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Marie-Anne Barbier

L'INGRATITUDE PUNIE

dans Saisons littéraires ou Mélanges de poésie, d'histoire et de critique. Premier recueil, 1714, p. 107-200


 

[*107*] Jamais consternation ne fut plus grande que celle des habitants de la grande ville d'Artaxate, capitale d'Arménie, à la vue d'un spectacle que le soleil n'osait éclairer. Un échafaud tendu de noir, dressé sur une place publique, devait servir de théâtre à une sanglante tragédie : Artaxe y devait être sacrifié avec la Princesse sa fille par les ordres d'un de ses sujets qui venait de le renverser du trône. Cet usurpateur s'appelait Porphirion ; il avait été le premier Ministre de ce malheureux Roi et, s'étant servi des trésors que son maître lui avait prodigués contre lui-même, [*108*] il était parvenu jusqu'à se rendre arbitre de sa destinée. L'instant fatal approchait où le déplorable Artaxe devait mourir : le char qui les portait, lui et son inconsolable fille, s'avançait vers le lieu destiné à cette funeste exécution lorsqu'un inconnu, confondu dans la foule des spectateurs, jeta les yeux sur ces illustres victimes du plus détestable tyran qui fût jamais. Il ne put voir sans s'attendrir ce Prince infortuné, dont le triste sort lui rappela ses propres disgrâces. Mais, à peine eut-il jeté les yeux sur l'adorable Isménie – c'était le nom de la Princesse qu'on allait immoler avec lui – à peine, dis-je, eut-il vu briller l'incomparable beauté dont les Dieux l'avaient ornée qu'il sentit que son cœur volait au devant d'elle. « Ô ciel ! dit-il en se tournant vers cinq ou six cavaliers qui l'accompagnaient, se peut-il que tout ce peuple soit témoin oisif d'une barbarie contre laquelle il n'est rien qui ne doive s'armer ? Serons-nous assez [*109*] lâches pour suivre un exemple si honteux ? Non, mes amis, continua-t-il, ne laissons pas périr ce chef-d'oeuvre de la nature ; sauvons un Roi opprimé, ou périssons nous-mêmes dans un dessein si digne de notre vertu ! » Ces paroles, qui ne furent entendues que de ses amis, produisirent sur eux l'effet qu'il en attendait : ils s'avancèrent avec lui vers l'échafaud, malgré la foule qui leur en fermait le chemin. Artaxe et Isménie y étaientdéjà montés, et le cruel Porphirion, environné de ses gardes, s'était placé vis-à-vis, pour jouir de son crime en repaissant ses yeux d'un spectacle si funeste. L'infâme ministre de sa fureur avait déjà le bras levé pour abattre la tête d'Isménie aux yeux de son malheureux père lorsqu'une fleèche, partie de la main de l'Inconnu, le jetta sans vie aux pieds de ceux à qui il devait l'ôter. Porphirion, surpris de cette audace, ordonnait déjà qu'on en cherchât l'auteur ; mais le vaillant Inconnu ne lui [*110*] en donna pas le temps et, par une seconde flèche, conduite aussi heureusement que la première, il étouffa dans son coupable sang l'ardeur de se venger. La mort de l'usurpateur produisit un si grand changement dans tous les cœurs que les plus timides reprirent des sentiments généreux : les lâches partisans de la tyrannie furent dissipés dans un moment ; les fidèles sujets d'Artaxe se rangèrent auprès de l'illustre Inconnu qui venait de sauver ce déplorable Roi et le suivirent jusqu'à l'échafaud, où il fit tomber des mains de ce Prince les indignes liens dont elles étaient chargées. Artaxe ne savait s'il devait prendre son libérateur pour un simple mortel que les Dieux avaient envoyé à son secours, ou pour un Dieu même qui s'était revêtu d'une forme humaine pour le garantir d'un péril inévitable. Les sentiments d'Isménie étaient à peu près semblables à ceux de son père, sous quelque image qu'elle se représentât [*111*] son bienfaiteur ; elle sentait que sa reconnaissance n'était jamais allée si loin, et qu'un fervice de la nature de celui qu'on venait de lui rendre ne serait pas assez payé s'il ne l'était de son cœur. Elle n'était pas encore remise du premier trouble de ses sens lorsque l'Inconnu s'approcha d'elle et lui fit entendre par des expressions peu liées que le bonheur qu'il avait eu de sauver des jours si précieux lui faisait oublier toutes ses disgrâces passées. Il n'en dit pas davantage, les moments étaient trop chers pour les perdre en paroles : les parents et les amis de l'usurpateur pouvaient reprendre cœur, si on leur donnait le temps de respirer. Il conduisit le Roi et la Princesse dans leur Palais aux acclamations de tout le peuple. Et, se faisant suivre de tous ceux qui lui parurent les plus zélés et les plus distingués, il alla s'assurer du jeune Artane, fils unique de Porphirion. Jamais violente tempête ne fut calmée en si peu de temps :  un [*112*] jour seul fit changer de face à une des plus grandes villes du monde ; à peine découvrit-on des traces de la tyrannie et Artaxe, dès le lendemain, se vit en état de reconnaître le service important que l'Inconnu lui avait rendu :

« Par quel prix, lui dit-il en présence d'Isménie, puis-je m'acquiter envers vous ? Parlez, Seigneur, je ne borne point vos prétentions et, quand vous demanderiez ma couronne, je ne vous donnerais que ce que je tiens de vous.

– Je sais mieux borner mes désirs, lui répondit l'Inconnu ; les Rois ne nous doivent point de récompenses quand nous faisons notre devoir ; et, quoique je ne sois pas né votre sujet, je ne laisse pas de connaître que ce noble caractère que les Dieux ont imprimé sur le front de ceux qu'ils ont choisis pour commander aux autres doit agir indifféremment sur tous les cœurs et leur faire, sinon autant de sujets, du moins autant d'adorateurs, de défenseurs et de [*113*] vengeurs qu'il est de mortels.

– Si les Rois, repartit Artaxe, ne regardaient que comme des devoirs les services qu'on leur rend, ils seraient impunément ingrats ; ils sont les vivantes images des Dieux : il est juste qu'ils les imitent en tout ; et comme l'encens qu'on offre aux immortels n'en est pas moins digne de récompense pour être un tribut indispensable, aussi les services que les Rois reçoivent même de leurs sujets doivent recevoir le prix qu'ils méritent ; à combien plus forte raison suis-je obligé de couronner la vertu d'un héros qui n'est pas né sous mon obéissance ? Ne me mettez donc pas, généreux Inconnu, dans la nécessité d'être ingrat ; parcourez tout mon empire et voyez si les Dieux ont mis en ma puissance quelque chose qui soit digne de vous.

–  Vous avez en votre pouvoir, répondit l'Inconnu, en regardant tendrement Isménie, un trésor que mon cœur préfère à tous les trônes du monde. Ma [*114*] témérité vous étonne, poursuivit-il ; m'accusez secrètement de porter mes désirs trop haut, moi qui me suis vanté de les savoir borner ; si toutefois il ne manquait que le titre de Roi pour justifier mon ambition, je pourrais n'être pas si coupable à vos yeux : Oui, Seigneur, je suis né pour le trône, j'ose même dire que je l'ai rempli assez dignement ; et si le temps et mes malheurs n'avaient confidérablement changé mon visage, vous n'auriez pas méconnu un Prince, votre allié et votre ami, que la perfidie d'un voisin ambitieux a précipité du trône. Vous voyez devant vous, ajouta-t-il, le malheureux Tigranes, Roi de Capadoce. »

Au nom de Tigranes, Artaxe, se rappelant des traits qu'une longue absence jointe à des disgrâces affreuses avaient un peu changés, il embrassa tendrement son libérateur.

« Dieux justes, s'écria-t-il en redoublant ses caresses, vous ne voulez pas m'exposer à être ingrat, puisque vous m'offrez [*115*] si tôt une occasion de m'acquitter. N'en doutez point, généreux Tigranes, poursuivit-il, je périrai ou je vous remettrai sur le trône de Cappadoce, comme vous m'avez remis sur celui d'Arménie ! Je sais que je serai encore en reste d'obligation avec vous, puisque je vous dois la vie aussi bien que le scepter ; mais si j'en crois quelques tendres regards dont je me mis aperçu, l'amour vient d'y pourvoir. Isménie est le seul bien auquel vous avez borné vos désirs, et je ne crois pas qu'elle refuse son cœur à qui elle doit la vie de son père et la sienne même. »

Isménie, qui avait déjà rougi à la première déclaration de Tigranes, ne put entendre ces dernières paroles sans trouble. Ce Prince en fut alarmé et, la regardant avec des yeux qui demandaient grâce pour sa témérité, il eut le bonheur d'en trouver le pardon dans ceux de la Princesse. J'ai déjà dit qu'à la première vue de Tigranes elle s'était aperçue que les sentiments de [*116*] son cœur allaient plus loin que ceux que la seule reconnaissance inspire, et, quoique sa modestie la fît rougir aux yeux d'un Prince à qui son père promettait son cœur et sa main, elle ne laissait pas de sentir un penchant secret à obéir à des ordres que l'amour avouait. Mais sa joie fut bien modérée quand elle vit tout à coup la tristese peinte sur le visage d'Artaxe. Ce Prince faisait en ce moment des réflexions qui le faisaient repentir de s'être trop tôt expliqué ; il ne put les dissimuler à Tigranes.

« Je me suis flatté, lui dit-il, d'un bonheur qu'il ne m'est pas permis d'espérer. J'avais oublié, Seigneur, que votre foi était engagée avec l'aimable Amestris quand je vous ai offert la main d'Isménie, et les Dieux ne veulent pas que je trouve dans ma famille de quoi faire le bonheur de vos jours en récompense de ceux que vous m'avez conservés ; je me souviens même qu'avant votre disgrâce le ciel avait favorisé votre hymen et que [*117*] la Reine votre épouse avait donné au trône de Cappadoce un héritier digne de le remplir. »

Tigranes ne répondit à ces paroles que par un soupir qui acheva de glacer Isménie ; mais sa tendre frayeur fit bientôt dissipée.

« Vous me rapellez, dit Tigranes, un triste souvenir ; Amestris n'est plus et je ne sais si ce fils que les Dieux m'avaient donné respire encore. Mais c'est trop vous laisser ignorer toutes les cruautés que le sort impitoyable a exercé contre moi. Vous avez rouvert mes blessures et renouvelé mes douleurs ; et je ne puis mieux les soulager qu'en donnant lieu à un Roi si magnanime de les partager avec moi. »

À ces mots, Artaxe ayant ordonné que personne ne troublât leur entretien, Tigranes, s'adressant au Roi et à la Princesse, commença ainsi le récit de ses malheurs.

La défiance est le partage des tyrans et des usurpateurs ; comme ils ne sont montés au trône que par [*118*] l'injustice, ils doivent toujours craindre que la justice ne les en précipite et que leurs nouveaux sujets ne secouent tôt ou tard un joug que la force et l'artifice leur ont imposé. Il n'en est pas de même des légitimes Rois : il leur semble que rien ne peut les ébranler dans une place qu'ils tiennent de leur naissance, et dans laquelle les Dieux ont intérêt de les maintenir, ce qui produit quelquefois une dangereuse sécurité qui leur ferme les yeux sur tous les périls qui les environnent. La funeste expérience que j'en ai faite ne me laisse aucun lieu d'en douter, et doit servir de leçons à tous les Princes qui se livrent par trop de confiance aux complots de leurs voisins ou de leurs propres sujets.

Le sceptre de Cappadoce avait passé dans mes mains par une si longue suite de Rois dont les Dieux m'ont fait descendre que je ne croyais pas qu'il pût jamais passer en des mains étrangères. Demetrius, Roi des Mèdes, [*119*] m'avait souvent disputé quelques Provinces, mais ses prétentions étaient si mal fondées que tous mes voisins le menaçaient de prendre les armes contre lui dès que la fortune paraissait lui devenir favorable ; et d'ailleurs les Cappadociens étaient si belliqueux qu'ils reprenaient bientôt les avantages dont son ambition commençait à se prévaloir. Nos amis communs voulurent enfin terminer des différends qui leur donnaient de l'ombrage et qui les obligeaient à armer eux-mêmes de peur que celui de nous deux qui l'aurait emporté sur son concurrent n'étendît ses conquêtes jusqu'à eux. Vous fûtes des premiers, Seigneur, à vouloir prendre connnaissance des injustes prétentions de Demetrius et à entreprendre de terminer des guerres dont tant de peuples étaient inquiétés. L'aimable Amestris me fut proposée de votre part : j'acceptai sa main sans répugnance, et Demetrius son père ne jugea pas à propos de s'attirer un [*120*] ennemi aussi puissant que vous par un refus qui vous aurait irrité. Mon hymen se conclut avec Amestris, et la paix qu'il donna à la Cappadoce et à la Médie en fut le premier fruit. Mais j'ose dire que ce fut là l'origine de tous mes malheurs : Amestris fut conduite en Cappadoce avec toute la magnificence qui était due à une Princesse de son rang ; les principaux sujets de son père l'accompagnèrent jusqu'aux frontières des deux royaumes, où j'allai la recevoir suivi de toute ma Cour ; notre mariage fut célébré avec une égale satisfaction des deux peuples. Je n'avais jamais vu cette Princesse, mais  quoique mon cœur n'eût aucune part dans un choix qui devait faire tout le bonheur ou tout le malheur de ma vie, il ne fut pas longtemps à l'avouer et Amestris me parut si digne d'être aimée que je bénis mille fois l'heureuse politique qui me mettait en possession de tant de charmes. Les premières années de notre mariage coulèrent [*121*] dans des plaisirs dont rien ne pouvait égaler la douceur ; les Dieux même semblèrent vouloir contribuer à éterniser mon bonheur par la fécondité de mon épouse, que je reconnus pour une des faveurs les plus éclatantes que leur bonté eut jamais répandues sur moi. Ils me donnèrent un fils dès la première année de notre mariage ; je le nommai Antiochus, et, dès son enfance même, je vis briller en lui de si belles espérances que je me crus le plus heureux de tous les pères et de tous les Rois.

Le calme où je vivais dans ce temps fortuné me devint funeste, comme vous l'allez voir ; il excita contre moi une tempête d'autant plus dangereuse que j'en négligeais les suites. J'appris que Demetrius armait sourdement ; mon Conseil, plus éclairé que moi, s'attachait continuellement à découvrir quelles pouvaient être les vues d'un voisin si ambitieux. Je ne daignai pas les approfondir, et je me laissai persuader par les Mèdes que mon [*122*] mariage avec Amestris avait attirés dans ma Cour que ce n'était que pour se faire craindre de ses fujets que Demetrius levait ces troupes qui alarmaient mon Conseil. Ainsi mon aveugle confiance donna tout le temps à l'orage de se former. Vous étiez mieux instruit que moi du malheur qui me menaçait. Je n'ai pas oublié, Seigneur, que vous m'offrîtes une armée prête à faire tête à Demetrius, en cas qu'il eût des desseins pernicieux. Je vous remerciai de vos offres et je vous répondis que ce serait faire injure à mes fujets que de commettre mon salut à mes voisins.

Cependant la tempête grossissait tous les jours et, les avis que je recevais se multipliant, je commençai d'ouvrir les yeux quand il n'en était plus temps. L'orage se déclara, et son premier éclat fut si violent que je n'eus pas le temps de m'en garantir. Demetrius avait prit soin de le fomenter au dedans et au dehors ; les Mèdes qui avaient accompagné Amestris étaient [*123*] suivis tous les jours d'un plus grand nombre, dont leur tendresse pour la fille de leur Roi autorisait la perfidie secrète. C'était Demetrius qui les envoyait chargés de présents, dont ils se servaient pour m'enlever mes plus fidèles sujets. Ainsi Demetrius, s'étant aplani tous les chemins, se trouva aux portes de Sinope, où j'étais pour lors, avant que j'eusse appris qu'il était parti d'Ecbatane, capitale de son Royaume. Comme je n'étais point préparé à soutenir un siège, je ne fis qu'autant de résistance qu'il en fallait pour armer quatre vaisseaux qui devaient faciliter ma fuite. Je me mis sur le plus gros avec Amestris et le jeune Antiochus, qui n'avait alors que quatre ans. Je pris soin de disperser dans les autres les Seigneurs Mèdes qui s'étaient attachés à la Reine, non que je fusse convaincu de leur trahison, mais pour avoir en eux des otages, étant des principaux sujets de Demetrius. Ce fut pour la première fois que la défiance entra [*124*] dans mon cœur. Le vent nous fut favorable, nous nous éloignâmes assez de Sinope pour n'avoir plus à craindre que Demetrius nous pût atteindre s'il avait dessein de courir après nous. Vous pouvez juger, Seigneur, combien j'étais à plaindre dans un si grand revers : les Dieux me donnèrent assez de fermeté pour n'y pas succomber, mais Amestris ne put le soutenir. Quoiqu'elle ne fût que la cause innocente de ma disgrâce, elle y fut si sensible que j'eus besoin de suspendre le souvenir de nos communs malheurs pour l'en consoler elle-même : sa vertu l'empêchait de se plaindre hautement de la perfidie de son père, mais elle la détestait dans le fond de son cœur, et la violence qu'elle se faisait pour cacher ses justes ressentiments augmentant l'agitation de son âme, elle fut saisie d'une fièvre si ardente qu'elle fut bientôt réduite à l'extrémité. Le Gouverneur de mon fils, qui se nommait Étéocle, mit en usage tous les [*125*] secours de la médecine, dans laquelle il était fort expert, mais le mal fut plus fort que les remèdes et la triste Amestris expira dans mes bras en me priant de lui pardonner ma disgrâce, qu'elle s'imputait. La mort de cette déplorable Reine me fut plus sensible que la perte de ma couronne : je passai toute la nuit qui suivit ce malheureux jour à pousser des gémissements qui remplirent tout mon vaisseau de deuil. Étéocle, dont la sagesse me fut d'un grand secours dans cette occasion, s'opposa au dessein que j'avais de suivre Amestris au tombeau ; il me présenta mon fils et, me reprochant la cruauté que j'avais de l'abandonner dans un âge où je lui étais si nécessaire, il me fit enfin consentir à vivre.Et, pour épargner à mes yeux un objet aussi funeste que celui du corps de la Reine, dont je ne pouvais m'arracher, il me fit résoudre à l'envoyer à Demetrius son père afin qu'il lui fît rendre les honneurs funèbres que je ne pauvois lui rendre [*126*] moi-même. Étéocle ne m'eut pas plus tôt fait consentir à ce dessein qu'il donna ordre à l'exécution. Je ne retins que le seul vaisseau sur lequel je m'étais embarqué ; j'y fis passer tous mes sujets et renvoyai tous les Mèdes sur les trois autres, avec le corps de leur Princesse. Mais est-il d'action si pure que la calomnie ne tâche de noircir ? Le perfide Demetrius me fit un crime de ma piété, comme je l'ai su depuis : il répandit des bruits injurieux à ma gloire et, n'ayant pas eu beaucoup de peine à faire parler des gens qui lui étaient vendus depuis longtemps, il engagea tous les Mèdes qui avaient conduit le corps d'Amestris à Sinope à dire que je m'étais vengé de lui sur sa fille, et que j'avais donné la mort à cette Princesse par un poison qu'Étéocle avait mêlé dans les remèdes qu'il lui avait fait prendre.

Après avoir renvoyé le corps d'Amestris, je donnai ordre à mon pilote de tourner la pointe de mon [*127*] vaisseau vers Corinthe. C'était le sage Athamas qui y régnait. Le sang qui nous liait d'assez près, joint à sa vertu, qui le faisait justement adorer de tout le monde, me détermina à ne point chercher d'autre asile contre l'oppression où je me trouvais. Mais la fortune n'était pas encore lasse de me persécuter et me gardait ses plus funestes coups pour les derniers. Nous voyons déjà paraître les hautes tours de cette grande ville quand les matelots qui étaient à la découverte sur les mâts nous avertirent qu'ils voyaient trois grands vaisseaux qui venaient sur nous à pleines voiles. Je crus d'abord que c'étaient des vaisseaux Corinthiens. Je ne laissai pas pourtant d'ordonner que tout fût prêt pour combattre, en cas qu'ils fussent ennemis. Cette précaution n'était pas inutile : à mesure qu'ils s'approchaient de nous, on reconnut à leurs mâtures qu'ils n'étaient pas Corinthiens ; et, quand ils furent à la portée des traits, mon pilote les [*128*] reconnut pour des pirates, dont Pisistrate, qui s'était rendu redoutable dans tout le Péloponèse, était le chef. Quelque grand que fût le péril, je l'envisageai sans crainte : je n'avais que de vaillants hommes sur mon vaisseau, et leur fidélité m'était si connue que je ne doutai point qu'ils ne répandissent jusqu'à la dernière goutte de leur sang plutôt que de livrer leur Roi à d'indignes Corsaires.

Je ne fus pas trompé dans mon attente. Le combat fut sanglant, mais, la partie n'étant pas égale, nous nous trouvâmes enfin accablés par le nombre : tous mes Cappadociens perdirent la vie en me faisant un rempart de leur corps, et il ne me resta qu'Étéocle et mon fils. Je me serais donné la mort si les mêmes raisons qui m'avaient sauvé de mon premier désespoir n'eussent subsisté ; je consentis une seconde fois à vivre pour mon fils. Et, voyant que tous mes sujets avaient perdu la vie, je crus qu'il ne me serait pas difficile de cacher mon nom [*129*] et ma naissance à Pisistrate, n'ayant rien à craindre du fidèle Étéocle. Je me rendis au vainqueur, à qui ma résistance avait donné beaucoup d'estime pour moi ; c'était Pisistrate lui-même. Il n'avait pas la rudesse des gens de sa profession : j'appris dans la suite que sa naissance était illustre, mais que les persécutions de la fortune l'avaient réduit à se faire chef de Pirates, et qu'il était devenu aussi puissant que bien des Princes et des Rois même.

« Votre valeur, me dit-il, en recevant mon épée que je lui présentai, me donne une haute idée de votre naissance. Je ne vous force pas à me la déclarer : cet aveu, ajouta-t-il en baissant la voix, ne servirait qu'à enflammer l'avarice de mes soldats et à grossir votre rançon. Je vous en quitterais, continua-t-il, si j'étais aussi absolu parmi eux que je l'ai été autrefois parmi des peuples moins sauvages ; ces Pirates m'ont fait jurer, en me choisissant pour chef, de ne jamais trahir leurs intérêts, et [*130*] je ne sais si le conseil que je vous donne n'est pas un parjure pour moi. »

Cette franchise de Pisistrate m'ôta presque j'envie de lui cacher mon véritable fort : je me reprochai le mensonge que j'allais lui faire, et peut-être me serais-ie déterminé à lui tout avouer si Étéocle, dont la sagesse était naturellement défiante, n'eût prit la parole pour moi.

« Seigneur, dit-il à Pisistrate, vous voyez en moi le plus malheureux de tous les hommes. J'étais né dans une opulence qui me rendait aussi digne d'envie que je suis aujourd'hui digne de pitié : je suis de Lacédémone ; ma mauvaise fortune m'a fait encourir la disgrâce de mon Roi et, pour me dérober à sa colère, j'ai été obligé de me sauver dans ce vaisseau qui vient de tomber en votre puissance. Celui à qui vous venez d'adresser la parole est mon fils, et l'enfant qui vous voyez au fond de cette chambre est mon petit-fils. Tous mes domestiques viennent de mourir pour [*131*] la défense de ma liberté. Il ne me reste que quelques pierreries, que je vous offre pour ma rançon.

­– Quelques riches que soient ces pierreries, répondit Pisistrate, elles ne vous tiendront pas lieu de rançon : elles appartiennent de droit aux vainqueurs, et c'est à eux à mettre votre liberté à prix. Vous seriez libres dès ce moment, ajouta-t-il, et vous emporteriez vos richesses, si cela dépendait de moi ; mais ces Pirates ne m'obéissent que parce que je me soumets tout le premier aux lois que je me suis imposées en acceptant le commandement. »

Cette réponse de Pisistrate me fit perdre le peu d'espérance qui me restait. Il ordonna aux deux Capitaines des vaisseaux qui étaient sous ses ordres de passer dans le sien ; ils s'y rendirent sur-le-champ, suivis de tous leurs officiers. Le Conseil s'assembla pour décider de notre sort : on fit un juste partage des pierreries, qui furent distribuées jusqu aux moindres [*132*] soldats ; et, le fort ayant été jeté sur les trois prisonniers, je fus le partage du premier Capitaine, Étéocle du second et mon fils tomba en la puissance de Pisistrate. Ce fut une consolation pour moi de voir mon fils en de si bonnes mains : Pisistrate était le plus humain et le plus généreux des trois maîtres à qui le sort nous soumettait. Il me jura qu'il ferait élever mon fils auprès du sien et qu'on n'y mettrait point de différence ; il lui donna un gouverneur d'une vertu éprouvée, et me promit qu'il me le rendrait aussitôt que j'aurais satisfait à la rançon que le Conseil m'imposerait. Je le priai d'en faire promptement fixer le prix, mais ce fut inutilement : Pisistrate ne trouva point d'imitateurs parmi ces âmes vénales. On délibéra sur ma nouvelle proposition, que nous demeurerions captifs pendant un an afin qu'on eût le temps de s'informer de notre condition et de nos facultés. Le Conseil fini, chacun des [*133*] Capitaines emmena son prisonnier fur son bord. Vous pouvez concevoir, Seigneur, quelle fut ma douleur quand il fallu me séparer ou plutôt m'arracher de mon fils ; je le recommandai à Arsame, son nouveau gouverneur, avec des larmes dont il fut attendri ; je lui promis des récompenses proportionnées aux soins qu'il en prendrait. Nous passâmes enfin, Étéocle et moi, dans les vaisseaux qui devaient nous servir de prison, et nous fîmes voile au hasard, sans avoir aucune route assurée comme font ordinairement tous les Pirates qui se laissent guider par les vents et par la fortune.

Nous avions passé six jours sans avoir fait aucune rencontre qui soit digne de votre attention ; mais, au septième, à peine le soleil commençait à dissiper les ombres de la nuit que nous vîmes paraître une nombreuse flotte. À cette première vue, nos Corsaires firent un cri de joie : ils crurent que c'étaient des marchands que la fortune conduisait [*134*] vers eux pour les enrichir. Mais ils perdirent bientôt cette flatteuse espérance : c'étaient des vaisseaux Corinthiens qu'Athamas avait armés pour la sûreré de son commerce. On les avait trop laissé avancer pour pouvoir éviter le combat ; il n'y eut que celui de Pisistrate, qui, étant meilleur voilier que les autres, se sauva avec assez de peine ; les deux autres ne firent presque point de résistance. Nous fûmes confondus, Étéocle et moi, parmi les Pirates ; on nous chargea de fers comme eux, quoi que nous puissions dire ; et nous ne pûmes nous garantir de la mort que par la demande que nous fîmes d'être préfentés au Roi : on n'osa nous refuser cette grâce. Athamas, en ayant été instruit, ordonna qu'on nous amenât devant lui. Je le suppliai de faire sortir tout le monde : comme nous étions chargés de fers, il ne risquait rien à nous entretenir sans témoins. Il ordonna qu'on le laissât seul avec nous et, dès que je fus en liberté de me découvrir [*135*] à lui, je me nommai et lui fis un court récit de mes disgrâces ; il en fut vivement touché et, n'ayant aucun lieu de me soupçonner d'imposture par tout ce que je lui dis, outre que la renommée l'avait déjà instruit de mon infortune, il m'embrassa tendrement et me promit son secours contre mon perfide beau-père. Je lui appris en même temps le sort de mon fils qui, pour mon malheur, n'était pas tombé en la puissance des Corinthiens ; il me rassura par la vertu de Pisistrate, dont le nom lui était connu ; mais il me dit en même temps qu'il était à propos que je fusse inconnu dans Corinthe, tant par rapport au cruel Demetrius, qui avait mis ma tête à prix, qu'à cause de Pisistrate même, qui pourrait être forcé par les Pirates dont il était le chef à livrer mon fils à mon ennemi, s'il leur offrait une rançon plus considérable que celle que j'offrirais moi-même. Il ajouta à cela que ces écumeurs de mer étaient les plus implacables [*136*] ennemis des Corinthiens, qu'ils ne leur faisaient point de grâce, de même qu'ils n'en recevaient point d'eux, et qu'il était à craindre qu'ils ne sacrifiassent mon fils pour venger le sang de leurs camarades, dès qu'ils auraient appris qu'il appartenait de si près à un Roi qui avait juré leur perte. Les conseils d'Athamas étaient trop sages pour ne m'y pas soumettre. Je vis avec douleur que la vie de mon fils était plus exposée que jamais et qu'elle dépendait surtout du soin que je prendrais de me cacher.

Athamas, ayant rappelé sa Cour auprès de lui, ordonna qu'on brisât mes fers et qu'on me traitât avec quelque distinction. Cependant, comme je ne craignais rien tant que d'être découvert par quelques-uns de mes sujets que le sort pourrait conduire à Corinthe, je me retirai avec Étéocle dans un temple consacré à Neptune. J'obtins même du Roi qu'Étéocle en fut fait Grand-Sacrificateur : il avait toutes les qualités nécessaires [*137*] pour un emploi si important ; il était très versé dans la science de l'astrologie et doué d'une sagesse donc Athamas était charmé.

Le Roi me visitait quelquefois dans ma retraite ; et pour ôter toute sorte d'ombrage, il prétextait toutes ses visites de quelque acte de religion ou de quelques affaires qu'il voulait comuniquer au nouveau Grand-Prêtre. C'était dans ces secrètes entrevues qu'il m'apprenait tout ce qui se passait à Sinope : il renouvela mes premières douleurs en m'instruisant du coup fatal que Demetrius venait de porter à ma gloire en me faisant passer pour l'assassin de ma chère Amestris ; mais que ne devais-je pas attendre d'un monstre qui avait sacrifié son propre frère à son ambition démesurée ? toute l'Asie l'a appris avec horreur, et vous n'avez pas ignoré, Seigneur, que le vertueux Itis, légitime héritier du trône de Médie et frère aîné du cruel Demetrius, fut frustré des droits de sa [*138*] naissance par une conspiration presque générale que son indigne cadet avait suscitée contre lui, soutenu des principaux chefs du Royaume, dont il avait corrompu la foi par les trésors que son père lui avait laissés pour le dédommager du titre du Roi dont son frère aîné devait être honoré. On n'a jamais su précisément ce que devint le malheureux Itis, mais il a disparu pour toujours, et on ne doute point que Demetrius ne l'ait immolé pour s'assurer la couronne. Je ne fus donc pas surpris de sa calomnie ; mais l'effet qu'elle produisit m'étonna véritablement : j'appris que mes plus fidèles sujets s'étaient laissé entraîner au torrent, et qu'on leur avait aisément persuadé que mon désespoir avait triomphé de ma vertu et m'avait porté à commettre un forfait que toutes les actions de ma vie passée semblaient démentir. Je levai les yeux au ciel en entendant ce qu'Athamas m'annoncait, et je ne pus m'empêcher du murmurer contre [*139*] les Dieux, qui se déclaraient si ouvertement protecteurs du crime par des succès qu'ils refusaient à l'innocence. Athamas condamna ce blasphème, et me représenta, avec beaucoup de douceur, que je ne devais pas irriter les Dieux dans un temps où leurs secours m'étaient si nécessaires qu'il craignait pour moi qu'ils ne fissent tomber la peine de mes coupables murmures sur un fils qui était ma dernière espérance ; il ajouta que l'injustice n'était point leur partage, qu'ils livraient quelquefois les bons aux méchants pour éprouver la vertu des premiers et pour mieux punir les derniers par des revers d'autant plus effroyables qu'ils étaient précédés d'éclatantes prospérités ; que Demetrius éprouverait tôt ou tard le poids de leur justice, et que, pourvu que je me conformasse à leurs suprêmes volontés, ils trouveraient bien des routes pour me faire remonter sur le trône dont on m'avait précipité, quoiqu'elles fussent inconnues à la [*140*] prudence humaine.

« Que votre sagesse, m'écriai-je en embrassant Athamas, me serait nécessaire dans le déplorable état où je suis réduit ! Que vos leçons me charment, mais que j'ai de peine à m'y conformer. Ne cessez point, continuai-je, de me soutenir de vos exemples, et pardonnez-moi une faiblesse dont je n'ai pas été le maître. »

Mes affaires étant tout à fait désespérées du côté de la Cappadoce, il fallut me résoudre à attendre du temps une de ces étonnantes révolutions qui sont plutôt l'ouvrage des Dieux que celui des hommes. Je ne m'attachai plus qu'à savoir des nouvelles de mon fils : Pisistrate m'avait paru si vertueux que je ne doutai point que je ne pusse lui confier un secret que je cachais à tous les Corinthiens et à tout le reste du monde. Athamas eut quelque peine à y consentir, mais, voyant que c'était l'unique moyen qui me restait pour le recouvrer, il se détermina à envoyer dans une des îles où les Pirates du [*141*] Péloponèse faisaient leur ordinaire résidence. Mais ceux qu'on avait chargés de ce soin m'apprirent à leur retour que Pisistrate avait changé de séjour et qu'après avoir fait un armement de plus de soixante voiles il avait tourné vers la Médie. Je crus d'abord que le dernier échec qu'il avait reçu sur les mers voisines de Corinthe l'avait fait résoudre à tenter la fortune d'un autre côté. Je passai quelques années sans en apprendre aucune particularité ; mais les espions que j'avais en Cappadoce me firent savoir que Demetrius avait quitté Sinope avec précipitation pour aller défendre ses États que Pisistrate semblait vouloir envahir. J'admirai la noble audace d'un chef de Corsaires qui se rendait redoutable à des Rois même ; mais plus encore les secrètes routes du destin qui conduisaient mon fils vers l'usurpateur d'une couronne qui devait lui appartenir, ne doutant point que Pisistrate ne l'eût mené à cette expédition, quoiqu'il pût à peine [*142*] avoir atteint l'âge de douze ans. Je ne sus quel parti prendre dans cette conjoncture. Je voulus d'abord aller secrètement à Sinope pour profiter de l'absence de mon ennemi, la distance des lieux ne permettant pas à Athamas de m'y envoyer à la tête d'une armée ; mais tous les esprits y étaient si prévenus contre moi, et d'ailleurs Demetrius avait si bien muni toutes les places de Cappadoce, qu'Athamas, qui n'entreprenait jamais rien en téméraire, me détourna d'un dessein dont l'exécution lui paraissait impossible. Je fis une seconde tentative, qui fut d'armer une flotte pour m'aller joindre à Pisistrate contre Demetrius. Rien ne flattait plus la tendresse que j'avais pour mon fils, mais Athamas me fit voir quelle honte ce serait pour moi de m'allier avec des Pirates contre un Roi qui, tout méchant et tout injuste qu'il était, n'en portait pas moins un caractère respectable.

Ce fut dans ces irrésolutions que je passai la plus grande [*143*] partie de mon exil, sans recevoir aucune nouvelle du jeune Antiochus. J'en reçus enfin qui renversèrent toutes mes espérances : les Corinthiens prirent un des vaisseaux de Pisistrate qui ne l'avait pas suivi dans son entreprise contre les Mèdes. Je fis amener devant moi cinq ou six prisonniers ; je leur demandai s'ils n'avaient point ouï parler d'un jeune enfant qui était tombé en la puissance de Pisistrate depuis quinze ans ; deux d'entre eux me répondirent qu'ils se souvenaient encore de cette fatale journée où deux de leurs vaisseaux furent pris, qu'ils étaient sur celui de Pisistrate qui ne se sauva qu'à la faveur de sa légèreté ; ils ajoutèrent que Pisistrate avait toujours tendrement aimé le jeune enfant qui lui était tombé en partage, qu'il le faisait élever avec le petit Sostrate, son fils, mais qu'il n'avait pas assez vécu pour profiter de la fortune à laquelle il le destinait, étant mort un an après sa prise. Je fus si frappé de cette [*144*] nouvelle que je ne voulus plus rien entendre, et je me retirai auprès de mon fidèle Étéocle pour chercher quelque consolation dans son entretien, ou plutôt pour le forcer lui-même à avouer, malgré sa sagesse, que mon désespoir était juste et que je ne devais plus compter sur le soin des Dieux, puisqu'ils m'avaient ôté tout ce qui me restait après la perte de mes États. Étéocle n'eut pas plutôt appris la mort d'Antiochus qu'il seconda mes pleurs par ses soupirs :

« Je ne compte plus sur ma science, me dit-il, elle m'a trompé ; les astres que j'avais consultés sur le sort de votre fils m'avaient promis pour lui la fortune la plus éclatante : il devait un jour avoir quatre sceptres en sa puissance. Sa mort a démenti des espérances que je croyais si bien fondées. Je n'ai jusqu'ici combattu votre frayeur que parce que l'avenir me fortifiait contre elle ; il ne me reste plus qu'à pleurer une perte que rien ne saurait réparer. »

Ce triste [*145*] entretien fut interrompu par l'approche du Roi de Corinthe, qui entra dans l'appartement d'Étéocle avec des démonstrations de joie qui nous surprirent d'autant plus qu'elles ne lui étaient pas ordinaires. J'ai oublié, Seigneur, de vous dire qu'il avait eu une fille unique de la Reine son épouse trois ans après mon arrivée à Corinthe.

« Partagez les transports que je sens, me dit-il en m'embrassant sans s'apercevoir de mes larmes : votre fils vous sera rendu !

– Ô Dieux ! que m'apprenez vous ? m'écriai-je. M'aurait-on trompé ? et reverrais-je encore mon cher Antiochus.

– Je vous l'annonce de la part des Dieux, répondit Athamas : ils ne trompent jamais les Rois. Je l'ai vu cette nuit en songe ; Neptune me l'a présenté lui-même et m'a ordonné de l'unir avec ma fille Élismène. Mais quoi ? poursuivit-il voyant que je ne lui répondais que par des soupirs, vous défiez-vous de la promesse d'un Dieu ?

– Hélas ! [*146*] lui dis-je, alors, à qui puis-je me fier déformais. Les Dieux ont été les premiers à me trahir : je leur avais commis le soin de mon fils ; ni les astres qu'Étéocle a consultés, ni le songe qui vous l'a présenté cette nuit ne peuvent me le rendre. La mort cruelle me l'a enlevé pour toujours. »

 La douleur m'ayant coupé la parole, Étéocle instruisit Athamas, à mon défaut, de ce que je venais d'apprendre. Le Roi ordonna qu'on fît venir les deux prisonniers qui m'avaient annoncé la mort d'Antiochus : ils ne confirmèrent que trop cette funeste nouvelle ; et, quoiqu'Athamas voulût me persuader que ces Pirates pouvaient avoir été trompés eux-mêmes par un faux bruit, je ne laissai pas d'ajouter foi à ce qu'ils m'avaient appris.

Mais il est temps, Seigneur, que je finisse ce récit. J'ai passé deux ans entiers sans avoir d'autres éclaircissements et même sans en désirer. Mais la fortune n'était pas encore satisfaite ; les coups qu'elle m'avait [*147*] portés ne lui suffisaient pas : elle enveloppa Athamas dans ma disgrâce, et ce fut en frappant son cœur qu'elle s'ouvrit un nouveau chemin jusqu'au mien.

La jeune Princesse Élismène, héritière de sa couronne, se promenait un jour sur une galère par un temps calme du côté que l'Isthme sépare les deux mers qui entourent Corinthe, lorsqu'on aperçut un vaisseau dont un grand rocher avait dérobé la vue aux matelots Corinthiens. Il se jeta d'abord sur la galère de la Princesse à la faveur d'un vent frais et s'en rendit maître avant qu'on eût pu se mettre en état de la secourir. Toute la ville fut alarmée. Athamas appella vainement sa sagesse à son secours : elle ne fut pas à l'épreuve d'un coup si douloureux. Je me rendis auprès de lui, suivi d'Étéocle, pour lui rendre les mêmes offices qu'il m'avait si souvent rendus. L'excès de sa douleur ne lui laissant pas la liberté d'ordonner qu'on courût après les ravisseurs, je me servis de son nom [*148*] pour y pourvoir moi-même : trois vaisseaux furent armés promptement. Je lui dis le dessein que j'avais formé de voler au secours d'Élismène et, quelque répugnance qu'il eut à me laisser partir, je courus au port de Corinthe, après lui avoir juré que je ne reviendrais pas sans la Princesse. Étéocle voulut me suivre, mais, lui ayant représenté que son secours était encore plus nécessaire à Athamas, je le contraignis à demeurer auprès de lui.

Je m'embarquai donc sur l'un des trois vaisseaux et je voguais avec cette petite flotte lorsque je rencontrai quelques-uns de ces Pirates que je combattis et que je pris. Mais, aucun d'eux ne m'ayant pu donner de nouvelles d'Élismène, je les envoyai à Corinthe avec ordre d'assurer le Roi que je lui tiendrais parole et qu'il ne me reverrait pas sans sa fille. Enfin, après une longue navigation sur toutes les côtes qui servaient d'asile aux pirates, je mouillai un jour dans l'île de Délos, célèbre par la [*149*] naissance d'Apollon et par les oracles que ce Dieu y rend tous les jours.

Les Corinthiens qui m'avaient suivi dans cette longue et pénible course m'ayant prié de leur accorder quelques jours de repos, et d'ailleurs nos vaisseaux ayant besoin d'être radoubés et munis des choses nécessaires à la vie dont nous commencions à manquer, je me rendis à leur désir et pris ce temps pour consulter l'Oracle d'Apollon sur le fort d'Élismène. Voici quelle fut la réponse du Dieu :

En vain sur la liquide plaine

Tu crois voir remplir tes souhaits.

Laisse aux Dieux le soin d'Élismène :

Elle doit à ton fils être unie à jamais.

Je ne doutai point, après cet oracle, que cette Princesse n'eût péri aussi bien que mon fils. Mais, comme les Dieux ne s'expliquent jamais clairement aux hommes pour les tenir dans l'incertitude des secrets que le destin se plaît à leur cacher, je voulus savoir si Apollon ne m'annoncerait rien au sujet de mon fils qui [*150*] pût me laisser quelque reste d'espérance ; il satisfit à ma curiosité par ces vers :

Le noir projet d'un cœur perfide

À ton fils doit te réunir.

Mais crains d'en faire un parricide,

Crains même de le devenir.

Les deux premiers vers de cet Oracle semblaient ne m'annoncer que la mort et, comme le cruel Demetrius avait mis ma tête à prix, comme je vous l'ai déjà dit, je ne doutais point que ce ne fût par ses ordres barbares que je devais être réuni à mon fils. Mais les deux derniers vers partagèrent mon cœur entre l'espérance et la crainte : rien n'était plus doux pour moi que d'apprendre que mon fils respirait encore, mais rien ne me paraissait plus affreux que le crime dont les Dieux nous menaçaient tous deux. Quoique ces différents Oracles, qui me paraissaient tantôt se détruire, tantôt se justifier l'un l'autre, n'eussent pas assez de clarté pour fixer [*151*] mes irrésolutions sur le fort d'Élismène et de mon fils, ils s'expliquaient pourtant assez précisément pour ne me laisser point d'incertitude sur le parti que j'avais à prendre : Apollon m'ordonnait de laisser le soin d'Élismène aux Dieux, et me faisait craindre de faire un parricide d'Antiochus ou de le devenir moi-même. Ces deux considérations m'obligèrent, dès que je fus sur les rives d'Arménie où le premier vent me guida, de renvoyer au Roi de Corinthe les trois vaisseaux dont j'avais pris le commandement, avec une lettre qui l'instruisait des raisons qui m'avaient fait abandonner mon entreprise, et des deux oracles d'Apollon : je ne retins auprès de moi que ces six Corinthiens qui m'ont si bien secondé contre le perfide Porphirion.

 

Tigranes ayant cessé de parler, Artaxe et Isménie firent plusieurs réflexions sur ses aventures et surtout sur les Oracles qu'il avait reçus ; ils conclurent qu'il paraissait vraisemblable [*152*] qu'Élismène et Antiochus étaient encore vivants et n'oublièrent rien pour faire concevoir quelque raison d'espérance à ce déplorable Roi. Artaxe lui réitéra la promesse qu'il lui avait faite de le remettre sur le trône de Cappadoce, et lui fit entendre qu'il fallait commencer par l'hymen de sa fille, afin que les Arméniens le servissent avec plus d'ardeur, ayant à combattre pour un Prince qui devait un jour leur donner des lois. Tigranes remercia Artaxe avec des expressions qui marquaient son amour et sa reconnaissance ; il regarda tendrement la Princesse d'Arménie comme pour lui demander son aveu, et il eut le plaisir de voir qu'elle obéissait sans répugnance aux ordres de son père. Tigranes quoique veuf, était encore en âge de plaire ; il avait été marié fort jeune à la Princesse des Mèdes ; d'ailleurs il était bien fait. Ainsi la Princesse d'Arménie, sur qui la reconnaissance jointe au mérite de Tigranes [*153*] avaient fait beaucoup de progrès en peu de temps, se crut heureuse de faire le bonheur d'un Prince qui avait éprouvé de si rudes traverses depuis la mort de sa première épouse.

Ce mariage, qui devait réunir les Couronnes d'Arménie et celle de Médie sur une seule tête, se célébra dans peu de jours. Les Partisans de Porphirion prirent ce temps pour recourir à la clémence d'Artaxe, et lui demander grâce pour son fils Artane et pour eux-mêmes. Ils prirent soin de mettre Tigranes dans leurs intérêts ; sa générosité naturelle le porta à leur accorder son entremise, et Artaxe ne put rien refuser à un Prince à qui il devait tout. Le fils de Porphhrion fut présenté au Roi par Tigranes ; l'amnistie fut publiée, et il n'y eut personne dans toute l'Arménie qui ne partageât la félicité publique.

Après la célébration du mariage de Tigranes et d'Isménie, Artaxe, ayant déclaré la guerre à Demetrius le Roi de Cappadoce, se mit à [*154*] la tête de soixante mille Arméniens, après avoir fait un manifeste dans lequel il se justifiait de la calomnie de Demetrius. Ce manifeste ne fut pas plutôt venu à la connaissance des Cappadociens qu'il produisit un changement considérable dans les esprits : l'approche de leur légitime souverain et les vexations qu'ils avaient reçues de la part de l'usurpateur ranimèrent les plus timides. L'armée des Arméniens grossissait tous les jours de Cappadociens qui venaient se jeter aux pieds de leur Roi et lui dévouer leurs vies. Et si Demetrius eût encore été occupé du côté de la Médie, la conquête de la Cappadoce aurait été l'ouvrage de peu de jours. Mais, heureusement pour lui, il était revenu en Cappadoce suivi de quarante mille Mèdes, après avoir été délivré de l'invasion des Pirates par une violente tempête qui avait submergé ou dissipé tous leurs vaisseaux..

Les deux armées étaient à peu près égales en nombre et en vaillants [*155*] hommes quand elles parurent l'une devant l'autre. Les premières approches furent peu décisives, mais la désertion continuant dans celle de Demetrius, et les Dieux favorisant la bonne cause, la première bataille qui se donna fut si funeste à l'usurpateur qu'il ne se sauva vers Sinope qu'avec cinq ou six mille hommes. Une victoire si complète fit espérer à Tigranes la prochaine réduction de la Cappadoce, et, si la nuit n'eût favorisé la retraite de son ennemi, cette seule journée aurait fini la guerre. Tigranes ne jugea pas à propos de s'engager dans une poursuite dont le succès était incertain ; il se contenta de détacher un corps de six mille chevaux après les fuyards pour les empêcher de se réunir. Artane, qui avait toujours combattu auprès de sa personne avec beaucoup de valeur, fut un des Officiers qui commandèrent ce camp volant ; et il fut si heureux qu'il atteignit les chariots des Princesses et des principales Dames de Médie qui avaient suivi [*156*] Demetrius comme à une victoire certaine. Dès qu'il fut de retour à l'armée des Arméniens, il alla à la tente de Tigranes pour lui présenter les prisonnières qu'il venait de faire. Mais quelle fut la surprise de ce Prince quand il reconnut cette même Élismène qu'il avait si longtemps cherchée sur les flots. « Dieux puissants, s'écria-t-il, je commence à sentir le retour de vos bontés ! il ne me reste plus que de recevoir mon fils de vos mains bienfaisantes. » La joie de Tigranes ne pouvait être égalée que par celle d'Élismène ; mais, quoiqu'elle la fît éclater à la vue du Roi de Cappadoce, ce Prince ne laissa pas de voir que son cœur ne s'y livrait pas tout entier ; il craignit qu'Athamas n'eût perdu la vie, ne pouvant attribuer la douleur de cette Princesse qu'à la perte d'une si chère tête ; mais faisant réflexion un moment après qu'Élismène n'avait pas été plus à portée que lui d'apprendre des nouvelles du Roi de Corinthe, pendant une prison qui avait apparemment [*157*] duré jusqu'à ce jour, il crut que sa tristesse était causée par quelque indisposition, ou par cette même captivité dont elle venait seulement d'être délivrée. Son premier soin fut de la laisser reposer une partie du jour ; après quoi, il l'alla visiter dans la tente qu'il lui avait fait dresser proche de la sienne. Et, après les premières civilités, il la pria de l'instruire de son sort. Élismène ne put entendre cette prière sans rougir :

« Les Dieux, lui dit-elle, ne dispensent pas leurs dons également : la sagesse d'Athamas n'a point passé jusqu'à sa fille, et les grands exemples qu'il m'a donnés n'ont pu me garantir des faiblesses ordinaires à mon sexe. Épargnez-moi, Seigneur, continua-t-elle, la honte de vous en faire l'aveu moi-même. Cléone ne les ignore pas ; je lui ai déjà ordonné de ne vous rien cacher et il ne tiendra qu'à vous qu'elle ne contente votre curiosité. »

Tigranes accepta l'offre d'Élismène et, ayant ordonné à Artane de la mener avec sa suite voir la disposition de [*158*] l'armée, il donna audience à Cléone, qui commença ainsi le récit qu'elle avait ordre de lui faire.

 

Comme il n'y a pas longtemps, Seigneur, qu'Élismène est éloignée du Roi son père, je n'ai pas beaucoup d'aventures à vous raconter. Vous avez su qu'un vaisseau caché derrière une pointe de rocher avait surpris la Galère sur laquelle la Princesse se promenait à trois mille de Corinthe. Vous pouvez juger quelle fut notre frayeur à la vue des Pirates qui vinrent à l'abordage et se jetèrent dans notre galère. Comme nos matelots n'étaient pas préparés à ce funeste accident, ils ne firent point de résistance ; il n'y eut que quelques gardes de la Princesse à qui leur zèle coûta la vie. Élismène tomba évanouie dans mes bras ; on la fit porter dans le vaisseau des Pirates, qui était commandé par le fils de Pisistrate : ce chef n'avait rien de farouche ni dans la physionomie, ni dans l'humeur. Il n'eut pas plutôt appris que sa captive était fille du roi de [*159*] Corinthe qu'il ordonna qu'on la traitât avec tous les égards qui étaient dus à sa naissance. Je suivis la Princesse dans la chambre qu'on lui avait fait préparer. Elle commençait à revenir de sa longue faiblesse, et, tout le monde s'étant retiré, je tâchai de la rassurer par le récit que je lui fis de la générosité et de l'humanité de son vainqueur. Élismène ne donna qu'une faible croyance à tout ce que je lui dis, mais elle ne tarda pas à en être convaincue : Sostrate, c'était le nom du fils de Pisistrate, lui ayant fait demander la permission de la voir et l'ayant obtenue, se présenta à Élismène avec toutes les démonstrations du plus profond respect qu'une Reine puisse exiger du dernier de ses sujets. Il n'avait pas encore vu sa prisonnière, ou du moins son évanouissement lui avait dérobé l'éclat de ses yeux. À peine eut-il jeté un premier regard sur tant de charmes donc vous savez qu'elle brille qu'il chancela et changea de couleur. La Princesse était si occupée [*160*] de son mauvais sort qu'elle ne s'aperçut pas de son trouble, quoi qu'il parût même dans ses discours ; elle ne laissa pas d'être sensible à la protestation qu'il lui fit de la rendre incessamment au Roi son père, et de ne rien oublier pour adoucir sa prison. Cette douce espérance d'une prochaine liberté engagea la Princesse à regarder Sostrate avec plus d'attention. Les premiers sentiments de son cœur ne purent échapper à la mienne ; j'examinai la captive et le Maître, et je n'aurais pu assurer dans ce moment lequel des deux était le plus libre. Cette première conversation ne fut pas longue : Élismène, qui commençait à s'apercevoir que Sostrate ne lui était pas si odieux qu'elle se l'était d'abord figuré, voulut abréger un entretien qui prenait trop sur elle : elle le pria de la laisser reposer. Sostrate lui obéit, quelque violence que cet ordre fît à son amour naissant.

Quelques jours se passèrent sans que Softrate s'enhardît, autrement que [*161*] par des soupirs, à déclarer le secret de son cœur. Mais, comme Élismène le pressait de lui tenir sa promesse, il ne put s'empêcher de lui dire ce qui l'avait fait différer à la fatisfaire :

« Que vous êtes cruelle, lui dit-il, de vouloir hâter une séparation qui me paraît plus affreuse que la mort. Je ne sais, continua-t-il, qui de nous deux doit demander la liberté : je suis plus captif que vous, et depuis le fatal moment…

– Arrêtez, interrompit brusquement Élismène, et ne me forcez pas à me plaindre autant de vous que je m'en suis louée jusqu'à présent.

– Votre colère, répondit le tremblant Sostrate, est un digne prix de ma témérité, à ne me considérer que comme fils d'un Chef de Pirates. Mais si la proportion du rang peut produire celle des cœurs, je ne suis pas si coupable que je vous le parais.

Pisistrate, que la mort m'a enlevé sur les côtes de Médie, a déclaré son véritable sort, qu'Arsame, mon gouverneur, qui était seul dans sa confidence m'a confirmé. [*162*] Il était né pour donner des Lois aux Mèdes, et n'avait porté la guerre chez ces peuples que pour chasser du trône qui lui appartenait un indigne frère qui l'avait usurpé sur lui. Oui, Madame, poursuivit-il voyant qu'Élismène le regardait avec moins de colère depuis qu'il lui avait annoncé qu'il était fils de Roi, Pisistrate était frère de Demetrius et m'a laissé en mourant toute la haine qu'il avait pour ce barbare qui, non content de lui avoir enlevé le trône, lui aurait fait ôter la vie si ceux à qui il avait commis le soin de l'assassiner avaient été aussi barbares que lui : ils furent les premiers à l'avertir de ce noir complot ; Arsame était du nombre ; ils lui conseillèrent tous de s'enfuir sur un vaisseau qui était prêt à faire voile ; et la nécessité lui fit embrasser l'indigne métier de corsaire, en attendant que le sort lui fût moins contraire. Pour moi, j'ai résolu de quitter ce perfide élément où j'ai éprouvé tant de vicissitudes en si peu de temps. Ma [*163*] flotte est périe ; il ne me reste que ce seul vaisseau qui renferme un trésor plus précieux pour moi que tous ceux que Pisistrate a possédés. Vous voulez que j'y renonce, Madame, je vous l'ai promis : vous serez obéie. Mais, quand je vous aurai fait un si grand sacrifice, me refuserez-vous votre pitié et aurez-vous la cruauté de m'oublier aussitôt que vous cesserez de me voir ? »

Ces paroles, prononcées d'un ton de voix aussi triste que passionné, tirèrent des larmes des beaux yeux d'Élismène.

« Prince, lui dit-elle, ces pleurs que m'arrache la seule approche des ennuis que je vous vais coûter, vous sont de sûrs garants de ma pitié et de mon souvenir. Ne craignez point d'ingratitude de ma part, ou plutôt attendez du Roi mon père toute la reconnaissance que votre générosité doit lui inspirer. Remettez-moi entre ses bras, ou plutôt venez vous y jeter vous-même. Vous n'êtes pas le seul Prince opprimé dont il s'est déclaré le protecteur : Tigranes, que votre oncle a détrôné, a trouvé un [*164*] asile dans sa Cour : venez vous joindre à lui ; unissez vos haines et vos intérêts contre l'ennemi commun. Les Dieux ne vous auront pas rassemblés en vain ; ils seront de votre parti s'ils daignent écouter mes vœux. »

Ces dernières paroles comblèrent Sostrate de joie. Il accepta l'asile que la Princesse lui offrait à la Cour de son père et remit l'exécution de ce projet au lendemain. Comme il était déjà tard, il prit congé d'Élismène.

Il ne fut pas plutôt sorti de sa chambre que je la pressai de m'ouvrir son cœur sur tout ce qu'elle venait d'apprendre : elle ne put me cacher ce qui s'y passait de favorable pour le Prince. Nous passâmes cette nuit avec peu de tranquilité ; cette insomnie ne fut pourtant que l'effet de la douce émotion que la joie excite dans une âme où elle n'est entrée de longtemps. Mais combien le jour qui suivit cette heureuse nuit fut triste et effroyable pour nous !

À peine Sostrate avait ordonné qu'on fît voile vers Corinthe, sans pourtant faire [*165*] connaître son dessein à ses Pirates, que nous découvrîmes trois vaisseaux Mèdes qu'un épais brouillard avait dérobé à notre vue ; ils étaient si près de nous qu'il nous fut impossible d'échapper à leur poursuite. Sostrate, qu'aucun péril n'épouvantait, trembla pour les jours d'Élismène et, nous ayant fait descendre dans le fond du vaisseau pour nous mettre à couvert des flèches ennemies, il se défendit avec tant de valeur que les Mèdes désespérèrent cent fois de le prendre. Le combat avait duré presque tout le jour, mais, voyant que son vaisseau était entouré de manière à ne pouvoir se sauver à la faveur de la nuit, il poussa vers la côte de Corinthe, d'où nous n'étions pas loin, dans le dessein d'y échouer. Comme cela ne se pouvait faire sans exposer les jours d'Élismène, il prit la précaution, dès que la nuit fut venue, de mettre sa chaloupe en mer et de nous y faire descendre sous l'escorte du fidèle Arsame et de cinq ou six Officiers en [*166*] qui il avait plus de confiance. Il leur donna rendez-vous dans un bois à deux lieues de Corinthe, où il devait nous venir joindre après qu'il aurait échoué avec son équipage, qu'il ne voulait pas abandonner dans une si grande extrémité. Nous abordâmes heureusement au rivage et nous employâmes une partie de la nuit à gagner le bois que Sostrate nous avait indiqué. Arsame parut fort inquiet de n'y point voir arriver son cher Maître ; Élismène en fut alarmée à son tour par l'intérêt qu'elle commençait à prendre à ses jours. Mais notre frayeur fut bien plus grande au retour de la clarté, quand nous vîmes approcher un corps de Mèdes qui crièrent à Arsame de se rendre s'il ne voulait perdre la vie. Arsame ne répondit qu'en s'avançant vers eux l'épée à la main, suivi des six Officiers qui l'avaient accompagné. Le combat ne fut pas long : que pouvaient faire sept hommes contre plus de cinquante ? Les six Officiers furent laissés sur la place et Arsame [*167*] lui-même, étant tombé de faiblesse parmi les morts. Les vainqueurs nous enlevèrent malgré nos cris jusqu'au rivage où nous trouvâmes le vaisseau de Sostrate échoué, sans pouvoir apprendre de nouvelles de ce Prince que nous crûmes entre les morts dont la rive était bordée. À cet affreux objet Élismène jeta un cri pitoyable et tomba mourante fur le sable. On l'embarqua en cet état ; je ne l'abandonnai point et, après une navigation trop heureuse pour des personnes qui souhaitaient la mort, nous arrivâmes en Médie, où nous fûmes présentées à Demetrius qui, étant sur son départ pour la Cappadoce, nous mit avec les Princesses de son sang que vous avez prises avec nous.

Durant toute cette narration, Tigranes s'était flatté que Cléone lui donnerait quelque éclaicissement sur le destin de son fils Antiochus ; mais, voyant qu'elle avait cessé de parler, il perdit cette douce espérance.

« Je n'ai pas été surpris, lui dit-il, que Pisistrate fût frère de Demetrius : la générosité [*168*] que je reconnus en lui lorsque je tombai en son pouvoir ne tenait point du Corsaire, et sa vertu, jointe à celle de son fils Sostrate et de sa nièce Amestris, me fait bien voir que, pour être du même sang, on n'a pas toujours les mêmes inclinations. Mais ce qui fait mon étonnement c'est que vous ne m'ayez point parlé de mon fils, dont vraisemblablement vous devez avoir appris quelques choses.

– J'ai voulu, lui dit Cléone, vous épargner la confirmation de son triste sort. Sostrate ne nous a pas laissé lieu d'en douter ; et, quoi qu'ils n'eussent tous deux que cinq ans lorsque la mort les sépara, leur amitié était déjà si parfaite qu'il ne s'en est jamais rappelé le souvenir sans verser des larmes.

– Grands Dieux ! s'écria tristement Tigranes, que deviendra la foi de vos Oracles si mon fils ne vit plus. Mais, s'il ne doit revivre que pour justifier les alarmes que vous m'avez données, ne le retirez pas de la nuit du tombeau, moins affreuse [*169*] pour moi que le crime donc vous nous menacez tous deux. »

À peine Tigranes achevait ces mots qu'il entendit du bruit à l'entrée de la tente d'Élismène : c'était cette Princesse même qu'Artane venait d'y laisser, avec un trouble dont Tigranes lui demanda la cause. Élismène lui en fit un mystère et le prétexta le mieux qu'elle put ; mais, dès qu'elle fut seule avec sa chère Cléone, elle lui avoua, avec une colère extrême, qu'Artane avait eu la hardiesse de lui parler d'amour ; elle ajouta qu'elle l'avait traité avec un mépris proportionné à son audace, et qu'elle l'avait menacé de s'en plaindre à Tigranes, mais qu'il l'avait conjurée avec un repentir si vif et si sincère de ne le point perdre qu'elle n'avait pu lui refuser cette grâce. Cléone la loua de sa générosité et la confirma dans le dessein qu'elle avait fait de n'en jamais parler, pourvu qu'Artane ne lui donnât point de nouveaux sujets de plainte.

Artane était naturellement [*170*] méchant ; mais l'ambition qu'il avait héritée de Porphirion étant sa passion dominante, il savait mieux que personne le grand art de dissimuler. Quoique sa charge de Capitaine des Gardes de Tigranes l'attachât auprès d'Élismène, il ne lui échappa jamais un seul regard qui pût lui rapeller sa première témérité ; mais, sous ces trompeuses apparences, il cachait des desseins pernicieux, qu'il aurait sans doute exécutés si les Dieux n'eussent garanti la Princesse des effets de sa perfidie.

Tigranes, ayant poussé ses conquêtes jusques aux environs de Sinope, où Demetrius s'était renfermé, entreprit d'en faire le siège ; et, ne voulant pas fatiguer ses illustres prisonnières, et surtout la belle Élismène, il les renvoya à Artaxate sous l'escorte d'Artane, dont il n'avait aucun sujet de soupçonner la fidélité. Élismène même était si persuadée de son repentir qu'elle n'en conçut pas la moindre défiance et s'abandonna sans crainte [*171*] à sa conduite. Artane, qui entretenait sourdement des correspondances avec Demetrius, fut ravi d'apprendre le dessein de Tigranes et en fit part à son ennemi. Heureusement pour Élismène, celui à qui ce traître avait confié sa lettre fut surpris de nuit par une garde avancée qui battait l'estrade sur le chemin de Sinope ; il fut conduit devant l'Officier qui commandait et, s'étant coupé dans ses réponses, on le fouilla et l'on trouva sur lui la lettre d'Artane à Demetrius. Ce perfide avertissait le Roi des Mèdes du départ des prisonnières et le priait de faire dresser une embuscade dans un endroit qu'il lui marquait et à tel jour qu'il lui désignait, n'ayant pas assez d'autorité sur l'escorte qui était sous ses ordres pour exécuter ce projet sans être soutenu. L'Officier n'eut pas plutôt lu cette lettre qu'il l'envoya à Tigranes, qui était campé à quelques lieues de là. Artane était déjà parti avec les Princesses ; Tigranes ne jugea pas à propos de faire courir après lui ; [*172*] mais il prit le parti de donner le change à ce perfide, et de faire poster des Arméniens dans le même endroit où Demetrius devait envoyer des Mèdes. La chose réussit comme il l'avait prévu. Artane, feignant d'avoir reçu des avis secrets qu'on devait lui enlever ses prisonnières, ordonna de ne marcher que de nuit et de prendre un détour qui déconcerterait cette entreprise. Mais quel fut son étonnement, quand il eut donné dans l'embuscade, d'y trouver des Arméniens au lieu de Mèdes. Il ne fongea plus qu'à se sauver à la faveur des tenèbres et il fut assez heureux pour se jeter dans Sinope sans aucun accident. Cependant les Princesses prisonnières furent conduites en toute sûreté à Artaxate avec Élismène qui, apprenant le péril qu'elle avait couru, ne put trop détester la perfidie d'Artane, ni trop admirer la bonté des Dieux qui l'avaient secourue si à propos.

Quoiqu'Artane eût manqué sa coupable entreprise, il ne laissa pas d'être [*173*] bien reçu de Demetrius : les âmes d'un même caractère font bientôt unies, surtout quand leurs intérêts le sont déjà. Ainsi le fils de l'usurpateur du trône d'Arménie n'eut pas beaucoup de peine à gagner la confiance de l'usurpateur de deux sceptres : ils se communiquèrent leurs plus secrètes pensées, et formèrent le dessein d'exécuter les complots les plus noirs. Artane, qui ne manquait pas d'amis que la prospérité de son père avait dévoués à son service, entreprit deux fois de faire assassiner Artaxe et d'enlever Élismène dans le Palais même de ce Prince ; mais toutes les deux fois la conspiration avorta, et Tigranes, jugeant que la personne du Roi d'Arménie et celle d'Élismène seraient plus en sûreté dans son camp, les pressa de s'y rendre, tant pour jouir de la vue de sa chère Isménie que pour donner au Roi son père la gloire de terminer cette guerre et de le remettre lui-même sur le trône donc on l'avait précipité.

Sinope était environné de toutes [*174*] parts ;  Demetrius n'avait plus que le chemin de la mer pour éviter de tomber au pouvoir de son ennemi. Il ne jugea pas à propos d'attendre ce que la fortune ordonnerait de son sort ; il déclara Artane son Lieutenant-Général et fit voile vers la Médie, avec promesse d'envoyer un grand secours aux assiégés.

Tigranes, ayant été averti du départ de Demetrius, voulut prévenir ce qu'il avait fait espérer à Artane et emporter la Ville de vive force avant l'arrivée des Mèdes. Mais Artane fit durer le siège plus longtemps que Tigranes ne se l'était perfuadé. Ce dernier, lassé de sa résistance, disposa enfin toutes choses pour un assaut général ; et Sinope aurait été soumise dans ce jour sans une aventure la plus surprenante dont on ait jamais ouï parler. Un vaisseau avait fait naufrage au pied de la tour de Sinope, la nuit qui avait précédé ce jour qui devait être fatal à Artane. Un inconnu avait été retiré des flots par le secours de quelques [*175*] soldats Mèdes et Cappadociens. Il s'était assez bien remis pendant le reste de cette fatale nuit pour être en état de témoigner sa reconnaissance à ceux qui lui avaient sauvé la vie ; et, les voyant courir aux armes pour défendre les remparts de la Place où ils étaient assiégés, il demanda les siennes et courut aux endroits les plus pressés. Sa valeur, qui n'en trouvait point d'égale dans tout le reste de l'univers, fit bientôt changer de face aux affaires : il précipita les plus hardis des assiégeants dans les fossés et il ne porta point de coup qui ne fût mortel. Tigranes, voyant approcher la nuit, jugea à propos de faire sonner la retraite. Et, quelque honte qu'il eut de céder à un seul homme, la confusion et l'épouvante étaient si grandes parmi les siens qu'il craignit qu'elles ne s'augmentassent dans l'horreur des ténèbres.

Artane ne put assez admirer le prodigieux changement que l'inconnu avait apporté dans Sinope ; il lui avait trop d'obligation pour ne le pas honorer [*176*] d'une visite. Il le trouva sur son lit où il faisait panser quelques légères blessures qu'il avait reçues dans un si long combat. Comme Artane était le plus artificieux de tous les hommes et qu'il ne voulait rien hasarder dans cette entrevue qui pût nuire à ses desseins, il laissa tous ceux qui l'accompagnaient à la porte et, ayant fait signe aux chirurgiens de se retirer après qu'ils eurent mis le premier appareil aux blessures de l'inconnu :

« Puis-je, dit-il en adressant la parole à ce guerrier, savoir à qui le Roi mon Maître doit un si puissant secours, afin que je l'en instruise et que je l'engage à proportionner les récompenses à la grandeur du service ?

– J'ai cru, lui répondit l'inconnu, que celui que j'ai reçu auprès de cette tour où j'allais perdre la vie m'engageait à exposer cette même vie pour ceux qui me l'ont rendue. Les Dieux ont trop bien secondé mon dessein pour me laisser douter que je n'aie combatu pour une bonne cause, et vous me ferez plaisir, [*177*] Seigneur, de me le confirmer pour me fortifier dans une résolution que la seule reconnaissance m'a fait prendre. »

Artane, jugeant de la scrupuleuse vertu de l'inconnu par cette réponse, n'eut garde de lui apprendre qu'il avait combattu pour les intérêts d'un usurpateur, et n'eut pas beaucoup de peine à inventer un mensonge auquel il s'était déjà préparé ;

« Vous avez combattu, lui dit-il, pour un Roi détrôné, contre un usurpateur. Vous êtes dans Sinope d'où le malheureux Tigranes a été chassé pour la seconde fois.

– Dieux secourables, s'écria l'inconnu, que je bénis vos secrets impénétrables ! Vous m'avez donc fait faire naufrage aux rivages de Cappadoce pour me donner lieu d'exposer ma vie pour celui qui me l'a donnée !

– Ciel ! s'écria à son tour Artane, frappé comme d'un coup de foudre : vous êtes fils de Tigranes, et les justes Dieux… »

Il s'arrêta à ces mots qui, dans un premier mouvement, allaient trahir sa dissimulation. Il jugea [*178*] qu'elle lui était plus nécessaire que jamais ; et, changeant tout d'un coup de discours avec beaucoup d'adresse :

«  Daignez m'instruire, Seigneur, lui dit-il, en affectant plus de respect qu'auparavant, par quel miracle les Dieux vous rendent à un père qui pleure tous les jours votre mort. »

L'inconnu, considérant Artane comme un des plus fidèles Sujets de son père, lui ouvrit son cœur et lui parla en ces termes :

« Je me suis toujours cru fils de Pisistrate, Chef de Pirates. Son nom ne vous doit pas être inconnu puisqu'il a été pendant plus de dix ans l'effroi de tout le Péloponèse. Je me rappelle comme un songe la mort du jeune Oronte avec qui j'avais été élevé sans qu'Arsame, notre commun gouverneur, mît aucune différence entre nous : Pisistrate avait même ordonné que nous nous appellassions du nom de frère pour cimenter entre lui et moi une amitié qui durât autant que notre vie. Mais la durée n'en [*179*] fut pas longue : la mort se hâta de nous séparer ; et j'avais vu Oronte si peu de temps qu'à peine me resta-t-il quelques légères idées de ses traits quand la raison vint m'éclairer.

Je ne vous entretiendrai pas de mon enfance. Je passe d'abord à ma quatorzième année : ce fut à peu près dans ce temps que Pisistrate porta la Guerre en Médie, pour se prévaloir de l'absence de Demetrius qui, ayant depuis dix ans usurpé le Royaume de Cappadoce, y avait établi son séjour pour prévenir toutes les tentatives que Tigranes aurait pu faire pour remonter sur le Trône de ses pères. »

L'inconnu raconta alors à Artane tout ce que Cléone avait dit à Tigranes touchant la mort de Pisistrate et la déclaration que ce prétendu Chef de Pirates avait faite en mourant, se faisant connaître pour légitime héritier de la Couronne de Médie. Il poursuivit sa narration jusqu'à l'enlèvement d'Élismène. Artane ne put apprendre sans frémir que l'inconnu était son rival. [*180*] Il se fit pourtant violence, et le laissa continuer sans l'interrompre. L'inconnu lui ayant dit le dessein qu'il avait formé de rendre cette Princesse au Roi de Corinthe son père et le malheur qu'il avait eu d'être attaqué par des vaisseaux Mèdes, qui l'avaient obligé de faire porter Élismène sur le rivage de Corinthe et d'échouer avec tout son équipage pour aller rejoindre cette Princesse dans un bois où elle devait l'attendre sous la garde du fidèle Arsame son gouverneur, il continua ainsi.

J'échouai heureusement, sans perdre aucun des Pirates dont Pisistrate m'avait laissé le commandement. Je leur ordonnai de m'attendre sur la rive, m'étant flatté d'obtenir leur liberté du Roi de Corinthe en reconnaissance de la restitution que je lui allais faire de sa fille unique. Il était déjà grand jour quand j'arrivai dans le bois que j'avais désigné à Arsame ; mais quelle fut ma douleur quand je le trouvai appuyé contre un arbre au [*181*] pied auquel il s'était traîné tout sanglant. Il était si faible qu'il eut beaucoup de peine à me raconter le funeste accident qui lui était arrivé.

Je voulus courir après les ravisseurs d'Élismène, mais l'impossibilité qu'il y avait de le faire, n'ayant plus de vaisseaux, me fit tourner tous mes soins du côté de mon fidèle gouverneur. Je le fis porter dans une cabane par deux de mes gens dont je m'étais fait suivre. Heureusement ses blessures ne se trouvèrent pas dangereuses et il se vit en état de monter à cheval dans peu de jours. Je lui communiquai un dessein que j'avais formé, qui était d'aller instruire le Roi de Corinthe du sort d'Élismène et de lui demander des vaisseaux pour courir après ses ravisseurs. Arsame me représenta le danger visible où je m'exposais en me livrant à un Roi qui avoir fait de sévères lois contre tous les Pirates ; je sentis toute la force de ces raisons, mais mon désespoir ne me permit pas de suivre ses conseils. Je [*182] le pressai de me laisser aller seul pour ne le pas exposer lui-même au sort qu'il me faisait prévoir ; mais il aima mieux approuver mon dessein que de m'abandonner. Nous prîmes notre route vers Corihthe et nous fûmes présentés à Athamas comme il sortait du temple de Neptune et dans le moment même qu'il venait de jurer à ce Dieu de lui immoler le fils de Pisistrate, ne doutant point que ce ne fût lui qui avait enlevé sa fille. Je ne me fus pas plutôt nommé que le Roi, se tournant vers Étéocle : « Neptune, lui dit-il, accepte mon sacrifice puisqu'il est si prompt à remettre la victime entre mes mains. » À ces mots, il ordonna qu'on se saisît d'Arsame et de moi, sans en vouloir entendre davantage. Ses ordres furent exécutés : je fus enfermé dans le Temple de Neptune, où Étéocle disposa tout pour le sacrifice qu'Athamas avait promis à ce Dieu. Arsame fut plus touché de mon péril que du sien ; Étéocle même ne put me regarder sans émotion, [*183*] et il m'a depuis avoué qu'il n'avait jamais été si attendri qu'en ce moment. Pour moi, ayant appris que le serment d'Athamas me regardait seul, je ne songeai qu'à sauver Arsame, dont on m'avait séparé. Je fis prier le Grand-Prêtre de me venir trouver ; je lui montrai tant de tendresse pour mon gouverneur que je lui rappelai le souvenir du jeune Oronte, dont il avait espéré les mêmes sentiments. Il me déclara qu'il avait élevé ce Prince avant qu'il tombât au pouvoir de Pisistrate avec Tigranes son père. Je fus surpris d'apprendre que ce même Oronte avec qui j'avais été élevé fût fils d'un grand Roi ; je lui appris à mon tour que Pisistrate mon père était né pour régner, étant frère aîné de Demetrius Roi des Mèdes ; non que je crusse par là me délivrer, n'en étant pas moins ce fils de Pisistrate que le serment d'Athamas avait dévoué à une mort sanglante, mais seulement pour le rendre plus favorable à Arsame, dont la vie m'était plus chère que la mienne [*184*]. Ce que j'avais dit à Étéocle l'obligea d'interroger Arsame ; d'ailleurs il se resouvenait de l'avoir vu lorsque Tigranes tomba entre les mains des Pirates et, ne pouvant tout à fait renoncer aux douces espérances dont les astres l'avaient flatté au sujet du fils de Tigranes, il me quitta pour aller s'informer du sort de ce Prince, dont personne ne pouvait mieux l'instruire que celui que Pisistrate lui avait donné pour gouverneur.

Le Grand-Sacrificateur ne fut pas plutôt sorti de la Chambre qui me servait de prison qu'il alla visiter Arsame. Il l'examina quelque temps avant que de lui parler, et malgré la longueur de l'absence et le peu de séjour qu'il avait fait avec lui dans le vaisseau de Pisistrate,  il ne laissa pas de rappeler des traits que le temps n'avait pas encore tout à fait effacés.

« J'ai trop bonne opinion, lui dit-il, de votre sagesse pour croire que vous vouliez tromper un Ministre des [*185*] Dieux. Ainsi je viens à vous plein de confiance pour savoir si le fils de Pisistrate ne m'a point imposé pour se faire une origine plus glorieuse. 

– Il a trop de vertu, lui répondit Arsame, pour emprunter une gloire étrangere, et, s'il vous a dit que Pisistrate était frère de Demetrius Roi des Mèdes, il n'a rien avancé que je ne sois en état de confirmer. J'ai vu naître ce fils dans le Palais d'Ecbatane, d'une Princesse que la mort enleva à Pisistrate en donnant la vie à ce jeune Prince. »

Le Grand-Sacrificateur, s'apercevant qu'Arsame le regardait avec plus d'atention qu'il n'avait encore fait, en devina la cause :

« Mes traits ne vous sont pas inconnus, lui dit-il, et l'image confuse qui vous en reste tient vos esprits en suspens. Il est temps de vous éclaircir, poursuivit-il en lui tendant la main. Reconnaissez Étéocle, l'infortuné gouverneur du Prince que vous auriez achevé de former si la mort ne vous eût enlevé cette gloire.

– Qu'entends-je, s'écria [*186*] Arsame : Oronte était Prince ! Serais-je assez heureux… »

Il en allait dire davantage, s'il ne s'était souvenu d'un serment qui l'empêcha d'achever.

Ce discours interrompu redoublant la curiosité d'Étéocle : « Quel est ce bonheur, lui dit-il, dont vous parlez ? Au nom des Dieux qui nous écoutent, ne me déguisez rien. Le fils du Roi de Cappadoce serait-il encore vivant ?

– J'en ai déjà trop dit, répondit Arsame : un premier mouvement de joie m'a trahi. Oui, Oronte respire encore et je puis vous le rendre ; mais il faut sauver Sostrate : mon secret est à ce prix, et la mort présentée à mes yeux ne saurait me l'arracher, si vous ne me jurez que Sostrate ne mourra pas.

– Le serment du Roi rendrait le mien inutile, lui dit alors Étéocle. Il a dévoué le fils de Pisistrate au Dieu des flots.

– Je ne crains donc plus rien pour ses jours, répondit Arsame ; le fils de Pisistrate ne sera pas immolé à Neptune ; c'est une victime que les Dieux ont prise [*187*] depuis longtemps. Reconnaissez le véritable Oronte dans le faux Sostrate.

– Dites plutôt le véritable Antiochus dans le faux Oronte, repartit Étéocle, en l'interrompant avec un transport de joie au-dessus de tout ce qu'il avait jamais senti de plus vif. Tigranes vous avait caché son nom pour vous dérober sa naissance ; je fis passer ce Roi pour mon fils et Antiochus pour mon petit-fils, n'osant confier un si important secret à un Chef de Corsaires dont je ne connaissais ni la naissance, ni la vertu.

Pendant cette tendre conversation dont j'ignorais le succès, je me préparais à la mort et ne demandais aux Dieux que la vie d'Arsame ; et je crus mon dernier moment arrivé au bruit qu'on fit à la porte de ma prison. Mais quel fut mon étonnement quand je me sentis tendrement embrasser. Je crus d'abord que c'était mon cher Arsame qui venait me dire les derniers adieux ; je ne fus pas longtemps dans cette erreur : je me trouvai dans les [*188*] bras du Grand-Sacrificateur, qui ne put proférer que ces paroles : « Ô mon cher Antiochus ». Ce nom et la joie de celui qui le prononçait étaient un mystère impénétrable pour moi : Arsame, qui avait suivi Étéocle, me l'expliqua en peu de mots. Je répondis aux caresses de mon ancien gouverneur avec toute la reconnaissance qu'il attendait de moi. « Il faut que je m'arrache à vous, me dit Étéocle, pour aller instruire le Roi de tout ce qui s'est passé dans ce temple. » Il sortit en ce moment et nous laissa Arsame et moi dans une admiration qui nous ôta pour quelque temps l'usage de la parole.

Le sage Athamas apprit mon sort avec toute la sensibilité que son amitié pour Tigranes pouvait lui inspirer. Mais la crainte qu'il avait d'être parjure lui fit demander de plus grands éclaicissements : il manda Arsame, qui lui confirma tout ce qu'Étéocle lui avait déjà dit, par une lettre que Pisistrate lui avait écrite autrefois et qu'il avait soigneusement gardée ; elle était conçue en ces termes :

[*189*] « Votre présence ne m'a jamais été si nécessaire pour me consoler qu'au moment que vous m'avez anoncé la mort de mon cher Sostrate. J'ai reconnu votre sagesse ordinaire dans le soin que vous avez pris de n'en informer que moi. Ce secret m'importe beaucoup pour terminer heureusement mon expédition de Médie. Continuez si bien à vous taire que je puisse tromper tous les yeux, en faisant passer le jeune Oronte pour Sostrate : leur ressemblance facilitera notre dessein.Quelque répugnance que j'aie à faire ce mensonge, j'ai besoin de paraître aux yeux des Mèdes avec un successeur. Je crois Oronte Prince, mais, dans quelque rang qu'il soit né, il est plus digne de régner que Demetrius. PISISTRATE. »

Cette lettre ne laissa plus aucun scrupule au Roi : il vint lui-même briser mes fers. Je n'osais lui déclarer mon amour pour Élismène ; mais, ayant appris de lui qu'il me l'avait [*190*] destinée, je ne balançai plus à lui découvrir les tendres sentiments que j'avais pour elle. « Grands Dieux ! dit Athamas, que vos décrets sont impénétrables ! Mon songe est enfin justifié ; mais qui m'eût dit que ce même Sostrate que Neptune me présenta hier pour victime fût cet Antiochus qu'il m'avait autrefois présenté pour être l'époux de ma fille. » Après cette exclamation, Athamas m'apprit que Tigranes mon père avait couru après moi comme après le ravisseur d'Élismène. Je l'instruisis à mon tour de tout ce qui m'était arrivé et le conjurai de me donner quelques vaisseaux pour aller après les derniers ravisseurs de son aimable fille. Il approuva mon dessein : trois vaisseaux furent armés promptement ; Étéocle, qui voulait désormais s'attacher à mon sort, en commanda un, Arsane le second et je montai sur le troisième. Nous avons parcouru sans succès toutes les côtes de la Médie ; et, les vents nous ayant emportés [*191*] malgré nous sur celle de Cappadoce, la tempête a été si violente qu'elle nous a séparés et a fait briser mon vaisseau auprès de la tour de Sinope sans que je sache ce qu'Étéocle et Arsame sont devenus.

Pendant toute la narration d'Antiochus, Arsane fut cent fois tenté de se jeter sur lui et de le poignarder ; mais il surmonta l'impétuosité de sa colère pour rendre sa vengeance plus sûre. Il prit un visage ouvert et, continuant le mensonge qu'il avait déjà commencé, il lui dit que Tigranes était allé implorer l'assistance du Roi d'Arménie son allié, et qu'il ne s'agissait que de défendre Sinope autant de temps qu'il en fallait pour donner à ces deux Rois celui d'unir leurs forces contre le Roi des Mèdes qui était maître de toutes les autres Places de la Cappadoce. « Les Dieux y ont pourvu, continua-t-il, en nous envoyant un défenseur tel que vous. » À ces mots, il quitta le Prince pour aller donner quelques ordres dont il prétexta [*192*] son empressement.

Ce perfide sortit de l'appartement d'Antiochus agité de différentes pensées ; elles se réduisirent toutes à faire périr ce Prince qui, outre qu'il était fils du meurtrier de son père, était encore son rival, mais un rival d'autant plus digne de sa haine qu'il était aimé d'Élismène. Il voulut d'abord faire servir à sa vengeance les chirurgiens qui pansaient Antiochus, en les engageant à force de présents à verser du poison dans ses plaies ; mais il craignit avec raison que l'horreur de faire périr un homme qui venait de les défendre si vaillamment ne l'emportât sur leur avarice. Et enfin, après beaucoup d'irrésolutions, il s'arrêta à un dessein le plus barbare qu'un méchant tel que lui pût jamais enfanter ; et voici comment il s'y prit.

Il retourna dès le lendemain chez Antiochus :

« Je viens, Seigneur, lui dit-il, d'imaginer un projet digne d'un héros tel que vous ; et je ne doute point que les Dieux ne me l'aient inspiré. [*193*] Le camp de Demetrius qui nous assiège est rempli du bruit de votre valeur ; ce Prince même en est jaloux ; et je suis persuadé que, si vous vouliez lui faire proposer, en vous faisant connaître pour le fils de Tigranes, de vider vos différends par un combat singulier, il accepterait votre défi avec joie.

– Que vous m'en causez à moi-même, lui répondit Antiochus, par l'idée que vous me donnez ; ne différez donc pas l'exécution d'un projet si flatteur pour ma gloire ; je vous avouerai de tout et je n'attends que le consentement de l'usurpateur pour voler à la vengeance de mon père. »

Antiochus achevait ses mots quand on vint avertir Artane qu'on voyait paraître une flotte. Il interrompit brusquement celui qui lui annonçait cette nouvelle, de peur qu'il n'en dît plus qu'il n'en fallait pour ses perfides desseins ; et, ayant demandé pardon à Antiochus de le quiter si promptement, il sortit de sa chambre après avoir défendu à tous ceux qui servaient ce Prince de rien dire [*194*] qui pût l'éclaircir, sur peine de la vie.

Le secours que Demetrius envoyait à Sinope n'était pas considérable ; mais Artane prit soin de cacher cette circonstance, et fit répandre dans l'armée de Tigranes, qu'il était nombreux et que Demetrius l'avait amené lui-même. Après cette précaution, il jugea qu'il était temps d'envoyer défier Tigranes au nom de Demetrius ; le Roi de Cappadoce accepta le défi, et renvoya les Hérauts. Le perfide Artane, ayant appris le dessein de Tigranes, s'abandonna à la joe : il ne douta point qu'Antiochus n'ôtât la vie à son père, ou qu'ils ne la perdissent tous deux. Il ne laissa pas de prendre ses précautions contre Antiochus vainqueur : la plupart de ceux qui devaient l'accompagner dans cet affreux combat étaient dans les intérêts de ce traître et devaient l'assassiner avant qu'il rentrât dans Sinope. Il courut sur le champ à l'appartement d'Antiochus, que personne n'approchait, et le disposa à combattre son ennemi.

[*195*] Les choses étaient en cet état en Cappadoce, mais la fortune faisait sentir son inconstance en Médie. Demetrius y était généralement haï de ses Sujets : les violences qu'il exerçait sur eux n'avaient d'abord causé que des murmures ; mais le mauvais état de ses affaires en Cappadoce l'ayant obligé d'y envoyer tout ce qui lui restait de troupes et même la plus grande partie de sa garde, il se livra sans y penser au bras qui voudrait l'immoler. Il ne s'aperçut de sa faute que lorsqu'il ne fut plus temps d'y remédier. Ce ne fut plus un sourd murmure, mais une révolte formée et générale ; on l'assiégea dans son Palais, on l'y força, et ses Sujets vengèrent par un parricide celui qu'il avait cru commettre en la personne de son frère et l'usurpation du Trône de son gendre. Après cette sanglante tragédie, les Chefs des révoltés ne songèrent plus qu'à se mettre à couvert du châtiment qui était dû à leur crime : ils s'assemblèrent en tumulte et [*196*] délibérèrent entre eux d'offrir la Couronne de Médie à Tigranes, en lui transportant les droits d'Amestris. Ils résolurent de s'adresser au Roi d'Arménie et députèrent vers lui les principaux des Mèdes ; ils arrivèrent à Artaxate dans le temps qu'Artaxe était prêt d'en partir pour venir joindre Tigranes ; ils furent bien reçus de ce Roi, qui leur ordonna de le suivre en Cappadoce. Isménie, Élismène et les Princessess prisonnières furent de ce voyage, et ils arrivèrent tous au camp devant Sinope dans le temps que Tigranes en était parti pour aller combattre l'ennemi qui l'avait défié. Artaxe ne sut que penser du combat de Tigranes contre Demetrius, dont on avait annoncé la mort : il soupçonna les Ambassadeurs Mèdes d'infidélité, quoiqu'ils protestassent de leur innocence. Et il ordonnait déjà qu'on s'assurât de leurs personnes lorsqu'un Vieillard, qui demandait avec empressement à lui parler, lui fut présenté. Élismène n'eut pas plutôt jeté les [*197*] yeux sur lui qu'elle le reconnut pour le fidèle Arsame. Elle lui demanda des nouvelles de Sostrate ; il ne lui répondit d'abord que par des larmes et lui raconta ensuite en peu de mots comment il avait fait naufrage fur le rivage de Sinope. Élismène ressentit une si violente douleur à cette funeste nouvelle qu'elle serait tombée si Cléone, qui était auprès d'elle, ne l'eût soutenue. Mais Artaxe à qui on avait déjà parlé de la valeur surprenante de l'inconnu, qui seul avait empêché la prise de Sinope, se douta que Sostrate pouvait être ce même inconnu : il dit sa pensée à Arsame qui ne l'eut pas plus tôt entendue qu'il fit un grand cri :

«  Courons, Seigneur, dit-il à Artaxe ; empêchons, s'il en est encore temps, un affreux parricide : Sostrate est Antiochus, fils de Tigranes !

– Ah ! je reconnais Artane à ce trait », s'écria le Roi.

À ces mots, étant monté à cheval avec Arsame, ils coururent vers le lieu du combat. Ils trouvèrent ces illustres combattants aux mains, et l'inconnu [*198*] allait porter un coup mortel à Tigranes lorsqu'une voix puissante lui retint le bras : « Arrêtez, Antiochus, lui cria Arsame. Respectez les jours de Tigranes ! »

Au nom d'Antiochus et de Tigranes, les deux combattants restèrent immobiles et glacés d'horreur. Cette inaction donna le temps à Artaxe et à Arsame de s'approcher. Antiochus reconnut sans peine son fidèle gouverneur et, ne doutant plus que son prétendu adversaire ne fût son père, il se jeta à ses pieds pour lui demander pardon du crime que son erreur lui avait fait commettre. « Ô mon fils, lui répondit Tigranes en le relevant et en le prenant entre ses bras, qu'allais-je faire moi-même : je courais en aveugle au devant du coup fatal dont Apollon m'avait menacé.

Arsame ayant expliqué en peu de mots ce qu'il y avait de plus obscur dans une aventure si merveilleuse, Artaxe proposa à Tigranes d'aller au devant des Princesses dont on voyait déjà paraître les chariots. Antiochus [*199*] les accompagna avec Arsame, à qui il demanda des nouvelles d'Étéocle. Arsame redoubla sa joie en lui apprenant que, leurs vaisseaux s'étant brisés sur la même rive, ils avaient été secourus par des bergers, qui les avaient portés dans leurs cabanes où Étéocle achevait de se remettre. Mais quel fut le ravissement de ce jeune Prince quand il vit paraître sa cheère Élismène : il courut à elle avec une précipitation dont son amour était l'excuse ; les deux Rois furent les heureux témoins de ces transports et ne purent les condamner. Élismène déroba une partie des siens à leurs yeux, mais son cœur n'en avait jamais senti de plus vifs. Artane qui, du haut des remparts de Sinope, avait vu tout ce qui s'était passé dans ce combat dont il avait espéré une issue bien différente, se douta d'une partie de la vérité : il ne songea plus qu'à se jeter sur un vaisseau pour faire voile du côté de la Médie ; mais la nouvelle de la mort de Demetrius étant déjà [*200*] arrivée à Sinope produisit un si grand changement dans tous les esprits qu'il s'y fit une révolte générale. Les habitants et même les soldats coururent en foule sur le rivage dans le temps qu'il allait s'embarquer et, l'ayant percé de mille coups, ils envoyèrent sa tête à Tigranes et lui ouvrirent les portes de Sinope.

Ainsi tout fut calme dans un seul jour et Étéocle, étant venu jouir des embrassements de Tigranes et d'Antiochus, eut le plaisir de voir ses prédictions à demi justifiées ; elles le furent tout à fait dans la suite. Les Mèdes reconnurent Antiochus pour leur Roi comme héritier d'Amestris ; le mariage de ce jeune Prince avec l'aimable fille du Roi de Corinthe fut célébré dans Sinope après qu'on en eut obtenu le consentement du sage Athamas, et Antiochus vit réunir longtemps après les Couronnes d'Arménie, de Cappadoce, de Médie et de Corinthe sur sa tête.

FIN


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