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LA NAÏADE ÉGLÉ EST VENUE DEMANDER À SILÈNE DE CHANTER


MBAO-1310

Anonyme, L'Ivresse de Silène, huile sur toile

Silène, le satyre, était obèse et laid. Toujours ivre, il fallait le contraindre à parler et à chanter. Dans Ovide (Métamorphoses, X, 90), des paysans phrygiens le trouvent ivre et l'enchaînent avec des guirlandes de fleurs avant de le conduire de force au roi Midas : "Titubantem annisque meroque / ruricolae cepere Phryges vinctumque coronis / ad regem duxere Midan".

Un texte de Virgile permet de donner un sens au tableau anonyme conservé au MBAO. Dans la Bucolique VI, deux jeunes garçons (pueri) trouvent Silène dans son antre, ivre près d'un vase à boire (cantharus). Pour le contraindre à chanter ils jouent à l'attacher avec des guirlandes de fleurs. La Naïade Églé leur vient en aide (addit se sociam). Silène accepte de bonne grâce de chanter, mais tout en promettant à la belle Églé une récompense… d'un autre genre.

VIRGILE, Bucoliques, VI, 13-26

Chromis et Mnasylus in antro
Silenum pueri somno videre jacentem,
inflatum hesterno venas, ut semper, Iaccho!
Serta procul tantum capiti delapsa jacebant,
et gravis attrita pendebat cantharus ansa.
Adgressi – nam saepe senex spe carminis ambo
luserat – iniciunt ipsis ex vincula sertis.
Addit se sociam timidisque supervenit Aegle,
Aegle, Naiadum pucherrima; namque videnti
sanguineis frontem moris et tempora pingit!
Ill dolum ridens: "Quo vincula nectitis?" inquit.
"Solvite me, pueri; satis est potuisse videri.
Carmina quae voltis, cognoscite; carmina vobis, huic aliud mercedis erit!"

Chromis et Mnasyle, de jeunes garçons, virent dans son antre Silène, allongé sous l'effet du sommeil, les veines enflées, comme toujours, des vapeurs d'un Iacchus de la veille! À part gisaient des couronnes, qui venaient de glisser de sa tête, et sa lourde coupe à l'anse usée pendait. L'ayant assailli (car souvent le vieillard s'était joué des deux à cause de leur espoir d'un chant), ils jettent sur lui des liens tirés des couronnes mêmes. À eux s'associe Églé, elle vient à l'aide des garçons peureux, Églé, la plus belle des Naïades; et de fait, alors qu'il la voit, elle lui barbouille le front et les tempes de sanglantes mûres! Lui, riant de leur ruse, dit: "Pourquoi nouez-vous ces liens? Déliez-moi, garçons, c'est assez que de sembler avoir pris le dessus. Apprenez les chants que vous voulez; pour vous il y aura des chants, pour elle un autre genre de récompense!"

On peut imaginer la scène du tableau à l'aide de ce texte de Virgile. Silène, ivre comme d'habitude, se trouvait chez lui avec son épouse et ses quatre enfants (dont l'un tête sa mère et l'autre urine, comme dans les Andriens de Rubens) lorsque deux joyeux compagnons et une ménade jouant du tambourin sont venus le réveiller pour le contraindre à chanter. Eglé, la plus belle des Naïades, s'est jointe à eux, barbouillant de mûres le visage de l'ivrogne.


Pour comparaison :

 

Cornelis Schut (1597-1655), Silène ivre avec faunes et bacchantes,
dessin, Stedelijk Prentenkabinet, Anvers
Voir : https://utpictura18.univ-amu.fr/Fiction/Rubens.php

Ce dessin de C. Schut illustre le même thème : Eglé s'amuse avec Silène ivre et à peine réveillé, entre faunes, faunesse et deux de ses enfants (dont l'un urine, comme dans le tableau d'Orléans).


MBAO- 2008.0.238

L'ivresse de Silène, accompagné de deux satyres
burin vers 1550, d'après Lucas Penni (c. 1500- 1557)

 

MBAO-2008.0.1305

Giulio Pippi (1499-?) inv. et Gérard Audran (1640-?) graveur

MBAO - DE.738

Géricault, Le Cortège de Silène, vers 1817, dessin, 21,5 x 28,5 cm

On peut mettre ce dessin en rapport avec la fin du poème « Bacchus » d'André Chénier (1762-1794) :
Et le rauque tambour, les sonores cymbales,
Les hautbois tortueux, et les doubles crotales
Qu'agitaient en dansant sur ton bruyant chemin
Le faune, le satyre et le jeune sylvain,
Au hasard attroupés autour du vieux Silène,
Qui, sa coupe à la main, de la rive indienne,
Toujours ivre, toujours débile, chancelant,
Pas à pas cheminait sur son âne indolent.


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