MARIUS, POURCHASSÉ PAR SYLLA ET PRISONNIER, EST ÉPARGNÉ PAR SON BOURREAU
MBAO-
Dessin de Delaperche (p. 91)
Né en -157, Caius Marius a fait une brillante carrière militaire et politique (dans le parti des populares). Mais, l'année -100, il rencontre des difficultés venant de ses alliés les populares, dont certains font régner la terreur à Rome. Il se range alors du côté du Sénat pour faire exécuter les fauteurs de troubles. En -90, son rival Sylla, issu de l'aristocratie, remporte de nombreux succès militaires et le prestige de Marius diminue. Le conflit s'aggrave entre les deux hommes. Sylla marche sur Rome et s'empare de la ville, contraignant Marius à la fuite. Les principaux populares sont déclarés « ennemis publics ». En -89, proscrit par ses ennemis politiques du Sénat, Marius fuit Rome, est fait prisonnier près de la ville de Minturnes dans le Latium et placé en détention chez une femme, Fannia. Il est vite condamné à mort, mais l'homme chargé de l'exécuter, reconnaissant le grand Marius et ne pouvant supporter son regard, jeta son épée et s'enfuit. C'est ce détail donné par Plutarque qu'a représenté Delaperche : l'homme se détourne pour ne pas regarder Marius dans les yeux.
VELLEIUS PATERCULUS, Histoire romaine, livre II, 19
Tum Sulla contracto exercitu ad urbem rediit eamque armis occupavit, duodecim auctores novarum pessimarumque rerum, inter quos Manum cum filio et P. Sulpicio, urbe exturbavit ac lege lata exules fecit. Sulpicium etiam adsecuti equites in Laurentinis paludibus iugulavere, caputque eius erectum et ostentatum pro rostris velut omen imminentis proscriptionis fuit. Marius post sextum consulatum annumque septuagesimum nudus ac limo obrutus, oculis tantummodo ac naribus eminentibus, extractus arundineto circa paludem Maricae, in quam se fugiens consectantis Sullae equites abdiderat, iniedo in collum loro in carcerem Minturnensium iussu duumviri perductus est. Ad quem interficiendum missus cum gladio servus publicus natione Germanus, qui forte ab imperatore eo bello Cimbrico captus erat, ut agnovit Marium, magno eiulatu expromens indignationem casus tanti viri abiecto gladio profugit e carcere. Tum cives, ab hoste misereri paulo ante principis viri docti, instructum eum viatico conlataque veste in navem imposuerunt. At ille adsecutus circa insulam Aenariam filium cursum in Africam direut inopemque vitam in tugurio ruinarum Carthaginiensium toleravit, cum Marius aspiciens Carthaginem, illa intuens Marium, alter alteri possent esse solacio. Sylla rassembla alors une armée, revint à Rome, y entra avec ses troupes, chassa de la ville les douze auteurs de ces lois nouvelles et détestables, notamment Marius, le fils de Marius et Publius Sulpicius, puis fit voter une loi qui les bannissait. Sulpicius rejoint par des cavaliers dans les marais de Laurente fut égorgé et sa tête dressée et exposée devant les rostres fut comme le présage des proscriptions imminentes. Après six consulats et âgé de plus de soixante-dix ans, Marius nu et disparaissant dans une vase qui ne laissait à découvert que ses yeux et son nez, fut arraché du milieu des roseaux près du marais de Marica, où il s'était caché pour échapper à la poursuite des cavaliers de Sylla. On lui jeta au cou une lanière de cuir et sur l'ordre d'un des duumvirs, il fut conduit dans la prison de Minturnes. On envoya pour le tuer un esclave public, armé d'une épée. C'était précisément un Germain qui avait été fait prisonnier par notre général dans la guerre des Cimbres. Dès qu'il reconnut Marius, il poussa un grand gémissement et montra ainsi qu'il s'indignait du sort d'un tel homme. Jetant son épée, il s'enfuit de la prison. Alors les citoyens, apprenant d'un ennemi à plaindre celui qui, peu auparavant, était le premier citoyen de Rome, munirent Marius d'argent pour le voyage, lui donnèrent des vêtements et le mirent dans un bateau. Il rejoignit son fils près d'Aenaria, se dirigea vers l'Afrique où il mena une vie misérable dans une hutte au milieu des ruines de Carthage ; et ainsi Marius considérant Carthage et Carthage regardant Marius pouvaient se consoler entre eux.
LUCAIN, Pharsale, livre II
Oderuntque grauis uiuacia fata senectae
seruatosque iterum bellis ciuilibus annos.
atque aliquis magno quaerens exempla timori
Non alios, inquit, motus tunc fata parabant,
cum post Teutonicos victor Libycosque triumphos
exsul limosa Marius caput abdidit ulva.
Stagna avidi texere soli laxaeque paludes
depositum, Fortuna, tuum; mox vincula ferri
exedere senem longusque in carcere paedor :
consul et eversa felix moriturus in Urbe
poenas ante dabat scelerum. Mors ipsa refugit
saepe virum, frustraque hosti concessa potestas
sanguinis invisi. Primo qui caedis in actu
deriguit ferrumque manu torpente remisit :
viderat immensam tenebroso in carcere lucem
terribilesque deos scelerum Mariumque futurum
audieratque pavens : "Fas haec contingere non est
colla tibi; debet multas hic legibus aevi
ante suam mortes; vanum depone furorem.
Si libet ulcisci deletae funera gentis,
hunc, Cimbri, servatae senem. Non ille favore
numinis, ingenti supremum protectus ab ira
vir ferus et Romam cupienti perdere fato
sufficiens.Les vieillards accablés de douleur se plaignaient d'avoir trop vécu et maudissaient leurs jours condamnés à la guerre civile. L'un d'eux, pour donner un exemple récent des maux que l'on avait à craindre : « Ô mes amis ! dit-il, l'orage qui nous menace est le même qui s'éleva sur Rome lorsque Marius vainqueur des Teutons et des Numides, se réfugia dans les marais, et que les roseaux de Minturne couvrirent sa tête triomphante, cette tête dont la Fortune leur confiait en dépôt fatal. Découvert, et chargé de chaînes, le vieillard languit longtemps enseveli dans les horreurs d'un cachot. Destiné à mourir consul, à mourir tranquille au milieu des ruines de sa patrie, il portait d'avance la peine de ses crimes; mais la mort se détourne de lui. En vain un ennemi tient sa vie odieuse entre ses mains ; le premier qui veut le frapper recule saisi de frayeur. Sa main tremblante laissa tomber le glaive. Il a vu à travers les ténèbres de la prison une lumière resplendissante ; il a vu les terribles dieux des forfaits; il a vu Marius dans tout l'éclat de sa grandeur future ; il l'a entendu et il a tremblé. Ce n'est pas à toi de frapper cette tête, le cruel doit au destin des morts sans nombre avant la sienne. Bannis une vaine fureur. Cimbres, si vous voulez être vengés, conservez avec soin les jours de ce vieillard. Ce n'est point la faveur des dieux, c'est leur colère qui veille sur lui. Marius suffit au dessein qu'ils ont formé de perdre Rome. »
PLUTARQUE, Vie de Marius, 41-42
Retiré de là tout nu et couvert de fange, il fut conduit à Minturnes, où on le remit entre les mains des magistrats ; car le décret du sénat qui ordonnait à tout Romain de le poursuivre et de le tuer, s'il était pris, avait été déjà publié dans toutes les villes. Les magistrats, avant de mettre ce décret à exécution, voulurent en délibérer ; et en attendant ils déposèrent Marius dans la maison d'une femme nommée Fannia, qu'on croyait indisposée contre lui, pour une cause déjà ancienne. […] Fannia, dans cette occasion, ne se conduisit pas en femme offensée : dès qu'elle eut Marius entre ses mains, bien loin de lui témoigner du ressentiment, elle le secourut de tout son pouvoir, et chercha à lui redonner du courage. Marius la remercia de sa générosité, et l'assura qu'il était plein de confiance. […] Puis il voulut reposer, demanda qu'on le laissât seul et qu'on fermât la porte sur lui.
Les magistrats et les décurions de Minturnes, après une longue délibération, résolurent d'exécuter sans retard le décret, et de faire périr Marius ; mais aucun des citoyens ne voulut s'en charger. Enfin il se présenta un cavalier gaulois ou cimbre (car on a dit l'un et l'autre), qui entra l'épée à la main dans la chambre où Marius reposait. Comme elle recevait peu de jour, et qu'elle était fort obscure, le cavalier, à ce qu'on assure, crut voir des traits de flamme s'élancer des yeux de Marius ; et de ce lieu ténébreux il entendit une voix terrible lui dire : « Oses-tu, misérable, tuer Caïus Marius ! » À l'instant le Barbare prend la fuite, et jetant son épée, il sort dans la rue, en criant ces seuls mots : « Je ne puis tuer Gaïus Marius. » L'étonnement d'abord, ensuite la compassion et le repentir, gagnèrent bientôt toute la ville. Les magistrats se reprochèrent la résolution qu'ils avaient prise, comme un excès d'injustice et d'ingratitude envers un homme qui avait sauvé l'Italie, et à qui l'on ne pouvait sans crime refuser du secours. « Qu'il s'en aille, disaient-ils, errer où il voudra, et accomplir ailleurs sa destinée ; et prions les dieux de ne pas nous punir de ce que nous rejetons de notre ville Marius, nu et dépourvu de tout secours. » D'après ces réflexions, ils se rendent en foule dans sa chambre, et l'ayant tous environné, ils le font sortir, et le conduisent au bord de la mer.
LHOMOND, De Viris illustribus
Tunc Romae primum civile bellum ortum est. Quum enim Sylla consul contra Mithridaterm, regen Ponti, missus fuisset, ei Marius illud imperium eripuit, fecitque ut loco Syllae imperator crearetur. Qua re commotus, Sylla cum exercitu Romam venit, eam armis occupavit, Mariumque expulit. Marius in palude aliquandiu delituit; sed ibi paulo post deprehensus, et, ut erat, nudo corpore coenoque oblitus,injecto in collum loro raptus est, et in custodiam conjectus. Missus etiam est ad eum occidendum servus publicus, natione Cimber; quem Marius vultus majestate deterruit. Quum enim hominem ad se gladio stricto venientem vidisset: «Tune, inquit, Marium audebis occidere? Ille attonitus ac tremens, abjecto ferro, fugit. Marius postea, ab iis etiam qui prius eum occidere voluerant e carcere emissus est. Marius, accepta navicula, in Africam trajecit, et in agrum Carthaginiensem pervenit. Ce fut alors qu'éclata à Rome la première guerre civile. Sylla ayant été envoyé, en qualité de consul, contre Mithridate, roi de Pont, Marius lui enleva ce commandement, et se fit nommer général à sa place. Sylla, indigné de cet affront, vint à Rome avec une armée, s'en rendit maître par la force des armes, et en chassa Marius. Celui-ci resta quelque temps caché dans un marais; mais il y fut bientôt surpris, et dans l'état où il était, tout nu, couvert de boue, il fut traîné en prison, la corde au cou. On envoya aussi pour le tuer un esclave public, Cimbre de nation, dont Marius arrêta la main par la seule majesté de son visage. En effet, Marius ayant vu cet homme qui venait sur lui, l'épée à la main: «Quoi! lui dit-il, tu oserais tuer Marius?» A ces mots l'esclave effrayé et tremblant jette son épée et s'enfuit. Marius fut ensuite tiré de prison par ceux mêmes qui avaient voulu le tuer. Marius, s'étant jeté dans une petite barque, passa en Afrique, et aborda sur le territoire de Carthage.