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L'ARRESTATION DE JULIUS SABINUS


 

MBAO-

Dessin de Delaperche (deux dessins, catalogue p. 279 et p. 281)

Sabinus faisait partie des personnages les plus importants de Gaule, aussi bien par sa réputation que par sa fortune ; il était également citoyen romain et faisait partie de la gens Julia. La désorganisation politique après la mort de Néron conduit les Lingons menés par Julius Sabinus à se joindre au soulèvement des Bataves fomenté par Gaius Julius Civilis en 69. La coalition formée par Civilis et Sabinus remporte plusieurs victoires avant que cette révolte soit réprimée par les Séquanes. Alors Vespasien retire la citoyenneté romaine aux Lingons qui doivent livrer 70 000 guerriers. Sabinus quant à lui prend la fuite, simule un suicide et brûle sa maison. Il se cache ensuite dans une grotte (que la tradition situe aux sources de la Marne). Sa femme Éponine fait semblant de porter le deuil le jour, mais rejoint la nuit son mari. De l'union de Sabinus et Éponine naissent bientôt deux enfants. Après avoir passé neuf années à se cacher, Sabinus finit par être découvert et arrêté par des soldats en présence de sa femme et de ses enfants.
C'est le moment qu'a représenté Delaperche.
Puis, lorsqu'elle a été conduite devant Vespasien. Éponine a plaidé en vain pour obtenir la grâce de son mari, puis elle a fini par demander à mourir avec lui.


PLUTARQUE, Dialogue sur l'amour, 25

Civilis, qui suscita le soulèvement de la Gaule, avait naturellement associé à ses projets de nombreux chefs. Parmi eux se trouvait Sabinus, un homme jeune et de haute naissance, que sa richesse et sa renommée plaçaient au premier rang de tous les Gaulois. Quand la grande entreprise qu'ils avaient tentée eut échoué, prévoyant le châtiment qui les attendait,certains de ces chefs se tuèrent, d'autres cherchèrent leur salut dans la fuite, mais furent pris. Sabinus, lui, pouvait facilement disparaître et se réfugier en pays barbare; il n'en fut empêché que par son amour pour sa jeune épouse, une femme entre toutes remarquable, qui portait dans son peuple le nom d'Empona, ce qu'on pourrait traduire en grec par « Héroïne ». Il se sentait incapable de l'abandonner et, d'autre part, il lui était impossible de l'emmener avec lui. Or il possédait à la campagne des caveaux souterrains où ses richesses étaient cachées, et qui n'étaient connus que de deux de ses affranchis. Il renvoya tous ses autres serviteurs en leur disant qu'il allait s'empoisonner, et, ne gardant avec lui que ses deux hommes de confiance, il descendit dans le souterrain. En outre, il envoya à sa femme l'un de ses affranchis, nommé Martial, avec ordre de lui annoncer qu'il était mort par le poison et que sa maison des champs, où se trouvait son cadavre, avait été la proie des flammes, car il voulait que le deuil sincère de sa femme accréditât le bruit de sa mort. Il en fut ainsi. Empona se jeta telle quelle le visage contre terre et resta à sangloter et à gémir pendant trois jours et trois nuits sans prendre de nourriture. Sabinus l'apprit et, craignant qu'elle ne se laissât tout à fait mourir, ordonna à Martial de retourner auprès d'elle et de lui dire secrètement qu'il vivait et qu'il était caché, mais qu'il lui demandait de continuer, pendant un peu de temps encore, ses manifestations de deuil, en ne négligeant rien pour que cette simulation donnât le change. Elle joua parfaitement ce rôle, comme dans une tragédie, pour faire croire à son veuvage, sauf que, brûlant du désir de le revoir, elle le rejoignit la nuit et revint ensuite chez elle. Dès lors, à l'insu de tous, elle vécut, à peu de chose près, comme dans le royaume d'Hadès avec son mari, et cela dura plus de sept mois de suite. Au bout de ce temps, elle déguisa Sabinus, arrangea ses cheveux et lui mit une parure autour de la tête, de façon à le rendre méconnaissable, puis elle l'emmena ainsi avec elle à Rome, parce que des espérances de pardon lui avaient été données. Mais elle n'obtint rien, et le reconduisit dans le souterrain, où elle continua à passer auprès de lui la plus grande partie de son temps ; elle retournait en ville seulement de temps à autre pour s'y faire voir de ses amies et de ses parentes. Ce qui est plus incroyable que tout le reste, c'est qu'elle parvint à dissimuler une grossesse, alors même qu'elle prenait des bains avec ses compagnes. Comme le produit dont les femmes enduisent leurs cheveux pour les rendre fauves et dorés contient une substance grasse qui relâche et élargit les chairs en provoquant une sorte de dilatation ou de gonflement, elle s'en frotta avec profusion sur tout le corps, sauf sur le ventre, dont elle dissimula ainsi la grosseur croissante. Puis elle supporta les douleurs de l'enfantement toute seule, sans aucune femme pour l'aider, cachée avec son mari dans le souterrain comme une lionne qui met bas au fond de son repaire ; elle donna le jour à deux enfants mâles, ou plutôt à deux lionceaux, qu'elle nourrit de son lait. De ces fils, l'un a été tué en Égypte ; l'autre, qui s'appelle Sabinus, est venu tout récemment à Delphes. Finalement l'empereur fit exécuter Empona, mais il expia ce meurtre, car, en peu de temps, toute sa famille s'éteignit complètement. C'est que son règne n'avait pas produit d'acte plus hideux, et que les dieux ou les Génies, sans doute, devaient se détourner de ce spectacle avec plus d'horreur que de n'importe quel autre. Cependant, la pitié qu'inspirait Empona aux personnes présentes disparut sous l'effet de la fière audace de ses paroles, qui mirent le comble à la fureur de Vespasien : quand elle eut perdu tout espoir de salut, elle souhaita à l'empereur d'échanger sa destinée à lui contre la sienne, car, lui dit-elle, « ma vie dans l'obscurité souterraine a été plus heureuse que la tienne sur le trône ».


TACITE, Histoires, IV, 67

Sabinus avait inconsidérément précipité le combat ; il montra autant de frayeur et de précipitation à déserter le champ de bataille et, pour faire croire à son trépas, il mit le feu à la maison des champs où il avait trouvé un refuge, et on s'imagina qu'il y avait péri d'une mort volontaire. Mais quels moyens, quelles retraites lui permirent de prolonger sa vie pendant neuf ans, c'est ce que nous raconterons en son lieu en rappelant aussi la constance de ses amis et l'éclatant exemple que donna son épouse Epponine.

Sabinus festinatum temere proelium pari formidine deseruit ; utque famam exitii sui faceret, villam, in quam perfugerat, cremavit, illic voluntaria morte interisse creditus. Sed quibus artibus latebrisque vitam per novem mox annos traduxerit, siml amicorum eius constantiam et insigne Epponinae uxoris exemplum suo loco reddemus.


DION CASSIUS, Histoire romaine, LXVI, 3 et 16

En Germanie, il y eut contre les Romains plusieurs soulèvements, que, selon moi, il est fort inutile de rapporter, mais il se passa un fait qui mérite l'admiration. Un certain Julius Sabinus, un des premiers parmi les Lingons, rassembla une armée pour son propre compte, et prit le nom de César, se disant descendu de Jules César. Vaincu dans plusieurs combats, il se réfugia dans une de ses terres et s'y confina dans un monument souterrain auquel il avait préalablement mis le feu ; on le crut mort, tandis qu'il se tint neuf ans caché dans ce monument, avec sa femme qu'il rendit mère de deux enfants mâles. Le Gaulois Sabinus, qui s'était autrefois donné le nom de César, qui avait pris les armes, qui avait été vaincu et qui s'était caché dans un tombeau, fut découvert et amené à Rome. Avec lui mourut sa femme Péponilla qui lui avait sauvé la vie, bien qu'elle eût présenté à Vespasien ses enfants, et qu'elle lui eût, à leur sujet, adressé ces paroles si propres à exciter la compassion: "Ces enfants, César, je les ai mis au monde et élevés dans le tombeau afin que nous fussions plus nombreux pour te supplier." Elle fit pleurer l'empereur et les autres assistants, mais il n'y eut pas de grâce.


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