Charles Barbara
ANNE-MARIE
résumé
Le lieutenant Amédée de Villers avait épousé une amie d'enfance, puis, à la mort de son père, il avait démissionné de l'armée, où il était capitaine, pour vivre de ses rentes à Paris. Il aurait pu y être heureux avec sa femme, mais, après douze ans de mariage, il durent reconnaître qu'ils ne pouvaient pas avoir d'enfants.
Alors M. de Villers, qui jusque là ne quittait jamais sa femme, prit l'habitude de sortir seul, de dépenser de fortes sommes, prétextant qu'il passait ses soirées avec des camarades de régiment et qu'il perdait de l'argent au jeu.
En fait, chez un maître tailleur où il venait se faire faire quelques vêtements, il avait remarqué une pauvre orpheline, Elisabeth, employée dans la maison. Elle avait fini par lui avouer qu'elle était victime de mauvais traitements de la part de la femme, qui était en fait sa marraine, et convoitée par le tailleur, un homme cynique et grossier. Amédée de Villers, pour la tirer de cette situation, lui avait trouvé un logement et, sans lui dire qu'il était marié, il en avait fait sa maîtresse. Lorsqu'elle mit au monde une fille, avec sa complicité, il usa d'un stratagème.
Un soir, il fit en sorte que sa femme découvre, à l'entrée de leur appartement, un berceau dans lequel se trouvait le bébé, avec un billet : « Anne-Marie, née de père et mère inconnus ». Mme de Villers, très émue, décida de garder l'enfant. Mais il fallait immédiatement trouver une nourrice : Amédée fit semblant de partir en quête et, au bout d'une heure à peine, il revint avec Elisabeth, qu'il présenta comme une nourrice pour le bébé. Celle-ci raconta qu'elle était orpheline, qu'elle avait eu un enfant qui venait de mourir à l'âge de trois mois. Et aussitôt elle s'occupa d'Anne-Marie avec tout l'amour d'une mère.
Après avoir accompli les formalités les autorisant à garder l'enfant, M. et Mme de Villers ne vécurent plus que pour leur fille, dont Elisabeth s'occupa d'abord comme nourrice, puis, quand elle fut grande, comme gouvernante. Au comble du bonheur, ils louèrent un riche appartement et se firent de nombreux amis, qui ignoraient tous que leur fille, devenue très belle, était un enfant adopté.
Quand il fallu pourtant dire à Anne-Marie qu'elle n'était qu'une enfant adoptée, ce fut un drame pour elle. Lorqu'elle confiait à sa gouvernante sa douleur de ne pas connaître sa mère, Elisabeth brûlait de l'envie de lui révéler la vérité.
Vint le moment où Anne-Marie fut en âge de se marier. Après la mort de Mme de Villers, elle épousa Léopold de Prilleux et le jeune couple habita sous le même toit que M. de Villers, désormais âgé et malade, Elisabeth conservant le gouvernement de la maison. Bientôt Anne-Marie annonça qu'elle était enceinte, et Elisabeth en ressentit un immense bonheur. Alors elle ne put s'empêcher de révéler à Anne-Marie qu'elle était sa mère.
La réaction d'Anne-Marie fut brutale : elle demanda à sa mère de quitter immédiatement la maison.
Désespérée, Elisabeth ne put se résigner à vivre séparée de sa fille : elle fit une tentative pour aller chez elle ; elle se cacha plusieurs fois pour la voir quand elle sortait de chez elle. Mais, quand Anne-Marie le sut, elle lui envoya des billets de reproches très durs, dans lesquels elle parlait même de sa haine pour elle. Alors Elisabeth songea au suicide en se jetant dans la Seine ou en se pendant, comme Nerval, rue de la Lanterne.
Finalement elle réussit à apercevoir sa petite-fille chaque jour quand sa nourrice allait la promener aux Tuileries ; elle entra même en familiarité avec cette nourrice qui lui permit de prendre dans ses bras la petite Isabelle. Mais, quand Anne-Marie l'apprit, elle interdit à la nourrice de parler à cette femme. Alors Elisabeth ne connut plus que le désespoir.
Quand elle sentit qu'elle allait mourir de chagrin, elle demanda à une voisine d'aller prévenir Anne-Marie. Celle-ci se précipita chez Elisabeth et, en la voyant mourante, elle lui demanda de lui pardonner. Elle lui expliqua qu'elle avait eu honte de n'être que la fille de sa gouvernante et qu'elle s'était séparée d'elle pour que cela ne se sache pas dans le monde qu'elle fréquentait et surtout pour que son mari ne l'apprenne pas. Elisabeth comprit et pardonna.
L'année suivante, le jour des Morts, Anne-Marie et son époux allèrent sur la tombe d'Elisabeth. M. de Prilleux s'étonna d'y voir une couronne portant ces mots « Mère regrettée ». Anne-Marie lui répondit, embarrassée, qu'effectivement elle croyait savoir qu'Elisabeth avait eu une fille. Heureusement il n'insista pas pour en savoir plus sur cette histoire, et Mme de Prilleux négligea de la lui raconter.