VINGT DESSINS DE JEAN-MARIE DELAPERCHE
exécutés vers 1801-1818
ILLUSTRANT
DES SCÈNES DE LA MYTHOLOGIE
ET DE L'HISTOIRE GRECQUE ET ROMAINE
exposés au Musée des Beaux-Arts d'Orléans en 2020
On renvoie, pour les illustrations, au Catalogue de l'exposition.
Pour voir une visite virtuelle de la totalité de l'exposition "Delaperche un artiste face aux tourments de l'histoire" :
TÉLÉMAQUE DANS L'ÎLE DE CALYPSO, D'APRÈS FÉNELON
C'est à la légende d'Ulysse que sont consacrés deux dessins de Delaperche. Ils concernent le séjour du fils d'Ulysse, Télémaque, dans l'île d'Ogygie habitée par la nymphe Calypso. Dans l'Odyssée, Homère raconte qu'elle a recueilli Ulysse après son naufrage et que, tombée amoureuse de lui, elle a réussi à le retenir sur son île pendant sept ans. Finalement c'est sur l'ordre de Zeus qu'elle le laissera partir.
Dans son Télémaque (1696) Fénelon imagine que sont arrivés dans cette île le fils d'Ulysse, Télémaque, et son maître Mentor (en réalité c'est la déesse Minerve qui a pris l'apparence du vieil homme). Les deux dessins de Delaperche sont des illustrations du livre VI du Télémaque.
• CALYPSO ÉCARTE D'ELLE L'ENFANT AMOUR ET LE POUSSE VERS EUCHARIS (catalogue p.267)
Télémaque et Mentor sont devant la nymphe Calypso. Une douzaine de jolies nymphes, compagnes de Calypso, les entourent, admiratives devant le jeune et beau Télémaque, pour lequel elles ont cueilli des fleurs en chantant. Calypso, amoureuse du jeune homme, veut le retenir dans son île. Pour cela elle a reçu l'aide de Vénus, qui a envoyé son fils, le petit enfant Amour, avec mission de rendre Télémaque amoureux de la nymphe. L'enfant Amour s'est approché de Calypso. Mais celle-ci a senti si violemment "la flamme qui coulait dejà de son sein" qu'elle a voulu se soulager en repoussant l'Amour vers la nymphe qui était auprès d'elle, nommée Eucharis. C'est ce geste qu'a représenté Delaperche dans le premier dessin, un geste dont "Calypso devait bientôt se repentir de l'avoir fait !"
Fénelon, Télémaque, livre VI
Calypso employait ses plus belles nymphes à faire naître les feux de l'amour dans le cœur du jeune Télémaque, et une divinité plus puissante qu'elle vint à son secours pour y réussir. Vénus, toujours pleine de ressentiment du mépris que Mentor et Télémaque avaient témoigné pour le culte qu'on lui rendait dans l'île de Chypre, ne pouvait se consoler de voir que ces deux téméraires mortels eussent échappé aux vents et à la mer dans la tempête excitée par Neptune. […] Elle appelle son fils, et, la douleur répandant sur son visage de nouvelles grâces, elle parla ainsi : "Vois-tu, mon fils, ces deux hommes qui méprisent ta puissance et la mienne ? Qui voudra désormais nous adorer ? Va, perce de tes flèches ces deux cœurs insensibles : descends avec moi dans cette île ; je parlerai à Calypso." Elle dit, et, fendant les airs dans un nuage tout doré, elle se présenta à Calypso, qui, dans ce moment, était seule au bord d'une fontaine assez loin de sa grotte. Malheureuse déesse, lui dit-elle, l'ingrat Ulysse vous a méprisée; son fils, encore plus dur que lui, vous prépare un semblable mépris; mais l'Amour vient lui-même pour vous venger. Je vous le laisse : il demeurera parmi vos nymphes, comme autrefois l'enfant Bacchus fut nourri par les nymphes de l'île de Naxos. Télémaque le verra comme un enfant ordinaire ; il ne pourra s'en défier, et il sentira bientôt son pouvoir. Elle dit, et, remontant dans ce nuage doré d'où elle était sortie, elle laissa après elle une odeur d'ambroisie dont tous les bois de Calypso furent parfumés. L'Amour demeura entre les bras de Calypso. Quoique déesse, elle sentit la flamme qui coulait déjà dans son sein. Pour se soulager, elle le donna aussitôt à la nymphe qui était auprès d'elle, nommée Eucharis. Mais hélas ! dans la suite, combien de fois se repentit-elle de l'avoir fait ! Rien ne paraissait plus innocent, plus doux, plus aimable, plus ingénu et plus gracieux que cet enfant. A le voir enjoué, flatteur, toujours riant, on aurait cru qu'il ne pouvait donner que du plaisir : mais à peine s'était-on fié à ses caresses qu'on y sentait je ne sais quoi d'empoisonné. L'enfant malin et trompeur ne caressait que pour trahir, et il ne riait jamais que des maux cruels qu'il avait faits ou qu'il voulait faire.
• MENTOR SOUSTRAIT TÉLÉMAQUE À L'INFLUENCE DE L'AMOUR (catalogue p.268)
En effet Télémaque sentit bientôt pour la nymphe Eucharis une folle passion, qui excita la jalousie et la colère de Calypso. Celle-ci pressa donc Mentor de construire un vaisseau pour reconduire Télémaque à Ithaque. Mais l'Amour poussa les nymphes à incendier ce navire, ce qui emplit Télémaque d'une joie secrète. Mentor, voyant que « Télémaque allait retomber dans toutes ses faiblesses », aperçut au loin sur la mer un vaisseau qui n'osait approcher de l'île. Alors il prit de force le jeune homme pour l'éloigner de Calypso et d'Eucharis. C'est ce moment qu'a représenté Delaperche dans le second dessin.
Fénelon, Télémaque, livre VI
Mentor vit bien que Télémaque allait retomber dans toutes ses faiblesses et qu'il n'y avait pas un seul moment à perdre. Il aperçut de loin, au milieu des flots, un vaisseau arrêté qui n'osait approcher de l'île parce que tous les pilotes connaissaient que l'île de Calypso était inaccessible à tous les mortels. Aussitôt le sage Mentor, poussant Télémaque, qui était assis sur le bord du rocher, le précipite dans la mer et s'y jette avec lui. Télémaque, surpris de cette violente chute, but l'onde amère et devint le jouet des flots. Mais, revenant à lui et voyant Mentor qui lui tendait la main pour lui aider à nager, il ne songea plus qu'à s'éloigner de l'île fatale.
LA FLOTTE D'ÉNÉE PRISE DANS UNE TEMPÊTE, D'APRÈS L'ÉNÉIDE
C'est le début du livre I de l'Énéide qui a inspiré deux dessins de Delaperche. Virgile y raconte la tempête par laquelle Junon a tenté de couler la flotte des Troyens et qui a été apaisée par Naptune.
• AU LARGE DE LA SICILE, ÉOLE DÉCHAÎNE DES VENTS CONTRE LA FLOTTE D'ÉNÉE (p. 271)
Venant de Troie, les navires d'Énée et de ses compagnons viennent de passer le long des côtes de Sicile et, pour gagner l'Italie, mettent le cap sur le grand large (in altum vela dabant). Mais la déesse Junon les aperçoit et veut les détourner. Pour cela, elle va trouver le dieu Éole qui, dans une vaste grotte, tient enfermés tous les vents sous son pouvoir. Pour le convaincre d'intervenir, elle lui offre sa plus belle naïade, Déiopée. Éole, qui ne peut rien refuser à l'épouse de Jupiter, le dieu dont il tient ses pouvoirs, déchaîne une tempête.
Dans le premier dessin de Delaperche, on voit Éole couronné qui obéit aux ordres de Junon (accompagnée de son oiseau favori, un paon). Avec sa lance (cuspis) il a libéré les vents enfermés dans la montagne (en bas à gauche), déchaînant une horrible tempête dans laquelle sont pris les navires des Troyens (à droite).
Virgile – Énéide, I, 81-90
A ces mots, de la pointe de sa lance, Éole frappe sur le flanc de la montagne creuse, et les vents, comme une armée en marche, se ruent par l'orifice ; un cyclone balaie la terre. Ils se sont abattus sur la mer ; de plus profond ils la secouent tout entière, ensemble l'Eurus, le Notus et l'Africus riche en bourrasques, et roulent vers le rivage d'immenses vagues. Aussitôt les hommes crient, les cordages sifflent. Dans l'instant les nuages ravissent et le ciel et le jour aux yeux des Troyens : une nuit noire s'étend sur la mer. Les cieux ont résonné, l'éther brille de mille feux, tout met la mort devant les yeux des hommes.
Haec ubi dicta, cavum conversa cuspide montem
impulit in latus ; ac veni velut agmine facto,
qua data porta ruunt, et terras turbine perflant.
Incubuere mari totumque a sedibis imis
una Eurus Notusque ruunt creberque procellis
Africus, et vastos volvunt ad litora fluctus.
Insequitur clamorque virum stridorque rudentum.
Eripiunt subito nubes caelumqie diemque
Teucrorum ex oculis ; ponto nox incubat atra.
Intonuere poli et et crebris micat ignibus aether.
• NEPTUNE INTERVIENT À TEMPS POUR APAISER LA TEMPÊTE (p. 273)
Les navires des Troyens sont durement malmenés ; la flotte est dispersée par toute la mer (disjecta toto aequore). C'est alors que Neptune prend conscience de ce grand grondement qui, sans son assentiment, trouble son royaume. Surgi de l'océan, il menace les Vents, l'Eurus, le Zéphyr, d'un châtiment sans pareil et leur enjoint de déguerpir au plus vite ; dès son intervention, la mer s'apaise.
C'est le second dessin de Delaperche. Neptune (à droite) est monté sur son char à quatre chevaux et tient son trident dans la main gauche, alors que, de la main droite il apaise la mer et ordonne à Triton et à Cymothoé, l'une des cinquante Néréides, de venir en aide aux navires. Éole, penaud, s'est réfugié sur le haut de sa grotte (en haut à gauche).
Virgile – Énéide, I, 142-156
Il dit. Les eaux gonflées se calment incontinent ; les nuages s'assemblent et s'enfuient, et le soleil revient. Cymothoé et Triton, poussant ensemble les vaisseaux, les éloignent des rocs aigus ; de son trident le dieu lui-même découvre les bancs de sable, apaise et calme la plaine des eaux et de ses roues légères effleure la surface des ondes. […] Ainsi tout le fracas de la mer est tombé dès que le Père, jetant les yeux sur l'onde et s'approchant sous un ciel dégagé, a détourné ses chevaux et a volé en lâchant la bride à son char agile.
Sic ait, et dicto citius tumida placat
collectasque fugat nubes solemque reducit.
Cymothoe simul et Triton adnixus acuto
detrudunt navis scopulo ; levat ipse tridenti
et vastas aperit Syrtis et temperat aequor
atque rotis summas levibus perlabitur undas. […]
Sic cunctus pelagi cecidit fragor, aequora postquam
prospiciens genitor caeloque invectus aperto
flectit equos curruque volans dat lora secundo.
ÉNÉE AU MOMENT DE LA PRISE DE TROIE PAR LES GRECs, D'APRÈS L'ÉNÉIDE
Dans le livre II de l'Énéide, au cours d'un banquet que Didon offre aux Troyens, Enée fait à la reine le récit de la guerre de Troie. Il raconte que les Grecs, pour entrer par ruse dans Troie, ont construit un cheval de bois "grand comme une montagne" dans lequel des guerriers se sont enfermés avec Ulysse. Les Troyens, inconscients du danger, l'ont fait entrer entre leurs murs et, au petit matin, les Grecs sont sortis du cheval et ont envahi la ville.
• ÉNÉE VOIT EN SONGE LE FANTÔME D'HECTOR QUI LUI ANNONCE LA CHUTE DE TROIE (p. 275)
Enée, endormi, ses armes à portée de la main, ne s'est aperçu de rien. Mais, en rêve, il voit le fantôme d'Hector dans l'état où était son corps après avoir été traîné derrière le char d'Achille ; il est couvert de blessures, la barbe hérissée, le cheveux collés par le sang (squalentem barbam et concretos sanguine crines). Énée s'étonne et voudrait savoir ; mais Hector le presse de quitter la ville.
Virgile – Énéide, II, 287-297
[Le fantôme d'Hector] ne s'attarda pas à mes demandes vaines, mais, tirant gravement des gémissements du fond de sa poitrine, il dit : «Hélas ! fuis, fils d'une déesse, et arrache-toi à ces flammes. L'ennemi tient les murs ; du haut de son faîte se précipite Troie. Assez a été donné à la patrie et à Priam : si Pergame pouvait être défendue par un bras, c'est bien plus par le mien qu'elle l'aurait été. Ses objets sacrés et ses propres Pénates, c'est à toi que les confie Troie ; prends-les pour compagnons de tes destins ; pour eux cherche des murailles qu'enfin tu établiras, grandes, après avoir erré sur la mer.» Ainsi dit-il et, de ses mains, il apporte les bandelettes, la puissante Vesta, et le feu éternel depuis les profondeurs des sanctuaires.
Ille nihil, nec me quaerentem vana moratur,
sed graviter gemitus imo de pectore ducens,
« Heu fuge, nate dea, teque his, ait, eripe flammis.
Hostis habet muros ; ruit alto a culmine Troia.
Sat patriae Priamoque datum : si Pergama dextra
defendi possent, etiam hac defensa fuissent.
Sacra suosque tibi commendat Troia penates ;
hos cape fatorum comites, his moenia quaere
magna pererrato statues quae denique ponto. »
Sic ait et manibus vittas Vestamque potentem
aeternumque adytis effert penetralibus ignem.
Alors Enée se réveille, monte sur le toit et voit Troie en flammes.
Le même thème traité par Girodet-Trioson : Le fantôme d'Hector réveille Énée
et lui ordonne de s'enfuir avec le 'palladium', la statue divine, protectrice de la ville.
Louvre, cabinet des dessins, fonds des dessins et miniatures RF 34731
DANS TROIE EN FLAMMES, PYRRHUS TUE LE VIEUX ROI PRIAM, D'APRÈS L'ÉNÉIDE
Toujours racontant comment s'est passée la prise de Troie, Enée en arrive à la mort du roi Priam. Les Grecs ont incendié le palais où sont Priam et Hécube. Pyrrhus, le fils d'Achille, a forcé les portes et est parvenu jusqu'aux appartements privés (penetralia) gardés par des hommes en armes (armatos). Alors que les femmes poussaient des cris d'épouvante, les Grecs ont commencé le massacre.
• DANS SON PALAIS DE TROIE, LE VIEUX PRIAM ESSAIE VAINEMENT DE FRAPPER PYRRHUS (p. 96)
Alors le vieux Priam, malgré sa faiblesse, a pris les armes qu'il avait dans sa jeunesse afin de mourir face à la troupe compacte des ennemis (moriturus in hostes densos). Hécube, réfugiée avec ses filles près d'un autel, l'a raisonné et l'a fait venir près d'elle. Pendant ce temps, à l'extérieur, à travers les portiques et les cours (atria), Pyrrhus a poursuivi l'un des fils de Priam, Politès. Celui-ci, blessé, s'est précipité vers ses parents. Alors Pyrrhus l'a frappé d'un coup de lance et Politès est mort en répandant beaucoup de sang (cum multo sanguine).
C'est à ce moment que se situe le premier dessin de Delaperche. Lorsque Priam voit le corps son fils, il reproche à Pyrrhus de montrer moins de générosité que son père Achille à l'égard des suppliants. Il tente alors de lancer un trait sans force qui se fiche au sommet de la bosse du bouclier de Pyrrhus.
Virgile – Énéide, II, 526-546
Or, voici qu'échappé au massacre de Pyrrhus, Politès, l'un des fils de Priam, fuit au milieu des traits et des ennemis par les longs portiques et fait le tour des cours vides, blessé. C'est lui qu'enflammé Pyrrhus poursuit de coups hostiles ; à cet instant même il le tient de sa main et le harcèle de sa lance. Lorsque enfin il parvint aux yeux et à la face de ses parents, il tomba et, avec beaucoup de sang, répandit sa vie. Alors Priam, quoiqu'il se tienne déjà au milieu de la mort, ne se retint pourtant pas et n'épargna ni sa voix ni sa colère : "Eh bien, qu'envers toi pour ce crime, s'exclame-t-il, pour de telles audaces, les dieux s'acquittent d'une digne reconnaissance – s'il est au ciel quelque piété pour s'occuper de tels faits – et qu'ils te rendent les récompenses qui te sont dues, à toi qui me fis voir en face le trépas de mon enfant et souillas de ce deuil des visages de parents. Eh bien non, le grand Achille, dont tu prétends mensongèrement descendre, ne fut pas tel envers son ennemi, Priam ; mais les droits et la confiance d'un suppliant le firent rougir de honte, il me rendit pour le tombeau le corps exsangue de mon Hector et me laissa rentrer dans mes royaumes." Ainsi parla le vieillard et il lança un trait impropre à la guerre, sans heurt, qui fut aussitôt repoussé par l'airain rauque et pendit en vain au sommet de la bosse du bouclier.
Ecce autem elapsus Pyrrhi de caede Polites,
unus natorum Priami, per tela, per hostis
porticibus longis fugit, et uacua atria lustrat
saucius : illum ardens infesto uolnere Pyrrhus
insequitur, iam iamque manu tenet et premit hasta.
Vt tandem ante oculos euasit et ora parentum,
concidit, ac multo uitam cum sanguine fudit.
Hic Priamus, quamquam in media iam morte tenetur,
non tamen abstinuit, nec uoci iraeque pepercit :
[…]
Sic fatus senior, telumque imbelle sine ictu
coniecit, rauco quod protinus aere repulsum
e summo clipei nequiquam umbone pependit.
• PYRRHUS FRAPPE PRIAM DE SON ÉPÉE ET LE TUE (p. 95)
Le second dessin montre Pyrrhus, impitoyable, qui enlève la vie à Priam d'un coup de son épée.
Virgile – Énéide, II, 547-557
Pyrrhus lui répond : « Tu rapporteras donc ceci au fils de Pélée, mon père, tu iras même en messager ! À ce héros souviens-toi de raconter mes tristes exploits, et de dire que je suis un dégénéré, moi Néoptolème ! Mais à présent, meurs. » Disant cela, il le traîna aux autels mêmes, tremblant et, comme il glissait dans le sang abondant de son fils, il empoigna sa chevelure de sa main gauche, de la droite leva sa flamboyante épée et l'enfonça jusqu'à la garde dans son flanc. Ce fut la fin des destins de Priam, ce fut l'issue qui l'emporta fatalement, voyant Troie incendiée et tombée Pergame, lui jadis sur tant de peuples et de terres le fier souverain de l'Asie.
Cui Pyrrhus : "Referes ergo haec et nuntius ibis
Pelidae genitori ; illi mea tristia facta
degeneremque Neoptolemum narrare memento.
Nunc morere." Hoc dicens altaria ad ipsa trementem
traxit et in multo lapsantem sanguine nati,
implicuitque comam laeua, dextraque coruscum
extulit, ac lateri capulo tenus abdidit ensem.
Haec finis Priami fatorum ; hic exitus illum
sorte tulit, Troiam incensam et prolapsa uidentem
Pergama, tot quondam populis terrisque superbum
regnatorem Asiae.
ACTÉON ET LES NYMPHES, D'APRÈS OVIDE
• LE CHASSEUR ACTÉON SURGIT DEVANT DIANE ET SES NYMPHES NUES PRÈS D'UNE SOURCE (p. 277)
Cette légende est racontée par Ovide au livre III de ses Métamorphoses (vers 138 et suivants).
Actéon, après avoir chassé avec ses chiens et quelques compagnons, s'égara dans une vallée consacrée à Diane. Il arriva dans une partie très reculée où se trouvait une grotte naturelle près d'une source d'eau pure. C'est là que la déesse des forêts, quand elle était fatiguée de la chasse, venait se rafraîchir. Ce jour-là Diane était venue s'y se reposer avec ses nymphes. Quand elles virent surgir Actéon, effrayées à son aspect, honteuses de se voir surprises ainsi nues, les nymphes se frappèrent le sein, remplirent le bois de cris et de gémissements et, se serrant autour de leur maîtresse, la couvrirent de leur corps.
Delaperche a disposé les nymphes autour de la source dans laquelle une d'entre elles se baigne. Diane est à droite. Toutes sont nues. Une nymphe signale la présence d'Actéon sortant d'un fourré (en haut à gauche). Les autres sont surprises, pas encore effrayées.
Ovide – Métamorphoses, III, 177-190
A peine eut-il pénétré dans l'antre où la source épandait sa rosée que les nymphes, dans l'état de nudité où elles se trouvaient, se mirent soudain, en apercevant un homme, à se frapper la poitrine et à remplir toute la forêt de leurs cris perçants ; pressées autour de Diane, elles lui firent un abri de leurs corps. Mais la déesse est plus grande qu'elles, elle les dépasse toutes jusqu'au cou. Comme des nuages reflètent les rayons du soleil qui les frappent en face, ou comme l'aurore se colore de pourpre, ainsi Diane rougit d'avoir été vue sans vêtement. Quoique environnée par la foule de ses compagnes, elle se tint de côté et détourna son visage ; elle aurait bien voulu avoir des flèches sous la main ; elle prit ce qu'elle avait, de l'eau, la jeta à la figure du jeune homme. Par ce geste, Diane transforma Actéon en cerf. Alors ses chiens se lancèrent à sa pousuite et ses compagnons, ignorant la métamorphose de leur compagnon, les excitèrent contre la bête qui fut rapidement mise en lambeaux. C'est ainsi que s'assouvit la colère de Diane.
Qui simul intravit rorantia fontibus antra,
sicut erant, viso nudae sua pectora nymphae
percussere viro subitisque ululatibus omne
implevere nemus circumfusaeque Dianam
corporibus texre suis ; tamen altior illis
ipsa dea est colloque tenus supereminet omnes.
Qui color infectis adversi solis ab ictu
nubibus esse solet aut purpureae aurorae
is fuit in vultu visae sine veste Dianae.
Quae, quamquam comitum turba stipata suarum,
in latus obliqqum tamen astitit oraque retro
flexit et, ut vellet promptas habuisse sagittas,
quas habuit sic hausit aquas vultumque virilem
perfudit…
• CIMON NOURRI AU SEIN PAR SA FILLE, UN EXEMPLE DE PIÉTÉ FILIALE – 3 dessins (p. 151, 152, 153)
Cette légende d'un père allaité par sa fille a beaucoup inspiré les peintres, sous le titre de "Charité romaine".
Un vieillard est condamné à mourir de faim en prison. Sa fille vient chaque jour lui rendre visite avec son bébé et elle en profite pour nourrir son père de son lait. Constatant que le condamné ne meurt pas, les gardes finiront par s'apercevoir de la ruse de la jeune femme. Mais, devant cet acte de piété filiale, le préteur et les juges décideront de libérer le prisonnier.
Delaperche a représenté le moment où les gardiens (en haut à gauche) découvrent la raison pour laquelle le vieillard n'est pas mort de faim. L'homme enchaîné tète le sein de sa fille, sous le regard de son petit-fils (que Delaperche a fortement vieilli).
– VALÈRE MAXIME donne deux versions de cet exemplum : dans une version racontée en détail, c'est une jeune femme qui allaite sa mère; dans une autre version, racontée plus sommairement, c'est une jeune femme, Péro, qui allaite son père, Cimon.
VALÈRE MAXIME, Dits et faits mémorables (V, 4, 7)
Une femme d'une condition libre, convaincue d'un crime capital au tribunal du préteur, fut renvoyée par celui-ci au triumvir, pour être mise à mort dans la prison. Le geôlier, touché de compassion, n'exécuta pas aussitôt l'ordre qu'il avait reçu ; il permit même à la fille de cette femme l'entrée de la prison, après l'avoir soigneusement fouillée, de peur qu'elle n'apportât quelque nourriture : il se persuadait que l'infortunée ne tarderait pas à expirer de besoin. Voyant que plusieurs jours s'étaient déjà écoulés, il cherchait en lui-même ce qui pouvait soutenir si longtemps cette femme. A force d'observer la fille, il la surprit, le sein découvert, allaitant sa mère, et lui adoucissant ainsi les horreurs de la faim. La nouvelle d'un fait si surprenant, si admirable, parvint du geôlier au triumvir, du triumvir au préteur, du préteur au conseil des juges, qui fit grâce à la mère en considération de la fille. […]
Nous devons les mêmes éloges à Péro. Également pénétrée d'amour pour Cimon son père, qui était fort âgé et qu'un destin semblable avait pareillement jeté dans un cachot, Péro le nourrit en lui présentant son sein comme à un enfant. Les yeux s'arrêtent et demeurent immobiles de ravissement à la vue de cette action représentée dans un tableau ; l'admiration du spectacle dont ils sont frappés, renouvelle, ranime une scène antique : dans ces figures muettes et insensibles, ils croient voir des corps agir et respirer. Les lettres feront nécessairement sur l'esprit la même impression: leur peinture est encore plus efficace pour rappeler à la mémoire, pour retracer comme nouveaux les événements anciens.Sanguinis ingenui mulierem praetor apud tribunal suum capitali crimine damnatam triumviro in carcerem necandam tradidit. Quo receptam, is qui custodiae praeerat, misericordia motus, non protinus strangulavit, aditum quoque ad eam filiae, sed diligenter excussae, ne quid cibi inferret dedit, existimans futurum ut inedia consumeretur. Quum autem jam dies plures intercederent, secum ipse quaerens, quidnam esset quod tamdiu sustentaretur, curiosius observata filia, animadvertit illam exserto ubere famem matris lectis sui subsidio lenientem. Quae ta admirabilis spectaculi novitas, ab ipso ad triumvirum, a triumviro ad praetorem, a praetore ad consilium judicum perlata, remissionem poenae mulieri impetravit. […] Idem praedicatum de pietate Perus existimetur, quae patrem suum Cimona consimili fortuna affectum parique custodiae traditum, jam ultimae senectutis velut infantem pectori suo admotum aluit. Haerent ac stupent hominum oculi, quum hujus facti pictam imaginem vident, casusque antiqui conditionem praesentis spectaculi admiratione renovant, in illis mutis memborum linaementis viva ac spirantia corpora intueri credentes : quod necesse est animo quoque evenire, aliquanto efficaciore pictura litterarum, vetera pro recentibus admonito recordari.
– PLINE L'ANCIEN a repris la version de la mère allaitée par sa fille.
PLINE L'ANCIEN, Histoire Naturelle (VII, 36)
On trouve partout des exemples infinis de tendresse ; mais Rome en offre un auquel nul autre ne peut être comparé : une femme du peuple, dont la condition obscure nous a dérobé le nom, venait d'accoucher quand sa mère fut mise dans une prison pour y subir le supplice de la faim : elle obtint d'aller la voir ; mais, fouillée à chaque fois par le geôlier, de peur quelle n'apportât quelque aliment, on la surprit allaitant sa mère. Saisis d'admiration, les magistrats accordèrent le salut de la mère à la piété de la fille ; ils allouèrent des aliments à l'une et à l'autre leur vie durant ; et le lieu où la scène s'était passée fut consacré à la déesse, sous le consulat de Quinctius M. Acilio, un temple de la Piété fut construit à l'emplacement de cette prison, où est aujourd'hui le théâtre de Marcellus.
Pietatis exempla infinita quidem toto orbe extitere, sed Romae unum, cui comparari cuncta non possint. humilis in plebe et ideo ignobilis puerpera, supplicii causa carcere inclusa matre cum impetrasset aditum, a ianitore semper excussa ante, ne quid inferret cibi, deprehensa est uberibus suis alens eam. quo miraculo matris salus donata pietati est, ambaeque perpetuis alimentis, et locus ille quidem consecratus deae, C. Quinctio M'. Acilio cos. templo Pietatis extructo in illius carceris sede, ubi nunc Marcelli theatrum est.
– SOLIN a repris, lui, la version du père en prison.
CAIUS JULIUS SOLINUS, De Mirabilibus mundi (I)
La maison de Metellus a offert l'exemple le plus connu de piété ; mais le plus remarquable nous est fourni par une femme du peuple, nouvellement accouchée. Née dans un rang vulgaire, inconnue par conséquent, elle obtint avec peine la liberté d'entrer dans la prison où était enfermé son père, condamné à mourir de faim. Surveillée par les geôliers, pour qu'elle ne pût apporter des aliments à son père, elle fut surprise l'allaitant : action qui illustra son auteur et le lieu où elle se passa ; car celui qui était condamné, ayant dû sa grâce à sa fille, vécut en témoignage de ce trait glorieux ; et le lieu, dédié à la Piété, devint un temple de cette divinité.
Pietatis documentum nobilius quidem in Metellorum domo refulsit, sed eminentissimum in plebeia puerpera reperitur. Humilis haec, atque ideo famae obscurioris, quum ad patrem, qui supplicii causa claustris poenalibus continebatur, aegre obtinuisset ingressus, exquisita saepius a janitoribus,ne forte parenti cibum subministraret, alere eum uberibus suis deprehensa est: quae res et locum et factum consecravit: nam qui morti destinabatur, donatis filiae, in memoriam tantipraeconii, reservatus est: locus dicatus suo numini, Pietatis sacellum est.
• L'OSTRACISME D'ARISTIDE LE JUSTE (p. 261)
L'Athénien Aristide (-550 / -467), stratège à la bataille de Marathon (-490), puis élu archonte, est chef du parti oligarchique. Il se heurte alors à Thémistocle à la tête, lui, du parti démocratique, un homme retors et peu scupuleux. En -483 le peuple d'Athènes, sous l'influence de Thémistocle, ostracise Aristide, c'est-à-dire qu'il écrit son nom sur un tesson de poterie (primitivement une coquille d'huitre) pour obtenir son bannissement pour dix ans.
Plutarque raconte que, le jour du vote, un paysan qui ne savait pas écrire, ne le reconnaissant pas, lui demanda d'écrire "Aristide" sur son tesson. Aristide lui ayant demandé pour quelle raison il voulait l'ostraciser, le paysan dit qu'il était las de l'entendre appeler "le Juste".
C'est cette scène qu'a représentée Delaperche : devant une statue d'Athéna casquée Aristide s'apprête à écrire son nom sur le tesson que lui a tendu le paysan. Un citoyen, à droite, semble désolé de ce qui va arriver au chef du parti oligarchique.
Un tesson de poterie portant la mention "Aristide fils de Lysimaque"
ayant servi en cette année -483.
Athènes, Musée de l'Agora antique
Toutefois, lors de l'invasion de la Grèce par Xerxès, Aristide sera bientôt rappelé pour seconder Thémistocle à la bataille de Salamine, puis à Platée.
PLUTARQUE, Vie d'Aristide, XI-XII
Ce surnom de juste, qui d'abord avait concilié à Aristide la bienveillance générale, finit par lui attirer l'envie. Thémistocle surtout ne cessait de répandre parmi le peuple qu'Aristide, en terminant seul toutes les affaires, comme juge ou comme arbitre, avait réellement aboli tous les tribunaux, et s'était formé par là, sans qu'on s'en aperçût, une tyrannie qui n'avait pas besoin de satellites pour se soutenir. Le peuple, fier de sa dernière victoire, et qui se croyait digne des plus grands honneurs, souffrait impatiemment ceux des citoyens dont la réputation et la gloire effaçaient celles des autres. Tous les habitants des bourgs s'étant donc assemblés dans la ville, et cachant sous une crainte affectée de la tyrannie l'envie qu'ils portaient à sa gloire, le condamnèrent au ban de l'ostracisme. Ce ban n'était pas une punition infligée à des coupables : pour le voiler sous un nom spécieux, on l'appelait un affaiblissement, une diminution d'une puissance et d'une grandeur qui pouvaient devenir dangereuses. Ce n'était au fond qu'une satisfaction modérée qu'on accordait à l'envie, qui, au lieu d'exercer sur ceux qui lui déplaisaient une vengeance irréparable, exhalait sa malveillance dans un exil de dix ans. […] Je vais donner en peu de mots une idée de la manière dont on y procédait. Chaque citoyen prenait une coquille, sur laquelle il écrivait le nom de celui qu'il voulait bannir, et la portait dans un endroit de la place publique, fermé circulairement par une cloison de bois. Les magistrats comptaient d'abord le nombre des coquilles; car, s'il y en avait moins de six mille, l'ostracisme n'avait pas lieu; ensuite on mettait à part chacun des noms écrits; et celui dont le nom se trouvait sur un plus grand nombre de coquilles était banni pour dix ans, et conservait la jouissance de ses biens. Le jour qu'Aristide fut banni, un paysan grossier, qui ne savait pas écrire, pendant qu'on écrivait les noms sur les coquilles, donna la sienne à Aristide, qu'il prit pour un homme du peuple, et le pria d'écrire le nom d'Aristide; celui-ci, fort surpris, demande à cet homme si Aristide lui a fait quelque tort : « Aucun, répondit le paysan, je ne le connais même pas; mais je suis las de l'entendre partout appeler le Juste. » Aristide écrit son nom sans lui dire un seul mot, et lui rend sa coquille. En sortant de la ville pour aller à son exil, il leva les mains au ciel; et faisant, comme on peut le croire, une prière tout opposée à celle d'Achille, il demanda aux dieux que les Athéniens ne se trouvassent jamais dans une situation assez fâcheuse pour se souvenir d'Aristide.
• TRAIT DE COURAGE DES SÉNATEURS ROMAINS APRÈS LA PRISE DE ROME PAR LES GAULOIS (p. 285)
Delaperche a représenté un épisode de la prise de Rome par les Gaulois raconté par Tite-Live et Plutarque. Alors que Tite-Live indique que chaque sénateur est resté dans sa maison, Plutarque les regroupe dans un même lieu près de l'agora. C'est cette option qu'a choisie Delaperche.
Nous sommes en -390. Rome vient d'être prise par les Gaulois. La ville est en flammes, sauf la colline sacrée du Capitole (en haut à gauche), sauvée grâce aux oies du temple de Junon qui, par leurs cris, ont alerté la garnison. Des suppliants, au fond à droite, devant l'aigle superposé à la louve, soulignent le caractère dramatique du moment. Brennus, à cheval à gauche, incite les Gaulois (dont l'un qui tient une massue) à s'avancer vers les vieux magistrats. Ce sont les sénateurs romains, assis sur leur siège curule, avec les attributs de leur rang. Un Gaulois, intrigué par l'immobilité sereine des sénateurs, a tiré la barbe de l'un d'eux, Papirius. En réponse, celui-ci lui a donné, avec son bâton, un coup sur la tête qui l'a fait choir à la renverse.
C'est ce geste qu'a représenté Delaperche.
Mais le Gaulois, seulement blessé, va se relever et tuer le sénateur Papirius.
TITE-LIVE, Histoire romaine, V, 41 :
Cependant à Rome, toutes les précautions une fois prises, autant que possible, pour la défense de la citadelle, les vieillards, rentrés dans leurs maisons, attendaient, résignés à la mort, l'arrivée de l'ennemi; et ceux qui avaient rempli des magistratures curules, voulant mourir dans les insignes de leur fortune passée, de leurs honneurs et de leur courage, revêtirent la robe solennelle que portaient les chefs des cérémonies religieuses ou les triomphateurs, et se placèrent au milieu de leurs maisons, sur leurs sièges d'ivoire. Quelques-uns même rapportent que, par une formule que leur dicta le grand pontife Marcus Folius, ils se dévouèrent pour la patrie et pour les citoyens de Rome. Pour les Gaulois, comme l'intervalle d'une nuit avait calmé chez eux l'irritation du combat, que nulle part on ne leur avait disputé la victoire, et qu'alors ils ne prenaient point Rome d'assaut et par force, ils y entrèrent le lendemain sans colère, sans emportement, par la porte Colline, laissée ouverte, et arrivèrent au forum, promenant leurs regards sur les temples des dieux et la citadelle qui, seule, présentait quelque appareil de guerre. Puis, ayant laissé près de la forteresse un détachement peu nombreux pour veiller à ce qu'on ne fît point de sortie pendant leur dispersion, ils se répandent pour piller dans les rues où ils ne rencontrent personne : les uns se précipitent en foule dans les premières maisons, les autres courent vers les plus éloignées, les croyant encore intactes et remplies de butin. Mais bientôt, effrayés de cette solitude, craignant que l'ennemi ne leur tendit quelque piège pendant qu'ils erraient çà et là, ils revenaient par troupes au forum et dans les lieux environnants. Là, trouvant les maisons des plébéiens fermées avec soin, et les cours intérieures des maisons patriciennes tout ouvertes, ils hésitaient encore plus à mettre le pied dans celles-ci qu'à entrer de force dans les autres. Ils éprouvaient une sorte de respect religieux à l'aspect de ces nobles vieillards qui, assis sous le vestibule de leur maison, semblaient à leur costume et à leur attitude, où il y avait je ne sais quoi d'auguste qu'on ne trouve point chez des hommes, ainsi que par la gravité empreinte sur leur front et dans tous leurs traits, représenter la majesté des dieux. Les Barbares demeuraient debout à les contempler comme des statues ; mais l'un d'eux s'étant, dit-on, avisé de passer doucement la main sur la barbe de Marcus Papirius, qui, suivant l'usage du temps, la portait fort longue, celui-ci frappa de son bâton d'ivoire la tête du Gaulois, dont il excita le courroux. Ce fut par lui que commença le carnage; presque aussitôt tous les autres furent égorgés sur leurs chaises curules. Les sénateurs massacrés, on n'épargna plus rien de ce qui respirait; on pilla les maisons, et, après les avoir dévastées, on les incendia."
Romae interim satis iam omnibus, ut in tali re, ad tuendam arcem compositis, turba seniorum domos regressi aduentum hostium obstinato ad mortem animo exspectabant. Qui eorum curules gesserant magistratus, ut in fortunae pristinae honorumque aut uirtutis insignibus morerentur, quae augustissima uestis est tensas ducentibus triumphantibusue, ea uestiti medio aedium eburneis sellis sedere. Sunt qui M- Folio pontifice maximo praefante carmen deuouisse eos se pro patria Quiritibusque Romanis tradant. Galli et quia interposita nocte a contentione pugnae remiserant animos et quod nec in acie ancipiti usquam certauerant proelio nec tum impetu aut ui capiebant urbem, sine ira, sine ardore animorum ingressi postero die urbem patente Collina porta in forum perueniunt, circumferentes oculos ad templa deum arcemque solam belli speciem tenentem. Inde, modico relicto praesidio ne quis in dissipatos ex arce aut Capitolio impetus fieret, dilapsi ad praedam uacuis occursu hominum uiis, pars in proxima quaeque tectorum agmine ruunt, pars ultima, uelut ea demum intacta et referta praeda, petunt; inde rursus ipsa solitudine absterriti, ne qua fraus hostilis uagos exciperet, in forum ac propinqua foro loca conglobati redibant; ubi eos, plebis aedificiis obseratis, patentibus atriis principum, maior prope cunctatio tenebat aperta quam clausa inuadendi; adeo haud secus quam uenerabundi intuebantur in aedium uestibulis sedentes uiros, praeter ornatum habitumque humano augustiorem, maiestate etiam quam uoltus grauitasque oris prae se ferebat simillimos dis. Ad eos uelut simulacra uersi cum starent, M- Papirius, unus ex iis, dicitur Gallo barbam suam, ut tum omnibus promissa erat, permulcenti scipione eburneo in caput incusso iram mouisse, atque ab eo initium caedis ortum, ceteros in sedibus suis trucidatos; post principium caedem nulli deinde mortalium parci, diripi tecta, exhaustis inici ignes.
PLUTARQUE, Vie de Camille, 22
Brennus, étant maître de Rome, fit environner le Capitole par un corps de troupes, et conduisit le reste à la grande place. Là, à l'aspect de tous ces vieillards qui, assis avec leurs ornements, et dans un profond silence, restèrent immobiles à l'approche des ennemis, et qui, sans changer de visage ni de couleur, sans donner le moindre signe de crainte, se regardaient les uns les autres, tranquillement appuyés sur leurs bâtons, il fut saisi d'admiration. Un spectacle si extraordinaire frappa tellement les Gaulois, que, les regardant comme des êtres divins, ils n'osèrent pendant longtemps ni les approcher ni les toucher. Enfin l'un d'entre eux s'étant hasardé d'approcher de Manius Papirius, lui passa doucement la main sur la barbe, qui était fort longue. Papirius le frappa de son bâton sur la tête, et le blessa. Alors le Barbare tire son épée et le tue. Puis les Gaulois se jettent sur les autres, et les massacrent tous : ayant ensuite fait main basse sur ce qui s'offrit à eux, ils passèrent plusieurs jours à piller, à saccager la ville, et finirent par y mettre le feu et par la détruire.
• ALEXANDRE ET DIOGÈNE (p. 259)
Alexandre, né en Macédoine à Pella en -356, élève d'Aristote, a repris le projet de son père Philippe d'une union des Grecs autour de la Macénoine pour lutter contre les Perses. Ayant décidé de visiter la Grèce en vainqueur, il passe à Corinthe dans l'hiver -335. Là il rencontre Diogène de Sinope, le vieux philosophe cynique, qui vivait dans un dénuement volontaire, habitant dans une grande jarre (pithos) couchée sur le flanc. Diogène Laerce a résumé la scène dans ses Vies, doctrines et sentences des philosophes illustres (38) : "Pendant que, dans un lieu d'exercice nommé Cranion il se chauffait au soleil, Alexandre s'approcha, et lui dit qu'il pouvait lui demander ce qu'il souhaitait. Je souhaite, répondit-il, que tu ne me fasses point d'ombre ici."
Delaperche a représenté Alexandre avec son cheval Bucéphale qu'il dompta alors qu'il n'avait que dix ans et qui l'accompagna jusqu'à sa mort en -326. Diogène est dans une sorte de tonneau près duquel est son bâton. Sous les regards étonnés de trois soldats et d'un vieux philosophe, il demande à Alexandre de ne plus lui faire de l'ombre.
PLUTARQUE, Vie d'Alexandre (XVIII)
Les Grecs assemblés dans l'isthme ayant arrêté par un décret qu'ils se joindraient à Alexandre pour faire la guerre aux Perses, il fut nommé chef de cette expédition et reçut la visite d'un grand nombre d'hommes d'état et de philosophes, qui vinrent le féliciter de cette élection. Il se flatta que Diogène, qui était alors à Corinthe, lui rendrait aussi sa visite ; mais, voyant que ce philosophe faisait peu de cas de lui et qu'il se tenait tranquillement dans son faubourg, il alla lui-même le voir. Diogène était couché au soleil ; et lorsqu'il vit venir à lui une foule si nombreuse, il se souleva un peu, et fixa ses regards sur Alexandre. Ce prince, après l'avoir salué, lui demanda s'il avait besoin de quelque chose : "Oui, lui répondit Diogène; ôte-toi un peu de mon soleil". Alexandre, frappé de cette réponse et du mépris que Diogène lui témoignait, admira sa grandeur d'âme; et, comme ses officiers, en s'en retournant, se moquaient de Diogène : "Pour moi, leur dit ce prince, si je n'étais pas Alexandre, je voudrais être Diogène."
• A ATHÈNES, POLÉMON IVRE ENTRE DANS L'ÉCOLE DE XÉNOCRATE (p. 253)
Xénocrate de Chalcédoine (396 / -314) est un philosophe qui, à Athènes, rejoignit l'Académie de Platon en 376. Polémon (-340/-270), sortant d'une orgie, entre dans l'école du philosophe Xénocrate pour se moquer de lui, mais bientôt, converti par les discours du sage, il a honte de lui-même, jette sa couronne de fleurs, se couvre de son manteau. Il deviendra un de ses plus illustres disciples.
DIOGÈNE LAERCE, livre IV,16, Polémon
Polémon était fils de Philostrate et Athénien, natif du bourg d'Oïèthe. Il était si débauché dans sa jeunesse, qu'il portait toujours de l'argent sur lui pour pouvoir satisfaire ses passions, à toutes les occasions qui s'en présentaient; il en cachait même dans les carrefours et jusque dans l'académie. On en trouva qu'il avait caché pour cet usage près d'une colonne. Un jour qu'il était ivre, il se mit une couronne sur la tête, et entra ainsi avec ses compagnons dans l'école de Xénocrate; mais ce philosophe n'en fut point déconcerté, et cela ne fit que l'animer à poursuivre son discours, qui roulait sur la tempérance, et qui fut d'une telle efficace, que Polémon, rentrant en lui-même, renonça à ses vices, surpassa ses compagnons d'étude, et succéda à son maître la cent dix-septième olympiade.
• LA MORT D'ARCHIMÈDE, TUÉ PAR UN SOLDAT (p. 257)
Lors de la deuxième guerre punique, Syracuse s'était alliée à Hannibal, alors positionné à Capoue. Les Romains, dirigés par le consul Marcus Claudius Marcellus, assiégèrent la ville dans laquelle se trouvait Archimède, mathématicien, physicien et ingénieur de 75 ans, qui avait conçu des machines pour sa défense. Quand, en -212, la ville fut prise et incendiée, Archimède continua imperturbablement ses recherches, ce qui agaça profondément un soldat romain qui venait le chercher pour le conduire à Marcellus.
Delaperche a représenté le moment où le soldat, furieux, va couper la tête d'Archimède qui est absorbé dans l'étude d'un problème de géométrie. A l'extérieur, Syracuse est en flammes.
PLUTARQUE, Vie de Marcellus, XXV
Mais rien n'affligea tant Marcellus que la mort d'Archimède. Ce philosophe était alors chez lui, appliqué à quelque figure de géométrie; et comme il donnait à cette méditation tout son esprit et tous ses sens, il n'avait pas entendu le bruit des Romains qui couraient de toutes parts dans la ville, et il ignorait qu'elle fût en leur pouvoir. Tout à coup il se présente à lui un soldat qui lui ordonne de le suivre pour aller trouver Marcellus. Il refuse d'y aller jusqu'à ce qu'il ait achevé la démonstration de son problème. Le Romain, irrité, tire son épée et le tue. D'autres disent qu'un soldat étant allé d'abord à lui, l'épée à la main, pour le tuer, Archimède le pria instamment d'attendre un moment, afin qu'il ne laissât pas son problème imparfait; et que le soldat, qui se souciait fort peu de sa démonstration, le perça de son épée. Un troisième récit, c'est qu'Archimède étant allé lui-même porter à Marcellus, dans une caisse, des instruments de mathématiques, tels que des cadrans au soleil, des sphères, et des angles avec lesquels on mesure la grandeur du soleil, des soldats qui le rencontrèrent, croyant que c'était de l'or qu'il portait dans cette caisse, le tuèrent pour s'en emparer. Mais ce qui est avoué de tous les historiens, c'est que Marcellus fut très affligé de sa mort, qu'il eut horreur du meurtrier comme d'un sacrilège, et qu'ayant fait chercher les parents d'Archimède, il les traita de la manière la plus honorable.
• CORNÉLIE MÈRE DES GRACQUES (3 dessins p. 147a, p. 147b, p. 149)
Valère Maxime raconte une anecdote à propos de Cornélie, fille de Scipion l'Africain, épouse de Tiberius Gracchus, qui de lui eut deux enfants, Tiberius et Caius. Un jour qu'elle recevait une mère de famille campanienne qui lui montrait tous ses bijoux, elle lui dit, en lui montrant ses deux enfants qui revenaient de l'école : « Voici mes parures à moi ».
VALÈRE-MAXIME, Faits et dits mémorables, IV, 4 (intro)
Dans un livre de recueil de Pomponius Rufus nous lisons que les enfants sont la plus grande parure d'une mère. Une mère de famille campanienne, reçue par Cornélie mère des Gracques, lui montrait ses parures les plus belles de cette époque. Cornélie traîna en longueur la conversation jusqu'à ce que ses enfants rentrent de l'école. « Voilà, dit-elle, mes parures. » Il possède certainement tout celui qui ne désire rien. C'est d'autant plus certain que la propriété des choses, habituellement, disparaît tandis que l'usage d'un bon esprit ne subit pas les chocs d'un sort trop défavorable. Pourquoi importe-t-il de placer les richesses en premier lieu et la pauvreté comme le pire des malheurs? Le front riant des richesses est rempli d'amertume tandis que l'aspect de la pauvreté est beaucoup plus terrible, mais il est rempli de biens solides et sûrs.
Maxima ornamenta esse matronis liberos, apud Pomponium Rufum collectorum libro sic invenimus: Cornelia Gracchorum mater, cum Campana matrona, apud illam hospita, ornamenta sua pulcherrima illius saeculi ostenderet, traxit eam sermone, donec e schola redirent liberi, et: « Haec, inquit, ornamenta sunt mea. » Omnia nimirum habet qui nihil concupiscit; eo quidem certius, quia dominium rerum collabi solet, bonae mentis usurpatio nullum tristioris fortunae recipit incursum. Itaque quorsum attinet aut divitias in prima felicitatis parte, aut paupertatem in ultimo miseriarum statu ponere ? cum et illarum frons hilaris multis intus amaritudinibus sit referta et huius horridior aspectus solidis et certis bonis abundet.
PLUTARQUE, Vies de Tiberius et Caius Gracchus
Ils étaient fils de Tibérius Gracchus, qui avait été censeur de Rome ; il avait été honoré de deux consulats et d'autant de triomphes ; mais sa vertu avait jeté sur lui plus d'éclat encore que ces dignités mêmes. C'est à sa vertu qu'il dut d'être choisi pour époux de Cornélie, fille de Scipion, le vainqueur d'Annibal. Il mourut peu de temps après, laissant douze enfants qu'il avait eus de Cornélie. La veuve se mit à la tête de la maison, et se chargea elle-même de l'éducation de ses enfants. Le roi Ptolémée lui offrit de venir partager son diadème, avec le rang et le titre de reine ; mais elle refusa. Durant son veuvage, elle perdit la plupart de ses enfants : il ne lui resta qu'une fille, qui fut mariée au jeune Scipion, et deux fils, Tibérius et Caïus, dont nous écrivons la vie. Elle éleva ses fils avec tant de soin que, bien qu'ils fussent, de l'aveu de tout le monde, les Romains les plus heureusement nés pour la vertu, leur excellente éducation parut avoir encore surpassé la nature. Cornélie supporta, dit-on, son malheur avec beaucoup de constance et de grandeur d'âme ; et l'on rapporte qu'en parlant des édifices sacrés qu'on avait bâtis sur les lieux mêmes où ses enfants avaient été tués, elle ne dit que ces mots : "Ils ont les tombeaux qu'ils méritent." Elle passa le reste de ses jours dans une maison de campagne près de Misène, sans rien changer à sa manière de vivre. Comme elle avait un grand nombre d'amis, et que sa table était ouverte aux étrangers, elle était toujours entourée d'une foule de Grecs et de gens de lettres ; les rois mêmes lui envoyaient et recevaient d'elle des présents. Tous ceux qui étaient admis chez elle prenaient un singulier plaisir à lui entendre raconter la vie et les actions de Scipion l'Africain, son père.
• UN GÉNÉRAL ROMAIN REÇOIT LA SOUMISSION DE CHEFS BARBARES (p. 283)
Sous une tente, un chef militaire romain vainqueur (ce qu'atteste une Victoire tenant une couronne de laurier) est entouré d'officiers en armure, de soldats et de prêtres. Assis sur une estrade, tenant une sorte de sceptre, il reçoit une délégation de chefs barbares désarmés venus sans doute remettre leur capitulation. Ils sont encadrés par un soldat tenant une massue (au premier plan) et, à l'arrière, par deux guerriers tenant une lance : l'un tient un bouclier, l'autre porte un casque "romain" surmonté d'une aigle (semblable au casque que porte Minerve dans un autre dessin intitulé "L'âge mûr"). A leur tête, deux personnages (dont l'un porte une cotte de mailles) dialoguent avec le chef romain.
Il est difficile de choisir entre plusieurs interprétations possibles de ce dessin de Delaperche :
– Est-ce César à qui, après Alésia, on amène Vercingétorix et les chefs des cités ? Mais on a du mal à reconnaître César dans ce jeune éphèbe casqué tenant un sceptre ; de plus, Delaperche connaissait le récit de Plutarque qui raconte la scène tout autrement : "S'étant couvert de ses plus belles armes, Vercingétorix sortit de la ville sur un cheval magnifiquement paré; et, après l'avoir fait caracoler autour de César, qui était assis sur son tribunal, il mit pied à terre, se dépouilla de toutes ses armes et alla s'asseoir aux pieds du général romain, où il se tint dans le plus grand silence."
– Est-ce Pompée accueillant une délégation de chef vaincus ?
– Est-ce Germanicus recevant la soumission de chefs germains ?
– Est-ce Trajan acceptant la capitulation du roi Dace Décébale ? (cf Dion Cassius, Hist. Romaine, 68, 9 - scène représentée sur la colonne Trajane)
• MARIUS, POURCHASSÉ PAR SYLLA ET PRISONNIER, EST ÉPARGNÉ PAR SON BOURREAU (p. 91)
Né en -157, Caius Marius a fait une brillante carrière militaire et politique (dans le parti des populares). Mais, l'année -100, il rencontre des difficultés venant de ses alliés les populares, dont certains font régner la terreur à Rome. Il se range alors du côté du Sénat pour faire exécuter les fauteurs de troubles. En -90, son rival Sylla, issu de l'aristocratie, remporte de nombreux succès militaires et le prestige de Marius diminue. Le conflit s'aggrave entre les deux hommes. Sylla marche sur Rome et s'empare de la ville, contraignant Marius à la fuite. Les principaux populares sont déclarés « ennemis publics ». En -89, proscrit par ses ennemis politiques du Sénat, Marius fuit Rome, est fait prisonnier près de la ville de Minturnes dans le Latium et placé en détention chez une femme, Fannia. Il est vite condamné à mort, mais l'homme chargé de l'exécuter, reconnaissant le grand Marius et ne pouvant supporter son regard, jeta son épée et s'enfuit. C'est ce détail donné par Plutarque qu'a représenté Delaperche : l'homme se détourne pour ne pas regarder Marius dans les yeux.
VELLEIUS PATERCULUS, Histoire romaine, livre II, 19
Sylla rassembla alors une armée, revint à Rome, y entra avec ses troupes, chassa de la ville les douze auteurs de ces lois nouvelles et détestables, notamment Marius, le fils de Marius et Publius Sulpicius, puis fit voter une loi qui les bannissait. Sulpicius rejoint par des cavaliers dans les marais de Laurente fut égorgé et sa tête dressée et exposée devant les rostres fut comme le présage des proscriptions imminentes. Après six consulats et âgé de plus de soixante-dix ans, Marius nu et disparaissant dans une vase qui ne laissait à découvert que ses yeux et son nez, fut arraché du milieu des roseaux près du marais de Marica, où il s'était caché pour échapper à la poursuite des cavaliers de Sylla. On lui jeta au cou une lanière de cuir et sur l'ordre d'un des duumvirs, il fut conduit dans la prison de Minturnes. On envoya pour le tuer un esclave public, armé d'une épée. C'était précisément un Germain qui avait été fait prisonnier par notre général dans la guerre des Cimbres. Dès qu'il reconnut Marius, il poussa un grand gémissement et montra ainsi qu'il s'indignait du sort d'un tel homme. Jetant son épée, il s'enfuit de la prison. Alors les citoyens, apprenant d'un ennemi à plaindre celui qui, peu auparavant, était le premier citoyen de Rome, munirent Marius d'argent pour le voyage, lui donnèrent des vêtements et le mirent dans un bateau. Il rejoignit son fils près d'Aenaria, se dirigea vers l'Afrique où il mena une vie misérable dans une hutte au milieu des ruines de Carthage ; et ainsi Marius considérant Carthage et Carthage regardant Marius pouvaient se consoler entre eux.
Tum Sulla contracto exercitu ad urbem rediit eamque armis occupavit, duodecim auctores novarum pessimarumque rerum, inter quos Manum cum filio et P. Sulpicio, urbe exturbavit ac lege lata exules fecit. Sulpicium etiam adsecuti equites in Laurentinis paludibus iugulavere, caputque eius erectum et ostentatum pro rostris velut omen imminentis proscriptionis fuit. Marius post sextum consulatum annumque septuagesimum nudus ac limo obrutus, oculis tantummodo ac naribus eminentibus, extractus arundineto circa paludem Maricae, in quam se fugiens consectantis Sullae equites abdiderat, iniedo in collum loro in carcerem Minturnensium iussu duumviri perductus est. Ad quem interficiendum missus cum gladio servus publicus natione Germanus, qui forte ab imperatore eo bello Cimbrico captus erat, ut agnovit Marium, magno eiulatu expromens indignationem casus tanti viri abiecto gladio profugit e carcere. Tum cives, ab hoste misereri paulo ante principis viri docti, instructum eum viatico conlataque veste in navem imposuerunt. At ille adsecutus circa insulam Aenariam filium cursum in Africam direut inopemque vitam in tugurio ruinarum Carthaginiensium toleravit, cum Marius aspiciens Carthaginem, illa intuens Marium, alter alteri possent esse solacio.
LUCAIN, Pharsale, livre II
Les vieillards accablés de douleur se plaignaient d'avoir trop vécu et maudissaient leurs jours condamnés à la guerre civile. L'un d'eux, pour donner un exemple récent des maux que l'on avait à craindre : « Ô mes amis ! dit-il, l'orage qui nous menace est le même qui s'éleva sur Rome lorsque Marius vainqueur des Teutons et des Numides, se réfugia dans les marais, et que les roseaux de Minturne couvrirent sa tête triomphante, cette tête dont la Fortune leur confiait en dépôt fatal. Découvert, et chargé de chaînes, le vieillard languit longtemps enseveli dans les horreurs d'un cachot. Destiné à mourir consul, à mourir tranquille au milieu des ruines de sa patrie, il portait d'avance la peine de ses crimes; mais la mort se détourne de lui. En vain un ennemi tient sa vie odieuse entre ses mains ; le premier qui veut le frapper recule saisi de frayeur. Sa main tremblante laissa tomber le glaive. Il a vu à travers les ténèbres de la prison une lumière resplendissante ; il a vu les terribles dieux des forfaits; il a vu Marius dans tout l'éclat de sa grandeur future ; il l'a entendu et il a tremblé. Ce n'est pas à toi de frapper cette tête, le cruel doit au destin des morts sans nombre avant la sienne. Bannis une vaine fureur. Cimbres, si vous voulez être vengés, conservez avec soin les jours de ce vieillard. Ce n'est point la faveur des dieux, c'est leur colère qui veille sur lui. Marius suffit au dessein qu'ils ont formé de perdre Rome. »
Oderuntque grauis uiuacia fata senectae
seruatosque iterum bellis ciuilibus annos.
atque aliquis magno quaerens exempla timori
Non alios, inquit, motus tunc fata parabant,
cum post Teutonicos victor Libycosque triumphos
exsul limosa Marius caput abdidit ulva.
Stagna avidi texere soli laxaeque paludes
depositum, Fortuna, tuum; mox vincula ferri
exedere senem longusque in carcere paedor :
consul et eversa felix moriturus in Urbe
poenas ante dabat scelerum. Mors ipsa refugit
saepe virum, frustraque hosti concessa potestas
sanguinis invisi. Primo qui caedis in actu
deriguit ferrumque manu torpente remisit :
viderat immensam tenebroso in carcere lucem
terribilesque deos scelerum Mariumque futurum
audieratque pavens : "Fas haec contingere non est
colla tibi; debet multas hic legibus aevi
ante suam mortes; vanum depone furorem.
Si libet ulcisci deletae funera gentis,
hunc, Cimbri, servatae senem. Non ille favore
numinis, ingenti supremum protectus ab ira
vir ferus et Romam cupienti perdere fato
sufficiens.
PLUTARQUE, Vie de Marius, 41-42
Retiré de là tout nu et couvert de fange, il fut conduit à Minturnes, où on le remit entre les mains des magistrats ; car le décret du sénat qui ordonnait à tout Romain de le poursuivre et de le tuer, s'il était pris, avait été déjà publié dans toutes les villes. Les magistrats, avant de mettre ce décret à exécution, voulurent en délibérer ; et en attendant ils déposèrent Marius dans la maison d'une femme nommée Fannia, qu'on croyait indisposée contre lui, pour une cause déjà ancienne. […] Fannia, dans cette occasion, ne se conduisit pas en femme offensée : dès qu'elle eut Marius entre ses mains, bien loin de lui témoigner du ressentiment, elle le secourut de tout son pouvoir, et chercha à lui redonner du courage. Marius la remercia de sa générosité, et l'assura qu'il était plein de confiance. […] Puis il voulut reposer, demanda qu'on le laissât seul et qu'on fermât la porte sur lui.
Les magistrats et les décurions de Minturnes, après une longue délibération, résolurent d'exécuter sans retard le décret, et de faire périr Marius ; mais aucun des citoyens ne voulut s'en charger. Enfin il se présenta un cavalier gaulois ou cimbre (car on a dit l'un et l'autre), qui entra l'épée à la main dans la chambre où Marius reposait. Comme elle recevait peu de jour, et qu'elle était fort obscure, le cavalier, à ce qu'on assure, crut voir des traits de flamme s'élancer des yeux de Marius ; et de ce lieu ténébreux il entendit une voix terrible lui dire : « Oses-tu, misérable, tuer Caïus Marius ! » À l'instant le Barbare prend la fuite, et jetant son épée, il sort dans la rue, en criant ces seuls mots : « Je ne puis tuer Gaïus Marius. » L'étonnement d'abord, ensuite la compassion et le repentir, gagnèrent bientôt toute la ville. Les magistrats se reprochèrent la résolution qu'ils avaient prise, comme un excès d'injustice et d'ingratitude envers un homme qui avait sauvé l'Italie, et à qui l'on ne pouvait sans crime refuser du secours. « Qu'il s'en aille, disaient-ils, errer où il voudra, et accomplir ailleurs sa destinée ; et prions les dieux de ne pas nous punir de ce que nous rejetons de notre ville Marius, nu et dépourvu de tout secours. » D'après ces réflexions, ils se rendent en foule dans sa chambre, et l'ayant tous environné, ils le font sortir, et le conduisent au bord de la mer.
LHOMOND, De Viris illustribus
Ce fut alors qu'éclata à Rome la première guerre civile. Sylla ayant été envoyé, en qualité de consul, contre Mithridate, roi de Pont, Marius lui enleva ce commandement, et se fit nommer général à sa place. Sylla, indigné de cet affront, vint à Rome avec une armée, s'en rendit maître par la force des armes, et en chassa Marius. Celui-ci resta quelque temps caché dans un marais; mais il y fut bientôt surpris, et dans l'état où il était, tout nu, couvert de boue, il fut traîné en prison, la corde au cou. On envoya aussi pour le tuer un esclave public, Cimbre de nation, dont Marius arrêta la main par la seule majesté de son visage. En effet, Marius ayant vu cet homme qui venait sur lui, l'épée à la main: «Quoi! lui dit-il, tu oserais tuer Marius?» A ces mots l'esclave effrayé et tremblant jette son épée et s'enfuit. Marius fut ensuite tiré de prison par ceux mêmes qui avaient voulu le tuer. Marius, s'étant jeté dans une petite barque, passa en Afrique, et aborda sur le territoire de Carthage.
Tunc Romae primum civile bellum ortum est. Quum enim Sylla consul contra Mithridaterm, regen Ponti, missus fuisset, ei Marius illud imperium eripuit, fecitque ut loco Syllae imperator crearetur. Qua re commotus, Sylla cum exercitu Romam venit, eam armis occupavit, Mariumque expulit. Marius in palude aliquandiu delituit; sed ibi paulo post deprehensus, et, ut erat, nudo corpore coenoque oblitus,injecto in collum loro raptus est, et in custodiam conjectus. Missus etiam est ad eum occidendum servus publicus, natione Cimber; quem Marius vultus majestate deterruit. Quum enim hominem ad se gladio stricto venientem vidisset: «Tune, inquit, Marium audebis occidere? Ille attonitus ac tremens, abjecto ferro, fugit. Marius postea, ab iis etiam qui prius eum occidere voluerant e carcere emissus est. Marius, accepta navicula, in Africam trajecit, et in agrum Carthaginiensem pervenit.
• LE JEUNE CATON VEUT TUER SYLLA POUR EN DÉLIVRER ROME (p. 263)
Sylla, chef du parti aristocratique, a fait sombrer Rome dans une violence encore inconnue. Les adversaires du dictateur sont proscrits, exécutés et leurs bien saisis. Chaque semaine des nouveaux noms sont inscrits sur les listes de proscription invitant les Romains à assassiner leurs concitoyens.
Sylla convie chez lui le jeune Caton, futur homme politique qui sera célèbre pour son intégrité. Le garçon, âgé alors de 14 ans, choqué par la violence du dictateur, demande à son gouverneur Sarpédon pourquoi Sylla n'a pas encore été tué : « C'est qu'on le craint encore plus qu'on le hait », répond le précepteur. Furieux, le garçon de 14 ans réclame une épée pour déliver sa patrie de l'esclavage. Mais son précepteur, effrayé, s'empressera de le ramener chez lui.
Dans le dessin de Delaperche illustre cette réaction du jeune Caton. On remarque :
– A droite, des Romains qui découvrent une liste des citoyens proscrits à assassiner.
– A gauche, des hommes à la tête de brigands qui apportent un cadavre et deux têtes tranchées à un employé qui en tient comptabilité et va sans doute leur donner une rémunération pour leur crime.
– Au premier plan, deux hommes enchaînés destinés à la torture
– A l'arrière plan, Sylla assis entouré de généraux et d'un licteur
– Au centre du dessin, le jeune Caton essaie de prendre l'épée de son vieux maître Sarpédon pour aller tuer Sylla qu'il montre du doigt.
PLUTARQUE, Vie de Caton le Jeune, 3.
Sylla, qui avait été l'ami particulier de leur père, faisait de temps en temps venir Caton et son frère Cépion, pour s'entretenir avec eux, faveur qu'il n'accordait qu'à très peu de personnes, à cause de la dignité de sa charge et de la grandeur de sa puissance. Sarpédon, gouverneur de ces jeunes gens, sentant de quel avantage cette distinction pouvait être pour la sûreté et l'avancement de ses élèves, menait souvent Caton dans la maison de Sylla, pour qu'il fît sa cour au dictateur. Cette maison était une véritable image de l'enfer, par le grand nombre de personnes qu'on y amenait tous les jours, pour les appliquer à la torture. Caton avait alors quatorze ans; il voyait emporter les têtes des personnages les plus illustres de Rome, et entendait gémir en secret ceux qui étaient témoins de ces cruelles exécutions. Un jour il demanda à son gouverneur pourquoi on n'avait pas encore tué cet homme. « C'est, lui répondit Sarpédon, qu'on le craint encore plus qu'on ne le hait. - Que ne me donniez-vous donc une épée? répliqua le jeune homme : j'aurais, en le tuant, délivré ma patrie de l'esclavage. » Sarpédon, effrayé de ces paroles, et plus encore de l'air de fureur qui respirait dans les yeux et sur le visage de Caton, l'observa depuis avec le plus grand soin et le garda pour ainsi dire à vue, de peur qu'il ne se portât à quelque entreprise téméraire contre Sylla.
• AUX ENFERS, NÉRON EST ÉPOUVANTÉ PAR L'AMPLEUR DE SES CRIMES (p. 175)
Néron, couronné de lauriers mais nu, arrive aux enfers. Une allégorie de Rome (portant la corona muralis) lui montre toutes ses victimes. Alors, horrifié, il prend conscience de tous les crimes dont il est responsable.
A l'arrière-plan on remarque les trois Furies ailées, Rome en feu (allusion à l'incendie de Rome), un licteur devant des sénateurs éplorés. Aux premier et second plans, ce sont les victimes de Néron ; on reconnaît :
– DEUX CHRÉTIENS MARTYRS
On voit, en bas à droite, un père et sa fille tenant une croix, allusion aux persécutions de Néron après l'incendie de Rome
TACITE, Annales, XV, 44
Rien ne faisait reculer la rumeur infamante d'après laquelle l'incendie de Rome avait été ordonné. Aussi, pour l'anéantir, Néron supposa des coupables et infligea des tourments raffinés à ceux que leurs abominations faisaient détester et que la foule appelait chrétiens. […] On ne se contenta pas de les faire périr, on se fit un jeu de les revêtir de peaux de bêtes pour qu'ils fussent déchirés par la dent des chiens ; ou bien ils étaient attachés à des croix, enduits de matières inflammables et, quand le jour avait fui, ils éclairaient les ténèbres comme des torches. Néron avait offert ses jardins pour ce spectacle.
Non decedebat infamia quin iussum incendium crederetur. Ergo abolendo rumori Nero subdidit reos et quaesitissimis poenis adfecit quos per flagitia invisos vulgus christianos appellabat. […] Et pereuntibus addita ludibria, ut ferarum tergis contecti laniatu canum interirent, aut crucibus adfixi aut flammandi, atque ubi defeciset dies in usum nocturni luminis urerentur. Hortos suos ei spectaculo Nero obtulerat.
– BAREA SORANUS ET SA FILLE SERVILIA condamnés à mort
En 65, l'opposition contre Néron ne fait que croître. Parmi les plus influents, le sénateur Pison cautionne un projet d'attentat : Néron serait poignardé en se rendant au Circus Maximus pour les jeux de Cérès. Mais un affranchi révèle le complot et, menacés de torture, certains commencent à livrer des noms. La vengeance de Néron multiplie les victimes : Pison, Sénèque, Lucain, Pétrone et, entre autres, les philosophes stoïciens Thrasea et Barea Soranus. On accusa Soranus d'avoir entretenu l'esprit séditieux dans les cités d'Asie ; et on impliqua dans son procès sa fille Servilia qui avait à peine vingt ans et dont le mari avait été exilé ; on l'accusa d'avoir donné ses bijoux et ses robes à des devins pour savoir quel serait le sort de son père. A l'issue du procès Soranus et sa fille ont eu le libre choix de leur mort ("Sorano et Serviliae datur mortis arbitrium").
TACITE, Annales, XVI, 30 à 33
Cependant Ostorius Sabinus, accusateur de Soranus, entre et parle à son tour. Il lui reproche "ses liaisons avec Plautus, et son proconsulat d'Asie, où, plus soigneux de lui-même et de sa popularité que de l'intérêt public, il a entretenu dans les villes l'esprit de sédition". Ces griefs étaient vieux: il en impute un plus récent à la fille de Soranus, qu'il associe au danger de son père "pour avoir prodigué de l'argent à des devins". Servilia (c'était son nom) avait eu en effet ce malheur, et la piété filiale en était cause. Sa tendresse pour son père, l'imprudence de son âge, l'avaient conduite chez les devins, uniquement toutefois pour savoir ce que sa maison devait espérer; si Néron se laisserait fléchir; si le sénat prononcerait un arrêt qui ne fût pas sinistre. Servilia fut appelée à l'instant; et l'on vit debout, devant le tribunal des consuls, d'un côté un père chargé d'années; en face de lui, sa fille à peine âgée de vingt ans, condamnée déjà, par l'exil récent d'Annius Pollio son mari, au veuvage et à la solitude, et n'osant pas même lever les yeux sur son père, dont elle semblait avoir aggravé les périls. Interrogée par l'accusateur si elle n'avait pas vendu ses présents de noces et le collier dont elle était parée, pour en employer l'argent à des sacrifices magiques, elle se jette par terre et ne répond d'abord que par un long silence et d'abondantes larmes. Ensuite, embrassant les autels: "Non, s'écria-t-elle, je n'ai point invoqué d'affreuses divinités ni formé de voeux impies; tout ce que j'ai demandé par ces prières malheureuses, c'est d'obtenir de toi, César, et de vous, pères conscrits, le salut du meilleur des pères. Mes pierreries, mes robes, les ornements de mon rang, je les ai donnés comme j'aurais donné mon sang et ma vie s'ils l'eussent exigé. C'est à ces hommes, inconnus de moi jusqu'alors, à répondre du nom qu'ils portent et de l'art qu'ils exercent. Quant au prince, je ne le nommai jamais qu'entre les dieux. Et cependant mon malheureux père ignore tout: si un crime fut commis, moi seule en suis coupable." […] Soranus se précipita dans les bras de sa fille, élancée vers lui; mais des licteurs se jetèrent entre deux et les retinrent. […] Soranus et Servilia, eurent le choix de leur mort.
Atque interim Ostorius Sabinus, Sorani accusator, ingreditur orditurque de amicitia Rubelli Plauti, quodque proconsulatum Asiae Soranus pro claritate sibi potius accommodatum quam ex utilitate communi egisset, alendo seditiones ciuitatium. Vetera haec : sed recens et quo discrimini patris filiam conectebat, quod pecuniam magis dilargita esset. Acciderat sane pietate Seruiliae (id enim nomen puellae fuit), quae caritate erga parentem, simul imprudentia aetatis, non tamen aliud consultauerat quam de incolumitate domus, et an placabilis Nero, an cognitio senatus nihil atrox adferret. lgitur accita est in senatum, steteruntque diuersi ante tribunal consulum grandis aeuo parens, contra filia intra uicesimum aetatis annum, nuper marito Annio Pollione in exilium pulso uiduata desolataque, ac ne patrem quidem intuens cuius onerasse pericula uidebatur. Tum interrogante accusatore an cultus dotalis, an detractum ceruici monile uenum dedisset, quo pecuniam faciendis magicis sacris contraheret, primum strata humi longoque fletu et silentio, post altaria et aram complexa : « Nullos, inquit, impios deos, nullas deuotiones, nec aliud infelicibus precibus inuocaui quam ut hunc optimum patrem tu, Caesar, uos, patres, seruaretis incolumem. Sic gemmas et uestis et dignitatis insignia dedi, quo modo si sanguinem et uitam poposcissent. Viderint isti, antehac mihi ignoti, quo nomine sint, quas artes exerceant : nulla mihi principis mentio nisi inter numina fuit. Nescit tamen miserrimus pater et, si crimen est, sola deliqui. […] Simul Soranus in amplexus occurentis filiae ruebat, nisi interiecti lictores utrique obstitissent. […] Sorano et Seruiliae datur mortis arbitrium.
– PAUL DE TARSE, présentant sa tête décapitée
Vers la fin du règne de Néron, Paul de Tarse, ramené à Rome pour être jugé, soit après l'incendie de Rome en 64, soit trois ou quatre années plus tard, a été conduit sur la Via Ostiense pour y être décapité avec d'autres convertis.
EUSÈBE DE CÉSARÉE, Histoire ecclésiastique, II, 25
Quelle fut la scélératesse de Néron, ce n'est pas le moment de le dire. Beaucoup ont raconté ce qui le concerne en des récits absolument exacts ; qui voudra connaître la grossière fureur de cet homme étrange peut lire leurs écrits. Sans but politique, il entassait selon sa démence meurtre sur meurtre et en arriva à ce degré de férocité qu'il n'épargna ni ses proches ni ses amis. Il traita sa mère, ses frères, sa femme, et tant d'autres qui lui étaient unis par le sang, comme des ennemis et des rivaux ; il les fit périr dans des supplices variés. Mais à tous ces crimes il faut ajouter qu'il fut le premier empereur qui se déclara l'adversaire de la piété envers Dieu. […] Ainsi donc celui qui a l'honneur d'être proclamé le premier ennemi de Dieu se signala par le supplice des apôtres. L'histoire raconte que, sous son règne, Paul fut décapité et Pierre crucifié à Rome, et l'appellation de Pierre et de Paul attribuée jusqu'à ce temps aux cimetières de cette ville confirme ce récit.
– BRITANNICUS tenant la coupe dans laquelle a été versé le poison
Selon Tacite Britannicus a été assassiné à la veille de ses quatorze ans par Néron, son frère adoptif, qui l'aurait empoisonné lors d'un banquet. On lui servit dans une coupe une boisson qui avait été préalablement goûtée par un serviteur, mais trop chaude, et le poison fut versé en même temps que l'eau fraîche qu'on y ajouta. La mort a été instantanée.
TACITE, Annales, XIII, 16
C'était l'usage que les fils des empereurs prissent leurs repas assis avec les autres nobles de leur âge, sous les yeux de leurs parents, à une table spéciale et plus frugale. Britannicus était à l'une de ces tables ; comme ses mets et sa boisson étaient goûtés d'abord par un serviteur de confiance, on ne voulait pas négliger cet usage ni rendre le crime patent par deux morts à la fois, et voici l'expédient auquel on eut recours. Un breuvage encore innocent, mais très chaud, est servi après essai à Britannicus ; puis, comme il le repoussait à cause de son extrême chaleur, on y verse avec de l'eau fraîche le poison qui se répandit dans tous ses membres avec une rapidité telle que la parole et la vie lui furent ravies à la fois. Le trouble s'empare de ses voisins de table ; les moins prudents s'enfuient ; mais ceux dont l'intelligenoe est plus profonde demeurent à leur place, immobiles et les yeux fixés sur Néron. Et lui, appuyé sur son lit et comme étranger à ce qui se passait, dit que le fait n'avait rien d'extraordinaire : c'était la conséquence du haut mal dont Britannicus était affligé dès sa première enfance et on allait voir peu à peu lui revenir la vue et le sentiment. Mais Agrippine laissa percer, malgré ses efforts pour les refouler, une telle épouvante et un tel désarroi que, de toute évidence, elle était aussi étrangère à ce crime qu'Octavie, sœur de Britannicus : et en effet elle comprenait que cette mort lui enlevait son suprême appui et était un essai de parricide. Octavie aussi, dans un âge si tendre avait appris à cacher sa douleur, sa tendresse, toutes ses affections. Ainsi, après quelques instants de silence, le festin reprit sa gaieté. La même nuit réunit le trépas de Britannicus et son bûcher.
Mos habebatur principum liberos cum ceteris idem aetatis nobilibus sedentis uesci in aspectu propinquorum propria et parciore mensa. Illic epulante Britannico, quia cibos potusque eius delectus ex ministris gustu explorabat, ne omitteretur institutum aut utriusque morte proderetur scelus, talis dolus repertus est. Innoxia adhuc ac praecalida et libata gustu potio traditur Britannico ; dein, postquam feruore aspernabatur, frigida in aqua adfunditur uenenum, quod ita cunctos eius artus peruasit ut uox pariter et spiritus raperentur. Trepidatur a circumsedentibus ; diffugiunt imprudentes ; at quibus altior intellectus resistunt defixi et Neronem intuentes. Ille, ut erat reclinis et nescio similis, solitum ita ait per comitialem morbum quo prima ab infantia adflictaretur Britannicus, et redituros paulatim uisus sensusque. At Agrippinae is pauor, ea consternatio mentis, quamuis uultu premeretur, emicuit ut perinde ignaram fuisse atque Octauiam sororem Britannici constiterit : quippe sibi supremum auxilium ereptum et parricidii exemplum intellegebat. Octauia quoque, quamuis rudibus annis, dolorem, caritatem, omnis adfectus abscondere didicerat. Ita post breue silentium repetita conuiuii laetitia. Nox eadem necem Britannici et rogum coniunxit.
– AGRIPPINE montrant sa blessure mortelle.
Au printemps 59, Néron a décidé de supprimer sa mère Agrippine. Comme elle a échappé à un naufrage qu'il avait organisé, Néron, après avoir pris l'avis de Sénèque et et de Burrus, choisit de la faire assassiner en pleine nuit dans sa villa par des soldats. Au centurion tirant son glaive pour lui donner la mort, elle aurait déclaré : « Frappe au ventre ! » (« ventrem feri »)
TACITE, Annales, XIV, 8
Cependant, au premier bruit du danger d'Agrippine, que l'on attribuait au hasard, chacun se précipite vers le rivage. Ceux-ci montent sur les digues ; ceux-là se jettent dans des barques ; d'autres s'avancent dans la mer, aussi loin qu'ils peuvent ; quelques-uns tendent les mains. Toute la côte retentit de plaintes, de voeux, du bruit confus de mille questions diverses, de mille réponses incertaines. Une foule immense était accourue avec des flambeaux : enfin l'on sut Agrippine vivante, et déjà on se disposait à la féliciter, quand la vue d'une troupe armée et menaçante dissipa ce concours. Anicet investit la maison, brise la porte, saisit les esclaves qu'il rencontre, et parvient à l'entrée de l'appartement. Il y trouva peu de monde ; presque tous, à son approche, avaient fui épouvantés. Dans la chambre, il n'y avait qu'une faible lumière, une seule esclave, et Agrippine, de plus en plus inquiète de ne voir venir personne de chez son fils, pas même Agérinus. La face des lieux subitement changée, cette solitude, ce tumulte soudain, tout lui présage le dernier des malheurs. Comme la suivante elle-même s'éloignait : "Et toi aussi, tu m'abandonnes," lui dit-elle: puis elle se retourne et voit Anicet, accompagné du triérarque Herculéus et d'Oloarite, centurion de la flotte. Elle lui dit "que, s'il était envoyé pour la visiter, il pouvait annoncer qu'elle était remise ; que, s'il venait pour un crime, elle en croyait son fils innocent ; que le prince n'avait point commandé un parricide." Les assassins environnent son lit, et le triérarque lui décharge le premier un coup de bâton sur la tête. Le centurion tirait son glaive pour lui donner la mort. "Frappe ici," s'écria-t-elle en lui montrant son ventre, et elle expira percée de plusieurs coups. Voilà les faits sur lesquels on s'accorde. Néron contempla-t-il le corps inanimé de sa mère, en loua-t-il la beauté? les uns l'affirment, les autres le nient. Elle fut brûlée la nuit même, sur un lit de table, sans la moindre pompe.
Interim uulgato Agrippinae periculo, quasi casu euenisset, ut quisque acceperat, decurrere ad litus. Hi molium obiectus, hi proximas scaphas scandere ; alii quantum corpus sinebat uadere in mare ; quidam manus protendere ; questibus, uotis, clamore diuersa rogitantium aut incerta respondentium omnis ora compleri; adfluere ingens multitudo cum luminibus, atque ubi incolumem esse pernotuit, ut ad gratandum sese expedire, donec aspectu armati et minitantis agminis deiecti sunt. Anicetus uillam statione circumdat refractaque ianua obuios seruorum abripit, donec ad foris cubiculi ueniret ; cui pauci adstabant, ceteris terrore inrumpentium exterritis. Cubiculo modicum lumen inerat et ancillarum una, magis ac magis anxia Agrippina quod nemo a filio ac ne Agermus quidem : aliam fore laetae rei faciem; nunc solitudinem ac repentinos strepitus et extremi mali indicia. Abeunte dehinc ancilla "Tu quoque me deseris" prolocuta respicit Anicetum trierarcho Herculeio et Obarito centurione classiario comitatum ; ac, si ad uisendum uenisset, refotam nuntiaret, sin facinus patraturus, nihil se de filio credere; non imperatum parricidium. Circumsistunt lectum percussores et prior trierarchus fusti caput eius adflixit. Iam in mortem centurioni ferrum destringenti protendens uterum "Ventrem feri" exclamauit multisque uulneribus confecta est. Haec consensu produntur : aspexeritne matrem exanimem Nero et formam corporis eius laudauerit, sunt qui tradiderint, sunt qui abnuant. Cremata est nocte eadem conuiuiali lecto et exequiis uilibus.
– SÉNÈQUE, tenu par sa femme Pauline, se vide de son sang devant un secrétaire prenant en note ses dernières paroles.
TACITE, Annales, XV, 60-64
Un centurion entra pour notifier à Sénèque la sentence fatale. Sénèque, sans se troubler, demande son testament, et, sur le refus du centurion, il se tourne vers ses amis, et déclare "que, puisqu'on le réduit à l'impuissance de reconnaître leurs services, il leur laisse le seul bien qui lui reste, et toutefois le plus précieux, l'image de sa vie; que, s'ils gardent le souvenir de ce qu'elle eut d'estimable, cette fidélité à l'amitié deviendra leur gloire." Ses amis pleuraient: lui, par un langage tour à tour consolateur et sévère, les rappelle à la fermeté, leur demandant "ce qu'étaient devenus les préceptes de la sagesse, où était cette raison qui se prémunissait depuis tant d'années contre tous les coups du sort. La cruauté de Néron était-elle donc ignorée de quelqu'un? et que restait-il à l'assassin de sa mère et de son frère, que d'être aussi le bourreau du maître qui éleva son enfance?" Après ces exhortations, qui s'adressaient à tous également, il embrasse sa femme. […] Pauline proteste qu'elle aussi est décidée à mourir; et elle appelle avec instance la main qui doit frapper. Sénèque ne voulut pas s'opposer à sa gloire; son amour d'ailleurs craignait d'abandonner aux outrages une femme qu'il chérissait uniquement. […] Ensuite le même fer leur ouvre les veines des bras. Sénèque, dont le corps affaibli par les années et par l'abstinence laissait trop lentement échapper le sang, se fait aussi couper les veines des jambes et des jarrets. Bientôt, dompté par d'affreuses douleurs, il craignit que ses souffrances n'abattissent le courage de sa femme, et que lui-même, en voyant les tourments qu'elle endurait, ne se laissât aller à quelque faiblesse; il la pria de passer dans une chambre voisine. Puis, retrouvant jusqu'en ses derniers moments toute son éloquence, il appela des secrétaires et leur dicta un assez long discours. […] Quant à Sénèque, comme le sang coulait péniblement et que la mort était lente à venir, il pria Statius Annaeus, qu'il avait reconnu par une longue expérience pour un ami sûr et un habile médecin, de lui apporter le poison dont il s'était pourvu depuis longtemps, le même qu'on emploie dans Athènes contre ceux qu'un jugement public a condamnés à mourir. Sénèque prit en vain ce breuvage: ses membres déjà froids et ses vaisseaux rétrécis se refusaient à l'activité du poison. Enfin il entra dans un bain chaud, et répandit de l'eau sur les esclaves qui l'entouraient, en disant: "J'offre cette libation à Jupiter Libérateur." Il se fit ensuite porter dans une étuve, dont la vapeur le suffoqua. Son corps fut brûlé sans aucune pompe il l'avait ainsi ordonné par un codicille, lorsque, riche encore et très puissant, il s'occupait déjà de sa fin.
Ille interritus poscit testamenti tabulas ; ac denegante centurione conuersus ad amicos, quando meritis eorum referre gratiam prohiberetur, quod unum iam et tamen pulcherrimum habeat, imaginem uitae suae, relinquere testatur, cuius si memores essent, bonarum artium famam fructum constantis amicitiae laturos. Simul lacrimas eorum modo sermone, modo intentior in modum coercentis ad firmitudinem reuocat, rogitans ubi praecepta sapientiae, ubi tot per annos meditata ratio aduersum imminentia ? Cui enim ignaram fuisse saeuitiam Neronis ? Neque aliud superesse post matrem fratremque interfectos quam ut educatoris praeceptorisque necem adiceret. Vbi haec atque talia uelut in commune disseruit, complectitur uxorem. […] Illa contra sibi quoque destinatam mortem adseuerat manumque percussoris exposcit. Tum Seneca gloriae eius non aduersus, simul amore, ne sibi unice dilectam ad iniurias relinqueret […] Post quae eodem ictu brachia ferro exoluunt. Seneca, quoniam senile corpus et parco uictu tenuatum lenta effugia sanguini praebebat, crurum quoque et poplitum uenas abrumpit ; saeuisque cruciatibus defessus, ne dolore suo animum uxoris infringeret atque ipse uisendo eius tormenta ad impatientiam delaberetur, suadet in aliud cubiculum abscedere. Et nouissimo quoque momento suppeditante eloquentia aduocatis scriptoribus pleraque tradidit. […] Seneca interim, durante tractu et lentitudine mortis, Statium Annaeum, diu sibi amicitiae fide et arte medicinae probatum, orat prouisum pridem uenenum, quo damnati publico Atheniensium iudicio extinguerentur, promeret; adlatumque hausit frustra, frigidus iam artus et cluso corpore aduersum uim ueneni. Postfremo stagnum calidae aquae introiit, respergens proximos seruorum addita uoce libare se liquorem illum Ioui liberatori. Exim balneo inlatus et uapore eius exanimatus sine ullo funeris crematur. Ita codicillis praescripserat,cum etiam tum preadiues et praepotens supremis suis consuleret.
• L'ARRESTATION DE JULIUS SABINUS (deux dessins, catalogue p. 279 et p. 281)
Sabinus faisait partie des personnages les plus importants de Gaule, aussi bien par sa réputation que par sa fortune ; il était également citoyen romain et faisait partie de la gens Julia. La désorganisation politique après la mort de Néron conduit les Lingons menés par Julius Sabinus à se joindre au soulèvement des Bataves fomenté par Gaius Julius Civilis en 69. La coalition formée par Civilis et Sabinus remporte plusieurs victoires avant que cette révolte soit réprimée par les Séquanes. Alors Vespasien retire la citoyenneté romaine aux Lingons qui doivent livrer 70 000 guerriers. Sabinus quant à lui prend la fuite, simule un suicide et brûle sa maison. Il se cache ensuite dans une grotte (que la tradition situe aux sources de la Marne). Sa femme Éponine fait semblant de porter le deuil le jour, mais rejoint la nuit son mari. De l'union de Sabinus et Éponine naissent bientôt deux enfants. Après avoir passé neuf années à se cacher, Sabinus finit par être découvert et arrêté par des soldats en présence de sa femme et de ses enfants.
C'est le moment qu'a représenté Delaperche.
Puis, lorsqu'elle a été conduite devant Vespasien. Éponine a plaidé en vain pour obtenir la grâce de son mari, puis elle a fini par demander à mourir avec lui.
PLUTARQUE, Dialogue sur l'amour, 25
Civilis, qui suscita le soulèvement de la Gaule, avait naturellement associé à ses projets de nombreux chefs. Parmi eux se trouvait Sabinus, un homme jeune et de haute naissance, que sa richesse et sa renommée plaçaient au premier rang de tous les Gaulois. Quand la grande entreprise qu'ils avaient tentée eut échoué, prévoyant le châtiment qui les attendait,certains de ces chefs se tuèrent, d'autres cherchèrent leur salut dans la fuite, mais furent pris. Sabinus, lui, pouvait facilement disparaître et se réfugier en pays barbare; il n'en fut empêché que par son amour pour sa jeune épouse, une femme entre toutes remarquable, qui portait dans son peuple le nom d'Empona, ce qu'on pourrait traduire en grec par « Héroïne ». Il se sentait incapable de l'abandonner et, d'autre part, il lui était impossible de l'emmener avec lui. Or il possédait à la campagne des caveaux souterrains où ses richesses étaient cachées, et qui n'étaient connus que de deux de ses affranchis. Il renvoya tous ses autres serviteurs en leur disant qu'il allait s'empoisonner, et, ne gardant avec lui que ses deux hommes de confiance, il descendit dans le souterrain. En outre, il envoya à sa femme l'un de ses affranchis, nommé Martial, avec ordre de lui annoncer qu'il était mort par le poison et que sa maison des champs, où se trouvait son cadavre, avait été la proie des flammes, car il voulait que le deuil sincère de sa femme accréditât le bruit de sa mort. Il en fut ainsi. Empona se jeta telle quelle le visage contre terre et resta à sangloter et à gémir pendant trois jours et trois nuits sans prendre de nourriture. Sabinus l'apprit et, craignant qu'elle ne se laissât tout à fait mourir, ordonna à Martial de retourner auprès d'elle et de lui dire secrètement qu'il vivait et qu'il était caché, mais qu'il lui demandait de continuer, pendant un peu de temps encore, ses manifestations de deuil, en ne négligeant rien pour que cette simulation donnât le change. Elle joua parfaitement ce rôle, comme dans une tragédie, pour faire croire à son veuvage, sauf que, brûlant du désir de le revoir, elle le rejoignit la nuit et revint ensuite chez elle. Dès lors, à l'insu de tous, elle vécut, à peu de chose près, comme dans le royaume d'Hadès avec son mari, et cela dura plus de sept mois de suite. Au bout de ce temps, elle déguisa Sabinus, arrangea ses cheveux et lui mit une parure autour de la tête, de façon à le rendre méconnaissable, puis elle l'emmena ainsi avec elle à Rome, parce que des espérances de pardon lui avaient été données. Mais elle n'obtint rien, et le reconduisit dans le souterrain, où elle continua à passer auprès de lui la plus grande partie de son temps ; elle retournait en ville seulement de temps à autre pour s'y faire voir de ses amies et de ses parentes. Ce qui est plus incroyable que tout le reste, c'est qu'elle parvint à dissimuler une grossesse, alors même qu'elle prenait des bains avec ses compagnes. Comme le produit dont les femmes enduisent leurs cheveux pour les rendre fauves et dorés contient une substance grasse qui relâche et élargit les chairs en provoquant une sorte de dilatation ou de gonflement, elle s'en frotta avec profusion sur tout le corps, sauf sur le ventre, dont elle dissimula ainsi la grosseur croissante. Puis elle supporta les douleurs de l'enfantement toute seule, sans aucune femme pour l'aider, cachée avec son mari dans le souterrain comme une lionne qui met bas au fond de son repaire ; elle donna le jour à deux enfants mâles, ou plutôt à deux lionceaux, qu'elle nourrit de son lait. De ces fils, l'un a été tué en Égypte ; l'autre, qui s'appelle Sabinus, est venu tout récemment à Delphes. Finalement l'empereur fit exécuter Empona, mais il expia ce meurtre, car, en peu de temps, toute sa famille s'éteignit complètement. C'est que son règne n'avait pas produit d'acte plus hideux, et que les dieux ou les Génies, sans doute, devaient se détourner de ce spectacle avec plus d'horreur que de n'importe quel autre. Cependant, la pitié qu'inspirait Empona aux personnes présentes disparut sous l'effet de la fière audace de ses paroles, qui mirent le comble à la fureur de Vespasien : quand elle eut perdu tout espoir de salut, elle souhaita à l'empereur d'échanger sa destinée à lui contre la sienne, car, lui dit-elle, « ma vie dans l'obscurité souterraine a été plus heureuse que la tienne sur le trône ».
TACITE, Histoires, IV, 67
Sabinus avait inconsidérément précipité le combat ; il montra autant de frayeur et de précipitation à déserter le champ de bataille et, pour faire croire à son trépas, il mit le feu à la maison des champs où il avait trouvé un refuge, et on s'imagina qu'il y avait péri d'une mort volontaire. Mais quels moyens, quelles retraites lui permirent de prolonger sa vie pendant neuf ans, c'est ce que nous raconterons en son lieu en rappelant aussi la constance de ses amis et l'éclatant exemple que donna son épouse Epponine.
Sabinus festinatum temere proelium pari formidine deseruit ; utque famam exitii sui faceret, villam, in quam perfugerat, cremavit, illic voluntaria morte interisse creditus. Sed quibus artibus latebrisque vitam per novem mox annos traduxerit, siml amicorum eius constantiam et insigne Epponinae uxoris exemplum suo loco reddemus.
DION CASSIUS, Histoire romaine, LXVI, 3 et 16
En Germanie, il y eut contre les Romains plusieurs soulèvements, que, selon moi, il est fort inutile de rapporter, mais il se passa un fait qui mérite l'admiration. Un certain Julius Sabinus, un des premiers parmi les Lingons, rassembla une armée pour son propre compte, et prit le nom de César, se disant descendu de Jules César. Vaincu dans plusieurs combats, il se réfugia dans une de ses terres et s'y confina dans un monument souterrain auquel il avait préalablement mis le feu ; on le crut mort, tandis qu'il se tint neuf ans caché dans ce monument, avec sa femme qu'il rendit mère de deux enfants mâles. Le Gaulois Sabinus, qui s'était autrefois donné le nom de César, qui avait pris les armes, qui avait été vaincu et qui s'était caché dans un tombeau, fut découvert et amené à Rome. Avec lui mourut sa femme Péponilla qui lui avait sauvé la vie, bien qu'elle eût présenté à Vespasien ses enfants, et qu'elle lui eût, à leur sujet, adressé ces paroles si propres à exciter la compassion: "Ces enfants, César, je les ai mis au monde et élevés dans le tombeau afin que nous fussions plus nombreux pour te supplier." Elle fit pleurer l'empereur et les autres assistants, mais il n'y eut pas de grâce.
TABLE
D'après le Télémaque de Fénelon :
• TÉLÉMAQUE ET LES NYMPHES ACCUEILLANT L'AMOUR INTRODUIT PAR VÉNUS
• MENTOR SOUSTRAIT TÉLÉMAQUE À L'INFLUENCE DE L'AMOURD'après l'Énéide de Virgile :
• LA MORT DE PRIAM
• ÉOLE DÉCHAÎNE DES VENTS CONTRE LA FLOTTE D'ÉNÉE
• NEPTUNE APAISE LA TEMPÊTE
• ÉNÉE VOIT EN SONGE LE FANTÔME D'HECTOR QUI LUI ANNONCE LA CHUTE DE TROIEDeux scènes mythologiques :
• CIMON ALLAITÉ PAR SA FILLE
• DIANE ET ACTÉONHistoire grecque et romaine :
• L'OSTRACISME D'ARISTIDE
• TRAIT DE COURAGE DES SÉNATEURS ROMAINS DURANT LA PRISE DE ROME PAR LES GAULOIS
• ALEXANDRE ET DIOGÈNE
• POLÉMON RENCONTRE XÉNOCRATE
• LA MORT D'ARCHIMÈDE
• CORNÉLIE MÈRE DES GRACQUES
• UN GÉNÉRAL ROMAIN RECEVANT LA SOUMISSION DE CHEFS BARBARES
• MARIUS PRISONNIER À MINTURNES
• LE JEUNE CATON DANS LA MAISON DE SYLLA
• NÉRON ÉPOUVANTÉ PAR L'AMPLEUR DE SES CRIMES
• L'ARRESTATION DE JULIUS SABINUS