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SON MÉDECIN DÉCOUVRE QUE LA MALADIE D'ANTIOCHUS A POUR CAUSE SON AMOUR POUR SA BELLE-MÈRE

• Jean BARDIN, "La maladie d'Antiochus découverte par le médecin Érasistrate", 1773, lavis, 19 x 31 cm, MBAO 79.
Catalogue "Jean Bardin le feu sacré, MBAO, année 2023, n° 21, p. 131

Séleucos, général d'Alexandre le Grand, a épousé Stratonice, la fille du roi de Macédoine Démétrios Ier Poliorcète, et ils ont eu un enfant. Mais un premier fils de Séleucos, Antiochos (-325/-261), fut pris de désir pour sa jeune belle-mère et ses efforts pour lutter contre cette passion coupable firent croire qu'il était gravement malade. Son médecin Érasistrate soupçonna vite que la cause de cette maladie était la passion amoureuse ; puis il comprit que Stratonice en était l'objet lorsqu'il constata, en lui prenant le pouls, la forte émotion qu'éprouvait Antiochos en présence de la jeune femme.
Pour sauver son fils, Séleucos lui cèdera Stratonice.

PLUTARQUE, Demetrius, 38

Συνέβη γάρ, ὡς ἔοικε, τὸν Ἀντίοχον ἐρασθέντα τῆς Στρατονίκης νέας οὔσης, ἤδη δὲ παιδίον ἐχούσης ἐκ τοῦ Σελεύκου, διακεῖσθαι κακῶς καὶ πολλὰ ποιεῖν τῷ πάθει διαμαχόμενον, τέλος δ' ἑαυτοῦ καταγνόντα δεινῶν μὲν ἐπιθυμεῖν, ἀνήκεστα δὲ νοσεῖν, κεκρατῆσθαι δὲ τῷ λογισμῷ, τρόπον ἀπαλλαγῆς τοῦ βίου ζητεῖν καὶ παραλύειν ἀτρέμα καὶ θεραπείας ἀμελείᾳ καὶ τροφῆς ἀποχῇ τὸ σῶμα, νοσεῖν τινα νόσον σκηπτόμενον.  Ἐρασίστρατον δὲ τὸν ἰατρὸν αἰσθέσθαι μὲν οὐ χαλεπῶς ἐρῶντος αὐτοῦ, τὸ δ' οὗτινος ἐρᾷ δυστόπαστον ὂν ἐξανευρεῖν βουλόμενον ἀεὶ μὲν ἐν τῷ δωματίῳ διημερεύειν, εἰ δέ τις εἰσίοι τῶν ἐν ὥρᾳ μειρακίων ἢ γυναικῶν, ἐγκαθορᾶν τε τῷ προσώπῳ τοῦ Ἀντιόχου καὶ τὰ συμπάσχειν μάλιστα τῇ ψυχῇ τρεπομένῃ πεφυκότα μέρη καὶ κινήματα τοῦ σώματος ἐπισκοπεῖν. Ὡς οὖν τῶν μὲν ἄλλων εἰσιόντων ὁμοίως εἶχε, τῆς δὲ Στρατονίκης καὶ καθ' ἑαυτὴν καὶ μετὰ τοῦ Σελεύκου φοιτώσης πολλάκις ἐγίνετο τὰ τῆς Σαπφοῦς ἐκεῖνα περὶ αὐτὸν πάντα, φωνῆς ἐπίσχεσις, ἐρύθημα πυρῶδες, ὄψεων ὑπολείψεις, ἱδρῶτες ὀξεῖς, ἀταξία καὶ θόρυβος ἐν τοῖς σφυγμοῖς, τέλος δὲ τῆς ψυχῆς κατὰ κράτος ἡττημένης ἀπορία καὶ θάμβος  καὶ ὠχρίασις, ἐπὶ τούτοις προσλογιζόμενον τὸν Ἐρασίστρατον κατὰ τὸ εἰκός, ὡς οὐκ ἂν ἑτέρας ἐρῶν βασιλέως υἱὸς ἐνεκαρτέρει τῷ σιωπᾶν μέχρι θανάτου, χαλεπὸν μὲν ἡγεῖσθαι τὸ φράσαι ταῦτα καὶ κατειπεῖν, οὐ μὴν ἀλλὰ πιστεύοντα τῇ πρὸς τὸν υἱὸν εὐνοίᾳ τοῦ Σελεύκου παρακινδυνεῦσαί ποτε καὶ εἰπεῖν, ὡς ἔρως μὲν εἴη τοῦ νεανίσκου τὸ πάθος, ἔρως δ' ἀδύνατος καὶ ἀνίατος. Ἐκπλαγέντος δ' ἐκείνου καὶ πυθομένου πῶς ἀνίατος, "ὅτι νὴ Δία" φάναι τὸν Ἐρασίστρατον "ἐρᾷ τῆς ἐμῆς γυναικός."  "εἶτ' οὐκ ἄν" εἰπεῖν τὸν Σέλευκον "ἐπιδοίης Ἐρασίστρατε τῷ ἐμῷ παιδὶ φίλος ὢν τὸν γάμον, καὶ ταῦθ' ὁρῶν ἡμᾶς ἐπὶ τούτῳ μόνῳ σαλεύοντας;" "οὐδὲ γὰρ ἂν σύ" φάναι "τοῦτο πατὴρ ὢν ἐποίησας, εἰ Στρατονίκης Ἀντίοχος  ἐπεθύμησε." καὶ τὸν Σέλευκον "εἴθε γὰρ ἑταῖρε" εἰπεῖν "ταχὺ μεταστρέψαι τις ἐπὶ ταῦτα καὶ μεταβάλοι θεῶν ἢ ἀνθρώπων τὸ πάθος· ὡς ἐμοὶ καὶ τὴν βασιλείαν ἀφεῖναι  καλὸν Ἀντιόχου περιεχομένῳ." ταῦτ' ἐμπαθῶς σφόδρα τοῦ Σελεύκου καὶ μετὰ πολλῶν δακρύων λέγοντος, ἐμβαλόντα τὴν δεξιὰν αὐτῷ τὸν Ἐρασίστρατον εἰπεῖν, ὡς οὐδὲν Ἐρασιστράτου δέοιτο· καὶ γὰρ πατὴρ καὶ ἀνὴρ ὢν καὶ βασιλεὺς αὐτὸς ἅμα καὶ ἰατρὸς εἴη τῆς οἰκίας  ἄριστος. Ἐκ τούτου τὸν Σέλευκον ἐκκλησίαν ἀθροίσαντα πάνδημον εἰπεῖν, ὅτι βούλεται καὶ διέγνωκε τῶν ἄνω πάντων τόπων Ἀντίοχον ἀποδεῖξαι βασιλέα καὶ Στρατονίκην βασιλίδα, ἀλλήλοις συνοικοῦντας· οἴεσθαι δὲ τὸν μὲν υἱὸν εἰθισμένον ἅπαντα πείθεσθαι καὶ κατήκοον ὄντα μηθὲν ἀντερεῖν αὐτῷ πρὸς τὸν γάμον· εἰ δ' ἡ γυνὴ τῷ μὴ νενομισμένῳ δυσκολαίνοι, παρακαλεῖν τοὺς φίλους, ὅπως διδάσκωσιν αὐτὴν καὶ πείθωσι καλὰ καὶ δίκαια τὰ  δοκοῦντα βασιλεῖ μετὰ τοῦ συμφέροντος ἡγεῖσθαι. Τὸν μὲν οὖν Ἀντιόχου καὶ Στρατονίκης γάμον ἐκ τοιαύτης γενέσθαι προφάσεως λέγουσι.

Antiochus, étant devenu amoureux de Stratonice, qui était fort jeune et avait déjà un fils de Séleucus, se trouvait très malheureux, et faisait tous ses efforts pour vaincre sa passion : il se condamnait lui-même, et se reprochait sans cesse ses désirs criminels. Enfin, comme il n'espérait aucun remède à une maladie qui troublait sa raison, il résolut de se délivrer de la vie par une mort lente. Il négligea son corps, s'abstint de prendre aucune nourriture, et feignit d'avoir une maladie qui le consumait. Érasistrate, son médecin, reconnut sans peine que son mal était causé par l'amour ; mais, de découvrir quel en était l'objet, c'était chose moins aisée à faire. Toutefois, voulant s'en assurer, il passait les journées entières dans la chambre du malade ; et, quand il entrait quelque jeune garçon ou quelque jeune femme d'une remarquable beauté, il considérait attentivement le visage d'Antiochus, et observait, sur toutes les parties de son corps, ces mouvements qui sont comme l'expression des affections de l'âme. Il ne remarquait en lui rien d'extraordinaire quand d'autres personnes venaient le voir ; mais, chaque fois que Stratοnice entrait dans la chambre, soit seule, soit avec Séleucus, Antiochus éprouvait tous les symptômes que décrit Sapho : sa voix s'oppressait, son visage devenait rouge et enflammé ; un nuage épais couvrait ses yeux ; la sueur inondait son corps ; l'inégalité de son pouls en marquait le désordre ; enfin, il y avait accablement de l'âme, étouffement, et, par suite, tremblement, pâleur.
Ces observations convainquirent Érasistrate qu'Antiochus était amoureux de Stratonice, et qu'il avait résolu de se laisser mourir plutôt que d'avouer sa passion ; mais il sentit en même temps tout le danger qu'il y avait à révéler ce secret. Néanmoins, comme il se confiait dans l'amitié de Séleucus pour son fils, il se hasarda un jour, et dit au roi que l'amour seul causait la maladie d'Antiochus, mais que, malheureusement, c'était un amour sans remède. «Comment, sans remède ? demanda Séleucus étonné. — Oui, sans remède, répondit Érasistrate ; car c'est de ma femme qu'il est amoureux. — Hé quoi ! mon cher Érasistrate, repartit Séleucus, par amitié pour nous, tu ne céderais pas ta femme à mon fils, à ce fils, notre unique espérance ? — Mais toi-même, répliqua Érasistrate, toi qui es père, si Antiochus était amoureux de Stratonice, la lui céderais-tu ? — Ah ! mon ami, répliqua vivement Séleucus, qu'un dieu ou un homme fasse changer d'objet à la passion de mon fils, et je sacrifierai non seulement Stratonice, mais tout mon royaume, pour lui sauver la vie.» Il prononça ces mots avec tant d'émotion et une si grande abondance de larmes, qu'Érasistrate, lui tendant la main : «Tu n'as nul besoin d'Érasistrate pour guérir ton fils, dit-il ; tu es père, mari et roi, tu peux être en même temps le meilleur médecin de ton fils et le sauveur de ta maison.»
Aussitôt Séleucus convoqua une assemblée générale du peuple, et déclara qu'il avait résolu de proclamer Antiochus roi des provinces de la Haute-Asie, et de lui faire épouser Stratonice, avec laquelle il partagerait ce royaume. «Je suis persuadé, ajouta-t-il, que mon fils, accoutumé à m'obéir et à m'être soumis en toutes choses, ne s'opposera point à ce mariage. Mais, si ma femme Stratonice répugnait à une union qui peut lui paraître contraire aux lois, je prie mes amis de lui remontrer qu'elle doit trouver juste et bon tout ce que le roi juge utile au bien du royaume.»
Voilà comment se fit le mariage d'Antiochus et de Stratonice.

Pour comparaison :

• Jean BARDIN, "La maladie d'Antiochus découverte par le médecin Érasistrate", 1774, lavis, 18 x 30 cm, Montbard, Musée Buffon.

• Jean BARDIN, "La maladie d'Antiochus découverte par le médecin Érasistrate", 1775, lavis, 19 x 31 cm, Beaux-Arts de Paris.

(voire Catalogue de l'exposition "Jean Bardin le feu sacré" au MBAO en 2023, n° 21, p. 131 et n° 22 p. 132)

• Tableau de DAVID, "Érasistrate découvrant la cause de la maladie d'Antiochus", 1774, huile sur toile, 120 x 155 cm, École National des Beaux-Arts, Paris


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