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Charles Barbara

HÉLOÏSE


RÉSUMÉ :

Par ma fenêtre, je voyais une maison à deux étages, au rez-de-chaussée de laquelle il y avait la boutique d'une mercière.  Un dimanche, je vis, à une fenêtre du second, une jeune fille ou une jeune femme, brune et mélancolique. Les jours suivants, je reconnus sa mère dans une petite vieille contrefaite et son père dans un homme désoeuvré qui fumait la pipe ; un jeune homme, que je pris d'abord pour son mari ou son fiancé, se révéla être son frère.J'aurais pu me renseigner sur ces voisins en interrogeant mon hôtelière, mais je ne le fis pas, par crainte qu'elle en vînt à soupçonner que je voulais faire de la jeune femme ma maîtresse, alors qu'en fait je n'avais aucun projet sur elle.

Passant mon temps à l'épier, je constatai qu'elle passait le journée à son comptoir et une partie des nuits à travailler. Quand elle regardait dans ma direction, je ne voyais dans son regard que de l'indifférence, rarement de la sympathie.

Un dimanche, alors que je me promenais en barque avec un ami, nous avons croisé une autre barque dans laquelle je reconnus mon hôtelière, son mari, son enfant et, avec eux, ma jeune voisine. Pour la première fois je la voyais de près et je fus frappé par son air triste et souffrant. Je me dis qu'elle manquait sans doute d'affection entre une mère avare, un père apathique, un frère égoïste, et cette pensée accrut la sympathie que j'avais pour elle.

Certes ce n'était pas de l'amour ; toutefois je pensais qu'il serait bien heureux celui qui l'aurait pour épouse. Mais mon peu d'audace et la défiance que j'avais de moi-même m'empêchaient d'aller plus loin.

Peu à peu, je m'aperçus que la jeune mercière passait beaucoup plus de temps dans sa chambre et, quand elle se mettait à sa fenêtre, je vis que ses joues avaient pâli et que ses yeux étaient devenus plus brillants. Je pensais qu'elle était momentanément indisposée, et je songeais de plus en plus au mariage.

Bientôt je ne la vis plus, et je constatais la venue fréquente de médecins et de voisines inquiètes. Mais je refusais toujours de comprendre, dans ma certitude de la retrouver guérie et même embellie. Et je pensais de plus en plus fortement à en faire ma femme.

J'avais l'esprit tellement envahi par mon roman que je ne sus interpréter ce qui se passait lorsque la boutique resta fermée, lorsque je vis y entrer le médecin qui était habituellement requis pour constater le décès des pauvres, lorsqu'enfin toute une literie fut mise au soleil à sa fenêtre. Toutefois de funestes pressentiments me poussèrent à interroger mon hôtelière  qui me répondit : « La jeune fille est morte ! » Et, elle qui la connaissait depuis l'enfance, elle me révéla la raison de sa maladie : parce qu'elle était sans fortune, elle avait peur de vieillir sans trouver de mari ! C'est pour cette raison, et non à cause d'un excès de travail, qu'elle dépérissait.

En apprenant cela, je m'en voulus d'avoir fait d'elle l'héroïne d'un rêve que je n'eusse jamais osé réaliser. Certes je ne l'ai jamais vraiment aimée, mais j'aurais dû deviner le drame qu'elle vivait et la sauver de la mort. Désormais mes regrets les plus tendres ne cesseront pas de faire cortège autour de son ombre.

 


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