HERA ENVOIE UNE ÉPIDÉMIE DE PESTE SUR L'ÎLE D'ÉGINE
MBAO, 2008.0.1294
Estampe : dessin de Pierre MIGNARD (1612-1695), gravé par Gérard Audran (1640-1703)
La légende :
Zeus, amoureux de la nymphe Égine, prit la forme d'un aigle, l'enleva et la transporta, enceinte, sur l'île d'Oenone (appelée depuis île d'Égine) où elle mit au monde un fils, Eaque, qu'elle abandonna aussitôt.
Héra, furieuse de voir une île porter le nom d'une amante de son époux, envoya sur l'île d'Eaque une épidémie de peste qui tua tous les animaux et tous les habitants.
Comme les fourmis de l'île avaient seules échappé à l'épidémie, Zeus les transforma en humains, les Myrmidons.
OVIDE, au livre VII des Métamorphoses, fait raconter par Éaque, le roi d'Égine, comment son royaume a été dépeuplé par l'épidémie envoyée par Junon.
Dira lues ira populis Iunonis iniquae (523) |
Une peste terrible s'est abattue sur mon peuple, poursuivi par la colère de Junon, qui avait pris en haine un pays appelé du nom de sa rivale. Tant que le mal parut être de ceux qui tiennent à la nature humaine et qu'on ignora la cause d'un si grand fléau, on les combattit avec les ressources de l'art médical ; mais le désastre surpassait tous les secours ; ils ne pouvaient en triompher. D'abord le ciel fit peser sur la terre un épais brouillard et des nuages, où il enferma une chaleur accablante. |
Constat et in fontis uitium uenisse lacusque, (533) |
Il est constant que les sources et les bassins furent infestés par la contagion, que des milliers de serpents se répandirent à travers les campagnes incultes et souillèrent les cours d'eau de leur venin. Ce furent les chiens, les oiseaux, les moutons, les bœufs, les animaux sauvages qui, en succombant par monceaux, révélèrent les premiers la puissance de cette maladie subite. |
Omnia languor habet: siluisque agrisque uiisque (547) |
Tout languit ; dans les forêts, dans les champs, sur les routes sont étendus des cadavres hideux qui infectent les airs de leur odeur. |
Peruenit ad miseros damno grauiore colonos (552) |
Le fléau étend ses ravages, plus redoutables encore, aux malheureux cultivateurs et il établit son empire dans l'enceinte de cette grande ville. D'abord les entrailles sont dévorées par une flamme secrète que révèle la rougeur de la peau et la chaleur brûlante de l'haleine ; la langue est rugueuse et enflée ; la bouche desséchée s'ouvre aux vents attiédis et n'aspire entre les lèvres béantes qu'un air pestilentiel. Les malades ne peuvent souffrir ni couverture ni vêtement ; mais ils appliquent contre terre leur poitrine insensible et leur corps, au lieu d'être rafraîchi par le sol, communique au sol sa chaleur. |
Nec moderator adest, inque ipsos saeua medentes |
Personne ne peut calmer le mal ; il se déchaîne cruellement contre les médecins eux-mêmes, devenus victimes de l'art qu'ils exercent. Plus on approche les malades, plus on met de dévouement à leur service et plus on contracte rapidement le germe fatal. Quand ils ont perdu tout espoir, quand ils voient que la mort seule peut terminer leurs souffrances, ils s'abandonnent à leurs instincts, sans aucun souci des remèdes utiles ; et en effet d'utiles il n'y en a point. Pêle-mêle, au mépris de toute pudeur, ils se pressent contre le bord des fontaines, des cours d'eau et des puits aux larges flancs ; leur soif ne s'éteint qu'avec leur vie, pendant qu'ils boivent. Un grand nombre, trop alourdis, incapables de se lever de leur place, meurent dans les eaux mêmes ; il s'en trouve pourtant d'autres pour venir y puiser encore. |
Tantaque sunt miseris inuisi taedia lecti, |
Certains de ces malheureux éprouvent une telle horreur, un tel dégoût pour leur couche qu'ils s'en élancent d'un bond, ou, si leurs forces ne leur permettent pas de se soutenir, se roulent sur la terre ; chacun fuit ses pénates, chacun regarde sa demeure comme un séjour funeste et, ignorant la cause du mal, en accuse l'étroitesse du lieu où il habite. On en voit qui errent à demi morts dans les rues, tant qu'ils peuvent se tenir debout, d'autres qui pleurent, étendus sur la terre, et qui, par un effort suprême, tournent autour d'eux leurs yeux las ; ils tendent les bras vers les astres du ciel, vers les nuées suspendues sur leur tête ; puis les uns d'un côté, les autres d'un autre, là où la mort les a surpris,ils exhalent leur dernier souffle. |
Templa uides contra gradibus sublimia longis: (587) |
Tu vois en face de toi ce temple où l'on monte par une longue suite de degrés ; il est consacré à Jupiter ; qui de nous n'a point porté sur ses autels un encens inutile ? Que de fois l'époux, en récitant une prière pour son épouse, le père pour son fils, ont expiré au pied de ces autels inexorables ! Que de fois on a trouvé dans leur main une portion de leur encens, qu'ils n'avaient pas brûlée ! |
Ante sacros uidi proiecta cadauera postes, (602) |
J'ai vu des cadavres épars devant les portes du sanctuaire ; au pied même des autels il y eut des malheureux qui, pour rendre leur trépas plus révoltant encore, s'étranglèrent avec un lacet, qui par la mort s'affranchirent de la peur de mourir et d'eux-mêmes appelèrent l'instant fatal qui approchait. |
Mignard a transposé certains détails du texte d'Ovide :
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Dans le ciel, Junon répand le virus sur la ville.
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A gauche, un homme qui ne supporte plus d'être enfermé chez lui et qu'une femme essaie de retenir.
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A droite, des médecins impuissants qui risquent d'être contaminés.
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Au loin, des hommes fiévreux qui boivent l'eau d'une fontaine.
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Au bas des marches, des malades qui prient Jupiter.
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En haut des marches du temple, des hommes qui brûlent de l'encens