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ALAIN MALISSARD
(1936-2014)
EN CE TROP BREF ÉTÉ,
roman, 1962

Prix international du Premier Roman


Quatre parties : L'oeil de verre / Le Canal bleu / Les Brandons / La Nuit blanche

– Analyse du roman –

LE DÉBUT DES VACANCES POUR ANTOINE LANTAIN

Nous sommes en 1957. A Paris, rue Saint-Jacques, Antoine Lantain sort du lycée "Barbusse" où il vient de passer avec succès l'oral du baccalauréat ; il doit sa mention "bien" surtout à son excellente explication de Chant d'Automne de Baudelaire. Pendant ses épreuves orales, il avait côtoyé avec un brin d'émotion une jeune fille très attirante, Catherine. A la sortie du lycée, elle lui suggère qu'ils pourraient ne pas se quitter si vite, qu'il pourrait peut-être rester à Paris avec elle pour la nuit. Mais il préfère aller prendre son train pour rentrer chez lui. Il aura bientôt comme un vague regret de cette occasion manquée.

Les parents d'Antoine sont agriculteurs dans le Gâtinais, au hameau de La Mardelle-au-Coq, près de Chalinais [Courtenay]; ils sont fermiers du comte Arlémont qui habite au château des Brandons [Pennery]. De Paris, Antoine téléphone au château pour que la comtesse envoie sa femme de ménage à la ferme de ses parents, afin de les informer de son succès. Puis il prend le train jusqu'à Montargis, le car jusqu'à Chalinais et, la nuit tombée, termine à pied jusqu'à La Mardelle-au-Coq.

Ses parents le félicitent. C'est un moment de bonheur pour ce garçon que son instituteur avait présenté au concours des bourses, ce qui lui avait permis d'entrer sans examen au collège de garçons de la rue Gambetta à Montargis, où il avait fait toutes ses études pendant sept ans.

Pour le début de ses vacances, Antoine va assister au festival de musique de Chalinais, où viennent concourir les cliques de toute la région. Il y rencontre la comtesse Arlémont et remarque surtout sa jeune nièce Carole, qui le surprend avec son chandail gris, sa robe rouge en crinoline et ses cheveux blonds roux en chignon ; il sent que, plus intéressée par le jazz que par les études, elle vit dans un autre monde que le sien.

Bientôt il est invité au château des Brandons. Il est un peu tendu pendant ce dîner en compagnie du comte, de son fils Renaud, de sa fille Brigitte, une gamine de 15 ou 16 ans, genre pimbêche, qui se veut "moderne" et préfère le jazz aux études classiques. Et surtout il remarque Mme Arlémont, la comtesse, qui ne cesse de le caresser voluptueusement de son regard. Cette femme d'une quarantaine d'années l'attire et l'inquiète tout à la fois. Elle lui est d'abord apparue ironique et cruelle, surtout le jour où il la vit, au bord de l'étang proche de sa ferme, l'étang des Reverdys, écraser lentement un insecte du bout de son pied.

En attendant d'entrer à la Catho à Paris pour faire une propédeutique, Antoine décide de se faire recruter à Montargis à l'école religieuse du Donjon, à l'emplacement de l'ancien château, pour y donner, pendant les vacances, des leçons de grec et de latin aux élèves des petites classes. Il y occupe une chambre dans une tour d'angle. Pour toute distraction, il dispose d'un électrophone et de disques de chants religieux.

UNE AVENTURE AMOUREUSE D'ANTOINE AVEC SEFCHEN

A peine installé dans sa chambre, animé d'un vague désir, Antoine descend en ville sur la place du Pâtis où s'est arrêté un cirque, le National Circus. Il assiste à la parade pendant laquelle une jeune trapéziste, Sefchen, et un Italien, Reinato, jouent avec une écharpe; il est tout ému lorsque la jeune fille lui donne un baiser ; c'est comme si une lumière s'était tout à coup posée sur lui. La jeune fille s'appelle Sefchen (comme la Sefchen la Rousse qui fut un amour d'enfance d'Heinrich Heine).

Un soir il la retrouve en ville et il l'emmène au Pathé-Cinéma voir un film dramatique avec Fernandel, qui la fait pleurer. A la sortie, il l'emmène au bord du canal, près de la passerelle métallique et de la Vieille Tour, et là ils échangent pour la première fois baisers et caresses. Mais Seften le prévient qu'elle ne laisse pas les garçons aller plus loin avec elle : "Elle ne baise pas encore", confirmera ensuite Reinato, semblant le regretter.

Les soirs suivants ils vont au jardin Durzy et s'embrassent jusqu'à la nuit. Le dimanche, Sefchen étonne son ami Reinato en allant à la messe à Sainte-Madeleine uniquement pour apercevoir Antoine assis au milieu des soutanes des autres professeurs du Donjon. Ensuite leurs rencontres se multiplient, à la piscine, puis dans la forêt proche. Pour combattre le désir qu'il a de la jeune fille, Antoine choisit sur la foire une jeune Parisienne en vacances, l'entraîne au bord du canal et s'enivre de son corps : cela lui permettra, pense-t-il, de résister à la tentation et de mieux respecter Sefchen.

Alors la jeune trapéziste, un peu jalouse, accepte de venir chaque soir en cachette rejoindre Antoine dans sa chambre du Donjon. Peu à peu elle lui cède et elle se laisse déshabiller…. Pour que le bruit de leurs ébats n'alerte pas le Supérieur, ils mettent un disque de musique sacrée. Enfin, un des derniers soirs de l'été, elle se donne entièrement à lui.

Les jours suivants, Antoine ne peut la voir que de loin, dans les parades et dans les dernières représentations du cirque. Car celui-ci va bientôt quitter Montargis. Alors, après le feu d'artifice qui doit clore la foire, Sefchen accepte de venir coucher une dernière fois avec lui. Mais, alors qu'elle se sauve du Donjon au petit matin, un vieil abbé la voit sortir. Convoqué par le Supérieur à midi, Antoine se fait vivement réprimander. Le soir, il retourne sur le Pâtis : le cirque n'est plus là, parti en direction de Châteaurenard. Il apprendra que Sefchen était venue deux fois au Donjon pour essayer de le voir, mais que le concierge lui avait menti en disant qu'Antoine était sorti. Bien qu'on ne lui demande pas vraiment de partir, Antoine décide de mettre fin à son engagement avec l'école du Donjon.

UNE LIAISON D'ANTOINE AVEC LA COMTESSE ARLÉMONT

Informée de son aventure avec Sefchen, Mme Arlémont vient en voiture chercher Antoine pour le ramener à Chalinais. Il sent chez cette femme à son égard une "pensée trouble et secrète". Elle l'invite à déjeuner le lendemain au château des Brandons en compagnie du curé-doyen. Là on lui propose de venir désormais tous les jours pour donner des leçons de grec et de latin à Renaud et à Brigitte. Il accepte d'autant plus facilement qu'il espère pouvoir facilement faire la conquête de cette dernière. En effet, Sefchen a été vite oubliée : lorsqu'il en reçoit une lettre venant de Pithiviers dans laquelle elle lui dit maladroitement son amour (MBBSTBA, Mille Bons Baisers Sur Ta Bouche Adorée) et le désir qu'elle a de lui (par le timbre collé à l'envers), il décide de ne pas répondre.

Venant tous les jours aux Brandons, Antoine entre bientôt dans l'intimité de la famille Arlémont. Cette famille descend d'un jardinier devenu général d'Empire, puis comte et préfet du Loiret, qui a acheté les Brandons en 1813. Le comte Philippe Arlémont siège au conseil municipal de Chalinais. La comtesse Jenny Arlémont, une Anglaise, touche à la quarantaine ; elle a eu une multitude d'amants à Parme, à Tolède, à Athènes et elle est toujours insatiable. Leur fils Renaud est un garçon sans histoires. Leur fille Brigitte, de 15/16 ans, préfère le jazz aux études classiques. Mme Arlémont a une nièce, Carole, elle aussi très jeune fille moderne.

Rapidement, Antoine se trouve engagé dans une aventure avec la comtesse, qui le regarde comme, dans le Rouge et le Noir de Stendhal, Mme de Rênal regarde Julien Sorel :
– D'abord, sous prétexte de lui apprendre à danser, la comtesse, sans se soucier du regard de sa fille, approche sa bouche tout près de ses lèvres.
– Un jour qu'elle le trouve endormi avec la chatte de la maison sur les genoux, sous le prétexte de caresser l'animal, c'est plutôt lui qu'elle caresse ; aussitôt, cette femme, en short rouge et chemisette blanche, lui inspire "un désir violent, mais immobile et muet". S'enhardissant, il ose lui faire un baiser dans la paume de sa main ouverte.
– Un soir, ils se donnent rendez-vous à demi-mots sur la petite plage de l'étang des Reverdys ; s'y étant retrouvés, ils vont se réfugier dans le lavoir pour échanger baisers et caresses.
– Enfin, le soir suivant, alors que le comte vient de partir à une réunion du conseil municipal et que la bonne a été envoyée au cinéma, Mme Arlemont, en chemise de nuit transparente, le fait entrer dans sa chambre et se donne à lui, "hystérique et insatiable", jusqu'à ce que le retour du comte oblige le garçon à fuir discrètement.

Alors commence pour Antoine une vie nouvelle, avec la découverte du plaisir que peut donner le péché, le mensonge, la transgression des tabous et le goût délicieux de l'adultère. Presque toutes les nuits, pendant que tout le monde dort au château, il vient coucher avec la comtesse. Il aime jouer avec le risque en obligeant sa maîtresse à venir nue sur le balcon. Dans la journée, il danse avec elle et Brigitte. Sous le prétexte de lui apprendre à conduire sa 203, Mme Arlémont l'emmène souvent en pleine nature et ils font l'amour "en plein champ, en plein bois, dans un fossé, sur un talus, dans les roseaux de l'étang, bouches et lèvres délirantes". Fier de ses prouesses amoureuses, Antoine multiplie les imprudences.

Le comte ne semble pas s'en émouvoir. Au bal des Horticulteurs Anciens Rapatriés, alors qu'Antoine danse avec sa femme, il ne réagit guère lorsqu'il le voit l'embrasser dans le cou . Ce bal est un "moment somptueux" pour Antoine : il danse avec Brigitte, il danse, en la serrant d'un peu près, avec la jeune femme du vieux sous-préfet ; il sent que tout le monde l'admire et le regarde comme l'amant de la dame du château. Dans sa faim de plaisirs, il veut être comme Alcibiade, élégant et débauché.

C'ÉTAIT HIER L'ÉTÉ… VOICI L'AUTOMNE

Mais tout cela va bientôt prendre un autre tour. L'été est fini ; le lendemain du bal, il fait un temps d'automne. Et tout commence à se détraquer. Brigitte le surprend alors qu'il tient sa mère dans ses bras et elle s'enfuit en pleurant ; la comtesse, ne voulant pas renoncer à son jeune amant, devra la renvoyer à Paris. Le père d'Antoine, qui a compris que la comtesse est devenue la maîtresse de son fils, lui fait brutalement la morale, alors que sa mère, plus indulgente, comprend que son enfant est devenu un homme. D'ailleurs, bientôt, les vacances s'achevant, il va devoir tout quitter pour aller à Paris.

C'est alors que les événements, en quelques heures, vont précipiter Antoine dans le drame.
– A midi, il apprend que le National Circus s'est installé à Chalinay et l'envie le prend de revoir Sefchen.
– A seize heures, Carole, la nièce de Mme Arlémont, arrive à l'improviste au château avec toute une bande de jeunes qui organisent une surprise-partie et Antoine découvre ce monde qu'il ne connaît pas mais qui le déçoit, avec en particulier Amiel, un homme de 35 ans, une sorte de parasite mondain.
– A dix-huit heures, la comtesse l'oblige à danser avec elle ; elle se fait douce et câline ; elle est jalouse de Sefchen ; il repense, lui, à cette Catherine dont, à Paris, il aurait pu accepter l'invitation, ce qui, peut-être, aurait changé le cours de sa vie. Il va, encore une fois, à l'étang avec la comtesse: elle s'accroche à lui, mais lui-même commence à étouffer dans ce faux amour.
– Alors la comtesse, quittant le lavoir, va prendre sa voiture pour essayer de rencontrer cette Sefchen, la fille du cirque. Sur la place, elle voit l'Italien Reinato qui lui révèle une chose affreuse: Sefchen après son aventure avec Antoine, s'est retrouvée enceinte ; elle n'a rien voulu dire au jeune garçon ; Reinato l'a envoyée à Paris où elle a avorté ; mais des complications sont survenues et elle vient d'être transportée à l'hôpital d'Orléans ; lui-même, comme étranger, craint d'être inquiété par la police. La comtesse lui conseille de fuir et elle lui donne de l'argent pour qu'il puisse prendre le train. Puis elle revient au château.
– A vingt-deux heures, la surprise-partie se poursuit dans un mortel ennui. Carole se laisser embrasser par Antoine, puis elle l'entraîne dans la chambre de Brigitte.
– Peu avant minuit, Antoine voit enfin la comtesse ; elle lui dit seulement que quelque chose ne va pas au cirque et qu'il doit y aller. Empruntant la 203, Antoine se précipite vers la place de Chalinay. Reinato, qui est toujours là, lui raconte tout.
– A minuit, Antoine conduit Reinato à Sens pour qu'il puisse prendre un train à minuit trente. Puis il revient vers Chalinay et, par Villemandeur, fonce vers Orléans.
– A trois heures du matin, il arrive à l'hôpital où on le fait attendre. La comtesse, qui a pris la Mercedes de Carole, l'y rejoint.
– A six heures ils apprennent que Sefchen vient de mourir. Antoine se réfugie dans la cathédrale Sainte-Croix pour méditer sur ses aventures de l'été.

Sans se dire un mot, mais lourds de pensées, Antoine et la comtesse reviennent à Chalinay dans la Mercedes. Maintenant, il n'ira plus coucher avec elle. Il a cru pouvoir acquérir à vingt ans toute l'expérience d'une femme touchant à la quarantaine. Elle a vieilli ; il est devenu un homme. C'était hier l'été, voici l'automne… Adieu, vive clarté de nos étés trop courts… Le texte qu'il eut à expliquer au baccalauréat était-il prémonitoire ?


LA FIN DU ROMAN

Depuis deux siècles, la jeunesse apprend 
chaque jour un nouveau chapitre d'histoire ; 
chaque chapitre est une raison de moins pour 
vivre. Nous ne pouvons plus croire que nos 
amis ont tout à fait raison et nos ennemis 
tout à fait tort. Il n'y a plus assez de peuples 
dans l'erreur ; il y a trop de causes presque 
justes et pas assez de tout à fait injustes; 
notre ardeur de vivre se heurte à la vanité 
des occasions de vivre… Je ne savais pas que, 
de l'autre côté de la Méditerranée, une guerre 
nouvelle, atroce, allait me contraindre à la 
réflexion, puis à l'action ; j'étais trop jeune 
et le temps n'était pas encore venu.
Il me restait l'amour.
Privé des valeurs traditionnelles et incapable d'en proposer d'autres, j'avais carica
turé mes désirs et changé en vanité ce qu'ils 
voulaient d'héroïque. J'avais joué mon amour 
pour rien, j'avais vécu pour rien. Cachant 
dans ma recherche du plaisir un besoin 
d'amour, j'y trouvais aussi l'image de la 
mort…
– Nous sommes arrivés, dit la comtesse. 
Depuis quand est-elle silencieuse ? Je l'entends encore me dire: « Sefchen vous a sauvé, 
vous croyez à l'amour. »

**

Je me suis éveillé brutalement. Il fait nuit. 
Tout est calme. Un pincement cruel au 
cœur, le vague souvenir d'un rêve pâle 
et tourmenté, l'impression que tout chavire. 
Une main resserrée sur une ombre insaisissable, la conscience aiguë de tout cet été 
perdu, passé; la sensation d'un bonheur fulgurant, présent quelque part en moi ; un ami 
qui serait devenu mon plus implacable 
ennemi. Jamais plus, c'était la première fois. 
Cela n'arrivera jamais plus ; c'est fini, déjà. 
Je ne me rendormirai pas.
Tout avait été si simple; et maintenant, 
cette étrange et soudaine maladie, ce cancer 
des souvenirs, des remords, des désirs, qui se 
développe douloureusement en moi avec l'intelligence tardive des événements. Je revois, 
dans notre bois, ce jeune renard, hurlant, la 
patte prise dans les dents d'acier d'un piège. 
J'avais tout fait pour le délivrer ; il cherchait 
à mordre.
Mon père a fait une scène chez la comtesse. Il me boucle. Je lui résiste et je prends le contrepied de tous ses désirs. Cette nuit 
encore, je vais sauter par la fenêtre et ne rentrer qu'à sept ou huit heures. Il pensera que 
j'étais aux Brandons ; pourtant, je n'y vais 
pas, je n'irai jamais plus. Il y aura encore 
une dispute épuisante…
Je me suis assis sous un arbre au sommet 
de la petite colline. Une vache est venue me 
regarder. En moi, quelque chose de fou gonfle 
ses forces pour faire basculer le temps, comme 
une pierre trop lourde, s'arc-boute, tire et sou
lève un peu, retombe. Je pense à la chaleur 
des draps, aux mains détendues, aux anciens 
réveils de l'enfance avec des chambres douces 
et closes. J'ai froid. Mes parents vont bientôt 
se lever. Les vitres du silo sont rouges et 
tremblantes, les fumées mauves, les toits violacés, une masse énorme et tiède s'élève au-
dessus de la Maltournée. Mes yeux se ferment, 
je sens sur mon front la frêle chaleur d'un 
soleil d'automne.

C'était hier l'été, voici l'automne…
Tout l'hiver va rentrer dans mon être : colère, 

Haine, frissons, horreur, labeur dur et forcé…

Adieu, vive clarté de nos étés trop courts !

Le vent disperse les feuilles jaunies déjà de 
mon été ; je me répète, caressant les mots, 
les réchauffant entre mes lèvres, leur donnant 
une vie qui me dévore :

Adieu, vive clarté de nos étés trop courts!

FIN

Montargis : Le Château [le Donjon]  
Mo Montargis : la passerelle sur le canal et la tour Montargis : le jardin Durzy
Les Reverdis La Mardelle-au-Coq
Courtenay Le château de Pennery [Les Brandons]

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