<== Retour

SUPERLATIFS

Les Italiens ne s'expriment pas d'une manière naturelle, mais avec emphase et surconsommation de superlatifs.

MISSON
Je trouve que c'est une chose difficile de s'accoutumer aux termes ampoulés des Italiens. Il leur est impossible de dire simplement les choses. Quand il est particulièrement question de louer, ils outrent l'exagération. Ce qui a le bonheur de leur plaire est toujours « stupendo, meraviglioso, incomparabile ». Nous avons déjà vu je ne sais combien de prétendues huitièmes Merveilles du monde.

LABAT
On fait une prodigieuse consommation de superlatifs en Italie. Ces manières de parler fatiguent ceux qui n'y sont pas accoutumés. On s'y fait à la fin, je l'ai éprouvé moi-même ; car, quoique je sois ennemi de la cérémonie, j'entendais sans peine qu'on m'appelait "Reverendissime" quand on voyait que j'avais un domestique ou que je payais un peu grassement les services qu'on me rendait.

DUMONT
La civilité vénitienne ne se borne pas aux révérences, mille égards et mille flatteries en sont des suites nécessaires. Il faut surtout bien prendre garde à la manière de parler et d'écrire. Car il ne suffit pas de dire jamais voi, qui serait un terme choquant, et de s'exprimer toujours par lei ou ella : il faut de plus observer une soumission extraordinaire dans le discours, le remplir de si la commanda, si piace al mio padrone, dire toujours que il mio Padrone a fait ceci ou dit cela, et si on le loue de quelque belle qualité, ne manquer jamais de mettre l'-issimo au bout, ne suffisant pas qu'il soit nobile, ni dotto, ni galanto, il faut qu'il soit nobilissimo, dottissimo et galantissimo. C'est la même chose en écrivant, on outre les civilités, et l'on en fait ici à ses inférieurs que bien des gens auraient de la peine à rendre ailleurs à ceux-mêmes qu'ils reconnaissent pour être au-dessus d'eux. J'ai vu des lettres des Capitaines Généraux Cornaro et Mocenigo, écrites à un marchand grec, au haut desquelles il y avait molto illustre Signor, puis quatre doigts de blanc, après quoi la lettre commençait ainsi, ho ricevuto de Vostra Signoria molto illustre etc, continuant du même style jusques à la fin, qui était de Vostra Signoria molto illustre, devotissimo servitor, avec six doigts d'espace entre la fin de la lettre et le seing. J'avoue que cela me surprit, vu la qualité de ceux qui écrivaient et celle de celui à qui on écrivait.

• Misson (Maximilien), Voyage d'Italie, éd; 1743, t. I, p. 193.
• Labat (Jean-Baptiste), Voyages en Espagne et en Italie, t. II, 1730, p. 79.
• Dumont (Jean), Voyages en France, en Italie, en Allemagne, à Malthe et en Turquie, t. IV, La Haye, 1699, IV, 209.