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LE TESTAMENT D'EUDAMIDAS, PAUVRE SOLDAT DE CORINTHE


 

MBAO, 2008.0.1066

Estampe d'après un tableau de Nicolas Poussin (1594-1665), gravée par Jean Pesne (1623-1700)
On lit : "Testament d'Eudamidas de la Ville de Corinthe//Je Legue ma mere a Aretée pour la nourrir et en auoir soin dans sa vieilless. Je legue ma fille à Charixene pour la marier auec un aussi grand dot/quil pourra luy donner. Et si l'vn ou l'autre vient cependant a mourir, ientends que le legs que ie luy ay fait reuienne au suruiuant. Lucien dans le Toxaris."

 

Le tableau de Poussin, 1644 (Copenhague, Statens Museum for Kunst)

Un pauvre soldat de Corinthe, Eudamidas, dicte ses dernières volontés en présence de son médecin qui lui prend le pouls, de sa mère et de sa fille. N'ayant rien, il ne lègue rien, mais demande à deux riches amis de prendre soin de sa mère et de marier sa fille. Etrange testament ! A la surprise de tous les Corinthiens, les deux amis exécuteront scrupuleusement les dernières volontés du soldat.

Ce tableau de Poussin est cité avec éloge par Diderot.


C'est une anecdote racontée par LUCIEN dans son traité Toxaris ou l'Amitié (22-23)

MNÉSIPPE – Eudamidas de Corinthe avait pour amis Arétée de Corinthe et Charixène de Sicyone. Ces deux derniers étaient riches, tandis qu'Eudamidas était fort pauvre. En mourant, il fit un testament, qui peut paraître ridicule à bien des gens, mais qui, je n'en doute pas, aura l'approbation d'un homme de bien, honorant, comme toi, l'amitié et combattant maintenant pour en obtenir le prix. Ce testament était conçu en ces termes : "Je lègue à Arétée ma mère à nourrir et à soigner dans sa vieillesse ; à Charixène, ma fille à établir avec une dot aussi belle que le lui permettra sa fortune." Or, la mère d'Eudamidas était déjà vieille et sa fille en âge d'être mariée. "Si l'un des deux vient à mourir, ajoutait-il, que l'autre prenne la place du défunt." Quand on fit lecture de ce testament, tous ceux qui connaissaient la pauvreté d'Eudamidas, mais qui ignoraient l'amitié qui le liait à ces deux hommes, s'amusèrent de cette affaire, et s'en allèrent en riant. On disait : "Quel bonheur pour Arétée et pour Charixène de recevoir un si bel héritage et de faire honneur au legs d'Eudamidas ! Vivants, ils ont un mort pour héritier." Mais à peine nos légataires ont-ils connu ce qui leur a été laissé, qu'ils accourent, et demandent la délivrance de leur part de succession. Cependant Charixène meurt cinq jours après : alors Arétée, se montrant le plus généreux des héritiers, prend la part léguée à Charixène. Il nourrit la mère d'Eudamidas, et quelque temps après marie sa fille. De cinq talents qu'il possédait, il en donna deux à celle-ci et deux à sa propre fille, et voulut que leur mariage fût célébré le même jour. Que dis-tu, Toxaris, de cet Arétée ? A-t-il donné un faible exemple de son amitié, en acceptant un pareil legs, et en ne trahissant pas les dispositions testamentaires de son ami ? Ou bien le mettons-nous au rang de ces suffrages parfaits, dont on trouve un sur cinq ?
TOXARIS – J'avoue qu'il s'est bien conduit, mais j'admire bien plus encore la confiance d'Eudamidas en ses amis. Elle prouve qu'il aurait fait pour eux ce qu'ils firent pour lui, quand même il n'en aurait pas été prié par testament, et qu'il se serait présenté avant tous les autres pour réclamer un pareil héritage, sans en avoir été nommé légataire.


Montaigne a repris le texte de Lucien dans son essai De l'Amitié (I, 228), Pléiade 1950, p. 227

Fontenelle en a tiré une comédie en 5 actes, Le Testament (1731).


Le sculpteur Luc François Breton (1731-1800) en a tiré cette terre cuite (Musée des Beaux-Arts de Besançon)


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