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VENGEANCE

L'Italien qui a l'intention se venger de quelqu'un garde un ongle de la main fort long. La manière la plus courante de se venger est de louer les services d'un spadassin professionnel. Mais les Pisans utilisent, eux, un moyen très inattendu.

AUDEBERT
On en voit qui, ouvertement, portent un signal de vengeance, laissant croître un ongle de la main, ou bien quelques poils, s'ils veulent cacher leur intention, protestant de ne les rogner ni couper qu'ils n'aient vengé l'injure qu'ils prétendent leur avoir été faite, de sorte qu'il y en a qui portent un ongle tant long qu'il peut croître et, quand il est fort long, le conservent soigneusement qu'il ne rompe ou fende par mégarde, ce qu'ils prendraient à mauvais présage de leur dessein. Mais ce serait leur faire tort, et comme renouveler leur mal, de leur demander l'occasion pour laquelle ils laissent croître un ongle si grand, ce que toutefois ils ne prennent à mal d'un étranger qui ignore les façons du pays.

LABAT
Les Italiens sont gens sages et qui raisonnent très juste. J'ai reçu, disent-ils, un affront d'un homme : serais-je deshonoré si je ne me venge pas ? Cela est certain. Le ferai-je appeller en duel ? Il pourra me tuer et ce sera un second affront pire que le premier, dont je pourrais encore moins me venger. Il faut prendre le parti le plus sûr et se conserver pour une meilleure occasion : on fait marché avec des braves [des spadassins], on leur donne comptant une partie de ce qu'on est convenu et assurance du reste dès que le coup sera fait; il n'en coûte que de l'argent et on est vengé sans risque. Sauf à se tenir sur ses gardes, de peur que les parents du mort ne prennent la même route pour venger celui qui a été assassiné.

GUYOT
Lorsque les Pisans haïssent quelqu'un et qu'il veulent lui faire du mal, ils ont une manière de le battre tout à fait particulière. Ils prennent un sac, qu'ils remplissent d'os de femmes mortes dans la même année. Ensuite, ils vont trouver la personne à laquelle ils en veulent, et lui donnent dix ou douze coups avec ce sac. C'est une chose étonnante que l'effet de ces os. La personne ainsi battue a à peine la force de marcher, et elle tombe insensiblement dans une espèce de consomption, en sorte qu'il ne lui reste que la peau et les os, et qu'elle ne vit ordinairement, à ce qu'on dit, qu'autant de jours qu'elle a reçu de coups. C'est ce qui a donné lieu de dire que la femme est le plus méchant animal qui soit au monde, parce qu'elle est méchante encore un an après sa mort.

• Audebert (Nicolas), Le Voyage et observations de plusieurs choses diverses qui se peuvent remarquer en Italie, deuxième partie, éd. Paris, 1656, p. 17-18.
• Labat (Jean-Baptiste), Voyages en Espagne et en Italie, t. IV, 1731, p. 24]
• Guyot de Merville (Michel), Voyage historique d'Italie, 1729, t. I, p. 546.