu'il foit le modéle des rois.
Long-tems cheri de la victoire,
A-t-il fait consister sa gloire
Dans le vain nom de Conquerant ?
Non, ce qui le rend plus augufte,
C'est qu'en lui le titre de Jufte
Confirme le titre de Grand.

En vain un Monarque fe flate
Que fon pouvoir n'a point d'égal ;
Des que fon injustice éclate,
L'Univers eft fon tribunal;
Il fe voit contraint d'y répondre,
S'il s'égare jufqu'à confondre
L'innocent & le criminel :
Le châtiment, la récompenfe,
Font, de la main qui les difpenfe,
L'éloge ou l'opprobre éternel.

C'est peu que de la loi suprême
On appelle au Maître des Rois,
Il répond comme de lui-même
Des Miniftres dont il fait choix;
C'eft à ces infaillibles marques
Que du plus fage des Monarques
La juftice éclate à nos yeux;
Il commet fon Peuple à ton zele
Et tu fais, Miniftre fidelle,
La felicité de ces lieux.

Ici ma voix eft fufpenduë
J'ai trop de vertus à chanter;
Et ma recherche confonduë
Ne fçait à quel choix s'arrêter.
Mais c'est trop garder le filence;
D'où vient que ma Mufe balance?
Mon choix n'eft-il pas déja fait ?
J'ai fçû d'abord me le prefcrire,
Et la juftice peut fuffire
A faire un Miniftre parfait.

O combien fon amour t'enflâme!
Qu'il excite en toi de tranfports!
Le feu trop preffé dans ton ame
Cherche à fe repandre au dehors.
De là ce courroux qui t'anime,
A la feule approche du crime;
L'épouvante fuit le refpect:
Il n'eft point de fi fier coupable,
Quelque effort dont il foit capable,
Qui ne paliffe à ton afpect.

Mais quel bonheur pour l'innocence.
Qui jamais ne t'implore en vain!
Sur ton cœur qu'elle a de puiffance ;
Tu n'a plus qu'un aspect ferein.
Tel fur les flots un prompt orage
Couvrant le ciel d'un noir nuage
Contraint le jour à fe cacher ;
Mais le pere de la lumiere
Reprend-il fa fplendeur premiere,
Il rend l'efperance aux Nochers.

Ainfi, favorable & fevere,
Signalant un juste pouvoir,
Tour à tour de Juge & de Pere
Te remplis le double devoir :
Sourd à l'interêt, à la brigue,
Perçant la plus fecrette intrigue.
Que l'impofture ofe tramer ;
Tel enfin que j'ofe te peindre,
Forçant les méchans à te craindre,
Tu portes les bons à t'aimer.

Je n'ofe en dire davantage,
Et fi j'achevois le tableau,
Loin de m'accorder ton fuffrage,
Tu défavoüerois mon pinceau :
Mais mon zele fût il coupable,
Tu cefferois d'être équitable,
Si tu ne t'en prenois qu'à moi ;
Ta vertu même en eft complice,
J'ai voulu peindre la Juftice,
Je ne l'ai pu que d'après toi.

 

ODE SUR LA BEAUTÉ.


Quel feu dans mon ame s'allume!
Sur les flots brille un nouveau jour :
La mer blanchissante d'écume
Enfante la mere d'amour :
Quoi! l'objet des plus doux hommages
Doit-il fa naiffance aux orages ?
Quel augure pour les Amans!  »
BEAUTÉ, fource de tant de flâmes,
Ne regneras-tu fur leurs ames,
Que pour leur caufer des tourmens ?

N'en croyons jamais l'apparence;
Rien ne plait tant que la BEAUTÉ.
On lui donne la préference
Sur toute autre Divinité :
A peine la voit-on paroître,
Que les plus fiers ceffent de l'être ;
Elle entraîne tous les mortels.
Cependant, quel fruit de fes charmes !
Elle fait fentir mille allarmes
A qui lui dreffe des autels.

Que fais-tu, Berger temeraire ?
Malgré Junon, malgré Pallas,
Venus feule a droit de te plaire,
Ton choix penche vers ses appas.
Arrête, malheureux, arrête,
Tremble, entens gronder la tempête,
Junon commande dans les cieux,
Pallas regne aux champs de Bellone;
Mais en vain l'une & l'autre tonne;
Ton cœur eft feduit par tes yeux.

Déja les rives du Scamandre
Rougiffent du fang Phrygien ;
Je ne vois que Palais en cendre,
Le fer, le feu n'épargnent rien:
Hector privé de funerailles
Est traîné devant ces murailles
Dont il fut le plus ferme appui ;
Apollon le vange d'Achille;
Mais pour toi vangeance inutile,
Tu mourras bientôt après lui.

BEAUTÉ, ce font là les victimes,
Dont tes autels vont fe couvrir :
Les Dieux nous imputent à crimes
Les vœux que nous ofons t'offrir;
C'est toi feule que l'on adore :
Ce font tes faveurs qu'on implore,
Ton culte obtient le premier rang:
De là tant d'effroyables chutes;
Pour l'encens que tu leur difputes,
Les Dieux vangeurs veulent du fang.

Mais quoi! ne voit on fur tes traces
Que les revers les plus affreux ?
Et ne fors-tu des mains des Graces
Que pour faire des malheureux ?
Je penfe mieux de ton empire:
Plus d'un cœur qui pour toi foupire
Contre moi pourroit s'irriter:
L'amour qui te doit la naiffance
Sur lui même prendroit l'offense;
Et l'amour eft à redouter.

 Les Dieux nous doivent-ils leur foudre,
Lorfqu'en toi nous les adorons?
Non; s'ils reduifent Troye en poudre,
C'eft pour vanger d'autres affronts:
L'injufte raviffeur d'Helene
Couvre feul la liquide plaine
 Des vaiffeaux armez contre Hector,
 Si Paris dont le fort m'etonne
 N'eût foupiré que pour Oenone,
 Ilion dureroit encor.

N'enflâme point de cœur perfide,
Et tout flechira fous ta loi;
Prens toûjours le devoir pour guide.
Rien ne l'emportera fur toi.
Tu brillerois peu dans l'Hiftoire,
Si tu fondois toute ta gloire
Sur les Phrynez, fur les Laïs ;
Un éclat plus pur t'environne ;
Par toi Theodofe couronne
 La vertueufe Athenaïs.

Je fçai qu'une fureur jaloufe
S'empara bientôt de fon cœur ;
Que la beauté de fon épouse
Ne fit pas long-tems fon bonheur.
Cenfeurs de l'amoureux empire,
Sages outrez, vous allez dire,
Que l'amour trouble la raison;
Connoissez mieux un Dieu fi tendre,
Est-ce à l'amour qu'il s'en faut prendre,
Si le cœur s'en fait un poison?

Eft-il de lumiere plus pure
Que celle du flambeau des cieux ?
Eft-il dans toute la nature
Rien de plus brillant à nos yeux?
Mais cet aftre eft-il fans nuages ?
N'enfante-t-il pas des orages,
Qu'on entend gronder dans les airs ?
Ce n'eft qu'aux vapeurs de la terre
Qu'il faut imputer le tonnerre,
Et les foudres, & les éclairs.

BEAUTÉ, telle eft ta deftinée;
Vainement tu fais nos plaifirs:
La fource en eft empoisonnée,
Quand nous reglons mal nos defirs ;
L'amour qui te doit la naiffance
Quelquefois prend trop de puiffance,
Crime qu'il nous faut expier;
Mais tu n'en és pas refponfable;
Nôtre cœur eft le feul coupable,
Et fe punit tout le premier.

Le malheur qu'en toi je déplore,
C'eft de te voir fi tôt perir:
Ainfi que les filles de Flore,
Le tems a droit de te flétrir:
Tu meurs; fur fes rapides aîles
Ce Tyran t'emporte comme elles,
Trop injufte fatalité !
Que n'en peux tu braver l'outrage?
Les Dieux dont tu portes l'image
Te devoient l'immortalité.

 

ODE SUR LA SAGESSE

O Lumiere, à qui rien n'échape!
Je t'implore : éclaire mes yeux.
Eft-ce ton éclat qui me frappe,
Immortelle hôteffe des cieux ?
Hâte toi, defcens fur la terre,
Les paffions nous font la guerre,
Viens nous affranchir de leur loi;
Mais c'est en vain que je t'apelle.
Tu fais ta demeure éternelle
Du feul fejour digne de toi.

Non; ce n'eft pas parmi les hommes
Qu'il faut deformais te chercher ;
En nous voyant tels que nous fommes,
Tu ne daignes nous approcher;
Depuis que la divine Aftrée
Dans l'Olympe s'eft retirée,
Tout eft changé chez les mortels;
Et pour nous tu n'és devenuë
Qu'une intelligence inconnuë,
A qui nous dreffons des autels.

Reformateurs de la nature,
Qui fous des chimeriques traits
Nous avez laiffé la peinture
D'un fage qui ne fut jamais;
Vous lui donnez le rang fuprême;
Mais fçait-il fe ranger lui-même
Sous l'empire de la raifon?
O vertu qui n'és plus d'ufage!
A peine eft-il un homme sage?
Et chacun ufurpe ce nom.

On en compte fept dans la Grece
Le font-ils plus que leurs neveux ?
A quel titre ont-ils la SAGESSE?
Sçavent ils mieux regler leurs vœux ?
Quel foin les rend fi refpectables?
A tracer des loix fi équitables
Leurs talens fe font exercez ;
Laiffons là les defirs des autres,
Commençons par regler les nôtres.
Ou nous fommes des infenfez.

Ainfi donc ma recherche eft vaine;
SAGESSE, tu ne parois pas ;
N'eft il point de route certaine
Qui jufqu'à toi guide mes pas ?
Et bien que l'homme ceffe d'être
Foible, vain, tel qu'on le voit naître,
Pour acquerir cette vertu :
Il faut par un effort extrême
Qu'il fe dépouille de lui même,
S'il en veut être revêtu.

A fes propres defirs e bute,
Qu'il les furmonte tour à tour;
Contre eux le deftin veut qu'il lute,
Tant qu'il voit la clarté du jour ;
Entraîné leur cours rapide
Il porte dans fon cœur perfide,
Son plus dangereux ennemi:
Refifte-t-il ? quelle eft fa gloire !
Il compte pour une victoire
De n'être vaincu qu'à demi.

Qui merite le nom de fage?
S'il en eft un dans l'Univers,
Je puis en tracer une image
Dans un Nocher des plus experts;
Il sçait tous les écüeils de l'onde;
Mais fi-tôt que l'orage gronde
Ce n'eft plus qu'un foible apprentif:
Contre un rocher il fait naufrage:
Trop heureux fi jufqu'au rivage
Il fe fauve dans un efquif.

Mais quoi! n'eft-il pas dans la vie
Un age où regne un calme heureux ?
Où l'ardeur du fang railentie
Nous rend maîtres de tous nos vœux?
C'est donc chez l'infirme vieilleffe
Qu'il faut releguer la SAGESSE?
Que dis je ? quelle eft mon erreur?
Les defirs y trouvent leur place;
Et quand le corps eft tout de glace,
Le feu n'eft pas moins dans le cœur.

Je veux que le froid des années
Du corps jufqu'au cœur foit paffé,
Les conquêtes y font bornées
A triompher d'un cœur glacé :
Ce cœur ne reçoit plus d'atteintes
De fes paffions prefqu'éteintes,
Tous fes defirs lui font foumis ;
Peut-on trouver beaucoup de gloire
A ne remporter la victoire
Que fur de pareils ennemis ?

Laiffons l'enfance & la vieilleffe;
Je les mets prefqu'au même rang;
L'une eft forte de fa foibleffe,
L'autre de la glace du fang.
Ne faifons pas entrer en lice
Ceux que la nature propice
Petrit d'un limon plus heureux :
Redevables à leur naiffance
D'une ftupide indifference,
Tout devient SAGESSE pour eux,

Il faut que mes regards s'attachent
Sur des fujets plus glorieux;
Mais quels noirs deferts nous les cachent?
Il n'en paroît point à mes yeux:
J'aurois beau parcourir le Monde,
Traverfer tout le fein de l'onde,
Malgré les autans en courroux,
Après de penibles voyages,
S'il falloit nommer les plus fages
Je dirois, ce font les moins fous.

 

APOTHÉOSE D'URANIE À MADAME LA COMTESSE DE ***

De quel bruit, de quelle harmonie
Retentit le facré Vallon !
Je n'entens chanter qu'Uranie;
Eft-ce la Mufe de ce nom,
Dont on va celebrer la Fête folemnelle ?
Non, c'est une fimple mortelle ;
Mais qui pour plus d'une raifon
Merite une place nouvelle
Entre les Filles d'Apollon.
Seule, elle vaut toutes les autres.
Doctes Sœurs jufqu'à vous j'ose porter mes pas,
Pour prix de mes travaux ne me refufez pas
L'honneur d'unir mes chants aux vôtres ;
Tout m'intereffe en ce grand jour
Dars la brillante Apotheofe
Que le Parnaffe fe propofe.
Vous aimez Vranie, & je l'aime à mon tour:
Mufes, je fais plus, je l'adore ;
Ces talens fi chers à vos yeux,
A qui vous destinez un rang fi glorieux,
Penfez-vous que je les ignore?
Non, des vœux qui lui font offerts
Nul ne me doit montrer l'exemple,
Et mon cœur eft le premier Temple
Qu'elle occupe dans l'Univers.
Il me fouvient encor du jour, qui pour sa gloire
Doit à tout l'avenir confacrer mon erreur.
Elle chantoit; quel feu ! quel art! quelle douceur!
Quel goût!quels fentimens ! non, je n'ofois en croire
Au preftige doux & flateur,
Que chaque fon portoit jufqu'au fond de mon cœur ;
Au milieu d'une tendre Scene
Surprife, je voulus l'interrompre cent fois
Et je fus fi fenfible au charme de fa voix,
Que je la pris pour Melpomene.
A ce rémoignage éclatant
Je vois applaudir le Parnasse :
Ma Mufe va remplir la place,
Qui parmi les neuf Sœurs l'attend.
Apollon, reconnois la nouvelle Uranie,
Elle eft digne du rang où l'on veut l'élever;
Divinitez du Pinde, il eft tems d'achever
Vôtre auguste ceremonie.

 

SUITE DE L'APOTHEOSE D'URANIE A MONSIEUR LE COMTE DE ***. Le jour de fa Fête.

Damon, apprenez en tremblant
Que vous l'avez échapé belle ;
Je reviens d'un pas chancelant
De voir le Dieu des Vers & fa troupe immortelle :
Pour vous faire un bouquet j'avois porté mes pas
Vers les jardins facrez qu'arrofe l'Hippocrene,
Et dans ces lieux je ne m'attendois pas
A voir contre vous-même éclater tant de haine ;
Apollon étoit irrité,
Informé par la Renommée
D'une Fête chez vous le verre en main chommée,
Il ne pouvoir fouffrir vôtre temerité;
Sur mes droits, difoit-il, un fier mortel attente!
Il fait des Mufes comme moi!
Ah! fi je ne punis cette audace éclatante,
N'entreprendra t-il pas de me faire la loi!
A ces mots, il brûle d'envie
De fe jetter fur fon carquois,
Et d'effayer fur vous ces traits, dont autrefois
Aux enfans de Niobe il fit perdre la vie.
Grace, grace, ai-je dit; quel crime a fait Damon?
Vous a t-il ôté quelque Temple?
Eft-ce un crime pour Apollon
Que d'ofer fuivre fon exemple ?
Tant de fiel entre-t-il aux cœurs des Immortels!
Vainement, répond il, vôtre amitié l'excufe,
Je fuis plus jaloux d'une Mufe
Que tous les Dieux de leurs autels.

Alors pour vous prêter en fecours plus utile
Je lui laiffe à loifir évaporer sa bile;
Puis le voyant un peu calmé,
J'entreprens vôtre apologie;
Que n'avois-je cette énergie,
Dont en vous ecoutant chez vous on eft charmé !
Quoiqu'il en foit, Damon, avec tant d'avantage
Je fçûs vous peindre en ce moment,
Qu'Apollon n'eût pas le courage
De garder fon reffentiment.
Des talens, des vertus j'allois doubler la dose,
Et s'il faut vous tout avoüer,
Je vifois à l'Apothéose,
J'étois en train de vous loüer.
C'eft affez, m'a t-il dit, d'un Dieu pour l'Hippocrene,
Je veux bien, rancune tenant,
Accorder à Damon fur les bords de la Seine
Le titre de mon Lieutenant.
Oü de quelques Mufes mortelles
Je confens qu'il foit l'Apollon,
Mais si mettoit le pied dans le facré Vallon,
Il y feroit trop d'infidelles.


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