MINERVE VIENT DÉFIER LA TISSERANDE ARACHNÉ DANS SON ATELIER
MBAO-2008.0.117
Gravure au burin du milieu du XVIe siècle, d'après une oeuvre du Primatice à Fontainebleau
LA LÉGENDE :
La Lydienne Arachné, fille d'un teinturier, a osé prétendre pouvoir rivaliser avec Minerve dans l'art du tissage et de la broderie. Minerve, qui a pris l'apparence d'une vieille femme, essaie en vain de la convaincre de faire preuve de plus de modestie; mais Arachné persiste dans son idée d'engager un concours avec Minerve. Alors la déesse, ayant repris son apparence habituelle, se dresse devant l'imprudente tisseuse.
OVIDE, Métamorphoses, VI, 5-60 et 129-145.
Maeoniaeque animum fatis intendit Arachnes, quam sibi lanificae non cedere laudibus artis audierat. Non illa loco nec origine gentis clara, sed arte fuit : pater huic Colophonius Idmon Phocaico bibulas tinguebat murice lanas ; occiderat mater, sed et haec de plebe suoque aequa uiro fuerat ; Lydas tamen illa per urbes quaesierat studio nomen memorabile, quamuis orta domo parua paruis habitabat Hypaepis. Huius ut adspicerent opus admirabile, saepe deseruere sui nymphae uineta Timoli, deseruere suas nymphae Pactolides undas. Nec factas solum uestes, spectare iuuabat tum quoque, cum fierent : tantus decor adfuit arti, siue rudem primos lanam glomerabat in orbes, seu digitis subigebat opus repetitaque longo uellera mollibat nebulas aequantia tractu, siue leui teretem uersabat pollice fusum, seu pingebat acu ; scires a Pallade doctam. Quod tamen ipsa negat tantaque offensa magistra : «certet» ait «mecum : nihil est, quod uicta recusem !» |
Alors, Pallas conçut le projet de perdre Arachné de Méonie, qui, avait-elle appris, ne recueillait pas moins d'éloges qu'elle pour l'art de travailler la laine. Ni le lieu ni la noblesse de sa naissance n'avaient rendu Arachné célèbre, mais bien son talent. Son père, Idmon de Colophon, teignait des laines qui s'imbibaient de pourpre de Phocide ; sa mère était morte, mais sortie elle aussi du peuple, elle partageait la condition de son époux. Cependant, dans les villes de Lydie, Arachné s'était acquis par son zèle un nom célèbre, malgré la modestie de sa naissance et de la cité d'Hypaepa, où elle habitait. Pour contempler l'admirable beauté de son travail, souvent les nymphes du Timolus désertèrent leurs vignes, et les nymphes du Pactole désertèrent leurs ondes. C'était pour elles un plaisir non seulement de contempler les tissus finis, mais aussi de les voir se faire : tant l'artiste montrait d'habileté et de grâce quand elle commençait à former de rondes pelotes de laine brute, ou quand elle lissait de ses doigts son ouvrage ou reprenait en les étirant pour les assouplir les longs fils floconneux , ou quand, d'un geste léger du pouce, elle retournait le fuseau ou brodait à l'aiguille ; on eût dit qu'elle avait été l'élève de Pallas. Mais elle nie le fait, offensée qu'on lui attribue une si grande maîtresse : "Qu'elle se mesure à moi, dit-elle ; je me plierai à tout si je perds !" |
Pallas anum simulat falsosque in tempora canos addit et infirmos baculo quoque sustinet artus. Tum sic orsa loqui : « Non omnia grandior aetas, quae fugiamus, habet ; seris uenit usus ab annis. Consilium ne sperne meum ; tibi fama petatur inter mortales faciendae maxima lanae ; cede deae ueniamque tuis, temeraria, dictis supplice uoce roga ; ueniam dabit illa roganti. » Adspicit hanc toruis inceptaque fila relinquit uixque manum retinens confessaque uultibus iram talibus obscuram resecuta est Pallada dictis : « Mentis inops longaque uenis confecta senecta, et nimium uixisse diu nocet. Audiat istas, si qua tibi nurus est, si qua est tibi filia, uoces ; consilii satis est in me mihi, neue monendo profecisse putes, eadem est sententia nobis. Cur non ipsa uenit ? Cur haec certamina uitat ? » Tum dea « Venit ! » ait formamque remouit anilem Palladaque exhibuit. Venerantur numina nymphae Mygdonidesque nurus ; sola est non territa uirgo, sed tamen erubuit, subitusque inuita notauit ora rubor rursusque euanuit, ut solet aer purpureus fieri, cum primum Aurora mouetur, et breue post tempus candescere solis ab ortu. |
Pallas se déguise en vieille femme, garnissant ses tempes de faux cheveux blancs et soutenant d'un bâton ses membres débiles. Alors elle se mit à parler : "Tout ce qu'apporte le grand âge n'est pas à éviter ; l'expérience vient sur le tard, avec les années. Ne méprise pas mon conseil ; cherche pour ta part à devenir, la tisseuse de laine la plus renommée parmi les mortelles ; réfléchis, cède à la déesse, et implore d'une voix suppliante son pardon pour tes paroles : si tu l'implores, elle pardonnera." Arachné regarda la vieille d'un air farouche, lâcha les fils entamés, et, retenant difficilement sa main, la colère se lisant sur ses traits, elle répondit aussitôt à Pallas qu'elle n'avait pas reconnue : "Pauvre idiote, tu arrives épuisée par une longue vieillesse, et ton tort est d'avoir vécu trop longtemps. Que ta bru, si elle existe, que ta fille, si tu en as une quelque part, écoutent tes paroles. Il me suffit de prendre conseil de moi-même, et ne va pas te figurer m'avoir aidée de tes conseils, je reste du même avis. Pourquoi la déesse ne vient-elle pas elle-même ? Pourquoi évite-t-elle ce concours ?" Alors la déesse : "Elle est venue !", et, rejetant l'apparence de la vieille, elle apparut en Pallas. La déesse reçoit les hommages des nymphes et des femmes de Mygdonie ; seule la jeune fille n'est pas effrayée. Elle rougit pourtant, et, malgré elle, cette rougeur subite marqua son visage, puis elle s'évanouit. Ainsi l'air, dès que s'annonce l'Aurore, se teinte d'habitude de rose, avant de blanchir un moment plus tard, au lever du soleil. |
Perstat in incepto stolidaeque cupidine palmae in sua fata ruit ; neque enim Ioue nata recusat nec monet ulterius nec iam certamina differt. Haud mora, constituunt diuersis partibus ambae et gracili geminas intendunt stamine telas ; tela iugo uincta est, stamen secernit harundo, inseritur medium radiis subtemen acutis, quod digiti expediunt, atque inter stamina ductum percusso pauiunt insecti pectine dentes. Vtraque festinant cinctaeque ad pectora uestes bracchia docta mouent, studio fallente laborem. |
Arachné persiste dans son projet et, avide de cette palme insensée, elle se rue vers sa perte ; car la fille de Jupiter ne se dérobe pas, cesse de la mettre en garde et ne diffère plus la compétition. Sans attendre, toutes deux en des endroits différents dressent leurs deux métiers et y tendent des fils très fins ; le métier est fixé par une barre, un roseau sépare les fils de la chaîne, entre lesquels des navettes pointues insèrent le fil de la trame, les doigts le placent et une fois qu'il est passé entre les fils de chaîne, les chocs du peigne aux dents découpées le tassent. Toutes deux s'activent ; leur robe serrée sur la poitrine, elles meuvent leurs bras experts, et le zèle les distrait de la fatigue. |
Minerve représente au centre de son ouvrage la contestation célèbre qui l'opposa à Neptune à propos de la dénomination d'Athènes. Autour de ce sujet majeur, dans les angles de l'ouvrage, figurent quatre évocations de métamorphoses infligées à des mortels prétentieux qui avaient osé se comparer à des divinités. Arachné, elle, représente sur sa tapisserie des dieux, en particulier Zeus, qui assouvissent leurs désirs en recourant à des métamorphoses pour abuser de leurs victimes. Minerve conçoit plus de dépit encore de la perfection du travail d'Arachné que de son impertinence à l'égard des dieux. Elle frappe Arachné dont elle détruit l'oeuvre. Désespérée par cet outrage, Arachné se pend. Minerve apitoyée, renonce à la perdre mais la châtie en la métamorphosant en araignée.
Non illud Pallas, non illud carpere Liuor possit opus : doluit successu flaua uirago et rupit pictas, caelestia crimina, uestes, utque Cytoriaco radium de monte tenebat, ter quater Idmoniae frontem percussit Arachnes. Non tulit infelix laqueoque animosa ligauit guttura. Pendentem Pallas miserata leuauit atque ita « uiue quidem, pende tamen, inproba » dixit, « lexque eadem poenae, ne sis secura futuri, dicta tuo generi serisque nepotibus esto ! » Post ea discedens sucis Hecateidos herbae sparsit et extemplo tristi medicamine tactae defluxere comae, cum quis et naris et aures, fitque caput minimum, toto quoque corpore parua est ; in latere exiles digiti pro cruribus haerent, cetera uenter habet ; de quo tamen illa remittit stamen et antiquas exercet aranea telas. |
Ni Pallas ni l'envie ne pourraient rien reprendre à ce travail : la blonde guerrière souffrit de cette réussite, déchira la tapisserie qui dépeignait les crimes des dieux, et, comme elle tenait en main une navette en bois du mont Cytore, à trois, à quatre reprises, elle en frappa le front d'Arachné, fille d'Idmon. La malheureuse ne supporta pas cet outrage et, hors d'elle, se noua un fil autour de la gorge. Elle était suspendue, et Pallas apitoyée la souleva : « Reste vivante, scélérate, mais toutefois pendue, et, pour t'éviter de compter sur l'avenir, j'impose la même peine à ta race et à tes lointains descendants ! » Après cela, en s'éloignant, elle l'aspergea de sucs extraits d'une herbe d'Hécate. Aussitôt touchés par le funeste poison, les cheveux d'Arachné tombent ainsi que son nez et ses oreilles ; puis sa tête devient minuscule, tout son corps aussi rapetisse ; des doigts ténus, à la place des jambes, s'attachent à ses flancs, et son ventre forme le reste ; c'est de là qu'elle produit du fil et que, devenue araignée, elle s'applique à ses toiles de jadis. |
Pour comparer :
RUBENS a représenté Minerve au moment où elle frappe Arachné avec une navette
(tableau de 1636 au Viginia Museum of Fine Arts).