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LE DÉCOR DANS LES HISTOIRES ET LES ANNALES DE TACITE.
DU STÉRÉOTYPE À L’INTENTION SIGNIFIANTE


 

     
Introduction    
I. Les éléments du décor
  1. De cinq à un élément
    a) Cinq éléments descriptifs
    b) Quatre éléments descriptifs
    c) Trois éléments descriptifs
    d) Deux éléments descriptifs
    e) Un élément descriptif
  2. La tendance au stéréotype
    a) Cas général
    b) Le cas des villes et des places-fortes
     
II. Les caractéristiques du décor
  1. Le décor flou
    a) De rares exceptions
    b) Le flou dans les descriptions à caractère linéraire
    c) Le flou dans les descriptions à caractère circulaire
  2. Le décor n'est pas le cadre de l'action
    a) L'exemple de César
    b) Le décor n'est pas utilisé en tant que tel dans le récit
    c) Le décor n'est décrit qu'au besoin: l'exemple de Bédriac
    d) Le décor n'est pas décrit du tout
     
III. Le rôle du décor
  1. L'intention expressive
  2. L'intention symbolique
  3. L'intention psychologique
     
IV. Du décor à l'espace
  1. Les variations du décor
  2- Du décor à l'espace
Conclusion
Bibliographie
Notes



 

Introduction

De longs cortèges défilent [1], des flottes déploient leurs voiles [2], d’étranges entretiens se déroulent aux extrémités de l’univers [3] ; les légions franchissent des montagnes [4], détruisent des villes très anciennes [5] ou s’enfoncent dans des forêts sans fin [6] ; dans le fond des palais, au cœur de vastes salles, dans des chambres étroites, dans les jardins à l’aube [7], sur le Forum en plein jour [8], dans des villas la nuit [9], dans les rues de Rome, sur les places [10], les ports ou les rivages [11] du monde entier se jouent d’atroces drames et se prennent les décisions fondamentales. De la Germanie brumeuse à l’Egypte et de la Bretagne aux terres daces, les plus grands fleuves [12], la plupart des mers [13], les villes et les monuments les plus célèbres [14] et les contrées les plus reculées [15] servent de décor à ces actions presque fabuleuses.

Une telle évocation donnerait assurément une idée fausse des Histoires et des Annales. Ces grandes scènes en effet sont dans Tacite, mais sans leur faste et sans leur décor ; elles ont été racontées, mais n’ont pas été décrites ; l’auteur en a retenu le sens et la portée, mais sans les peindre et sans les donner à voir ; il cite, mais ne détaille pas.

Si les fleuves [16] et les mers sont, par exemple, presque toujours nommés, le cours des rivières, leur rapidité, leur largeur même ou leur profondeur [17] ne sont jamais notées. A quelques exceptions près [18], les villes, pourtant plus caractéristiques et certainement plus faciles à décrire, ne sont pas davantage présentées ; leurs dimensions, leur importance ou leur situation ne sont exprimées, quand elles le sont, qu’en termes vagues [19] et l’on ne connaît souvent que l’existence de leurs murailles [20]. Il en va de même des monuments [21], des petites cités, des montagnes, des forêts et des plaines [22] où les combats se déroulent. Tout se passe comme si les noms devaient seuls suffire à faire naître un ensemble d’images précises, capables de situer les hommes et leurs actes dans l’espace réel qui les contient et les influence ; tout est presque toujours supposé connu [23].

Rejetant tout développement visuel ou coloré, tout élément extraordinaire et généralement tout pittoresque, Tacite n’a presque jamais tenté de poser ne serait-ce que ces décors qui, sur les bas-reliefs, apparaissent autour des personnages et semblent plus petits qu’eux [24]. Dans le plupart des cas, la description se limite à une rapide présentation, voire à une pure évocation des lieux dans lesquels l’action se déroule ; les événements n’y sont en général localisés que dans les limites, et le plus souvent même en deçà des limites, qu’imposent les nécessités narratives ; il n’y a jamais de détails inutiles, mais il manque aussi les détails qui seraient utiles ; les acteurs de l’histoire se déplacent alors devant un décor très épuré, qui se réduit généralement à n’être qu’une simple toile de fond, sur laquelle on aurait sommairement dessiné, sans même en esquisser les détails, trois ou quatre éléments presque toujours semblables.

Stéréotypés et rudimentaires, flous et souvent presque inutiles au récit, ces pauvres décors nous intéresseront pourtant malgré leurs défauts. Nous en montrerons d’abord les faiblesses, pour mieux souligner ensuite à quel point elles sont révélatrices d’une méthode et d’un art et tenter d’ouvrir ainsi la voie à ce qui pourrait être une redécouverte de l’espace tacitéen.


I. Les éléments du décor

Pour poser le décor nécessaire à l’action qu’il raconte, Tacite ne retient en effet que quelques éléments descriptifs, dont le nombre pour un même tableau ne dépasse jamais cinq et descend fréquemment jusqu’à l’unité.

1. De cinq à un élément

Nous avons rassemblé, dans les relevés qui suivent, la plupart des cas typiques sans prétendre les citer tous. On remarquera qu’il s’agit presque toujours d’espaces extérieurs et spécialement de champs de bataille ; c’est que les espaces intérieurs, c’est-à-dire clos, peuvent se définir en quelque sorte par eux-mêmes et ne justifient jamais pour Tacite une description particulière [25].

a) Cinq éléments descriptifs (Tableau 1)

L’espace ne s’organise autour de cinq éléments qu’une seule fois dans les Histoires et les Annales, au moment de ce que l’on peut appeler la seconde bataille d’Idistavise (A., 2,19,2). Le terrain choisi par les Germains nous est en effet décrit comme fermé par un fleuve [26] et par des forêts qu’entourent un profond marais, sauf à l’endroit où s’élève une chaussée, qui sépare le territoire des Angrivariens de celui des Chérusques ; la plaine, le fleuve, les forêts, le marais et la chaussée sont donc les cinq et uniques éléments sur lesquels se fonde la description du lieu d’affrontement et de l’espace qu’il représente.

b) Quatre éléments descriptifs (Tableau 1)

Les présentations à partir de quatre éléments sont un peu plus fréquentes ; nous avons pu en trouver trois exemples, dont le premier est exceptionnel par sa longueur et sa relative précision, puisqu’il s’agit du site de Jérusalem (H., 5,11,6-12,2). Bien que la description de l’antique cité juive apparaisse comme la plus complète et la plus détaillée de toute l’œuvre, elle se ramène pourtant à quatre parties essentielles : la première enceinte (11,7-8), la seconde avec le palais (11,9), la tour Antonia (11,9) et le temple (12,1-2) ; sur ces quatre éléments, deux seulement, le premier et le quatrième, sont véritablement présentés, les deux autres n’étant que mentionnés sans commentaire et sans précisions particulières, à l’exception d’une remarque relative à la position dominante de la tour Antonia.

Le second exemple, celui des Longs Ponts (A., 1,63,4 et 64,4), est lui aussi exceptionnel, puisque l’espace y est, pour ainsi dire, présenté en deux fois : une étroite chaussée, de vastes marais et des hauteurs boisées d’abord (A., 1,63,4), ensuite, une plaine étroite, dans laquelle on peut tendre une mince ligne de bataille et se battre à pied sec (A., 1,64,4).

Le troisième et dernier exemple est celui de la plaine même d’Idistavise (A., 2,16,1) qu’entourent la Weser et des collines et que ferment des bois, schéma presque banal, que nous retrouverons fréquemment par la suite sous une forme de plus en plus simplifiée.

c) Trois éléments descriptifs (Tableau 1)

Tableau1

Commode et relativement précise encore, la présentation des lieux à trois éléments est beaucoup plus courante. On trouve ainsi, pour décrire le site, proche d’Antipolis, où se heurtent Othoniens et Vitelliens, des hauteurs, une plaine et la mer (H., 2,14,4). La cité de Rigodulum est défendue par des montagnes, la Moselle et des tranchées fortifiées (H., 4,71,6). Arminius et Germanicus se heurtent une dernière fois dans une plaine, des bois et des marais (A., 1,63,1- 2). On voit à Celenderis un fort, une hauteur et la mer (A., 2,80,3), à Brundisium, la mer, un port et des remparts (A., 3,1,3). Le site d’Auzea comprend un fort, des gourbis, des ravins (A., 4,25,1). La position de Sabinus devant les Thraces comporte un camp retranché, une montagne étroite, un fort (A., 4,47,2), puis une plaine, un fort et des hauteurs (A., 4,49,1), celle de Caratacus devant Ostorius des montagnes escarpées, des rochers, un fleuve (A., 12,33), celle de Suetonius devant Boudicca une gorge étroite, des bois, une plaine (A., 14,34,1). Sur l’Euphrate avec Corbulon on distingue un pont, des plaines et des collines (A., 15,9)27.

Ces présentations à trois éléments presque toujours semblables peuvent suffire à faire comprendre globalement l’action ; elles donnent en effet une image sommaire des lieux et ne cherchent pas à décrire vraiment l’espace dans lequel des personnages évoluent. Il sera donc tout aussi commode et guère plus imprécis de n’indiquer que deux éléments.

d) Deux éléments descriptifs (Tableau 1)

Près de Veteta Castra (H., 5,14,3), de larges plaines et une digue ; à Séleucie, un fleuve et des remparts (A., 11,8,3) ; au lac Fucin, le lac même et ce qui l’entoure (A., 12,56,2-3) ; pour accueillir Tiridate, un terrain en pente et une plaine (A., 13,38,3).

La présentation devenant dans ce cas très sommaire, il sera plus simple encore de ne donner qu’un seul et unique élément, qui permettra d’indiquer seulement les lieux sans plus chercher du tout à les décrire. Les exemples alors abondent et il serait même inutile de les citer tous [28].

e) Un élément descriptif

Nous trouverons, par exemple, des basiliques et des temples (H., 1,40,1), des chaussées étroites (H., 4,66,3), une pointe de rivage (A., 1,53,5), la Weser (A., 2,9,1), des forts (A., 4,46,2), deux collines (A., 6,41,1), un fleuve (A., 12,14,1), une levée de terre (A., 12,31,3), des fortifications (A., 13,39,2), des remparts (A., 13,41,1-2 ; 14,25,1), un rivage (A., 14,30,1), l’Euphrate (A., 15,16,4) etc.

2. La tendance au stéréotype

Toujours très peu nombreux dans une même scène, les éléments descriptifs se répètent aussi d’une scène à l’autre et sont en fait peu diversifiés. Les décors que dresse Tacite ne sont donc pas seulement rudimentaires, ils sont en outre stéréotypés [29].

a) Cas général

C’est ainsi que les 19 sites du tableau 1 comportent, mis ensemble, 58 éléments de description [30], qui, lorsqu’on les regroupe, se ramènent en fait à 17. Sur ces 17 éléments, 10 figurent au moins deux fois [31] et 7 une seule fois dont 3 [32] correspondent évidemment aux 3 descriptions vraiment originales ou pittoresques, celle de Jérusalem, celle du site dans lequel s’est enfermé Tacfarinas et celle du lac sur lequel Claude fait se battre des gladiateurs.

On peut voir d’autre part que sur 19 sites, 10 comportent des hauteurs ou des collines, 10 des plaines, 6 des fleuves, 5 des forêts et que la présence de 2 au moins de ces 4 éléments fondamentaux est attestée dans 11 des 19 sites recensés.

Le fait qu’il s’agisse, dans 11 cas sur 19, de champs de bataille [33] peut paraître en grande partie responsable de ces similitudes ; il s’agit en effet presque toujours de tactiques semblables et les chefs choisissent des terrains qui se ressemblent. A l’exception des Germains qui préfèrent souvent les marais et les étendues submersibles, dans lesquels ils sont plus aptes à se battre contre les Romains, tous les autres utilisent des hauteurs pour se retrancher, des plaines pour se déployer ou des forêts pour se cacher. Il suffit alors que l’auteur mentionne l’existence de la colline, la présence des bois ou la nature de la plaine, pour que le terrain soit en fait apparemment décrit.

Il faut cependant remarquer aussi que sur les 11 sites comportant au moins 2 éléments fondamentaux, 5 se placent en Germanie, 2 en Bretagne, 1 en Thrace, 1 en Gaule, 1 en Asie et 1 en Arménie. Seules les plaines marécageuses semblent être, avec leurs digues et leurs chaussées, un élément local propre à la Germanie [34]. A cette exception près, la description comporte toujours tant d’éléments semblables que les sites ne se distinguent plus les uns des autres, quel que soit le lieu de l’action.

C’est que ces éléments qui se répètent sont aussi, rappelons-le, très peu nombreux pour chaque site. La description devient alors schématique et succincte ; n’entrant pas dans les détails, elle manque naturellement de précision, allant toujours à l’essentiel, elle fait disparaître les caractères proprement individuels ; tous les sites semblent alors tirés de moules identiques.

b) Le cas des villes et des places-fortes (Tableau 2)

Tableau 2

Cette tendance au stéréotype est particulièrement sensible dans le cas des villes qui ont chacune leur caractère propre et devraient, par conséquent, se distinguer plus nettement les unes des autres.

Or, comme les fleuves ou les mers, les villes ne sont le plus souvent définies que par leurs noms ; dans quelques cas cependant, l’auteur indique la présence de leurs murailles qu’il mentionne généralement sans autre forme de commentaire, à moins qu’un détail particulier ne vienne donner un sens à l’action.

C’est ainsi, par exemple, que sur les 15 villes que l’auteur ne se borne pas à nommer, nous trouverons 11 fois la mention des remparts et que cette mention sera le seule dans 4 cas sur 11 [35]. La nature du site ne sera de même indiquée que 4 fois sur 15 [36], et d’autres détails concrets ne seront ajoutés que dans deux cas exceptionnels, celui de Jérusalem et celui de Crémone, dont la découverte s’étend avec l’action sur 4 paragraphes. Dans deux cas enfin ne nous sont proposées que des indications abstraites [37].

Si l’auteur ajoute quelquefois un commentaire presque toujours très bref, l’intention n’en est jamais vraiment descriptive. Vicus Aquensis est présentée comme une ville en extension grâce aux qualités de son site et aux vertus de ses eaux, mais Séleucie [38], avec ses remparts, est seulement qualifiée de puissante ou de forte, Trébizonde et Ninive ne sont définies que par leur histoire. Il s’agit donc de brèves explications, plutôt que de véritables descriptions.

Ainsi, quand Tacite ajoute, pour la décrire, quelque chose au nom de la ville, c’est d’abord pour parler de ses remparts ou de sa force militaire ; encore ne s’agit-il presque toujours que de renseignements assez vagues. Nous saurons seulement, que les murailles d’Aventicum sont « croulantes de vétusté » [39], que les remparts de Crémone sont élevés, ses tours en pierres et ses portes bardées de fer, que les murs d’Uspé sont faits de sable et de bois. Aucune indication plus précise ne nous étant fournie, il n’est jamais possible de se faire une idée même approximative de la dimension des fortifications [40], de leur forme, de leur hauteur, en un mot de leur réelle importance. L’essentiel est en fait abandonné à l’imagination du lecteur ; les villes ne sont pas décrites, elles n’occupent aucun volume et aucun espace définissable ; à peine dressent-elles parfois dans le fond du décor, des murailles toujours semblables [41].

Le cas de Crémone, dont la description est pourtant riche, est, à cet égard, très caractéristique. Les renseignements que l’on peut tirer du texte de Tacite sont en effet extrêmement restreints ; outre l’existence du retranchement construit par les Vitelliens et l’indication concise relative aux murailles (H., 3,26,1-2 et 30,1), nous trouverons seulement que la ville s’était étendue au-delà de ses murs (30,2-3), que la 13e légion y avait construit un amphithéâtre (32,4), qu’il y avait des thermes (32,7), des rues, des maisons, des temples (33) dont celui de Mefitis, dressé extra muros (33,7). Ce temple et les murailles mis à part, nous n’apprenons donc rien que nous ne puissions naturellement déduire de l’importance même de la ville [42] ; aucune indication ne nous est en outre fournie sur l’étendue du retranchement, la distance qui le sépare des murs (29,5), le nombre et la position, par rapport au camp, des maisons situées à l’extérieur ou des villae dans la campagne environnante (30,2-3). En fait, la plupart des données figurant dans l’ensemble du passage ne caractérisent pas vraiment Crémone et la description du siège et de l’incendie pourrait aussi bien convenir à n’importe quelle autre ville, où qu’elle soit située dans l’empire. Il s’agit pourtant d’une présentation complexe et longue, dont la précision géographique a même pu être soulignée [43].

Dans la majorité des cas, la descripion tacitéenne se limite donc à la mise en place de quelques traits généraux, dans lesquels figurent peu d’éléments spécifiques. Les choses deviennent alors tellement semblables qu’il n’apparaît plus, d’une ville à l’autre ou d’un paysage à l’autre, aucune différence notable et qu’une lecture isolée du contexte rendrait en général impossible, non pas seulement l’identification des lieux, mais encore celle des régions dans lesquelles ils se trouvent.


II. Les caractéristiques du décor

On pourrait cependant espérer que le décor tacitéen gagne en clarté ce qu’il perd en profusion. Encore faudrait-il que, si peu nombreux soient-ils, les éléments qui le composent s’agencent pour construire un ensemble véritable ment cohérent ; ce n’est malheureusement pas le cas. Si l’ordre dans lequel ils apparaissent au lecteur répond le plus souvent à une intention précise, cette intention n’est pas en effet véritablement descriptive. Du coup, quand on l’examine dans le détail, le décor demeure flou.

1. Le décor flou

a) De rares exceptions

Quelques cas très rares font cependant exception à cette règle générale.

Sur le site d’Antipolis (H., 2,14,4) le déroulement de la ligne othonienne est, par exemple, tout à fait clair ; partant d’un point précis (in collis mari propinquos), aboutissant à une limite nette (et minaci fronte praetenderetur), elle s’étend des collines à la mer, sur laquelle les bateaux la prolongent encore et comprend aussi l’espace intermédiaire de la plaine littorale (quantum inter collis ac litus aequi loci) ; la netteté et la logique de la mise en ordre la rendent même très évocatrice d’un certain type de paysage et de la puissance des armées othoniennes [44]. A Brundisium (A., 3,1,3) encore, le recul progressif de l’observateur donne nettement à voir, à partir des bateaux qu’on découvre au large (ex alto visa classis), le port et ce qui touche à la mer (portus et proxima mari), puis les remparts, les toits et tout ce qui est un peu élevé (moenia et tecta, quaque longissime prospectari poterat). La ligne de crête occupée par Sabinus (A., 4,47,2) contre les Thraces s’organise elle aussi d’une manière assez satisfaisante ; comme dans le cas des environs d’Antipolis, c’est à partir d’un point solide (castris in loco communitis) et jusqu’à un autre point fort (usque ad proximum castellum), que s’étend une montagne étroite et continue (montem ... angustum et aequali dorso continuum), dont le sommet évoque une forme de paysage en même temps qu’une sûre position militaire. Etant donnée son extrême simplicité, le terrain, moitié en pente et moitié en plaine, sur lequel Corbulon attend le roi des Parthes (A., 13,38,3), n’offre évidemment pas de difficultés particulières.

Dans ces quatre exemples, les éléments fondamentaux de l’espace peuvent être aisément mis en place. En supposant que la description suive un plan tracé, on trouverait, dans le premier cas, à gauche [45], les hauteurs sur lesquelles l’infanterie de marine est installée, au centre, la plaine littorale, avec les prétoriens, à droite, la mer et les bateaux ; dans le second cas, manifestement décrit de l’arrière, on placerait au fond la mer, au centre le port, au premier plan la cité ; dans le troisième cas, on pourrait voir à gauche le camp retranché, au centre la montagne en longueur, à droite le castellum ; dans le quatrième, à gauche la pente douce, et la plaine à droite. Dans ces deux derniers exemples cependant, la description perd déjà de sa netteté; rien ne nous permet en effet de dire que le camp fortifié par Sabinus est vraiment à l’une des extrémités de la crête ; rien ne nous permet davantage d’affirmer que la pente est, dans le cas de Corbulon, plutôt à gauche qu’à droite. Ces détails n’ont pas ici grande importance ; ailleurs, nous le verrons, les conséquences de l’incertitude seront autrement plus graves.

Il reste cependant que, même si nous pouvons situer les éléments essentiels avec une relative certitude, d’autres renseignements, tels que la distance entre les points, la surface, les hauteurs et les dimensions, nous font absolument défaut [46]. Il s’agit d’autre part d’une organisation vraiment élémentaire, celle de la ligne qui va d’un lieu à l’autre, ou celle de deux ensembles qui s’opposent l’un à l’autre ; dans de telles descriptions les points s’alignent peut-être pratique ment d’eux-mêmes et sans qu’on sache bien quelle était l’intention réelle de l’auteur.

b) Le flou dans les descriptions à caractère linéaire

Les choses changent dès que la ligne droite cesse d’être absolument évidente. La montagne de Caratacus (A., 12,33), par exemple, ne s’organise vraiment qu’en deux temps. Dans la première description que l’auteur nous en donne et qui, du point du vue qui nous intéresse, est la seule véritable, l’emploi de hinc et la phrase si qua clementer accedi poterant ne déterminent en fait qu’un espace extrêmement flou, dans lequel il est malaisé de situer in modum valli saxa praestruit, dont le rôle est pourtant primordial ; il est bien difficile aussi de préciser la position du fleuve en fonction du reste et de comprendre la place des bataillons (catervae) que Caratacus a disposé devant les retranchements (pro munimentis).

Pour se faire une idée plus claire de l’ensemble, il est nécessaire en fait de regarder aussi le terrain, tel qu’il apparaît quand Ostorius le prend d’assaut (A., 12,35,2). On voit alors, en bas, le fleuve que les Romains franchissent aisément, puis le rempart (aggerem), correspondant au vallum fait de rochers entassés (rudes et informes saxorum compages), en haut enfin, les pentes escarpées (in juga montium) de la description précédente. Les éléments du décor s’ordonnent donc et paraissent nettement étagés ; à la présentation précédente, qui tendait à mettre toujours quelque chose en avant [47], sans qu’on sache exactement ce qui était derrière, succède maintenant, dans l’action, une autre mise en place, qui tend à disposer plus clairement les choses les unes au-dessus des autres, parce qu’elle suit l’assaut en ligne droite des troupes romaines; on comprend alors que le hinc indiquait un point de départ situé en haut et que la description se faisait de haut en bas.

Deux paragraphes ont été cependant nécessaires pour qu’apparaisse un schéma simple et relativement clair. Il reste, comme toujours, que nous ne savons rien, ni du cours du fleuve, ni de l’étendue générale du site. Pourquoi, par exemple, ne pouvait-on le prendre à revers, si le fleuve ne l’entourait pas entièrement?

Encore concevable ici, mais au prix d’un effort, la mise en place des éléments du décor est quasiment irréalisable, lorsque la ligne droite devient pour ainsi dire idéale. La plaine inondée, qui sépare Cérialis de Civilis (H., 5,14,3) est, par sa nature même, un espace indéterminé ; il ne s’agit d’ailleurs plus de plaine, mais plutôt d’étendue et l’emploi de l’abstrait (latitudo camporum) paraît ici bien caractéristique. Même si l’on peut placer d’un côté le Romain, et le Germain de l’autre, sans savoir cependant lequel est plutôt à droite et lequel plutôt à gauche, il est impossible, dans cet espace volontairement uniforme, de situer la digue oblique à un fleuve dont nous ne savons nullement où il se trouve. Le caractère vague et sans contours de ces plaines inondables, faites de fange et de boue, dans lesquelles se livre un combat qui ne ressemble à aucun autre, n’explique pas à lui seul, nous semble-t-il, une imprécision dont nous trouverons encore beaucoup d’autres exemples.

Le même sentiment d’abstraction, certainement très volontaire ici, vu la brièveté de l’exemple, apparaît encore dans la description de Séleucie (A., 11,8,3). Dans le cas précédent, l’auteur insistait manifestement sur l’étendue et sur la largeur du terrain qui séparait les deux chefs ; c’est maintenant sur l’idée de force, où plutôt sur l’idée de renforcement que l’on insiste ; les termes munimentis, muroque et même l’abstrait commeatibus, pleins en même temps d’une sorte d’harmonie répétitive, et surtout l’emploi comme complément à munimentis du génitif objecti amnis, insistent en effet sur la triple défense de la ville et sur la difficulté qu’il y aurait à la prendre, mais ne tracent qu’un schéma général qui se limite à la présence effective d’un fleuve et d’un mur, sans qu’on puisse dire, une fois de plus, comment les choses sont exactement disposées, ni quelle est l’importance réelle de l’ensemble [48].

Encore avons-nous ici affaire à des exemples simples, dans lesquels interviennent peu de composants et dont on remarquera que leur disposition, toujours plus ou moins linéaire, permet de les situer dans l’espace. La description peut cependant s’organiser aussi, non plus en ligne droite, mais à partir d’un noyau central et de manière pratiquement circulaire ; dans toutes les descriptions de ce genre, on relèvera des prépositions, des verbes, des adjectifs ou des participes évoquant l’idée de clôture et soulignant le fait que l’endroit essentiel, quand il n’est pas désigné comme étant le centre même de l’espace [49], se trouve au moins entouré par quelque chose. Si la description comporte un nombre suffisant d’éléments, c’est presque toujours à partir du centre qu’elle est conduite ; elle progresse alors de l’essentiel vers ce qui l’entoure pour la protéger ou l’encercler et parfois pour la menacer [50].

c) Le flou dans les descriptions à caractère circulaire

Très représentative de ce type de structure, la description du lac Fucin (A., 12,56,2-3) apparaît comme très claire. Partant du cercle que délimitent les radeaux liés ensemble (cincto ratibus ambitu), revenant ensuite au reste du lac (reliqua lacus), elle aboutit finalement aux rives et aux collines (ripas et colles), définies comme les gradins d’un théâtre (montium edita in modum theatri), dont le lac même formerait à la fois la scène et l’orchestra [51].

Le paysage est ici saisi dans son ensemble et pris comme un tout, dont la structure s’organise concentriquement et verticalement ; commençant à la surface des eaux, l’évocation se termine au sommet des montagnes et l’on comprend, sans difficultés majeures, la position des éléments les uns par rapport aux autres ; il s’agit en fait d’une disposition très simple, puisque le second élément se trouve à la fois au-dessus et autour du premier et que les points successifs des deux cercles sont tous semblables.

Les sites de places-fortes, qui offrent des structures circulaires fréquemment incomplètes, sont beaucoup moins nets et leur visualisation devient plus difficile. A Rigodulum, à Celenderis, à Auzea, les termes employés (saeptum, cinguntur, claudebatur) montrent bien l’existence d’un point central, mais la position des éléments extérieurs est peu précise.

A Rigodulum (H., 4,71,6) et à Celenderis (A., 2,80,3), on peut supposer que l’élément nommé le premier se trouverait à gauche sur un plan, l’autre à droite ; rien ne permet cependant de le prouver, comme rien ne permet de déterminer, dans le cas de Rigodulum, quelle partie exacte de la ville était prolongée par la Moselle et quelle partie par la montagne, et, dans le cas de Celenderis, l’importance réelle de l’espace avancé dans la mer.

S’agissant d’Auzea (A., 4,25,1), l’incertitude est encore plus grande ; il est difficile en effet de penser que tout le fortin était entouré de ravins, puisque les Numides ont leurs chevaux et que la cavalerie romaine elle-même prend part à l’action ; on ne peut davantage estimer l’étendue de la surface comprise entre le fort et les ravins ; tout au plus peut-on penser qu’elle était assez grande, vu l’importance du combat qui s’y déroule et la présence de pâturages dans lesquels les chevaux numides ont été dispersés. Dans ces trois exemples, nous n’apprenons donc à peu près rien de précis ; les éléments du décor existent, mais il est pratiquement impossible de les mettre en place et d’en tirer profit.

Dans le cas du terrain que Suetonius choisit pour affronter la reine Boudicca (A., 14,34,1), même si l’idée que s’en fait Tacite est claire [52], la description qu’il en donne pose de nombreux problèmes, par suite de l’extrême densité du style. Il faut en effet penser que les mots locum et planitiem désignent le même endroit, fermé par des bois et comportant un étroit défilé. Avant d’y pénétrer, Suetonius s’est assuré que la plaine était libre [53] et qu’on ne risquait pas d’y tomber dans une embuscade (sine metu insidiarum) ; c’est donc une fois les troupes mises en place (34,2), qu’il aura la forêt derrière lui (a tergo) et l’ennemi devant (in fronte). Mais Tacite présente d’abord l’endroit choisi dans son ensemble, comme si les Romains s’y étaient déjà installés (deligitque locum artis faucibus et a tergo silva clausum), puis il exprime au passé (satis cognito) à la fois ce qui porte sur un avenir immédiat (nihil hostium nisi in fronte) [54] et ce qui est concommitant (et apertam planitiem esse); il est impossible en effet que la plaine soit ouverte et libre et qu’en même temps l’ennemi se trouve en face des Romains.

Ces premières difficultés résolues, le champ de bataille apparaît avec une certaine évidence, mais n’est plus constitué que par une plaine, fermée par un bois et dans laquelle on peut accéder en franchissant une gorge étroite ; on ne sait rien des dimensions de cette plaine, ni de son pourtour, ni de la manière dont Suetonius y est entré ; on peut cependant penser qu’il y pénètre justement par un de ces côtés dont Tacite ne dit rien ; franchissant lui-même le défilé, il devrait en effet passer juste devant l’ennemi et même lui tourner un instant le dos, ce qui paraît invraisemblable.

Un fois installées dans la plaine (34,2), les troupes romaines contrôleront l’entrée du défilé qu’elles utiliseront comme rempart (37,1 : angustias loci pro munimento retinens), de manière à ralentir l’arrivée des ennemis avant d’en subir le choc. Il s’agit donc d’un piège, dans lequel apparemment Boudicca s’est jetée tête baissée ; mais il faut, on le voit, quelque effort pour comprendre la manœuvre et se faire une idée du terrain sur lequel elle se déroule [55]. (Voir Schéma 1.)

Schéma 1

Le cas du premier combat d’Idistavise (A., 2,16,1) apparaît d’emblée très différent, puisque la plaine répond, avec son tracé circulaire, à un schéma relativement clair, sur lequel on pourrait reporter à gauche la Weser, désignée la première, à droite des collines, en haut les bois, et que le combat qui s’y déroule s’adapte dans l’ensemble à la disposition des lieux [56].

Les Germains, en effet, ont pris position dans la plaine et dans la forêt, à l’exception des Chérusques installés sur les collines. Quand les troupes romaines se présentent et que les Chérusques les attaquent [57], Germanicus dégage une partie de sa cavalerie, placée au centre de l’agmen (16,3), et lui ordonne de charger l’ennemi par le flanc, tandis que Stertinius, avec les autres escadrons, s’efforcera de le prendre à revers (17,1). Au même instant, sous l’impulsion donnée par le passage des aigles et sur l’ordre du chef, l’infanterie fait un véritable bond en avant vers le bois ; la victoire de la cavalerie sur les Chérusques (17,3-4) les disperse dans la plaine, tandis que l’assaut de l’infanterie bouscule les lignes ennemies et les refoule à l’intérieur des bois [58], ce qui explique le double mouvement des Barbares ; toutes les issues leur étant fermées par le reste des troupes romaines, ils essaieront de franchir le fleuve ou seront massacrés sur place (17,6).

Largement dominé par le vol miraculeux des aigles, qui guident le chef et ses soldats, le combat se déroule à l’intérieur de l’espace que l’auteur a défini d’abord et dont les données fondamentales ne sont pas remises en question pendant l’action elle-même ; il est donc possible, à quelques détails près, de le reporter sur un schéma, sans que surgissent d’insurmontables difficultés. (Voir Schéma 2.)

Schema 2

La description est cependant beaucoup moins claire dans le second combat (A., 2,19,2). Le champ de bataille est pourtant à nouveau défini par un fleuve à gauche et des forêts à droite, avec au centre une plaine étroite et humide, mais les forêts sont à leur tour cernées par un marais profond, qui laisse d’un seul côté la place à une large chaussée en terrasse ; il devient alors peu facile de comprendre la disposition des divers éléments du site les uns par rapport aux autres.

Il faut en effet supposer d’abord qu’il existe, pour accéder à la plaine, une voie dont Tacite ne laisse pas du tout soupçonner l’existence [59] et qui doit être assez large puisque les légions ne se heurtent à acune fifficulté particulière (20,1) pour occuper cet espace et qu’elles peuvent même y faire entrer un matériel relativement lourd (20,2 : missae e tormentis hastae).

Il faut ensuite imaginer que le marais et la chaussée ne sont pas du même côté des forêts par rapport au fleuve et à la plaine : le marais se trouve certainement derrière les bois et la chaussée devant eux [60], c’est-à-dire que pour arriver jusqu’au marais, à partir d’un certain point de la plaine, il faut d’abord traverser les forêts, mais que, à partir d’un autre point de la plaine, il faut, pour atteindre les bois, franchir d’abord la chaussée ; en effet, lorsque Germanicus attaque les Germains, il confie la plaine aux cavaliers de Tubero, puis répartit l’infanterie en deux groupes, dont l’un progressera vers la forêt sans rencontrer d’obstacles (20,1 : pars aequo in silvam aditu incederet) tandis que l’autre devra prendre d’assaut la chaussée (20,1 : pars abjectum aggerem eniteretur) et ne pourra pénétrer dans les bois qu’après l’avoir prise (20,3 : capto vallo, dedit impetum in silvas).

Cette interprétation du texte ne rend pourtant pas beaucoup plus clairs les lieux de l’action. C’est que, combattant dans la forêt, les Romains devraient avoir derrière eux la plaine avec leur cavalerie et les Germains le marais ; or, si les Germains sont bien adossés au marais (20,3), les Romains se trouvent, eux, retenus par le fleuve et par des montagnes (20.3 : Romanos flumen aut montes claudebant), position qui fait à la fois disparaître la plaine et apparaître des hauteurs dont il n’avait pas été question auparavant [61]. Il se produit ici une brusque modification des données du paysage qui rend impossible une exacte interprétation des lieux ; dans ce type de composition circulaire, quelle que soit la manière dont on distribue les éléments, il n’est pas possible d’obtenir un schéma satisfaisant, si l’on veut, à la fois, respecter la disposition générale indiquée dès le début et l’évolution postérieure du récit ; il est impossible en effet qu’entrés dans les forêts à partir d’une plaine et se heurtant dans les bois à leurs adversaires qui ne les encerclent pas et ne les font pas changer de direction, les Romains n’aient plus derrière eux l’espace initial dans lequel se trouvent certainement encore leurs machines de guerre et leur cavalerie [62] (Voir Schéma 3.)

Schema 3

On a déjà ici le sentiment que l’action se déroule en quelque sorte en dehors de l’espace dans lequel elle devrait se situer ; cette tendance était sensible, vu la brièveté du récit, dans les descriptions de place-fortes ; elle apparaissait aussi dans le combat entre Suetonius et Boudicca ; elle est plus manifeste encore dans l’épisode des Longs Ponts (A., 1,63,4-65).

Les seuls éléments concrets dont nous puissions en effet disposer se limitent à la présence, au milieu de vastes marais (vastas inter paludes), d’une étroite chaussée (angustus is trames) par endroits rompue (ruptos vetustate pontes); entourant l’ensemble, des bois en pente douce (silvae paulatim adclives), au pied desquels on découvre plus tard une plaine qui touche également aux marais (64,4 : media montium et paludum porrigebatur planities).

Si ce schéma, dégagé de l’ensemble du récit, peut apparaître assez clair, il reste cependant extrêmement général ; ne comportant pas d’indications précises, il ne propose qu’une vue globale des choses. Nous ne saurons jamais, par exemple, la longueur totale de l’itinéraire à parcourir, ni la largeur de la chaussée, ni la distance qui sépare cette chaussée de la plaine, où le terrain devient meilleur. Il est surtout très difficile de s’imaginer où, comment et même avec quoi, Caecina peut dresser son premier camp (63,5 et suiv.) ; construit dans les combats et dans l’eau (64,1-2), ruiné par les inondations que les Germains provoquent (64,3), ce camp existe pourtant : Caecina y trace ses plans pour le lendemain [63], Varus lui apparaît en rêve (65,2), les soldats font des feux, errent près des tentes ou veillent près du vallum (65,1). L’incohérence de l’espace est ici manifeste et se complique peut-être d’une incohérence dans le récit [64].

Ainsi, de façon générale, et quelle que soit finalement la méthode adoptée pour la description, les schémas et les plans que l’on pourrait éventuellement tirer de Tacite ne sont jamais satisfaisants. Ou bien, en effet, ils sont assez clairs, mais extrêmement succincts et sans grande utilité dans le récit, ou bien, sans être nécessairement plus complexes, ils se révèlent confus, quand on essaie vraiment d’y placer l’action, à laquelle pourtant ils devraient servir de cadre.

Un exemple que nous avons jusqu’à présent laissé de côté, nous semble à cet égard très caractéristique : celui du site dans lequel Sabinus assiège les Thraces (A., 4,49,1).

Les éléments qui le composent ne peuvent en effet se situer les uns par rapport aux autres que d’une manière d’abord très imprécise. De l’ensemble du paragraphe, on peut seulement déduire que les hauteurs et le fort se trouvent pratiquement au milieu de la plaine, puisqu’on peut les encercler facilement. Rien ne permet cependant d’affirmer absolument que Sabinus avait déployé d’abord ses troupes (exercitum aequo loco ostendit) à l’endroit même où il établit ensuite sa ligne d’investissement (per praesidia, quae opportune immuniebat) ; en fait, les éléments fondamentaux de la description, la plaine d’un côté, de l’autre le fort et les hauteurs, ne sont pas nettement liés les uns aux autres quand le récit commence : il y a quelque part une plaine, ailleurs un fort et tout près du fort ou de la plaine, ou de l’un et de l’autre, des hauteurs. L’ensemble ne trouvera son sens et son unité qu’au moment où sera tracé le cercle des assiégeants ; il sera nécessaire alors que le fort et les hauteurs qui en étaient certainement proches se trouvent inclus dans un espace dont le pourtour a quatre mille pas de circonférence.

Cette description linéaire d’abord, qui tend ensuite à devenir circulaire, comporte ainsi les inconvénients propres aux deux types de présentations : elle est succincte et ne situe en fait qu’un endroit à l’intérieur duquel les choses n’ont pas d’emplacement très précis ; elle est cependant exceptionnelle, puisqu’elle est la seule à nous fournir une indication précise, celle justement du cercle dans lequel vont se dérouler les événements essentiels [65].

C’est dire que le récit tacitéen trace en quelque sorte une scène aux contours vagues et se ménage un endroit global, dans lequel se produiront des mouvements et des déplacements, dont le détail compte moins que le sens général ; le décor délimite ainsi le lieu presque idéal qui est nécessaire au déroulement de l’action, il n’en constitue pas vraiment le cadre.

2. Le décor n’est pas le cadre de l’action

Le décor ne peut en effet servir de cadre à l’action que si les données qui sont proposées au lecteur sont utilisées dans le récit et permettent d’en comprendre clairement le déroulement et les étapes, comme c’est le cas, par exemple, lorsque César relate le combat [66] qui l’oppose près de la Sambre aux Nerviens, aux Atrébates et aux Veromanduens.

a) L’exemple de César

Le terrain que décrit César (B.G., 2,18) se réduit en fait à deux collines en pente douce que la Sambre sépare. Sur l’une d’elles, les Romains ont installé leur camp ; en face d’eux, de l’autre côté de la rivière, la seconde colline comporte, en bas, une partie découverte, au sommet, des bois touffus ; quelques cavaliers ennemis sont postés près de la Sambre ; le reste de la troupe est dissimulé dans les forêts. La configuration du terrain est donc particulièrement nette et la description, qui ne comporte pourtant que 3 éléments fondamentaux, apparaît dans l’ensemble beaucoup plus claire que celles que nous avons pu trouver chez Tacite.

Elle est aussi beaucoup plus précise dans les détails : la colline romaine est en pente douce (collis ab summo aequaliter declivis), l’autre a une pente semblable et se trouve en face d’elle par rapport au fleuve (ab eo flumine pari acclivitate collis nascebatur adversus huic et contrarius) ; sa partie inférieure, sans arbres, s’étend sur environ 200 pas (passus circiter ducentos infimus apertus) ; les cavaliers ennemis sont le long du fleuve, qui a trois pieds de profondeur (fluminis erat altitudo pedum trium) ; on apprendra encore que la rivière est très large et ses berges très élevées [67]. (Voir Schéma 4.)

Schéma 4

Le point de vue de César est ici celui de l’état-major ; les faits sont compris d’abord et présentés ensuite dans l’ensemble de leur évolution spatiale et chronologique ; même la confusion de leur déroulement finit par entrer dans un ordre qui devient presque stratégique, parce que le cadre local a été clairement défini dès les premières lignes.

La mise en place du décor est donc précise et fonctionnelle ; sommaire, mais limpide et refusant évidemment tout pittoresque, elle trace le plan et détermine le cadre [68] dans lequel se situeront tous les mouvements décrits et commentés dans la narration. L’espace devient alors immuable ; présenté avant le récit, il dépend en fait étroitement de lui, parce qu’il ne comporte que les éléments nécessaires à sa cohérence et à sa clarté.

Il en est bien sûr tout autrement chez Tacite. Les présentations qu’il nous propose, ne sont jamais, nous l’avons montré, si nettes et si précises ; il est évident aussi qu’elles ne jouent pas, dans le récit, un rôle vraiment déterminant.

b) Le décor n’est pas utilisé en tant que tel dans le récit

Même si Tacite, en effet, a tracé lui-même quelques plans préparatoires, inspirés, par exemple, des sources qu’il devait consulter, ce qu’on ne peut évidemment savoir, il est certain qu’il ne les a utilisés que pour situer en gros les événements dans l’espace, comme une date situe les faits dans le temps, plutôt qu’en tant que schémas, destinés à soutenir par leur présence le développement exact et clair de l’action.

C’est pourquoi il est difficile de comprendre les terrains que décrit Tacite en fonction de ce qui s’y déroule ; le combat autour d’Idistavise ou la victoire de Suetonius nous l’ont déjà bien montré. Si la description du lac Fucin paraît, en revanche, plus nette, c’est qu’elle ne comporte qu’une action peu complexe et limitée à la surface aménagée du lac. C’est pourquoi aussi le rôle joué, dans le récit lui-même, par le terrain, nous apparaîtra, le plus souvent, comme extrêmement restreint.

Près d’Antipolis (H., 2,14,4-6), par exemple, la présentation des troupes othoniennes, pourtant très évocatrice des lieux et d’une stratégie, semble disparaître presque entièrement dès que la bataille commence. On voit en effet que les cavaliers trévires de Vitellius se heurtent aux vétérans et subissent en même temps le tir des indigènes placés sur leurs flancs (14,5) ; quand la flotte adverse fait mouvement vers leurs arrières, les Vitelliens se trouvent enfermés et ne doivent finalement leur salut qu’à la nuit (14,6). On doit donc déduire du récit que l’essentiel du combat s’est déroulé dans la plaine littorale, à condition que les vétérans [69], qui ne sont pas cités au début, fassent bien partie des prétoriens et que la cavalerie trévire de Vitellius ait avancé au-devant d’eux, ce qui ne ressort pas nécessairement du texte.

Dans ces conditions, l’espace défini dans la description initiale est effectivement utilisé, mais d’une manière maladroite et sommaire ; il n’est en effet pas vraiment mis en scène et ressemblerait presque, si l’on n’y prenait pas garde, à un hors-d’œuvre purement esthétique, puisque la disposition en ligne, fort bien décrite, n’a finalement pas grande utilité et qu’il n’est pratiquement rien dit des positions tenues par les troupes vitelliennes [70].

On pourra trouver bien mince également le rôle joué par la brève description du site de Celenderis (A., 2,80,3) ; l’existence des hauteurs devant la place- forte et, sur les autres côtés, de la mer ne paraît véritablement sensible qu’à l’instant où Pison tente vainement d’attaquer la flotte.

Dans beaucoup d’autres cas encore, la présentation des lieux, qu’elle soit brève ou plus longue, linéaire ou circulaire, n’a qu’un rôle très réduit dans le récit. Pour Rigodulum (H., 4,71,6), le décor se ramène, dès qu’il est mis en place, à une pente plus ou moins marquée ; en Germanie (A., 1,63,1- 2), à Brundisium (A., 3,1,3), à Auzea (A., 4,25,1), chez les Thraces [71], à Séleucie (A., 11,8,3) ou chez les Parthes (A., 13,38,3), les éléments du paysage disparaissent aussitôt nommés et le récit continue sans eux [72].

Deux exemples, dans l’ensemble des cas que nous avons relevés, sont encore très caractéristiques. La plaine qui sépare Cérialis et Civilis (H., 5,14,3) n’est qu’un tout extrêmement vague, dont le plan, même s’il était possible de l’établir, serait en fait inutile. Entièrement couvert par les eaux, c’est à vrai dire un lieu de bataille qui convient plus aux Germains qu’aux Romains, qui s’y perdent et ne disposent pas d’un armement adapté (14,4). Toute la stratégie consistera donc, pour les Germains à tirer les Romains vers l’eau, qui les aide et leur donne l’avantage, pour les Romains à refuser d’y entrer (17,6). Peu importe alors l’emplacement exact de la digue ou de la chaussée oblique au Rhin (14,3), qui sert à inonder la plaine et d’où partent les Bructères pour franchir le fleuve à la nage (18,1) ; peu importe également où se trouve l’extrémité du marécage que les Romains atteignent grâce à un transfuge batave, l’essentiel est de comprendre le principe d’ensemble : les Romains n’auront l’avantage que s’ils peuvent trouver un terrain solide (18,3-5).

C’est le même type de combat que l’on retrouve dans l’épisode des Longs Ponts (A., 1,63,4-68) : ce que Caecina, comme Cérialis, doit absolument atteindre, c’est un endroit plus ferme, dans lequel il puisse affronter les Germains à la romaine ; tout le récit s’organise donc autour d’une lente progression vers cet endroit connu, mais si difficilement accessible. Cependant, le combat de Caecina paraît plus pathétique et plus héroïque du fait que ses soldats et lui-même sont véritablement prisonniers de l’eau, tandis que les légions de Cérialis se trouvent simplement obligées d’y combattre et restent, quand elles le veulent, à pied sec.

Quoi qu’il en soit, dans chacun des deux épisodes, la configuration du terrain est beaucoup moins importante en elle-même que ce qu’elle exprime et le décor n’est en fait pratiquement pas utilisé comme tel dans le récit. Aussi, et c’est déjà le cas pour la petite plaine des Longs Ponts, les éléments descriptifs pourront-ils n’apparaître qu’au moment où ils sont absolument nécessaires à l’action [73] ; le plus souvent alors, il n’y a plus ni description générale, ni esquisse du moindre plan d’ensemble ; l’espace semble, sinon disparaître, du moins se réduire à quelques zones indépendantes et comme isolées.

c) Le décor n’est décrit qu’au besoin : l’exemple de Bédriac [74]

Ainsi, lors de la première bataille de Bédriac (H., 2,39 - 45) les mouvements de troupes et les itinéraires que suivent les armées ne sont pratiquement pas décrits ; nous ne savons pas, au début de l’action, par quelle route arrivent les Othoniens (41,1), ni, plus tard, quel chemin ont pu prendre l’Adjutrix et la Rapax (43,1) qui se rencontrent par hasard [75].

Une fois le combat pleinement engagé, le décor dans lequel il se déroule n’apparaît que d’une manière elliptique ou diffuse [76] et se réduit en fait à 5 minces éléments : des ruisseaux (39,2), le Pô (39,3 ; 40,1 ; 41,1 ; 43,1 ; 43,4), des arbres et des vignes (41,5 ; 42,5), des voies étroites et surélevées (41,6 ; 42,6), une plaine large et découverte, située entre la route et le fleuve (43,1).

Dans le détail, l’espace de la bataille demeure extrêmement confus et pose de multiples problèmes. Comment admettre, par exemple, que tant d’hommes et de véhicules puissent tenir sur une route étroite et s’y déplacer en tous sens [77]? En combien d’endroits se bat-on exactement [78]? Combien y a t’il de routes? Où se trouve, par rapport au fleuve et au pont, cette plaine apparemment dépourvue d’arbustes et de vignes et pourtant sans marécages, dans laquelle peuvent s’aborder deux légions (43)? Où situer le flanc de l’armée othonienne et son centre [79] et par où ses débris retournent-ils vers Bédriac en traversant le champ de bataille, alors qu’ils n’ont pas progressé en combat tant [80]?

Ce sont là des questions auxquelles les éléments dont nous disposons dans le texte ne permettent pas de répondre. Arbustes et vignes, ruisseaux, digues et plaine sont certainement caractéristiques de la vallée du Pô ; ils correspondent évidemment à une vérité géographique et historique [81] et dressent même un décor parfois évocateur ; il n’en reste pas moins qu’ils n’entrent pas, les uns par rapport aux autres, dans une véritable conception d’ensemble et dans un tout spatial ordonné. Ils n’interviennent en fait que lorsque l’auteur a besoin d’eux [82].

Les mêmes tendances réapparaîtront évidemment dans le récit de la deuxième bataille de Bédriac (H., 3,16-25). C’est ainsi que les itinéraires des armées, leurs positions respectives ou leurs déplacements ne seront jamais véritablement indiqués [83].

Nous saurons seulement que lorsque la bataille commence, Antonius se trouve à 8 milles de Bédriac et que son infanterie est dispersée dans la plaine de Crémone (15,6). Plus tard, la Rapax et l’Italica seront aperçues à 4 milles de la ville (18,1) ; à cet instant, les Flaviens sont épuisés par une longue route faite en combattant (18,3) et l’action s’est déplacée près de Crémone (18,5). Ces indications qui ne tracent nullement un schéma, même sommaire, des lieux, ne fournissent en fait qu’une indication certaine : c’est que la bataille s’est déroulée entre les deux cités en se rapprochant toujours de Crémone [84].

Le détail du terrain permet cependant de retrouver des éléments, qui sont un peu plus nombreux et même un peu plus précis [85] que ceux de la première bataille. Nous verrons donc des chemins étroits (16,6), une route avec un pont enjambant un ruisseau (17,4), des champs (17,8), la chaussée de la via Postumia (21,3 ; 23,3), des fossés (21,3), des arbustes (21,3 ; 23,3) et même, le long de la route, un sentier qui la longe (21,3 ; 25,5). Cependant, comme dans le cas précédent, ces indications, si précises soient-elles parfois [86], n’ont pas du tout pour fonction de décrire l’espace dans lequel se joue le sort des armées. Il sera donc souvent possible de s’en passer.

d) Le décor n’est pas décrit du tout

C’est ainsi que seuls l’état du sol, les circonstances atmosphériques et la présence des marais seront retenus, lorsque les Rhoxolans sont défaits en Mésie (H., 1,79).

Lors du combat qui oppose Munius Lupercus à Civilis sur l’île des Bataves (H., 4,18), l’accent est mis sur la faiblesse des auxiliaires qui trahissent, comme les Bataves, ou lâchent trop facilement pied, comme les Trévires ou les Ubiens ; seule est donc indiquée la mise en place des troupes de Civilis et le décor disparaît totalement.

L’espace se volatilise encore dans tous les combats qui se déroulent ensuite près de Vetera Castra (H., 4,22-30) ; ici pourtant de graves problèmes chronologiques interfèrent et les intentions de Tacite paraissent particulièrement obscures.

Sans multiplier inutilement les exemples [87], on peut citer aussi le combat qui oppose dans un endroit totalement abstrait le Germain Arminius à ses anciens alliés Maroboduus et Inguiomer [88] ou celui dans lequel L. Apronius est mis en difficulté par les Frisons (A., 4,73). Dans ce dernier cas cependant figurent encore quelques indications concrètes : Apronius a descendu le Rhin ; on entrevoit ensuite les lagunes de l’embouchure du fleuve, sur lesquelles le général fait établir une chaussée, puis jeter des ponts ; la cavalerie trouve des gués ; mais le combat se déroule ensuite entièrement à côté de ces éléments, sans qu’on puisse immédiatement comprendre quel rôle exact ils devaient jouer ; on est en droit cependant de penser qu’ils ont été introduits pour expliquer l’échec romain : c’est en envoyant par les gués l’aile canninéfate et l’infanterie des Germains, puis la cavalerie légionnaire, puis encore des cohortes légères et de la cavalerie, sans attendre que les légions plus lourdes aient pu franchir les ponts, que L. Apronius affaiblit ses forces et s’expose à une défaite qu’il n’évite que d’extrême justesse.

C’est aussi le désir d’expliquer qui conduit Tacite à substituer assez fréquemment le temps à l’espace en développant une histoire des lieux dont on attendait la description.

Lorsque Titus, parti pour saluer Galba, apprend sa mort et fait demi-tour, il s’arrête au temple de Paphos (H., 2,2,5 -4,4) ; mais la digression que Tacite se permet alors ne dit rien du monument ni de Chypre et porte sur les origines du culte, les cérémonies du temple et la forme de la déesse.

De même, quand Germanicus voyage en Egypte et remonte le Nil (A., 2,60 - 61), Canope d’abord, puis Thèbes elle-même ne sont présentées que par le passé qui les explique et qu’elles évoquent.

Le temple de Sérapis à Alexandrie (H., 4,82 - 84), celui de Diane Lemnatis (A., 4,43,1- 3), la ville de Séleucie [89] et celle de Byzance (A., 12,63) font l’objet, dans des circonstances différentes, de développements semblables. Il faut remarquer cependant que les villes ou les temples concernés par ces digressions ne sont pas, en général, directement engagés dans le récit: ils n’apparaissent en effet qu’à l’occasion de voyages ou de débats [90] ; leur rôle n’est qu’épisodique ; mais cette circonstance, qui peut justifier la présence d’une digression, n’en explique pas la nature.

Ce que l’on doit, en fait, retenir ici, c’est que Tacite, même quand l’occasion lui est offerte de s’arrêter un instant sur un lieu précis, ne s’attarde pas à le décrire. Les choses telles qu’elles sont ne l’intéressent manifestement pas ; la splendeur des temples et la beauté des villes ne sont pas pour lui des sujets d’historien [91] ; il nous dit plutôt comment les choses ne sont faites que comment elles se présentent aux yeux de celui qui les contemple et préfère indiquer des causes ou souligner des évolutions. L’histoire, pour lui, n’est pas documentaire et encore moins pittoresque [92].

Si, dans tous ces exemples, le décor paraît en quelque sorte nous échapper, c’est que nous cherchons sans doute à lui donner un rôle qu’il n’a pas. Dans le récit tacitéen, en effet, la description ne définit pas un cadre immuable, semblable à celui de César et contenant au départ toutes les indications nécessaires à la compréhension géographique des événements ; ce que Tacite appelle parfois forma loci [93] ne désigne pas tant chez lui la configuration physique du terrain que sa constitution. Pour Tacite, le décor n’est donc qu’un des à-côtés de l’action ; ce qui l’intéresse en effet ce n’est pas de faire exactement comprendre une suite de manœuvres ou de déplacements, mais d’exprimer ce qu’on pourrait appeler l’esprit des faits, comme on dit l’esprit des lois.


III. Le rôle du décor

Le décor n’est ainsi présent chez Tacite que dans la mesure où il apporte au récit des éléments qui ne sont pas tant destinés à le rendre plus clair qu’à le rendre plus fort et plus sensible dans ses intentions réelles. Il peut donc être décrit différemment selon qu’il devra éclairer le sens général de la narration, lui donner une valeur symbolique ou souligner la psychologie des personnages. Instrument de la signification cachée du récit, il peut aussi devenir un moyen d’exprimer les tensions du monde.

1. L’intention expressive

Aucune intention particulière ne semble pourtant se cacher derrière la présentation, par ailleurs assez claire, de la plaine d’ldistavise (A., 2,16,1), dans laquelle Germanicus va remporter une première grande victoire sur les armées réunies d’Arminius et d’Inguiomer.

Mais cette bataille connaît une suite presque immédiate (A., 2,19-21), dans laquelle les desseins de l’auteur vont apparaître nettement. Autant en effet le lieu du premier engagement semblait neutre et comme anodin, autant le second terrain que choisissent Arminius et Inguiomer est bien fait pour mettre en avant le courage, l’ardeur et la clairvoyance de Germanicus.

Les éléments donnés par la description (19,2), dont l’apparente précision disparaît dès que l’on cherche à mieux comprendre les déplacements et la stratégie des combattants, ne sont plus en effet destinés à dépeindre exactement le terrain, mais à en souligner le caractère dangereux pour celui qui doit s’y engager avec des troupes déjà troublées par une attaque inattendue (19,1).

Germanicus, qui tout à l’heure était entré presque librement dans la plaine d’Idistavise (16,3), se trouve maintenant comme enfermé sur un terrain étroit, humide et cerné par des eaux hostiles ; il doit combattre des ennemis qui peuvent dissimuler leur nombre dans les bois, installer largement leurs forces en hauteur et disposer en cas de revers d’issues faciles derrière les digues ou dans les forêts ; il devra donc triompher, non seulement des Germains, mais aussi des obstacles naturels qu’ils ont placés devant lui. Sa victoire, la seconde en peu de temps, sera d’autant plus grande qu’il s’était réservé la part la plus difficile (20,1) et combattait des ennemis enflammés de fureur (19,1).

Si les éléments descriptifs constituaient une sorte de cadre, c’était donc celui d’une victoire méritée, plutôt que la délimitation d’un espace précis. A ce combat exceptionnel, la plaine d’Idistavise et le vol des aigles n’avaient servi, si l’on ose dire, que de propylées triomphaux ; la description du terrain n’y jouait aucun rôle spécial, parce qu’il s’agissait de montrer que la victoire de Germanicus sur Arminius et Inguiomer était presque ordinaire. Mais, dans le second combat, les difficultés du terrain devaient s’ajouter à la fatigue romaine et à la rage des ennemis pour faire de Germanicus un nouvel Alexandre, qui, en deux batailles successives, avait deux fois vaincu deux chefs prestigieux aux deux endroits qu’ils avaient pourtant choisis eux- mêmes [94].

L’intention expressive et signifiante est sensible encore, avec cependant moins d’insistance, lorsque Sabinus dresse devant les Thraces un camp retranché, puis occupe une colline dont la croupe se prolonge jusqu’à un fort (A., 4,47,2), ou lorsqu’il se déploie, quelque temps plus tard, devant des hauteurs sans doute reprises aux auxiliaires, afin de les bloquer en les privant d’un accès à la plaine (49) ; c’est en effet s’installer comme il convient devant les peuples montagnards qui montraient avec fierté leurs forts au sommet des rochers (46,2).

Le même désir de souligner la prudence et le savoir tactique d’un général romain s’exprime aussi dans la présentation du terrain que Suetonius choisit pour affronter Boudicca (A., 14,34,1). Les éléments de la description donnent en effet au paysage l’aspect d’un piège, dans lequel l’ennemi s’engouffre et s’empêtre lui-même, et c’est ce piège, bien plus que l’espace, difficile en fait à comprendre, que Tacite décrit : les Romains tiennent une plaine large et la ferment de tous côtés ; les Bretons, au contraire, sont dispersés (34,2) ; ils devront, pour attaquer, franchir des gorges (34,1), qui ralentiront leur marche et les contraindront à serrer les rangs ; décimés par les javelots, quand ils déboucheront dans la plaine (37,1), ils seront enfoncés avant d’avoir pu vraiment se mettre en ligne et bloqués dans leur fuite par leurs propres chariots, qui les avaient suivis dans les gorges (37,1). C’est une tactique, plus qu’un lieu que le décor nous rend ici perceptible ; on découvre en même temps les qualités de Suetonius et qu’une bataille, bien conduite sur un terrain bien choisi, peut régler rapidement des problèmes qui paraissaient insolubles à d’autres [95].

Près de Vetera Castra (H., 5,14,3), en revanche, le terrain sur lequel s’affrontent Civilis et Cérialis est défavorable aux Romains (14,4 et 15,1) et l’image qu’en donne Tacite extrêmement vague. Les plaines marécageuses et la digue oblique au Rhin suffisent cependant à souligner l’héroïsme des Romains, leur désir de revanche après un échec partiel (15,6) et leur victoire finale, obtenue par la chance du chef [96] et la prudence des soldats (17,6).

Le chef est présent aussi dans la description du terrain choisi par Corbulon pour son entrevue douteuse avec Tiridate (A., 13,38,3). L’endroit est en effet constitué par une plaine que bordent et prolongent des collines peu abruptes ; le général romain peut ainsi disposer à la fois ses fantassins et ses cavaliers, se mettant, par là-même, à l’abri des embûches et des traîtrises parthes. La description, même très brève, du terrain, n’est ici encore qu’une illustration expressive de la prudence du chef.

Il serait vain de multiplier à l’excès les exemples et nous pouvons, sans trop de risques, nous limiter aux cas que nous avions jugés caractéristiques du système de description tacitéen. Même les sites dans lesquels l’auteur ne décrit pratiquement pas le décor ou l’étendue peuvent en effet être souvent considérés comme assez signifiants.

C’est ainsi que la vétusté des remparts d’Aventicum (H., 1,68,2) n’est sans doute qu’un argument dans la bouche de ceux qui veulent arrêter le combat ; la puissance des murailles de Crémone (H., 3,30,1) explique l’hésitation des Flaviens et souligne surtout la folie d’une entreprise, menée par des troupes uniquement préoccupées de pillage (H., 3,19) ; la médiocrité des remparts d’Uspé (A., 12,16,2) exprime la faiblesse d’un dispositif qui n’est pas de taille à résister aux troupes romaines et tend, du même coup, à présenter la population, qu’il faudra massacrer, comme une victime innocente de Mithridate (A., 12,17,2).

2. L’intention symbolique

A Antipolis en revanche, à Auzea, en Bretagne avec Ostorius ou sur le lac Fucin, le décor n’est pas utilisé seulement pour souligner le sens des événements ; il leur donne aussi une valeur symbolique.

A Antipolis (H., 2,14,4), la belle description linéaire des troupes othoniennes fait nettement contraste avec la présentation des Vitelliens, dont il est seulement dit qu’ils sont installés sur des hauteurs toutes proches ; face à une armée solidement implantée, bien mise en place et tenant à la fois les collines, la plaine et la mer, se trouvent donc des troupes dispersées, dont la situation semble ne pouvoir être ni décrite, ni même seulement indiquée ; en réalité, les jeux sont déjà faits et l’on sait de quel côté se rangera la victoire.

Pourtant, la disposition des Othoniens n’explique nullement la victoire et ne semble pas avoir de réelle importance stratégique : ce n’est pas à partir d’elle en effet que la bataille est décrite et rien ne permet, en fait, de comprendre le déroulement exact des opérations ; rien n’est dit, par exemple, des mouvements qu’ont effectués les soldats qu’on voit sur les hauteurs ou ceux qui se tiennent dans la plaine ; seule la flotte se déplace, sans que sa présentation initiale paraisse de quelque utilité, puisque le fait qu’elle menace la terre (14,6) n’est finalement d’aucune importance.

La présentation des troupes et le récit de la bataille se trouvent ainsi, du point de vue de la logique, totalement dissociés : l’un n’explique pas l’autre. L’évocation du décor n’était donc pas destinée à situer la bataille, ni même sans doute à la présenter ; si le décor a pu servir au récit, c’est d’une manière indirecte et purement symbolique : les hauteurs, la plaine et la mer qui les prolonge, ces lignes caractéristiques sur lesquelles s’étendent les troupes otho niennes et que limitent seuls les bateaux au large, décrivaient la puissance, l’ordre et la supériorité d’une armée, dont elles annonçaient et justifiaient la victoire sans vraiment l’expliquer ; les rapports de force étaient alors si nettement mis en place que le récit d’une bataille, dont le sort était évidemment scellé d’avance, pouvait se réduire à la présentation de quelques points forts, sans qu’il soit désormais nécessaire d’insister davantage.

La même impression se dégage de la présentation du site choisi par Tacfarinas (A., 4,25,1) et dans lequel il sera surpris par Dolabella : de vastes ravins boisés, qui inspirent la confiance à ceux qui s’en protègent, mais aussi des gourbis et un fort presque ruiné. Si le choix d’un terrain est essentiel dans les guerres, l’installation du chef numide dans une place-forte qu’il a déjà pu prendre et qu’il a détruit lui-même souligne certainement sa légèreté, sinon son incompétence [97].

La description du décor, elliptique et peu utile à la suite du récit, apparaît donc comme le reflet d’un état d’esprit, dont elle devient le symbole, surtout quand on l’oppose à la méthode calme et sûre de Dolabella (A., 4,24,3) qui quadrille systématiquement le territoire, isole son adversaire et ne se satisfait pas de vains honneurs [98]. Même la note pittoresque, extrêmement rare chez Tacite, que donne au paysage l’évocation des ruines, des bois et des construc tions « exotiques » vient renforcer cette impression, puisqu’elle insiste sur les différences entre les deux chefs et contribue à caractériser encore plus Tacfarinas : le fort à demi-ruiné dans lequel il s’enferme le définit ainsi autant qu’une description en règle.

Découvert par le général romain, qui en est d’abord effrayé [99], le site dans lequel le breton Caratacus doit affronter Ostorius (A., 12,33) dégage en revanche une extraordinaire impression de puissance ; le meilleur des généraux bretons s’est installé sur le terrain qui convient le mieux à ses troupes et le moins aux légions romaines : les pentes sont abruptes ; quand elles le sont moins, des rochers s’entassent et d’abord un fleuve incertain et dangereux à franchir ; en outre, devant les rochers, des bataillons en armes, pleins d’enthousiasme et de fanatisme.

Ces obstacles pourtant Ostorius, ses auxiliaires et ses légionnaires les franchissent les uns après les autres ; ils traversent le gué du fleuve, ils repoussent les bataillons à mi-pente, ils rejettent les rochers grossiers et informes, ils atteignent enfin la cime et y remportent une éclatante victoire (35,2-3).

Cet irrésistible mouvement d’escalade et de poussée vers le haut, pareil en quelque sorte à celui qu’on trouve sur les colonnes triomphales, rend ici l’espace plus précis et plus clair. Pourtant la description cherche certainement moins à rendre l’espace sensible qu’à exprimer l’héroïsme des légions ; les trois éléments fondamentaux du site, répétés trois fois [100], sont plutôt mis en place en effet pour exalter la puissance des armes romaines, qui, placées sous un bon général, s’enflamment du désir de combattre [101], franchissent les fleuves, renversent les rochers et les hommes et réussissent une irrésistible ascension au terme de laquelle elles trouvent une splendide et symbolique victoire [102].

Les intentions de Tacite sont plus complexes encore dans le cas du combat naval que l’empereur Claude et Agrippine font donner sur le lac Fucin (A., 12,56,2-3) ; les deux éléments fondamentaux du décor, le lac d’abord avec son cercle de radeaux, les rives ensuite, dominées par des collines, expriment évidemment l’aspect spectaculaire de l’ensemble ; la description tend donc à transformer tout l’espace en un lieu scénique bien choisi, soulignant ainsi l’intention des organisateurs et leur mainmise sur les lieux.

Pourtant cet ordre et cette réinterprétation de la nature n’auront pas de durée : le spectacle est réussi, mais l’ouvrage est imparfait (57,1) ; il faudra recommencer l’opération, qui se terminera dans une panique générale, dont Agrippine, utilisant aussi la peur de Claude, se servira contre Narcisse (57,2).

Ainsi la description ne s’harmonise d’abord aux desseins de l’empereur que pour mieux en montrer ensuite la vanité et la fragilité ; paraissant n’exister que pour elle-même et rechercher dans le détail une exactitude propre à exprimer le réel, la peinture évocatrice du décor tendait en fait à se dénoncer elle-même comme apparence et faux semblant.

Symbolique encore d’un homme, et d’un comportement qui annonce peut-être celui de Néron, la présentation des lieux est ici très riche, dans la mesure où elle donne à l’épisode un sens qui ne s’y exprime pas autrement. Cette tendance à ajouter du sens au récit, toujours sous-jacente, appa raît très nettement encore, lorsque l’intention se fait en quelque sorte psycho logique.

3. L’intention psychologique

C’est par exemple, le cas de Jérusalem, dont la première description (H., 5,8,2), insérée dans un long développement historique, est sèche et brève, alors que la seconde (H., 5,11,6 -12,2) est beaucoup plus précise et nettement plus détaillée ; à ne regarder que la première présentation de la capitale, on ignorerait l’existence des collines, celle des tours et celle des fortifications propres au palais et au temple et l’on n’aurait aucune idée de la puissance et de la beauté de la ville.

Pourtant, même si la seconde description apparaît comme l’une des plus complètes que l’on puisse trouver dans l’ensemble de l’œuvre, elle se borne en fait à présenter les deux points essentiels de l’antique cité juive : sa puissante enceinte extérieure avec ses tours immenses, mais harmonieuses, au début, et, pour finir, le temple avec ses remparts, ses portiques et ses réserves d’eau ; entre ces deux masses, la présence du palais royal avec ses fortifications et celle de la tour Antonia ne sont rappelées que pour mémoire.

Cette présentation en chiasme répond à une intention précise : elle tend en fait à réduire la ville aux deux ouvrages qui tourmentent le plus Titus (11,5) : sa cuirasse et son centre vital. C’est en effet deux assauts qu’il faudra conduire : une fois les Romains parvenus enfin au pied du temple, ils auront encore une autre ville à prendre ; Rome et ses plaisirs sont décidément bien loin, à moins d’un exploit extraordinaire.

On voit que la description de la cité tend plus à faire comprendre l’état d.’esprit de Titus qu’à présenter complètement Jérusalem. C’est pourquoi les termes qui décrivent l’ensemble de la ville, ses deux collines et l’enceinte extérieure insistent plus sur l’effet qu’elle produit que sur le détail de sa configuration ; ce qu’on éprouve en regardant Jérusalem, c’est une impression de force dangereuse et belle [103] ; pour Titus, c’est le signe d’une difficulté qui le retarde et l’explication déjà de sa hâte et de sa rage [104].

Ainsi la description n’est peut être exceptionnelle de précision que parce qu’elle se préoccupe moins du décor que du récit ; intégrée à la narration, qu’elle explique sans la conduire, elle propose certainement moins une vue exacte du monde qu’une image née des préoccupations profondes de Titus ; elle est plus psychologique que véritablement topographique.

Le décor exprime donc toujours autre chose que lui-même et n’est jamais destiné à jouer par lui seul un rôle essentiel. S’ajoutant au schématisme que nous avons pu y découvrir, et l’expliquant pour une grande part, l’existence de ces intentions implicites permet aussi d’expliquer le caractère vague et flou de la description, son manque de clarté, ses faiblesses et ses insuffisances ; ce n’est pas, pour Tacite, la réalité du cadre qui est importante, mais sa signification.

Ce sont ainsi toujours les personnages qui l’emportent ; le monde, comme l’histoire qu’ils font avancer, n’est décrit qu’à travers eux [105], ou plus exactement à travers l’idée que l’auteur veut nous en donner et en fonction de l’importance qu’il attribue à leurs sentiments et à leurs réactions. Même quand la représentation du décor nous est apparue comme plutôt expressive ou plutôt symbolique, les acteurs de l’histoire et leur comportement y jouaient, plus ou moins directement, un rôle fondamental [106].


IV. Du décor à l’espace

Ainsi la description des lieux ne se réfère plus chez Tacite à aucun principe purement logique, mais varie toujours avec le sujet et son action. Elle n’est pourtant pas véritablement infidèle, mais plutôt fondamentalement sélective. L’espace, et sans doute le monde lui-même, ne sont pas définitivement donnés et le décor ne présente pas l’unité cohérente qu’il avait chez César ; les éléments qui le composent ne s’adaptent donc pas nécessairement les uns aux autres et ne s’intègrent pas naturellement à un ensemble ; ils n’existent pas toujours dans un même temps et peuvent apparaître les uns après les autres, voire se modifier dans le cours du récit : ils sont variables, ce qui les rend propres à refléter le pathétique ou le dramatique de l’histoire, et ne trouvent que dans le drame une forme définitive [107] ; au rythme de ses passions, c’est toujours l’homme lui-même qui les installe.

1. Les variations du décor

Dépendant de la situation, des événements et des personnages qui. les vivent, la plupart des lieux pourraient en fait être présentés plusieurs fois en offrant toujours une image différente.

Séleucie, par exemple, nous est, comme Jérusalem, présentée deux fois [108]. La ville nous apparaît d’abord comme puissante, ceinte de murs et sans barbarie (A., 6,42,1) ; il s’agit en effet plutôt des habitants et de leur système politique que de la cité même, dont les portes sont largement ouvertes à Tiridate. La seconde fois, en revanche, au moment du siège entrepris par Vardames [109], l’éclairage est nettement modifié : la cité puissante devient une ville solide, encore affermie par des approvisionnements, des remparts et un fleuve qui en défend l’approche (A., 11,8,3) ; la structure même de la phrase, dans laquelle firmatae est complété par commeatibus, par muro et par munimentis, lui-même complété par objecti amnis, exprime bien la force d’une place dans laquelle Vardanes ne pourra pas entrer (8,4). L’intention de Tacite est donc d’expliquer l’échec du Parthe et de souligner en même temps la folie de son entreprise.

C’est pourquoi un élément essentiel, le fleuve, n’apparaît que dans la seconde description, c’est-à-dire au moment même où sa présence est véritablement utile à l’action. Pour Tiridate, en effet, que les Séleuciens ont appelé chez eux, le fleuve ne représente rien ; Tacite n’en fait donc pas mention ; pour Vardanes, au contraire, c’est le premier obstacle à franchir et l’auteur le signale en insistant sur son rôle dans la défense de la cité.

Egalement décrit deux fois, plus complexe mais aussi plus fragmentaire, le décor des batailles de Bédriac (H., 2,39 - 44 ; H., 3,16 - 25), même s’il présente quelques constantes, se caractérise aussi par sa très grande mobilité. Les arbustes et les vignes, ont, par exemple, un certain rôle stratégique lorsque les engagements commencent (H., 2,41,5 ; H., 3,21,3), mais ils le perdent très vite et leur présence souligne en fait le désordre et la confusion (H., 2,42,5 ; H., 3,23,2) d’une bataille dont les chefs sont totalement absents ou totalement inefficaces.

Le cas de la route est plus caractéristique encore : dans les deux batailles, elle apparaît soit comme étroite, soit comme surélevée. Etroite (H., 2,41,6-7 ; H., 3,16,6 ; H., 3,17,4-8), elle rend sensible la lâcheté des soldats qui s’écrasent et se bousculent (H., 3,16,6) ou n’acceptent de combattre que parce qu’ils ne peuvent pas fuir davantage (H., 3,17,4-8) ; mais, s’il faut souligner, même au prix d’une invraisemblance, la panique dans laquelle se trouvent plongés les Othoniens, la route, toujours étroite, apparaît en plus bordée de fossés profonds, qui empêchent évidemment les fourgons d’en sortir [110] ; pourtant, la route n’est plus entourée de fossés, mais surélevée en terrasse, quand il s’agit de mettre en relief les combats qui s’y livrent comme sur une estrade exposée aux yeux de tous (H., 2,42,6), ou quand il faut distinguer une baliste que deux soldats héroïques réussiront à détruire (H., 3,23,3-6).

Dans tous ces cas, Tacite choisit les éléments propres à rendre l’action plus présente à l’esprit du lecteur ; il fait varier le décor en fonction des besoins littéraires et, pour le rendre plus expressif, lui refuse en fait tout caractère définitif. (Voir Schéma 5.)

Schema 5

La description, presque césarienne [111] des positions choisies par Antonius, au début du second engagement de la deuxième bataille, est ici bien caractéristique. Le décor y reprend en effet sa véritable unité ; on découvre donc l’existence de la via Postumia [112] ; à sa gauche se trouve une plaine dégagée que borde, un peu plus loin encore, un fossé pour les champs ; à sa droite, un sentier et des plantations d’arbres et de vignes ; tous les éléments du paysage se trouvent ainsi mis un instant en place, alors qu’ils n’étaient toujours apparus qu’en ordre dispersé. Mais cet ordre est idéal ; la disposition des troupes et de l’espace qu’elles occupent n’est en fait que celle qui résulterait des consignes d’Antonius, si elles étaient exécutées ; la réalité est tout autre ; à peine entrevu, l’espace clair et cohérent qu’imaginait la volonté du chef retourne aux ténèbres et à la confusion [113]. A Bédriac en effet l’issue du combat dépend moins des positions stratégiques et des manœuvres que de l’état d’esprit des soldats ; d’une manière, qui est à la fois psychologique, symbolique et expressive, les indications spatiales transposent donc plutôt cet état d’esprit : des intentions précises du chef surgit un espace cohérent et clair, de la fatigue et de l’indiscipline des troupes un espace qui se pulvérise et se déforme au gré d’événements que rien ne peut contrôler [114].

Le décor s’adapte encore à l’histoire dans l’épisode des Longs Ponts (A., 1,63,4-68), puisqu’il semble s’élargir au moment même où les troupes romaines, cernées de toutes parts, paraissent vouées à l’échec et à la mort. Bloqué sur l’étroite bande qu’entourent des forêts, des eaux trompeuses et des contingents ennemis, Caecina dispose en effet, comme ultime marge de manœuvre, d’une plaine située entre les hauteurs et les marais ; il conçoit le projet d’y conduire ses soldats, afin qu’ils puissent affronter les Germains dans l’ordre de bataille qui convient à des Romains (64,4).

Cette plaine constitue donc un quatrième élément descriptif ; Tacite cependant ne le présente qu’au moment où Caecina, en vieux général plein d’expé rience et de sang-froid (64,4), organise méthodiquement la marche du lendemain ; certes, les légions ne lui obéiront sans doute pas mieux que celles d’Antonius, mais le projet du chef sera quand même réalisé et le second camp s’établira sur un terrain plus propice [115].

Ce qui domine cependant tout l’ensemble, c’est l’idée d’encerclement [116] qui réapparaît comme un leitmotiv à travers tous les tableaux dans lesquels l’action se sublimise. Encerclées par les marais, par les forêts que les ennemis occupent, par les eaux et par les boues qui les entravent, par les cris et les feux des Germains, prisonnières dans leur camp, les légions, cernées et serrées par la peur et l’angoisse, finiront par triompher, quand elles réussiront enfin à se rassembler en ordre contre les adversaires et du coup à les vaincre. L’adjonction à l’espace initial d’un élément supplémentaire offre la victoire au chef et aux soldats qui l’écoutent et tend ainsi à mettre Germanicus et ses lieutenants à la hauteur des héros d’autrefois [117].

L’élargissement de l’espace exprime donc ici la volonté d’un homme qui sait garder son calme et organiser le terrain du combat. Mais il souligne aussi les difficultés dans lesquelles les Romains sont plongés et relance l’action en fixant dans un moment de répit un but qu’il faut atteindre sous peine de mort. Sa portée est donc dramatique autant que psychologique et sa mise en place, au centre du récit, constitue un habile procédé littéraire propre à relancer le suspense ; signalée en effet dès le début, l’existence de cette petite plaine aurait certainement affaibli l’intérêt ; n’apparaissant que plus tard, au terme d’un premier grand mouvement pathétique, qui met les troupes romaines dans une impasse et réduit leurs chances de survivre, elle porte l’histoire vers l’épopée : une retraite difficile devient en fait la marche héroïque des légions de Caecina vers la plaine libre et solide, où elles pourront enfin se battre en terrain égal et triompher de leurs adversaires.

Dans l’épisode des Longs Ponts, le décor n’est donc pas privé de cohérence ; il ne situe cependant pas le récit dans une véritable unité de lieu ; sa présentation savamment progressive sert surtout à intensifier l’action. Il en va de même, avec pourtant plus de calme et de méthode, et moins de pathétique, dans la description des opérations que Corbulon conduit sur l’Euphrate (A., 15,9).

Ici, en effet, l’espace s’agrandit peu à peu en devenant plus net, à mesure que s’affirme sans contestation véritable ni combats acharnés, la supériorité des armes romaines et, chez Corbulon, un sens du commandement et de l’organsation qui le distingue à la fois des Parthes et de son collègue Paetus [118].

Sur les rives de l’Euphrate, ce sont d’abord des postes, maintenant plus nombreux et plus rappochés, qui apparaissent d’une manière encore abstraite et comme schématique ; puis la vue se précise et s’élargit aux deux rives du fleuve, sur lequel, malgré les cavaliers parthes tout proches, on veut jeter un pont ; sur le fleuve lui-même s’avancent maintenant d’énormes bateaux, porteurs de tours du haut desquelles catapultes et balistes lancent, très loin des deux côtés, des traits meurtriers ; l’ennemi déserte les rives, le pont est construit et l’espace s’élargit encore jusqu’aux collines prises par les cohortes alliées, puis occupées par le camp des légions, qui désormais domine et surveille les hauteurs, la plaine, les rives, le fleuve et le pont qui l’enjambe [119].

Des postes épars, le fleuve, ses rives et les plaines, puis les collines qui barrent l’horizon, l’espace s’est régulièrement agrandi selon les desseins de Corbulon ; les Romains y étalent maintenant leur puissance et les Parthes n’y ont plus de place : ils se tourneront vers l’Arménie que Paetus commande avec moins de compétence et d’autorité (9,2).

Si la description de Bédriac renforçait le pathétique ou le désordre des événements et celle des Longs Ponts leur caractère épique, l’élargissement du décor autour de l’Euphrate procure plutôt un sentiment de plénitude et de force calme. Il s’agit donc dans les trois cas de souligner ou d’exprimer des choses différentes, mais le procédé demeure toujours le même : un espace qui se présente comme instable et peut sans cesse être modifié ne saurait n’être que le lieu de l’action ; quand il se pulvérise à Bédriac jusqu’aux limites de l’invraisemblance ou s’agrandit aux Longs Ponts de façon presque magique, il est plutôt conçu comme un des ressorts du drame ; quand il s’élargit souverainement autour de l’Euphrate, il en est plutôt la conséquence : le désordre des cavaliers qui voltigent dans les plaines devient ordre peu à peu, le paysage, qui n’avait pas d’unité sensible, s’organise et se constitue dans un mouvement continu de conquête ; on assiste en quelque sorte à une prise de possession des lieux qui transforme progressivement le décor en espace.

2. Du décor à l’espace

Ce qui caractérise ainsi toujours fondamentalement le décor, c’est sa force d’expressivité ; il n’est pas neutre et participe, jusqu’à évoluer avec eux, aux événements qu’il ne devrait que contenir. Malgré sa sobriété, le signalement spatial renforce donc le sens du récit dans lequel il figure et oriente toujours le lecteur vers une direction particulière ; les paysages, les sites, les terrains et, de façon générale, tous les lieux de l’action deviennent en quelque sorte moraux. A travers eux quelque chose se dit: ils ne sont jamais là pour eux-mêmes, sinon ils ne sont pas.

Un dernier exemple, celui des campagnes arméniennes de Corbulon (A., 13,34,2-41,3), nous semble, à cet égard, particulièrement caractéristique. Face à Tiridate en effet Corbulon pratique une politique de mise en ordre qui, commençant par le rétablissement de la discipline dans les légions (35-36), devient ensuite une véritable stratégie de l’espace [120].

Tiridate d’abord évite les forces romaines ; il voltige autour d’elles (37,1), semble être en même temps partout et nulle part et ne livre jamais de vrais combats. Corbulon prend alors possession du pays en y répartissant ses légions (37,2) ; il s’appuie sur les alliances multiples et diverses (37,3) et s’assure ainsi le contrôle du terrain jusque dans ses régions les moins praticables (37,3). Presque aussitôt, Tiridate demande pourquoi on le chasse d’Arménie (37,4) et sollicite une entrevue douteuse (38,1-2). Corbulon en fixe lui-même l’endroit (38,3), qu’il s’approprie en y disposant des troupes aptes à déjouer les ruses barbares ; le roi ne se montrera donc que de loin (38,4) et quittera rapidement l’Arménie (39,1), sans pour autant réussir à détruire les convois venus de la mer Noire, qui circulent dans des zones occupées et protégées par les Romains (39,1). .

Au terme de ce premier épisode, et bien qu’aucun combat n’ait été livré, la suprématie de Rome apparaît déjà très nettement ; il ne s’agit cependant pas d’une véritable victoire militaire, mais d’une occupation progressive et sûre de l’espace, pareille à celle qui s’opèrera plus tard et de nouveau sur l’Euphrate (A., 15,9).

Par la suite, Tiridate, toujours affronté au bloc impénétrable des forces romaines, sera contraint, soit de s’engager dans des régions perdues (40,1), soit, l’ancienne tactique devenant nécessité, de tourner sans cesse autour des légions sans jamais vraiment les atteindre (40,3). Continuellement rejeté vers l’extérieur, placé en fait sur un terrain qui se réduit toujours, il devra finalement partir (41,1). Corbulon tient tout le pays.

Cette prise de possession ordonnée de l’espace est également sensible dans les détails du récit. Elle s’exprime, par exemple, dans la rigueur avec laquelle le général romain organise le siège de Volande (39,3) en assignant une place précise à chacun, de telle manière que l’ennemi, pris partout en même temps, n’ait plus la mobilité nécessaire à sa défense [121]. Elle apparaît encore dans la description de l’agmen quadratum (40,2), avec sa file de cavaliers plus longue au pied des collines pour prendre l’éventuel aggresseur à la fois de front et à revers [122]. Enfin, l’image d’une ville ouverte (41,2) dans laquelle les troupes romaines pénètrent librement, mais qu’elles devront quand même détruire, est, au terme de tout l’épisode, particulièrement frappante : les Romains disposent maintenant si totalement du terrain, qu’ils font disparaître ce qui, trop étendu, ne peut être absolument contrôlé. Le prodige final (41,3), qui divise Artaxate en deux zones, l’une claire, extérieure aux remparts, et qui sera sauvée, l’autre noire et qui sera détruite, exalte cette mainmise sur l’espace, qui est la caractéristique essentielle de la campagne de Corbulon en Arménie [123].

Ce que Tacite souligne, et de manière très délibérée, dans un récit de ce genre, c’est donc bien l’opposition de deux espaces. L’un, celui des Barbares, est essentiellement désorganisé ; il est animé de mouvements multiples et divers, sans coordination et presque sans but ; il est celui de la volte-face, de la fuite et de l’attaque par surprise ; l’autre, celui de Rome, est un espace qui s’organise et se met sans cesse en forme ; il s’étend, se développe et se caractérise aussi, dans les détails même de sa progression, par une rigoureuse composition : l’armée se déplace en agmen quadratum et le siège qu’elle mène est quadripartito (39,3) ; ce sont des blocs équilibrés qui avancent et qui petit à petit rognent à tel point le terrain de l’adversaire, qu’il doit finalement vider les lieux.

Cependant, et c’est aussi le sens de ces descriptions, l’espace ne s’ordonne ici que par la volonté d’un homme qui a les vertus du chef, est soucieux de discipline et capable aussi de donner l’exemple (35,4) ; quand ce chef manque, l’espace se décompose comme à Bédriac et retourne à la barbarie.


Conclusion

Nous sommes ainsi passés, presque inévitablement, d’un décor stéréotypé à un espace lourd de significations, dont il n’est possible ici que de mentionner l’existence.

Ce qui compte en effet, plus que l’emplacement exact des troupes et des fortins, ce sont les notions d’ordre et de désordre, de discipline ou d’anarchie, d’héroïsme ou de lâcheté. S’il y a, dans un récit historique, le point de vue du combattant perdu dans la tourmente et celui de l’état-major penché sur les cartes, il y a aussi celui de l’historien philosophe ou moraliste, désireux de découvrir les grandes tendances et de les rattacher à des ensembles plus vastes ; c’est évidemment cette attitude qu’a choisie Tacite et aussi cette esthétique. Elle exclut immanquablement le pittoresque, l’exactitude et la précision que nous cherchions tout à l’heure ; elle exclura de même la minutie chronologique et parfois même s’y opposera.

Il se produit ainsi comme une inversion totale des techniques utilisées par César. La narration ne peut plus évoluer dans un univers immuable et déterminé dès le début ; c’est au contraire l’espace et le décor qui changent avec elle ; tantôt le paysage s’élargit, tantôt il se resserre, tantôt il se réduit à un seul élément privilégié, lorsque le récit, devenant tableau, s’arrête sur lui comme il s’arrêterait, devenant discours, sur un personnage particulier.

Attitude caractéristique d’un homme qui regarde au-delà des apparences et ne veut pas s’y laisser prendre, l’espace, le décor et le monde même ne sont plus, en quelque sorte, que l’extérieur évanescent du réel et ne méritent pas plus que les visages ou les choses trop banales d’entrer dans les Annales du peuple romain. L’essentiel est en effet de comprendre ce qui s’est passé, plutôt que d’admirer ce qui ne saurait durer [124] ; c’est le présent sans doute qui est alors en jeu.

Ce que l’espace devrait donc seulement exprimer, c’est l’ordre et l’immobi lité. Mais dans une œuvre historique l’espace est presque toujours un lieu, voire un objet, de conflit ; ce qu’il contient, c’est le combat qui vise à sa conquête, ce qui est presque toujours l’enjeu final, c’est la possession de ce qu’il représente et le vainqueur est généralement celui qui a su y prendre la meilleure place. Expression naturelle d’un ordre presque immuable, le décor devient alors le lieu même où s’instaure le pire désordre ; il se crée en effet au rythme des mouvements convulsifs qui le travaillent et l’utilisent avant de lui rendre, du moins voudrait-on l’espérer, l’ordre fixé qui le caractéris [125] A l’espace de la volonté qu’incarne un Corbulon s’oppose alors, quand on assassine un empereur en plein Forum (H., 1,40 - 43), quand les Romains prennent leur propre Capitole (H., 3,71,1-3) ou quand l’incendie ravage la Ville (A., 15,38,1-3), l’espace éphémère du drame et du pathétique. Ordre, désordre, mise en ordre et parfois retour à l’ordre initial, ces bouleversements sont aussi les mouvements profonds du monde et de l’histoire telle que Tacite la ressent.

Ainsi, comme la description du feu et de la panique qu’il provoque dans les rues de Rome rend l’action à la fois plus particulière et plus générale, de même l’espace va sans cesse chez Tacite au-delà des simples rapports de lieu, de distance ou de position ; il signifie toujours autre chose que lui-même, parce que par lui-même il ne signifie manifestement rien ; au lieu d’être une simple et stérile expression de la disposition des choses destinée à faire comprendre une série d’itinéraires ou d’événements, il devient une expression de l’histoire et de son sens ; il n’est plus là pour la clarté, mais pour l’effet. Les lieux de l’action sont donc toujours décrits pour ce qu’ils représentent, plutôt que pour ce qu’ils sont et l’intention de l’auteur est moins de donner à voir que de donner à penser.


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Notes

1. Par exemple H., 2,87,2 ; 2,89 ; 4,2,6 ; A., 3,2,2.

2. Par exemple H., 5,23,1-4 ; H., 4,22,5 ; A., 2,8,1 ; 2,23,1- 2 ; 15,46,2.

3. Par exemple H., 1,66,1-2 ; 5,26 ; A., 6,37,3 ; 13,38,3-4 ; 15,29,2-3.

4. Par exemple H., 1,23,2 ; 1,70,5 ; 3,59,3.

5. Par exemple A., 12,13,2 ; 12,17,1 ; 13,41,2.

6. Par exemple A., 1,50,2 - 3 ; 1,61,l.

7. Par exemple H., 1,32,2 ; 3,84,8-9 ; A., 13,5,1 ; 13,15,5 ; 14,8,2-5 ; 11,37 ; 15,55,1.

8. Par exemple H., 1,40-43 ; A., 12,43,1.

9. Par exemple A., 14,6 ; 15,60,4.

10. Par exemple H., 2,93,2 - 3 ; A., 4,70,2 ; A., 14,61,l.

11. Par exemple A., 3,1,3 ; 4,74,4 ; 14,8,l ; 14,30,l.

12. Par exemple H., 2,19,1 (Padus) ; H., 4,22,5 ; A., 1,45,2 ; 4,73,1 ; 11,lS,2 ; 13,53,1-2 (Rhenus) ; A., 6,37,1 ; 12,11,3 ; 15,9,1 (Euphrates) ; A., 12,13,1 (Tigris).

13. Par exemple H., 2,14,4 ; 4,15,7 ; A., 12,32,1 ; 13,39,1 ; 14,29,3. La Méditerranée n’est jamais nommée (par exemple H., 2,14 ; A., 3,1 ; A., 14,10,3).

14. Par exemple H., 1,64 ; 1,70,2 ; 2,2,5 ; 5,11,12 ; A., 2,53,3 ; 2,54,1-2 ; 2,60 ; 12,13,2.

15. Par exemple A., 1,60,3 ; 14,23-24,1.

16. Par exemple H., 5,22,9 (Lupia) ; 5,23,2 (Os Mosae) ; 5,26,2 (Nabalia) ; A., 1,56,3 (Adrana) ; 1,60,2 ; 1,63,3 ; 2,8,1 (Amisia) ; 2,11,1 (Visurgis) ; 11,10,2 (Erindes et Sindes) ; 12,14,1 (Corma) ; 12,16,2 (Panda) ; 13,39,6 (Araxes) ; 15,15,1 (Arsanias) etc. Pas de nom cependant en H., 5,20,3 ; 5,21 ; 5,22,1-8 ; A., 1,49,4. De même les canaux du Rhin sont nommés en A., 2,8,1, mais indéfinis en A., 11,18,2.

17. Parfois comme en A., 15,9,1, la dimension du fleuve se dégage de la nature même des faits qui s’y déroulent. On trouve quelquefois aussi l’indication de l’étiage (par ex., H., 4,26,1-2 ; A., 1,56,2) ou des crues (par ex., A., 2,8,3). Dans la plupart des cas cependant, le fleuve n’est indiqué que pour situer le lieu de l’action, le but à atteindre ou le parcours suivi. Ces indications peuvent parfois suffire et l’on est heureux de les trouver, mais le récit reste sans décor ; comme sur une carte, qui serait d’ailleurs très imprécise, le lieu est présent, mais l’espace et ses dimensions sont absents. On le verra, César est à cet égard beaucoup plus clair.

18. Par exemple H., 3,26-33 (Crémone) ; H., 5,11,6-12,2 (Jérusalem).

19. Par exemple H., 1,67,4 ; A., 6,42,1 ; 12,13,2 ; 13,39,1. Leur position est en outre rarement indiquée (par exemple H., 1,64,4 ; 2,15,5 ; A., 2,54,1-2 ; 12,16).

20. Par exemple H., 1,68,2 ; 2,19,5 ; A., 12,16,2 ; 13,39,2 ; 14,25,1.

21. Les monuments ne sont en effet décrits que par leur histoire (par exemple H., 2,2,5-3 ; 4,82-84 ; A., 2,60 ; 4,43,1). En A., 13,31,1 Tacite exprime nettement son mépris pour les détails trop précis. (Voir en outre A. Rouveret, Tacite et les monuments, dans ce même volume [ANRW, II, 33,4].

22. Par exemple H., 1,66,7 ; A., 1,56,1 ; 6,41,1 ; 12,13,3 ; 15,10,3 (montagnes) ; A., 1,60,3 ; 1,63,1 ; 2,11,2 ; 11,8,4 (forêts et plaines).

23. D’une manière explicite (par exemple A., 15,63,3) et le plus souvent implicite (par exemple A., 13,31,1), Tacite renvoie fréquemment son lecteur à des ouvrages plus spécialisés, qui semblent ainsi devenir le complément indispensable du récit.

24. On trouvera parfois quelques « éléments de paysages » bien signalés par Turcan (p. 789- 794 spécialement), mais, dans l’ensemble, on ne voit rien des pays dans lesquels se jouent les destins de l’empire ; le froid de la Bretagne ou de la Germanie, la chaleur de l’Egypte ou de l’Asie sont aussi peu évoqués que la pluie ou le soleil ; voir cependant A., 1,30,2 (pluie) ; 13,35,3 (froid) ; 14,24,1 (chaleur). L’eau seule est présente (par exemple H., 5,15,2-3 ; A., 1,30,2 ; 1,64,2), et spécialement en Germanie, où elle est souvent un élément héroïque et littéraire, plutôt qu’un trait véritablement descriptif.

25. Il suffit pour s’en convaincre de relire, par exemple, le récit de l’assassinat d’Agrippine (A., 14,1-8), dans lequel on trouve une habile alternance des scènes d’extérieur et des scènes d’intérieur. Si l’espace extérieur est parfois évoqué (par exemple 8,1), l’espace intérieur, celui des palais, des salles, des banquets, du bateau même, ne l’est jamais, mises à part l’arrivée d’Anicetus (8,2) et la faible lueur près du lit d’Agrippine (8,3-5).

26. Il s’agit certainement de l’Elbe, mais rien ne le prouve.

27. Il s’agit là d’un cas spécial d’espace "en extension". L’indication crebrioribus praesidiis est donc à classer ailleurs ; elle désigne en effet un ensemble de postes qui ne se trouve justement pas près du pont, que Corbulon veut jeter sur l’Euphrate et qu’il est, pour cette raison, nécessaire de défendre avec des bateaux d’abord, puis en occupant les collines.

28. Lorsqu’elle prend la forme d’un complément circonstanciel de lieu, la description à 1 élément est en fait très proche de ce qu’on pourrait appeler "simple localisation par un mot". Sans que la distinction soit toujours très facile à établir, ou même très évidente, nous estimons cependant qu’il y a complément de lieu, seulement si l’accent est mis sur l’action, l’objet ou l’individu et si le décor ne prend pas de place pour lui seul ; il y a au contraire une amorce de description de l’espace, lorsque l’accent est mis sur un élément du décor qui semble alors bénéficier d’un statut personnel. C’est pourquoi, par exemple, nous trouvons une indication descriptive dans les phrases suivantes : pugnabaturque in angustiis ambigue donec Germani transnatantes terga Labeonis invasere (H., 4,66,3) ; M. Tubellius, ...duos colles quos Barbari insederant, minori Cadra, alteri Davara nomen est, operibus circumdedit (A., 6,41,1), alors que nous n’en trouvons pas dans les expressions du type at Romae ou dans des phrases comme idem annus gravi igne Urbem adfecit, deusta parte circi quae Aventino contigua, ipsoque Aventino (A., 6,45,1). Il reste cependant qu’il y a quelque difficulté à distinguer, comme nous l’avons fait, Tunc milites ad caedem missi invenere in prominenti litoris, nihil laetum opperientem (A., 1,53,5) (1 élément), Stabat pro litore diversa acies, densa armis virisque, intercursantibus feminis (A., 14,30,1) et ibi campo aut litore jacentes nullo discrimine noctem ac diem juxta gratiam aut fastus janitorum perpetiebantur (A., 4,74,4) (lieu pur). Ce qui est certain cependant, c’est que, même si l’on admet l’existence des descriptions à un seul élément, elles ne proposent toujours que des décors très sommaires et qu’on ne peut jamais parler dans ce cas ni d’espace réel ni d’étendue ; c’est la raison pour laquelle nous nous bornons à en signaler quelques-unes sans y insister davantage.

29. Notons aussi dès maintenant que le nombre des éléments descriptifs se répartit d’une manière assez nette et finalement logique. Lorsque Tacite signale plus d’un élément, sa tendance est d’en indiquer 3 plutôt que 2 (sur 19 cas, 4 à 2 éléments contre 11 à 3 éléments), de manière sans doute à enfermer le lieu de l’action dans une sorte de tracé clos et idéal. Les présentations à 4 et 5 éléments participent de la même tendance que nous jugeons extrêmement significative et qu’on pourrait retrouver dans l’expression du temps, dans l’agencement du récit et même dans l’idéologie et la méthode historique de l’auteur.

30. 1 site à 5 éléments, 3 sites à 4 éléments, 11 sites à 3 éléments, 4 sites à 2 éléments.

31. Hauteurs, plaines, fleuves, forêts, digues, marais, mer, remparts, forts, vallum.

32. Gourbis, temple, lac.

33. Il faut ajouter cependant que sur les 8 sites restants, 5 sont des villes ou des forts, autour desquels ou pour lesquels on va se battre (Jérusalem, Rigodulum, Celenderis, Auzea, Séleucie). Il n’y a donc que 3 sites décrits en dehors d’opérations purement militaires (Brundisium, lac Fucin, entrevue entre Tiridate et Corbulon).

34. Les digues et les marais n’apparaissent en effet qu’en Germanie et les forêts en Germanie 4 fois sur 5.

35. Si l’on considère que les tours font partie des remparts, on obtient un total de 14 mentions sur 33. Tours et remparts sont les seules mentions concrètes pour Aventicum, Plaisance, Seleucie (A., 6,42,1), Volande, Artaxate et Legerda.

36. Dont une fois seule à Trébizonde (H., 3,47,4).

37. Vicus Aquensis et Ninive, économiques dans un cas, historiques dans l’autre.

38. Civitas potens (A., 6,42,1), implicatur obsidione urbis validae (A., 11,S,3). Volande, de même : quod validissimum in ea praefectura, cognomento Volandum (A., 13,39,2).

39. Trad Grimal. Aucune ville n’étant ici nommée, l’attribution des remparts à Aventicum, citée quelques lignes plus bas (H., 1,6S,6), n’est que probable. Voir aussi Le Bonniec et Wuilleumier, 211, n. 3.

40. Exception faite de Jérusalem : et turres, ubi mons juvisset, in sexagenos pedes, inter devexa in centenos vicenosque attollebantur, mira specie ac procul intuentibus pares ; mais c’est surtout l’esthétique qui explique la présence des dimensions.

41. Voir par exemple, le relevé effectué par Tozzi, 113-117, pour les villes d’Italie du Nord.

42. A contrario, Tozzi, 111-112. Mais, en ce qui concerne, par exemple, les murailles, les postes ou les tours, les indications, apparemment nombreuses, sont en fait vagues et purement répétitives : si pateant portae (20,3), quanta altitudo moenium (20,4), sub ipsa moenia (21,1). Les seules précisions, toutes relatives, sont en 30,1-3 (ardua urbis moenia, saxeae turres, ferrati portarum obices et propinqua muris tecta).

43. Tozzi, 107-110, avec de prudentes réserves cependant (106 et 110-111).

44. L’impression d’étendue et l’aspect concret et précis du paysage tiennent au fait que l’ensemble est montré comme un tout successif, mais lié. La structure même de la phrase et son vocabulaire insistent nettement sur ce point. La ligne de bataille est en effet présentée de telle sorte que : – 1) sur les hauteurs proches de la mer se dresse l’infanterie de marine. – 2) tout ce qui est entre ces collines et la mer est tenu par les prétoriens. – 3) la mer est occupée par la flotte tournée vers le rivage. Il s’agit d’un mouvement continu que les expressions utilisées (in collis mari propinquos, quantum inter collis ac litus aequi loci, in ipso mari), la place des mots (rapprochement de mari propinquos et de quantum, reprise en tête de in ipso mari) et la chute finale (conversa et minaci fronte praetenderetur) soulignent avec insistance. Cette continuité, qui est en fait celle de la ligne othonienne, disposée tout en longueur d’un bout à l’autre de l’horizon, rend ici l’espace particulièrement perceptible.

45. Cette remarque est évidemment très subjective. C’est l’ordre d’apparition des éléments dans la lecture et dans le texte qui nous suggère l’idée naturelle d’une gauche et d’une droite : ce qui apparaît en premier semble être à gauche et ce qui apparaît ensuite plus à droite. Cf. cependant infra, note 60.

46. Le seul élément précis, et encore, dont nous disposons dans ces 4 textes est l’indication angustum concernant la crête occupée par Sabinus (A., 4,47,2).

47. La poussée vers l’avant est rendue particulièrement nette en A., 12,33 par l’emploi successif de praestruit, praefluebat et pro munimentis. Si le verbe praefluebat est fréquent, praestruit est un apax chez Tacite (Koestermann, 3,165) ; il faut évidemment garder dans ces trois cas l’idée de "devant", "en avant" et non pas interpréter praefluebat comme praeterfluebat, pro munimentis comme "auf den Befestigungen" (Koestermann, ib.). On trouve de même, en H., 14,4, et comme dernier mot, praetenderetur.

48. Dans cet ordre d’idées, on ne trouve une indication vraiment précise qu’en A., 4,49,1.

49. Clausum, intus, ambibat (A., 2,19,2). Inter, circum (A., 1,63,4). Medius (A., 2,16,1). Saeptum (H., 4,71,6). Cinguntur (A., 2,80,3). Circum, claudebatur (A., 4,25,1). Clausum (A., 14,34,1). Cincto ratibus ambitu, spatium amplexus, in modum theatri (A., 12,56,2-3).

50. Le champ du second affrontement entre Arminius et Germanicus est d’abord montré comme un lieu clos par le fleuve et des forêts (A., 2,19,2 : locum flumine et silvis clausum) ; les Longs Ponts apparaissent comme une chaussée étroite au milieu des marécages (A., 1,63,4 : angustus is trames vastas inter paludes) ; la plaine d’Idistavise est immédiatement située entre la Weser et les collines (A., 2,16,1 : is medius inter Visurgim et colles) ; Rigodulum est enclose entre les montagnes et la Moselle (H., 4,71,6 : montibus aut Mosella amne saeptum); Celenderis est entourée de 3 côtés par la mer (A., 2,80,3 : nam cetera mari cinguntur) ; la position d’Auzea est forte des ravins qui la ferment (A., 4,25,1 : vastis circum saltibus claudebatur) ; le site choisi par Suetonius est fermé par une gorge étroite et par une forêt (A., 14,34,1 : a tergo silva clausum) ; la description des jeux donnés sur le lac Fucin commence par l’évocation du cercle que forment les radeaux (A., 12,56,2 : cincto ratibus ambitu).

51. Le cercle des radeaux se trouve autour du lac et non pas au centre ; les navires évoluent donc à l’intérieur de cette limite tracée sur les eaux. Cf. Koestermann, 3,205, qui note aussi la présence de amplexus en A., 4,49,1 avec le même sens.

52. Koestermann,4,93.

53. Libre, ouverte (Grimal, 732), ou sans défense, c’est à dire que l’ennemi ne s’y trouve pas. Le sens de "découverte" (Wuilleumier, 4,99) n’est pas satisfaisant ; de même, locum artis faucibus ne désigne pas seulement une gorge, mais un lieu comportant un passage resserré, qui ne peut être que celui par lequel les Bretons accèderont au lieu lui-même.

54. Comme s’il y avait futurum esse après in fronte.

55. Koestermann, 4,97 trouve le récit confus, mais (4,93) il considérait la description de l’espace du combat comme claire ; ce serait plutôt l’inverse. On ne peut en fait comprendre le combat que si l’on a compris d’abord le terrain.

56. Aucune indication cependant sur la hauteur des collines ou leur distance par rapport au fleuve et à la plaine ; aucun renseignement non plus sur les dimensions de cette plaine ou la largeur de la Weser. Nous saurons seulement que la Weser est sinueuse en cet endroit (inaequaliter sinuatur) et que la terre est nue dans la forêt (silva ... pura humo inter arborum truncos), c’est-à-dire qu’on n’y trouve pas de broussailles ou de taillis.

57. Trop tôt, semble-t’il, puisqu’ils devaient attendre que le combat fût engagé (16,2 : ut proeliantibus Romanis desuper incurrerent). Per ferociam (17,1) exprime certainement plus la cause que la manière : par suite de leur fougue (a contrario, Wuilleumier, 1,87, mais Koestermann, 1,283).

58. Une autre hypothèse est cependant possible, car l’expression qui silvam tenuerant (17,3) s’applique mal aux Chérusques qui tenaient les hauteurs (17,2) : ce serait que certains Germains, installés dans la forêt, fuient en avant vers les Romains ou vers le fleuve, tandis que les Chérusques fuiraient vers la forêt ; mais l’expression qui campis adstiterant ne convient pas davantage pour les Chérusques et la fuite vers l’ennemi n’est pas fréquente! Nous choisissons le plus plausible dans un récit peu clair.

59. Locum désigne l’ensemble du lieu, dont flumine, silvis et arta intus planitie ne sont que des éléments. Le lieu est pésenté comme très fermé (clausum, intus, ambibat) et il semble qu’on ne peut y pénétrer que par les forêts (ingressis silvam legionibus) ; mais dans ce cas, comment accéder à la plaine sans franchir les marécages ou l’agger? L’emploi de quoque insiste, d’autre part, sur le caractère clos de l’ensemble! Pourtant les Romains peuvent attaquer par la plaine sans traverser les marécages (20,1).

60. C’est ce qui ressort aussi des fouilles signalées par Koestermann, 1,286 ("der Wall nahm einen Teil des Raumes zwischen der Weser und den Waldern im Osten ein"). On peut aussi en conclure que, dans ce cas au moins, Tacite nomme bien d’abord ce qui est à gauche (donc à l’ouest) et ensuite ce qui est à droite (donc à l’est). Il y a cependant une grande différence entre trouver le lieu de l’action et en saisir le déroulement narratif!

61. Le problème repose peut-être sur les propinquis lucis de 19,2 dans lesquels s’est cachée la cavalerie germaine ; cette cavalerie est en effet presque oubliée par Tacite, qui place les Germains (19,2), les Romains (20,1) sous Tubero, puis ne parle plus ni des uns, ni des autres, sauf en 21,2, c’est-à-dire à la fin. Ce sont justement ces bois que Koestermann, 1,286, se fondant plus sur l’archéologie que sur le texte, qualifie de montagneux ; mais lucum n’évoque pas l’idée de mons ; même si cette solution était acceptable, elle ne serait pas satisfaisante, puisque ni les propinquis lucis, ni les montes, ne sont situés. Il ne peut y avoir non plus, dans ce passage très sûr, une erreur de texte.

62. Pour Koestermann, 1,288 Germanicus modifie sa direction après avoir pris l’agger et s’oriente vers l’Est, ce qui met le fleuve dans son dos ; c’est négliger que pour avoir le fleuve derrière soi, il faut être de toute manière dans la plaine! On peut cependant situer le mur au nord-est, la cavalerie, dans la plaine au sud, contenant la cavalerie germaine (Koestermann, 287) ; Germanicus pourrait dégager le mur et l’occuper sans le franchir (mais les Germains ne contre-attaqueraient-ils pas?) ; il attaquerait ensuite à l’est vers les forêts (in silvas, non pas dans les forêts [Wuilleumier, 89], mais plutôt à l’attaque des forêts [Grimal, 437] ou contre les forêts) et aurait ainsi derrière lui le fleuve et, sur sa droite, sa cavalerie ; mais les montagnes sont encore de trop et, dans l’hypothèse de Koestermann, il y aurait, entre elles et Germanicus, tous les cavaliers! C’est aussi ne plus parler de la première vague d’assaut romaine, entrée dans le bois, à côté du mur. Le texte, on le voit, résiste à toutes les analyses : l’espace est incohérent et ne suit pas le récit.

63. En 64,4-5, Tacite présente en effet les réflexions de Caecina relatives à l’avenir (futura volvens) et sans doute les ordres qu’il donne aussitôt, ce qui explique le présent deliguntur, dans lequel s’exprime un ordre de marche qui ne sera exécuté que le lendemain (65,3). Il s’agit donc, en 64,3 et 65,1, de la même nuit. Cf. Koestermann, 1,220 et a contrario Niperdey. La plaine désignée par Caecina en 64,4 sera occupée en 65,3 par les légions indisciplinées qui ne respectent pas l’ordre de marche établi la veille. De ce point de vue, les choses sont donc assez claires ; ce qu’on ne peut comprendre, c’est à quel endroit Caecina dresse le camp, vu la description que Tacite donne des lieux en 63,4.

64. Cf. par exemple, en 65,7, à propos du deuxième camp. Ces opérations n’étaient-elles pas encore plus complexes à réaliser en 64, quand on était sur l’agger (angustus trames), qui ne devait pas offrir beaucoup de terre ou de gazon?

65. A propos du cercle dans lequel se livrent les combats, on peut voir, dans un autre contexte, Malissard 1.

66. B.G., 2,18-28.

67. Latissimum flumen, ... altissimas ripas (2,27,5). Il faut remarquer que ces deux détails n’apparaissent qu’au dernier paragraphe du récit (27) et pratiquement dans les dernières lignes. N’ajoutant rien d’essentiel au plan des lieux tracés dans le premier paragraphe (18), ils contribuent seulement à héroïser l’action des Nerviens, c’est-à-dire à justifier les difficultés rencontrées par César ; leur rôle est, en ce sens, très proche de celui que jouent souvent chez Tacite les descriptions de l’espace.

68. Par exemple, en 19,7-8 ; 23 ; 26,4 ; 27,5.

69. Veteranus miles (14,5).

70. Vitelliani, ... , Alpinos proximis jugis, cohortis densis ordinibus post equitem locant (14,4). Sur l’ensemble du passage, voir Heubner, 61 et Le Bonniec, 164, n. 12.

71. A., 4,47,2. En A., 4,49,1-2, les détails sont plus précis, mais ils sont vite oubliés au profit d’un récit pathétique (49,3-51) qu’ils servent à introduire.

72. La perte de la fin du livre 5 des Histoires ne permet pas d’estimer l’usage que Tacite aurait fait de sa description de Jérusalem. Il est frappant cependant que, dans le cas du grand incendie de Rome, la description topographique se limite au début du récit (A., 15,38) : une fois cité le grand cirque dans sa partie proche du Célius et de l’Aventin (38,2), une fois signalée l’extension du feu sur la longueur du cirque (38,2), les lieux précis s’effacent et sont remplacés par des termes généraux (plana, edita, inferiora, 38,3) jusqu’au moment où l’on passe au tableau, à la fois général et particulier, des rues de Rome dans l’incendie (38,4). De même, lorsqu’il décrit (A., 15,42,1) la maison de Néron, Tacite glisse, dans la même phrase, de la description de la domus à la mentalité des architectes, qui devient en fait l’essentiel du chapitre (42,1- 2).

73. Si certains éléments manquent fréquemment au récit (en H., 2,14,4 la présence des vétérans, en A., 2,19,2 la voie d’accès à la plaine, en A., 14,34,1 le pourtour de la plaine), d’autres viennent parfois s’y ajouter (en A., 2,20,3 des hauteurs, en A., 1,64,4, une plaine). L’espace est, nous le verrons, essentiellement variable.

74. Comme la description de Crémone, le site des batailles de Bédriac, trop multiple et surtout trop dispersé, ne pouvait figurer dans les tableaux que nous donnons dans la première partie.

75. Pour les problèmes d’itinéraires dans les deux batailles de Bédriac, voir les recherches de Tozzi, 107-109 et 117-122.

76. Tozzi, 129 juge précise la description du territoire de Crémone, mais, à propos déjà des combats qui se livrent près du pont (35), nous ne savons rien, par exemple, de l’emplacement de l’île, ni de la largeur ou de la profondeur du fleuve. De même, dans le cas de la première bataille, il n’y a, pour l’ensemble du texte, que quatre indications de distance (en 39,1 ; 40,1 ; 40,2 et 45,1). Or, la seconde (40,1) ne s’accorde pas avec les données géographiques (sur les problèmes posés par le texte, à propos de la rivière qui se jette dans le Pô, voir un bon résumé dans Tozzi, 124-126) et la quatrième (45,1) répète la première (39,2), puisqu’il s’agit, dans les deux cas, du camp des Othoniens. Surtout ces quatre indications, qui se ramènent à une seule, sont fournies sans orientation, ce qui ne permet pas de situer les lieux. En ce qui concerne la topographie, on peut consulter, pour les deux batailles, Passerini et Tozzi, avec bibliographie jusqu’en 1931 et 1970, ainsi que Syme 157-175, Brugnoli et Malissard 3. Pour la première bataille seule, on peut voir aussi Koestermann, 2,23-29 et Albertini.

77. 41,6-7. Voir une possibilité de réponses dans Albertini, 79, n. 68.

78. Apparemment en trois endroits : près du camp des Vitelliens d’abord (41,3-4), puis ailleurs (41,5 -42), puis dans une plaine (43).

79. Ita victores latus hostium invecti (43,5). Et media acie perrupta (44,1). Dans les deux cas, il s’agit des armées othoniennes, dont on n’aurait pas songé qu’elles fussent en ligne. Tacite pense certainement ici à la disposition des légions qui combattent dans la plaine ; le récit abandonne donc entièrement les soldats qui se battent dans les arbustes et les vignes ou sur la route.

80. Cf. 44,1-2. Le camp des Othoniens est à 4 milles de Bédriac (39,2) ; la bataille s’est livrée au-delà du camp othonien, près du camp vitellien (41,3-4) et les Vitelliens arrêteront leur avancée à 5 milles de Bédriac, donc 1 mille avant le camp ennemi (45,1). Dans ces conditions, on comprend mal que les routes allant vers Bédriac soient encombrées de cadavres (44,2 : obstructae strage corporum viae, quo plus caedes fuit).

81. Tozzi, 129.

82. Il est à remarquer combien sont vagues les cartes qu’on essaie d’établir à partir du texte. Voir, par exemple, Wellesley, 75 et 146.

83. Antonius se déplace de Vérone à Bédriac en deux jours (15,5) et les Vitelliens font, pour leur part, une marche de 30 milles avant d’atteindre Crémone (21,1). Pour être plus précises que celles qui concernent la première bataille, ces indications ne suffisent pourtant pas à tracer des itinéraires. Pour la deuxième bataille, on peut consulter aussi Bardon et Guallazini.

84. Le reste est totalement flou : on ne sait jamais notamment par où arrivent les troupes, par exemple, en 16,1 ; 22,1 et même 19,1.

85. C’est aussi que la bataille est plus complexe et sa narration nécessairement plus longue (10 chapitres au lieu de 6 pour la première bataille).

86. Spécialement en ce qui concerne la disposition de la route : in ipso viae Postumiae aggere ... per apertum limitem (21,3) ; in aggerem viae (23,3) ; per limitem viae (25,5). Il y a aussi deux belles évocations de l’espace proprement dit (16,1 : motum fremitumque late audiri ; 18,1 : ad quartum a Cremona lapidem fulsere legionum signa Rapacis atque Italicae) .

87. On pourrait citer aussi par exemple H., 4,28-30 ; 33-34 ; 66 ; A., 6,35 ; 13,40 ; 14,24.

88. A., 2,45,46. Les hauteurs signalées en 46,4 ne font évidemment pas partie du décor de la bataille ; elles ne servent que de refuge au vaincu.

89. A., 6,42,1-2. Comme Jérusalem, la ville est cependant décrite deux fois (la seconde en A., 11,8,3).

90. Seule exception : le développement relatif au temple d’Alexandrie (H., 4,82-84).

91. C’est ainsi qu’il se refuse à décrire l’amphithéâtre que Néron fit construire au champ de Mars (A., 13,31,1).

92. On ne peut dire avec E. Aubrion, 120, n. 3 (à propos de A., 4,67,2) que Tacite aimerait encore évoquer des paysages pittoresques lorsqu’on l’entend expliquer pourquoi Tibère a choisi de se retirer près de Capri. Il suffit en effet de lire le paragraphe dans son ensemble pour voir que les éléments évocateurs ne sont ici retenus que pour produire un effet de contraste avec la suite.

93. Loci natura erat haec (B.G., 2,18,1) ; ea loci forma H., 5,14,4).

94. En A., 2,21,1 le passage est aussi une apologie des armes romaines, qui souligne encore la sagesse de Germanicus, puisqu’elle ne fait que développer un point de son discours (A., 2,14,3). Dans d’autres combats (par exemple H., 5,14,4), les armes romaines peuvent être inadaptées.

95. Clara et antiquis victoriis par ea die laus parta (A., 14,37,2). Il s’agit là encore d’une victoire éclatante ; c’est ce que ressent Poenius Postumus qui se suicide (A., 14,37,3) : comme dans le cas de Dolabella, l’incompétence des autres généraux est ici soulignée.

96. H., 5,18,3. Thème inverse de celui d’Ostorius (A., 12,35), qui se trouve deux fois opposé à Cerialis. Cf. infra, n. 99 et 102.

97. Au mauvais choix du site s’ajoute l’absence de précautions, qui permet aux Romains de surprendre Tacfarinas (A., 4,25,2). L’installation dans un fort ruiné ne peut donc être une ruse.

98. Au contraste entre Dolabella, maître du terrain, et Tacfarinas, qui le choisit mal, s’en ajoute un autre ; il ressort en effet du passage et de la légèreté de Tacfarinas, qu’il aurait pu être éliminé plus tôt, si les chefs romains avaient eu des talents en rapport avec les honneurs qu’ils acceptaient à Rome (A., 4,23,1). C’est Blaesus qui est visé, et à travers lui Tibère et Séjan, puisque le triomphe sera refusé à Dolabella (A., 4,26,1).

99. A., 12,35,1. Dans un contexte assez semblable, cette attitude est très différente de celle de Cérialis devant Rigodulum (H., 4,71,7 : nec deterruere ea munimenta Romanum ducem ..., spreto hoste...).

100. En A., 12,33, 35,1 et 35,2-3.

101. Contrairement à leur chef, les soldats ne sont pas effrayés par les ouvrages bretons ; leur décision détermine Ostorius, qui ajoute sa prudence (il reconnaît les lieux après en avoir eu peur) à leur ardeur (A., 12,35,1- 2).

102. Même si Cérialis paraît plus emporté et moins sage qu’Ostorius, cet épisode ressemble beaucoup, dans son déroulement et son esprit, à la prise de Rigodulum (H., 4,71,7-8) : l’assaut romain, donné pareillement de haut en bas, provoque le même sentiment d’exaltation, mais Tacite insiste plus sur sa violence (71,8 : deturbati ruinae modo praecipitantur). On a ici affaire à une forme stéréotypée de construction narrative, qui consiste à opposer deux types de généraux. Cf. supra, n. 96 et 99.

103. Pour la force : urbem arduam situ opera molesque firmaverant, in immensum editos etc. Pour la beauté : la forme des murs, l’équilibre des tours, la hauteur de la tour Antonia, le temple lui-même etc.

104. L’impatience des soldats (H., 5,11,4) s’ajoute à celle de Titus et fait penser à celle des Flaviens d’Antonius devant Crémone (H., 3,19,2-6) ou à celle des soldats d’Ostorius (A., 12,35,1). Il s’agit encore d’un stéréotype narratif.

105. Cette tendance est parfois sensible dans le style. C’est ainsi que dans la description de Celenderis (A., 2,80,3), le zeugma (hinc militum, inde locorum asperitas, Koestermann, 1,402), qui associe le caractère des soldats et celui du terrain révèle bien, indépendamment des tendances stylistiques et esthétiques dont il est aussi l’expression, l’emprise des facteurs psychologiques sur la description tacitéenne : le paysage et l’espace sont en fait imprégnés d’autre chose ; la description se charge d’éléments étrangers à elle-même, qui se rattachent directement, ou indirectement, à l’homme et à ses préoccupations. De la même manière, dans la description de la plaine d’Idistavise, Tacite emploie un vocabulaire militaire pour définir le paysage (A., 2,16,1: ut ripae fluminis cedunt aut prominentia montium resistunt).

106. Cela est vrai particulièrement de Cérialis (H., 5,14), de Germanicus (A., 1,16 sqq.), de Dolabella (A., 4,25,1), d’Ostorius (A., 12,33 sqq.), de Suetonius (A., 14,34) et de Corbulon (A., 15,9 sqq.). On pourrait aussi montrer que, comme l’espace, le temps est souvent exprimé à travers les personnages qui le vivent. Cf. à cet égard les remarques de Cizek 1 et 2.

107. Il en est de même du temps et des hommes eux-mêmes qui apparaissent toujours dans ou comme une suite d’images parfois très différentes les unes des autres.

108. En A., 6,42,1 et A., 11,8,3. Il s’agit de Séleucie sur le Tigre. Cf. Koestermann, 2,340. Cf. supra, n. 38.

109. Onze années plus tard, mais la ville n’a guère dû changer et se trouvait déjà sur le Tigre auparavant!

110. H., 2,41,6 -7. Dans un cas semblable (H., 3,25,4 -5), la route peut apparaître longée par un sentier qui facilite le cheminement des vainqueurs.

111. H., 3,21,3. Tout le passage n’est d’ailleurs pas dénué d’une ironie assez noire.

112. C’est la seule mention de la voie avec son nom.

113. H., 3,21,4 : Hic aquilarum signorumque ordo ; milites mixti per tenebras, ut fors tulerat.

114. Antonius réussit cependant mieux en H., 3,27,2-3. Dans tout ce passage apparaît ainsi une notion d’ordre ou de désordre, qui dans la description tacitéenne de l’espace est fondamentale.

115. A., 1,65,6 : enisaeque legiones vesperascente die in aperta et solida ; A., 1,68,3 : aequis locis aequos deos.

116. Par exemple : vastas inter paludes, circum silvae (A., 1,63,4) ; medio montium et paludum (A., 1,64,4).

117. Germanicus et ses lieutenants peuvent ici apparaître comme les vengeurs de Varus ; ils ne font pourtant qu’échapper aux Germains!

118. L’opposition entre Corbulon et Paetus rappelle celle que nous avons déjà trouvée entre Dolabella et ses prédécesseurs ou entre Suetonius et Poenius Postumus (A., 14,37).

119. Toute cette description, si l’on n’en retient que les détails relatifs au décor, fait penser au début de la frise continue de la Colonne Trajane (images 1 à 5 dans la classification de Cichorius) qui présente d’abord des postes romains sur les rives du Danube pour aboutir au pont de bateaux, sur lequel les légions passent le fleuve en 101. Sur la frise toutefois la vue ne va pas en s’élargissant, mais en se resserrant autour du pont, des troupes et de ceux qui les commandent : l’intention est différente, mais le procédé semblable.

120. Le but de Corbulon (34,2) est d’ailleurs de reprendre ce qu’avaient conquis Lucullus et Pompée. Cf. M.-L. Chaumont, L’Arménie entre Rome et l’Iran I. De l’avènement d’Auguste à l’avènement de Dioclétien, ANRW II, 9,1, éd. H. Temporini, Berlin-New York 1976, 100.)

121. La répartition des troupes en quatre éléments travaillant tous par des méthodes différentes en des points différents paraît un peu théorique et même un peu figée. Elle correspond bien cependant à la description des sièges sur les bas-reliefs et notamment à celle du siège de Sarmizegethusa sur la colonne Trajane (Cichorius, images 113 à 118). A propos des rapports qu’on peut discerner entre le texte de Tacite et les sculptures de la colonne Trajane, voir par exemple, M. Turcan, 796 804 et, dans ce même volume (ANRW, II, 33,4), R. G. Tanner, The Development of Thought and Style in Tacitus.

122. On remarqua que les autres descriptions d’agmen quadratum (par exemple A., 1,51,2 ; A., 2,16,3) ne donnent pas tant d’importance à l’espace qui entoure la colonne et se bornent en fait à une description technique et militaire. Il est intéressant de noter aussi que l’agmen de Corbulon n’est pas accessible à l’ennemi, alors que celui de Germanicus (A., 1,51,3) en subit les assauts.

123. N’affrontant pas deux adversaires, mais décrivant seulement une série d’opérations diverses, plus proches de la répression que de la guerre proprement dite, la seconde campagne de Corbulon en Arménie (A., 14,23-26) ne revêt pas du tout la même valeur symbolique.

124. A ce propos, voir, par exemple, Malissard 2.

125. L’épisode de la destruction (H., 3,71) et de la reconstruction (H., 4,53) du Capitole est ici très caractéristique : l’éternité s’exprime dans la restauration scrupuleuse de l’espace initial.


Cette étude a été publiée dans Aufstieg und Niedergang der Römischen welt (A.N.R.W.),
II,33,4, 1991, pp. 2832-2878.


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