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L’ENSEIGNEMENT DU LATIN AUX ÉTRANGERS PAR LA MÉTHODE AUDIO-VISUELLE
(U.E.R. de Lettres de l’Université de Besançon)


 

Le centre de Linguistique Appliquée (C.L.A) attire à Besançon de nombreux étrangers qui désirent enseigner le français hors de France et préparent au Centre et à l'U.E.R. Lettres une J.io.no. de Français Appliqué.

À l’origine, cette licence était indépendante de la licence de Lettres Modernes, avec laquelle elle ne présentait que quelques points communs dans les enseignements ; mais, à partir de la rentrée de 1975, les étudiants du C.L.A. durent obligatoirement obtenir un D.E.U.G. de Lettres Modernes et seule la troisième année demeura distincte.

Du coup, tous les étrangers se virent contraints de préparer une valeur de Latin pendant leurs deux premières années de séjour et s’inscrivirent dans les valeurs d'apprentissage destinées aux étudiants de Lettres Modernes [A partir de la rentrée de 1978, ils peuvent, en principe, consacrer encore au latin une partie de leur troisième année ; ce perfectionnement peut être pris en option et ne présente pas de caractère obligatoire.]

Leur afflux posant de nombreux problèmes d'effectifs et d’enseignement, il parut nécessaire, ne fût-ce que pour décharger dea valeurs très encombrées, d'organiser des cours distincts et l’on décida d'utiliser les méthodes d'enseignement audio-visuel bien mises au point par les latinistes d'Orléans. [On en trouvera dans ce même numéro un compte-rendu détaillé ; nous ne parlerons donc pas de la méthode proprement dite, qui est exactement la même.]

Il semble que l'accueil réservé à cette initiative ait été d'abord sceptique ou amusé : on voyait mal ces étrangers s'asseoir devant un récepteur de télévision pour apprendre le latin, quand ils avaient encore des difficultés à parler le français. Pourtant l'expérience s’est révélée fructueuse et connaîtn un succès qui dépasse… nos moyens.

1- Organisation pratique de l’enseignement.

a)- Matériellement.

La mise en place de la valeur ne posa pas de problèmes particuliers. Le matériel néoessaire fut trouvé à l'Institut de Psychologie, qui nous autorise à utiliser deux heures par semaine le circuit fermé de télévision dont il dispose. Il fallut aussi reproduire les feuilles de texte et d'exercice communiquées par Orléans, puis obtenir l'achat d'une bande de magnétoscope en un pouce, qui fut enregistrée par les laboratoires de La Source.

La complaisance et l'aide efficace de nos collègues d'Orléans et des psychologues de Besançon nous permirent de commencer les cours dès la rentrée de 1975. Qu'ils en soient de nouveau remerciés.

b)- Administrativement.

Le cours fut d'abord inséré dans la valeur préexistante (Initiation à la langue et à la littérature latines), dont il constituait l'une des options.

A cette époque, les étudiants pouvaient donc choisir entre trois voies dans une même valeur: l'option A leur permettait d'étudier le latin par une méthode classique et de continuer à des niveaux de plus en plus élevés; l'option B, qui insistait moins sur la langue que sur la littérature, leur donnait une culture minimale, sans qu'ils puissent aller plus avant ; l'option C, conseillée aux étrangers, utilisait l’audio-visuel et aurait pu être continuée pendant un ou deux ans.

Le succès considérable de cette option et l'afflux des étrangers dès la rentrée de 1976 nous conduisirent ensuite à faire éclater en trois la valeur initiale. L'option C devint alors une valeur à part entière intitulée : Initiation audio-visuelle à la langue et à la littérature latines et sévèrement réglementée.

c)- Réglementation.

Les cinq points de la réglementation de cette valeur ont été fixés l'année dernière et répondent à diverses oonsidérations.
1) Les étudiants ne doivent pas avoir fait de latin dans leur pays d'origine.
2) La valeur est réservée aux étrangers qui préparent la licence de français appliqué et à eux seuls.
3) Le nombre des étudiants est limité à 20-25 après examen des dossiers.
4)- L'assistance est obligatolre et aucune dispense de contrôle continu ne peut être accordée.
5) Toute absence non justifiée à deux cours consécutifs, ou à quatre cours dans l'année, entraîne l’exclusion.

Si cette réglementation répond à des impératifs pédagogiques évidents, elle tient compte aussi du fait que les candidats sont plus nombreux que les places disponibles. Comme il ni est pas possible de travailler efficacement avec un groupe supérieur à 20 – ce qui est d’ailleurs exactement la capacité de la salle audio-visuelle – il serait évidemment nécessaire de dédoubler les heures; mais nous n’avons aucun moyen pour le faire et les étrangers que nous ne pouvons admettre se reportent en général vers l'ancienne option B, plutôt que vers l'ancienne option A, qui exige un niveau de langue supérieur à celui qu'ils possèdent en arrivant en France; ils ne peuvent donc, malgré leur désir, apprendre vraiment le latin et c'est regrettable.

d)- Fréquentation et résultats.

Le seul énoncé des mesures prises en 1976 montre bien que la méthode connaît un gros succès. Les chiffres ne feront que le confirmer.

En 1975-1976, les étrangers n'étaient que 5. En 1976-1977, ils étaient 40, auxquels s'ajoutaient une vingtaine de Français! Aucune mesure n'ayant été prévue, il fallut détourner les Français vers l’option A, mais le nombre des étrangers ne descendit pas en dessous de 35, tous étudiants de seconde année. En 1977-1978, ils étaient 36, dont 24 seulement furent retenus.

Sur les 35 de 1976-1977, il y eut 3 abandons et 7 échecs en juin, dont deux définitifs. La moyenne d'ensemble fut basse et la progression très lente, conséquences inévitables de la surcharge et des conditions de travail dans une salle devenue trop petite.
Sur les 24 de 1977-1978, il y eut 2 abandons et un échec en juin, conduisant à l'abandon en septembre. Les notes étaient très supérieures à celles de l'année précédente et le programme avait été fait dans sa quasi totalité ; 21 étudiants sur 24, ou 21 sur 22 restants, avaient été reçus en juin, ce qui est tout à fait normal avec une méthode où la dernière leçon ne peut être comprise qu' à condition qu'on connaisse bien toutes les autres.

Nous n'avons pas encore les effectifs de l'année qui va commencer, mais il est probable qu'ils seront en gros les mêmes et qu'il faudra « sélectionner ».

II- Répartition des étudiants par nationalités

 

Origine
Étudiants 76-77
Étudiants 77-78
Afghanistan
2
Arabie Saoudite
1
Chypre
1
Espagne
1
Équateur
1
Japon
1
Jordanie
3
1
Koweit
4
9
Lybie
1
Maroc
1
Mexique
1
Nigéria
6
Ouganda
1
Portugal
1
Salvador
1
Syrie
1
Tunisie
1
Turquie
1
Uruguay
1
U.S.A.
1
1
Venezuela
1
Yemen
7
Zambie
9


Seize pays ont donc été représentés en 1976-1977 par 35 étudiants et 10 pays en 1977-1978 par 24 étudiants; sur deux ans, 21 pays ont été représentés par 59 étudiants. On voit que les groupes les plus importants sont ceux de la Zambie et du Koweit, du Nigéria, puis de la Jordanie ; il est à noter que dans tous ces pays, dont la deuxième langue est pourtant l'anglais, le latin est fréquemment enseigné dans les établissements secondaires, ce qui n'est pas toujours le cas dans les zones où le Français domine. Enfin, beaucoup de candidats venus d'Amérique Latine ont été refusés, parce qu'ils avaient déjà fait du latin.

II)- Quelques remarques.

a)- Accueil réservé à la méthode. La méthode audio-visuelle ne déroute absolument pas les étrangers. Il n'est, par exemple, jamais nécessaire au professeur de franchir l'espèce de mur, auquel on se heurte souvent, lorsqu'on travaille avec des étudiants français. C'est que les techniques fondamentales sont en gros celle qu'on utilise couramment pour enseigner notre langue hors de France. Les étudiants se trouvent donc en terrain connu: d'emblée, ils comprennent et réagissent bien, ce qui est un indéniable avantage au départ.
Cependant l’assimilation définitive est plus lente qu'avec des Français : les deux heures hebdomadaires, qui suffisent à Orléans pour retenir une leçon complète, doivent être prolongées à Besançon d'une troisième heure consacrée à la littérature et aux exercices. Il faut aussi faire le point toutes les cinq leçons environ.
Cette lenteur s'explique certainement par la diversité des langues en présence: ce qui paraît clair à un Africain ne l'est pas pour un Arabophone et inversement ; il faut donc s'arrêter plus souvent que dans un cours homogène, où les esprits réagissent ensemble, à quelques différences individuelles près.

b)- Le français approfondi. Cet apprentissage direct du latin permet aux étrangers d'approfondir et de fixer les connaissances qu’ils ont acquises en français.
D’abord, et, c'est le propre du latin, les étudiants redécouvrent les mots qu'ils utilisaient déjà couramment., Pour eux, ce vocabulaire encore neuf n'est qu'une sorte de code auquel on ajoute soudainement un passé, qui l'enracine mieux dans leur esprit.
Ensuite, et c'est le propre de la méthode, l'apprentissage audio-oral facilite le maniement du français. La répétition orale améliore la diction des Africains, toujours empêtrés dans la prononciation des R, surtout lorsque leur seconde langue est l'anglais. La dictée d'un texte latin mémorisé sans avoir été lu oblige les Arabophones à distinguer les I des U et des E, sans leur tendre les pièges, parfois absurdes, de l’orthograhe et de la prononciation françaises.

c)- Le professeur constate avec intérêt que l’assimilation des règles propres au latin varie avec les continents.
Il devient évident, par exemple, que les Africains sont les plus rapides ; viennent ensuite les Arabes, souvent gênés cependant par le maniement des voyelles ; les derniers sont curieusement les Latino-Américains, qui semblent ne jamais retenir qu'un mot latin se décline et dont le vocabulaire est toujours incertain.
La relative proximité des langues est-elle un obstacle? La différence totale des systèmes un avantage? Y a-t-il aussi des problèmes de tournure d'esprit? S'agit-il d'un hasard propre à ces deux années? Il est encore trop tôt pour le dire.

d)- Une langue commune. Ce qui est, en revanche, certain, c'est que la découverte du latin, présenté comme le serait une langue vivante, est une expérience unique pour ces étudiants de races et de mentalités très différentes.
Pour la première fois en effet, l'occasion leur est offerte d'apprendre ensemble une langue, dont ils ne connaissaient rien auparavant. Faisant effort ensemble et restant chacun en soi-même, ils se découvrent les uns les autres en découvrant le latin. Tel point particulier, qui pose régulièrement problème au Zambien, au Jordanien ou au Vénèzuelien, révèle finalement aux autres une tendance ou d'esprit, ou de langue; chacun finit ainsi par acquérir un sens plus aigu des particularités d'autrui. Le latin devient un révélateur en même temps qu'un mode oommun d'expression.
Beau succès, semble-t-il, que celui d'une méthode et d'une langue, qui permettent à chacun de comprendre mieux ce qu'il est, tout en lui faisant découvrir ce que sont les autres.

 

L'expérience est donc passionnante, autant sur le plan humain que sur le plan pédagogique, et redonne au latin l'une de ses fonctions premières, celle d'unifier pour un temps les langages en leur révélant aussi leurs spécificités. Il reste cependant à déplorer qu'il ne soit actuellement possible, ni d'en faire bénéficier tout le monde, ni de l'étendre au-delà d'une année.


Article publié dans les Actes du XIe Congrès de l'A.P.L.A.E.S.,
Metz-Nancy, Pont-à-Mousson, mai 1978


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