LES QUATRE ÂGES DE L'HUMANITÉ |
Les Anciens considéraient que l'humanité a connu plusieurs grandes périodes successives, voulues par les dieux de l'Olympe, chacune voyant une progression du mal et s'éteignant après un temps déterminé.
L'âge d'or c'était l'âge de Saturne, celui d'Astrée, la vierge, fille de Zeus et de Thémis, qui répandait parmi les hommes les principes de justice et de vertu.
Le second âge fut l'âge d'argent où règnait Jupiter qui partagea l'année en quatre saisons, mais où, pour la première fois, l'homme dut construire sa maison pour s'abriter et mettre au joug les boeufs pour labourer la terre.
Le troisième âge, l'âge de bronze, était gouverné par Minerve. Ce fut l'époque de la conquête des contrées lointaines. La loi règnait, mais la violence et l'hostilité sont apparues chez les hommes.
L'Age de fer est dominé par la discorde et la guerre. Justice et Loi sont foulées aux pieds; les autels sont renversés, les innocents massacrés.
Gérard de LAIRESSE (1640-1711), Les quatre Âges de l'humanité, 1682
huile sur toile, grisaille, donnant l'illusion de la sculpture
Age d'Or (MBAO-75.2.3) • Assise sur un trône, la vierge Astrée, fille de Zeus et de Thémis, qui préside aux destinées des hommes; elle tient un sceptre de la main droite et un triangle de la main gauche. • Décor : olivier, chêne (espèces nobles). |
Age d'Argent (MBAO-75.2.4) • Jupiter (assis sur un trône de nuages, avec son aigle) • Décor : vigne et figuier (plantes cultivées) |
Age de Bronze (MBAO-75.2.1) • Athéna domine la scène (diadème appelé polos, égide avec tête de Méduse, châle que les Athéniennes lui confectionnaient pour la fête des Panathénées). • Décor : saule et pauplier |
Age de Fer (MBAO-75.2.2) • Ce qui domine c'est la Guerre, un homme criant ou chantant, avec casque, armure, épée et torche (fait penser à la Marseillaise de Rude). • Décor : chardon et épis (mélange de bon et de mauvais) |
HÉSIODE, Les Travaux et les Jours, 109-201 [distingue cinq âges successifs] | |
D'or fut la première race d'hommes périssables que créèrent les Immortels, habitants de l'Olympe. C'était aux temps de Cronos, quand il régnait encore au ciel. Ils vivaient comme des dieux, le cœur libre de soucis, à l'écart et à l'abri des peines et des misères : la vieillesse misérable sur eux ne pesait pas ; mais, bras et jarret toujours jeunes, ils s'égayaient dans les festins, loin de tous les maux. Mourant, ils semblaient succomber au sommeil. Tous les biens étaient à eux : le sol fécond produisait de lui même une abondante et généreuse récolte, et eux, dans la joie et la paix, vivaient de leurs champs, au milieu de biens sans nombre. Depuis que le sol a recouvert ceux de cette race, ils sont, par le vouloir de Zeus puissant, les bons génies de la terre, gardiens des mortels, dispensateurs de la richesse : c'est le royal honneur qui leur fut départi. Puis une race bien inférieure, une race d'argent, plus tard fut créée encore par les habitants de l'Olympe. Ceux là ne ressemblaient ni pour la taille, ni pour l'esprit à ceux de la race d'or. L'enfant, pendant cent ans, grandissait en jouant aux côtés de sa digne mère, l'âme tout puérile, dans sa maison. Et quand, croissant avec l'âge, ils atteignaient le terme qui marque l'entrée de l'adolescence, ils vivaient peu de temps, et, par leur folie, souffraient mille peines. Ils ne savaient pas s'abstenir entre eux d'une folle démesure. Ils refusaient d'offrir un culte aux Immortels ou de sacrifier aux saints autels des Bienheureux, selon la loi des hommes qui se sont donné des demeures. Alors Zeus, fils de Cronos, les ensevelit, courroucé, parce qu'ils ne rendaient pas hommage aux dieux bienheureux qui possèdent l'Olympe. Et, quand le sol les eut recouverts à leur tour, ils devinrent ceux que les mortels appellent les Bienheureux des Enfers, génies inférieurs, mais que quelque honneur accompagne encore. Et Zeus, père des dieux, créa une troisième race d'hommes périssables, race de bronze, bien différente de la race d'argent, fille des frênes, terrible et puissante. Ceux là ne songeaient qu'aux travaux gémissants d'Arès et aux œuvres de démesure. Ils ne mangeaient pas le pain ; leur cœur était comme l'acier rigide ; ils terrifiaient. Puissante était leur force, invincibles les bras qui s'attachaient contre l'épaule à leur corps vigoureux. Leurs armes étaient de bronze, de bronze leurs maisons, avec le bronze ils labouraient, car le fer noir n'existait pas. Ils succombèrent, eux, sous leurs propres bras et partirent pour le séjour moisi de l'Hadès frissonnant, sans laisser de nom sur la terre. Le noir trépas les prit, pour effrayants qu'ils fussent, et ils quittèrent l'éclatante lumière du soleil. Et, quand le sol eut de nouveau recouvert cette race, Zeus, fils de Cronos, en créa encore une quatrième sur la glèbe nourricière, plus juste et plus brave, race divine des héros que l'on nomme demi dieux et dont la génération nous a précédés sur la terre sans limites. Ceux là périrent dans la dure guerre et dans la mêlée douloureuse, les uns devant les murs de Thèbes aux sept portes, sur le sol cadméen, en combattant pour les troupeaux d'Oedipe, les autres au delà de l'abîme marin, à Troie, où la guerre les avait conduits sur des vaisseaux, pour Hélène aux beaux cheveux et où la mort, qui tout achève, les enveloppa. À d'autres enfin, Zeus, fils de Cronos, et père des dieux, a donné une existence et une demeure éloignées des hommes, en les établissant aux confins de la terre. C'est là qu'ils habitent, le cœur libre de soucis, dans les Iles des Bienheureux, aux bords des tourbillons profonds de l'Océan, héros fortunés, pour qui le sol fécond porte trois fois l'an une florissante et douce récolte. Et plût au ciel que je n'eusse pas à mon tour à vivre au milieu de ceux de la cinquième race, et que je fusse ou mort plus tôt ou né plus tard. Car c'est maintenant la race de fer. Ils ne cesseront ni le jour de souffrir fatigues et misères, ni la nuit d'être consumés par les dures angoisses que leur enverront les dieux. Du moins trouveront ils encore quelques biens mêlés à leur maux. Mais l'heure viendra où Zeus anéantira à son tour cette race d'hommes périssables : ce sera le moment où ils naîtront avec des tempes blanches. Le père alors ne ressemblera plus à ses fils ni les fils à leur père ; l'hôte ne sera plus cher à son hôte, l'ami à son ami, le frère à son frère, ainsi qu'aux jours passés. A leurs parents, sitôt qu'ils vieilliront, ils ne montreront que mépris ; pour se plaindre d'eux, ils s'exprimeront en paroles rudes, les méchants ! et ne connaîtront même pas la crainte du Ciel. Aux vieillards qui les ont nourris ils refuseront les aliments. Nul prix ne s'attachera plus au serment tenu, au juste, au bien : c'est à l'artisan de crimes, à l'homme tout démesure qu'iront leurs respects ; le seul droit sera la force, la conscience n'existera plus. Le lâche attaquera le brave avec des mots tortueux, qu'il appuiera d'un faux serment. Aux pas de tous les misérables humains s'attachera lajalousie, au langage amer, au front haineux, qui se plaît au mal. Alors, quittant pour l'Olympe la terre aux larges routes, cachant leurs beaux corps sous des voiles blancs, Conscience et Vergogne, délaissant les hommes, monteront vers les Eternels. De tristes souffrances resteront seules aux mortels : contre le mal il ne sera point de recours. |
OVIDE, Métamorphoses, I, 89-150 [distingue quatre âges, symbolisés chacun par un métal] | |
Aurea prima sata est aetas, quae uindice nullo,
Tertia post illam successit aenea proles, |
L'âge d'or fut semé le premier, qui, sans répression, sans lois, pratiquait de lui même la bonne foi et la vertu. On ignorait les châtiments et la crainte ; des écrits menaçants ne se lisaient point sur le bronze affiché en public la foule suppliante ne tremblait pas en présence de son juge ; un redresseur des torts était inutile à sa sécurité. Jamais encore le pin, abattu sur ses montagnes pour aller visiter un monde étranger, n'était descendu vers la plaine liquide ; pas un mortel ne connaissait d'autres rivages que ceux de son pays. Jamais encore des fossés profonds n'entouraient les cités; point de trompettes au long col, point de cors recourbés pour faire résonner le bronze ; point de casques, point d'épées; sans avoir besoin de soldats, les nations passaient au sein de la paix une vie de doux loisirs. La terre aussi, libre de redevances, sans être violée par le hoyau, ni blessée par la charrue, donnait tout d'elle même ; contents des aliments qu'elle produisait sans contrainte, les hommes cueillaient les fruits de I'arbousier, les fraises des montagnes, les cornouilles, les mûres qui pendent aux ronces épineuses et les glands tombés de l'arbre de Jupiter aux larges ramures. Le printemps était éternel et les paisibles zéphyrs caressaient de leurs tièdes haleines les fleurs nées sans semence. Bientôt après, la terre, que nul n'avait labourée, se couvrait de moissons; les champs, sans culture, jaunissaient sous les lourds épis ; alors des fleuves de lait, des fleuves de nectar coulaient ça et là, l'yeuse au vert feuillage distillait le miel blond. Quand Saturne eut été précipité dans le Tartare ténébreux, tandis que l'univers vivait sous Jupiter, vint l'âge d'argent, qui ne valait pas l'âge d'or, mais valait mieux que l'âge du bronze aux fauves reflets. Jupiter resserra la durée de l'antique printemps ; l'hiver, l'été, l'automne inégal et le printemps raccourci partagèrent en quatre saisons l'année mesurée par ses soins. Alors, pour la première fois, l'air, qu'embrasaient des chaleurs torrides, devint incandescent et l'eau, durcie par les vents, suspendit son cours glacé. Alors, pour la première fois, les hommes entrèrent dans des maisons ; ces maisons, ce furent des grottes, d'épais feuillages, et des rameaux entrelacés d'écorce. Alors, pour la première fois, les semences de Cérès furent enfouies dans de longs sillons et les taureaux gémirent sous le poids du joug. |
JUVÉNAL, Satire VI, début [présente la Pudeur comme la soeur d'Astrée] | |
Credo Pudicitiam Saturno rege moratam |
Je veux bien croire que, du temps du roi Saturne, le Pudeur s'attarda en ce bas monde et qu'on l'y vit longtemps. […] Peut-être quelques vestiges plus ou moins nombreux de l'antique Pudeur subsistaient-ils même sous Jupiter, je dis sous un Jupiter encore imberbe. […] Mais ensuite, insensiblement, Astrée a fait retraite vers les dieux en compagnie de la Pudeur, et les deux soeurs se sont enfuies d'un même vol. […] L'âge de fer a amené tous les autres crimes; mais déjà l'âge d'argent a vu les premiers adultères. |
Pour comparer :
Dessins de Charles Eisen (1720-1778) gravés par Noël Le Mire dans Les Métamorphoses d'Ovide traduites en françois par l'abbé Banier, 1732 |